lundi 3 septembre 2018

les fusillés de 1917-janvier à juin


Cette photographie, donnée pour une exécution militaire à Verdun 1917, daterait selon le modèle des uniformes de 1914 ou 1915 : il s'agirait sans doute de l'exécution d'un espion et non d'un soldat.

Janvier

 

Ernest François Beaulieu, né le 14 octobre 1887 à Paris 14è, élève des Hospices de la Seine, bûcheron itinérant, condamné par le CG de la IVè armée à 10 ans de réclusion pour désertion en présence de l’ennemi.
Albert Thomas, 2è classe : « Quand ma Cie est montée en première ligne devant Verdun, le 6 novembre, Beaulieu n’a pas suivi et je ne l’ai plus revu. Il m’avait déclaré « qu’il ne voulait pas monter, qu’il avait envie de foutre le camp à Verdun. Ça lui coûterait peut-être douze balles, mais qu’il s’en fichait.
Beaulieu : - Je n’ai pas dit cela. J’ai dit :  « C’est dégoûtant de remonter. Si ça ne coûtait pas si cher, je ficherai le camp ».
Pierre Hubert, 2è classe : « Le 7 novembre vers huit heures du matin, j’ai vu arriver le soldat Beaulieu à la citadelle de Verdun. Il m’a dit qu’il avait été commotionné et que son commandant de Cie et le Médecin-major, lui avaient dit de revenir à Verdun pour se reposer. Il a passé la journée auprès de moi et est parti vers 17 heures en me disant qu’il allait voir un camarade. Il n’est pas revenu et je ne l’ai revu que plusieurs jours après.
« J’arrivai à Bar-le-Duc le 8 novembre vers 19h et me rendis à la gare où, immédiatement et sans prendre de billet je sautais dans le train de 19h22 en partance pour Paris. Arrivé à Paris, j’y ai passé les journées des 9 et 10 novembre à visiter la ville. Le 10 au soir je partais pédestrement pour Villeneuve Saint-Georges où j’ai travaillé avant la guerre. J’ai rencontré des camarades qui se trouvent dans le même cas que moi et dont je ne donnerai jamais les noms. Ils sont comme moi des victimes et je préférerais qu’on me fasse tout plutôt que de les dénoncer. J’ai été arrêté le 11 novembre à 22 heures par les gendarmes de Villeneuve. »
De fait, Beaulieu ne revint au 104è R.I. que le 16 novembre, encadré de deux gendarmes qui l’avaient arrêté le 12 à Villeneuve-Saint-Georges : il avait agi ainsi « par désespoir de voir cette tuerie ». Le commandant du bataillon écrit alors « Son attitude à sa rentrée au Corps a été déplorable, il n’a pas manifesté le moindre sentiment de regret. » En effet tout soldat de base sait qu’il faut obligatoirement se repentir dès les premiers interrogatoires.
Recours en grâce signé par 1 juge sur 5

Henri Alfred Pujat, né le 17 décembre 1891 à Paris 20è , jointoyeur au Pré-St-Gervais, puis ciseleur,
tous deux 2è classe au 104è R.I. : en ce qui concerne Pujat, aucun témoin ne peut se présenter à l’audience, le sergent Leprince, en formation de chef de section, le caporal Bordeux, grièvement blessé, le soldat Croisé, tué la veille en se rendant à Verdun, le caporal Gricourt absent sans motif. L’audience se résume à la lecture des pièces auxquelles Pujat n’objecte rien, renouvelle ses aveux, et exprime son repentir.
Le 20 septembre 1916, la 6è Cie passe du boyau La cadex à la Redoute des quatre cheminées où sont distribuées les munitions ; au lieu-dit Le Maroc, le sergent Bordeux constate que Pujat est manquant à l’appel. Il rejoint sa Cie au fort de Verdun dans la nuit du 23 au 24 septembre, quant elle redescend des lignes. Par suite d’erreur oudu désordre, il n’est pas emprisonné et suit sa Cie à l’arrière à la Ferme des Merchines. Pujat l’abandonne dans la nuit du 27 au 28 septembre et gagne Paris où il se présente volontairement au Bureau de la Place le 30 à 20h. Ramené à son régiment qui, toujours au repos, s’est transporté à Neuville sur Orne, il est cette fois enfermé. Dans la nuit du 11 au 12 octobre, il s’évade et regagne Paris, où il est arrêté, le 21 octobre, et ramené à la prison de la Prévôté le 31. Pendant l’instruction, Pujat fait tourner en bourrique les autorités, tâchant de gagner du temps en se prétendant atteint de troubles mentaux. Les enquêtes engagées révèlent seulement qu’il fréquentait -connu alternativement sous les noms d’Henri Duchemin, Lucien Spouler, Louis Jacquet et « Riton »-les souteneurs et les filles du quartier de Belleville (sa maîtresse étant poursuivie pour « vole à l’entôlage »), et qu’il a été condamné cinq fois par des juridictions militaires (dont deux fois insoumission, trois fois pour désertion). Incarcéré entre 1909 et sa majorité à la maison correctionnelle des Douaires, Pujat donne de fausses adresses et de ses parents et d’employeurs que les enquêteurs recherchent en vain, supposant qu’il vivait essentiellement de la « prostitution d’autrui ».
« J’ai le plus profond repentir de ma faute, mais je n’ai pas à me reprocher d’avoir entraîné le soldat Gondard avec moi. Il a agi de son plein gré en restant avec moi aux « quatre cheminées ». De même il est parti volontairement avec moi pour Paris, lorsque nous étions à la ferme des Merchines. »
Condamnés par le CG de la 7è DI,(audience du 27 novembre 1916) ; pourvoi en révision rejeté le 14 décembre 1916, recours en grâce présidentielle de Pujat signé par le défenseur, les juges ayant refusé de s’y associer, rejeté. L’ordre d’exécution produit en urgence le 10 janvier (sa version manuscrite ne fixe même pas l’heure) montre que les exécutions ont été simultanées, même s’il n’en est pas explicitement fait état : « Deux poteaux seront solidement plantés au lieu fixé pour l’exécution par le commandant du 2è Btn, chargé des détails de l’exécution. »
Beaulieu et Pujat sont fusillés à Azerailles (54) le 11 janvier 1917, 7h

Frédéric Gosch, né le 12 janvier 1889 à Haussman (Allemagne) condamné» en 1915 à 5 ans de TP pour refus d’obéissance, était déjà sous la surveillance étroite des gradés ; on a vu combien ceux-ci se méfiaient des allemands, souvent enrôlés « malgré eux ». Ce n’était pourtant pas le cas de Gosh, engagé librement à Lille avanr-guerre, ayant fui l’Allemagne, puis liège, pour échapper aux poursuites visant un abus de confiance commis envers son ancien patron boulanger.
Henri Hebel, né le 4 décembre 1891 à Coblentz, forgeron, également du 1er R.M. du 1er R.E., était aussi engagé volontaire, s’étant errôlé à Valencienne en 1913, poursuivi pour un vol de 4250 francs(?) à Coblenz.

Le 16 octobre 1916, vers 18h15 le légionnaire allemand Hebel demande à son supérieur l’autorisation d’aller rechercher sa gamelle qu’il dit avoir oubliée dans les fils barbelés. Celui-ci lui fait déposer son fusil : la perquisition de son paquetage montrera ultérieurement qu’il avait pris soin de se munir de 120 cartouches. Il s’enfuit, la nuit empêchant qu’on se lance à sa poursuite, l’empêche aussi de retrouver Axt et Mader en compagnie de qui il avait prévu de déserter. Hebel connaissait Mader depuis août 1916, où ils avaient déjà formé des projets de fuite à Sidi-bel-Abbes (Hebel fraîchement sorti du pénitencier après avoir purgé une peine d’un an pour dissipation d’effets militaires alors que Mader vient des Travaux Publics). Axt, gardant un poste proche est chargé de faire passer son propore fusil et celui de Mader, déposé dans les cabinets.
Le 22 octobre 1916, profitant du relâchement de surveillance du dimanche, Gosch quitte le camp de Zouahar (confins Riata) et se cache en attendant le soir. La nuit venue, il se rend chez les Riatas dans un village à 2 heures du camp, où son Lebel 1886 et les 120 cartouches qu’il emmène sont accueillies avec enthousiasme. Là, il retrouve H ebel, Axt et Mader. Slimann, ancien tirailleur, agent d’Abd-el-Malek est chargé de les emmener chez le Caïd, ce qu’il fait de nuit, à marche forcée. Mais, quoi que leur guide ait promis de couper la tête à ceux qui ne suivraient pas, Gosch et Hebel, épuisés se couchent dans un ravin, où un goummier les surprend à 7h30 le lendemain, 27 octobre, et les emmène à Taza. Axt et Mader n’auraient pas été retrouvés.

Gosch, 18 décembre 1916 : « J’ai toujours eu l’intention de déserter, mais simplement pour obtenir ma liberté et non pour passer aux marocains pour faire le coup de feu contre les Français. Je croyais pouvoir gagner la zone espagnole. »
Lettre de Gosh à son frère Henri : « J’ai déserté actuellement du camp des français qui est à 20km de Taza. Quand la guerre sera terminée vous pourrez m’attendre. Maintenant je me trouve chez les Marocains qui sont ennemis des français. Le colonel est un turc et le commandant un allemand nommé Hermann. Où je vais aller maintenant, il y a beaucoup d’allemands du bataillon dont je faisais partie, je suis actuellement le quatrième déserteur. Je suis habillé comme un marocain. Je reçois un fusil allemand ainsi que des cartouches. En outre, je reçois ma solde, il n’y a que la différence que je ne suis pas habillé comme un soldat. »
1er CG de l’Almalat d’Oujda  (audience du 9 janvier 1917): si les délais sont important c’est que sans doute le commandement français soupçonne l’existence d’une filière organisée de désertion, (voire d’une « agence » et pense que les déserteurs communiquent, par signaux avec le camp du 1er étranger, recrutant des soldats pour la compagnie Hermann, regroupée dans le Riff. L’exécution est au contraire rapide aussitôt le recours en révision rejeté (le 13 janvier 1917) sur décision du Résident Général Lyautey, lequel a obtenu, su sa demande de faire office de recours ultime en zone de guerre marocaine, sans avoir à en référer à la présidence. Gosh et Hebel sont donc fusillés à Oujda (Maroc) le 16 janvier 1917.

Il y a eu au mois de janvier 1917 53 condamnations à mort, 29 été commuées et, si quelques unes ont été exécutées de le mois suivant, il est plus que probable que les deux double exécutions de janvier ne représente que la partie émergée de l’iceberg.

Février


Pierre Marie Hesry, né le 23 juillet 1889 à Plessala (22), cultivateur, 2è classe au 31è R.I., 6è Cie
Déclaration de Pierre Hesry : « C’était le 12 janvier 1917 vers six heures du matin. J’atis de faction à la tranchée de première ligne. Mon camarade Doucet, qui montait la garde avec moi est parti… A un moment donné, alors que j’étais tourné à l’oblique dans la tranchée, 4 boches sont arrivés à moi sans que je les ai vus venir. Trois ont sauté dans la tranchée et m’ont mis en joue. Le quatrième est resté sur le parapet et a pris le fusil mitrailleur de mon camarade dont j’avais la garde. Ils m’ont parlé mais je n’ai rien compris. J’ai seulement compris leur geste qui me montrait la direction de leur tranchée. ..Comprenant qu’il n’y avait rien à faire je les ai suivis jusqu’au milieu de notre réseau de fil de fer. Là je suis tombé dans le fil de fer ; ça a amené du baroufle, les sentinelles Françaises ont tiré. Les boches se sont mis à quatre pattes et sont partis dans la direction de leur tranchée. Moi, j’ai tout lâché ce que j’avais d’équipement et le fusil et je suis revenu dans notre tranchée [Hesry est rentré dans la tranchée voisine de la 9è Cie] J’ai rejoint ma place, On m’a renvoyé chercher le fusil mais je ne l’ai pas retrouvé. J’ai une citation à l’ordre du régiment. »
(« Blessé le 26 mai 1916 au ravin de la Mort, cote 304, contusions par éboulement, dyspepsie. Soldat brave et courageux, enseveli par un obus ennemi, a avant d’être lui-même dégagé, aidé à porter secours à son chef de section, également enseveli par un violent bombardement ». Croix de guerre. »)
Les gradés entretiennent déjà de vifs soupçons sur cette version des faits, relancés par le fait que Hesry, qui avait l’habitude de prendre la garde en sabots avait ce matin-là chaussé ses brodequins, et qu’ils ne voyaient que les traces d’un seul homme dans la neige fraîchement tombée, quand la balance de service, le camarade Doucet crache le morceau :
« Vers 6h03, lorsque je revins, je ne trouvai plus Hesry ni son fusil-mitrailleur. Je prévins aussitôt le caporal Ruel… de sorte que vers 6h10, toutes les sentinelles de la section étaient sur le qui-vive. C’est à ce moment que le soldat Aubert et le caporal Malescot, apercevant une ombre dans le réseau, tirèrent quelques coups de fusil. Quelques instants avant son départ, Hesry parlant de l’offensive de printemps me disait qu’ayant fait la Champagne et Verdun, il en avait assez, qu’il voulait faire comme son camarade Dolo. Il essaya même de m’entraîner dans sa désertion, me proposant de faire une mise en scène destinée à faire croire à son enlèvement, en me tirant une balle dans la cuisse et en jetant quelques grenades. Il me dit que je n’avais rien à craindre, que personne ne découvrirait la vérité : de plus il ajouta qu’il espérait retrouver Dolo de l’autre côté et qu’il regrettait de ne pas avoir été avec lui au moment de sa désertion. Je refusai énergiquement et après avoir tenté de le ramener à de meilleurs sentiments, je lui dis : « Ne fais pas cela devant moi ou je te tue comme un lapin ». Je ne pensais pas qu’il mettrait tout de suite son projet à exécution. C’est sans doute ma détermination qui lui fit attendre le moment où, m’éloignant comme sentienelle mobile pour assurer la liaison avec la sentinelle voisine, il se trouva seul pour mettre à exécution so forfait ». A la fouille sont trouvés dans les poches d’Hesry, trois paquets de pansements, cinq paires de chausettes, un rasoir, un blaireau, une glace, une serviette, une trousse à aiguilles, un morceau de savon, une bouteille d’eau boriquée et des enveloppes-ce qui fournit l’argument de préméditation.
CG de la 10è DI (16 janvier). Recours en révision rejeté le 29 janvier 1917
Déclarations que le soldat Hesry a confiées à son avocat avant de mourir (écrit par le Lt Thomas pour Hesry qui ne sait pas écrire – ce qui fait évidemment craindre que ce témoignage soit en partie au moins, apocryphe) :
« Pour l’autorité militaire : Je ne sais rien sur mon camarade Dolo. Je l’affirme, car je ne voudrais pas qu’il fût accusé plus tard de désertion, sur une parole sans importance prononcée par moi à son sujet.
Pour ses camarades :
Mes chers amis, si je n’ai pas toujours donné le bon exemple, je vous en demande pardon ; je vais expier bien durement tout à l’heure, je le ferai courageusement. Bien le bonjour à vous tous. Bonne chance. Je meurs en chrétien et en Français. Au revoir. Vive la France. »

Hesry est fusillé à Coenny route de Lhéry (à cinq cent mètre du village) le 1er février 1917 à 9h
« Six plaies pénétrantes au thorax par six balles ayant atteint la région précordiale, une plaie pénétrante par balle sur le bord droit du sternum. Deux autres balles ont atteint la région du flanc gauche [trois ont donc raté la cible]. Le coup de grâce a été appliqué dans la région temporale gauche, normalement à sa surface, et intéressant le cerveau dans toute sa largeur. »


Marcel Bidault, né le 21 mai 1893 à Bourges (Cher), manœuvre, puis vannier sans domicile fixe à Paris, 2è classe au 46è R.I., 6è Cie, 1,61m, cheveux noirs, yeux bleu clair, front fuyant, nez cave, tatouages aux deux bras, blessé le 17 février 1915 à la cote 263 d’une balle au bras droit, le 13 juin 1915 au plateau de Bolante d’une balle au bras gauche. Sait lire et écrire.
Condamné au civil pour vol en avril 1908, remis à ses parents, en juillet 1908, placé en maison de correction jusqu’à ses 20 ans, 22 octobre 1913, outrage public à la pudeur, novembre vol, décembre coups, juillet 19614, outrage à citoyen chargé d’une mission de service public, septembre 1916, vol. Punitions militaires : 11 novembre 19615 « a fait des propositions obcènes et contre nature à plusieurs de ses camarades (7j de prison+8jours de cellule) 20 avril 1916 : « s’étant enivré a causé du scandale dans les rues du cantonnement, nécessitant l’intervention du poste de police (idem), 15 mai, se met volontairement en retard pour une corvée, puis disparaît une deuxième fois dans la nuit.

Interrogatoire de Bidault le 29 septembre :
D : - Vous avez une première fois déserté le 3 juin 1916, au moment où votre Cie qui était cantonnée à Rarécourt devait remonter en ligne à Vanquois.
R : - : C’est exact. J’ai déserté parce qu’on devait me donner une permission. J’avais demandé trois fois à aller au rapport du Colonel et on me l’a refusé.
D : - Vous avez été arrêté à La Font-Vinée par les gendarmes le 2 septembre 1916 ?
R : - oui, j’étais en civul et j’ai travaillé à l’abattoir de Moulins… Mes effets militaires sont restés chez mon frère.
Maurice Guyot, sergent : « Le 28 (septembre) au matin, alors que nous étions relevés, je suis allé chercher mon sac à La Brioche. Je fus très étonné d’y voir Bidault… il me raconta qu’il avait été retourné le 25 septembre par un obus, qu’il s’était présenté à la visite du Major Mariangeas qui l’avait autorisé à aller se reposer à La Brioche où d’ailleurs se trouvait le poste de secours… Je l’emmenai avec moi à la Cie et fis part de ma découverte au lieutenant Piot. Arrivé à Suzanne, cet officier a interrogé Bidault devant moi… il a fini, étant pressé de questions par avouer qu’il avait voulu éviter les attaques des 25,26 et 27 septembre parce qu’il avait peur. Bidault est tout ce qu’il y a de plus lâche. Il n’est courageux qu’au repos où alors il devient fanfaron. Il ne parlait rien moins, avant l’attaque de Bouchavesnes que de monter à l’assaut en sonnant la charge et il cherchait un clairon pour cela. Mais dès qu’on était sous le feu de l’ennemi, un obus venait-il à tomber à 200m, qu’il s’aplatissait comme une crêpe. »Médecin Major rené Mariangeas : « je l’ai examiné. Il n’y avait aucun signe extérieur de nature à faire admettre le récit de Bidault… il n’avait rien qui puisse nécessiter son départ des lignes. Aussi je lui ai donné l’ordre formel de rejoindre sa compagnie. »
D : - Le 3 octobre 1916, vous étiez enfermé au poste de police de Cérisy et vous avez déserté à nouveau. Vous avez été arrêté par la police à Paris le 29 novembre ?.. Enfin, le 9 décembre dernier, étant enfermé au poste de police du camp de Ste Tanche, près de Lhuitre, vous avez encore déserté et vous avez été arrêté ?
R : - Oui. J’avais le cafard.
D : - Lorsqu’on vous a arrêté, vous éttiez porteur d’un certificat d’exemption au nom de Manoury Abel Joseph ?
R : - J’avais fait la connaissance de Manoury lors de ma première désertion à Bourges. Je le rencontrais lorsqu’il sortait de la fonderie. Il était tourneur sur métaux. J’ai su qu’il avait été travailler à Joinville, en tout cas je l’ai rencontré à Paris à la gare de Lyon. Il m’a dit qu’il avait été ajourné parce qu’il était tourneur, je lui dis de mon côté que j’étais déserteur et que son certificat d’exemption me serait très utile pour continuer à rester dans cet état. Je lui demandai et il ne fit aucune difficulté pour me le donner.
CG de la 10è DI (29 janvier 1917), recours en révision rejeté le 3 février 1917. Fusillé àLhéry (51) le 5 février 1917 à 16 h.


Henri Le Garrères exécuté le 5 février 1917 à Les Éparges (Meuse)
né le 28 mars 1895 à Saint-Ouen. Soldat au 36e Régiment d'Infanterie - Tué d'un coup de revolver au cours d'une rébellion à main armé contre ses chefs.
Le forum 1418 découvre le fait que Le Garrères avait été versé dans une section disciplinaire -interrégimentaire, en subsistance au 36è-: or, le même jour, au même lieu est « décédé au cours d’une rixe (section disciplinaire) » le soldat Désiré Justin Couasnon du 74è RI -6 avril 1889, Veuzy, Haute-Savoie). Cette curieuse coïncidence pourrait incliner à penser qu’un mouvement de révolte s’est manifesté au 36è RI, une semaine avant que cette unité soit «mise au vert ».



André Duflos, né le 3 avril 1893 à Versailles, ajusteur mécanicien au Havre, 2è classe au 20è BCP, antérieurement condamné en septembre et novembre 1915 (13èDI) pour abandon de poste sur territoire en état de guerre et désertion à l’intérieur.
Minutes du CG de la 13è DI (3 janvier 1917) : Duflos est à l’unanimité jugé coupable d’avoir déserté le 16 septembre 1916 aux tranchées du secteur d’Estrées-Deniécourt en présence de l’ennemi, d’avoir abandonné son poste dans une corvée de travaux en première ligne aux tranchées du secteur de deniécourt-Ablaincourt le 2 octobre 1916, puis d’avoir déserté, quittant son corps sans autorisation en présence de l’ennemi. Il est donc condamné à mort. Pas de recours en révision. Frais 62,80 francs.
Montreux-Chateau (68) le 5 février 1917 , 7h

Joseph André Delphin ,222ème RI né le 5 décembre 1886, à Voreppe. Tisseur domicilié à Saint Jean de Moirans.
Déjà condamné à 5 ans de détention,le 8 novembre 1916, par le même CG, pour " désertion en temps de guerre ", ... peine suspendue le jour même par le Général commandant la 74ème Division.
Du dossier très incomplet (révision uniquement) on peut déduire que Delphin disparut le 24 octobre 1916, au moment où était donné l’ordre de sortir de la tranchée pour se porter à l’attaque. Il réapparut le 29 après la relève, mais fut aperçu entre temps les 25 et 26 octobre « blotti dans un trou de renard de la tranchée Bourguignon », refusant au sergent Terrasse qui conduisait une corvée de remonter avec lui. Delphin prétend pour sa défense qu’un obus l’aurait fortement commotionné dans la soirée du 23. Plusieurs témoins le contredisent dontle médecin-major qui ne l a pas vu à la visite.
Condamné à mort le 11 décembre 1916, par le CG de la 74ème Division, pour "abandon de poste et désertion en présence de l'ennemi ", pourvoi rejeté le 27 décembre 1916 (dispositions de la contrainte par corps seules annulées) fusillé le 7 février 1917, à Verdun (Meuse).

Jules Charles Victor Alexandre Allard, né le 22 août 1892 à Nantes (44), manœuvre à Proville-les-Cambrai ; 2è classe au 64è R.I.,
CG de la 21è DI 7 janvier 1917), jugé pour abandon de poste en présence de l’ennemi, évasion par bris de prison, port illégal d’insignes et vol, désertion à l’intérieur (co-accusé Victor Alphonse Aschauer -évasion, port illégal d’insignes et vol- condamné à 5 ans de prison)
Rapport en révision : Les faits qui ont motivé la condamnation sont les suivants : le 18 août 1916, le soldat Allard qui venait de bénéficier d’une suspension de peine à la suite d’une condamnation à trois ans de travaux publics prononcée le 4 août précédent par le CG de la Xiè région, était reconduit au front, au 64è R.I. pour lui permettre de se réhabiliter et arrivait au Dépôt divisionnaire ; aux Monthairons. Il fut aussitôt confié à un gradé qui devait le conduire quelques heures après au P.C. du colonel, puis à la position occupée en ligne par sa Cie. Trompant la surveillance du sergent Denechau, le sldat Allard… prenait la fuite dans la matinée du 19 août et gagnai Paris par un train de permissionnaire. Le 26 août la police municipale de Nantes arrêtait à La Chauvinière le soldat Allard : il était porteur d’une permission périmée depuis peu au nom du soldat Bosquain Louis du 24è territorial. Allard, pendant plusieurs jours, ne voulut point déclarer sa véritable identité… finalement, après avoir donné lieu à toutes sortes de recherches, il fut obligé de reconnaître sa véritable situation militaire. Ramené par la prévôté le 12 septembre, il fut affecté à la 5è Cie.
Le 16 septembre, le 64è recevait l’ordre d’aller occuper un secteur particulièrement périlleux et difficile, le secteur de la Laufée ; à 20h30, Allard quittait avec sa Cie le Camp des Sénégalais… En cours de route, Allard s’enfuyait entre Eix et Noulainville, à deux km de la ligne de feu. Le 23 septembre, [il] se constituait prisonnier au dépôt du 65è R.I. à Nantes…

 
Dans la nuit du 14 au 15 octobre, vers 23h, Allard s’évadait avec un de ses co-détenus, le soldat Auscher Victor, du 64è, condamné le 9 octobre 1916 à la peine de mort par le CG de la 1è DI, pour abandon de poste, désertion en présence de l’ennemi, vol, fabrication de faux-passeports. [les conditions de cette évasion sont assez rocambolesques : il faudrait évoquer la présence dans cette salle de police d’autres détenus qui sans avoir activement facilité l’évasion, l’ont au moins encouragée par leur silence ou leurs conseils, Auscher ne paraissait pas très décidé au début, car son avocat lui avait donné bon espoir que sa peine serait commuée, ce qui arriva effectivement. Détenus avec eux se trouvaient un certain Bareil qu’Allard avait projeté d’emmener, un vieux territorial nommé Munier qui couvrit le bruit du départ, et deux frères nommés Plourdeau, qui, évadés aussi, seront arrêtés au moment où ils allaient réussir à partir pour l’Espagne. Auscher qui travaillait à l’extérieur sur des péniches rapporte une veste de caporal-fourrier trouvée dans les bateaux, tandis qu’Allard découvre, dans les écuries de la prévôté, une cisaille d’infanterie. Auscher, considéré comme dangereux, était enchaîné la nuit avec une autre condamné à mort du nom de Soulard. Allard le délivre, cisaillant la chaîne et le cadenas, puis ils coupent les fils de fer de la fenêtre, pendant qu’Allard pour couvrir le bruit se rend aux toilettes. Auscher est arrêté à Paris le 10 novembre à la sortie d’un cinéma, et Allard dans cette même ville, le 30.] Ces deux hommes avaient mis à exécution un projet mûrement concerté, essayant d’entraîner avec eux d’autres détenus… le cambriolage de l’Hôpital Militaire de Montluçon.. Quels mois auparavant, Allard y avait été soigné et en connaissant parfaitement les dispositions intérieures, il avait l’intention de s’emparer de la somme, assez forte, croyait-il, qui se trouvait dans le coffre-fort de l’établissement et de se fabriquer pour lui et Auscher, avec les imprimés et les cachets trouvés dans le bureau du Médecin-Chef, des papiers d’identité et certificats qui devaient leur permettre de gagner l’Espagne, grâce à la complicité de camarades du soldat Allard. [Ce projet échoua, Auscher ne s’étant pas rendu au rendez-vous fixé pour prendre le train de Paris à Montluçon, ce qui causa leur séparation. Ils avaient vécu auparavant à l’Hôtel Delpierre, dont Allard connaissait les propriétaires pour y avoir visité son frère Gabriel. Allard se faisait passer pour un sous-lieutenant du 6è génie dont il portait les galons, la médaille militaire, la Croix de guerre, la médaille commémorative de l’expédition de Chine, et Auscher pour un sergent du même régiment. Sans que l’enquête ait pu en déterminer la provenance, il semble que les hommes aient manipulé de grosses sommes d’argent, Allard dédommageant même lors de son départ l’hôtelier pour un blouson de cuir emporté par Auscher. Allard s’en alla alors vivre chez sa maîtresse, Berthe Rombaud, de neuf ans son aînée, vivant dan un hôtel rue des Volontaires. C’est là qu’il fut arrêté, encore porteur d’une somme de 1337, 95 francs.]
Allard n’avait pas de casier judiciaire, ayant bénéficié d’un non lieu pour des vols qu’il aurait commis au préjudice de sa belle-sœur, et quasiment aucune punition avant ses quatre désertions: la condamnation à mort ne fut prononcé qu’à quatre voix contre une. C’est sur ces faits que se base le défenseur dans sa demande de grâce présidentielle, tentant de démontrer qu’Allard aurait subitement basculé dans la criminalité sous l’influence d’une personne qu’il est incapable de désigner. Il fait état au surplus d’une jeunesse particulièrement difficile, Allard étant né de parents alcooliques, abandonné avec son frère par son père, après le décès de sa mère à l’hospice en 1903, recueilli par l’Assistance Publique, illettré, mais bon soldat avant son dévoiement, quatre fois blessé au front. Ces considérations sont évidemment de peu de poids au regard du machiavélisme dont il semble avoir fait preuve durant son équipée finale, et des mystères demeurées irrésolus de la provenance des fonds qu’il manipula.
Inscrite aux minutes du jugement, une réduction de peine de 5 ans est prononcée en faveur d’Aschauer en août 1921.
Allard est fusillé à Verdun Caserne de Jardin Fontaine (55) le 13 février 1917 6h30


Georges Mallach, né le 16 avril 1880 à Freudenfier (Allemagne), 2è classe au 1er R.M. Du 1er R.E.
« Tué par une patrouille étant déserteur rejoint » à Boudenib (Maoc) le 13 février 1917


Chaïb El Feguig Kilani ben Mohamed, né en 1889 à Kourba (caïdat de Cap Bon, Tunisie), cultivateur, sergent au 8è R.M.T., 7è Cie
Le sergent Kilani est suspecté de s’être mis à l’abri lors de l’attaque du 15 décembre 1916. Il dit avoir perdu sa section, avoir passé quelques jours avec la 5è Cie (qui n’était en première ligne qu’à 200m de la sienne, avant de s’être présenté le 18 à la visite au poste de secours, arguant qu’il avait les pieds gelés. Le médecin-major l’a envoyé attendre à Verdun la relève de sa Cie, lui confiant deux soldats de la 5è Cie arrivés avec lui, mais atteste qu’il ne s’est présenté ensuite que les 29 et 30 au poste médical du cantonnement, présentant un léger œdème aux pieds. Déjà suspecté d’avoir échappé à une attaque le 24 octobre, mais non puni faute de preuves, Kilani est condamné sur le seul témoignage du tirailleur Ali ben Mohamed, qui rapporte ne pas l’avoir vu à la tête de la section qu’il aurait du conduire à l’attaque au moment de sortir de la tranchée. Mais ce témoin déclare également : « Il y a eu beaucoup de tués et de blessé dans ma section et presque tous ceux qui restent sont évacués ». De fait, les témoins appelés par la défense sont soit morts soit introuvables, le commandement faute de matricule précis convoquant de façon plus ou moins hasardeuse des Brahim et des Ali qui déclarent ne pas connaître l’accusé.
La lecture du dossier laisse l’impression pénible qu’il a été instruit essentiellement à charge et qu’on ne s’est pas donné grand mal pour mener l’enquête : ce sujet indigène a été traité avec un mépris que n’aurait sans doute pas eu à subir en pareil cas un sous-officier français.

Simon Krief, né en 1895 à Tunis, boucher, tirailleur au 8è R.M.T.
Le 20 septembre 1916, Krief part pour uen permission de 48h à Paris. Supposé rentrer le 23 septembre, il est arrêté le 26 octobre, ayant usé de faux nom et de certificats empruntés à un ami de passage, et abandonnant ses effets militaires dans un hôtel parisien. Son excuse est qu’il aurait perdu la tête après s’être vu refuser la naturalisation française. Le Commissaire-Rapporteur, qui la trouve d’autant plus « inadmissible » qu’il a manqué l’attaque du 24 octobre, en profite pour rappeler que Krief était en état de récidive, ayant été condamné par le CG de Tunis le 21 juillet 1916 pour désertion et outrage à un supérieur. Krief est rendu à son corps le CG de la division n’ayant pu se réunir à cause de l’attaque du 15 décembre. Lors de cette attaque, le 7 Cie était divisée en 2 pelotons (Kilani appartenait à l’autre, chargé de garder la parallèle de départ). A l’arrivée du 1er peloton à son objectif, à 12h, Krief et un jeune soldat, Rabah ben Belkacem ben Fazaoui, manquants, furent portés disparus. Mais dans la soirée, ce même 15 décembre, l’un et l’autre furent rencontrés par le sergent major Lestavel à Verdun, lequel sergent, connaissant Krief le fit conduire chez les gendarmes où Rabah le suivit de son propre chef. Ramenés au P.C. du colonel le 16 décembre, ils furent commandés de remonter à leur Cie avec des coureurs (agents de liaison), mais ni l’un ni l’autre ne rejoignirent, Rabah retrouvant sa section le 19 décembre au moment où elle redescendait à Verdun, tandis que Krief était évacué le 17 pour gelures des pieds. Pendant son interrogatoire, Krief raconta qu’il aurait vu des allemands rentrer dans un abri qu’il aurait cerné avec Rabah, (les autres hommes du peloton étant restés cachés dans des trous d’obus) et qu’ils auraient à eux d’eux, avec quelques grenades, fait 111 prisonniers. Ils les auraient conduits à Verdun immédiatement. Et en effet, Krief présente un reçu d’un officier d’État-Major accusant réception de prisonniers allemands conduits par lui le 15 décembre (qu’il aurait sans doute trouvés affluant vers l’arrière), commandant Rabah, qui venant au front pour la première fois, ignorait le règlement, de les escorter avec lui. Le hic, outre le nombre invoqué, est que des ordres formels avaient été donnés avant l’attaque de ne quitter les lignes sous aucun prétexte, et en particulier de ne conduire aucun prisonnier vers l’arrière.
Krief et Kilani sont condamnés à mort par le CG de la 38è DI (29 janvier 1917), Rabah est acquitté, les pourvois en révision sont rejetés le 7 février 1917. Kilani et Krief sont exécutés conjointement à Pavant (02) le 14 février 1917 à 9h30.



Gabriel Marie Petit, né le 24 août 1882 à Vandeuvre-sur-Barse (Aube), garçon de culture à Charanges, 2è classe au 226è R.I., 1,68m, blond, yeux gris
Condamné antérieurement poar le CG de la 70è DI le 5 mai 1916 pour abandon de poste sur territoire en état de guerre (5 ans).
Le dossier de procédure n’est composé que des minutes du jugement de révision, à l’appui duquel on ne trouve qu’un très court rapport, à l’évidence très défavorablement orienté : « Le 11 octobre 1916, le soldat Petit, au moment du départ de sa Cie pour les tranchées, se prétendit malade et refusa de marcher. En réalité, il n’était nullement malade, mais seulement en état d’ivresse. Sur les injonctions formelles de son sous-Lt, le soldat Petit fit mine de suivre la Cie ; mais au bout d’un km, il avait perdu toute liaison avec son unité. On le vit rôder autour des cuisines roulantes les 12 et 13 octobre. On lui intima l’ordre de rejoindre la première ligne ; mais il s’y refusa, alléguant que ce n’était pas la peine, et ce n’est que lorsque sa Cie revint au cantonnement, dans la nuit du 20 au 21octobre qu’il rejoignit son unité. Le 16 novembre 1916, la Cie reçut l’ordre de se préparer à quitter le cantonnement. Petit, qui était en prison, fut ramené à sa Cie. Le 17 novembre, au moment du départ il disparut. Ce n’est que le 28 novembre qu’il fut arrêté par la gendarmerie de Chavanges (Aube). Il a déclaré qu’il avait quitté sa Cie parce qu’il avait le cafard. »
CG de la 70è DI. Recours en révision rejeté le 8 janvier 1917, recours en grâce rejeté le 18 février
Cabriel Petit est fusillé à mi-chemin entre Berneuil et Attichy, près du dépôt de munitions (Oise) le 20 février à 6h30. Bien qu’il n’y ait ni musique ni défilé prévu, l’ordre d’exécution montre à travers la convocation des troupes une volonté de frapper les esprits : en présence d’« un bataillon du 229è R.I., une Cie du 44è Btn de Chasseurs, une Cie du 279è R.I., une Cie du 360è R.I., une section à pied de l’artillerie divisionnaire, une section du Génie divisionnaire ». C’est assez étonnant, puisque
Un bulletin portant avis de décisions du conseil de révision de la 1ère armée, constate le rejet à la même date d’un pourvoi présenté par le soldat Emmanuel Michard, du 226è R.I., lui aussi condamné à mort par le Cg de la 70è DI en son audience du 18 décembre 1916 pour triple abandon de poste en présence de l’ennemi. On ne s’explique pas ce qu’il est advenu de lui.

Émile Meynié, né le 25 avril 1894 à Saint-Angel (Corrèze), soldat au 105è R.I.
« Déserteur tué par les gardes de la section » à Ricquebourg (Oise) le 20 février 1917

Célestin Thomas, né le 18 novembre 1885 à Pierrepont (Meurthe et Moselle), briquetier à Longwy-bas, 2è classe au 303è R.I.
27 décembre 1905 : coups et rébellion (1 mois de prison)
7 septembre 1906 : port d’armes prohibées
19 juin 1912 : rébellion et ivresse (1 mois)
30 avril 1913 : Vol (deux mois)
18 août 1916 : Cg de la 132è DI, abandon de poste (2 mois, peine suspendue)
CG de la 132è DI (11 janvier 1917), pas de dossier de procédure, pourvoi en révision (rapport administratif ne rappelant pas les faits) rejeté le 16 janvier 1917.
Motifs : -pour avoir, le 24 août 1916 dans la matinée, étant avec sa Cie dans les tranchées de 2è ligne de la carrière Paridon, abandonné son poste
- déserté en présence de l’ennemi pour s’être dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, absenté illégalement dès le matin, jusque dans la soirée du même jour, moment de son arrestation à seize heures à Rosières [qualification peu claire, les délais de désertion n’étant pas constatés]
- abandonné son poste pour avoir, le 3 septembre 1916, veille des attaques sur Vermandovillers, alors qu’il se trouvait dans les tranchées en présence directe de l’ennemi (secteur de Vauvillers) abandonné son poste [qualification illégale et confuse, la circonstance aggravante « en pr ésence de l’ennemi devant faire l’objet d’une question séparée qui a été posée mais présupposée dans la précédente.]
- déserté en présence de l’ennemi pour s’être absenté illégalement du 3 septembre au 8 du même mois, jour de son arrestation à Caix.
- abandonné son poste le 8 septembre dans les tranchées de l’Eclipse qui venaient d’être prises à l’ennemi.
- déserté, pour s’être absenté illégalement, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu , du 8 septembre au 24 du même mois, jour de son arrestation à Harbonnières.
- abandonné son poste, le 7 octobre 1916 dans le secteur de 2è ligne à Wanvillers, en présence de l’ennemi [question qui n’est résolue qu’à la majorité de 4 voix]
- déserté du 7 octobre au 12 décembre suivant, jour de sa nouvelle arrestation à Harbonnières.
La condamnation à mort n’est donc obtenue que par 4 voix contre une. (frais 124,80 francs résultant des primes de capture des déserteurs). Thomas est fusillé à Combles (Meuse) le 21 février 1917, à 7h30.


Maurice Marcel Lecoq, né le 2 novembre 1895 à Paris 14è, fouleur en peau à Gentilly, célibataire, 2è classe au 226è R.I., sait lire et écrire
13 octobre 1913, condamné à 8 jours de prison pour vol, 8 août 1916 CG de la 70è DI. désertion du 6 juillet 6 mois (sursis)
Le sergent de ville Pinguet accompagné de son collègue Aumeunier, rapporte au commissaire de police être – à l’angle du bd Jean Jaurès à Gentilly- « intervenu dans un groupe d’une dizaine d’individus dans le but de connaître la situation militaire d’un soldat qui se trouvait dans ce groupe et qui m’avait été signalé comme déserteur. Au moment d’intervenir le soldat a pris la fuite, nous avons pu le rejoindre et l’apprhender ; invité à nous suivre au commissariat il s’y est refusé et a opposé une vive résistance en se roulant sur le sol ; plusieurs des jeunes gens qui l’accompagnaient se sont opposés à son arrestation, sans toutefois se livrer sur nous à des voies de fait. Le commissariat informé, quatre collègues sont venus à notre aide, nous avons pu conduire le soldat au Commissariat et trois des jeunes gens ont été amené par nos collègues. Le soldat qui est fortement pris [je ne lis pas « épris » comme Prisme 1418] refuse de faire connaître sa situation militaire. »
Les trois autre jeunes délinquants sont Jean Escaut 17 ans, fumiste à Gentilly, et Pierre Gonthier, 15 ans, tanneur à Gentilly, et André Modé, 16 ans, pâtissier au Kremlin-Bicêtre, lequel se serait opposé avec le plus de vigueur à l’arrestation. « Quant à nous, suite à la tombée de la nuit, nous n’avons reconnu aucun des jeunes gens sus-nommés. Mon collègue Aumeunier a été frappé par le soldat et ressent une vive douleur au poignet droit, quant à moi j’ai perdu mon chapeau dans la lutte et j’ai eu ma jaquette déchirée. » Les trois jeunes gens qui disent n’avoir rencontré Lecoq que le matin-même (et ignorer sa situation réelle), sont rapidement remis en liberté.

Premier interrogatoire de Lecoq le 7 novembre : « J’ai quitté mon régiment à Froissy (Somme) dans la nuit du 1er au 2 novembre dernier. J’ai pris le train à Amiens et suis arrivé à la gare du Nord, le 2 novembre vers 8h. Depuis ce jour, je me suis promené dans Paris, couchant chez des copains qui me croyaient permissionnaire. Je tiens à ne pas dévoiler leur nom car ils étaient tout à fait de bonne foi. Hier soir, j’avais trop bu ; c’est pourquoi j’ai refusé de suivre l’agent au Commissariat. J’ai d’ailleurs fait en sorte de ne pas les frapper : je me suis simplement débattu pour ne pas me laisser emmener. Les autres, me voyant me débattre ont cru qu’on me faisait du mal ; mais ils n’ont rien fait aux agents. »
Lecoq est reconduit à son corps par les gendarmes, le jour de la relève (matinée du 12 novembre), près du château de Cappy. Interrogatoire du 14 novembre :
D : - Reconnaissez-vous avoir quitté votre Cie le 1er novembre vers 15 heures ?
R : - Oui.
D : - Vous saviez que le bataillon était alerté et devait monter le soir-même au point 512. C’est sans doute pour cela que vous avez déserté.
R : - Parfaitement.
D : - Vous êtes un coutumier du fait, c’est la 4è fois que vous désertez depuis votre arrivée au Corps. Quelle sont les raisons qui vous font agir ainsi ?
R : - L’ennui. Je ne me plais pas au régiment ; j’ai déjà demandé à changer de Corps pour passer au 360è R.I. mais ma demande n’a pas été prise en considération. (…)
D : - Pourtant l’année dernière vous étiez un bon sujet ; vous avez même été nommé Caporal. Pourquoi avez-vous changé si subitement ?
R : - Par dépit d’avoir été versé au 279è R.I. après dissolution de mon ancien régiment, le 237è.

Lecoq : « Je reconnais les trois désertions. Je m’ennuyais, je ne recevais ni nouvelles ni lettre. Je suis au front depuis le 10 avril 1915. J’ai fait l’Artois, Verdun, mais je n’ai pas fait la Somme. »
Il faut remarquer que lors de sa première disparition, (13 septembre 1916) Lecoq s’est constitué prisonnier à la gendarmerie à Paris le 26 septembre, mais, d’humeur versatile, « Le jour-même de son retour s’est échappé à nouveau et a été ramené par la gendarmerie, sa Cie étant de nouveau dans les tranchées de la Maisonnette… A profité de la difficulté de la surveillance pour s’échapper une troisième fois dans la nuit qui suivit son retour. »

Rapports du Lt Chabrolle : « Au moment où il abandonna la Cie, Lecoq était en prévention de conseil de guerre pour 3 désertions successives, s’évadant chaque fois avant l’arrivée de l’ordre d’écrou. »
Un artiste, donc, en proie au spleen, qui donne pour motif à ses précédentes échappées, « nostalgie » ou « coup de tête ». Son insolence et son incurie sont évidemment des preuves certaines de lâcheté pour ses supérieurs : « Ses désertions continues donnent le plus mauvais exemple aux autre soldats de la Cie, qui le voient se dérober aux pénibles devoirs auxquels ils sont astreints. » Mieux qu’un artiste, un insoumis, un rebelle, un dangereux aigle parmi les moutons…
« Il professe ouvertement sa lâcheté, causant ainsi parmi les autres soldats de la Cie, dont beaucoup sont de jeunes classes et par là même enclin à accepter comme exacte toute théorie exposée de façon quelques peu verbeuse, une très fâcheuse impression de pessimisme et d’oubli du devoir, et rendant très difficile pour l’Officier l’accomplissement de son rôle d’éducation morale du soldat ».
Tout est dit ! Un révolutionnaire, condamné moins pour ses crimes que pour la faculté de les répandre.
A force de faire des martyrs, dans les même unités, on finit par leur donner une crédibilité plus nuisible pour l’ordre établi que n’eut été l’indifférence.
Pourvoi en révision rejeté le 18 janvier 1917, Recours en grâce rejeté
Lecoq est fusillé, comme Gabriel petit, à mi-chemin entre Berneuil et Attichy, près du dépôt de munitions (Oise) le 22 février, 6h30.


Joseph Livourne, né le 5 juillet 1877, à Vienne, passementier, célibataire , chasseur de 2è classe au 1er Bataillon de Marche d’Infanterie Légère d’Afrique
14 condamnations au civil (pour un total d’environ 15 ans de prison), dont vols, cups et blessures, rébellion envers la force armée plus désertionsen temps de guerre (18 décembre 1914 et 12 août 1916). Condamné à mort pour abandon de poste et refus d'obéissance en présence de l’ennemi, dissipation d’armes, de munition et d’effets d’équipement par le CG de la 45ème DI (audience du 8 janvier 1917). Notes d’audience :
François Pluchard, charcutier-caporal : «  le 11 décembre, comme je revenais avec d’autres gradés de Nieuport où j’avais fait la reconnaissance du secteur, j’ai rencontré Livourne entre Bost-Dunkerque et le camp Gallimard. Quelqu’un a alors fait cette réflexion : « Mais nous allons aux tranchées ! » J’ai remis livourne dans sa section au sergent de jour. Or, 20 minutes après, on est venu me rendre compte que Livourne était parti. Le 13 décembre, Livourne est arrivé à 11h du matin à la cuisine [portant une chéchia sur la tête]. Je lui ai donné son équipement, 120 cartouches 5ce que conteste Livourne déclarant qu’on ne lui avait remis, ni fusil ni baïonnette], et je l’ai mis entre les mains de Le Guiff en lui disant de monter aux tranchées. Il a profité de ce que Le Guiff allait chercher le café du capitaine pour partir… Livourne avoue cyniquement qu’il n’était pas allé à Nieuport pour rejoindre sa Cie aux tranchées, mais seulement pour prendre ses papiers et repartir en absence illégale. »
Livourne est arrêté le lendemain 14 décembre à 19h30 à la gare d’Adinkerke au moment où il se préparait à monter dans dans le train des permissionnaires. Interrogé sur les motifs de son acte, Livourne déclare qu’il ne fera de déclaration que devant le Conseil de Guerre.
Aux gendarmes lors de son arrestation : « J’ai déserté parce que ke ne me plaisais pas au Bataillon et que je n’avais pu obtenir de permission ».
Pourvoi en révision rejeté le 16 janvier 1917, recours en grâce rejeté le 18 février.
Passé par les armes le 22 février 1917, à Wariville (Oise) terrain en bordure de la route Litz-Wariville, à 150m au nord du passage à niveau, à 6h30, avec parade.

André Petit né le 20 décembre 1895 à Escamps, boulanger à Paris, célibataire, soldat de 2e classe au 60e Régiment d'Infanterie.
Ne subsiste que le dossier de procédure en révision. Pas d’ antécédent judiciaire.
- Condamné le 12 février 1917 par le CG de la 14è DI à la peine de mort, pour double abandon de poste en présence de l'ennemi et double désertion à l'intérieur en temps de guerre (quatre voix de majorité pour le principal et trois voix contre deux pour les circonstances aggravantes).
1- abandon de poste en présence de l’ennemi commis le 6 août 1916 au bivouac de Suzanne (Somme)
2 – désertion à l’intérieur en temps de guerre à Etinehem du 11 au 14 août 1916, s’étant échappé de la prison prévôtale (arrêté à Paris par les gardiens de la paix)
3 – abandon de poste en présence de l’ennemi le 4 septembre 1916, entre Suzanne et les tranchées de première ligne
4 – désertion à l’intérieur en temps de guerre à Maffrécourt, échappé de la prison de la 14è DI du 25 octobre 1916 au 12 novembre où il est arrêté à Héricourt.
Recours en grâce rejeté le 26 février 1917. Exécuté le 28 février 1917 à Gueux (Marne). (pas de PV d’exécution).


Mars


Eugène Antoine Mayet, né le 1er lai 1885 à Saint-Julien-en-Jarez (Loire), chauffeur à St-Etienne, célibataire, zouave de 2è classe au 2è RMZ
Condaùné au civil pour vol (1903) vol et complicité (1906) outrages à agents (1913)
31 mai 1907 : punition « étant au pas de charge au commandement d’ »En avant » pour l’assaut, acrié « au jus ! » 9 décembre « a frappé brutalement à la tête un de ses camarades qui ne lui cédait pas sa place à proximité du 8è région ; 1 an pour vol au préjudice d’un militaire (4,50 francs)
CG de Lyon : 1 an pour port illégal d’insigne de grade et de décorations et escroquerie (peine suspendue)
CG de la37è DI (22 février 1917) : Aperçu dans la soirée du 14 décembre, Mayet ne répparaît que le 18 après l’attaque. Selon ses dires, sorti des parallèles de départ avec ses camarades, il aurait été enlisé dans un trou d’obus après cinq cent mètres d’avancée. Rejoint par des tirailleurs il aurait combattu pendant trois heures à leurs côtés, avant de retrouver sa Cie qui battait en retraite, fait qui n’eut pas lieu selon les supérieurs. Il aurait été présent lorsque l’adjudant Marceau fut fait prisonnier ; mais il situe ce fait le 15 au soir, alors qu’il eut lieu le 16 au matin et que seuls trois soldats parfaitement identifiés purent s’échapper. Dans la nuit du 15 au 16 il serait resté sur place « car des tirailleurs et des soldats du 136è R.I. étaient chargés de surveiller l’arrière du champ de bataille avec ordre de faire feu sur le fuyards (même si Mayet ment, on voit au travers de ses déclarations que ce dispositif était commun et habituel, ce qui explique la baisse des cas d’abandon de poste passés en CG, des mesures de rétorsions ne pouvant être prises qu’envers les survivants qui eussent été assez « sournois » pour échapper au jeu de massacre concocté par leurs propres chefs). Le 17 décembre, Mayet serait revenu aux Trois Cheminées, où un médecin-major lui aurait donnée l’autorisation -verbale- de se reposer, en conséquence de quoi il serait remonté le lendemain de sa propre autorité à Verdun.
Mayet, le jour du conseil : « J’avais des chaussures trop courtes et je ne pouvais pas marcher. Je n’avais jamais fait d’attaque, je sortais de l’artillerie, on m’a versé dans l’infanterie. Je n’avais fait aucun entraînement, je suis resté trois semaines sans chaussures. Je faisais les étapes en voiture. Je n’ai pas combattu avec les tirailleurs, je suis resté avec eux parce que je ne pouvais pas marcher. Si j’avais de bonnes chaussures, je pourrais marcher en avant. J’ai mis deux jours pour revenir en arrière. Je ne connais pas le régiment de tirailleurs avec lequel je me suis trouvé. Je ne pouvais pas me faire comprendre. Je ne connais pas le médecin qui qui m’a autorisé à me reposer. Je n’étais pas présent lorsque l’adjudant Marceau a été fait prisonnier, j’étais dans le ravin, ce sont les camarades qui me l’ont fit à Verdun. »
Recours en révision rejeté le 26 février 1917, recours en grâce rejeté ; Mayet est fusillé à Bezannes (51) le 2 mars 1917 à 8h avec tambours, clairons et défilé.

Abdelkader Ould Miloud Mehenni, né en 1886 à Hadjez (Oran), soldat au 2è RMTA. Aucune trace de procédure, sa fiche de décès porte la mention « passé par les armes » à Sillery (51) le 5 mars 1917.


Alphonse Ferdinand Jules Lemoine, né le 1er août 1876 à Athis, emplyé de fromagerie à Touregéville (Calvados), 2è classe au 52è R.I.Territoriale. Déjà condmné le 10 mai 1915 pour outrages envers un supérieur et ivresse publique et manifeste.
Le 5 mars 1917, le CG de la VIIIè armée condamne à mort à l’unanimité le soldat Lemoine pour avoir le 7 octobre 1916, en forêt de Facq, au poste de 1ère ligne de l’allée du cheminot, étant de garde, abandonné son poste avant d’exercer des voies de fait sur son supérieur le sergent Sirop, sur lequel il a, sans l’atteindre fait feu presque à bout portant.
Recours en révision rejeté le 8 mars 1917
Selon sa fiche de décès, (pas de PV) Lemoine a été fusillé à Tantonville, 10 mars 1917.

Kamel Ben Saad Salah Ben Mohamed, né en 1896 à Rouiha (canton de Maktar) (Tunisie), 15è section des commis et ouvriers d’administration, soldat, décédé à l’hôpital temporaire n°1 de Zeitenlik (sSlonique) Grèce, le 12 mars « tué par une sentinelle au moment où il tentait de s’évader ».


Louis René Marcel Moreau, né le 4 février 1884 à Damville (Eure), journalier au Hâvre, chasseur de 2è classe au 3è BMILA
Condamné au civil quatre fois pour vol et filouterie d’aliments
Relevé de punition : 216 jours de prison et 55 de cellule

Motifs de punition octobre 1909 à janvier 1910

Condamnations par les conseils de guerre d’occupation du Maghreb, pour sommeil en faction, désertion en présence de l’ennemi, et à Rouen à 3 ans de prison pour désertion à l’intérieur en temps de guerre.

Venant d’une section métropolitaine d’exclus, Moreau arrive à la 4è Cie le 22 septembre 1916. Il la quitte dans la nuit du 4 au 5 octobre 1916, alors qu’elle est cantonnée à Zuydcoote. Moreau est arrêté le 6 octobre, près de Calais, dans un train à destination de Paris. Il présente un titre de permission falsifié, à lui délivré par le maire de Pacy sur Eure le 2 août 1914 pour rejoindre le 159è RI et dont il a surchargé la date au crayon.



Ramené sous escorte à son régiment, il le quitte à nouveau au camp Gallimard, le 1er novembre, veille de la montée en ligne (ce qu’il niera par la suite avoir su). Il gagne le Havre (« Je voulais revoir ma famille ») et se présente volontairement au major de la garnison disant avoir perdu son titre de permission. Autorisé à prendre le train le lendemain, il se rend à Paris où il se présente, le 10 novembre au commissaire militaire de la Gare Saint-Lazare. Ramené à son Corps le 25 novembre, il le quitte à nouveau le 1er décembre au camp Juniac. Il est arrêté le 18 décembre en gare d’Avignon, à l’arrivée d’un train venant de Marseille d’où il avait été signalé comme voyageant sans billet. Il déclare aux gendarmes qu’il a égaré son titre de permission, et passé celle-ci chez ses cousins.

CG de la 45è DI, recours en révision rejeté le 5 février 1917, en grâce rejeté le 10 mars ; Mayet est fusillé à Bus (Somme) [aujourd’hui Bus-la-Mésière] le 14 mars 1917.
François Louis Ulliac, né le 1er mars 1887 à Lanvenegen où il réside. Affecté au ererl est tué à Taza au Maroc par une sentinelle le 19 mars 1917 au moment où il tentait de déserter. Il avait 30 ans. Son nom est pourtant gravé sur le monument au mort.


Mostifa Ben Mokhtar Keskes, né en 1898 à Guidjel (ex Chasseloup-Laubat, dept de Constantine), du 3è RMT
« Tué en voulant se rendre à l’ennemi » à Sillery (51) le 26 mars 1917.


 

Avril




Michel Llinarès, né le 21 mars 1894 à Oran, soldat au 3è RMTA. « Genre de mort : « Désertion ».
Sillery (Marne) le 3 avril 1917. On s’enfuyait décidément beaucoup à Sillery ou bien les papiers des régiments africains étaient-ils tenus un peu plus consciencieusement qu’ailleurs ?

Alfred Sinn, né le 22 avril 1893 à Mathiaux (Aube), sans profession, résidant à Lamotte-Beuveron,2è classe au 1er BMILA
CG de la 45è DI : condamné à l’unanimité pour double désertion à l’intérieur en temps de guerre, abandon de poste en présence de l’ennemi, désertion en présence de l’ennemi. Aucune mention de condamnation antérieure, pas de PV d’exécution annexé aux minutes.
Extrait du rapport en révision :
« le 6 novembre 1916, le chasseur Sinn,alors que sa compagnie était cantonnée au camp Juniac, partait en absence illégale. Le 13 novembre suivant, il était arrêté par la gendarmerie à Villeneuve (Ain). Ramné sous escorte à son corps, au Camp Jean Bart, le 18 novembre 1916, Sinn s’enfuyait le même jour. Il était arrêté par la police, à Marseille, le 25 novembre à 14h. Ramené à nouveau à son bataillon, le 10 décembre, et placé à la section spéciale du G.B.A., Sinn, tandis qu’il faisait partie d’une corvée de travail, chargée de porter des hérissons du Grand redan aux tranchées de premières lignes, le 15 décembre 1916, abandonnait la corvée et réussissait à s’enfuir. Il était arrêté à Marseille le 24 décembre, à 23h, par le Service de la Sûreté. Ramené sous escorte et écroué à la prison militaire de la 45è division, le 10 janvier 1917, il s’évadait dès le lendemain et partait pour Paris. Il était arrêté à Pantin, le 13 janvier, par la Gendarmerie… Il a été obligé de reconnaître qu’il avait abandonné la corvée, alors qu’il se trouvait à environ 250m des lignes ennemies ».
Pourvoi en révision rejeté le 5 février 1917, en grâce rejeté le 5 avril.
Sinn est fusillé à Mourmelon-Le-Petit (Marne) le 9 avril 1917.


Ben Djillali Ben Aïssa, né en 1896 à Douar Oulad Macar (Maroc), tribu, des Beni Hassen, soldat au 2è escadron de spahis marocains, « exécuté » décédé à Agadir (Maroc) le 11 avril 1917


Le 20 avril 1917 paraît la circulaire interdisant l’exécution de tout condamné à mort par un Conseil de Guerre sans autorisation du pouvoir politique.
« Lorsqu’un jugement prononçant la peine de mort sera devenu définitif, du fait que le condamné n’aura pas formé de recours en révision, ou que ce recours et le cas échéant le pourvoi en cassation auront été rejetés, le dossier de la procédure devra toujours m’être transmis, avec l’avis des autorités hiérarchiques et le vôtre sur l’opportunité de laisser ou non la Justice suivre son cours.»
Cette circulaire Painlevé abroge celle de son prédécesseur Millerand du 1er septembre 1914.




Léon Ernest Petitjean, né le 5 mai 1892 à Bar-le-Duc (Meuse), célibataire, ferblantier-zingueur à Epernay, soldat, atelier des Travaux publics n°2, chatain, yeux bruns, 1,63m, tatouages, 1 pensée à l’avant-bras gauche, 5 points main gauche.
CG du QG de la IIè armée (14 avril 1917) : (le greffier note en abrégé, tous les intervenants ont donc l’air de parler un français douteux ). Pour ce qu’on peut en décrypter, cette scène d’horreur quotidienne est probablement représentative de tous les passage à tabac, voire commencement d’exécution sommaire qu’eurent à subir les soldats indésirables de la part de supérieurs réunis en bande. La scène eut lieu le 11 mars 1917 à Brocourt (Meuse) :
« Le 10 mars rentrant du travail, j’ai été informé par le Lieutenant que je serai enfermé pour affaire pédérastie. Le lendemain j’entendis pousser cri par détenu. Delhommeau qu’il est frappé tour de bras par sergent Desumeur-Chiroussel.(?) ceux-ci étaient armés ...(?) et caoutchouc ; Delhommeau était en chemise sur pied (?) Lorsqu’ils furent arrivés en face porte cellule, indigné, je m’écriai « vous n’êtes pas honteux de frapper ainsi un homme ». Desumeur me dit : « attends, tu vas voir ce que tu vas recevoir. » Desumeur passa revolver à Chiroussel qui me tint en joue. Desumeur me dit Sors ! Je répondis je ne sors pas, car je savais ce qui m’attendais. Desumeur ramasse grosse pr...y et m’en jette environ 10. Je ne répondis pas. Chiroussel me tira une balle. Alors Baignon intervint et dit à Chiroussel « ne tirez pas en avez pas le droit ». Chiroussel me tira la balle avant que les autres hommes sortent. Desumeur fit entrer Delhomeau en cellule, puis il dit en parlant de moi « allons (..?) nous l’aurons tout à l’heure ». les sous officiers Baignon, Desumeur, Chiroussel et Rousse partirent. 3/4 d’heure après revinrent accompagné Lt Suchaud qui dit à Chiroussel ouvrir cellule. Lieut donne ordre sortir. Lieut dit à mes camarades de se coucher car il ne répondait pas des balles perdues. Lt me dit « rends-toi » Je réponds non : alors il envoya Chiroussel qui tenait son revolver sans me dire une parole me tira les 5 balles revolver qui restaient. Une sur le (…?) à la cuisse. C’est alors que voyant que j’allais être tué j’improvisai un système de défense ; je jetai des cailloux, le plus que j’ai jeté c’est 4. Je les ai jetés dans la direction de la porte mais non dans l’intention de tuer. Je n’ai lancé des cailloux que lorsque j’ai été blessé. Je n’en ai pas jeté avant. Si j’ai jeté cailloux c’est que j’ai cru pouvoir ainsi éloigner Chiroussel ; je ne les ai pas jetés dans un but mais dans la direction de la porte juste(?) que l’on vienne pas me tirer dessus. Chiroussel est remonté ensanglanté, je ne l’ai pas vu. Lieut dit à Baignon d’aller chercher couvercles marmite pour se protéger ; il me le faut mort ou vif. Il dit d’aller chercher 3 bottes paille pour m’enfumer. Mais j’avais mon masque. Lieut fit venir gardes et leur dire de tenir leurs fusils prêts. Il envoya Jezequel et Blinio pour me sortir. Jezequel dit je suis détenu comme Petitjean, ce n’est pas à moi à le chercher : Jezequel me dit de sortir, une 2è fois il revint sur l’ordre du Lieut me répéter le même ordre. Je sortis et alors le Lieut dit aux s/of de me tenir en joue. On me donna ordre de me coucher. Je fus mis une ficelle et puis frappé par bâton du Sergt Roux et Desumeur me donna coups caoutchouc à travers les reins. Je suis resté attaché 2 heures. Desumeur vint ensuite m’attacher avec une chaîne et j’y restai du 11 mars à 8h soir au 13 mars 1 heure après-midi. »
Témoin Chiroussel : « Je conduisais Delhomeau lorsque arrivé à la cellule de Petitjean, celui-ci m’invectiva en disant : « buveur de sang, vaches » les pierres nous tombaient dessus. J’arrivai à faire sauter cadenas pour faire sortir détenu. A ce moment je reçus cailloux, tirai 3 ou 4 coups revolver. Le sang coulait à mon visage. M’éloignai ensuite. Delhommeau n’a pas été battu. Je n’ai tiré que lorsque j’ai été blessé et lorsque je reçus cailloux. Sergent Baignon n’était pas là au moment où je tirai, c’est Désumeur. C’est Baignon qui a blessé Petitjean.
Sur demande défenseur : Delhommeau était attaché avec ficelles. Est resté 3/4 d’heures attaché.
- J’ai entendu dire que Delhomeau allait en cellule pour retrouver Petitjean. Quand on dit attaché au poteau c’est un mot car les inculpés sont attachés par terre.
Petitjean : - Chiroussel frappait Delhommeau avec une dragonne attachée avec un fil de laiton.
Chiroussel : - Je ne frappais pas.
Témoin Baignon : Informé par Chiroussel que Petitjean refusait sortir et qu’il venait lancer des pierres. Je me suis rendu et avons attendu Lieut qui vint à 17h1/2. A l’arrivée Lieut je lui rendis compte et nous nous sommes rendus à la cellule. Lieut dit donnez ordre aux détenus sortir de cellule. Ils sont sortis se sont couchés. Petitjean resta. Lorsqu’il a été seul Chiroussel se présenta et à ce moment pierres tombaient. Chiroussel touché tira 4 coups de revolver – porte était restée entrouverte après sortie détenus – lorsqu’il a tiré Chiroussel voyait rien – après avoir tiré 4 coups est revenu. J’ai ensuite tiré coup sur Petitjean qui a déclaré être touché. Quand Petitjean est sorti Desumeur et Roux ont ligoté Petitjean. Je ne me souviens plus de ce que Lt a dit à Jezequel ; je ne sais plus si il lui a dit qu’il le sortirait d’un mauvais pas.
S.d. défenseur : Je n’ai pas dit lorsqu’on a amené Delhommeau : ne tirez pas malheureux vous n’en avez pas le droit. Je n’étais pas là.
Petitjean :- Baignon est intervenu au coup de revolver et a dit : « ne tirez pas malheureux, vous n’en avez pas le droit ».
Baignon : - C’est faux je suis venu quand Chiroussel m’a prévenu. Je n’ai pas entendu ce coup de revolver. Je n’ai pas prononcé les paroles ci-dessus.
Témoin Désumeur : - Je mettais Delhommeau en cellule. On a été insulté par Petitjean. j’ai ouvert cellule. Petitjean m’a jeté pierres. Je n’ai pas été atteint. Ai dit à Chiroussel, prenez un revolver et tirez » Il me saute dessus. Pas myen d’approcher. Petitjean me jetait pierres. J’ai refermé porte et ai été prévenir Lieut. Celui-ci revint au bout 1/2 heure il donna ordre d’ouvrir. Chiroussel se présenta fit sortir les détenus ; il voulut faire sortir Petitjean qui jeta pierres. A ce moment Chirousel tira il était aveuglé par le sang. Il nous jetait pierres. On commença à tirer dessus. Lieut dit aller chercher paille pour l’enfumer. Il avait déjà été touché à ce moment par Baignon. On appela 2 hommes Jezequel et Blinio pour faire sortir Petitjean. Nous ne battions pas Delhommeau quand nous l’emmenions. A ce moment Chiroussel n’a pas tiré, il n’a tiré que quand il a été touché. Baignon n’est intervenu qu’avec le Lieutenant. Lorsqu’on a fait coucher les détenus personne n’a dit couchez vous je ne réponds pas des balles.
S.d. défenseur : J’étais à côté de Chiroussel quand il a été blessé. Si je n’ai pas de toucher(?) ce n’est par la faute de Petitjean parcequ’il m’a lancé au moins 15 pierres.
Petitjean : - Il était impossible à Desumeur de voir si Chiroussel tirait en haut ou en bas.
S.d ; défensuer : -Chiroussel n’a pas tiré avant d’être touché. Petitjean a jeté des pierres avant d’être touché. J’ai dit à Chiroussel tenez vous bien car s’il me saute dessus vous n’aurez pas le temps de tirer- ne tournez pas la tête-
Jezequel : - Je n’ai pas vu Petitjean jeter des pierres. J’ai reçu or d’aller chercher Petitjean en cellule ; le Lieut m’a donné 5 minutes pour réfléchir. Il ne m’a pas dit « je te tirerai d’un mauvais pas ou tu es » J’ai exécuté ordre. Quand j’ai été le chercher il était blessé à la cuisse et il le disait d’ailleurs.
S.d. défenseur : lorsuq’on a voulu mettre Delhommeau en cellule une balle a été tirée mais n’a atteint personne. J’étais à ce moment dans le fond de la cellule.
Petitjean : Quand Delhommeau était emmené prison je l’ai entendu dire « ne frappez pas -punissez-moi, ne frappez pas ».
Sans opposition défense, lecture dépositions témoins Rousse, Blinio, Lieut Suchaud : empêchés malade=
« Le médecin aide-major de 1ère classe Guibal, certifie que Monsieur le S-Lieut Suchaud commandant le détachement des travaux publics, atelier n°2 est actuellement atteint de poussée aiguë de sa bronchite chronique. Le 12 avril 17 » [i.e. même pas foutu d’assumer ses responsabilités]

Lettre de Petitjean, précédent la mise en accusation :
Bar Le Duc, le 15 mars 1917
Mon Général, Excusé moi si je prends la liberté de vous écrire C’est à seule fin de vous mettre au courant des faits qui se passe,t à l’atelier de Travaux Publics N°2 Secteur 215 où j’étais détenu. Dimanche Dernier le 11 mars vers 4 heure de l’après midi j’étais en Cellule lorsque j’entendis pousser des cris plaintifs par un autre détenu qui était attaché aux poignets et aux pieds par des cordes qui lui coupaient les membres alors me portant à la porte de la Cellule je vis trois officier qui sont le serjent Déshumeur armé d’un Caoutchouc et les serjents Chéroussel et Roux armés chacun d’un bâton qui frappaeint à tour de Bras sur cet homme attaché et sans défense. Après l’avoir torturé ils l’ont laissé 2 heures attaché au bout de ce temps après l’avoir détaché ils l’accompagnèrent jusqu’aux Cellule en le frappant à coups redoublé, de l’endroit ou il était attaché jusqua la cellule il y a une distance de 50 mètres en arrivant aux cellules le détenu Delhommeau s’affaissa contre la Guéritte de la sentinelle c’est alors qu’indigné par les procédés employé par ces brutes je m’écriais vous n’êtes pas honteux vous n’avez pas le droit de frapper un homme comme ça Alors le serje,t Deshuneur me répondit attend attends ça va être ton tour tout à l’heure puis il passa son revolver au serjent Chéroussel en lui disant met le en joue qu’il ne bouge pas et il ouvrit la porte de la cellule quand la porte fut ouverte il me donna l’ordre de sortir tandis que Chéroussel me tenait en joue avec le revolver du serjent Deshuneur. Sachant fort bien ce qu’il mattendait je refusait de sortir de la cellule alors le serjent Deshumeur me jetta plusieur pierre sans m’atteindre tandis que Chéroussel me tira une balle de revolver qui me passa entre les jambes. Alors Deshumeur me donna ivre 2ème fois l’ordre de sortir voyant ma vie en danger je refusait de plus belle Deshumeur dit à Chéroussel c’est pas la peine d’insister nous l’auront tout à l’heure il referma la porte de la cellule et partirent Trois quart d’heure après Tous les sous officiers accompagné du Lieutenant chef de Détachement vinrent à la porte de la Cellule. C’est Alors que le Lieutenant donna l’ordre au sergent Chéroussel d’ouvrir la porte ceci fait il donna l’ordre à toutle monde de sortir nous étions au nombre de 21 tout le monde sortit sauf moi quand tout le monde fut sortit Le Lieutenant donna l’ordre aux 20 détenus de se coucher à plat ventre derriere la butte de terre qui recouvrait la cellule car il leur dit je ne répond pas des balles perdues alors il donna l’ordre à tous les sous officiers de sortir leur revolver et me donna ensuite l’ordre de sortir je compris que j’allais être tué je refusais de sortir. Alors le Lieutenant donna l’ordre au serjent Chéroussel d’aller me chercher mais celui ci ne me dit aucune parole il s’avança à la porte de la cellule et me tira à bout portant les cinq balles qui restaient dans son revolver dont une vint me frapper à la cuisse droite me voyant blessé et rendu fou par la douleur et l’odeur de la poudre je ramassais de cailloux et j’en lançais un qui frappa Chéroussel dans la figure celui çi se sauva et le lieutenant commanda feu aux autres sous officier qui me tirère encore 12 balles mais sans m’atteindre
Suite
Voyant que j’insistait à ne pas sortir Le Lieutenant envoya le sergent Baignont Chercher trois couvercle de marmitte en fonte en lui disant avecça vous vous ferez un bouclier et vous rentrerai le chercher il me le faut mort ou vivant le sergent Beignont lui répondit que s’il avait les 2 mains embarassées il ne pourrait pas se défendre et il n’est pas descendu c’est alors que le lieutenant envoya chercher trois bottes de paille et commanda de m’enfumer dans la cellule mais il s’apperçu que j’avais mon masque contre les gaz et abandonna son projet. Alors il y envoya chercher la Garde soit une quarantaine d’hommes et leurs fit charger les fusils et leur dit tenez vous prêt. Mais il réfléchit quelques instant et envoya chercher les détenus Jéséquel et Blino leur donna l’ordre de venir me chercher dans la cellule. Ceux ci dirent au Lieutenant qu’ils étaient Détenu comme moi alors le Lieutenant dit à Jéséquel Tu sais de quel pas je te tire alors Jéséquel s’apprèta à rentrer dans la cellule ne rentre pas tu n’est pas ici pour fiare le travail des Chaouchs tu est détenu comme moi alors il retourna sur ses pas et dit vous voyez mon Lieutenant il ne veut pas sortir Le Lieutenant lui répondit c’est un ordre que je te donne et tu as 2 minutes à réfléchir comme je te l’ai dis je te sortirai du mauvais pas ou tu est. C’est alors que Jéséquel accompagné de Blino revinrent à la porte de la cellule et me dirent rend toi tout est fini alors je réfléchi et je sortit accompagné de Blino et Jéséquel aussitôt sortit le Lieutenant aux sous officier de me tenir en joue et de tirer au premier mouvement. Le Lieutenant me dit alors de me coucher au pied de la guéritte du factionnaire à côtéd’un arbre et dit au sergent Deshumeur d’aller chercher une chaîne et il me fit attacher au pied de cet arbre ou restais du 11 Mars à 6H1/2 du soir jusqu’au 13 à une heure à pré midi moment ou les Gendarmes sont venu me chercher pour m’emmener à Bar-Le-Duc.
Mon Général je vous ai fait cette lettre un peu longue mais c’est pour bien vous expliquer l’affaire comme elle est arrivée à seule fin que vous fassiez une enquête au sujet des inquisitions qui se passaient à Brocourt car si j’ai eu un mouvement de Révolte en voyant frapper un homme comme ça c’est que ce n’est pas la première fois que cela se passe beaucoup de détenus ont déjà été brutalisés par l’ordre du Lieutenant à ses sous officiers. Maintenant mon Général j’ai bien réfléchi je regrette sincèrement le malheur qui est arrivé mais j’espère que vous ferez une enquête et que vous vous rendrez compte par vous même que je ne suis pas le plus coupable dans cette affaire. »

Lettre de Delhommeau à Monsieur Deibler Exécuteur des Hautes Oeuvres Préfecture de Police de Paris (prière de faire suivre :
Bar-le-Duc, le 31 mars 1917,
Mon vieux Deibler, Tu nous excuseras un petit chouaille nous sommes ici cinq numéros qui comptent bien un jour faire connaissance avec ta machine à raccourcir c’est pourquoi mon poteau nous t’écrivons cette lettre à seul fin de pouvoir te filer un coup de pompe d’une Tune car pour la somme que tu vas toucher pour nos cinq tronches tu peu bien te lâcher d’une bougie. Maintenant mon vieux poteau sait certain qu’ont recommandera ton meuble à tous les amminches qui sont digne de mourir en brâve. Tu vois, l’amminche, nous pensons tous à toi, les bôches voudrais bien notre tronches mais nous préférons te la donner à toi car tu sais que lorsque nous avons un amis comme toi nous le laissons pas tomber comme cela. Je te fais s’avoir que nous avons pas de marainne de Guerre sest pour cela que nous t’écrivons à seul fin de t ‘apprendre que nous t’avons nommé notre parrain. Maintenant je vais te citer le nom de tes filleuls reconnaissants d’avance :
Delhommeau dit Touneuf, Jean B. Mézières dit Bouboule de Belleville encore mieux Fort-Coup-de-Boule du Ménilmompelpoche, Dupècher dit Lapêche, Pavetavitjavean [Jean Pavit?] dit Lachique, Chabas dit Bindi-Souairt. »

Il est évidemment inutile de citer le rapport officiel que chacun pourra consulter : il défend mordicus la bande d’enflure à galons. Toutefois quelques éléments de contexte restent à en retirer, que la cellule en question était « une sorte d’abri souterrain entouré d’une enceinte barbelée, à laquelle on accède par un boyau de quelques mètres. De nombreux détenus y étaient incarcérés (17 environ) », que l’armée se préoccupait grandement de ce que ses larbins faisaient de leur cul (probable ferment d’indiscipline) puisque Delhommeau est désigné comme « ami plus qu’intime de Petitjean », lui-même enfermé, on l’a vu pour une « enquête sur une affaire de pédérastie », que selon Petitjean, le sergent Chiroussel était ivre (élément probable de l’expédition punitive homophobe) :
« Le détenu Petitjean a la réputation d’un individu excessivement dangereux, d’une mentalité déplorable. Il se glorifie de son attitude. Il a plusieurs condamnations civiles et a passé plusieurs fois en conseil de guerre ».
Les interrogatoires d’instruction sont évidemment menés sous l’autorité du sous-Lieutenant Suchaud :
Désumeur désiré, 30 ans, marié, domicilié à Orléansville : « Le 11 mars vers 17 heures, avec le sergent Chiroussel, je conduisais le détenu Delhommeau en cellule. Il avait été puni par moi de deux jours de cellule à raison de son attitude injurieuse à mon égard ; en réalité il l’avait fait exprès voulant aller rejoindre en cellule son camarade Petitjean. Il avait passé une demi-heure au poteau et je le reconduisais à la cellule avec Chiroussel… Delhommeau dans la nuit, de la porte, a crié à Petitjean :  « Quand tu seras oà Bar-Le-Duc, tu diras bien au conseil comme je t’ai dit. C’est le factionnaire Legay, du 248, qui m’a rapporté ce propos. Delhommeau au surplus passe pour être « la femme » de Petitjean. J’ajoute que j’ai entendu dire qu’il me fallait, ainsi que Beignon, prendre des précautions, ces gens là en voulant à notre vie, ils doivent même nous poignarder en pleine séance. »
Baignon Eugène Louis, 36 ans, marié, un enfant : « Chéroussel s’était plaint notamment que Petitjean l’aurait menacé et lui aurait dit : « Si tu entres dans la cellule je te ferai la peau… Le lieutenant a dit alors à Jézéquel « sors-le » en l’invitant à donner un bon exemple. Ils l’ont aussitôt sorti. Petitjean injuriait tout le monde, criant : « Bande de canailles, de vaches, vous n’avez qu’à me finir, au moins je serai débarrassé. » Il s’adressait aussi bien au Lieutenant qu’aux sous-officiers. On l’a attaché au dehors sous une tôle ondulée. »
Petitjean : « Sachant ce qui m’attendait, c’est-à-dire être mis aux ficelles et passé à tabac, j’ai refusé de sortir… D’après moi, j’étais en cas de légitime défense. Je n’ai jamais vu canarder un détenu de dix-huit coups de revolver. Dans le fin fond de l’Afrique il ne se passe pas le dixième de ce qui se passe ici. »
12 mars 1917, rapport du lieutenant Suchaud :  « Le détenu petijean était en cellule depuis la veille, ayant reçu de Monsieur le Rapporteur auprès du conseil de giuerre de Bar-le-Duc, la mission de faire une enquête au sujet d’une affaire de pédérastie, dans laquelle Petitjean était impliqué (affaire Genevois). Je suis tout à fait convaincu que se voyant perdu, il a tenté de se faire tuer pour éviter une condamnation qui pouvait le mener aux travaux forcés… Je demande en outre à ce que ce détenu soit condamné avec la dernière rigueur ; il faut que mes sous-officiers soient enfin surs de pouvoir faire leur service, sans avoir la crainte d’être à chaque instant assassiné traîtreusement par de tels individus… Le détenu Delhommeau est très lié avec Petitjean, il y a tout lieu de croire, par leur allure et leur façon d’être vis à vis l’un de l’autre, que l’un est pédéraste actif et l’autre passif, ce qu’il y a de certain c’est que le matin même, Delhommeau s’est mis sans un cas de conseil de guerre, pour pouvoir aller en cellule retrouver son ami ; Petitjean et Delhommeau étaient à l’atelier n°4 à Evres, ils ont passé au conseil de guerre à Bar-le-Duc ensemble, et furent affectés et arrivèrent le même jour à l’atelier de Travaux publics n°2. »

Recours en révision rejeté le 18 avril 1917 (cassation de la disposition de contrainte par corps uniquement). Aucun recours en grâce présidentielle n’a été présenté. Le jour même où paraît la circulaire Painlevé, 20 avril 1917, Petitjean est exécuté à Rampont à 18h30 :« une balle a perforé le cœur et la poitrine était traversée de part en part de huit autres balles, dont 3 dans la région précordiale et cinq dans le reste de la cage thoracique. Le coup de grâce a été donné dans la tempe gauche. ».

Il n’est pas étonnant que cette affaire demeure pratiquement inconnue, ni que les rares chercheurs qui s’y aventurent accordent plus de crédit à la parole des tortionnaires qu’à celle des victimes. Pourtant, tout est là, sous leurs yeux. Quelle que soit la réalité des faits, Petitjean a réussi à laisser à l’histoire un témoignage de première main sur le comportement des matons dans cette société faisandée qu’est la France du début du 20è siècle. 100 ans plus tard, nous en sommes au même point, le doute ne profite qu’aux puissants et à leurs chiens de garde « à chaque instant assassinés traîtreusement » !

Un jour viendra...


Mai


Marcel Georges Daubignard, né le 3 janvier 1886 à Paris 18è, carreleur à Saint-Ouen, soldat au 82è R.I.
Condamné une fois au civil pour vol, par le 3è CG de Paris le 16 janvier 1915 pour désertion à l’intérieur, le 8 mars 1915 pour abandon de poste
CC de la 9è DI.
Déclaration Daubignard : J’ai quitté mon Corps à Muney le 13 octobre 1916 pour aller voir mes parents que je n’avais pas vus depuis le début de la campagne. Je suis resté absent illégal jusqu’au 31 du même mois, date où j’ai été arrêté. J’ai abandonné à nouveau mon régiment le 16 novembre 1916 aux casernes Bévaux près de Verdun. Mais je n’ai pas commis d’abandon de poste en présence de l’ennemi. On m’a fait sortir des locaux disciplinaires, il est vrai, mais je croyais que c’était pour prendre une couverture et je me suis sauvé. Je ne savais pas que le régiment devait remonter en ligne car personne ne m’a rien dit à ce sujet. » Les seuls deux témoins cités reconnaissent effectivement n’avoir rien dit à ce sujet, même si le fait que tout le monde faisait son sac leur paraissait une indication suffisante. Mais la Cie devait d’abord monter aux casernes Marceau avant de gagner les lignes. Le commissaire -rapporteur écrit même en toutes lettres : « Nous nous sommes efforcés, sans du reste y réussir, de faire la lumière sur ce point ». pas plus le caporal sévenec que le sergent Rigollet, le second n’était au régiment que depuis 2 jours, ne connaissaient Daubignard. Daubignard est arrêté le 25 décembre 1916.
Recours en révision rejeté le 19 mars 1917, recours en grâce rejeté le 2 mai 1917: il est fusillé à
Montigny (Marne) le 4 mai 1917 à 5h. Le pourvoi introduit par sa veuve est rejeté à nouveau le 18 avril 1932.
Auguste Eugène Defis, né le 10 juillet 1890 à Vincennes, élevé à Vermenton par son tuteur, célibataire, photographe, 2è classe au 82e R.I.
Condamné le 10 mai 1916 par le CG de la 10è DI à 10 ans de TF (refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi, peine suspendue), Defis, lui, est arrivé aux casernes Marceau. C’est pendant le transfert à Vaux, profitant d’une nuit très noir qu’il disparaît le 22 novembre1916. Il se rend à Paris, pour voir, dit-il, son cousin qui devait partir pour Salonique deux jours plus tard. Il est arrêté le 2 janvier 1917. Lors de son interrogatoire, à la question posée de savoir pourquoi il n’est pas retourné à son corps après ces deux jours, Defis répond simplement « qu’il se trouvait mieux chez lui que de revenir à Verdun ». Les 240 jours de punition qu’il cumule permettent de l’accabler facilement.
Defis est accusé d'abandon de poste en présence de l'ennemi et de désertion à l'intérieur en temps de guerre. Lors de l’audience du CG de la 9è DI, le 20 mars, le témoin principal est disparu (fait prisonnier) durant l’offensive, l’autre a été dirigé d’urgence sur une nouvelle destination.
« Après mon arrestation du 2 janvier j’avais rejoint mes camarades aux tranchées près de Berry au bac, j’y suis resté jusqu’au 20 février 1917, et à cette datte, j’ai quitté ma Cie qui était au repos… j’ai pris le train et je me suis rendu à Paris. Au bout de dix jours, le 2 mars 1917, je me suis présenté volontairement à la place de Paris… Je croyais passer mon conseil de guerre de suite et changer après de régiment »
Le ministère de la guerre, rejetant la demande de grâce, demande des explications au rapporteur quant au fait que ce dernier abandon de poste n’est pas été instruit ou poursuivi.
Pas de pourvoi en révision.

Edmond Pierre Jésus, ne le 19 octobre 1890 à Crépy en Valois, forain, Mettray, 13è Régiment de chasseurs à cheval, 4è escadron;1,65m blond, yeux roux, oreilles décollées, tatouages, une rose au bras droit, une branche de trèfle au bras gauche. Jamais condamné. Punitions : 319 jours de prison, 129 de cellule (nombreuses insolences, refus d’obéissance, violences, menaces)
Le soldat Jésus s’est réellement tiré une balle dans le pied, comme en témoigne la pièce de conviction, sa chaussure gauche présentée à l’audience. « Fractures compliquées des articulations tarso-métatarsiennes droites par balle : tunnel à entrée sur le bord interne du pied et à sortie sur le bord externe. »


Le 1er janvier 1917, Poincelot et Jésus sont placés en sentinelles au poste d’écoute en avant des premières lignes. Le Maréchal des Logis Mullet entend cinq coups de feu.
Témoignage Ernest Joseph Poincelot : « J’étais de faction au poste d’écoute avec le chasseur Jésus. Au cours de la conversation il me dit : « J’ai envie de me flanquer une balle », je lui répondis « tu ne ferais pas cela ». Il reprit « si, je veux me casser la cheville ». Presque immédiatement après il tira deux ou trois balles depuis la tranchée, puis, montant sur le talus, il tira un nouveau coup de fusil et me dit « ça y est, cours appeler à la tranchée.. Je lui répliquai « ce n’est pas possible, tu n’as pas eu ce culot ». Je regardais de près pour voir si effectivement le sang coulait. Dès que je me fus aperçu qu’il était réellement blessé, j’allai appeler de l’aide. Le maréchal des logis Mullet vint avec moi. Jésus lui raconta alors qu’il avait tiré sur les bulgares qui l’avaient blessé, tandis que lui n’en avait pas tué. »
Rapport : « il était à la connaissance des gradés que l’inculpé se vantait à chaque instant de passer à la première occasion dans les lignes ennemies. »
Jésus, après ses aveux : « J’étais mal vu des gradés qui connaissaient mon passé : je ne parle pas de mon lieutenant et de mon capitaine qui étaient bons pour moi mais des chefs supérieurs. J’espérais, en commettant l’acte qui m’est reproché me soustraire à l’autorité de mes chefs actuels et être changé d’unité après ma guérison. Je pensais d’autre part, au cas où le fait ne serait pas découvert que l’on me tiendrait compte de ma blessure et que je pourrais ainsi racheter mon passé. »
CG de la 57è DI Recours en révision rejeté le 20 mars 1917, recours en grâce rejeté le 4 mai, Jésus est fusillé le 4 mai 1917 à l’âge de 27 ans à Monastir (Bitola, Macédoine), 5h30.
Mort par la France (Tué à l’ennemi).


Lucien Jacquot, né le 08 décembre1896 à Vincennes Soldat au 9è Régiment de Marche de Zouaves « Déserteur tué en s'évadant » à Courteçon (Aisne) le 18 mai 1917.

Prosper Paul Godot, né le 6 avril 1890 à Paris 18è, 2è classe au 4è BMILA, tailleur d’habits à Saint-Ouen, célibataire
CG du détachement du sud tunisien. Témoins absents, leurs déclarations sont lues par le greffier, elles n’existent plus, seules les minutes du jugement subsistant. Recours en révision rejeté le 20 mars 1917. Godot est-il coupable d’avoir exercé à Tataouine une voie de fait envers son supérieur, le sous-lieutenant Poli du même corps ?
Recours en révision rejeté le 22 maiGrâce rejetée le 24 mai. Godot est fusillé à Médenine (Tunisie) « à la parade » le 25 mai à 5h.

Edmond Petitfrère, né le 3 avril 1894 à Rumigny (Ardennes)
Mort à Courcy (Marne) le 28 mai. La fiche de décès porte sur la ligne « genre de mort » un point d’interrogation suivi sur la ligne du dessous de « non imputable au service ».




Juin



Alors qu’à peine 509 désertions avaient été signalées, en 1914, puis 2 433 en 1915 et 8 924 en 1916, leur nombre s’élevait déjà aux alentours de 15 000 sur les six premiers mois de 1917.
Voir la Thèse d’André Loez dont l’annexe, disponible en ligne présente des tableaux fort intéressant permettant de mesurer l’ampleur du phénomène. Selon cette documentation, la première mutinerie attestée a eu lieu le 29 avril au 20è R.I. sans violences, la dernière le 5 septembre au 151è R.I. voit des officiers molestés, la plus longue et la plus organisée, comptant 1500 participants du 3 au 12 juin au 21è R.I. , camp Berthelot, avec fusillade, Internationale et drapeau rouge. Tracts, chansons et affiches circulent, les graffitis abondent. Dans le cantonnement vosgiens de la 15è DIC, une planchette apposée sur un arbre le 14 juin porte l’inscription : « crevons nos officiers, la guerre finira ».
« Les mutineries se manifestèrent essentiellement par des refus de certains soldats de plusieurs régiments de monter en ligne. Ces soldats acceptaient de conserver les positions, mais refusaient de participer à de nouvelles attaques ne permettant de gagner que quelques centaines de mètres de terrain sur l'adversaire.
Cette grande crise au sein de l'armée française amena son lot de sanctions contre les mutins. Environ 3 500 condamnations, en rapport avec ces mutineries, furent prononcées par les conseils de guerre avec une échelle de peines plus ou moins lourdes. Il y eut entre autres 1381 condamnations aux travaux forcés ou à de longues peines de prison et 554 condamnations à mort dont 49 furent effectives parmi lesquelles 26 l'ont été pour actes de rébellion collective commise en juin ou juillet 1917. » (Prisme 1418)
Divers rapports du commandement cherchant à déterminer les causes des mouvement, outre celles d’ordre militaire (retard des permissions, manque de nourriture) désignent la mauvaise influence de l’intérieur sur le front, la dénonciation par la presse de la faillite du commandement et l’excitation causée par les commentaires sur la révolution russe et la Conférence de Stockholm et celles « des femmes qui ont entendu des propos révolutionnaires », la distribution de tracts pacifistes « par le canal des permissionnaires », la « certitude que le gouvernement cache la vérité et « bourre le crâne » des soldats, la rumeur que les femmes et les enfants vont manquer de charbon et de nourriture, la rumeur que les agents de police, les annamites et les troupes noires massacrent les femmes et tirent à la mitrailleuse à Paris »
 

Parmi ces causes, que le commandement ne considère que comme des rumeurs, les pénuries alimentaires, et les gréves des femmes sont une réalité. Elles constituent même, quoique l’histoire officielle s’efforce de l’occulter, peut-être le mouvement social le plus important du 20è siècle, détrônant mai 68 en tant que cinquième révolution française.


Dessin de guerre de Forain : « Pourvu qu’ils tiennent ! - Qui ça ? - Les civils !


La révolution des femmes
"Si les femmes qui travaillent dans les usines s'arrêtaient vingt minutes, les Alliés perdraient la guerre !" Cette boutade de Joseph Joffre, prononcée en 1915, anticipe l'effroi que va susciter un mouvement social que personne n'avait vu venir. En 1917, 430.000 femmes travaillent dans les usines d'armement ; si la France et l'Angleterre ont puisé de la main-d'œuvre dans leurs empires coloniaux, les femmes constituent la première réserve. C’est alors qu’apparaît le mot de midinettes, midi +dinette, celles qui mangent sur le pouce.
Debout de dix à quatorze heures par jour, les "munitionnettes" effectuent un travail harassant - les lois de salubrité sont suspendues. Ce n'est guère plus reluisant dans l'industrie du vêtement, qui voit fleurir le travail à domicile. Ces "cousettes" qui s'épuisent sur leurs Singer pour 2 francs la journée sont qualifiées de "victimes les plus lamentables de la guerre" par le maire de Lyon Edouard Herriot. Une précarité aggravée par l'explosion des prix de la vie. Le charbon anglais ne traverse plus la Manche alors que l'hiver est le plus froid de la guerre - la Seine est prise dans les glaces, les températures restent sous zéro jusqu'en avril.
Ce sont donc les ouvrières qui, seules, déclenchent la première grève à Paris:   10 000 couturières grévistes. L’Humanité décrit ces milliers d’ouvrières, derrière leurs pancartes improvisées : « Les corsetières arborent fièrement une jarretelle en soie bleu ; une plume d’autruche indique le groupe des plumassières ; les employées de banque ont collé sur un carton l’affiche du dernier emprunt. […] Nos vingt sous ! La semaine anglaise ! Rendez-nous nos poilus, scandent les manifestants. On voit les cochers de fiacre et les chauffeurs de taxi faire monter les grévistes pour les amener à la Grange-aux-Belles, le siège de la CGT, [qui déjà campée sur sa ligne collaborationniste, refuse de prendre leur action en considération]. Des soldats en permission accompagnent leurs petites amies et les gars du bâtiment descendent de leur échafaudage pour applaudir ces jolies filles. »
Peter Read in Apollinaire et les Mamelles de Tirésias :
Le mouvement s’étend du 12 mai jusqu’à la mi-juin, pour l’essentiel, bien qu’il ne s’arrête totalement qu’à la fin juillet. Le mouvement est déclenché par les 250 couturières de la maison Jenny, aux Champs-Elysées. Rapidement, d’autres « midinettes » les rejoignent et des foules importantes d’ouvrières défilent sur les boulevards : « C’est presque la fête, un immense sentiment de force et de libération. En quelques jours, la grève s’étend à toute la corporation, aux industries du vêtement et même à toutes les industries féminines parisiennes ; plus de 20000 femmes ont cessé le travail. » Elles réclament une augmentation de 20 sous (un franc) par jour et « la semaine anglaise » (c’est-à-dire le samedi après-midi libre). Le 18 mai, 10000 ouvrières se réunissent à la bourse du Travail. Le mouvement s’amplifie, les employées de banque, les confectionneuses militaires, les serveuses de restaurant, les ouvrières en caoutchouc et bien d’autres grossissent le flot des mécontentes. C’est « l’aurore aux doigts de rose», une vague dont le sommet se situe entre le 29 et le 31 mai, avec 54 grèves dont 24 nouvelles pour la seule journée du 30, mobilisant plus de 50000 grévistes.
Il ne s’agit pas d’une grève générale, mais plutôt de grèves « généralisées », passant de secteur en secteur. Les grèves ont en commun avec les mutineries militaires qu’il n’y a pas de cohérence organisée, qu’elles naissent de façon spontanée. Un porte-parole de la CGT s’efforce de minimiser la dimension politique des revendications féminines : « Les grèves présentes ont comme origine la cherté de la vie. La hausse constante des denrées nécessaires à l’existence a déterminé un déséquilibre tellement grand dans les budgets des ouvrières que ces dernières se sont vues contraintes de réclamer.
Vers la fin du mois de mai, la grève atteint les usines Renault et Samson : le gouvernement et les employeurs font des concessions importantes. Un projet de loi, rapidement voté, et promulguée le 11 juin impose l’usage des contrats collectifs de travail dans l’industrie du vêtement : « véritable révolution pour le monde industriel et grand acquis syndical, prélude à la loi du 23 avril 1919 généralisant les conventions collectives »

Un interdit moral avait été franchi, celui de faire la grève en temps de guerre. Au cours du mois de juin 1917, on compte plus de 70 000 grévistes, hommes et femmes confondus, dans les usines de guerre de la région parisienne. Un mot d’Anatole France, au sommet de sa gloire, est alors abondamment cité dans les écrits et les tracts contestataires : « On croit mourir pour la patrie et on meurt pour des industriels. » Il formule une ligne de pensée qui réunit mutins du front et grévistes de l’arrière.

Avec le sérieux qui la caractérise, Marcelle Tinayre définit l’état d’esprit de la nouvelle génération dans un article intitulé « Pour les femmes. Gagner sa vie », à la une du Journal du 24 juin 1917 :
Les idées et les mœurs ont bien changé. Ce n’est plus que dans les toutes petites villes que l’on trouve encore des familles imbues de vieux préjugés et des femmes qui regardent le travail comme une déchéance. La majorité des Françaises est plus sérieusement instruite, mieux armée pour la vie réelle, moins timide et moins romanesque, moins résignée aussi que nos grand-mères.
Nous le constatons aujourd’hui particulièrement. La guerre, en privant de ressources des milliers de femmes, a créé parmi elles le besoin et la volonté du travail. Les petites-filles des « dames » défuntes avouent leur pauvreté et, conscientes de leurs droits et de leurs forces, demandent à vivre, laborieusement et proprement. »

"Et faites des enfants, vous qui n'en faisiez guère"(Apollinaire)
 
Graffiti relevé dans un train de permissionnaires en Gare du Nord le 27 juin 1917
« Camarades ne faites pas de gosses car ils servent à défendre les capitalistes »


graine de morts : l'effrayante propagande nataliste, prédisant que les enfants de 17 seront les déportés de 42


Les câbles tenus secrets de l’Armée au gouvernement sont parlants. Extraits : 
« 13 mai 1917. Gouverneur militaire Lyon. Les ouvrières chargement cartoucherie Valence au nombre de 950 ont pris prétexte hier soir d’une modification tarifs salaires pour cesser travail et rester bras croisés dans ateliers. En présence de cette attitude, directeur les a autorisées à sortir à minuit 30. Sortie s’est effectuée tranquillement mais groupement s’est formé plus loin et manifestation comprenant environ 500 femmes s’est produite rue Valence. Actuellement grève continue. Femmes des autres ateliers en tout 2 500 ont cessé travail moins par esprit de solidarité que par crainte des grévistes. Après-midi cortège s’est formé sans violences et autre incident.
Directeur aidé du syndicat s’efforce de faire reprendre travail. Mais ce soir n’ayant pas encore abouti, personnel avisé par affiche que ateliers chargements et fabrications fermés jusqu’à nouvel ordre ainsi que autres ateliers de femmes. Hommes continuent travail dans mesure possible. La grève a pour prétexte des questions salaires mais en réalité pour cause de lassitude, énervement, difficultés de vie, privations notamment de charbon et en général mauvais esprit continue à régner chez personnel féminin. »
« Rennes. 5 juin 1917. Préfet Ille et Vilaine à Intérieur. Suis informé qu’un mouvement ouvrier se prépare à l’arsenal de Rennes où deux à trois mille femmes vont quitter travail demandant modification des salaires. »
« Rennes. 6 juin 1917. Préfet à Intérieur et Sous-secrétaire d’État Munitions Paris. Grève des ouvrières de l’Arsenal annoncée hier continue en s’accentuant. Elle s’est étendue au personnel masculin de cet établissement et ce matin seuls les ouvriers mobilisés ont repris le travail. Toute la matinée, des cortèges de femmes ont parcouru la ville essayant de débaucher les ouvrières des différents établissements travaillant pour la guerre. Des cris de « A bas la guerre » sont poussés par une bande de femmes et de jeunes gens malgré le poste militaire trop faible ; dans cette usine 250 femmes ont été débauchées.
A la fonderie THAU un cortège de femmes a également forcé la porte, une centaine de femmes ont été débauchées.
Toutes ces manifestations débordent le syndicat de l’Arsenal qui déclare avoir été surpris par cette grève et essaie de l’organiser dans le sens de la modération. […] Vais m’entretenir avec Président du syndicat et secrétaire Bourse du Travail pour obtenir leur concours et leur exposer de maintenir au mouvement le caractère de revendications corporatives faute de quoi l’autorité ne pourrait continuer aux manifestants la confiance et l’indulgence accordés jusqu’ici. […]
Importante réunion grévistes aura lieu aujourd’hui à 16 heures pour entendre direction arsenal aux réclamations soumises ce matin 11 heures. »
La censure postale envoie à la 5e division d’infanterie cette lettre, interceptée le 5 juin 1917, d'une munitionnette, à son fiancé sur le front : « J’approuve les poilus qui ne veulent plus rien savoir de la guerre. A Paris, les grèves succèdent aux grèves et les poilus permissionnaires sont contents ». Et elle lui écrit la chanson entonnée dans les manifestations : « Et l’on s’en fout/ On aura la semaine anglaise/ et l’on s’en fout/ on aura les vingt sous ! »
Durant l'année 1917, 694 grèves affectent l'économie de guerre; elles sont menées essentiellement par des femmes et des jeunes hommes.
Pétain fait aussi interdire par le gouvernement toute propagande pacifiste et syndicale et renvoyer le préfet de police de Paris qui, selon lui, a laissé les grèves s'étendre dans la capitale.


 Tract manuscrit : La révoluson ou la fin de la guerr
trouvé par le général Féraud et joint à son rapport du 1er juin 1917

Témoignage extrait des carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier de Béziers, sur les mutineries du 30 mai au 6 juin 1917 :
"La révolution russe eut une répercussion sur le front français et un vent de révolte souffla sur presque tous les régiments. Il y avait d'ailleurs des raisons de mécontentement ; l'échec douloureux de l'offensive du Chemin des Dames qui n'avait eu pour résultat qu'une effroyable hécatombe, la perspective de longs mois encore de guerre, enfin, c'était le très long retard des permissions c'était cela je crois qui irritait le plus le soldat.
Un soir, un caporal chanta des paroles de révolte contre la triste vie de la tranchée, de plainte, d'adieu pour les êtres chers qu'on ne reverrait peut-être plus, de colère contre les auteurs responsables de cette guerre infâme, et les riches embusqués. Au refrain, des centaines de bouches reprenaient en choeur et à la fin des applaudissements frénétiques éclataient auxquels se mêlaient les cris de " Paix ou révolution ! A bas la guerre ! Permission ! Permission ! ". Un soir, patriotes, voilez-vous la face, l'Internationale retentit, éclata en tempête. Cette fois, nos chefs s'émurent, notre capitaine-adjudant-major-flic vint lui-même escorté par tout le poste de police. Il essaya de parler avec modération mais dès les premiers mots des huées formidables l'arrêtèrent. [...] Je rédigeai un manifeste protestant contre le retard des permissions. Dans l'après-midi l'ordre de départ immédiat fut communiqué ; la promesse formelle était faite que les permissions allaient reprendre dès le lendemain. Les autorités militaires, si arrogantes, avaient dû capituler. Le lendemain soir, à sept heures, on nous rassembla pour le départ aux tranchées. De bruyantes manifestations se produisirent : cris, chants, hurlements, coups de sifflet. Bien entendu, L'Internationale retentit. Si les officiers avaient fait un geste, dit un mot contre ce chahut, je crois sincèrement qu'ils auraient été massacrés sans pitié. Ils prirent le parti le plus sage : attendre patiemment que le calme soit revenu. On ne peut pas toujours crier, siffler, hurler et, parmi les révoltés, n'ayant aucun meneur capable de prendre une décision, ou la direction, on finit par s'acheminer vers les tranchées, non cependant sans maugréer et ronchonner. Bientôt, à notre grande surprise, une colonne de cavalerie nous atteignit et marcha à notre hauteur. On nous accompagnait aux tranchées comme des forçats qu'on conduit aux travaux forcés. »



Mutineries des 20è et 21è BCP et du 20è R.I.

Mouvement de révolte sans violence les 30 et 31 mai 1917, caractérisé par une réunion nocturne d’environ 200 soldats débattant de l’indiscipline dans la 5è division, réclamant des permissions et la fin de la guerre.

René Louis Brunet, né le 2 juillet 1879 à La Ferté St Aubin, chaudronnier à Orléans, célibataire, chasseur (caporal cassé par suite d’une altercation avec un supérieur) à la 2è Cie de mitrailleuses du 20è BCP
Condamné (légèrement) pour insoumission à la loi sur le recrutement et filouterie d’aliments.
Citation : « Caporal de la classe 1899, remarquable par son entrain et son mépris du danger. Grenadier volontaire, s’est toujours proposé pour les missions les plus périlleuses. Le 26 septembre(1915), s’est introduit seul dans une tranchée ennemie et a ramené devant lui 83 prisonniers valides dont plusieurs sous-officiers. Grièvement blessé quelques minutes plus tard (aux deux jambes), n’a cessé de maintenir le moral de ses hommes par ses paroles et son exemple. »
Brunet a été arrêté par ruse le 1er juin à 17h grâce au lieutenant Hellier qui l’a conduit vers le poste de police en discutant de choses et d’autres.
Émile Paul Eugène Buat, né le 5 mars 1887 à Arzillières, cultivateur, marié, sans enfant, chasseur au 21è BCP
Condamné en 1912 pour coups et chasse.
Le dossier de Buat contient des pages volantes pliées en quatre où se trouve -au verso d’une chanson sentimentale- une version de La chanson de Craonne notée au fort de Plesnoy le 8 octobre 1916 portant le titre A Verdun au fort de Vaux.  « Il est joint à ce rapport (plainte en CG rédigée le 2 juin par le sous-lieutenant Petitjean) une chanson trouvée sur lui, à la fouille faite au moment de son arrestation. »


Personne, nous dit-on, n’a été condamné à mort pour avoir chanté la chanson de Craonne. Mais pour l’avoir notée et transportée sur soi ? Le cas d’Emile Buat -le simple fait qu’elle figure au dossier comme élément à charge- semble prouver, même si la chose est passée sous silence par les autorités lors du procès, que ce soldat qu’on a simplement vu causer avec d’autres « agités », ait été désigné comme un des meneurs de la rébellion, et non tout à fait pris au hasard parmi les 200 hommes qui se réunirent le 31 mai pour décider s’ils allaient se mettre en grève.

Notes d’audience du CG de la 13è DI. le 5 juin 1917 :

Joly : Je n’ai pas vu passer les mutins. Je suis allé à la réunion du 30 mai. Nous avons été coupés par des officiers. Après le passage de ceux-ci, un chasseur qui se trouvait dans un groupe m’a tendu un papier que j’ai lu. Ce papier était signé du 129è et 36è R.I. Il nous invitait à faire comme les rebelles. Le lendemain j’ai assisté à une conférence faite par le chasseur Brunet.
Buat : « Je n’ai pas assisté à la réunion du 30 dont j’ignorais l’existence, mais à celle du 31. J’en avais été avisé par un homme dont je ne saurais dire le nom, qui m’a dit il y a réunion ce soir à 7 heures au champ de tir. J’ignorais le but de cette réunion. Arrivé à la réunion, le chasseur Brunet que je ne connaissais pas mais qui est ici et que je reconnais bien a fait un petit discours. Il a commandé un papier nous invitant à faire cause commune avec les mutions. A un certain moment, un chasseur qui était là, un rouquin, m’a dit : « Et toi quel est ton avis ? » Je lui ai répondu Je suis de l’avis de tout le monde. Il m’a dit « Ce n’est pas une réponse » alors j’ai dit « Du moment qu’on est d’avis de ne plus marcher, j’estime qu’il ne faut se laisser embarquer ni en chemin de fer ni en autos, et de rester ici. »… Je reconnais qu’une nouvelle réunion avait été programmée pour le lendemain. On devait y prendre de nouvelles décisions.
L’inculpé Joly, interpellé dit : Je confirme mes déclarations, à savoir que j’ai vu Buat causer de groupe en groupe. Je le reconnais formellement.
Brunet : J’ai assisté à ces deux réunions, je ne sais pas pourquoi. A la première réunion, quand nous avons été dispersés par des officiers, j’ai obéi. Je n’ai pas entendu la lecture du papier. En allant à la réunion du 31, je n’avais pas de mauvaise intention. J’avais surtout l’intention de me promener dans les bois, et par curiosité. J’étais couché sur l’herbe, des groupes se formaient, un papier a été lu. Je ne sais par qui. Alors, je ne sais pas ce qui m’a pris. Je me suis levé, et j’ai prononcé les paroles rapportées dans mon interrogatoire [Rapport du Commandant Richier : « il finit par avouer par morceaux qu’il avait déclaré que c’était aux officiers qui touchaient beaucoup d’argent et dont c’était le métier à se faire casser la gueule les premiers, quand leurs femmes et leurs parents en grêve se faisaient massacrer par les Annamites, qu’il avait terminé par ; Vive la liberté. Marchons tous main dans la main ».] Je n’ai jamais été chargé de faire la conférence contrairement à ce que dit Buat. Je n’ai rien dit quand il s’est agit d’organiser la conférence du premier juin.
L’inculpé Buat, confronté, déclare : C’est bien Brunet, qui, à la séance du 31 mai a dit/ « puisqu’il n’y a pas assez d’hommes, nous nous réunirons demain le soir à la même heure ».
L’inculpé Joly, confronté déclare : « C’est bien en effet Brunet qui a la séance du 31 mai nous a engagés à nous réunir le premier juin.
Sous-lieutenant Roenley : Trois chasseurs avaient été envoyés à la réunion du 31 pour découvrir les meneurs. Des déclarations de ces chasseurs il résulte : qu’in parlait de grèves à l’intérieur, de faire porter une lettre au 21 d’Infanterie et au 109è pour les engager à faire cause commune… J’ai connu Brunet. Je sais qu’il a eu une belle citation, qu’il a gagné ses galons de caporal pour sa belle conduite, mais il s’enivre fréquemment. [rapport Richier : « les gradés qui firent leur devoir de bons français en espionnant les conversations pour trouver un meneur ne doivent pas être cités comme témoins »]
Recours en révision rejeté le 7 juin 1917, recours en grâce rejeté le 9 juin.
Le chasseur Maurice Joly, (né le 15 décembre 1896 à Paris 8è, célibataire, mécanicien ajusteur, jamais condamné) jugé solidairement pour « provocation de militaires à passer aux rebelles armés » obtient par grâce résidentielle la commutation de la peine de mort peine en TF à perpétuité. Un ordre de parade est néanmoins émis, avec défilé des troupes pour assister à la lecture du jugement et à la dégradation le 23 juin 1917. Le 24 décembre 1920 il obtient la remise du restant de sa peine. Le Commissaire du Gouvernement avait pourtant émis un avis défavorable. Il rappelait ainsi les faits : « Le 30 mai 1917, dans la matinée, des troupes mutinées traversèrent en camions automobiles le cantonnement de Dommiers (Aisne) où se trouvait le 20è BCP et lancèrent des proclamations manuscrites provoquant les militaires à la rébellion. Dans l’après-midi eut lieu une réunion des soldats du 20è BCP auquel appartenait Joly. Ce dernier lut une de ces proclamations lancées par les mutinés et qui disait entre autre chose (sic) : »Les amis, nous tenons à vous faire savoir que nous avons refusé de marcher, et que nous embarquons pour être dirigés sur Paris. Il ne faut pas laisser tuer nos femmes et nos enfants par les indigènes, ni nos pères qui font des obus pour nous casser la figure. Fais comme nous c’est le moment de marcher tous ensemble, car on nous a assez bourré le crâne depuis trois ans ».
Brunet et Buat sont fusillés au lieu-dit chemin de la ferme de Plaisance à la route de Château Thierry Soissons à Grisolles (Aisne) le 10 juin 1917, 5h du matin.
René Brunet est inhumé à Neuilly-Saint-Front et Émile Buat, enterré dans son village natal de la Marne ; son nom figure sur le monument aux morts. Leur exécution aurait été précipitée par une lettre insistante du général Philippe Pétain.





Emeutes de Beuvardes (2 juin 1917)

Le 12 juin 1917, Joseph Dauphin, né le 10 février 1882, à Tauves, près de la Bourboule  est fusillé après l'échec au Chemin des Dames, car prétendument instigateur d'une mutinerie. Il était cultivateur et cantonnier à Tauves, hameau de la Chaleille, marié et père d'un enfant, né en octobre 1909 ; il mesurait 1,59 m. Il fut mobilisé le 4 août 1914, devint caporal en mars 1915, se distingua lors des combats de juillet 1915 dans les Vosges, en étant cité à l'ordre du Bataillon et en obtenant la Croix de guerre ;  il avait entre autres pour avoir ramené sur ses épaules un lieutenant blessé près des barbelés ennemis ou pour avoir tenu une position jusqu'à l'épuisement des ses cartouches. Il est décoré de la croix de guerre avec étoile de bronze, pour "sa belle conduite au feu".



Il avait 35 ans en juin 1917. Joseph Dauphin est jugé le 6 juin 1917 pour rébellion à main armée en réunion de personnes et outrages envers ses supérieurs avec cinq autres soldats du 70e Bataillon de chasseurs alpins (ainsi Renauld A., 25 ans, mineur à Valenciennes, père d'un enfant et condamné à mort le même jour ; le 3e condamné à mort est Libert F., 38 ans, garçon livreur à Lille et père de trois enfants) ; deux soldats mobilisés, avocats de métier, ont défendu les accusés. 


Fin mai, le 70e Bataillon (appartenant à la 47e Division d'Infanterie) stationne à Beuvardes, sur la rive droite de la Marne. Dans ce secteur de l'arrière-front, depuis plusieurs jours, des mutineries de soldats ont lieu, dans la 5e Division surtout ; les soldats de cette division sont déplacés en camion encore plus loin du front, par mesure de sécurité ; mais leur action va ainsi se propager par le bouche à oreilles.

C'est dans ce contexte qu'éclate le soir du 2 juin 1917, une révolte dans la 7e compagnie du 70e Bataillon, à laquelle appartient Joseph Dauphin ; elle est relatée par le Journal des marches (p. 15) : au moment de l'appel, une effervescence inhabituelle due à la boisson est remarquée ; dans un local, où se trouve une partie de cette compagnie, une "discussion très agitée ayant un sens révolutionnaire" se fait entendre ; le capitaine intervient mais dès sa sortie du local, cinq ou six hommes des plus agités s'arment de bâtons, cassent les vitres et hurlent "À bas la guerre ! À bas la guerre !". Les officiers s'éloignent alors que des bâtons et des pierres leur sont lancés ; les émeutiers vont dans la rue et crient "À bas la guerre ! Vive la Révolution ! Vive la Russie !".

Un coup de pistolet puis des coups de fusil sont tirés en l'air ; il est 22 h 30 ; alors les émeutiers se dirigent en nombre en direction du bureau du commandant et du local du poste de police militaire, au centre du village ; ce bâtiment est investi en tirant des coups de fusil sur la façade, puis les émeutiers essaient de convaincre d'autres compagnies de les suivre, sans succès ; à h du matin, les émeutiers se dispersent et rentrent dans leur cantonnement. Au matin, on compte trois blessés dont deux par balle. Etant le seul gradé présent dans le groupes d'hommes arrêté après la beuverie le caporal Dauphin  aurait chanté un peu fort "J'ai deux grands bœufs dans mon étable" mais l'accusation  l'accuse d'avoir crié "vive la Révolution ! A bas Poincaré ".

Le 3 juin, le Général de division parla aux compagnies puis le Bataillon fut rapproché du front, mais 21 soldats furent arrêtés. Six prévenus seront jugés le 6 juin par le Conseil de guerre, sans instruction préalable ; sept autres le seront le 10 juin, pour les mêmes faits, dont Brugière François venant lui aussi de Tauves (classe 1906, recrutement de Clermont-Ferrand, matricule 1415).

François Bruguière 


Il est pris, sans qu'on connaisse plus de détails le concernant dans les émeutes de Beuvardes du 2 juin 1917. Ces dernières s'inscrivent dans le cadre plus large des mutineries de 17 et s'apparentent à une séance de beuverie au cours de laquelle des insultes seront lancées et des coups de feu tirés une partie de la nuit.
Dégrisés, un peu plus vingt hommes seront traduits devant la justice militaire.
Trois sont condamnés à mort. Deux d'entre eux, le Caporal Joseph Dauphin de Tauves ( Puy-de-Dôme ) et le chasseur Arthur Renauld de Saint Amand ( Nord ) sont passés par les armes le 12 juin 1917 à la ferme de Faité entre les villages Roucy ( Marne ) et de Ventelay ( Aisne ). Le troisième, Libert, père de plusieurs enfants, voit sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité.
Une douzaine d'autres soldats sont condamnés à des peines de Travaux Publics pour "révolte à main armée en réunion de personnes".
Les peines vont de 5 ans de travaux forcés à perpétuité et la destination pour la plupart est l'Algérie.

François Bruguière lui est condamné à une peine de 10 ans de déportation.

La tradition familiale voudrait qu'il ait été condamné pour avoir refusé de participer au peloton d'exécution des deux condamnés à mort, le Caporal Dauphin étant un camarade, originaire comme lui de la commune de Tauves.
Incarcéré à Marseille, Oran puis Alger.
Un télégramme avertit sa famille de son transfert à l'hôpital militaire d'Orléanville (Chief) où il décédera (sans doute d'épuisement) le 17 février 1918.

La demande de révision des trois condamnés à mort fut rejetée le 9 juin. Le 12, à h 30 du matin, Dauphin et Renauld sont fusillés dans le ravin de Beaugilet, à Ventalay ; le peloton d'exécution était composé de soldats venant du 70è Bataillon de Chasseurs mais aussi du 30è et du 115è. Le soldat Libert a obtenu une grâce présidentielle : sa peine de mort fut commuée en travaux forcés à perpétuité ; il sera libéré en juillet 1922. Le 14 juin, le 70è Bataillon monte aux tranchées sur le Chemin des Dames. La tombe de Dauphin se trouve dans la nécropole de Cormicy (Marne) ; son décès n'a pas été reconnu mort pour la France. Son nom figure sur le monument aux morts de sa commune, mais, malgré les différentes démarches entreprises dans les années 1920, puis après 1998, il n'a jamais été réhabilité.

Conséquence de la multiplication des mouvements de protestation et par la crainte de la contagion révolutionnaire, le 8 juin 1917, le gouvernement de la France décrète la suspension du droit de  révision des condamnations militaires à la peine de mort, rendant les pleins pouvoirs aux conseils de guerre, et permettant à nouveau la perpétration immédiate des décisions d’exécution  sans recours en grâce possible. Cette abdication du pouvoir politique aurait dû plonger les français dans la guerre civile, si la rupture de la triple entente par l'effondrement de l'empire russe n'avait permis l'entrée en guerre officielle des Etats-uniens en avril 1917.



12 juin 1917 : exécution des "meneurs" de la révolte Villers sur Fère


L’incident a lieu, dans la soirée du 27 mai, à Villers-sur-Fère, à une cinquantaine de kilomètres au sud des premières lignes. Il a pour origine l’annonce de la montée en ligne du 18e RI. Une centaine de soldats du 2e bataillon manifestent par des cris et des menaces avec arme leur refus de remonter au Chemin des Dames, d’où le régiment a été relevé le 8 mai, après avoir perdu plus de 1 000 hommes. Le régiment est cité à l'ordre de l’armée, puis mis au repos quelques jours. Le 27 mai au moment de repartir vers Craonne, plusieurs incidents graves se déroulent.
Après une nuit d’agitation, au petit matin du 28 mai, le calme est revenu. L’incident a été court, mais émaillé de coups de feu. Des menaces ont été proférées. La prévôté a dépêché sur place trente gendarmes. Et la population de Villers-sur-Fère a été témoin du défilé dans la rue d’un cortège de militaires entonnant L’Internationale et brandissant un drapeau rouge.
Le 7 juin, 14 hommes inculpés de révolte sous les armes passent en Conseil de Guerre. Cinq condamnations à mort sont prononcées:
Fidèle Cordonnier, né dans le Pas-de-Calais a obtenu une grâce de Poincaré, Président de la République. La peine de mort a été commuée en 20 ans de prison par décret du 11 juin.

Le 12 juin 1917, sont fusillés à Maizy dans l’Aisne :
Casimir Canel né le 1er mars 1896 à Avesnes-le-Comte dans le Pas-de-Calais,

Alphonse Robert Didier, né le 7 avril 1884 à Vagney, vosgien, employé de commerce,
Luis Alain Didier, petit-fils d'Alphonse: « Alphonse étant père de trois enfants aurait été épargné. Par esprit de solidarité il aurait exigé de partager le sort de ses camarades et s’en serait expliqué dans une lettre écrite à sa femme dans la nuit précédant son exécution. Cette lettre bien évidemment n’a jamais été retrouvée. La lecture des faits relatés dans les archives mises à jour par les historiens n’enlève rien au courage de cet homme qui n’hésita pas à descendre du camion embourbé qui le conduisait au supplice afin d’aider ses bourreaux et ainsi en terminer plus vite avec son inexorable destin. La "forte tête" comme l’a décrit le général Hirschauer dans son rapport n’était point un lâche et il l’a prouvé une fois de plus en refusant le bandeau lors de son exécution ! »

Jean-Louis Lasplacettes né le 26 août 1887 à Aydius ,canton d'Accous (64)


Jean-Louis Lasplacettes présente de très bons états de service. Son registre de matricule contient cette appréciation : « excellent soldat depuis le début de la campagne, toujours volontaire pour des missions périlleuses ». Le 19 avril 1917, un mois avant les incidents de Villers-sur-Fère, il obtient une citation à l’ordre du régiment pour avoir « le 16 avril, faisant partie d’une patrouille, fait dix-sept soldats et un officier prisonniers ». Quand débute l’offensive du Chemin des Dames, à la mi-avril 1917, il a à son actif trente mois de campagne. 


Avant-guerre, il exerce le métier de cultivateur à Aydius. Son village natal, situé à 788 mètres d’altitude, aux confins de la vallée d’Aspe, non loin de la frontière espagnole, compte alors près de 500 habitants (une centaine aujourd’hui). Célibataire et sans enfant, sa fiche militaire le mentionne comme soutien de famille, vraisemblablement parce que son père étant malade, il subvient aux besoins de ses parents dont il est le fils aîné. Lasplacettes possède un niveau d’instruction 3, selon sa fiche militaire, il sait lire et écrire.


Pour Moulia et pour les soldats Canel, Didier et Lasplacettes, la sanction tomba : le peloton d’exécution.
"Aujourd'hui, 5 juin 1916, Le Conseil de guerre de la 36è division... a déclaré le susnommé Moulia Germain (son surnom), caporal au 18è R.I. àl'unanimité coupable d'avoir participé comme instigateur à une révolte commise sous les armes en réunion de plus de quatre".


A l’aube du 12 juin, à Maizy, un quatrième homme, condamné à mort lui aussi, n’est pas dans le pré. Il s’agit du caporal Vincent Moulia, parvenu à s’évader la veille de l’exécution, favorisé dans son entreprise par le hasard d’un bombardement allemand sur le secteur de la ferme de Maizy, lieu de détention des condamnés.

Blessé par baïonnette dès 1914 à la bataille de Charleroi, à nouveau blessé par balle le 24 mai 1916 à Verdun et promu caporal après avoir refusé de se faire évacué, Mouria avait surpris et fait prisonnier huit officiers allemands tapis dans une tranchée. Il avait encore sauvé d’une mort certaine son capitaine blessé en le charriant sur son dos hors du champ de bataille. A Craonne, il avait montré tant d’ardeur au combat qu’il devait recevoir sa croix de guerre.
le 12 juin, Vincent Moulia ne pensait qu’à une chose : s’évader. A peine enfermé dans ce silo à betteraves, il avait repéré une petite trappe au plafond. La veille, il s’était porté volontaire pour nettoyer les restes de deux soldats déchiquetés par un obus dans la cour de la ferme. Il en avait profité pour inspecter les lieux. Le coup était jouable. Restait à se débarrasser de la sentinelle enfermée avec eux.
– J’ai envie de pisser, lui dit-il.
Le soldat ouvrit la porte sur l’aube naissante et sortit dans la cour. Mais personne ne le suivit.
– Qu’est-ce que tu fous, Moulia ?
– J’arrive, le temps de mettre mes chaussures…
Mais Vincent Moulia avait déjà verrouillé la porte de l’intérieur, enfermant la sentinelle dehors. Il se saisit d’un long bâton, fit jouer la trappe du silo et se hissa à l’extérieur. Là, une deuxième sentinelle s’interposa. Moulia l’envoya à terre d’une ruade et se lança, pieds nus, dans une course éperdue. D’un bond prodigieux, il franchit la clôture de la ferme. Des coups de fusil claquèrent dans la nuit. Une balle siffla au-dessus de sa tête. Moulia détala sans se retourner et s’évanouit dans la forêt.

Le jour était à présent levé sur Maizy. Tapi au bord du canal latéral de l’Aisne, Moulia entendit trois salves retentir au loin. La quatrième aurait dû être pour lui. On verra plus loin, ce qu'il devint.


Henri Désiré Valembras, né le 15 octobre 1887 à Avernes-Sous-Exmes (Orne) cultivateur, domicilié à Survie, arrondissement d’Argentan dans l’Orne, célibataire, soldat au 313è R.I., déjà condamné au civil pour coups et blessures et vols, et en septembre 1915 par le CG de la 9à DI à 2 ans de prison pour abandon de poste sur territoire en état de guerre.

Extraits des Carnets de guerre du sergent Granger 1915-1917 :
"28 (mai 1917 à Brouillet)… brusquement on nous apprend notre départ pour demain matin… il faut se coucher de bonne heure car demain matin réveil à 3 heures. Manifestations par quelques Poilus agissant sous l’influence du pinard ; nuit mouvementée, tout se calme avec un maigre résultat pour les auteurs de ce désordre ; ils s’en repentiront à bref délai.
C’est au 313è RI, où pourtant les incidents semblent avoir été plus limités et qui a été décoré 3 jours plus tôt après avoir durement combattu pendant près de 3 ans, que survint la peine la plus lourde ; une condamnation à mort exécutée (…) Le soldat Henri Valembras, de la classe 8, cultivateur, célibataire, va servir d’exemple. Il a frappé un capitaine à coups de pieds et de poings…"
Condamné le 8 juin 1917 par le CG de la 9è DI pour révolte et voies de fait envers un supérieur à l’occasion du service ( pas de dossier de procédure, minutes et dossier de révision seul, qui n’apprend pas grand chose.) Sont inculpés lors du même procès Sylvain Emile Poitrenaud (17 juin 1894, Paris, garçon laitier) et Léon Charles Victor Vanderrièle (3 mars 1897 Saint Pol sur mer, débardeur), du même régiment.
Question 1 : Le soldat Valembras s’est-il rendu coupable de s’être, le 28 mai 19617, à Brouillet et conjointement avec sept autres militaires, livré à des violences et refusé de rentrer dans l’ordre à la voix de ses supérieurs ?
2 – Le même est-il coupable d »avoir aux mêmes dates et lieux, exercé des voies de fait envers son supérieur, le capitaine Briol, en lui portant un coup de pied et un coup de poing. 3 – à m’occasion du service.
4 – même question qui la première pour le soldat Vanderrièle. 5 – Le même est-il coupable d’avoir aux mêmes dates et lieux refusé à l’ordre relatif au service à lui donné par son supérieur le capitaine Adrian… qui lui ordonnait de rentrer à son cantonnement ?
Vanderrièle est condamné à 10 ans de TP (3 voix contre deux) Poitrenaud à la même peine à l’unanimité.Recours en révision rejeté le 10 juin 1917 (frais de procédure 114,90 francs partagés entre les soldats Loutier, Dupont, Charlon, Lamotte, Simon (graciés 1918)-gracié en 1919-, Rondelle, Pierre, Bié -1 an,- et Lecomte -sursis, réhabilité en 1919 ). A noter que les neuf soldats jugés indépendamment des « meneurs » appartenaient tous à des régiments différents, ce qui laisse supposer l’étendue de la manifestation. Il règne d’ailleurs le plus grand flou dans ce dossier de révision, de nombreux autres cas y étant joints (Cremer, Bouleau, Ceroil, Jacquel, Roynard, Brochi, Lacabanne, des 4è et 82è R.I., du train etc;) les juges n’ayant pas trop l’air de savoir s’il faut considérer certaines fuites de moins de six mois comme des désertions ! Après la faillite du commandement, c’est la justice militaire elle-même qui donne l’impression de se déliter.
En cherchant bien, on finit par trouver, au milieu des avis d’écrou et de remises de peine, un interminable rapport assez illisible, qui n’est peut-être qu’un brouillon :
« Le 28 mai dernier (1917), au moment de l’appel du soir, une vive effervescence se manifestait parmi les troupes cantonnées dans les baraquements d’Arcis le Ponsart. Cette effervescence ne tardait pas à se traduire par une manifestation, assez violente. Les hommes du 82è R.I. et du 66è Chasseur y prirent part et il est certain que d’autres éléments participèrent aussi à ces incidents puisque un tringlot de la 8è Cie du train se trouve parmi les inculpés et qu’il résulte d’un rapport de M. le commandant Caler que deux artilleurs ont été vus parmi les manifestants. Quoiqu(il en soit, certains soldats se groupèrent aux abords du camp et se mirent à crier : « Permissions ! Permissions ! Nous ne monterons pas sans avoir nos permissions !» Comme toujours en pareils cas, les premiers mutins furent d’abord entourés puis renforcés d’un nombre toujours grandissant de curieux et au bout d’un certain temps les manifestants formèrent des cortèges pour sortir du camp et se rendre dans le village. A ce moment les officiers, prévenus, arrivèrent et leur intervention ramena au camp les militaires qui cherchaient à en sortir, mais des cris plus séditieux furent poussés comme par exemple ; « Nous ne remonterons pas aux tranchées ! A bas la guerre, etc. » Contenus par les officiers sur la route qui borde les baraquements du côté sud, les mutins se rabattirent alors sur le camp, criant, chantant l »Internationale, se livrant à [illisible], de violences extrêmement regrettables tandis que certains d’entre eux, pénétrant dans les baraques où les hommes demeurés calmes étaient déjà couchés, les exhortaient à se joindre à eux et employaient la force et la menace lorsque la persuasion ne suffisait pas. C’est en vain que les officiers essayèrent de ramener leurs hommes à de meilleurs sentiments, ils ne furent pas obéis et quelques uns même furent malmenés comme le Capitaine de Croÿ du 82è R.I. M. le Coloniel Bhier… les harangua, leur donna l’ordre de se disperser, mais ne fu pas écouté. Cet officier supérieur fut même frappé avec une trique ou u bâton, mais comme il faisait nuit noire et qu’il était entouré à ce moment là d’un groupe de révoltés, il ne put reconnaître l’auteur de ce lâche [assault?]. Cependant au fur et à mesure que les heures passaient, le nombre des mutins diminuait et vers minuit il ne restait plus sur la route du camp qu’une dizaine d’exaltés dont quelques uns étaient assurément ivres et qui finire,t à leur tour par rentrer dans l’ordre. Le nombre des mutins n’a pas pu être déterminé avec précision … les inculpés... parlant de 2 à 300, un 3è au contraire d’une cinquantaine.(…) Quoiqu’il en soit, il est certain que les 9 inculpés de cette affaire ne sont pas les seuls contre lesquels des poursuites seront engagées et il est certain aussi que ce mouvement n’a pas pris spontanément naissance à Arcis le Ponsart au moment où il s’est produit. [ Ici c’est la structure mentale de l’officier ne parvenant pas à dissimuler tout à fait sa stupeur, qui est prise en défaut, aucune affirmation n’étant étayée que par la rumeur, celle de la concomitance d’autres mouvements fournissant l’indice d’un soulèvement généralisé. Or, si le mouvement avait été coordonné par de véritables meneurs, ses conséquences se seraient sans doute étendues bien au-delà d’une « révolte sans arme », et il ne restait pas de commissaire-rapporteur pour en faire état.] Les prévenus ont gardé quand nous les avons interrogés sur ce point un mutisme presque absolu. Aucun d’eux ne veut avouer avoir reconnu parmi les mutins la présence de tel ou tel de ses camarades. Ils ajoutent qu’il n’y a pas eu de conciliabule au camp pour préparer la chose et qu’ils n’ont été l’objet d’aucune incitation étrangère. [Le rédacteur évoque alors le témoignage d’un adjudant qui serait tombé sur « un individu qui ne portait pas d’écusson et devait être très probablement un agitateur étranger venu à Arcis pour y fomenter la révolte ». Suivent des arguties juridiques destinées à faire coller les événements aux textes. Suivent enfin les dénonciation des officiers ayant « reconnus formellement chaque inculpé » sans parvenir à leur prêter d’autres menées séditieuses que d’avoir au pire chanté l’Internationale ou crié « en avant ! ». Charlon et Simon auraient été libéré de prison par les mutins. Bié et Rondelle auraient échangé des propos comme « C’est dommage qu’on ne m’ait pas suivi, j’aurais foutu le feu à la baraque des officiers sans la moindre hésitation ! » et « je viens de Monastir et de Salonique, c’est dégoûtant de vois les choses qui se passent là-bas » ce qui permet de les considérer comme des meneurs.]
Valembras est fusillé le 13 juin 1917, « à la parade » à Roucy à 4h30.


Adolphe Elie Lozay, né le 9 mai 1892 à Orléans, 2è classe au 3è BMILA, décédé à l’hôpital mixte d’Orléans le 14 juin, « tué d’une balle de revolver au cours d’une arrestation » (Déserteur) ».

Pierre Gaston Lefèvre, né le 4 juin 1897 à Morfontaine (Meurthe et Moselle), caporal au 109è R.I., 1ère Cie



A la veille de la guerre, il exerce le métier de cantonnier, puis selon le PV d’exécution de presseur. Le 7 août 1914, les Allemands prennent son père en otage et le fusillent. Son frère infirme avait été emmené, puis fusillé à son tour. Pour venger les siens, Pierre Lefèvre franchit les lignes ennemies et vient s’engager à la mairie de Mézières  (Ardennes) le 14 août. N’ayant que 17 ans, il avait falsifié son âge pour pouvoir s’engager. Blessé au printemps 1915, il est alors soigné à l’hôpital de Lyon.
Le 9 juin 1917, à la suite de la mutinerie de Mersin, il est condamné à la peine de mort par le Conseil de guerre de la 13e Division, pour "révolte par prise d’armes sans autorisation et agissements contre les ordres des chefs".
Lefèvre à l’audience : « Je reconnais avoir participé à la réunion du 17è R.I. Je reconnais également que j’ai dit aux hommes de participer tous à la manifestation. Je reconnais également n’avoir pas obéi à l’adjudant Pons qui me disait de faire rentrer mon escouade dans le devoir. Je reconnais avoir chargé mon fusil dans le but de me défendre si l’on tirait sur moi. »

Recours en révision rejeté le 12 juin 1917, avec celui de Charles Léon Rouellé (1ère classe) et Chaillot Léon (tous trois condamnés à mort). Par décret en date du 14 juin 1917, les peines de Rouellé et Chaillot sont substituées en 20 ans de prison. Chaillot obtient une nouvelle remise de 4 ans de peine le 17 octobre 1921, tandis que Rouellé est gracié par décret du 21 septembre 1921.On a vu que c’était désormais l’habitude, gracier deux des condamnées pour montrer la clémence du pouvoir punitif qui désigne le plus coupable à fin d’exemple.
Chaillot à l’audience : « Je ne suis pas un meneur ; je n’ai jamais rien fait pour cela ; il n’y a d’ailleurs qu’un mois que je suis à la Cie. Je reconnais que j’ai suivi les manifestants à la ré »union du 17è à Mersin, mais je n’ai rien entendu. Je n’ai pas entraîné les hommes près des manifestants, mais seulement pour les conduire au Capitaine ».
Témoin à charge Castéran, capitaine du 109è R.I. : « … au sujet de Rouellé. Ce discours avait l’air d’être appris et récité. En substance, il a dit/ Nous en avon assez, nous voulons manifester, nous voulons la paix, nous en avons assez de la guerre. Il faut faire cesser les hostilités. Le Gouvernement se moque de nous. Ça m’est égal d’être Allemand ou Français. » J’estime que ce discours a eu une grande influence sur les hommes qui sont partis.
Rouellé : « Je suis parti comme les camarades à la manifestation de la nuit. Je n’ai pas assisté aux réunions préalabales. Les sous-officiers nous avaient rassemblés pour aller auprès du Capitaine. Les coups de sifflet sont partis. Néanmoins je suis allé au rassemblement. Je reconnais avoir pris la parole, et exposé nos revendications. A ma défense je crois devoir dire que plusieurs hommes ne voulaient pas aller au rassemblement ordonné par le capitaine, je les y ai emmenés. J’ai dit au Capitaine « Nous ne voulons pas faire de bêtises ; nous voulons simplement manifester notre opinion. » A ce moment, on a crié « On en a assez entendu ». Les hommes sont partis. J’ai été entraîné avec la foule. Je proteste contre l’accusation d’antimilitarisme qu’on porte contre moi ».
Conjointement sont condamnés :
Boyer René Michel, caporal, condamné à 10 ans (remise de peine d’un an en 1921), établissement mixte de Tunisie :
« J’ai fait comme tout le monde, j’ai suivi la foule. Après que j’ai eu réfléchi, j’ai pensé à mes parents et je suis revenu. Je suis rentré à 3h du matin, j’ai essayé de ramener plusieurs camarades avec moi. J’ai été jusqu’à Mersin. J’ai entendu un adjudant qui parlait de marcher sur Paris. Je suis revenu. Si j’étais chaussé c’est que je venais de porter le prêt au soldat Vergniol. »

Founier Adolphe, (109è, instigateur) , 10 ans remise de peine rejetée en 1919, atelier TP n°16 de Coligny (Nièvre), remise de 5 ans en 1920.
« J’ai pris part à la manifestation, mais je n’ai rienentendu, je suis un peu sourd. Je ne me souviens pas avoir dit « Au 109è on est trop bêtes pour en faire autant ». J’avais mon fusil, mes vivres de réserve, mais je n’étais pas équipé. J’ai pris mon fusil parce que j’avais peur qu’on me le prenne… Je n’ai pas crié « en avant ».

Thirion Charles Henri, instigateur,10 ans, Collioure, puis Nièvre, remise de 5 ans (22 mars 1920)
«  Le lieutenant nous avait rassemblé dans la matinée pour nous faire une conférence sur les mutineries de certains régiments et nous a engagé à faire notre devoir. Je reconnais avoir étét de tente en tente, mais je n’ai réveillé personne. Je nie avoir dit à l’adjudant Besse « Vous allez voir tout à l’heure » Je n’ai pas vu le sergent Leblanc. Si je circulais de tentes en tentes, c’est parce que j’avais entendu le 17è, et je voulais voir ce qui se passait chez nous.
Rapport 1921 : « A la suite de révoltes survenues dans des régiments stationnés dans la région de Soissons, une certaine effervescence se manifesta à partir du 30 mai 1917, aux 1ère et 2è Cie du 109è R.I. Le 1er juin 1917, vers 23 heures une cinquantaine d’hommes de ces deux compagnies prirent leurs armes et leurs équipements et allèrent rejoindre près du village de Mersin les mutins du 17è R.I. qui voulaient marcher sur Paris. Mais une dispute s’éleva entre les révoltés du 17è et ceux du 109è ; ces derniers rejoignirent alors leur cantonnement et tout rentra dans l’ordre. Thirion (2è Cie) fut l’un des instigateurs de cette révolte. Il a reconnu avoir circulé vers 22h15 d’une tente à l’autre et, interrogé par son adjudant sur ce qu’il faisait, il lui a répondu « on va le voir tout à l’heure ». Il s’était manifestement chargé de prévenir ses camarades. Il a pris part à toute la manifestation. Thirion dès avant cette manifestation était connu pour son mauvais esprit. »

Capelli Jean-Baptiste, 10 ans, détenu à Collioure, remise de peine de 5 ans (22 août 1919)
« J’ai fait comme tous les camarades. J’ai crié « en avant » comme tous les camarades. J’étais équipé parce que les camarades étaient équipés, et qu’on devait aller faire une manifestation ; on l’avait dit le soir, alors j’ai suivi le mouvement, tout le monde y allait. J’ai pris mes vivres de réserve parce que tous les camarades les prenaient. Je n’ai pas réfléchi. »

Charlut Jules, 10 ans, atelier de TP n°15 (Collioure), peine suspendue le 9 juillet 1919. Croix de guerre.
« J’ai suivi les camarades lorsqu’ils sont allés à la manifestation du 17è. Je suis sorti équipé et armé, parce que tout les camarades en avaient fait autant. D’ailleurs cela avait été dit dans la soirée. A la réunion il y a eu des discours, et surtout des cris ; on criait « à bas la guerre ! » Le 17è voulait nous emmener à Soissons. Je n’ai pas voulu y aller, et je suis rentré à mon bivouac avec les camarades dans la matinée. »

Champroux, Léon Eugène, 8 ans, peine suspendue le 15 mai 1919 atelier n°15 ; croix de guerre, citation, caporal cassé
« J’ai été entraîné dans le flot. <je n’ai pas assisté aux réunions préparatoires. J’ai été à Mersin. J’ai entendu un discours. Je proteste contre les accusations dont je suis l’objet quand le capitaine affirme que j’ai crié « En avant, cette fois nous ne nous laisserons pas faire.3 Il a dû faire confsion. Je n’étais pas au rassemblement. Je suis plutôt renfermé, je ne fréquente personne et je n’ai pas l’habitude de conseiller personne. A la réunion, lorsque j’ai entendu un adjudant du 17è dire qu’il fallait aller à Paris faire une révolution, piller les gares, je me suis dit « ça n’ira pas ça ». Je ne suis ni un voleur ni un sanguinaire ; alors je suis rentré au bivouac ».

Moraine, Paul Louis Arthur, 5 ans, Collioure, puis atelier 54 (Trégastel), gracié en 1920
«  J’ai pris part à la manifestation du 1er juin, involontairement ; mais je n’ai assisté à aucune réunion. Je n’ai pas entraîné mes camarades : j’avais un peu bu et j’ai fait comme tout le monde. Si j’ai dit à mes camarades de ne pas obéir à l’adjudant Pons, c’est involontairement, mais je l’ai dit. Le caporal Lefèvre est venu par deux fois à notre tente dans la nuit du 1er au 2 juin pour nous presser de nous apprêter, et nous dire de ne pas manquer d’assister à la manifestation. Nous avions touché le prêt le 1er juin 1917. »

Lefèvre est fusillé au champ de tir sus au sud-ouest de la station de Saint-Christophe, près de Soissons le 16 juin 1917 à 4h30 Lefèvre est aujourd’hui inhumé au cimetière militaire d’Ambleny.

Lettre testamentaire : seules la signature et la date sont de la main du fusillé (qui écrit d’ailleurs 1916 au lieu de 1917). La lettre, comme en témoignent le style, la composition et l’orthographe, a été rédigée par quelqu’un d’autre dans un but d’intimidation et d’appel au patriotisme. Sans doute une pure contrefaçon :
" Chers Camarades,
Dans quelques instants je vais être fusillé pour avoir pris part aux manifestations et aux actes d’indiscipline auxquels se sont livrés, il y a quelques jours, un trop grand nombre de nos camarades.
Au moment de mourir, je comprends la gravité d’une faute qui en affaiblissant le moral de l’armée, compromettait la victoire de la France.
Je demande pardon à la patrie de la faute commise.
Mais, en même temps, je demande à tous mes camarades de comprendre le sens de mon sacrifice.
C’est devant ma douleur de condamné à mort, devant le désespoir de ma famille si tendrement aimée, devant la France pour l’amour de laquelle j’aurais voulu mourir devant l’ennemi, que je les supplie tous de ne jamais plus se laisser entraîner à des actes d’indiscipline.

Victime de la faute commise, je leur demande d’avoir pitié de la France.
Je leur demande aussi de penser aux malheureux qui pourraient être un jour condamnés comme moi parce qu’ils se seraient laissés prendre une minute aux mensongères paroles de quelques mauvais Français.
Oh ! je vous en supplie, devant ma mort, souvenez-vous toujours, chers Camarades, que tous les soldats de France sont solidaires et qu’une faute commune peut entraîner la mort de quelques-uns.
Que mon sang, versé dans de si effroyables conditions, serve à vous unir tous dans une même volonté de discipline et contribue de cette manière à la Victoire de la France.

Adieu !
Vive la France !
Priez pour moi. De là-haut, je le ferai pour vous.

Lefèvre Pierre Gaston
Le 16 juin 1916

Albert Truton, né à Nocé (Orne), cultivateur à Bellou sur Houisne, Albert Truton a épousé en 1912 Lucienne Cellier dont il a un enfant, Suzanne, née en 1913. Caporal au 75è R.I.

Lors de la mobilisation générale, il est incorporé au 103è R.I. Passé au 75è en juin 1915, il devient caporal le 30 juin 1916. Le 6 août 1916, il est blessé par un éclat d’obus et il est cité à l’ordre du régiment comme "bon gradé courageux et débrouillard. Blessé à son poste de combat". Croix de guerre, étoile de bronze.
Après la mutinerie de Pargnan, il est condamné à mort par le Conseil de guerre de la 27è D.I. le 10 juin 1917 pour " refus d’obéissance, étant commandé pour marcher contre l’ennemi". Poursuivis sous le même chef d’inculpation, les caporaux Joseph Mathais et François Boyer sont condamnés à 20 ans de TF, les soldats Maurice Pommey, Fernand Leblanc, Clément Duchène, à 10 ans avec interdiction de séjour, Edouard Blanc, et Lucien Villain à 10 ans (et 5 d’interdiction de séjour), Robert Martin, 3 ans de prison, Sylvain Boeuf et Gabriel Dedieu, à 2 ans, le soldat Elie Saurel à 6 moi avec sursis. Tous (sauf Mathais, insoumis, et Truton ; coups et blessures le 27 mars 1912-sursis) présentaient un casier judiciaire vierge.
Peut-on d’ailleurs parler de mutinerie ? Les chefs répètent tous à peu près la même chose. Citons au hasard le « compte rendu » de l’adjudant Duffoy de la 3è section :
« Dans l’après-midi, de 7 à 16 heures un rassemblement de la Cie a eu lieu. Tous les hommes de l’unité étaient présents. Après une causerie morale et des instructions pour la relève l’ordre de rompre les rangs a été donné, aucun signe de mutinerie n’a été constaté. (…)
A 21h30, j’allais pour rassembler la section, aucun homme n’était équipé. Je leur dis de le faire, mais il m’a été répondu que ceux de la compagnie voisine et des autres sections ne montaient pas, qu’ils en faisaient autant. Leur demandant la raison qui les faisait tous agir ainsi ils m’ont répondu qu’ils réclamaient du repos et leurs permissions… Voyant qu’il n’y avait rien à faire j’ai rendu compte au Commandant de la Cie. Apprenant quele soldat Villemagne de ma section venait d’être frappé par ses camarades je suis allé le chercher et je l’ai trouvé à terre la figure ensanglantée : lui demandant ce qui s’était passé il m’a dit avoir été frappé par ses camarades parce qu’il ne partageait pas leur manière de faire, mais il ne m’a cité aucun nom. Le Lt Colonel étant venu sur ces entrefaites m’a fait conduire le soldat Villain au poste de police. A un nouvel essai de rassembler la Cie fait par le Lt Bernère accompagné des 4 chefs de section, aucun homme n’a répondu à l’appel de son nom à la 1ère section, seul le soldat Leblanc, non encore appelé, s’est approché du Commandant de la Cie et lui a dit qu’il n’y avait rien à faire tant qu’ils n’auraient pas eu du repos et leurs permissions. A ma section, à part les soldats Loret , Serre, pas de réponse à l’appel. Invités à s’équiper ces 2 soldats m’ont répondu que leurs camarades les empêcheraient de sortir, en effet un barrage avait été fait aux issues au moyen de caisses de fer. En me retirant j’ai trouvé le Lt Chassard entouré d’un groupe d’hommes parmi lesquels j’ai reconnu le caporal Truton, les soldats Blanc et Pommey qui m’ont paru très exaltés, les autres je ne les ai pas connus. A partir de minuit le calme fut un peu rétabli et vers 2 heures au moment du départ pour les nouveaux emplacements aucun homme de la section n’a manqué à l’appel. Cette mutinerie a été favorisée par le cantonnement très vaste où 2 Cies y étaient (sic) cantonnées et par le manque d’éclairage les bougies étant éteintes chaque fois que l’on a essayé de faire un appel. »

Albert Truton, Lettre du 8 juin 1917 ;
« Ma cher femme cherie
Je mempresse de te faire savoire le sort que je passerais demain car je suis désignée a passer le conseil de guerre par ce que ont a pas voulut monter aux tranchée hier soir nous sommes 10 qui vont passer le conseil de guerre pour refue dobeissance je pense ètre aquitte mes je suis cassee de caporal et de grande chance que nous allont ètre changer de régiment ces bien malheureux car je navais rien dit nous sommes 3 caporaux de la même compagnie ils ont prie les gradée pour ètre responsable / enfin cher petite femme ne te fait pas de mauvais sang pour cela car il y en a assez dun qui sef asse du mauvais sang. ce nempeche pas de avoire ma permission car ces un droit quand mon tour seras arrivee je partirais comme les autres, mes si tu savait cher femme que je pleure car mois quit a jamais etee punis jent nest gros sur le coeur. Quand Chauveau seut airas en permission il te diras comment sa ses fait je nes pas tors mes faut pas charcher a comprendre car celui qui est fautive nes pas punis car il se tire toujour des pieds /cher femme surtout ne te fait pas de chagrin pour cela ce nes pas un crime, mes se sont des affaires militaire. Je termine cher femme ma lettre en desirent quelle se trouve en bonne santee et ma cher petite fille Son mari qui aime pour la vie et qui ne cesse de penser en tois. Mils bon baisers venent de fermer ma lettre, tant que pour me recrire de ce moment attent que je te donne mon adresse »

Recours en révision et en grâce rejeté le 15 juin 1917. Truton est fusillé le 18 juin à Pargnan à 4h. Le détail de l’ordre se contente de se référer au règlement des places sans détailler la présence des troupes ou de la musique. Truton est aujourd’hui inhumé au cimetière militaire français de Cerny-en-Laonnois.


Les nuits révolutionnaires de Ville-en-Tardenois (133è R.I, 41è DI)

Une des caractéristiques majeures de la répression de ces événements - parmi les plus importants, en nombre de participant des révoltes de 1917 - est la perte des dossiers de procédures des Conseils de Guerre chargés de les sanctionner, comme des passages des condamnés en conseil de révision. L’étalement dans le temps des exécutions des « meneurs » (voir Maréchal Hatron, et en juillet Camille Biloir) sans doute partiellement choisis au hasard, montre la volonté du commandement de veiller à ne pas allumer de nouveaux incendies, peut-être parce que quelques hauts gradés étaient visés par d’autres officiels impatients de s’en débarrasser.
Rapport sommaire du général Mignot, commandant la 41e Division d’Infanterie sur les incidents de la 82e brigade, pendant la journée du 1er juin et la nuit du 1er au 2 juin :

« Le 1er juin, vers 13 heures, dans le camp de Ville-en-Tardenois, des vociférations éclataient subitement vers les baraquements du 23e régiment d’infanterie. Le lieutenant-colonel Brindel et les officiers s’y portaient aussitôt et cherchaient à calmer les manifestants, une centaine environ. Bientôt le mouvement s’étendait au 133e, au camp nord, puis à Chambrecy. Les manifestants réclamaient le repos qui, soi-disant, leur était dû, se refusant absolument à remonter aux tranchées, disant qu’on les avait assez bernés et qu’ils n’avaient plus aucune confiance en la parole des généraux. Cependant ils assuraient que si le repos de 45 jours promis leur était donné, ils ne  se refuseraient plus ultérieurement à relever les camarades.
Le mouvement gagnant peu à peu d’intensité jusqu’à quinze heures sur place, à ce moment une colonne de manifestants portant le drapeau rouge et chantant l’Internationale tentait de gagner Ville-en-Tardenois. Le colonel Baudrand et le général Bulot se portaient au devant d’eux, enlevant leur drapeau rouge et s’efforçant d’arrêter la colonne. Bientôt le général Bulot se mettait à leur tête et les entraînait vers le camp nord, en traversant le village, en silence… Il semblait que tout péril fût conjuré, et je me hâtai d’aller en rendre compte à l’Armée. Mais vers 18 heures, après la soupe le flot des manifestants se porta vers la mairie de Ville-en-Tardenois, commençant à s’exciter fortement, à force de cris, sous l’influence de la chaleur, mais sans que l’on remarquât des gens particulièrement ivres. C’étaient des gens butés sur une idée et sur qui aucune parole ne pouvait avoir d’influence.(...) Surtout, de la guerre, ils en avaient « marre, marre, marre », ils n’en voulaient plus, et réclamaient la paix à tout prix.
Le général Bulot, qui avait eu un certain succès vers 15 heures, paraissait cette fois particulièrement visé. « Assassin, buveur de sang ! ». Sa situation a paru même devenir tragique à un moment donné, et on put craindre que le général, très pressé et bousculé, ne fût en butte à un mauvais parti... je n’avais devant moi que des gens butés, 7 ou 800 environ, avec un certain nombre de mines patibulaires, formant les meneurs apparents, et qui, criant et tous à la fois s’efforçant de m’empêcher de parler. Quand on m’applaudissait, un certain nombre d’excités criaient non ! non ! à tue-tête, et finissaient par entraîner les autres. (…) A cet instant, comme certains violents essayaient de me faire le croc-en-jambe, je pus rentrer à l’intérieur de la mairie avec le général Bulot.
Entraînés peu à peu par les officiers, et la nuit s’avançant, les manifestants finirent par rentrer chez eux. Toutefois, une bande d’une centaine d’avinés, de repris de justice, qui s’étaient procuré de la boisson auprès des habitants épouvantés, se tenait en permanence devant la mairie, demandant la tête du général Bulot. Vers 10 heures, ils résolurent d’aller à Romigny, où les attendaient, disaient-ils, les 120e et 128e. Le mouvement, éventé par téléphone, ne réussit pas. Un meneur fut même pris par les barrages de la 4e D.I. et les manifestants revinrent sur le camp, cassant les vitres à coups de pierres et forçant les hommes endormis à quitter leurs baraques et à coucher dans le camp.
La nuit, jusqu’à 3h 30 du matin, fut une suite d’allées et venues au cours desquelles la mairie fut mise en état de siège, les vitres et les portes brisées à coups de pavés. Les fourgons renversés au milieu de la rue. Cette situation fut tragique. Dès que les dernier ivrogne eut enfin disparu, je renvoyai immédiatement le général Bulot chez lui à Chambrecy, avec recommandation de ne plus se montrer. Dans la matinée du 2 juin, selon mes prescriptions, on fit, sans grand entrain d’ailleurs, des séances de jeux et d’exercices à l’extérieur du camp, et il n’y eut aucune manifestation.
Mon impression, comme celle du général Bulot et des deux colonels, est que le mouvement est nettement révolutionnaire, sinon dans ses causes premières, du moins dans son exécution.
Depuis longtemps, la 41e D.I. avait été privée du repos normal, attribué à toute troupe venant des attaques. Après la Somme, le général commandant en chef avait promis un long repos, 40 pour cent de permissions ; au cours du retour, la destination fut changée pour l’Argonne, et l’on entra en secteur au bout de 5 – 6 jours seulement, sans même être reconstitué. Ce manquement à une promesse affecta beaucoup l’esprit des hommes. Dans la dernière offensive, la 41e D.I. fut plus éprouvée que d’autres, et, bien qu’ayant obtenu une succès apprécié, fut maintenue cinq semaines en secteur, alors que les divisions voisines, étaient retirées plus vite du feu, et jouissaient d’un plus long repos… Alors qu’ayant obtenu la fourragère, ils se croyaient droit à 45 jours de repos, ils devaient remonter, dans un secteur très difficile, au bout de 20 jours seulement. Ce n’était là qu’un prétexte, d’ailleurs. Il y a des meneurs évidents répartis dans tous les régiments, même des divisions voisines, qui ont monté l’affaire en véritable émeute. Les plus excités étaient les récupérés âgés venus des embuscades de l’Intérieur, et surtout les jeunes gens de la classe 17. J’en ai bu un qui était au 133e depuis 8 jours, n’avait jamais vu le feu.
A un moment donné, dans la nuit, un aspirant et un sergent du 23e ont vu, vers le camp sud, une auto venant de Romigny, et contenant au moins deux civils, et peut-être des militaires. Comme les manifestants, l’un des civils cria « vive la grève ! A bas la guerre ! ». L’autre lui dit : « tais-toi donc, nous pourrions faire repérer notre numéro ». L’obscurité ne permit pas de le prendre, et l’auto, après avoir fait demi-tour, à Ville-en-Tardenois, revint sur Romigny.
Je le répète : le mouvement est absolument révolutionnaire. La force ne peut rien, en ce moment, pour la répression. On peut au contraire, aller au devant des pires dangers. Tous les officiers éprouvent cette inquiétude. Des hommes ont d’ailleurs déclaré que s’ils remontaient aux tranchées, ils passeraient à l’ennemi ! Les plus grandes précautions sont nécessaires pour ne pas laisser éclater l’étincelle, qui peut gagner très rapidement. Il importe que les régiments soient dispersés en des cantonnements éloignés, où il serait possible de les reprendre, de découvrir les meneurs, et d’arrêter subrepticement ceux qui sont déjà connus.
Le bruit cours qu’après une réunion tenue cet après-midi au foyer du soldat du camp par des meneurs étrangers […]120e, 128e et ceux du 23e et 133e, on aurait résolu une nouvelle manifestation pour ce soir. Des affiches manuscrites […] Vive la Paix au nom de […]l’Armée ont été apposés sur des baraques. Hier un soldat étranger affublé de galons de commandant serait passé dans toutes les baraques en félicitant et approuvant les manifestants. »
A la date du 10 juin, une note secrète du Q.G. de la IVè armée informe de l’arrestation des « meneurs principaux » : au 23è, Neyret, Merle, Masset, Guyot, Lassalle, Jacquard. Au 133è : Frayssé, Aubry, Jeannot, Ravaud, Durand, Lacombe, Couvreur, Janin, Hartmann. Au dépôt divisionnaire de la 41è DI : Godinier, Coudeau, Danjean, Gallet, Simonet, Gojon, Renoux, pauvet, Noaillac, Bernard, Bruinet, Pardon, Garel.

Aimé Aubry, né le 3 décembre 1895 à Paris, comptable, célibataire 2è classe au 133è R.I. (déjjà condamné le 28 mars 1916 pour désertion, peine suspendue) : « A été vu en tête de la manifestation puis au premier rang de ceux qui se sont présentés à l’état-major de la division pour exposer les revendications de ses camarades ».

Georges Raoul Fraïssé, né le 25 juin 1885 à Argeliers (Aude), industriel à Paris. « donnait des ordres « Colonnes par quatre en avant ! Ordres qui étaient exécutés sans hésitation ».Réhabilité le 26 juillet 1961 ! en vertu de la loi du 3 janvier 1925...
Antoine Joseph Hartman(n), né le 17 février 1887 à Lyon, célibataire, jamais condamné : « en tête de la manifestation portant un drapeau rouge qui lui a été arraché par son colonel ».
Charles Jeannot, 24 ans, célibataire, sans antécédent judiciaire : »deux jours après, au Fresne, a tenté d’organiser une nouvelle manifestation où cris d’excitation au meurtre et de provocation à la désobéissance ont été poussés, sont condamnés à mort par le CG de la 41è DI, (audience du 12 juin 1917) : « tentative de refus d’obéissance en présence de l’ennemi et de provocation à la désobéissance adressée à des militaires », mentionne un dossier rédigé a posteriori, sans aucune pièce de procédure ni minutes de jugement. Pour Fraïssé et Hartman existe une fiche de décès portant la mention « fusillé ». « Recours en grâce refusé par le général Pétain ». Ces trois soldats et sans doute un 4è non mentionné du 82è R.I. ont été exécutés (champ de tir de Chalons sur Marne) le 19 juin 1917 à 19h au lieu dit Les Gilsons, commune de L’Epine.
A partir de mai, on l’a vu, la demande facultative de grâce à la disposition du commandement n’existe plus. Dès lors, l’envoi des dossiers est automatique et donc les 59 exécutés de mai à décembre sont tous d’initiative politique. En réalité, cette responsabilité ne porte que sur l’exécution de 52 d’entre eux. En effet, le général Pétain a été autorisé de mi-juin à mi-juillet, à décider à son niveau d’exécutions sans en demander la permission au pouvoir politique. Il a usé de cette latitude 7 fois. Les dossiers d’Aubry, Hartman et Fraissé n’ont donc pas été transmis à la présidence, même si Pétain a gracié Jeannot. A en croire ses « Souvenirs », le principal meneur de la révolte du 133è était docteur en droit et rédacteur d’un journal des tranchées, mais comme il ne le désigne pas il se peut que le gâtisme soit passé par là.
Pour une fois, de hauts gradés feront aussi les frais des incidents. Les généraux Mignot et Bulot, les colonels Brindel et Baudrant seront déplacés, les uns pour insuffisance d’autorité, les autres pour abus de pouvoir ayant envenimé les choses.
Une fois la 41è DI évacuée, la 14è vient, le 6 juin,occuper les campements de Ville-en-Tardenois qui vont connaître une nouvelle poussée de fièvre révolutionnaire, à la fois moins spectaculaire et plus violente sous l’impulsion des hommes du Dépôt Divisionnaire qui auraient servi de « courroie de transmission » pour répandre l’agitation aux 42è, 44è et 60è R.I. Ces événements sont très mal connus, les documents de procédure à l’issue des faits s’étant volatilisés. On ne peut les approcher qu’à travers les mémoires du Lieutenant Emile Morin, qui vécut les événements de l’intérieur sans que son témoignage fût jamais sollicité. Celui-ci raconte qu’entendant des cris et des chants interdits, il voit du côté des baraquements de la DD des hommes en armes agitant un grand drapeau rouge. L’ayant aperçu ils se ruent sur lui aux cris de « A la baraque des officiers ! ». Il s’y réfugie sous le sifflement des balles, charge son revolver et sort par une porte latérale, roule en bas du talus :
« Relevé aussitôt, je bondis à l’entrée de la baraque occupée par ma section et là je fais volte-face et, revolver au poing, me trouve devant une troupe hurlante armée de fusils, baïonnette au canon ! Vingt fusils s’abaissent et vingt baïonnettes pointent contre moi tandis que des cris contradictoires s’élèvent : « Arrache tes galons !.. Mets-toi à notre tête ! Nous marcherons sur Paris ; il faut que la guerre finisse ! Nous en avons marre de nous faire massacrer pour rien ! A mort les députés !.. A mort les marchands de canons !.. A mort les embusqués !.. La paix !.. La paix !.. Le 42 venez avec nous… Nous avons des fusils !»
Alors s’élève une voix dans la foule des révoltés qui lui sauve la vie en hurlant « Laissez-le tranquille… C’est un bon copain ». Comme il recule à l’intérieur menaçant ses propres hommes de leur tirer dessus s’ils bougent une oreille, et que les pavés déchirent les planches et les vitres, les révoltés incendient des paillasses qui commencent à embraser le baraquement, provoquant la fuite des hommes de la section vers les champs avoisinants où certains passeront la nuit. Les mutins changent alors d’objectif et décident d’assiéger le poste de police.
« Les officiers, entendant la fusillade avaient eu le temps, grâce à ma résistance, de rejoindre le camp. Le commandant Jusselain avait fait mettre une mitrailleuse en batterie et donné l’ordre à un mitrailleur, puis au sous-lieutenant Merck de s’y asseoir, mais tous deux avaient hésité. Alors il s’était assis lui-même à la pièce et avait ouvert le feu, après avoir fait chaque fois les sommations d’usage ». Bilan, (à ses dires) un mort et trois blessés. « Le lendemain, j’apprends aussi que des mutins ont poursuivi le lieutenant Fritschi et l’ont obligé, sous la menace, à arracher ses galons, et enfin que quelques rares soldats du 42è se sont laissés entraîner par les révoltés. » Cinq soldats des 44è et 60è R.I. dont un caporal auraient été déférés devant le conseil de guerre, mais il ne subsiste aucune trace de ce qu’il advint d’eux.

La quadruple exécution de Chacrisse

Joseph Célestin Bonniot du 97ème RI
Né le 22 février 1884, à Clelles. Boulanger à Pellafol (38)
Brigadier le 28 novembre 1915. Caporal au 97ème RI le 12 juin 1916. “ Cassé de son grade et remis soldat de 2ème classe le 8 août 1916 pour avoir tenu des propos démoralisateurs à une personne étrangère à l’armée. ”
Le 3 juin 1917, le soldat Bonniot et environ 120 hommes du 97ème RI refusent de monter en ligne à Braye-en- Laonnois (Aisne). Le 13 juin, il est déféré avec 7 camarades devant le CG de la 77ème DI. 3 sont condamnés. Seul Bonniot se voit refuser la demande de présenter une grâce présidentielle. Son pourvoi en révision est rejeté le 17 juin.
Condamné à mort pour abandon de poste en présence de l'ennemi.
Fusillé le 20 juin 1917, à Chacrise (Aisne), à 8 heures du matin, avec les soldats Degouet, Vally et Flourac.
“Par décision ministérielle du 22 août 1921, a reçu l’application de l’article 18 de la Loi d’amnistie. Amnistié le 22 août 1921. ”

Louis Flourac 


Soldat au 60è BCP, 8e compagnie, Louis Flourac a 24 ans en 1917. Agriculteur à Saint-Ybars près de Pamiers, il est un des 27 mutins exécutés au printemps 1917.
Le 4 juin 1917, sa compagnie reçoit l’ordre de monter aux tranchées. Le capitaine Daigney, commandant de compagnie et les chefs de section donnent immédiatement l’ordre à leurs hommes de se mettre en tenue. Au rassemblement, 19 chasseurs appartenant à la 3è et 4è sections refusent de monter à la tranchée. Les motifs mis en avant (le repos, les permissions) font de cette affaire un cas emblématique des mutineries de 1917 :


Le capitaine ajoute que "ce chasseur avait déjà pris une part active aux deux manifestations des 1er et 2 juin 1917. Sournois et hypocrite, il jouissait sur ses camarades d’un ascendant qu’il employait mal. Il passait à la Compagnie pour un peureux et sans se faire remarquer autrement aux tranchées il n’a jamais fait preuve de courage." Il est donc poursuivi pour "refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi.
Le choix des accusés – 6 sur 19 – fait l’objet d’une enquête après la guerre sur la demande de la veuve d’un des accusés, Charles Vally, le 30 juin 1925. Elle soutient que la désignation s’est faite au tirage au sort. Le capitaine Daigney – auteur du rapport sur Flourac – "déclare tout d’abord qu’il ne fut pas personnellement témoin des refus d’obéissance reproché le 4 juin 1917 aux 19 chasseurs des 3è et 4è sections de son unité, ce groupe se trouvant, ce jour là, sous les ordres du lieutenant Nybelen. Mais il affirme que les faits incriminés donnèrent lieu à une enquête sérieuse faite par ses soins. Il ajoute que "les accusés ne furent nullement désignés par le sort. [...] La désignation de ceux-ci fut faite en tenant compte de leur attitude, de la violence de leurs protestations, de l’influence qu’ils avaient paru exercer sur leurs camarades en tant que meneurs, en un mot de leur plus grande culpabilité."
Flourac comparaît le 10 juin à 17h aux côtés de cinq autres chasseurs de sa compagnie accusés du même crime. Tous nient d’avoir refusé d’obéir. Les chefs de section témoignent à charge. D’autres sous-officiers ou chasseurs sont plus évasifs : les uns n’ont rien vu, d’autres soutiennent que "personne n’a bougé"
Tous sont jugés coupables à l’unanimité des voix et sont condamnés à la dégradation et la peine de mort. Le 17 juin 1917, le recours en révision est rejeté. Pourtant, seuls Flourac et un de ses camarades, Charles Vally, sont exécutés le 20 juin 1917. Les quatre autres voient leur peine commuée en peine de travaux forcés à perpétuité. Riendans les notes d’audience, le jugement ou les dossiers de révision ne permet de comprendre la différence de traitement entre les condamnés.
Certains d’entre eux avaient des antécédents judiciaires à la différence de Flourac et plusieurs avaient été décrits dans les rapports de leurs officiers dans des termes au moins aussi durs. Un fonctionnaire du ministère de la Justice note à propos de cette affaire dans les années 1920 : "Laculpabilité de Vally n’est pas contestable. Sans doute, il paraît peu conforme à l’équité que, dans un cas de mutinerie collective, telle que celle à laquelle Vally a participé, quelques hommes seulement considérés comme les meneurs soient poursuivis et sévèrement condamnés (en l’espèce, à la peine de mort, et exécutés) mais juridiquement le fait que tous les coupables n’ont pas été punis ne peut servir de base à une instance en révision."
La rapidité du jugement – moins d’une semaine après les faits –, les zones d’ombre dans le choix des accusés – six sur les dix-neuf mutins – et la différence de traitement entre les accusés témoignent d’une justice militaire qui renoue avec des pratiques en vigueur durant les premiers mois de la guerre.
Louis Flourac fait partie des 27 fusillés sur plus de 500 mutins condamnés à mort.
"L’an 1917, le 20 juin à 5 heures, nous Guyot Amédée, sergent commis greffier  près le conseil de guerre de la 77è division d’infanterie [...], nous nous sommes transportés à Chacrise pour assister à l’exécution de la peine de mort avec dégradation militaire prononcée le 12 juin 1917 par ledit conseil de guerre en réparation du crime de refus d’obéissance en présence de l’ennemi contre le nommé Vally Charles du 60è bataillon de chasseurs à pied, né le 8 février 1892 à Raon-l’Etape (Vosges). [...] Arrivé sur le lieu de l’exécution, nous greffier soussigné, nous avons donné lecture au condamné en présence de M. le commandant Ducimetière, juge audit conseil de guerre [...]
Arnould Paul, 60è BCP, 20 juin 1917, après l’exécution de Chacrisse :
"L’émotion était tellement forte chez moi que je n’ai pu manger de la journée. Ce n’était pas leur mort [...] puisque j’en vois tous les jours aux tranchées, mais c’était la chose d’avoir tiré dessus, tiré sur les pauvres copains que je connaissais depuis 2 ans."


Jean Marie Victor Cadot, né le 6 avril 1889 à Saint-Loup-de-Varennes (Saône et Loire), manœuvre à Châlons-sur-Saône, célibataire, chasseur au 4è BMILA
1er CG de l’Amalat d’Oujda (audience du 20 mars 1917) : Procédure suivie contre les chasseurs Cador, Jules Romary (TF à perpétuité, commués le 24 juin 1922 en « un jour de prison ») et Jean Dureisseix (10 ans de TP) sous l’inculpation d’outrages par paroles, gestes et menaces envers un supérieur pendant le service, et, en outre pour les deux premiers « tentative de voies de fait envers un supérieur pendant le service ».
« Le 1er octobre 1916, vers 7h30, deux voitures mobilisées dont l’une chargée de munitions, faisant partie du convoi régulier de Colomb-Béchar(sud-oranais) à Bou Denib (Maroc), étaient arrêtées, enlisées entre colomb Béchar et El Mosra (Algérie), au passage dit « de la dune ». Le capitaine de Charnacé, du 5è spahis, commandant le convoi, plaçiat à la garde de ces deux charrettes, le caporal Sautereau, du 4è BMILA et son escouade de 12 hommes ainsi que deux spahis, agents de liaison. Ils devaient attendre les animaux de renfort que le capitaine allait leur expédier et protéger et escorter les charrettes jusqu’à El Mosra, où le convoi devait camper. Le caporal Sautereau prenait les dispositions suivantes : sept chasseurs étaient détachés en avant et sur les flancs, un chasseur derrière et lui-même à la garde immédiate des voitures, avec les chasseurs Ulmann, Cadot, Romary et Dureisseix. Les renforts envoyés par le commandant de convoi arrivaient vers 16 heures 30. Une demi-heure après les deux charrettes et leur escorte avaient repris leur marche, après une discussion provoquée par Cadot, Romary et Dureisseix, au sujet de la nourriture, et au cours de laquelle ces trois chasseurs avaient outragé le caporal Sautereau de ces mots : « Grosse vache, sale tante, enculé ; c’est toi qui manges tout. Tu as mangé avec le sergent trois cent francs de l’ordinaire ». Vers 17h30 ces mêmes chasseurs s’obstinaient à ne pas prendre dans l’escorte la place que le caporal leur avait assignée, celui-ci les invitait à s’y placer. Les trois chasseurs Cadot, Romary et Dureisseix l’accueillent de ces mots : « Qu’est-ce que tu viens nous faire chier, grande vache, emmanché, enculé ! On a assez vu ta sale figure » Cadot ajoute : « Et puis tiens ! Je vais te descendre ». Mais chacun d’eux revendique le privilège de faire feu sur le caporal Sautereau. Et Dureisseix, prenant le bras de Cadot, lui dit : « Non ! c’est moi qui vais le descendre ». A son tour Romary intervient : « Laissez cela ! Dit-il, c’est mon affaire ! » Cadot s’est dégagé. Il charge son arme et fait feu sur le caporal qui n’est qu’à environ deux mètres de lui [« Vous n’avez pas de couilles pour tirer, c’est moi qui vais le faire » selon l’un des muletiers]. La balle l’effleure presque, mais il ne touche pas. Le chasseur Ulmann avait vu le geste de son camarade et d’un revers de main avait pu faire dévier l’arme à temps. Dureisseix se retirait, Romary également, mais à cinq mètres, ce dernier qui venait de charger son fusil mettait à son tour le caporal en joue. De nouveau Ulmann intervenait et prenant Romary à bras le corps, mettait fin au drame. Le caporal Sautereau montait alors sur une voiture et se plaçait sous la protection des muletiers et du maréchal-ferrant qui chargeaient leurs mousquetons. Un quart d’heure après, Cadot, comprenant enfin la gravité de l’acte qu’il venait de commettre s’approchait de son supérieur : « Caporal, lui dit-il, vous ne m’avez jamais rien fait et je ne vous en en veux pas. J’ai fait cela dans un moment de colère et j’espère que vous laisserez ça là. » Le caporal n’ayant pas paru accepter cette solution, Cadot lui criait ; « Si on ne t’a pas eu ici, on t’aura autre part, grosse vache ! » A 19h30, voitures et escorte au camps d’El Mosra. » Admettons que ce rapport romanesque -qui reprend mot à mot les déclarations de sautereau-, soit en quelques points (le dernier paraissant des plus douteux) le reflet de la vérité.
« Cadot fut condamné 4 fois pour vols et une 5è fois pour contravention aux règlements de régie. Romary, 15 fois pour coups et blessures, outrages publics à la pudeur, menaces de mort, bris de clôture, vol et rébellion, et deux fois par des conseils de guerre, pour destruction d’un fusil et abandon de poste, Dureisseix, une fois pour vol civil et une fois pour vol militaire. »

Interrogatoire Cadot : « Nous n’avions pas mangé depuis la veille, c’est depuis 24 heures. Nous avons su, en arrivant à la charrette, où il se trouvait, que des spahis avaient apporté du pain, de l’eau et du chocolat pour tous. Nous avons réclamé notre droit ; non seulement le caporal ne l’a pas fait, mais il nous a outragés et nous avons répondu… Il était ivre au moment où nous réclamions à manger. D’ailleurs il est connu comme mauvais sujet et brutal. Il a frappé trois hommes, pendant que nous étions en prévention de conseil de guerre ».
Romary : « Comme il gardait encore pour lui un bon quart de pain et deux barres de chocolat, nous lui fîmes observer qu’il ne pouvait pas avoir plus de droit que nous. Le caporal nous insulta alors nous traitant de pierrots, de piliers de prison, ajoutant qu’il avait assez de nous. En ce qui me concerne je lui ai répondu en le traitant d’emanché (sic) qu’il sortait de centrale comme moi et qu’il ne valait pas plus que moi… le caporal Sautereau que j’avais connu comme 2è classe au 8è groupe spécial au Kreider est un violent, brutal, qui a même frappé trois hommes du 7è bataillon d’Afrique du 12 au 17 décembre 1916 à Belibila, les chasseurs Bernier, Gerardin et Idou. »
Recours en révision (Cadot), rejeté le 26 mars 1917, recours en grâce rejeté le 18 juin 1917. Caqdot est fusillé au Terrain d’aviation, Oujda (Maroc) le 20 juin 1917, à une heure inconnue.

Gustave dit Maréchal Gaston Hatron, né le 17 février 1898 à Saint-Ouen dans la Somme, soldat au 23e R.I., célibataire, sans antécédent judiciaire, 19 ans (mineur)
Engagé volontaire pour la durée de la guerre le 08 janvier 1915 à la mairie de Belley, évacué blessé de Curlu (80) le 14 septembre 1916, rentré le 28 octobre 1916, condamné par le Conseil de Guerre de la 41e Division dans sa séance du 18 juin 1917 à la peine de mort avec dégradation militaire pour " tentative de refus d'obéissance en présence de l'ennemi et provocation à la désobéissance".
Partisan actif des manifestations pacifistes et révolutionnaire des 1er et 2 juin 1917 à Ville-en-Tardenois, Maréchal Gaston Hatron a « manifestant de la première heure, le premier déployé le drapeau rouge en tête des manifestants du 23è R.I., en présence de son colonel, et a refusé de lâcher cet emblème révolutionnaire,malgré les injonctions de son chef de corps. On dut lui arracher des mains. » (Rolland) Il fait partie des 95 mutins déférés devant le conseil de guerre de la 41e D.I. le 18 juin 1917, seul condamné, recours en grâce présidentielle transmise mais refusée. Aucune trace de procédure officielle, seule demeure sa fiche de décès.
Hatron est fusillé à 19 h à L'Épine (51) le 27 juin 1917 au lieu dit Les Gilsons, champ de tir de Chalons. Evidemment non réhabilité, même son acte de naissance reste introuvable.



Les 4 de Rarécourt


Adolphe Le François, né le 17 janvier 1878 à Londres (Angleterre). Marié,sans enfant, il travaille comme journalier à Marseille.
Engagé volontaire à Tunis le 1er juin 1899, il sert successivement au 1er régiment étranger, 4è, 15è, 8è, 23è R.I. (en Algérie, au Sahara, à Magadascar). Soldat à la 1ère compagnie du 1er bataillon du 129è R.I., il prend part aux plus importantes batailles de 1914 et 1915 (Charleroi, Guise, La Marne, l'Artois). En 1916, il se trouve dans le secteur meurtrier des Eparges et participe à la bataille de Douaumont, dans laquelle le 129è paye le plus lourd tribut en hommes. Il participe activement aux manifestations pacifistes qui éclatent au sein des 129è et 36è R.I., les 28-30 mai 1917, au hameau de Léchelle (Aisne). Adolphe Le François s'y révèle comme l'un des principaux meneurs. Alors que les soldats du 1er bataillon tentent de propager le mouvement aux autre bataillons du 159è, 36è, 74è et 274è R.I., un quart du 2è bataillon du 129è qui cantonne à Poisy se joint à la manifestation qui prend la direction de Missy-aux-bois ou cantonne le 3è. Devant la menace d'une extension du mouvement de protestation déjà fort avancé, le commandement prend la décision le 30 au matin d'éloigner les mutins du 129è en les faisant embarquer en camion pour Roye dans la Somme, ce qui met un terme à l'insurrection. 22 soldats du 159è sont finalement déférés le 20 juin 1917 devant le CG du QG de la 2è armée, jugement pour lequel est ordonné le huis-clos, en raison de la dangerosité pour l’ordre public, à Heippes (Meuse) : Dehais, Lagnel, Dieudegard (caporal), Marie (caporal), Héron (caporal), Grand, Gilbert, Leroy (caporal), Houdeville, Gand, Guérin, Delaire, Cavernes, Cabeit, Grouy (clairon), Bisson, Thouant, Mielly. Tous écroués à l’atelier de TP de Bougie, donc déportés en Afrique du Nord (peines de 5 à vingt ans de TF ou TP)


Extraits du long rapport (lui-même citant des extraits du rapport d’origine) produit en 1935 pour le tribunal de Rouen - n’oublions pas que c’est l’ennemi qui raconte- :
Le 27 mai 1917, jour de la Pentecôte, le 159è R.I. occupait dans l’Oise les cantonnements de Saint-Ouen, Busserol, Chavez, Montapin etc. dans les environs de la Ferté-sous-Jaurre… Les camions automobiles enlevèrent cette unité dans les cantonnements de Chazelles, pour le 1er bataillon, de Pleizy pour le 2è… de Missy-au-Bois pour le 3è… Il ne semble pas douteux, d’après le rapport du Colonel Boucher… que la soudaineté du départ le jour de la Pentecôte mécontenta tout le monde ; que des femmes et des enfants avaient fait le voyage de Paris dans l’espoir de passer les deux jours de fêtes avec leur mari ou leur père… Cette cause à elle seule n’est pas suffisante… il faut rechercher les causes de ces manifestations tout d’abord dans le mauvais état d’esprit résultant de l’échec de l’offensive du 16 avril, à laquelle le régiment qui se croyait appellé à prendre part comme troupe de poursuite a subi une profonde déception, car, prenant ses désirs pour des réalités, il avait estimé que cette offensive donnerait des résultats décisifs pour la fin de la campagne [cette littote étant destinée à masquer l’incompétence du commandement] . Enfin les buits les plus divers avaient couru… Les permissionnaires avaient notamment rapporté que des grèves importantes avaient éclaté dans certaines grandes villes et à Paris [ce qui n’était pas un bruit mais une réalité], où des femmes avaient été tuées par des soldats annamites qui, d’après les ordres du gouvernement, avaient fait usage contre elles de mitrailleuses. A ces causes extérieures qui semblent être manifestement le résultat d’une campagne voulue et concerté non seulement au 129è, mais dans d’autre régiments étrangers à la 2è armée, il convient d’ajouter d’autres causes de démoralisation tenant à la durée de la guerre, à la lassitude qui en a été le résultat… Il était fatal qu’au cours de semblables manifestations organisées, des paroles des plus blâmables fussent prononcées ; les projets les plus criminels envisagés. Sans pouvoir rapporter mla preuve absolue que ces manifestations aient pour but la marche sur Paris, on est obligé de reconnaître que cette éventualité a été envisagé (sic)… Il n’a pas été possible de préciser si les mnifestations ont été spontanées ou...provoquées par des circonstances extérieures, par des conseils, des provocations venues de l’étranger ou de personnes n’appartenant pas à l’armée. Il est même assez difficile de se prononcer sur le point de savoir si les manifestations ont pris naissance au 159è, ou aux compagnies divisionnaires du génie (3/3, 3/4, 3/16) qui étaient cantonnées à Léchelle, comme distante environ d’1 km de Chazelles et dans laquelle les hommes du 1er bataillon du 129è étaient allés dans l’après-midi du 28 mai chercher du vin, car le seul débit de leur cantonnement était fermé. D’après certains indices, il semblerait qu’une manifestation grave aurait eu lieu dans cette commune. On a parlé du drapeau rouge qui aurait été sorti, de l’internationale qui aurait été chantée… Il semble qu’un homme qui appartenait au génie aurait pris la tête d’un cortège avec un képi recouvert de l’étoffe rouge des signaleurs. Quoiqu’il en soit, à la suite de ce meeting de soldats, un cortège de manifestants se forma. Les hommes, 150 à 180 environ, appartenant au 1er bataillon, se dirigèrent en colonne vers 19h30 au cantonnement de Chazelles… Quelques instants après une colonne d’environ cent hommes débouchait sur la route. Le Commandant les arrêta, leur demanda à quoi rimait cette manifestation. Les réponses partirent du milieu du groupe. « Nous ne voulons plus aller aux tranchées ; nos femmes meurent de faim. Des Annamites tirent sur elles pendant que nous nous faisons casser la gueule. La révolution russe a fait rater l’offensive du 16 avril. Le Gouvernement aurait dû répondre aux offres de paix des Allemands ». Le Commandant leur donna l’ordre formel de se disperser… Les hommes se dispersèrent par petits groupes et rentrèrent au cantonnement… Toutefois ce calme était plus apprent que réel, et le bruit se répandit parmi les officiers que les hommes devaient le lendemain, partir de leur cantonnements vers huit heures, afin de s’entendre avec les militaires des autres bataillons pour organiser une manifestation collective. (…)
Le 29 mai vers 8 heures du matin, malgré les mesures de surveillance prises par le commandement, une partie des hommes du 1er bataillon parvint à échapper à l’action de ses officiers, tout en gardant d’ailleurs vis-à-vis d’eux une attitude correcte et déférente. De petits groupes se formèrent et bientôt un cortège de 250 hommes se dirigea vers Ploizy, dans le but d’entraîner le 2è bataillon. Ces hommes pénétrèrent dans les cantonnements, engagèrent les hommes du 2è bataillon à faire cause commune avec eux et à se joindre au cortège.(…) A Ploizy… les hommes en immanse majorité avaient refusé de suivre et avaient déclaté qu’on verrait après la soupe ; la plupart des hommes du 1er Bataillon avaient alors quitté Ploizy pour se diriger vers Missy-aux-Bois où était cantonné le 3è Btn. Après la soupe, c’est à dire vers 10h1/2 ou 11h, un clairon du 2è Btn sonna le rassemblement à Ploizy. A cette sonnerie les manifestants se réuniurent et « glissant dans les mains de leurs chefs » , quittèrent leur cantonnement en colonne et rejoignirent à Missy-aux-Bois les manifestants du 1er Btn. Vers midi, les trois bataillons du régiment, à l’exception d’un certain nombre de soldats ayant conservé la compréhension de leur devoir, étaient réunis et redescendaient à Chazelles, formant un groupe d’environ un millier de manifestants. Les hommes des 2è et 3è Btn restèrent dans les bois environnants le cantonnement, tandis que les hommes du 1er Btn mangeaient la soupe. (…) Vers 14h, un homme ayant réussi par ruse à s’emparer du clairon du poste de police, fit entendre la sonnerie du rassemblement, à la suite de laquelle les hommes se réunirent sur la route dans la direction de Bercy-le-Sec, dans le but d’aller débaucher le 36è régiment ; le rassemblement eut lieu dans le plus grand ordre, par Cie et par Btn. La colonne comprenait environ 860 hommes, sans compter quelques traînards ou timides qui marchaient à une certaine distance. Un certain nombre de discours furent prononcés,Les uns prêchaient le calme, semblant indiquer de la part des manifestants une organisation voulue et combinée ; d’autres discours au contraire, avaient nettement pour but de prêcher le désordre. La colonne des manifestants fut rencontrée dans l’après-midi par le général Lebrun, commandant le C.A. qui s’efforça de ramener le calme dans les esprits, supplia les hommes de ne pas se livrer à des manifestations stériles. Le général, d’après les dépositions de certains témoins, aurait été particulièrement ému en voyant ses efforts restés sans succès… Enfin les hommes des 1er et 2è Btns, dont un certain nombre portait de fleurs rouges et était muni de badines fraîchement écorcées, se présentèrent au cantonnement du 36è R.I. Il est évident que celui-ci était averti de ce qui devait se passer et que la fusion entre les deux régiments eut lieu sans la moindre difficulté. De nombreux discours furent prononcés et parmi les orateurs, plusieurs excitèrent les hommes à se réunirent (sic) le lendemain pour marcher en armes sur Paris afin de prêter assistances aux grêvistes, se présenter devant le parlement et lui faire connaître les revendications des mutins. Il fut convenu que le lendemain tout le 36è et le 129è se réunirait à nouveau et irait débaucher le 74è. Mais l’autorité militaire, tenue au courant de ce qui s’était passé rendit impossible l’exécution des projets formés par les mutins en faisant embarquer le 30, pour une destination inconnue, tout le 129è R.I. Quelques difficultés, quelques actes d’indiscipline, d’ailleurs isolés, se produisirent au moment de l’embarquement. Toutefois, grâce à l’énergie des officiers, le régiment tout entier embarqua dans les camions. En cours de route, certains hommes rencontrant d’autres troupes au cantonnement firent le geste des « mains retournées ». Enfin, le régiment fut embarqué par chemin de fer, en gare de Roye, le 31 mai , à 7h. Quelques actes d’indiscipline semblent encore avoir eu lieu. Mais on peut dire qu’à partir de ce moment, tout véritable mouvement était étouffé à ce régiment.
Charges résultant des faits établis à l’encontre des quatre condamnés à la peine capitale :
Caporal Lebouc : … sergent cassé pour « absence de son poste comme chef de poste » a pris part à la manifestation de l’après-midi du 29 mai. Il prétend avoir suivi la colonne tout à fait à l’arrière ; mais de la déposition du sergent Laymer, il résulte qu’il eut un rôle tout autre et plus actif. Le sergent affirme en effet l’avoir entendu dire : «  C’est moi qui avait le groupe de la 6è Cie » voulant indiquer par là que dans la colonne, il était à la tête des hommes de sa Cie… Le 30 mai au matin, lors de l’embarquement, il est allé dans les divers cantonnements pour engager les hommes à refuser à s’embarquer. Il a été vu alors par les sous-lieutenants Renard et Gaulier. Ce dernier l’a entendu dire : « On n’embarque pas ; la 6è est restée couchée ».
Chemin : Le soldat Chemin et les soldats Gand et Guérin se sont particulièrement compromis et ont été les chefs du mouvement de leur compagnie, la 5è. Le capitaine Lemaître, commandant la Cie, déclare en effet, les avoir vus montés sur un talus et appelant leurs camarades, leur faisant des gestes d’appel et les incitant à les suivre. Ils étaient à la tête d’un groupe que le capitaine lemaître tenta d’arrêter, et ils furent les premiers à violer ses ordres… Chemin est un mauvais soldat. Il a 23 ans, est cordonnier de son état et son casier judiciaire témoigne de sa mauvaise conduite. Confié à l’assistance publique à la suite d’acte de mendicité, il a été envoyé en correction jusqu’à sa majorité pour s’être rendu coupable de vol domestique. Enfin, il a été condamné le 13 juin 1916 par le CG de la 5è DI à 10 ans de TP pour abandon de poste et désertion en face de l’ennemi.
Mille : Il est bachelier-ès-sciences, a préparé l’examen de capitaine au long cours et a voyagé. A Paris il était caissier aux Galeries Lafayettes. C’est un homme intelligent, mais d’un moral déplorable, de tendances nettement anarchistes. Il ne conteste pas la par qu’il a prise à cette manifestation qu’il semble pleinement approuver… Il dit hautement qu’il est las de la guerre, n’a aucune confiance en la justice de son pays, et désire évidemment sincèrement « que les ferments de misère soient actifs pour notre intérêt commun »… Il ne manifeste aucun repentir de sa faute mais s’en glorifie.
Le François : Ce soldat de la 1ère Cie est condiféré par son capitaine comme particulièrement suspect ; s’est signalé au cours des manifestations notamment aux réunions avec le 36è R.I. A pris la parole (deux fois), parlant avec grande violence. Il résulte des déclarations des témoins… qu’après être allé» à Léchelle le 28, il avait pris la parole et déclaré qu’il fallait dès le lendemain débaucher les autres bataillons et « faire du patin ». C’est également lui qui, au cours de la jounée du 29, alors que le 129è et le 36è avaient fusionné, prenait de nouveau la parole pour dire qu’on était victime du Gouvernement, qu’on faisait tirer sur la foule par des Annamites… qu’il fallait marcher suir Paris et que le 36è les accompagne. Cet inculpé est certainement un des meneurs les plus dangereux des manifestations qui se sont produites. »
Marcel Arsène Chemin, né le 3 septembre 1894 à Collonges-au-Mont-d’Or, célibataire, cordonnier à Lisieux
Marcel Jules Gilbert Lebouc, né le2 janvier 1893 à Nantes, marié, un enfant, couvreur à Rouen
Henri Mille, né le 29 août 1884 à Darnétal (Seint Inérieure), célibataire, caissier-comptable à Paris 10è, et Le François sont condamnés à mort pour "abandon de poste et refus d'obéissance devant l'ennemi". Il sont fusillés le 28 juin 1917 à 4h40 à la sortie nord de Rarécourt (Meuse) et enterrés hâtivement dans le cimetière communal. Recours en révision rejeté le 15 juin. Un réexamen de leur cas est demandé par le ministère de la guerre le 9 juillet 1935, alors que le délai pour la révision expire le 14 juillet de la même année.



Edouard Emile Louis est né à Maintenon le 20 février 1889. Emile est recensé en 1901 et 1906 au hameau de Saun ;  sa famille compte 6 enfants. Il aurait été en réalité élevé par sa grand-mère jusqu’à l’âge de 14 ans, puis "livré à lui-même". A l’âge de 20 ans il exerce la profession de garçon de restaurant.
Il est incorporé au 13e régiment de cuirassiers. Manquant à l’appel le 14 juin 1911, il est déclaré déserteur. Il se présente au poste de police du 2e régiment de cuirassiers à Paris au mois de juillet. Il est alors condamné à 1 an de prison avec sursis, pour désertion en temps de paix. Il rejoint le 13e régiment de cuirassiers. Il est à nouveau condamné à 1 an de prison avec sursis, cette fois pour complicité de vol militaire. Il obtient une remise de peine de 6 mois. En mars 1913 il incorpore le 5e, le 1er puis le 4e bataillon d’Afrique en campagne au Maroc. Le certificat de bonne conduite lui est refusé. Il passe dans la réserve en mai 1914 et est maintenu sous les drapeaux jusqu’au mois de juin.

A la mobilisation, alors qu’il réside à Mamers dans la Sarthe, il est rappelé et affecté à la 3e compagnie du Groupe Spécial. Il est blessé par balle à Roclincourt (Pas-de-Calais) et soigné à Angers. Il passe au 115e régiment d’infanterie le 10 avril 1915 et est promu caporal le 23. Au mois de mai il passe au 8e régiment d’infanterie. Au mois de juin, dans l’Aisne, le 8e régiment reprend aux Allemands des tranchées de première ligne, dans le secteur du Bois de la Mine et du Bois Franco-Allemand. La bonne conduite d’Emile Louis lui vaut une citation à l’ordre de la brigade (12 juin). Décoré de la Croix de guerre, il est promu sergent. Au mois de septembre suivant le 8e régiment est cantonné à Guyancourt (Yvelines). Emile Louis demande un laissez-passer ; il souhaite préparer un mariage par procuration. Le laissez-passer lui est accordé. Le 9 octobre, à Ville-d’Avray, il épouse Marie Taulet, couturière de 16 ans. Il est mentionné sur l’acte de mariage qu’Emile Louis est sergent au 115e régiment d’infanterie, décoré de la Croix de guerre et de la médaille coloniale. Il est domicilié chez ses beaux-parents. Le procureur de la République de Versailles a accordé une dispense de publication et de délai.
Emile Louis ne regagne pas son régiment mais il se rend à Mamers et se présente volontairement au dépôt du 115e régiment. Poursuivi pour désertion et abandon de poste, il est condamné à 60 jours de prison ; une ordonnance de non-lieu lui permet de rejoindre le 8e régiment le 8 décembre. Il est cassé du grade de sergent et, soldat de 2e classe, il est affecté à la 10e compagnie.
Le 8e régiment tient toujours ses positions au Bois-des-Buttes, au Bois Franco-allemand et au Bois de la Mine. La compagnie dont fait partie Emile Louis se trouve en soutien au bois de La Sapinière, à 500 mètres de la première ligne qui est elle-même, dans le secteur du Bois de la Mine, à quelques mètres des Allemands. Emile Louis, considérant que le secteur est "calme", abandonne son poste. Plusieurs raisons l’auraient poussé à cet abandon. Il évoque la contrariété de ne pas avoir changé de régiment après sa cassation. Il aurait reçu des menaces de la part de ses camarades : "ils m’ont dit que puisque j’étais soldat de 2e classe comme eux, ils me feraient la peau". Il affirme lors d’un interrogatoire avoir rejoint son ancien sergent-major qu’il lui devait une somme d’argent, reliquat de sa solde de sous-officier.
Il est arrêté le 20 janvier 1916 à Ville-d’Avray et est retenu à Versailles, au dépôt du 41e colonial, d’où il réussit à s’enfuir, pour retrouver son épouse "qui (le) menaça de demander le divorce". En fait il quitte les Yvelines pour la Loire-Atlantique. A Nantes il est employé officiellement comme courtier. En fait il vend des bicyclettes volées. Il serait "le chef d’une bande voleurs, ou du moins un membre de cette bande". Arrêté pour ce motif et pour vol d’argent au préjudice de son beau-frère à Ville-d’Avray, il est transféré à la prison de Poitiers. Il est condamné à un an de prison. A Poitiers, il organise avec deux complices une évasion. Lors de leur fuite l’un de deux complices tue un gendarme ; les deux hommes réussissent à s’enfuir tandis qu’Emile Louis est rattrapé. Il est transféré à Versailles où, le 24 août, il est condamné par le tribunal à 6 mois de prison pour vol. Le 17 septembre 1916, il adresse une lettre au procureur de la République de Versailles : "je suis déserteur. Je désirerais passer au Conseil de guerre pour retourner au front rachetez ma faute par une bonne conduite. J’ai déserté à la suite d’une cassation de mon grade".
Cette fois il est transféré dans la Somme, afin d’être présenté devant le conseil de guerre. Il est soigné à l’hôpital militaire de Châlons-sur-Marne pour gale. Bien qu’ayant été signalé comme individu dangereux, il n’est pas surveillé. Entré le 13 octobre, …il s’enfuit le 30. Arrêté à Epernay, il est ramené à Châlons le 4 novembre… et s’enfuit à nouveau. Un mandat d’arrêt est lancé contre lui. C’est finalement à Paris qu’il est arrêté, porteur d’un livret militaire au nom du soldat Lequeux, aumônier à Nantes. Le livret, tout comme la permission qu’il présente, a été volé et falsifié. Emile Louis est également accusé de vol de bicyclette. Il est détenu à la Santé à partir du 8 décembre 1916. Lors d’un interrogatoire en date du 19 mai 1917, il "demande à être renvoyé au front si c’est possible pour racheter (s)a faute". Jugé par le conseil de guerre de la 2e division d’infanterie à Ramerupt dans l’Aube le 24 mai suivant, il est condamné, à l’unanimité, à la peine de mort. Les chefs d’accusation retenus contre lui sont abandon de poste en présence de l’ennemi, vol d’un livret individuel, falsification et usage d’une permission. Il aurait également été recherché par le conseil de guerre du Mans comme témoin dans une affaire d’espionnage concernant un sous-officier d’origine allemande.
Emile Louis se pourvoit en révision. Le pourvoi est rejeté le 2 juin. Il demande un recours en grâce, rejeté par le président de la République le 27 juin. Il est exécuté le 28 juin, à Saint-Brice en Seine-et-Marne.


espion fusillé à Reims (1917?)

Civils




Marguerite Francillard est la première espionne fusillé à Vincennes, le 10 janvier 1917. Aucun élément officiel de procès n’existant dans les bases de données, on la connaît généralement par la photo spectaculaire de sa mort.



Modeste couturière à Grenoble, devient la maîtresse d’un espion allemand basé à Genève. Elle se déplaçait à Genève pour faire passer les messages que lui remettaient les espions allemands en France. Sentant qu’elle était suivie par des agents français, elle disparut mais elle fut vite repérée à Paris. Elle continuait à porter les messages à Genève. Elle fut arrêtée ainsi que ses fournisseurs allemands.
Après la messe dans la chapelle de la prison, l'abbé Geispitz lui fit promettre de prononcer devant le peloton d'excution les paroles suivantes : "Je demande pardon à Dieu et à la France. Vive la France!" Mais elle ne put que bafouiller quelques bribes de la phrase, à voix basse.



Maria Liebendall (épouse Gimeno de Sanchis), née le 27 mai 1887 à Düsseldorf.
Active à Nice et à Marseille, maria Liebendall est accusée d’avoir fourni aux autorités allemandes des renseignements militaires, et notamment dans le courant de l’année 1915 d’avoir tenté de procurer des renseignements concernant l’appel et l’entrée en campagne des jeunes gens de 18 ans, le départ des troupes pour le front et le corps expéditionnaire d’Orient, l’emplacement de forts et de poudrières aux environs de Nice, en les remettant à la dame Lebrun qu’elle croyait être un agent chargé de les communiquer au service de l’espionnage. (Voir affaire Pfaadt)
CG de la Xvè région. Exécutée à Marseille Champ de tir du Pharo le 16 janvier 1917

Jeannette Antoinette Dufay, née le 25 novembre 1870 à Paris 11è, trois enfants, femme de chambre à Francfort sur le Mein (Allemagne) avant la guerre
De père français et de mère allemande, elle fut femme de chambre dans plusieurs hôtels en France dont l'hôtel Meurisse, en 1915, elle travaille au Grand Hôtel de Mannheim. Espionne active, elle se faisait embaucher, en France, dans des usines d’armement et fréquentait les techniciens et ingénieurs de l’usine. Elle transmettait ses rapports en Suisse. La douane de Pontarlier l’a arrêtée et une perquisition, faite à son domicile, s'est révélée fructueuse
Reconnue coupable CG du gouvernement militaire de Paris (recours en révision rejeté le 9 janvier, en cassation rejeté le 1er février) d’avoir fourni des informations à l’Allemagne en janvier et février 1916 et d’avoir tenté de fournir des informations en juin 1916, son action étant alors déjouée. Ne demeurent que les minutes de ce procès tenu à huis-clos, qui portent mention de l’exécution à
Vincennes le 5 mars à 6h28.



Stephan Tassé, né en 1891 à Egri (Serbie), cultivateur, marié, 2 enfants
Le 18 décembre 1916 vers 15 heures, le cadavre du canonnier Blanc du 105è RAL, parti à la chasse la veille, est trouvé par des cavaliers dans la plaine au nord du village D’Egri-Dolno : selon le Dr Farnanier « La mort est survenue au petit jour du 17 décembre 1916. Elle est due à un très violent coup de fusil servant de massue appliqué par derrière… Nous avons la certitude que cet homme a été assassiné par plusieurs individus… du fait de la constitution robuste de ce canonnier et du fait qu’une balle a été tirée. » L’enquête piétine un certain temps jusqu’à ce qu’elle soir confiée à l’inspecteur Paoli du service de la Sûreté à Monastir :« Nous nous rendîmes à Egri pour enquêter. Le pope et le maire Athanos Dimitri nous ont déclaré qu’ils ignoraient le crime. Ces deux individus connus de longue date comme très dangereux se refusèrent à fournir toute explication... » Mais ils sont renseignés par un certain Bagine Ristoff qui s’étant échappé nuitamment du village vient leur déclaré que le jour du crime les chiens de Stepahne (Stepho) Tassé ont aboyé violemment, provoquant les questions de deux femmes du village au maire qui aurait répondu d’abord « dequoi te mêles-tu ? » puis « le Français a trouvé ce qu’il cherchait ». Pressé de questions le monktar Athanos Dimitri « finit par déclarer que Stephan Tassé avait assassiné le soldat français avec un autre, puis se renferma dans le mutisme le plus absolu. Nous le menaçons du revolver afin d’avoir le nom de l’autre criminel ; il tomba alors en syncope et mourut quelques instant après. Le médecin du QG conclut à une mort due à une affection cardiaque. Il est à retenir que le monktar a désigné Tassé comme le criminel. Stephan tassé est un fanatique bulgare acharné et un criminel habituel ; il a tué sous le gouvernement turc Kristo Tneïtehe et son frère, la fille de Hogna et ne cessait de répéter dans le village que les bulgares ne tarderont pas à retourner. »
CG de la 57è DI, recours en révision rejeté le 20 mars (14 jours après son exécution, mais c’est devenu la coutume en Orient pour les autochtones, seuls les soldats français bénéficiant d’un sursis à l’exécution). Tassé est fusillé à Monastir (Serbie) le 6 mars à 8h.


Vincent Ciro Moni, né le 28 septembre 1874 à Bagni di Lucca (Italie), fabricant de saucissons à Paris.

 
De cette affaire extrêmement compliquée, impliquant des relations entre la Belgique (pays d’origine de Mme Moni et sa mère), l’Italie, la hollande, la suisse, voire l’Espagne et l’Allemagne, reste l’impression que Moni était un grand comédien. Ses déclarations -interminables- devant le3è CG de Paris, paraissent relever d’une improvisation brillante, entretenant le suspense à coups de « et je dirai mieux », inventant des personnages, faisant intervenir des morts, des espions de toute nationalité au signalement extravagant. Ne se paye-t-il pas le luxe de suggérer qu’il soit remis au contre-espionnage italien ? afin de confondre les réseaux ennemis avec lesquels il paraît avoir communiqué autant par chiffre que par écriture sympathique. Une lettre de juin ou juillet 1916 qui lui est attribuée, recense les mouvements des régiments français, dans le Nord, en Alsace, en Belgique, en partance pour les Dardanelles, annonce une offensive conjointe de l’Angleterre et de la France en Champagne pour les 8 ou 9 août 1916, fait était de chevaux reçus d’Argentine et d’Amérique, de la fabrication de canons lourds pour lesquels les munitions manquent encore, des pertes de l’aviation etc. Moni prétend que la plus grande partie de ces informations sont de son invention, comme les filets anti-sous-marins déployés en Sicile, que le peu d’argent que les allemands lui auraient envoyé ne compenseront jamais les pertes de ses commerces, lui qui représentait en Belgique les machines à écrire Monarch, fabriquait à grande échelle de la charcuterie revendue à l’armée belge par des banquiers multi-millionnaires qu’il dénonce avec la plus grande précision… A cela se joint au dossier une foule de lettres de sa femme, en détention au camp de Fleury, bombardant les commissaires de demandes afin de récupérer ses malles conservées par une concierge du Bd des Batignolles qui vend ses effets et réclame des loyers indus, un tel imbroglio qu’il faudrait s’y pencher des mois durant pour en démêler les ficelles. Non compté les dernières lettres de Moni à sa femme et sa belle-mère, confinant à la bigoterie, et dans lesquels les appels à s’en remettre à Dieu cachent sans doute encore des messages qui ont égaré les autorités. Recours en grâce rejeté le 16 mars 1917. C’est probablement par lassitude d’être conduits sur des pistes inexploitables que les autorités se sont décidées à exécuter Moni, remettant sa famille en liberté (pour expulsion après passage après des « camps de triage »), le condamnant pour espionnage et tentatives d’espionnage, donc sans être réellement fixés sur la nature de ses actions. Moni est exécuté à Vincennes le 19 mars à 5h59.

Nicolaï Dose, né en 1872 à Vivitsa (Macédoine) marié, trois enfants, pêcheur et batelier, illettré
Dose a été dénoncé au service de la sûreté de l’Armée Française d’Orient par le pope et le mouktar de Vivica qui l’accusent d’avoir fourni des renseignements à l’armée bulgare sur les effectifs français et d’avoir prêté assistance aux comitadjis bulgares qu’il forçait, par la violence et les menaces, les habitants de la région à ravitailler et à qui il offrait l’hospitalité la plus large dans sa propre maison. Après une enquête assez sommaire (reposant uniquement sur les deux témoignages du pope et du maire), le CG de la 156è DI le condamne à mort le 10 avril 1917.Recours en révision rejeté le 19 avril 1917. Dose est fusillé à Bukovo (Serbie) le 21 avril 1917.


Carafil Djelladine, né en 1881 à Seltcha, marié, 3 enfants, illettré, condamné 2 fois pour vol :
« Djelladine a une très mauvaise réputation. Il passe pour vivre de vols et de rapine. Les habitants de la région l’accusent d’être l’auteur de nombreux assassinats. Djelladine Carafil a été accusé d’avoir à Kucaca, entretenu des intelligence avec l’ennemi en découvrant à l’ennemi un agent du service français des renseignements [Alexis Papajiorackim, épicier à Koritza, réussit à s’enfuir durant son transfèrement à Seltea, ayant surpris une conversation où il était question de l’assassiner ; après avoir roulé dans le ravin avec un de ses gardes, il traversa à la nage le fleuve Dévoli et fut recueilli de l’autre côté par la gendarmerie mobile] . Dans le courant de février 1917, commis une tentative d’embauchage en faisant provoquer le Capitaine Ferid Fasheri de la gendarmerie albanaise, à passer à l’ennemi. »
CG du commandement militaire de Koritza ; fusillé à Koritza (Albanie) le 6 mai 1917, 5h.

Ali Cherafedine, né en 1891 à Florina (Grèce), sans profession
CG de la 156è DI : intelligence avec l’ennemi en Serbie, enrôlements militaires au profit de la Bulgarie(coupable à quatre voix contre une), tels sont les motifs consignés dans les minutes du jugement. Le condamné étant décédé avant la transmission du dossier au conseil de révision, l’action publique est éteinte.
Cherafedine a été fusillé à Bukovo (Serbie) le 31 mai 1917 à 4h.
A travers ces procès expéditifs on voit l’influence du général Maurice-Paul-Emmanuel Sarrail, devenu commandant en chef des armées alliées d’Orient le 16 janvier 1916. Sarrail saisit cette occasion pour exercer une sorte de tyrannie durant laquelle il déposera le roi Constantin en juin 1917. « Le nombre des Macédoniens, des Grecs, des Juifs, des Turcs et des Albanais qu'il a fait fusiller sans jugement, pour des peccadilles est considérable. Par ses soins diligents, les camps de concentration de Zeitenlick et de Mithylene regorgeaient de gens. On y mettait des vieillards, des enfants et on les y oubliait. Sarrail paraissait éprouver une sorte de jouissance à y envoyer des notables (députés, maires, anciens ministres etc.), des religieux (popes, muftis, rabbins). » (source Prisme 1418 ) Le 21 avril, en réponse à la circulaire Painlevé qui oblige à soumettre toute condamnation à mort à l’approbation du pouvoir politique, il émet un télégramme recommandant l’exécution immédiate de tous les condamnés si ce ne sont pas des militaires français :
Donner ordres pour que dorénavant les condamnations à mort pour turcs, bulgares, grecs, etc. soient immédiatement suivies d’exécution. Seuls les soldats français doivent, avant d’être fusillés, avoir leur cas soumis au Conseil de Révision et appel au Président de la République.
Quoiqu’il soit limogé en décembre 1917, ses abus de pouvoir seront récompensés par le commandement de l’armée du Levant en 1924, où il aura toute latitude, à près de 70 ans, de massacrer les Druzes.

Arif Banouche (Soviani), né en 1898 à Starova (Albanie), célibataire, cultivateur, illettré
Arrêté par des gendarmes albanais du contingent français, alors qu’il descend de sa barque sur les berges du lac Malik, Banouche, 18 ans, « après avoir reçu environ 200 coups de bâton, qui lui furent appliqués selon la méthode en usage dans ce pays » cesse de nier : « j’ai été obligé d’avouer que j’avais été chargé d’une mission d’espionnage qui m’avait été confiée, le 16 mars écoulé, après une entrevue avec un certain Illio, agent du service de renseignement autrichien. Le prénommé m’avait versé une somme de dix livres turques en or et m’avait promis un sac de farine de maïs pour me rendre à Sverza où je devais reconnaître la force des effectifs français stationnés dans cette région. Je devais ensuite continuer ma route sur Florina… Si j’ai accepté, c’est à la suite des menaces faites par Illio qui m’avait bastonné et me disait qu’il me couperait en morceaux.».
CG de la 57è DI (9 juin 1917) : Les notes d’audience font apparaître un certain Osman Bacalbachiche, 21 ans, sujet turc, condamné à mort par le CG de la 156è DI, (dont la peine a été commuée par le Général en chef) entendu à titre de renseignement qui explique lorsqu’on lui montre une lettre rédigée par l’inculpé : « lorsque moi-même je pratiquais l’espionnage le mot famille signifiait une unité importante supérieure au régiment. Le nom du fils avait trait à une unité inférieure au régiment… Les phrases ont l’allure d’une lettre missive mais cela ne signifie rien, moi-même lorsque je correspondais avec des agents d’espionnage, je le faisais sous forme de comptes d’épicier. » Mis en présence d’Arif Banouche, il déclare : « Je le reconnais parfaitement, l’ayant vu plus de vingt fois dans les lignes bulgares. » Banouche a lui-même livré trois autres personnes qu’il désigne comme espions, mais qui seront acquittées, seul son témoignage pesant contre elles.
Banouch est fusillé dans la cour de la gendarmerie de Monastir le 12 juin 1917 à 4h.

Hernandez Nicolas Calvo, né le 10 septembre 1870 à Aldea del Obispo (Espagne), débitant de boissons, mercier et vendeur de journaux à Irun
Francisco Serrat, né le 3 avril 1882 à Blanès (Espagne), bouchonnier
Francisco Torres, né la 8 avril 1887 à Barcelone, tailleur d’habits à Bordeaux
Soupçonnés, Jeanne Lay, femme Bonardel, employée aux Dames de France à Bordeaux, Madeleine Jambon, Felipe Beck et Antonio Ruiz, seront remis en libertés faute de preuves.
Serrat est arrêté le 7 septembre 1916 à Bordeau. Lors de la fouille on trouve sur lui une liste de bateaux se trouvant au port de Bordeau (destination, date de départ, nature de la cargaison, armement). Surveillé depuis un certain temps, il se rend fréquemment à Irun pour voir Calvo. Une lettre de la même écriture adressée à Hendaye à l’adresse du délégué de l’Office national de la main d’oeuvre agricole, provoqua l’arrestation de Serrat chez qui fut trouvée une lettre chiffrée et la grille de chiffrement, renseignant également sur les mouvements maritimes. Calvo sera confondu par le témoignage d’un certain Abadia, tailleur à Hendaye, à qui il avait proposé de le renseigner sur les mouvements des ports de Rochefort, La Rochelle, St-Nazaire, brest et Cherbourg et d’en rendre compte à un certain Hermann, ex-consul allemand à Cognac, retiré à St-Sebastian en Espagne. Cet homme accepta d’accord avec un agent du contre-espionnage français avec lequel ils forgèrent des rapports fantaisistes. Un co-détenu de Serrat, Brun, parvint également à lui faire croire qu’allant bientôt sortir il était prêt à travailler pour l’Allemagne. Serrat finit pat avouer devant le procureur de la république de Bayonne qu’il est entré au service de l’Allemagne le 10 ou 12 août 1916, ce qui renvoie le dossier devant la justice militaire.
CG de la XVIIIè région, recours en révision rejeté le 5 avril 1917
Calvo, Serrat et Torres sont fusillés à (Mérignac) Luchey-Halde le 30 juin 1917 à 5h.

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