Cour
des expéditions de la Pharmacie Centrale aux Invalides
Dès l’âge de 10 ans, Sideney est
inculpé de vol pour avoir soustrait de l’argent et une cisaille au
patron chez lequel il était apprenti, et tentative de vol s’étant
fait surprendre en flagrant délit par un autre particulier. En
raison de son âge il est acquitté. Le 30 juin 1875, c’est son
père lui-même qui vient solliciter du commissariat le placement de
son fils en maison de correction jusqu’à sa majorité. A l’âge
de 12 ans, il est à nouveau jugé pour s’être associé à une
petite fille avec laquelle il a volé une partie du mobilier de sa
mère. A 25 ans, on le retrouve, retour du Tonkin, détenu à Dijon
pour filouterie d’aliments. Il paraît néanmoins, comme Fernand
Bulmé avoir laissé un excellent souvenir à la plupart de ses
employeurs. Mais pas à ses débiteurs :
Georges Naninck, bijoutier établi à
Mexico avant la mobilisation (témoihnage 2 décembre 1916):
« J’ai connu Athos à Mexico, il y a 8 ans environ, mais je
ne l’ai jamais fréquenté car je n’aimais pas son genre crâneur.
Il venait me barber parfois pendant une heure à mon atelier… Je
sais, pour ma part, qu’il n’a jamais fait grand-chose. Il était
professeur de culture physique et passaitpour être l’amant d’une
femme riche, mère de ses deux élèves. Il y a trois ans, il m’a
fait fabriquer une bague en or qu’il n’a jamais payée… Je ne
l’ai jamais revu depuis son retour en France. »
Il semble que Fernand Bulmé et Athos
soient devenus inséparables, toutes les anciennes connaissances à
qui il rend visite en France, signalant l’avoir vu en sa compagnie.
Caporal Maurice Jacquemain (22è section
C.O.A.) : « A Mexico Fernand Bulmé et sa femme ont habité la
même maison que mes parents. Fernand Bulmé travaillait
régulièrement mais ne jouissait pas d’une bonne réputation parce
qu’il fréquentait assidûment un voyou nommé Caze, âgé de 28
ans, mal réputé et redouté de la colonie française. La femme
Bulmé avait une conduite légère au su de toute la colonie ;
c’est ce qu’on appelle une femme dévergondée et sa conduite a
provoqué des scènes terribles entre elle et son mari qui parlait
facilement de jouer du revolver ; du reste, elle était crainte
en raison de sa mauvaise langue, déblatérant et salissant tout le
monde. J’ai vu à Mexico les Bulmé et « Athos » se
fréquenter et se rendre souvent au Club Allemand… Vers juin 1914,
j’ai passé 15 jours chez mes parents à Mexico. Je n’y ai pas vu
Paul Bulmé, frère du précédent, mais je sais qu’il y jouissait
d’une réputation déplorable. Il ne se livrait à aucun travail
sérieux ; souvent sans le sou on le voyait tout à coup
dépenser sans compter. »
Paul Bulmé, photo de
l’avis de recherche (Gazette criminelle)
Battier Etienne, 54 ans, chemisier :
« J’ai connu Fernand Bulmé à la Toison d’Or, où il a été
mon second coupeur… Je le sais coléreux et emballé comme son
frère Paul que j’ai connu par lui accidentellement… « Ce
qui m’a toujours déplus dans Fernand, c’est qu’en revenant du
régiment il avait la haine des Officiers disant couramment :
« Ce sont tous des vaches, des vieilles culottes de peau, des
propres à rien, et autres propos antimilitaristes qui amenaient des
altercations entre nous tant j’étais scandalisé. »
Est interrogé aussi, un 3è frère, le
cadet, Félix, en froid avec sa mère et ses aînés pour des
questions de rachats de part d’héritage de leur père, et qui
paraît ne rien connaître de leurs activités, les deux autres
l’ayant depuis son jeune âge surnommé « Père Conseil »,
et s’en tenant écarté pour ne pas avoir à l’informer de leurs
affaires. « Saint-Cloud, le 23 septembre 1916 : maman, Tu
ne veux pas tenir compte de ce que j’ai dit, je ne veux pas que
tu m’écrives. Depuis longtemps, jai rompu avec la famille, tu
le sais, et cependant tu insistes pour chercher un rapprochement.
Inutile de vouloir persister, ma décision est irrévocable. Tu
m’accuses réception de la somme de 22, 50 fr ; par la poste
tu recevras comme de coutume cet envoi de quinzaine… Ton fils,
Félix »
Lettre de Paul, le 24 juillet 1916 à
Arcy-le Franc, à sa mère (saisie au Bureau de poste d’Argenteuil) :
« Un petit mot pour te tranquilliser sur mon sort car il faut
t’avouer aujourd’hui ce que tu sauras demain, ou peut-être le
sais-tu déjà, je suis en ce moment en prévention de conseil de
guerre pour désertion, j’ai été arrêté à la frontière
espagnole. Tu auras la visite d’un gendarme pour savoir si j’ai
bien passé une journée avec toi, tu pourras dire que oui ce qui est
du reste, carans mon interrogatoire j’ai dis que j’avais été
chez toi le soir de mon arrivé de permission, étais reparti le
lendemain soir chez mon frère où j’ai passé une journée avec
lui et suis ensuite reparti pour Marseille. (…) P.S. Je te fais
envoyer en gare Paris Lyon mon sac de voyage, aussitôt que tu
recevras avis de la Cie, tu le feras prendre par Fernand. »
Bellingue rené Samuel, 42 ans ,
représentant de commerce à Courbevoie (26 décembre 1916) :
« J’ai passé à Mexico, il y a six ou sept ans, avec une
troupe qui jouai des pièces. J’y suis resté deux ou trois mois.
J’ai fait à ce moment la connaissance d’Athos qui s’est montré
très aimable pour moi. Il paraissait avoir un pied sérieux dans la
colonie française ; il était professeur de gymnastique dans un
lycée subventionné par notre pays ; bref, j’avais gardé de
lui un très bon souvenir et c’est ce qui vous explique que le
rencontrant au début d’août 1916, à la terrasse du Café de
Madrid à Paris, je n’ai vu aucun inconvénient à lui rendre
service.
D : - Vous avez
été bien imprudent cependant d’acheter aussi des thermomètres à
un individu dont le métier n’était pas d’en vendre.
R : - Que
voulez-vous, la guerre a bouleversé tant de situations net tant de
gens, moi-même par exemple, ont été obligés de changer de métier,
que je n’ai pas trouvé trop étrange qu’Athos m’apporte trois
douzaines de thermomètres… Athos me les avait fait 15 fr la
douzaine et j’ai accepté pour 12 frs… Je ne connais aucun
Bulmé ».
De l’interrogatoire
de M. Binet à Mostaganem, où Sideney est allé le visiter en
janvier 1916, on apprend qu’il « dit n’avoir connu Sideney
que comme artiste gymnaste et sous le nom d’ « Athos ».
Celui-ci avait parcouru tout l’Amérique du Sud pendant une
vingtaine d’année sans exercer d’autre profession que celle de
gymnaste. » Binet était lui-même acrobate sous le pseudonyme
de Bob jusqu’en 1903 et aurait rencontré Athos à Buenos-Aires, en
tant que tel (A l’époque de l’information judiciaire, M. Binet
« sujet doué d’une intelligence très cultivée » est
depuis 18 mois tenancier de la maison de tolérance de la rue des
Jardins à Mostaganem. (Il apparaît que Sydeney s’était
finalement fait renvoyer des lieux par la femme de Binet, car, ayant
noué des relations avec deux pensionnaires de l’endroit, il
faisait baisser les bénéfices). C’est sans doute dans des
activités proches du théâtre que Fernand Bulmé et Athos se sont
rencontrés en 1909, la femme de Bulmé, Pauline, ayant brièvement
présenté un numéro de cabaret où elle était « habillée de
lumières », d’où peut-être sa réputation de femme légère.
Chez M. Binet Athos continue d’entretenir son réseau de relations,
et, quoique fortement intéressé par la révolution mexicaine en
tant que partisan du général Caranza, poursuit une correspondance
suivie avec le « Colonel, gouverneur militaire de Mexico, un de
ses anciens élèves, qui lui a même écrit ici de se présenter au
Consulat du Mexique à Paris, lequel sur le vu de cette lettre lui
remettrait les fonds nécessaires pour son retour ».
Rapport de la P.J.
le 18 octobre 1916 concernant Fernand : « En mai 1916, le
propriétaire ayant prié Bulmé de payer son loyer, ce dernier s’est
mis en colère et lui a tenu des propos anarchiques, entre autres :
« Je fais ke couillon pour 5 sous par jour, on aurait pu me
laisser où j’étais, et vous, propriétaires, attendez !
Après la guerre, vous n’êtes pas sûr si on ne va pas brûlre vos
maisons. »…
Depuis avril 1916,
Sideney faisait de courtes et rares apparitions chez Bulmé. Mais
depuis le 24 juillet 1916, jour du départ de sa femme… dans sa
famille, Athos venait tous les jours matin et soir, séjournant
longuement chez Bulmé avec lequel il avait de longues conversations
en espagnol sur le pas de la porte et dans l’escalier. Dans la
première quinzaine d’août sont arrivées d’Espagne deux cartes
postales au nom de « Blume » au lieu de Bulmé… Les
concierges se souviennent très bien que la première de ces cartes
disait « J’ai reçu vos échantillons, je pars en tournée,
dorénavant écrivez-moi à l’adresse suivante... » et la 2è
parlait s’une somme de 100 frs qui avait été versée à
Sideney. »
Mme Bulmé mère
s’était déjà trouvée avant guerre receleuse d’un grand nombre
d’articles de parfumerie, commandés et impayés par son fils Paul
(mais aucune plainte n’avait été déposée suite à la faillite
de la marque).
Ces renseignements
désordonnés ne paraissent pas former une véritable histoire,
encore moins un récit d’espionnage. Toute cette affaire semble
hésiter entre le commerce au noir d’objets de peu de valeur et le
grand banditisme. Elle paraît impliquer un réseau anarchiste
constitué en Espagne autour de déserteurs (Roquebert) et d’insoumis
(dont Jean Humblot, journaliste et propagandiste qui, expulsé par le
gouvernement espagnol, qui fut inquiété mais relâché),
travaillant pour le renseignement allemand à qui ils transmettent
via Barcelone des messages chiffrés et à l’encre sympathique,
incluant le projet de faire sauter des usines, ou établissements
militaires, dont la Pharmacie centrale, projets avortés qui se
résolvent en vol d’un millier de thermomètres et l’impunité de
l’instigateur de toutes ces entreprises.
Paul Bulmé,
déclaration à la PJ (date inconnue) : « le lendemain, ma
mère nous a fait à tous les trois à déjeuner dans le logement de
mon frère. Ce dernier m’a remis les thermomètres en m’n
révélant la provenance frauduleuse, et m’a conseillé d’aller
les vendre. J’en ai placé six ou sept douzaines chez des
pharmaciens de Boulogne et j’ai remis le prix à mon frère. Le
lendemain, j’en ai encore vendu du côté de la gare de Lyon… Le
soir, Athos, mon frère et moi avons dîné en compagnie d’une dame
prénommée Colette, qui est employée à la pharmacie Centrale et
qui accompagne Fernand quelquefois. »
Paul aurait écoulé
un certain nombre de thermomètres pour payer son passage vers
l’Espagne, et sa mère de se retrouver inculpé, non plus de recel
de marchandise, mais de déserteur : (Paul a été convaincu une
première fois de tentative de désertion, arrêté à l’issue
d’une permission le 16 septembre 1916 à 3h1/2 du matin, alors
qu’il tente de franchir la frontière au Boulou, pour passer en
Espagne, dans l’intention, dit-il de rejoindre Vera Cruz, étant
sans nouvelle de sa femme et de ses deux enfants restés en Amérique
du Sud).
Interrogatoire de
Mme Bulmé, 22 novembre 1916 :
D : - Vous
paraissez avoir vécu dans une communauté assez étroite avec votre
fils Fernand, dans les jours qui ont précédé son arrestation. Or,
il se trouvait chez lui un véritable complot ayant pour but la
destruction de la pharmacie centrale et la désertion de votre fils
Paul. Il paraît difficile que vous n’ayez rien su de tout cela.
R : - … Si
j’avais pu soupçonner quelque chose, je vous donne ma parole
d’honneur que je serais intervenue et que j’aurais empêché ce
qui est arrivé. Tout ce que j’avais remarqué, c’est que Fernand
était, depuis un certain temps, sombre et préoccupé.
Des preuves
matérielles de correspondance entretenues par Sideney avec Roquebert
et la cellule d’espionnage allemand de Barcelone sont mises en
évidence, des flacons d’encre sympathique retrouvés au domicile
d’Athos, des plumes, sont analysées ,on s’interroge sur une
missive signée A. Florentin qui serait de la main de Paul ou (selon
le graphologue plus vraisemblablement) de Fernand, communiquant des
renseignements d’ordre militaire à Athos. Fernand reconnaît
lui-même avoir été en possession d’un flacon d’encre
sympathique donné par Athos, mais la perquisition ne permet pas de
le retrouver même s’il désigne avec précision l’endroit où il
l’aurait caché.
Avis de recherche Roquebert (Raoul, Alexandre)
Athos est surveillé
de très près par la sûreté et filé, dans la semaine précédent
son arrestation, tous ses faits et gestes sont consignés, ainsi que
ceux de ses complices potentiels déjà identifié, ce qui permet
l’arrestation de tous les surveillés en un seul coup de filet. La
dernière cartes adressée par « Alexandre » explique
comment les événements se sont précipités, Sideney étant au bord
du « limogeage » et une date limite ayant été imposée
pour qu’il passe à l’action :
« Barcelone,
le 16 septembre 1916. Cher Monsieur. Après avoir conféré avec la
maison, il résulte au sujet du représentant au Mexique Dumas, votre
ami, 1°) Qu’étant donné le peu d’importance de son chiffre
d’affaire, nous avons décidé de ne plus lui envoyer de fonds. 2°)
Que nous acceptons seulement jusqu’à la date du 20 sept les ordres
pour fournitures pharmaceutiques [la pharmacie doit sauter avant le
20] 3°) Que nous avons déjà fait un dépôt de garantie de la
somme convenue.
4°) Que passé ce
délai nous ne promettons pas de faire la livraison. 5°)Qu’il
veuille bien nous télégraphier l’ordre ferme auparavant. J’ai
le regret d’ajouter que Dumas n’est pas ce qu’il aurait dû
être pour la maison, et que, s’il continue à se comporter de
cette façon, nous serons obligés de le remercier. Veuillez agréer
nos sincères salutations. Alexandre
P.S. M. Raul étant
parti en voyage, écrire à M. Capella. »
En fait, toute
l’affaire se résume à des déclarations d’intention. Les
Allemands auraient-ils payé ? Athos aurait-il pu se procurer
les explosifs et les rapporter à Paris ? Fernand Bulmé
aurait-il eu l’audace de commettre le forfait final ? Rien
n’est moins sûr.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire