Le Bonnet rouge est un périodique français, sous-titré « Organe de la défense républicaine », hebdomadaire (1913), puis quotidien (1914) satirique républicain et anarchiste français, dirigé par Maurice Fournié et ayant pour rédacteur en chef Miguel Almereyda. Le Bonnet rouge fut impliqué dans divers scandales lors de la Première Guerre mondiale, étant accusé notamment de défaitisme.
En effet, Almereyda était un militant antimilitariste et internationaliste qui s'était longuement opposé au conflit armé. Durant la Guerre, le Bonnet rouge avait ainsi adopté une position pacifiste.
Cette ligne éditoriale fut infléchie en faveur d'un antimilitarisme plus marqué après qu'Almereyda eut confié la direction du quotidien à Émile-Joseph Duval. Cette nouvelle prise de position entraîna l'intervention fréquente de la censure.
À cela s'ajoute, qu'en 1914, le ministre Joseph Caillaux finance Le Bonnet rouge pour qu'il publie des articles prenant la défense de sa femme, Henriette Caillaux, qui était accusée du meurtre de Gaston Calmette, le directeur du Figaro. Ce dernier avait mené une campagne contre Caillaux à qui il reprochait une politique occulte de rapprochement franco-allemand.
C'est ici que l'histoire bascule : éclaboussé par le scandale, Caillaux, ministre des finances du gouvernement Doumergues, démissionne le 17 mars lendemain du crime; le procès de sa femme étant prévu pour le 20 juillet. Bien qu'il soit réélu aux législatives de mai 1914, Caillaux n'est plus en position de faire valoir ses opinions pacifistes ; il pensait avant les faits devenir Président du Conseil et appeler Jaurès au ministère. Henriette Caillaux est acquittée le 28 juillet, le jour où l'Autriche déclare la guerre à la Serbie. Jaurès est assassiné le 31 juillet. Le 1er août l'Allemagne déclare la guerre à la Russie.
Le capitaine Pierre Bouchardon, magistrat détaché comme juge d'instruction auprès du 3e conseil de guerre (oui, le même qui présida à la condamnation de Mata-Hari) fut chargé d'enquêter sur l'origine des fonds versés au journal après qu'on eut découvert des transferts allemands, en lien avec l'affaire Bolo Pacha. Il découvrit en même temps des correspondances entre Almereyda et Caillaux. Ce dernier sera contraint de s'expliquer sur les relations qu'il entretenait avec les dirigeants de ce journal. Il est arrêté en janvier 1918 pour « intelligence avec l'ennemi ». après que la chambre ait voté la levée de son immunité parlementaire sur l'insistance de Clemenceau.
Paul Marie Bolo, dit Bolo-Pacha, est né le 24 septembre 1867 à Marseille. Après avoir abandonné la profession de dentiste pour se tourner vers le commerce colonial, il quitte la France sous la pression du fisc et s'installe en Espagne où il vit d'expédients. On le retrouve en Argentine, sous le nom de Bolo de Grangeneuve et il se marie à la chanteuse Henriette de Soumaille, laquelle l’entretient. À la suite d'un vol de bijoux commis à Valparaíso, il est arrêté mais sa femme verse la caution. Libéré, Bolo l’abandonne et rentre en France en 1904, s’installe à Paris et épouse une certaine Mme Muller née Pauline Moiriat, ex-chanteuse de music-hall, veuve d’un riche négociant en vins de bordeaux, Fernand Muller. Ignorant sa bigamie, la veuve Muller devenue Mme Bolo lui signe une procuration sur sa fortune : Paul Bolo est désormais riche, il mène grand train, jongle avec les millions, voyage à travers le monde et reçoit fastueusement, en particulier à Biarritz.
Durant dix ans, il se lance alors dans de nombreuses entreprises commerciales, bancaires, philanthropiques. Il fonde la Confédération générale agricole, puis la Société universelle de la Croix-Blanche (Genève) en 1907. Il se lie à d'importants hommes politiques dont le ministre Joseph Caillaux avec lequel il échange une correspondance. En 1914, il devient le conseiller financier d'Abbas II Hilmi, khédive d'Égypte, et reçoit de ce dernier le titre de pacha.
Le 18 décembre 1914, le khédive, nationaliste et considéré comme trop proche de l'Allemagne, est déposé par les autorités britanniques et doit s'enfuir en Suisse. Bolo demeure son conseiller en exil et, sans doute grâce à son intermédiaire, entre en contact avec des banques allemandes et étrangères dans le but de contrôler des quotidiens français et d'en faire des organes d'influence pro-pacifistes (Le Journal ; Le Bonnet rouge).
Bolo lors de son procès
En janvier 1917, Aristide Briand mais aussi Clemenceau ordonnent une enquête. Les services secrets français durant l'année 1917 établissent un lien direct entre Bolo et une banque américaine sise à New York : divers comptes en France au nom de Bolo ont été crédités d'un total de 11 millions de marks émis par la Deutsche Bank via la banque américaine.
Bolo est arrêté à Fresnes en septembre 1917. En février 1918, Bolo est déféré devant le Conseil de guerre de Paris.
Durant le procès, Bolo nie les faits. Son avocat est maître Albert Salle.
Bolo est condamné à mort le 14 février et le président Raymond Poincaré refuse de signer sa grâce.
Il est exécuté le 17 avril 1918 au fort de Vincennes.
Émile Joseph
Duval, né le 27 septembre 1864 à Paris 14è
Après avoir
travaillé pour Léon Dausset de 1902 à 1908 (et en charge des
comités électoraux de divers députés, Duval, présenté à Miguel
Almereyda par son ami Marion, devient administrateur, mais également
bailleur de fonds et rédacteur du Bonnet rouge, le 30 avril
1916. Il y écrit alors quotidiennement en première page un article
de soixante à quatre-vingt lignes signé « M. Badin ».
Le 15 mai 1917 , Émile-Joseph Duval est
arrêté à la frontière suisse avec un chèque de 150 000 francs
du banquier allemand Marx de Mannheim. Selon les souvenirs de Léon
Daudet, militant de l'Action française, ayant en premier lieu
prétexté une affaire de liquidation des "Bains de mer de San
Stefano", il fut tout d'abord inculpé de commerce avec
l'ennemi.
Le lieutenant Mornet, commissaire du
gouvernement à son procès, lui reconnaît « une culture
profonde, une intelligence remarquable et un talent de plume
véritable. » Duval est un littéraire, ce lecteur insatiable
possède un style classique qui le fera comparer à Anatole France.
Les qualités indiscutables de « ce petit vieux aux allures
discrètes de sacristain » sont malheureusement révélées
tardivement et, âgé de cinquante ans quand il commence sa
collaboration au Bonnet rouge, Duval est un journaliste déjà
aigri et plein de fiel contre cette société qui n’a pas su le
reconnaître à sa juste valeur. Le capitaine Bouchardon, grand
lecteur de Balzac, le compare dans ses mémoires à Félicien Vernon,
dans Un grand homme de province à Paris.
3è CG de Paris :
Le dossier
d’instruction de l’affaire du Bonnet Rouge contient de nombreux
documents relatifs aux frais engagés pour arrêter son directeur,
Vigo-Almereyda. On y trouve également une série de documents saisis
lors des perquisitions au siège du journal concernant des documents
confidentiels intéressant l’armée du général Sarrail et le
siège de Salonique, documents secrets qui montrent comment les
français avaient entrepris d’affamer les Grecs en contrôlant le
ravitaillement, exprimaient clairement leur intention de destituer le
roi - « c’est donc à la tête qu’il faut frapper et le roi
qu’il faut abattre »- et condamnaient la politique du consul
des Etats-Unis considéré comme germanophile et pro-bulgare…
L’affaire Duval
dépasse de très loin un simple financement allemand d’un journal
pacifiste, elle vise à abattre un journal très lu qui détient des
informations secrètes sur les menées du gouvernement français en
orient, susceptible de faire basculer l’opinion si elles étaient
révélées au grand jour.
Se consacrer à
rapporter les faits de l’affaire greco-serbe, constituerait le
sujet d’un livre en soi, et il ne saurait en être question
puisqu’on examine ici les conséquences « franco-françaises »
de cette affaire, et comment l’État major français et le
gouvernement ont essayé -et plus ou moins réussi- à décapiter la
mouvance anarchiste en désignant ses principaux acteurs comme de
pernicieux espions.
Le procès Duval
Sont inculpés avec
Emile-Joseph Duval, pour complicité de commerce avec l’ennemi, les
journalistes Ferdinand Emile Louis Marion (10 ans), Louis Pascal
Joucla (5 ans), Jacques Landau (8ans), le publiciste Jean Goldschild,
dit Goldsky (8 ans) l’imprimeur Jean-Pierre Vercasson (2 ans
-sursis- 5000 francs d’amende) et Jean-Léonard Victor Leymarie (2
ans, mille francs, acquitté en cassation), ancien directeur au
ministère de l’Intérieur. Seul Marion avait déjà été condamné
pour escroquerie.
recours en révision
rejeté le 11 juin 1918, pourvoi en cassation rejeté le 11 juillet
1918
Duval est fusillé à
Vincennes le 17 juillet 1918.
L'affaire des fonds étrangers versés
au Bonnet rouge conduisit également à l'arrestation de
Miguel Almereyda
(Eugène Bonaventure Jean-Baptiste Vigo) et à son décès dans
des circonstances mystérieuses le 14 août 1917 (« suicidé » avec des
lacets », ou étranglé par un de ses codétenus). Durement
éprouvé par cette crise, le journal cessa ses activités en 1922.
Miguel Almeyreda (anagramme imparfait et probable de Ya d'la merde)
Selon un autre livre écrit par des militants de l'Action française après la Seconde Guerre mondiale, le nom du ministre de la guerre, Paul Painlevé, aurait figuré dans la liste des contributeurs du journal, sans qu'il en ait écrit un seul article de sa main. Il n'aurait pourtant pas protesté contre ce soi-disant usage de son nom.
Il apparaît certain qu’après son ralliement à « l’union nationale » Le Bonnet Rouge qui vendait jusqu’à 200 000 exemplaires/jours a été secrètement financé par le ministère de l’intérieur jusqu’en avril 1916.
Selon son fils le cinéaste Jean Vigo, Almeyreda n'avait rien d'un espion ni d'un traître. Il aurait mis fin à ses jours à cause de ces rumeurs tenaces. En résumé, on y découvrirait la jalousie de ses collègues anarchistes et la gêne qu'il aurait représentée pour certains membres du gouvernement qui en effet avaient contribué au journal quand ils étaient plus jeunes et pacifistes de gauche.
Cette affaire est à mettre en lien avec l'affaire « Lenoir[Pierre]-Desouches[Guillaume]-Humbert-Ladoux[Le Commandant] », qui fut jugée devant la chambre du 3e conseil de guerre d'avril 1919 à juillet 1920 et conduisit à l'exécution de Pierre Lenoir.
Pierre Lenoir ;
Engagé volontaire en 1914, Pierre Lenoir est muté en août 1915 à l’état-major comme interprète stagiaire avant d’être réformé en avril 1916 pour insuffisance cardiaque.
Au printemps 1915, il fait la rencontre d’un industriel suisse, Schœller, désireux d’investir des fonds dans un journal français. Le 7 juin, les deux hommes signent un contrat en Suisse dans lequel Lenoir se voit confier par son nouvel associé 10 millions de francs. En échange, il doit devenir propriétaire du Journal, un quotidien qui se trouve alors être en vente. En contrepartie de cet apport financier, il est entendu que Lenoir suive les consignes éditoriales de Schœller. Or, ce dernier est vraisemblablement un intermédiaire agissant pour le compte d’un consortium allemand. L’affaire se complique lorsque le sénateur de la Meuse, Charles Humbert, prend connaissance de la vente. Le parlementaire s’impose dans la transaction en menaçant Lenoir, qui entre-temps s’est associé à un avoué prête-nom nommé Guillaume Desouches, de révéler l’origine de ses fonds.
En juillet, les trois compères font donc l’acquisition du quotidien avec les liquidités mises à disposition par Schœller. Néanmoins, dès la fin de l’année, Humbert obtient de Lenoir la vente de la majorité de ses parts. Pour ce rachat, Humbert se fait prêter 5,5 millions de francs par divers prêteurs dont Joseph Caillaux et Paul Bolo dit Bolo Pacha, un sulfureux homme d’affaire parisien. En 1917, après une entrevue avec Paul Bolo, Raymond Poincaré, Président de la République et ami de Charles Humbert, ordonne l’ouverture d’une enquête qui fait éclater l’affaire et débouche sur les arrestations de Bolo Pacha, de Charles Humbert, de Guillaume Desouches et de Pierre Lenoir.
Le procès de Charles Humbert, Guillaume Desouches et Pierre Lenoir est organisé en avril 1919. Il fait l’objet d’articles détaillés dans la presse et notamment dans L’Ouest-Éclair, sous le titre « Le grand procès de trahison », du 1er au 30 avril 1919. Ce procès est en effet un événement extrêmement médiatisé, notamment parce que le président de la République y est appelé à témoigner. Au terme du procès, Charles Humbert est acquitté, Desouches est condamné à cinq ans de réclusion et Pierre Lenoir à la peine de mort. Il est exécuté au Fort de Vincennes, le 24 octobre 1919.
Avec la mort de Pierre Lenoir, disparaît pour Georges Clemenceau, « Le Père de la Victoire », un témoin de son passé douteux. Son ancienne amitié avec Alphonse Lenoir (père de Pierre), aux actions sulfureuses, peut devenir un frein à sa carrière politique et ternir sa réputation.
Les manipulations judiciaires de la Grande Guerre, comment on fabrique des coupables, de Léon Schirmann. (extraits du compte-rendu)
L’opinion réclame des têtes? La Justice va se charger de lui en fournir! Jamais la machine à fabriquer des coupables n’a aussi bien tourné que pendant la Première Guerre mondiale. Surtout en 1917, quand le dieu des armes hésitait à désigner un vainqueur et que le moral de la France était au plus bas... Alors, si nos généraux échouaient à faire la décision, si nos soldats mouraient par centaines de milliers sans gagner un pouce de terrain, c’est qu’il y avait des traîtres…
Cette explication commode qui balayait si bien les questions gênantes, un homme s’en servira sans états d’âme, d’abord pour accéder au pouvoir, puis pour s’y maintenir et y mener une politique jusqu’au-boutiste qui portera en germe la Seconde Guerre mondiale. Ce machiavel, c’est Georges Clemenceau…
Léon Schirmann brosse un tableau général de cette effrayante paranoïa française que fut la » chasse au traître « . Et, de fil en aiguille, il est amené à évoquer d’autres » crimes judiciaires » qui entacheront à tout jamais la justice française, de l’affaire du Bonnet rouge à l’affaire Joseph Caillaux, derrière lesquelles on devine la redoutable griffe du » Tigre « .
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