lundi 22 octobre 2018

le bonnet rouge


Le Bonnet rouge est un périodique français, sous-titré « Organe de la défense républicaine », hebdomadaire (1913), puis quotidien (1914) satirique républicain et anarchiste français, dirigé par Maurice Fournié et ayant pour rédacteur en chef Miguel Almereyda. Le Bonnet rouge fut impliqué dans divers scandales lors de la Première Guerre mondiale, étant accusé notamment de défaitisme.

En effet, Almereyda était un militant antimilitariste et internationaliste qui s'était longuement opposé au conflit armé. Durant la Guerre, le Bonnet rouge avait ainsi adopté une position pacifiste.
Cette ligne éditoriale fut infléchie en faveur d'un antimilitarisme plus marqué après qu'Almereyda eut confié la direction du quotidien à Émile-Joseph Duval. Cette nouvelle prise de position entraîna l'intervention fréquente de la censure.

À cela s'ajoute, qu'en 1914, le ministre Joseph Caillaux finance Le Bonnet rouge pour qu'il publie des articles prenant la défense de sa femme, Henriette Caillaux, qui était accusée du meurtre de Gaston Calmette, le directeur du Figaro. Ce dernier avait mené une campagne contre Caillaux à qui il reprochait une politique occulte de rapprochement franco-allemand.

C'est ici que l'histoire bascule : éclaboussé par le scandale, Caillaux, ministre des finances du gouvernement Doumergues, démissionne le 17 mars lendemain du crime; le procès de sa femme étant prévu pour le 20 juillet. Bien qu'il soit réélu aux législatives de mai 1914, Caillaux n'est plus en position de faire valoir ses opinions pacifistes ; il pensait avant les faits devenir Président du Conseil et appeler Jaurès au ministère. Henriette Caillaux est acquittée le 28 juillet, le jour où l'Autriche déclare la guerre à la Serbie. Jaurès est assassiné le 31 juillet. Le 1er août l'Allemagne déclare la guerre à la Russie.

Le capitaine Pierre Bouchardon, magistrat détaché comme juge d'instruction auprès du 3e conseil de guerre (oui, le même qui présida à la condamnation de Mata-Hari)  fut chargé d'enquêter sur l'origine des fonds versés au journal après qu'on eut découvert des transferts allemands, en lien avec l'affaire Bolo Pacha. Il découvrit en même temps des correspondances entre Almereyda et Caillaux. Ce dernier sera contraint de s'expliquer sur les relations qu'il entretenait avec les dirigeants de ce journal. Il est arrêté en janvier 1918 pour « intelligence avec l'ennemi ». après que la chambre ait voté la levée de son immunité parlementaire sur l'insistance de Clemenceau.

Paul Marie Bolo, dit Bolo-Pacha, est né le 24 septembre 1867 à Marseille. Après avoir abandonné la profession de dentiste pour se tourner vers le commerce colonial, il quitte la France sous la pression du fisc et s'installe en Espagne où il vit d'expédients. On le retrouve en Argentine, sous le nom de Bolo de Grangeneuve et il se marie à la chanteuse Henriette de Soumaille, laquelle l’entretient. À la suite d'un vol de bijoux commis à Valparaíso, il est arrêté mais sa femme verse la caution. Libéré, Bolo l’abandonne et rentre en France en 1904, s’installe à Paris et épouse une certaine Mme Muller née Pauline Moiriat, ex-chanteuse de music-hall, veuve d’un riche négociant en vins de bordeaux, Fernand Muller. Ignorant sa bigamie, la veuve Muller devenue Mme Bolo lui signe une procuration sur sa fortune : Paul Bolo est désormais riche, il mène grand train, jongle avec les millions, voyage à travers le monde et reçoit fastueusement, en particulier à Biarritz.
Durant dix ans, il se lance alors dans de nombreuses entreprises commerciales, bancaires, philanthropiques. Il fonde la Confédération générale agricole, puis la Société universelle de la Croix-Blanche (Genève) en 1907. Il se lie à d'importants hommes politiques dont le ministre Joseph Caillaux avec lequel il échange une correspondance. En 1914, il devient le conseiller financier d'Abbas II Hilmi, khédive d'Égypte, et reçoit de ce dernier le titre de pacha.
Le 18 décembre 1914, le khédive, nationaliste et considéré comme trop proche de l'Allemagne, est déposé par les autorités britanniques et doit s'enfuir en Suisse. Bolo demeure son conseiller en exil et, sans doute grâce à son intermédiaire, entre en contact avec des banques allemandes et étrangères dans le but de contrôler des quotidiens français et d'en faire des organes d'influence pro-pacifistes (Le Journal ; Le Bonnet rouge).

 Bolo lors de son procès

En janvier 1917, Aristide Briand mais aussi Clemenceau ordonnent une enquête. Les services secrets français durant l'année 1917 établissent un lien direct entre Bolo et une banque américaine sise à New York : divers comptes en France au nom de Bolo ont été crédités d'un total de 11 millions de marks émis par la Deutsche Bank via la banque américaine.
Bolo est arrêté à Fresnes en septembre 1917. En février 1918, Bolo est déféré devant le Conseil de guerre de Paris.
Durant le procès, Bolo nie les faits. Son avocat est maître Albert Salle.
Bolo est condamné à mort le 14 février et le président Raymond Poincaré refuse de signer sa grâce.
Il est exécuté le 17 avril 1918 au fort de Vincennes.




Émile Joseph Duval, né le 27 septembre 1864 à Paris 14è

Après avoir travaillé pour Léon Dausset de 1902 à 1908 (et en charge des comités électoraux de divers députés, Duval, présenté à Miguel Almereyda par son ami Marion, devient administrateur, mais également bailleur de fonds et rédacteur du Bonnet rouge, le 30 avril 1916. Il y écrit alors quotidiennement en première page un article de soixante à quatre-vingt lignes signé « M. Badin ».
Le 15 mai 1917 , Émile-Joseph Duval est arrêté à la frontière suisse avec un chèque de 150 000 francs du banquier allemand Marx de Mannheim. Selon les souvenirs de Léon Daudet, militant de l'Action française, ayant en premier lieu prétexté une affaire de liquidation des "Bains de mer de San Stefano", il fut tout d'abord inculpé de commerce avec l'ennemi.
Le lieutenant Mornet, commissaire du gouvernement à son procès, lui reconnaît « une culture profonde, une intelligence remarquable et un talent de plume véritable. » Duval est un littéraire, ce lecteur insatiable possède un style classique qui le fera comparer à Anatole France. Les qualités indiscutables de « ce petit vieux aux allures discrètes de sacristain » sont malheureusement révélées tardivement et, âgé de cinquante ans quand il commence sa collaboration au Bonnet rouge, Duval est un journaliste déjà aigri et plein de fiel contre cette société qui n’a pas su le reconnaître à sa juste valeur. Le capitaine Bouchardon, grand lecteur de Balzac, le compare dans ses mémoires à Félicien Vernon, dans Un grand homme de province à Paris.

3è CG de Paris :
Le dossier d’instruction de l’affaire du Bonnet Rouge contient de nombreux documents relatifs aux frais engagés pour arrêter son directeur, Vigo-Almereyda. On y trouve également une série de documents saisis lors des perquisitions au siège du journal concernant des documents confidentiels intéressant l’armée du général Sarrail et le siège de Salonique, documents secrets qui montrent comment les français avaient entrepris d’affamer les Grecs en contrôlant le ravitaillement, exprimaient clairement leur intention de destituer le roi - « c’est donc à la tête qu’il faut frapper et le roi qu’il faut abattre »- et condamnaient la politique du consul des Etats-Unis considéré comme germanophile et pro-bulgare…
L’affaire Duval dépasse de très loin un simple financement allemand d’un journal pacifiste, elle vise à abattre un journal très lu qui détient des informations secrètes sur les menées du gouvernement français en orient, susceptible de faire basculer l’opinion si elles étaient révélées au grand jour.
Se consacrer à rapporter les faits de l’affaire greco-serbe, constituerait le sujet d’un livre en soi, et il ne saurait en être question puisqu’on examine ici les conséquences « franco-françaises » de cette affaire, et comment l’État major français et le gouvernement ont essayé -et plus ou moins réussi- à décapiter la mouvance anarchiste en désignant ses principaux acteurs comme de pernicieux espions.

Le procès Duval

Sont inculpés avec Emile-Joseph Duval, pour complicité de commerce avec l’ennemi, les journalistes Ferdinand Emile Louis Marion (10 ans), Louis Pascal Joucla (5 ans), Jacques Landau (8ans), le publiciste Jean Goldschild, dit Goldsky (8 ans) l’imprimeur Jean-Pierre Vercasson (2 ans -sursis- 5000 francs d’amende) et Jean-Léonard Victor Leymarie (2 ans, mille francs, acquitté en cassation), ancien directeur au ministère de l’Intérieur. Seul Marion avait déjà été condamné pour escroquerie.

recours en révision rejeté le 11 juin 1918, pourvoi en cassation rejeté le 11 juillet 1918
Duval est fusillé à Vincennes le 17 juillet 1918.


L'affaire des fonds étrangers versés au Bonnet rouge conduisit également à l'arrestation de Miguel Almereyda (Eugène Bonaventure Jean-Baptiste Vigo) et à son décès dans des circonstances mystérieuses le 14 août 1917 (« suicidé » avec des lacets », ou étranglé par un de ses codétenus). Durement éprouvé par cette crise, le journal cessa ses activités en 1922. 


Miguel Almeyreda (anagramme imparfait et probable de Ya d'la merde)


Selon un autre livre écrit par des militants de l'Action française après la Seconde Guerre mondiale, le nom du ministre de la guerre, Paul Painlevé, aurait figuré dans la liste des contributeurs du journal, sans qu'il en ait écrit un seul article de sa main. Il n'aurait pourtant pas protesté contre ce soi-disant usage de son nom.

Il apparaît certain qu’après son ralliement à « l’union nationale » Le Bonnet Rouge qui vendait jusqu’à 200 000 exemplaires/jours a été secrètement financé par le ministère de l’intérieur jusqu’en avril 1916.

Selon son fils le cinéaste Jean Vigo, Almeyreda n'avait rien d'un espion ni d'un traître. Il aurait mis fin à ses jours à cause de ces rumeurs tenaces. En résumé, on y découvrirait la jalousie de ses collègues anarchistes et la gêne qu'il aurait représentée pour certains membres du gouvernement qui en effet avaient contribué au journal quand ils étaient plus jeunes et pacifistes de gauche.





Cette affaire est à mettre en lien avec l'affaire « Lenoir[Pierre]-Desouches[Guillaume]-Humbert-Ladoux[Le Commandant] », qui fut jugée devant la chambre du 3e conseil de guerre d'avril 1919 à juillet 1920 et conduisit à l'exécution de Pierre Lenoir.


Pierre Lenoir ;
Engagé volontaire en 1914, Pierre Lenoir est muté en août 1915 à l’état-major comme interprète stagiaire avant d’être réformé en avril 1916 pour insuffisance cardiaque.

Au printemps 1915, il fait la rencontre d’un industriel suisse, Schœller, désireux d’investir des fonds dans un journal français. Le 7 juin, les deux hommes signent un contrat en Suisse dans lequel Lenoir se voit confier par son nouvel associé 10 millions de francs. En échange, il doit devenir propriétaire du Journal, un quotidien qui se trouve alors être en vente. En contrepartie de cet apport financier, il est entendu que Lenoir suive les consignes éditoriales de Schœller. Or, ce dernier est vraisemblablement un intermédiaire agissant pour le compte d’un consortium allemand. L’affaire se complique lorsque le sénateur de la Meuse, Charles Humbert, prend connaissance de la vente. Le parlementaire s’impose dans la transaction en menaçant Lenoir, qui entre-temps s’est associé à un avoué prête-nom nommé Guillaume Desouches, de révéler l’origine de ses fonds.

En juillet, les trois compères font donc l’acquisition du quotidien avec les liquidités mises à disposition par Schœller. Néanmoins, dès la fin de l’année, Humbert obtient de Lenoir la vente de la majorité de ses parts. Pour ce rachat, Humbert se fait prêter 5,5 millions de francs par divers prêteurs dont Joseph Caillaux et Paul Bolo dit Bolo Pacha, un sulfureux homme d’affaire parisien. En 1917, après une entrevue avec Paul Bolo, Raymond Poincaré, Président de la République et ami de Charles Humbert, ordonne l’ouverture d’une enquête qui fait éclater l’affaire et débouche sur les arrestations de Bolo Pacha, de Charles Humbert, de Guillaume Desouches et de Pierre Lenoir.
Le procès de Charles Humbert, Guillaume Desouches et Pierre Lenoir est organisé en avril 1919. Il fait l’objet d’articles détaillés dans la presse et notamment dans L’Ouest-Éclair, sous le titre « Le grand procès de trahison », du 1er au 30 avril 1919. Ce procès est en effet un événement extrêmement médiatisé, notamment parce que le président de la République y est appelé à témoigner. Au terme du procès, Charles Humbert est acquitté, Desouches est condamné à cinq ans de réclusion et Pierre Lenoir à la peine de mort. Il est exécuté au Fort de Vincennes, le 24 octobre 1919.



Avec la mort de Pierre Lenoir, disparaît pour Georges Clemenceau, « Le Père de la Victoire », un témoin de son passé douteux. Son ancienne amitié avec Alphonse Lenoir (père de Pierre), aux actions sulfureuses, peut devenir un frein à sa carrière politique et ternir sa réputation.

Les manipulations judiciaires de la Grande Guerre, comment on fabrique des coupables, de Léon Schirmann. (extraits du compte-rendu)

L’opinion réclame des têtes? La Justice va se charger de lui en fournir! Jamais la machine à fabriquer des coupables n’a aussi bien tourné que pendant la Première Guerre mondiale. Surtout en 1917, quand le dieu des armes hésitait à désigner un vainqueur et que le moral de la France était au plus bas... Alors, si nos généraux échouaient à faire la décision, si nos soldats mouraient par centaines de milliers sans gagner un pouce de terrain, c’est qu’il y avait des traîtres…
Cette explication commode qui balayait si bien les questions gênantes, un homme s’en servira sans états d’âme, d’abord pour accéder au pouvoir, puis pour s’y maintenir et y mener une politique jusqu’au-boutiste qui portera en germe la Seconde Guerre mondiale. Ce machiavel, c’est Georges Clemenceau…
Léon Schirmann brosse un tableau général de cette effrayante paranoïa française que fut la » chasse au traître « . Et, de fil en aiguille, il est amené à évoquer d’autres » crimes judiciaires » qui entacheront à tout jamais la justice française, de l’affaire du Bonnet rouge à l’affaire Joseph Caillaux, derrière lesquelles on devine la redoutable griffe du » Tigre « . 




dimanche 21 octobre 2018

question de langue- jargon de 14-18









L 'Argot des tranchées de Lazare Sainean Publication 1915
Monographie écrite d après les lettres des poilus et les journaux du front

Source de vie intense et d énergie nouvelle, la guerre actuelle ne laissera pas d exercer une action féconde sur toutes les manifestations de la vie sociale. Parmi celles-ci, la plus vivante, le langage populaire parisien, en porte d ores et déjà des traces de renouvellement. Des termes qui, avant la guerre, restaient confinés dans des milieux spéciaux, ont acquis, à la lumière des événements tragiques que nous venons de traverser, un relief inattendu, et d isolés qu ils étaient, sont en train d 'entrer dans le large courant de la langue nationale.

Les exemples abondent. 

Boche : Cette appellation, naguère reservée aux classes professionnelles, est devenue courante. Les atrocités de la guerre ont projeté sur ce nom comme une lueur sinistre. De sobriquet simplement ironique qu il était avant la guerre, il est devenu un stigmate, un nom monstrueux qui rappelle le Gog et le Magog de l Apocalypse. La langue en gardera un souvenir ineffaçable.
Remarque curieuse : le vocable n 'avait, au début, rien de commun avec les Allemands, quand il fit son apparition vers 1860 ! C était alors un parisianisme au sens de mauvais sujet, « dans l argot des petites dames », ajoute Delvau en 1866. Le mot représentait une abréviation parisienne de caboche, tête dure, comme le montre bochon, coup, pour cabochon, même sens.Pendant la guerre de 1870, Boche était encore inconnu. Les Allemands portaient exclusivement la qualification de Prussiens, nom qu 'on rencontre à chaque page du Père Duchêne de l 'époque, pale imitation du fameux pamphlet d Hébert : « Pas un de ces jean-foutre ne sait comment on fout une balle dans le ventre d 'un Prussien », lit-on dans le n° 3 de janvier 1871. Ce n est qu 'après la guerre de 1871 qu 'on appliqua particulièrement aux Allemands cette épithète de boche, c est-?-dire de « tête dure ». On en est redevable à un trait de psychologie populaire que résume l 'expression tête carrée d Allemand, laquelle devint alors synonyme de tête de Boche, c est-à-dire tête d Allemand, à cause (prétend-on) de leur compréhension lente et difficile. Cette spécialisation se produisit dans les milieux professionnels où l 'on avait recours à la main-d ' œuvre allemande. En voici un témoignage technique : « Tête de boche, Ce terme est spécialement appliqué aux Allemands, parce qu 'ils comprennent assez difficilement, dit-on, les explications des metteurs en pages, « Eugène Boutmy, La langue verte typographique, Paris, 1874.

Cette identification ethnique une fois accomplie, l expression lit son chemin avec cette nouvelle acception. On la rencontre dans le milieu des casernes : « C est-y que tu me prends pour un menteur? Quiens, preuve que la v l'ta permission. Sais-tu lire, sacrée tête de boche ? » Courteline, Le Train de 8 h, 47, p. 74. Et dans une chanson de Bruant : « Pst! viens ici, viens, que j t'accroche, V'la l 'omnibus, faut démarre ! Ruhau ! recu'l donc, hé ! tête de boche! » (La Rue, t. I, p. 151).
Maintenant, ce sobriquet est devenu l 'appellatif ethnique général aussi bien dans les tranchées que dans la presse, où on l 'a gratifié de toute une postérité : bochiser, germaniser ; Bochonnie, Allemagne ; bochonnerie, vilenie de Boche.

Voici un autre exemple tout aussi caractéristique. Le sobriquet naguère banal de Poilu, vient d acquérir, par ses exploits héroïques, de véritables titres de noblesse : il est devenu le brave entre les braves. D 'où vient ce surnom, aujourd 'hui glorieux ?
De tout temps, les poils ont été considérés comme un signe de force, de virilité. La légende biblique l attribue déjà à Samson. Avoir du poil et être fort sont depuis longtemps, chez nous, des expressions synonymes. Le fameux Hébert, dans son Père Duchêne, n°298, de 1793, parle déjà des « bougres à poil, déterminés à vivre libres ou à mourir ». Il a ainsi exprimé la devise même de nos Poilus : Du sens de mâle, c est-?-dire qui a du poil au coeur, poilu a passé tout naturellement à celui de courageux, d intrépide, sens que le mot a déjà dans ce passage du Médecin de campagne de Balzac, 1834, t. II, p.80 : « Mon homme est un des pionniers de la Bérézina, il a contribué à construire le pont sur lequel a passé l armée. Le général Eblé, sous les ordres duquel étaient les pontonniers, n 'en a pu trouver que quarante-deux assez poilus, comme dit Gondrin, pour entreprendre cet ouvrage ». Mais c est surtout dans les tranchées que cette épithète est devenue générale, pour désigner les braves qui ont vu le feu de près, qui ont pris part à une rencontre : « N 'allez pas croire, après ce que je viens de dire, que nous ne soyons que quinze à la compagnie. Non, les vides ont été comblés, comme vous devez le penser, mais, pour nous, ceux qu on nous a envoyés sont encore des bleus. Nous ne sommes que quinze qui ayons affronté les Boches, aussi est-ce pour cela qu on nous appelle les Poilus. ». Galopin, Les Poilus de la 9è 1915, p3.

Un autre exemple est zigouiller. C 'était un mot cher au Bandit, malfaiteur qui, par le vol, l'agression ou l'assassinat, sévissait à Paris et dans les grandes villes ; individu peu recommandable, apaches, au sens de tuer à coups de couteau : « Si on cane, c 'st eusses qui viendront nous zigouiller » Rosny aîné, Dans les Rues, p. 244. On dirait que le mot a atténué sa valeur louche depuis qu on l 'entend dans la bouche de nos vaillants troupiers, combattant l 'ennemi : « Si j 'en descends pas dix, je perds mon nom. On s 'ra zigouillé, c est sûr. Mais, bah! un peu plus tôt, un peu plus tard, qu est-ce que ça peut faire ? » Galopin, Les Poilus de la 9è p10
Le mot est à Paris, un apport de la province : dans le Poitou, zigouiller signifie couper avec un mauvais couteau, en faisant des déchirures comme avec une scie, et dans l 'Anjou, zigailler, c est couper malproprement, comme avec un mauvais outil, en déchiquetant. On voit le chemin que ce mot de terroir a fait en s 'acclimatant à Paris : du sens de scier ou couper maladroitement, zigouiller a pris celui de couper la gorge, tuer avec le sabre ou la baïonnette. En d autres termes, ce vocable a tout simplement passé des objets aux êtres humains.




Dans une ambiance où le risque de mourir est omniprésent, on se rapproche naturellement de ses compagnons d'infortune. " L'apparition progressive d'un langage commun et spécifique aux soldats va faciliter la création d'un " esprit de corps ", de groupes soudés face à l'adversité. " On ne peut donc pas à proprement parler d'argot, puisque l'objectif n'est pas d'être incompris par les autres, officiers supérieurs ou civils, mais bien de communiquer entre soldats... "

Certains termes proviennent ainsi de jargon professionnel : à l'origine, le verbe " louper " était limité aux ateliers et manufactures. Quand on " loupait " une pièce, cela signifiait que l'on avait mal exécuté son travail. Ce n'est qu'après la Première Guerre mondiale et son passage dans les tranchées que le verbe verra son sens élargi et sera employé dans d'autres contextes.Beaucoup d'autres mots proviennent de patois ou langages régionaux. Le terme " bourrin ", qui désigne un mauvais cheval, n'était à l'origine employé que dans l'Ouest de la France. Quant au terme " gnôle ", qui désigne un mauvais alcool, son origine est peut-être à trouver dans le patois franco-provencal.
Le passage des troupes coloniales laissera lui aussi des traces : il faudra attendre leurs faits d'arme lors du premier conflit mondial pour qu'on entende parler de nouba (issu de l'algérien), de gourbi, de casba, de clebs ou de toubib (de l'arabe tebib, médecin).
Le français académique ne sera pas pour autant laissé de côté même si, la plupart du temps, le sens des mots sera ici modifié. " On remarque ici une pointe d'humour, probablement une échappatoire aux horreurs et difficultés de la guerre, en détournant le sens des mots : le doryphore, insecte nuisible, est utilisé pour qualifier l'allemand, 'singe' fait référence au contenu des boîtes de corned-beef, on nomme les ballons d'observation 'saucisses' par rapport à leur forme allongée ". La mitrailleuse, nouvelle arme meurtrière au tac-tac-tac caractéristique, est qualifiée de " machine à découdre ", le masque à gaz, dont l'utilisation ne prête théoriquement pas à rire, est baptisé " groin ".
Même si, pendant le conflit, le langage des poilus ne percolera que très peu au sein de la population civile (censure de la presse oblige), nombreux sont les mots qui finiront par faire souche dans nos dictionnaires ou le langage usuel. Pensez-y la prochaine fois que vous boirez du " pinard " (variation populaire pour " pineau "), un " cahua " ou que vous conduirez votre vieux " tacot " (à l'origine, il s'agit d'une pièce voyageant sur les métiers à tisser) pour aller à " Paname " !






A
Abeilles, Frelons ... Petits éclats d'obus; balles
Accroche-coeurs ... Décorations
Amoché ... Blessé, touché, détruit
Antidérapant ... Vin
Aramon ... Vin rouge
Armoire à glace ... Sac de soldat
As ... Champion dans son genre
As de carreau ... Sac de soldat
Auber ... Argent monnayé, monnaie
Azor ... Sac de soldat
B
Babillarde ... Lettre, épitre
Bacchante ... Moustache
Bafouille ... Lettre, épitre
Bagotter ... Action de marcher
Balancer ... Mettre de côté; envoyer au diable
Ballot ... Homme peu dégourdi
Balluchard ... Homme peu dégourdi
Barbaque ... Viande fraîche
Barda ... Bagage du soldat
Barder ... Exécuter une chose difficile
Bardin ... Bagage militaire
Baroufle ... Bruit
Bath ... Bien, agréable, avantageux
Baveux ... Journal
Becqueter ... Action de manger
Bégonias (les) ... Jambes
Bibendum ... Homme gros
Bide ... Ventre
Bidoche ... Viande
Bifton ... Billet, ticket
Bigorneau ... Soldat
Biture ... Saoûlerie
Blair ... Nez
Blindé ... Homme ivre
Bobard ... Mensonge
Boche ... Allemand
Bochemard ... Allemand
Bombe ... Fête, saoûlerie
Bordée ... Fête, saoûlerie
Bordelais ... Tous ceux qui se sont sauvés à Bordeaux en août-septembre 1914
Boucan ... Bruit
Boucler (la) ... Se taire
Boudin cavaleur ... Ballon captif: saucisse, dracken
Bougie ... La tête
Bouffarde ... Pipe
Boule ... Pain de soldat
Boulot ... Travail difficile
Bourgue ... Un sou (5 centimes)
Bourguignon ... Soleil
Bourguignotte (gnette) ... Casque de soldat
Bourrage de crâne ... Mensonge
Bourrin ... Cheval
Bouziller ... Tuer
Braise ... Argent de poche
Bras cassés ... Homme paresseux
Brichton ... Pain
Brindezingue ... Homme ivre
Broquille ... Minute
Brosse à dents ... Moustaches
Burlingue ... Bureau
C
Cabot ... Chien; caporal
Cafard (Avoir le) ... Etre ennuyé
Ca gaze ... Quand il y a du travail ou du danger
Ca barde ... Quand il y a du travail ou du danger
Calendriers ... Grenades à main
Cambrousard ... Payasn
Cambuse ... Mauvaise maison, abri
Ca murmure ... Quand on pressent le danger
Canard ... Faux-bruit qui circule, journal
Casse-pattes ... Eau-de-vie
Charles Humbert ... Obus français de 280
Chasses ... Yeux
Cheval ... Mandat-postal, bon de poste
Cigare ... Ballon captif, saucisse, dracken
Cigue ... Pièce en or de 20 francs
Cloche ... Coiffure: képi, shako, casque
Colle ... Riz cuit
Convalo ... Convalescent
Copain ... Ami, camarade
Cossard ... Paresseux
Costaud ... Homme gros, fort, courageux
Court tout seul ... Fromage
Cran (avoir du) ... Avoir du courage, de la bravoure
Crapouillots ... Petits obusiers de tranchées
Crèche ... Maison, abri
Crème de menthe ... Petit fortin mobile et automobile; celui qui donne du courage à ses voisins de tranchées ou d'assaut
Criq ... Eau-de-vie
Croquand ... Campagnard
Croquenauds ... Souliers
Croute (la) ... Le manger, les aliments
Cube ... Paquet, colis postal
Cuistance ... La cuisine
Cuistot, Cuistancier ... Le cuisinier
Cuite ... Ivresse, saoûlerie
Culbutant ... Pantalon
Cure-dents ... Baïonnette
D
Dingo ... Homme idiot, peu intelligent
Distribe ... Répartition d'aliments, de tabac, de vêtements, etc.
Distribution ... Obus de 75 français
Double-mètre ... Homme de grande taille
Doublard ... Sergent-Major
E
Eau pour les yeux ... Eau-de-vie de marc
Ecraser (en) ... Dormir
Edentés (les) ... Les pères de quatre enfants au moins
Electrique ... Vin
En lousdoc ... Tout doucement, en douceur
Epingle à chapeau ... Baïonnette
Esgourdancher ... Entendre, écouter
Esgourdes ... Oreilles
Etre un peu là ... Homme qui fait montre de sa force, de son courage
Etre verni ... Avoir de la chance
Ex (Etre) ... Etre exempté de faire ou d'obtenir quelque chose
F
Face moche ... Homme laid
Fafiot ... Billet de banque
Faire volter ... Envoyer au loin: par dessus
Falzar ... Pantalon
Fendard ... Pantalon
Ficelles ... Galons
Fièvre de Bercy ... Ivvresse
Fil de fer ... Homme maigre
Filleul ... Soldat protégé par une femme de l'arrière qui lui écrit et le ravitaille
Filocher ... Paresser, tirer au flanc
Filon ... Recommandation
Flambante ... Allumette
Flemmard ... Homme paresseux
Flingot ... Fusil
Flingue ... Fusil
Flotte ... Eau
Flotter ... Pleuvoir
Fourchette ... Baïonnete
Fraise ... Tête
Frigo ... Viande congelée
Fringues ... Vêtements
Fritz ... Allemand
Froc ... Pantalon
Fromgi ... Fromage
Fromton ... Fromage
Frusques ... Vêtements
Fusains ... Jambes
G
Gaffer ... Regarder
Galletouse ... Gamelle du soldat
Gambettes ... Jambes
Gambilles ... Jambes
Gaspards ... Rats
Gaufre ... Figure
Gazer ... Fumer
Gelé (être) .. Etre ivre
Genou creux ... Homme paresseux, sans courage
Godasses ... Chaussures
Gots ... Poux
Gourbi ... Abri
Gnole ... Eau-de-vie
Gratte-ciel ... Homme de grande taille
Grenadiers ... Poux
Grimpant ... Pantalon
Griveton ... Soldat
Grolles ... Chaussures
Gros noir ... Obus de 150
Gros Cul ... Tabac de soldat
Gueule d'empeigne ... Homme bavard
Guitares ... Grenades à main
Guitoune ... Abri
H
Huiles (les) ... Les chefs
I
Intendance ... Obus de 210 allemand
J
Jubol ... Nettoyeur de boyaux
Jus ... Café
Jusqu'au boutiste ... Celui qui veut tenir et combattre jusqu'à la victoire
Juteuse ... Pipe
Juteux ... Adjudant
K
Kasbah ... Abri, maison
Kébour ... Képi
Kébroc ... Képi
Képlard ... Képi
Klebs ... Chien
L
Lame d'acier ... Homme maigre
Lansquiner ... Pleuvoir
Lattes ... Chaussures
L'avoir sec ... Etre altéré, ou être contrarié
Légumes (les) ... Les chefs
Lichées ... Rasades de vin ou d'eau-de-vie
Lingue ... Couteau
Linvé ... Un franc (monnaie)
Liquette ... Chemise
Loin du ciel ... Homme de petite taille
Louchébem ... Boucher, marchand de viande
Louftingue ... Homme à moitié idiot
Lousse ... Un sou (monnaie)
M
Machine à découdre ... Mitrailleuse
Mal éclos ... Homme mal fait
Maous ... Bon, agréable, bien
Marmites ... Femmes de mauvaise vie; gros obus allemands
Marraine ... Femme qui protège et ravitaille un ou plusieurs soldats
Mèche à briquet ... Fourragère
Ménesse ... Femme quelconque, prise plutôt en mauvaise part
Mettre la ceinture (se) ... Se passer de manger
Mettre les voiles ... S'en aller
Mettre les bouts de bois ... Se retirer
Mettre les cannes ... Se sauver
Miaules ... Mulets et obus de 77 allemands
Mistone ... Femme gentille et aimable
Mitre ... Obus de 210 allemand
Moche ... Vilain, mal fait, mauvais
Morlingue ... Porte-monnaie
Moulin à café ... Mitrailleuse
Muffée ... Saoûlerie
Musique ... Bombardement
N
Nippes ... Vêtements
Noir (être) ... Etre ivre
Nouba ... Fusil
O
Oeufs brouillés ... Homme et femmes en désaccord
Ombre aux galons ... Colonel
On les aura ... On battra les boches
Ours ... Mandat et prison
P
Pajo ... Lit
Pale ... Malade, faible
Panam ... Paris
Panards ... Pieds
Pantruchards ... Parisien
Pantruche ... Paris
Paquebot ... Ambulance
Pastis ... Empêtré
Patelin ... Village
Paxon ... Paquet, colis
P.C.D.F. ... Pauvre costauds du front
Pékin ... Homme non militaire, civil
Pépère ... Costaud: fort, gros, brave
Péquenot ... Homme peu dégourdi
Perco ... Bon renseignement, bonne recommandation et appareil à faire le café
Perlot ... Tabac fin
Perme ... Permission
Pétard ... Obus de 120 français
Pétoir ... Fusil
Petzouille ... Homme peu dégourdi
Pèze ... Argent de poche
Piaule ... Maison
Picmuche ... Vin
Pied ... Sergent
Pigeon ... Mandat, bon de poste
Pinard ... Vin
Pinceaux ... Jambes
Piqué ... Homme idiot, un peu fou
Pipe ... Obus de 120; gros tonneau
Pipe (prendre la) ... Etre touché et blessé
Plombe ... Heure
Plumard ... Lit
Pognon ... Argent, monnaie
Poilu ... Soldat qui combat au front
Polochon ... Traversin de lit
Pompes ... Mauvaises chaussures
Popote ... Cuisine, lieu de rassemblement pour prendre ses repas
Poteu ... Ami, camarade
Poulailler ... Voiture pour le transport des soldats
Poule ... Femme de moeurs faciles
Premier jus ... Soldat de Ière classe
Pruneau ... Balle de fusil
Pucenwefer ... Appareil à lancer les puces sur les Allemands
Pucier ... Lit de soldat
Punaise ... Femme de moeurs légères
Q
Quart ... Gobelet du soldat
Quart de brie ... Nez
Quenaupe ... Pipe
R
Rab ... Excédent à répartir, à distribuer
Rabioteur ... Prisonnier
Radasse ... Femme de mauvaise moeurs
Raisiné ... Sang
Raquette ... Grenade à main
Raseterre ... Homme de petite taille
Ravitaillement ... Obus de 210 allemand
Rétamé ... Homme ivre
Retourné ... Homme ivre
Ribouis ... Chaussures, bottines
Ribouldingue ... Fête, noce
Rif ... Feu
Rombière ... Vieille femme de mauvaise vie
Rosalie ... Baïonnette
Roule-par-terre ... Eau-de-vie
Russes ... Bandes de toile que l'on enroule autour des pieds et qui remplacent les chaussettes
S
Saucisse ... Ballon d'observation, drachen
Schlass ... Homme ivre
Schnaps ... Eau-de-vie
Schnick ... Eau-de-vie
Sèche ... Cigarette
Se débiner ... Partir, se sauver
Se planquer ... Se cacher
Sibiche ... Cigarette
Singe ... Viande de conserve en boîte
Souffrante ... Allumette
Surin ... Couteau
Système D ... Manière de se débrouiller
T
Tachette ... Baïonnette
Tambouille ... Cuisine (lieu où on fait la)
Tartines ... Chaussures
Tatanes ... Chaussures
Terrier ... Sape du génie
Tétard ... Cheval
Tire-au-flanc ... Soldat paresseux
Toquante ... Montre, chronomètre
Totos ... Poux
Toubib ... Médecin
Tout-moche ... Homme laid et mal fait
Train de permissionnaires ... Obus de 305
Tranchade ... Tranchée militaire
Tréteau ... Vieux cheval
Troufion ... Soldat, troupier
Trouilloter ... Puer, sentir mauvais
Tune ... Pièce de 5 francs
Tuyau ... Bon renseignement, bonne recommandation
V
Valise diplomatique ... Boîte du chirurgien
Verni ... Homme qui a de la chance
Vider ... Mettre à l'écart, envoyer au diable
Vieux (le) ... Le capitaine
Vieille noix ... Homme en...nuyant
Z
Zieuter ... Regarder



De quelques commémorations: 1922

L'Humanité 18 juillet 1922



Cher citoyen Cachin,
Je vous prie de signaler à vos lecteurs le récent livre de Michel Corday, les Hauts Fourneaux, qu'il importe de connaître. On y trouvera sur les origines de la conduite de la guerre des idées que vous partagerez et qu'on connaît encore trop mal en France ; on y verra notamment (ce dont nous avions déjà tous deux quelque soupçon) que la guerre mondiale fut essentiellement l’œuvre des hommes d'argent, que ce sont les hauts industriels des différents États de l'Europe qui, tout d'abord, la voulurent, la rendirent nécessaire, la firent, la prolongèrent. Ils en firent leur état, mirent en jeu leur fortune, en tirèrent d'immenses bénéfices et s'y livrèrent avec tant d'ardeur, qu'ils ruinèrent l'Europe, se ruinèrent eux-même et disloquèrent le monde. Écoutez Corday, sur le sujet qu'il traite avec toute la force de sa conviction et toute la puissance de son talent. " Ces hommes-là, ils ressemblent à leurs hauts fourneaux, à ces tours féodales dressées face à face le long des frontières, et dont il faut sans cesse, le jour, la nuit, emplir les entrailles dévorantes de minerai, de charbon, afin que ruisselle au bas la coulée du métal. Eux aussi, leur insatiable appétit exige qu'on jette au feu, sans relâche, dans la paix, dans la guerre, et toutes les richesses du sol, et tous les fruits du travail, et les hommes, oui, les hommes mêmes, par troupeaux, par armées, tous précipités pêle-mêle dans la fournaise béante, afin que s'amasse à leurs pieds les lingots, encore plus de lingots, toujours plus de lingots... Oui, voilà bien leur emblème, leurs armes parlantes, à leur image. Ce sont eux les vrais hauts fourneaux." Ainsi, ceux qui moururent dans cette guerre ne surent pas pourquoi ils mourraient. Ils en est de même dans toutes les guerres. Mais non pas au même degré. Ceux qui tombèrent à Jemmapes ne se trompaient pas à ce point sur la cause à laquelle ils se dévouaient. Cette fois, l'ignorance des victimes est tragique. On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels. Ces maîtres de l'heure possédaient les trois choses nécessaires aux grandes entreprises modernes : des usines, des banques, des journaux. Michel Corday nous montre comment ils usèrent de ces trois machines à broyer le monde. Il me donna, notamment, l'explication d'un phénomène qui m'avait surpris non par lui-même, mais par son excessive intensité, et dont l'histoire ne m'avait pas fourni un semblable exemple : c'est comment la haine d'un peuple, de tout un peuple, s'étendit en France avec une violence inouïe et hors de toute proportion avec les haines soulevées dans ce même pays par les guerre de la Révolution et de l'Empire. Je ne parle pas des guerres de l'ancien régime qui ne faisaient pas haïr aux français les peuples ennemis. Ce fut cette fois, chez nous, une haine qui ne s’éteignit pas avec la paix, nous fit oublier nos propres intérêts et perdre tout sens des réalités, sans même que nous sentions cette passion qui nous possédait, sinon parfois pour la trouver trop faible. Michel Corday montre très bien que cette haine a été forgée par les grands journaux, qui restent coupables, encore à cette heure, d'un état d'esprit qui conduit la France, avec l'Europe entière, à sa ruine totale. "L'esprit de vengeance et de haine, dit Michel Corday, est entretenu par les journaux. Et cette orthodoxie farouche ne tolère pas la dissidence ni même la tiédeur. Hors d'elle, tout est défaillance ou félonie. Ne pas la servir c'est la trahir." Vers la fin de la guerre, je m'étonnais devant quelques personnes de cette haine d'un peuple entier comme d'une nouveauté que l'on trouvait naturelle et à laquelle je ne m'habituais pas. Une dame de beaucoup d'intelligence et dont les mœurs étaient douces assura que si c'était une nouveauté, cette nouveauté était fort heureuse. "C'est, dit-elle, un signe de progrès et la preuve que notre morale s'est perfectionnée avec les siècles : la haine est une vertu ; c'est peut-être la plus noble des vertus." Je lui demandais timidement comment il est possible de haïr tout un peuple. - Pensez, madame, un peuple entier c'est grand... Quoi ? Un peuple composé de millions d'individus, différents les uns des autres, dont aucun ne ressemble aux autres, dont un nombre infiniment petit a seul voulu la guerre, dont un nombre moindre encore en est responsable, et dont la masse innocente en a souffert mort et passion. Haïr un peuple, mais c'est haïr les contraires, le bien et le mal, la beauté et la laideur". Quelle étrange manie! Je ne sais pas trop si nous commençons à en guérir. Je l'espère. Il le faut. Le livre de Michel Corday vient à temps pour nous inspirer des idées salutaires. Puisse-t-il être entendu! L'Europe n'est pas faite d’États isolés, indépendants les uns des autres. Elle forme un tout harmonieux. En détruire une partie, c'est offenser les autres. Notre salut c'est d'être bons Européens. Hors de là, toute est ruine et misère.
Salut et Fraternité

Anatole FRANCE




L'humanité, 6 juin 1922


L'humanité, 6 juin 1922 ; Poincaré-la-Mort palabre à Metz « retrouvée »
« PoIncaré-la-guerre ne rate pas une occasion d’affirmer son activité. Avec une espèce de sadisme particulier il va, partout où il peut, palabrer sur la tombe ou devant les monuments de ses « glorieux » morts. Dimanche il parlait à verdun , et hier à Metz, devant la statue du Polu. Sa palabre n’a été qu’un indigeste verbiage vide de sens, sinon vide de mots. Le complice du feu tsar Nicolas II quia mobilisé et lancé ses troupes dans la guerre vingt heures avant l’Autriche et cinquant avant la Russie, a osé parler, une fois de plus, de son immense désir de paix : Ce poilu qui est là devant nous dans une si belle attitude militaire, il ne menace personne. Il ne symbolise ni l’esprit d’agression, ni l’idée de conquête : il veille simplement sur nos droits et sur l’indépendance de nos foyers. La veille, à Verdun, même couplet. Il faut croire d’ailleurs que sa monomanie commence à être remarquée, puisqu’un de nos plus spirituels confrères, M. Robert de Jouvenel, en parlait hier :
« Avez-vous remarqué, écrivait-il que M. Poincaré ne peut pas prononcer un discours -et les dieux savent qu’il en prononce- sans insister lourdement sur le fait qu’il n’est pas militariste du tout et qu’on chercherait vainement dans la troupe bêlante des agneaux nouveaux-nés un pacifiste plus pacifiste que lui. Chaque fois on a envie de lui demander :
- Pourquoi diable ! nous dites-vous encore ça que vous nous abez déjà dit hier, avant-hier, et les jours précédents ?
Car enfin, M. Poincaré n’éprouve pas le besoin de nous répéter tout le temps qu’il est, par exemple, avocat, académicien, ancien président de la République. Il ne nous rappelle pas, tous les matins, qu’il a la passions des beaux textes juridiques, de l’éloquence officielle et de M. François Arago. Pourquoi donc é »prouve-t-il le besoin de nous dire si souvent qu’il adore la paix ?
J’ai connu un excellent confrère, qui, chaque fois qu’il entrait dans mon bureau commençait son discours par cette déclaration liminaire :
- Surtout n’allez pas croire que je suis saoul…
Au bout de quelque temps, je finis par m’apercevoir qu’il était légèrement alcoolique. »
Ces lignes paraissaient hier matin, et, hier soir… M. Poincaré remettait ça !.. Cela n’empêche d’ailleurs pas les journalistes qui sont à la remorque de M. Poincaré ou qui font les affaires de presse du puissant Comité des Forges et de ses filiales bancaires, industrielles et commerciales, d’entonner le péan dès que l’ex-président du sanglant septennat ouvre la bouche. L’un des laudateurs les plus bêlant, M. Stéphane Lauzanne, n’allait-il pas jusqu’à prétendre, en rendant compte du discours de Verdun qu’une formidable acclamation l’avait accueilli « qui semblait jaillir des entrailles du sol, et à laquelle les vivants participaient avec les morts ». Le même flagorneur prétendait aussi que là « dans ce cadre tragique, sa stature nous parut plus haute que de coutume, et, près de ces ruines sa voix claire vibrait plus sonore encore que d’habitude. »
Elle vibrait moins, cette voix au glorieux jours du raid Paris-Bordeaux et la stature du sinistre complice de Nicolas II se redressait moins fièrement quand, en passant, en tenue de chauffeur, à proximité des cantonnements d’arrière front, il se faisait huer par les poilus vivants, dont il inaugure aujourd’hui à grand bruit de discours, les effigies de pierre. »

La statue du" poilu libérateur" de Metz sera détruite pendant la 2è guerre mondiale

vendredi 19 octobre 2018

Lucien Jonas

 

Grand talent indubitablement, magnifique illustrateur et affichiste, dessinateur de billets de banque, Lucien Jonas (1880-1947), originaire d'Anzain, a aussi été, avant la première guerre mondiale un peintre "social":

Les roufians (briseurs de grève) 1907






 

Sa célébrité repose également sur les planches produites pour "La guerre illustrées"




Dans la basilique Notre-Dame du Saint-Cordon à Valenciennes : Le Sauveur

 

Douaumont

Titre : Le choeur des morts "Nous n'avons pas voulu de leur paix, parce que nous voulons les voir, sous leurs croix de bois, comme nous"


Le pensionnaire à ses enfants : " Nous n'avons pas voulu de leur paix parce que je ne veux pas que vous alliez dans les tranchées comme moi, quand vous serez grand"

Bombardement de nuit par aéroplanes sur une route près de Soissons (1927)

 Au bois Belleau (1918)

 Les coureurs du Barrage

 Attaque de plein air à Saint-Mihiel

 Attaque d'aéroplane à Vierzy pendant la bataille de Soissons

 No man's land

 L'argonne

 Le poste de secours

 Le carrefour du ravitaillement

 Canon de 75

 Sous la mitraille

 Avant l'attaque

 Devant les remparts de Verdun

 L'agent de liaison

 L'aveugle et le paralytique

 Ceux de la Somme

 Le guetteur

 Un volontaire!..
 Prisonniers français en Allemagne

Debout les morts!
 
Le soldat inconnu




prisonniers français





Prisonniers allemands











Jaquelin

Petitbreton