Ce texte, anonyme, se chante sur un air qui ne l'est pas. Il vient de la transformation
progressive par des soldats d’une valse à succès
de 1911, Bonsoir m’amour. Cette dernière avait
été écrite par René Le Peltier sur
une musique de Charles Sablon.
Selon une légende qu'aucune source n'atteste, le commandement militaire
aurait promis un million de francs or et la démobilisation à quiconque
dénoncerait l'auteur. Son interdiction jusqu'en 1974 ! est pourtant une réalité, même si l'on nous donne l'exemple de Ginette Garcin passant entre les mailles du filet et l'interprétant en 1963 à la télévision.
Cette chanson fut chantée par les soldats qui se sont mutinés, il y en
aurait eu au moins 40000, dans plus de 60 divisions sur les 100 que
comptait l’armée française, après l’offensive très meurtrière et
désastreuse du général Nivelle au Chemin des Dames. Et pendant les
mutineries, c’est la version actuellement connue qui est mise en place :
« C’est à Craonne, sur le plateau ».Evidemment,
ces mutineries furent durement réprimées, notamment par le général
Pétain, nommé le 17 mai 1917 pour remplacer Nivelle, non pas pour
réparer le revers militaire mais bien pour endiguer l’effondrement des
soldats du front. Il n’hésita pas à faire condamner à mort 629 soldats
dont 75 seront effectivement exécutés, 1380 peines de prison, 1400
peines de suppression de permission et de mise en première ligne.. Et
cette répression s’abattit aussi sur les mutins anglais ( 306
exécutions), les mutins italiens (750 exécutions) et sur les Russes
(Voir les événements de la Courtine). Pétain appelait les exécutions «
les cérémonies expiatoires »…
Paroles
1. Quand au bout d'huit jours, le r'pos terminé,On va r'prendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile.
Mais c'est bien fini, on en a assez,
Personn' ne veut plus marcher,
Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot
On dit adieu aux civ'lots.
Même sans tambour, même sans trompette,
On s'en va là haut en baissant la tête.
Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes.
C'est bien fini, c'est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C'est à Craonne, sur le plateau,
Qu'on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
Nous sommes les sacrifiés !
2. C'est malheureux d'voir sur les grands boul'vards
Tous ces gros qui font leur foire ;
Si pour eux la vie est rose,
Pour nous c'est pas la mêm' chose.
Au lieu de s'cacher, tous ces embusqués,
F'raient mieux d'monter aux tranchées
Pour défendr' leurs biens, car nous n'avons rien,
Nous autr's, les pauvr's purotins.
Tous les camarades sont enterrés là,
Pour défendr' les biens de ces messieurs-là.
3. Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,
Pourtant on a l'espérance
Que ce soir viendra la r'lève
Que nous attendons sans trêve.
Soudain, dans la nuit et dans le silence,
On voit quelqu'un qui s'avance,
C'est un officier de chasseurs à pied,
Qui vient pour nous remplacer.
Doucement dans l'ombre, sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes.
Dernier refrain
Ceux qu'ont l'pognon, ceux-là r'viendront,
Car c'est pour eux qu'on crève.
Mais c'est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève.
Ce s'ra votre tour, messieurs les gros,
De monter sur l'plateau,
Car si vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau !
Si les premières étapes de la transformation sont peu claires, on sait qu'une version modifiée de cette chanson est apprise par cœur et transmise oralement parmi les combattants existe dès 1915, peut-être même depuis octobre 1914. Une première version est publiée par La gazette des Ardennes (du 24 juin 1917), journal de propagande allemand publié en français à Charleville-Mézières. Elle prend alors le nom de Chanson de Lorette, du nom des violents combats qui ont lieu en Artois, autour de Notre-Dame de Lorette, au printemps 1915. Par la suite, et parmi ses variantes qui montrent une élaboration progressive, on peut citer celle-ci qui fait allusion aux combats de Verdun en 1916:
Quand on est au créneau
Ce n'est pas un fricot,
D’être à quatre mètre des Pruscos.
En ce moment la pluie fait rage,
Si l’on se montre c’est un carnage.
Tous nos officiers sont dans leurs abris
En train de faire des chichis,
Et ils s’en foutent pas mal si en avant d’eux
Il y a de pauvres malheureux.
Tous ces messieurs-là encaissent le pognon
Et nous pauvres troufions
Nous n’avons que cinq ronds.
Refrain :
Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes
C’est pas fini, c’est pour toujours
De cette guerre infâme
C’est à Verdun, au fort de Vaux
Qu’on a risqué sa peau
Nous étions tous condamnés
Nous étions sacrifiés
Nous devons le texte stabilisé de la Chanson qui s'impose après la guerre à Paul Vaillant-Couturier qui le retranscrit en 1934 pour Commune, la revue des intellectuels communistes."En 1919, la "Chanson de Lorette" est déjà mentionnée dans La guerre des Soldats, un recueil de souvenirs écrit par Paul Vaillant-Couturier et Raymond Lefebvre. Dans une scène qu'il situe à l'hiver 1916, ce dernier mentionne la chanson qu'il qualifie de "complainte de la passivité triste des combattants tout en déplorant les "mauvais vers" de "l'auteur illettré qui la composa sur ce funeste plateau de Lorette où il devait lui aussi laisser sa peau." La version présentée de la "Chanson de Lorette" ne comprend pas le refrain final de ce qu'on appellera la "Chanson de Craonne"
On peut citer
ici plusieurs variantes inédites retrouvées dans les
archives du Service Historique de la Défense (SHDT 16N1552).
Dans le dossier des "lettres saisies" à l'été
1917, et sans plus de précision sur les auteurs ou les
destinataires, on trouve ainsi quatre versions de la Chanson de Craonne
mises par écrit par des combattants. Les titres varient:
l'une s'intitule encore Sur le plateau de Lorette, une autre Les sacrifiés de Craonne, une autre encore La vie aux tranchées. Voici la variante la plus significative, ainsi qu'une reproduction de certains de ces documents:
Nous voici partis avec sac au dos
On dit adieu au repos
Car pour nous, la vie est dure
C'est terrible je vous l'assure
A Craonne là-haut
On va se faire descendre
Sans même pouvoir se défendre
Car si nous avons de très bons canons
Les boches répondent à leur son
Forcés de tenir, et dans la tranchée
Attendant l'obus qui viendra nous tuer
On dit adieu au repos
Car pour nous, la vie est dure
C'est terrible je vous l'assure
A Craonne là-haut
On va se faire descendre
Sans même pouvoir se défendre
Car si nous avons de très bons canons
Les boches répondent à leur son
Forcés de tenir, et dans la tranchée
Attendant l'obus qui viendra nous tuer
"jeudi 15 février 1917
Ma cher petite femme
[...] je te dirai que je tenvois la chanson des embusqué et tous se que jete prie sait de la conservait car sait la seul chanson qui me plai et elle est raielle du reste tu poura la profondire de toi même tu vaira que sai raielle et aussi tot reçu raicri moi mé pour que je sui sur que tu lait car sa mennuierai quel soi perdu, et dit moi si elle te plai. Je sais quelle ne te plaira pas, je te dirai que mon frère
peut la prenne [sic pour l'apprendre] si il veu mait il ne faut pas quel sorte la maisoncar je te lenvois sent l'avoir apprisse, sait la nouvel chanson du poillu des tranché.rien autre chosse a te dire pour au jour dui que desouhaité le bonjour et une bonne santé et de tembrassé de tous cœur et bien fort
Ton homme pour la vie qui taime. Jules Duchesne"
Le texte transmis par Jules Duchesne s'avère assez proche de la version définitive de la chanson. A quelques différences minimes près, on retrouve le couplet sur les embusqués et le refrain antimilitariste. La lettre de Duchesne date du 15 février 1917, deux mois avant l'offensive Nivelle et plus de trois mois avant les mutineries. Cette chronologie ruine l'hypothèse qui voudrait que le troisième couplet (sur les embusqués) ait été ajouté après la crise du printemps 1917.
Marival étudie également les variantes du couplet final : " Les plus intéressantes à étudier concernent l'actuel troisième couplet dit des embusqués, et en
particulier les variations lexicales à propos des possédants (les « gros qui font la
foire » et « ces messieurs-là » de la version actuelle) par opposition à « pauvres purotins », (de purot; fosse à purin, d'où personne misérable, crottée) terme remarquablement invariable dans toutes les versions, à une exception près : « malheureux pantins » dans la version Moignet. D'un texte à l'autre, « gros » peut devenir « embusqués » (La Misère de Craonne), « cossards» (dans La vie aux tranchées) « costauds » (version Gazette des Ardennes), « bourgeois » (version Court). Les « camarades » (parfois «compagnons » comme dans La Misère de Craonne ou même « nos pauvres frères » (dans la version Moignet) peuvent être étendus à côté de « ces richards-là » (version Duchesne), de « ces feignants-là » (version Court), de « ces vaches-là » (La Misère de Craonne), voire de « ces gros cochons-là » (La vie aux tranchées) ou de « ces fumiers-là » (version Moignet). Il apparaît ainsi que les termes employés dans la version actuelle sont plutôt édulcorés par rapport à ceux du temps de la guerre.
foire » et « ces messieurs-là » de la version actuelle) par opposition à « pauvres purotins », (de purot; fosse à purin, d'où personne misérable, crottée) terme remarquablement invariable dans toutes les versions, à une exception près : « malheureux pantins » dans la version Moignet. D'un texte à l'autre, « gros » peut devenir « embusqués » (La Misère de Craonne), « cossards» (dans La vie aux tranchées) « costauds » (version Gazette des Ardennes), « bourgeois » (version Court). Les « camarades » (parfois «compagnons » comme dans La Misère de Craonne ou même « nos pauvres frères » (dans la version Moignet) peuvent être étendus à côté de « ces richards-là » (version Duchesne), de « ces feignants-là » (version Court), de « ces vaches-là » (La Misère de Craonne), voire de « ces gros cochons-là » (La vie aux tranchées) ou de « ces fumiers-là » (version Moignet). Il apparaît ainsi que les termes employés dans la version actuelle sont plutôt édulcorés par rapport à ceux du temps de la guerre.
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