Aline Hennechell
obtiendra un non lieu quoique Ferrandi la désigne comme
l’instigatrice du crime et soutient qu’elle aurait fait le guet
le jour du crime. Il sous-entend aussi, sans pouvoir le nommer ni
citer ses sources « dans le milieu des filles et des
souteneurs » qu’il aurait identifié un complice. Le 9 mai
1917, le même Ferrandi écrit au juge d’instruction Montpellier :
« par la présente je vous fais savoir ce que je sait par
l’entremise d’une fille soumise Micheline épouse Rody, laquelle
s’est rencontrée à la prison des Présentines à Marseille avec
la fille Aline Hennichel (sic). Et voilà comment qu’elle me la
racontée le 28 février : « c’est moi qui ai conseillé
à mon amant Basile-Théodule Buttard de supprimée Alice Aubert
parce que j’avais apprit de droite et de gauche que Aline Aubert
n’ayant pas d’amant à Montpellier, elle devait avoir la forte
somme sur elle. J’ai encouragé mon amant de la sorte en lui
faisant entrevoir qu’avec la dite somme cella lui permettrait de
déserter et en même temps avec les effets d’Alice Haubert, à moi
ça m’aurait permit après avoir passée la frontière de gagnée
beaucoup d’argent. Mon amant lequel était désigné pour le
premier convois de Salonique vint en plein dans mes idées mais il a
voulu s’abjoindre un complice. Le crime étant prémédité nous
avons tous les trois calculé le jour. Au jour fixé, mon amant a
raccroché la fille Alice Aubert dans la rue de la Loge et a discuté
le prix de la nuit qu’il devait passer avec elle… Théodule
Buttard est monté dans la chambre. Moi est le militaire nous
faisions le guet dans ladite rue. Cinq minutes après que mon amant
était monté avec Alice Aubert il est venu nous avertir que le crime
était consommé le militaire qui me tenait compagnie et monté avec
Buttard ils ont faits plusieurs ballots qu’ils ont transporter chez
moi, et qu’ils on vendus a vils prix dès le lendemain... »
Il manque encore un complice que vous trouverez facilement. »
Mais devant le
commissaire de police Schellino Micheline déclare : « La
lettre de Ferrandi que vous me montrez est un tissu d’inventions de
sa part, car tout ce que je lui ai dit c’est que la fille Hennechel
ne m’avait jamais adressé la parole durant les quatre jours que
j’ai passés à la prison où elle était également détenue ».
Néanmoins elle finit par admettre qu’elle a rapporté les détails
tels qu’elle les avait entendus raconter par les autres femmes
détenues aux Présentines.
Que cette version
soit ou non conforme à la réalité, il apparaît à travers la
correspondance expédiée par Buttard durant son voyage et à
Salonique que Buttard prétendait être véritablement amoureux
d’Aline Hennechell, à qui il fait miroiter des promesses de
mariage et demande à mots couverts si elle est enceinte de ses
œuvres, expliquant ainsi quelques phrases mystérieuses de ces
échanges épistolaires. Aline Hennechell dément. Ce serait pourtant
avec elle qu’il apparaît sur les photos marseillaises trouvées
sur lui lors de son arrestation.
Curieusement lors de
son premier interrogatoire, Buttard affirme catégoriquement avoir
révélé à Aline que les objets qu’il lui avait donnés
provenaient d’une femme assassinée : « Elle ne m’a
fait aucune réflexion, elle m’a simplement demandé « Ça ne
risque rien » Je lui ai répondu « Je ne pense pas »
Elle dément avec force. Il la charge également en prétendant que
c’est à son initiative à elle que les objets ont été vendus ou
gagés, ce qui paraît ne pas cadrer avec ses protestations d’amour.
L’interrogateur note : « Les deux inculpés
s’interpellent et s’adressant l’un à l’autre s’écrient :
« Dis la vérité ». »
Le 25 mars Jeanne
Grégoire (pour se dédouaner?) remet à la police de Montpellier une
carte postale datée du 12 février, qu’elle dit n’avoir reçu
que la veille, l’enveloppe ayant été dirigée sur la Grèce. Elle
s’interroge sur l’identité de l’expéditrice, dont elle ignore
que le nom d’emprunt Renée Boucher correspond à celui d’un
amant de longue date d’Aline (Jean Bouche):
« Chère
Janette, je profite pour tenvoyer ces deux mos pour te dire que je
suis en bonne santée et que je suis arrivée à bon Port je pense
que Tois aussie que ma carte te trouve en bonne santée, maintenant
que Tue à des lettres pour mois tache moyen de me les envoyer care
surement Tue dois en navoué. Fais mois les parvenir le plutot
Possible. Tache moyen de ne Pas montrais la carte à Personne Surtout
à Marie Tue mais écrira sous mon nom de femme Renée boucher n°10
rue bouterie Bar Joyeux Marsseille ».
Parmi les autre
photographies trouvées sur Buttard « Celui qui est coiffé du
béret est celui qui a été désigné sous le nom de Louis. Il a
couché avec Grégoire Jeanne » [-sauf que Jeanne ne reconnaît
pas le soldat représenté sur cette photographie]. Louis Nicolle
est-il le fantôme du prétendu soldat Caillou qui n’existe pas ?
Aline prétend lors de l’un de ses premiers interrogatoires avoir
passé la nuit avec Buttard et un autre soldat, et que les deux
s’interpellaient en s’appelant l’un et l’autre « Lulu ».
Mais, comme on l’a
vu Nicolle était alors l’amant de Jeanne Grégoire, et
l’entremetteur qui aurait présenté Aline à Buttard ?
Nicolle ne confirme pas cette version de la rencontre.
« Je suis
embauché depuis le 5 janvier 1917 à Castries comme ouvrier
agricole… Le lundi 5 février je suis venu à Montpellier par le
dernier train du soir. J’étais attendu par grégoire jeanne que je
connaissais depuis plusieurs mois. Le train avait du retard et je ne
suis arrivé rue Diderot que vers 11h du soir. Je m’étais engagé
dans l’escalier lorsque j’ai vu devant moi la femme Hennechel
Aline qui entrait dans sa chmabre suivie de deux soldats du 2è
génie.. Elle paraissait légèrement ivre. En entendant mes pas,
elle a dit « Qui est-là ? » J’ai répondu « Ça
ne te regarde pas ». « C’est toi léon ? »m’a-t-elle
répliqué -Oui – Jeanne est dans sa chambre, elle est malade. »
Au bout d’un moment Aline est venue nous rejoindre. Elle fumait une
cigarette. Je n’ai vu aucun des deux soldats qui l’avaient
accompagnée chez elle mais je sais qu’ils ont couché tous les
deux avec elle car pendant le cours de la nuit ils n’ont pas cessé
de causer. Le lendemain matin, 6 février, Aline nous a raconté que
le second soldat n’avait pas voulu quitter son camarade, celui dont
vous me montre la photographie et que vous me dittes s’appeler
Buttard. L’ami de Buttard était resté de peur d’être surpris
au moment où il serait rentré à la caserne. Je n’ai pas vu ce
soldat qui est parti le mardi matin 6 février de très bonne heure.
Je ne puis vous fournir ni son nom, ni son signalement. Aline vint
dans la chambre de Jeanne Grégoire pour nous montrer deux fourrures…
Elle nous raconta qu’elle tenait tout cela de Buttard qui l’avait
enlevé à une maîtresse qui l’avait abandonné… Les deux femmes
s’en allèrent en me disant que si Buttard venait il fallait le
faire attendre. Buttard ne tarda pas à paraître. Nous nous mîmes à
causer. Il était sur le point de s’embarquer pour Salonique. Je
possédais un brassard de la Croix-Rouge que j’avais ramassé sur
un champ de bataille du front. J’en fis cadeau à Buttard. « Il
pourra te servir peut-être si tu es fait prisonnier, on croira que
tu fais partie d’une formation sanitaire et tu pourras être
rapatrié. » Buttard prit le brassard. « Tu te mets bien,
ajoutai-je en riant, tu as des maîtresses qui ont des bottines en
cuir jaune remontant jusqu’au mollet. » Buttard […] me
montra une petite clé en me disant que c’était celle de la porte
de sa propre chambre.
Nous allâmes au
restaurant Paparel où déjeunaient les deux femmes. Nous bûmes un
champoreau que que Buttard voulut payer pour répondre à la
gracieuseté que je lui avais faite en lui faisant cadeau du
brassard. Nous causions de choses et d’autres et un certain moment
il me dit « On s’apercevra bientôt qu’une femme a été
tuée » Je pris cette confidence comme une plaisanterie. Il
ajouta « C’est moi qui ait fait le coup » - Tu n’es
pas fou, m’écriais-je. Si je m’étais douté qu’il disait la
vérité je l’aurai fait immédiatement arrêté. Il possédait un
énorme couteau à cran d’arrêt. A quel moment a-t-il montré ce
couteau ? Je ne puis vous le dire. En quittant le restaurant
Paparel nous sommes entrés dans un café situé rue Diderot. J’ai
offert des champoreaux et Buttard a payé les verres de rhum. Les
femmes sont allées chercher la fourrure blanche qu’elles avaient
pliée dans une serviette. Buttard est parti avec sa maîtresse Aline
pour vendre cette fourrure. Depuis ce moment-là je n’ai plus revu
Buttard car j’ai quitté Montpellier ce même jour mardi 6 février
pour rentrer à Castries par le train de six heures du soir. »
Jeanne Grégoire, la
co-locataire d’Aline, occupant la chambre voisine, puisque les deux
femmes se parlaient à travers la cloison, ne serait-elle pas plus
impliquée dans toute cette affaire qu’elle a bien voulu l’avouer ?
Que savait-elle qui l’ait mis à l’abri des révélations des
deux autres ? Et Nicolle pourrait-il être le complice évoqué
par Ferrandi ? On croit comprendre qu’après son aveux du
crime, Buttard aurait été conseillé afin de ne pas se rendre mais
tirer profit du crime. « Le prétendu René a été vu
plusieurs fois en compagnie d’un caporal du 2è Génie, coiffé
d’un béret de chasseur alpin qui se disait originaire de Paris et
qui répondait au prénom de Louis » (rapport de police
primitif alors que Buttard, alias René n’était pas encore
formellement identifié). Certes le numéro de régiment ne colle
pas, mais comme disait Aline « C’est vraiment la bande à
Lulu ! » Nicolle n’était plus militaire au moment des
faits, le conseil de guerre ne s’est donc pas occupé de son cas
au-delà de son premier témoignage. La justice militaire ne
recherche pas la vérité, elle cherche un coupable.
« L’autre
était surnommé « Le Barou ». Il est venu au restaurant
avec nous le mercredi soir 6 février… Ce prétendu Barou connaît
le soldat qui m’a remis les bottines en cuir noir. »
Buttard :
« J’ai été arrêté par la gendarmerie le 2 mars 1917, près
de Monastir où j’étais arrivé le 26 février à la Cie du
capitaine Chas, je crois. »
Captaine Chas :
« Je ne peux donner aucun renseignement sur le sapeur Buttard ;
ce dernier n’étant arrivé en refort à la compagnie qu’à la
date du 26 février 1917. Ce sapeur était en traitement pour
blennorragie. »
Dans deux lettres
postérieures au procès, Buttard confesse son crime. Il est -« ma
leureuse mant »- quasi impossible d’en comprendre les
détails, tant l’orthographe phonétique est impénétrable :
9 août : « Le
présidans due conselle de guerre vautrer avait loubigans de Beouner
qu cette moie qui et comis le crime douberre Alisse par un momente de
colair qu’elle me disse une movaise paraul. Ma leureuse mant Je
lais fraper en paines proitine sante le vouloire...Par un mouvement
trais viffe et voue dirai qu’elle et morte dans mais bras. Ou sitau
je voulais Me Rentr à la poulisse pour desclarer se qui vnait de ma
River mais j’ai Ecouter les conseille de siest camarade qui se
trouver à la casasairnes et eu qui il mons desffamdue de me Rentre
S’est
duprer le nomes cuens qu’an dis [?] qui lais introuvable Se pendans
se trouve trais bien à salonique et s’est trais bien lui qui ma
tanter à feir se qu je aie fes. Mon colonaile comme je me suit à
vouer en fient pus confaisant je me paairmer de lai vouer à vous
même. Messieur je me mais à vous Graces de vouloir Bien Mai cinder
de vanger mae famille qui souffre tomer Pour la Partrie. »
11 août : «
Monsieur le Praisidant, j’ai eu louneur de voue fair savoire que
cetter moie qui à comis le crime… Je voues dirai que que j’aie
Eter pouser à fair se crime... Je vous dira qu’a lines Hermchelle
dois savoire pour coi qu’elle àvolus faire Tuer s’cette fammes
et le nomer caien qui lais Un trouvable, elle doie trais Bien savoire
sont nôm dur jour que sa Etee fais… et je voue dirai qu’il
voulais me maitre dans La misairre… qu’il y avait une hommes qui
fais le voyage de cette à Montepellier qu’il voulais ete et à
marcelle au sei mais je n’est pas cansontie de se la. Je lui dies
qu’il ne falais pas me prandre pour un bandit et je lai laisser
tomber et je me suit randue dans mon cantonnement… Je vous dirai
que se
il à Eter avaique moi à salonique… et il voulais me fair des sairter à tous bous de cham, je lui dit si Tus veus des sairter fais commes Tus vautras Mais mois je ne fias se là... »
Buttard invente-t-il
de nouveau ou s’est-il rendu compte de la présence d’un deuxième
homme qui aurait été le véritable amant de cœur de sa maîtresse.
Auquel des deux (ou bien à chacun puisque la mère maquerelle chez
qui elle s’était réfugiée après leur départ et chez qui elle a
été arrêtée, affirme avoir vu deux talons de mandats) Aline
Hennechel aurait-elle envoyé à destination de la Grèce des sommes dépassant les cent francs ?
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