Arnold
Maille, né le 26 mars 1890 à Gondecourt (Nord) plafonneur à
Seclin, célibataire, 1er R.I. 28 décembre 1912 : s’étant
fait porter malade se trouvait dans la cour très peu vêtu.
15
févier 1913 : désintéressement complet de la préparation de
la revue
29
mars 1913 : ayant été surpris par le planton à uriner dans la
cour a lancé un coup de poing à ce soldat, a répondu d’une façon
déplacée au caporal de garde qui était intervenu et le lendemain a
menacé le camarade qui l’avait fait punir
3
juillet 1913 : étant de garde, a apporté la nuit son traversin
au poste
20
août 1913 : bousculé par un de ses camarades en prenant place
à table au réfectoire lui a cassé une assiette sur la tête au
risque de blesser grièvement ce dernier
8
mars 1914 : au lieu d’assister à l’épluchage des pommes de
terre est resté dans sa chambrée.
30
avril 1914 : N’a pas assisté à l’épluchage des pommes de
terre
13
mai 1914 : s’est présenté en retard au rassemblement de la
Cie et n’avait pas le pantalon de drap au dessous de ses treillis
27
mai:N’a pas assisté à l’épluchage des pommes de terre
5
septembre : a quitté le rassemblement pour aller cueillir des
raisins dans une vigne située à proximité de la route.
D :
- Que faisiez-vous le 20 septembre à 8 heures 45 dans la ferme
abandonnée par la Cie ?
R :
- J’abattais des noix et je me disposai à suivre la Cie, puis je
me suis couché dans un champ de betteraves, je ne me suis pas rendu
aux tranchées.
D :
- A quel moment êtes-vous revenu à la ferme ?
R :
-Au moment de la grande pluie c’est-à-dire vers onze heures
profitant du mauvais temps, j’ai pensé que je ne serai pas vu de
l’ennemi et je suis rentré à la ferme où je suis resté jusqu’à
16 heures.
D :
- Pourquoi n’avez-vous pas rejoint la Cie.
Pas
de réponse
CG
de la 1ère division d'active (21 octobre 1914) : refus
d’obéissance en présence de l’ennemi.
Maille
est fusillé le 22 octobre à Cormicy (Marne) : « Le
soldat Maille, a été exécuté ce jour à 16 heures. Après le feu
du peloton d’exécution, un coup de grâce a été nécessaire.
J’ai examiné le cadavre et ai constaté la trace de dix balles
ayant traversé la région thoracique ou abdominale de part en part.
Le coups de grâce a été tiré à bout portant, sur la tempe gauche
et est sorti dans la région occipitale droite. Le feu du peloton
d’exécution n’avait pas atteint le cœur. »
En
janvier 1922, Mme Hennio-Maille écrit au ministère : « Ayant
un frère mort fusillé le 24 octobre 1914 à Cormicy, pour quel
motif nous ne l’avons jamais appris, car d’après son décès
arrivée à la Mairie, il nous a été dit qu’il était mort suite
de ses blessures, et c’est d’après les soldats revenus du front
que cette nouvelle nous fut apprise. Mes parents se sont déjà
rendus à sa tombe, il était enterré derrière la ferme des Blancs
Bois à Cormicy, et un avis leur est arrivé qu’il avait été
transféré au Carré Militaire de la Maison Bleue… Son nom n’a
pas été gravé sur la pierre du monument et mes parents ne
reçoivent pas de pension annuelle comme les autres. » Les
relevés récents ne montrent pas que le corps ait été retrouvé.
En 1929, le ministre pose la question à ses services de savoir si
Maille aurait été réhabilité : réponse négative.
Maurice
David Séverin, né le 11 mars 1881 à Francheval (08) sergent au
147è R.I. , 11è Cie
A
l'heure du recensement militaire, en 1901, Maurice Séverin était
employé de commerce. Il vivait alors à Paris ainsi que ses parents.
Il est Sergent lors de sa libération et reçoit le certificat de
bonne conduite. Il change de nouveau de domicile et part pour
Montmédy (55). Il se trouve rattaché au 147è RI où il est rappelé
lors de la mobilisation. Il est affecté à la 11è Cie (3è
bataillon).
Rapport
du capitaine Louis : « Le sergent réserviste Séverin,
cassé de son grade le 18 octobre 1914 pour avoir manifesté le
regret de n’être indisponible que pendant une quinzaine de jours à
la suite d’une plaie par balle à la main gauche, et remis soldat
de 2è classe à la 10è Cie, a été blessé dans les circonstances
suivantes : Séverin occupait avec 4 hommes, les soldats
réservistes Daubin, Genet, Douchet, Clarisse, une tranchée de 1ère
ligne dans la nuit du 17 au 18 octobre 1914. Le 18, entre 5h30 et 6h,
les 4 soldats virent arriver à la tranchée le sergent Séverin
blessé à la main gauche et pleurant. Interrogés séparément par
le Cdt de la Cie le 22 octobre à 16h les soldats Daubin, Genet,
Douchet ont reconnu que Séverin, avant sa blessure, avait quitté
leur tranchée à leur insu, qu’il fut pansé par Genet et Douchet,
qu’une fois pansé il fit placer dans son étui-musette un certain
nombre d’objets retirés de son havresac, déposa son équipement
et partit vers l’arrière en disant : « C’est
malheureux, on sera peut-être obligé de me couper la main ».
Ces même hommes ont affirmé que le sergent Séverin est revenu
blessé sans fusil et que son fusil n’ a pas été retrouvé dans
la tranchée. Les soldats Genet et Douchet chargés du pansement
n’ont pas remarqué de taches noirâtres autour de la plaie qui
saignait abonsamment. »
Les
médecins si : les certificats de visite et de contre-visite (21
octobre) des majors Ménard et Janot, qui semblent s’être recopiés
l’un l’autre concluent que « cette blessure est due à un
coup de feu tiré de très près, la main se trouvant obliquement par
rapport au canon, à quelques centimètres au plus de celui-ci. Ces
constatations ne concordent pas avec les circonstances indiquées par
le blessé ».
Le
23 octobre le conseil de guerre spécial du 147è R.I. se réunit à
Florent en Argonne. Maurice est condamné à l'unanimité pour
« abandon de poste en présence de l’ennemi ». Le 24
octobre 1914 à 5h30, Séverin est fusillé près du lavoir de
Florent en Argonne. Devant le peloton d’exécution (2 témoins le
racontent) Séverin aurait déclaré : « Je suis innocent,
vive la France, meilleure, plus juste, plus humaine ! »
D'après
les éléments figurant au dossier, sa veuve tenta des démarches en
vue de sa réhabilitation en 1922, mais celles-ci n'aboutirent pas.
On trouve dans le rapport rédigé à cette occasion le point de vue
surprenant qu’ « après l’exécution on émit l’hypothèse
qu’une balle aurait pu être tirée volontairement par un des
camarades de Séverin ». Il apparaît en effet que les opinions
nationalistes bravaches et forcenées de Séverin aient pu être un
sujet de conflit avec ses hommes.
En
avril 1923, un article du Populaire de Paris revient
sur les faits avec un ton corrosif. On ne sait plus trop ce qui dans
la rédaction de cette page relève de la réalité, la presse
d'opinion étant
aussi prodigue de sensationnel et
de scandale que la justice,
soucieuse de ne jamais se
renier, de raideur aveugle.
Mme
Séverin renonça et abandonna la demande de révision en 1924.
Pourquoi Mme Veuve Séverin a-t-elle baissé les bras encours de
route. Est-ce une simple question de moyens ? car la justice
coûte cher, ou bien fut-elle à son tour habitée par le doute ?
Le doute, cet élément qui devant la justice civile est supposé
profiter à l'accusé. En 1953 encore le ministère de la défense,
saisi d’une question par le ministère des anciens combattants,
cherche à s'informer de l'état de cette procédure interrompue. Le
cas Séverin est la démonstration que seule une réhabilitation
complète de tous les fusillés est souhaitable et non la recherche
au cas par cas de qui a été victime d'erreur ou non. Ne pas
réhabiliter Séverin c'est donner raison à la peine de mort ; or,
tous, coupables et innocents, ont été victimes de la même
iniquité, du même abus de pouvoir, celui qui a pour nom « la
guerre »
En
ce qui concerne Auguste Charles Bourgeois, né
le 14 avril 1892 à Villers-Lès-Guise (Aisne), soldat au 18é
B.C.P., on ne possède que sa fiche de décès qui, sans spécifier
le motif ni l’existence d’une procédure mentionne « passé
par les armes » le 24 octobre à Four-de-Paris, (Marne)
Joseph-Marie
Jéhannet, né le 28 août 1888 à Illifaut (Côtes du Nord),
célibataire, culivateur à Ménéac, 2è classe au 118ème R.I., 2è
Cie
Le
13 octobre 1914, Jéhannet se trouvait dans une tranchée en avant
d’Auchonvilliers lorsqu’il demanda à son chef de section d’aller
voir le Médecin parce qu’il avait des coliques. Le sergent lui dit
d’attendre jusqu’au lendemain matin ; mais Jéhannet
s’esquiva quand même et on ne le revit plus. Au moment de son
départ, Jéhannet n’était pas blessé à la main gauche. Or, il
résulte du rapport du Médechin-Chef de l’ambulance n°4 (Dr
Lemeigner) que Jéhannet a été blessé par un coup de feu tiré à
bout portant, ou tout au moins à très petite
distance.
Condamné
pour abandon de poste en présence de l’ennemi par le CG de la 22è
D.I. Jéhannet est fusillé le 24 octobre à 7 heures à
Senlis-le-sec, coteau du Moulin (Somme). « Aussitôt
l’exécution, (sic) nous avons examiné le corps du supplicié et
avons reconnu que le coup de grâce était inutile, la mort étant
instantanée. De nos investigations, il ressort que trois balles
avaient atteint la région du cœur et deux avaient traversé la
paroi du crâne de part en part. »
« Genre
de mort : Inconnu
Tué à l’ennemi » donc Mort pour la France.
Aimé
Devaux, né le 20 juin 1893 à La Chaux-du-Dombief (Jura),
célibataire, cultivateur, soldat au 149è R.I. , jamais
condamné, une seule punition de six jours de prison pour ivresse.
L’histoire
de Devaux est si identique à la précédente qu’on a l’impression
que le rapport destiné à la mise en accusation est devenu une pièce
de routine où seuls changent les dates et lieu. Pour Devaux, la
disparition remonte au 19 septembre vers 14h. Il se plaint de
coliques, s’égare dans les bois de Souain, y passe la nuit et se
présente le lendemain 20 septembre à l’ambulance n° 9 à
Suippes, avec une blessure à la main gauche ; le médecin-chef
concluant simplement à une « Blessure suspecte », Devaux
est déféré devant le conseil de guerre de la 43e D.I. le 24
octobre 1914 et condamné à mort pour "abandon de poste en
présence de l'ennemi" fusillé à Estrée-Cauchy (62), 8
heures.
Henri
Alexis Doinot, né
le 4 juin 1887 à Vaux-le-Pénil (Seine et Marne) patron
de lavoir à Paris 11è (passage de Ménilmontant), soldat au 31è
R.I. 4è Cie
CG
de la 10è DI (20 octobre 1914) : Arrivé
la veille du dépôt d’Albi, ayant demandé à retourner au feu au
31è, et non à son précédent régiment, afin de rejoindre ses
frères, Doinot se présente
le
7 octobre1914 à l’ambulance
n°8, installée à la gare de Clermont, porteur d’un billet de
sortie de l’Hôpital militaire de Bayonne et d’un chiffon de
papier où figure l’indication : « Evagué-Dépot ».
Le médecin de la division Baratte l’examine et le déclare en état
de faire complètement son service. Il
le soupçonne d’avoir écrit le billet à l’orthographe précaire
et le renvoie à son
régiment en ordonnant une enquête. Il en résulte que Doinot, porté
malade devait se rendre à la visite journalière, lorsque quelques
obus vinrent à tomber sur le village de
Le Claon. Pris de peur
Doinot se serait réfugié dans le cantonnement de sa section, au
lieu de se rendre à l’infirmerie. Après le bombardement, il
serait allé se reposer dans un fossé de la route où il serait
resté environ deux heures. Revenu à son cantonnement, il n’aurait
plus trouvé personne et se serait alors engagé sur la route de
Clermont où il est arrivé à la nuit. Questionné sur l’origine
du billet apporté à l’ambulance, il finit par avouer au
Commandant de Cie qu’il l’avait fabriqué lui-même. Inculpé
d’abandon de poste en présence de l’ennemi il est présenté le
12 octobre devant le CG qui délivre un ordre de plus informer. Le
nouvel interrogatoire ne révèle, de l’avis des autorités, qu’une
suite d’invraisemblances, à l’exclusion du témoignage d’un
caporal qui l’a vu rendre son café au matin du 7. Doinot invoque
pour diminuer sa responsabilité la blessure (coup de crosse) qui l’a
fait évacuer sur Bayonne et le fait toujours souffrir.
Le
colonel commandant le 82è R.I. : « J’ai eu sous mes
ordres pendant 2 ans… C’était un soldat très
médiocre
et j’avais donné l’ordre à mes gradés de le
surveiller
et de le faire
marcher.
C’était ce que j’appellerai un artiste, prêt à tromper ses
chefs. Cependant, je dois dire qu’à ce moment il paraissait être
un soldat piteux en temps de paix, mais devant être meilleur en
temps de guerre. »
Doinot
est fusillé le 27 octobre à la ferme de la grange Lecomte
d'Auzéville par Clermont en Argonne, 11 heures. « Plaies par
balles de Fusil Lebel : 3 à la base du cœur, 1 à la pointe du
cœur, 1 à droite et à gauche du sternum, une sous la clavicule
droite, 4 dans l’abdomen (épigastre). Plaies par balle de revolver
d’ordonnance : une plaie en avant du conduit auditif externe
gauche. »
Requête
en révision rejetée par le garde des sceaux le 22 février 1934.
Alphonse
Emile Després, né le 5 décembre 1887 à Paris 12è, non
reconnu, comptable à Paris, Caporal Fourrier au 313é R.I.
Déjà déserteur durant son service militaire, il récidive alors
que son régiment combat près de Cunel : Son absence illégale
dure du 1er au 30 septembre. Le dossier de procédure est
très incomplet ne contenant que des minutes recopiées à la
va-vite, et aucun rapport ni du commissaire rapporteur ni les
rapports d’expertise que mentionnent pourtant l’expédition des
pièces.
Déféré
devant le conseil de guerre ordinaire de la 9e D.I. le 24 octobre
1914 avec Albert Petay (en vertu de sa condamnation le ministre des
pensions supprime en 1938 la retraite de Petay), Fernand Donat et
Georges Cornu du même régiment , Camille Trotin (Amnistié en 1918)
et Georges Durand (Amnistié en 1925 de son exclusion de l’armée)
du 82è R.I. sous inculpation d’abandon de poste et de désertion
en présence de l’ennemi, Desprès est seul condamné à mort.
Després
est fusillé à Le Neufour (Meuse)
Émile
Flandre, né le 2 novembre 1892 à Bouchon (Somme), soldat au
120e R.I. ; n’est connu que par sa fiche de décès : fusillé
le 29 octobre 1914 à 15h à Florent-en-Argonne (Marne)
Novembre
Isidore
Pierre Guilbert, (en réalité peut-être Guillebert) né le 11
mars 1887 à Etaimpuis (Seine inférieure), journalier agricole à
Beaumont-le-Hareng, soldat au 228è R.I., 21è Cie
Guilbert
quitte la tranchée après quelle ait été bombardée par des
shrapnells, occasionnant des blessés et des morts. Le commandant de
compagnie lui conseille de se faire panser sommairement et d’attendre
le lendemain pour se présenter à l’infirmerie, ce qu’il fait.
Le docteur Blot qui le visite rédige un rapport à charge :
« ...présente actuellement des lésions qui permettent
d’affirmer que cet homme n’a pas été blessé par une balle
venant en face de lui… Homme d’intelligence bornée, illettré
qui a avoué qu’il s’était blessé lui-même « mais non
par mauvais vouloir » Le médecin pratiquant la contre visite
note que l’état de saleté de la blessure et le sang coagulé
collant le médium et l’annulaire de la main gauche ne permettent
pas de distinguer de traces de « tatouage » de poudre.
Avis
du Lt-colonel Leroux commandant le 228è : « si la
conduite de cet homme a été bonne en général, il en semble pas
animé d’un grand patriotisme, car, blessé une première fois à
l’avant-bras gauche légèrement …
il paraît avoir profité de cette circonstance pour obtenir une
convalescence de huit jours.
Le
28 octobre 1914, le CG spécial de la 53è division de réseau se
déclare incompétent, le flagrant délit ne résultant pas des
pièces du dossier. Renvoyé devant le CG de la 20è DI (audience du
31 octobre) Guibert est condamné à mort pour avoir abandonné son
poste le 25 octobre à Maricourt (en présence de l‘ennemi).
Guilbert
est fusillé le 1er octobre à Bray sur Somme : « onze
balles intéressant à la fois le thorax et la base du cou. A
sectionné la carotide gauche et 3 autres sans la région du cœur
ont déterminé une mort foudroyante. »
Ben
Assou Lhassen, né en 1889 à Douar Aït Aïssa, charbonnier à
Immouzer, conducteur de 2è classe à la 1ère Compagnie du train
marocain est condamné par le 2ème CG des troupes d'occupation du
Maroc occidental, pour « désertion en présence de l’ennemi
avec complot ».
Le
14 septembre 1914, à 1 heure, le convoi qui accompagnait à Meknès
le bataillon du Commandant Frèrejean, quittait Aïn-Sehkeff où il
avait cantoné la veille. Il était placé sous les ordres du
moggaddem Mohamed ben Belkacem. Vers 4 heures, en longeant la
colonne, le moggaddem s’aperçut que 4 mulets étaient sans
conducteur. A l’appel au lever du jour, il consata que 3 hommes
manquaient : Lhassen ben Assou, Hassou et Lhaoussine ; ces
hommes avaient profité de la nuit pour s’enfuir, en emportant
leurs effets, leurs armes et leurs munitions. Quelques jours après
les 3 carabines sont retrouvé à Immouzer d’où son originaires
les 3 hommes. Lhassen est arrêté le 29 septembre. Ses complices
sont en désertion. Lhassen désigne Lhaoussine comme instigateur du
complot qui aurait été ourdi dans la matinée du 13.
« Le
conducteur dit avoir déserté parce qu’on le frappait à la
compagnie… Le Commandant de la Cie considère Lhassen comme un
garçon intelligent et sournois ; à son avis, ce conducteur est
le véritable instigateur du complot ».
On
remarque que contrairement à l’habitude, tous les interrogatoires
sont menés avec l’emploi du tutoiement.
-
Tu savais quel peine t’attendait et tu désertes deux mois avant ta
libération. Tu devais donc avoir des raisons bien sérieurses.
-
C’était écrit. Mektoub.
Le
capitaine commandant la Cie : « ces trois désertions sont
le complément d’une série qui, depuis un mois, porte, contre
nous, chez les dissidents, armes et munitions. »
Lhassen
est fusillé le 1er octobre 1914 à 800m du cimetière de Bab Segma.
Louis
Emile Ernest Désiré Oger, né le 8 janvier 1875 à La
Chapelle-Huon dans la Sarthe, marié, deux enfants, cultivateur,
soldat au 27è RIT
Louis
Marie Proust, né le 30 septembre 1874 à René (Sarthe)
cultivateur à Lonlay (Orne), matié, sans enfant, soldat au 27è
R.I.T.
Le
6 octobre 1914, la 12è Cie du 27è territorial est prise sous le feu
de l'artillerie lourde alemande, sur la place de l'hôtel de ville
d'Arras. Les soldats se dispersent pour se mettre à l'abri. Proust
et Oger se réfugient au restaurant Petit où il boivent une bière.
Mais il sont attabléd depuis moins de dix minutes quand la vitrine
du café explose sous un impact. Proust et Oger aident alors les deux
serveuses et les autre enfants en bas-âge qu'elles gardent à
descendre dans la cave Ils y restent 24 heures. Ils en ressortent le
7 octobre vers midi, mais comme ils croisent des étrangers qui leur
annoncent que des patrouilles allemandes circulent dans la ville, il
redescendent. Les deux femmes leur prêtent des vêtements civils de
leur patron et ils les emmènent hors la ville sur la route de St
Pol. En chemin Proust et Oger aperçoivent leur régiment mais
continuent leur chemin, escortant les deux femmes et les quatre
enfants jusqu'à un km de Duisans. Là ils les quittent pour
retourner en arrière vers Arras mais ils sont arrêtés par le
sergent Couttet du 4è Génie, à qui ils disent, par plaisanterie
confieront-ils à l'instruction, être réformés. Devant leurs
explications confuses Couttet les livre à la gendarmerie d'Arras.
Le
4 novembre 1914 devant le CG de la 45è DI c'est sur l'unique
témoignage de ce sergent qu'ils sont condamnés pour abandon de
poste en présence de l'ennemi. Proust et Oget sont fusillés le 5
novembre 1914 à Villers-Châtel (Pas de Calais)
Franke,
soldat de la Légion étrangère, né en Allemagne (aucune autre
information), décédé le 8 novembre 1914 à Tuyen-Quang (Vietnam)
figure dans la base des fusillés du Ministère des Armées
Henry
Bourgund, né
le 23 mai 1891 à Paris 13è, chasseur
de 2è classe au 57è BCP
Le
dossier d’Henri Bourgund, « fusillé sans jugement sur ordre du
général commandant le 33è corps d'armée à la demande du général
commandant la 77è DI», est révélateur de l’état d’esprit qui
règne alors dans les rangs de l’État-major de l’armée. Contre
toute attente, Joffre y paraît davantage soucieux d’équité et de
justice que les généraux Pétain et Barbot, partisans quant à eux
de méthodes plus expéditives…
Il
faudra attendre le 20 mars 1915 pour que soit rédigé un rapport
établissant les faits . À la date du 8 novembre 1914 figure dans le
journal de marche du bataillon la mention : « Exécution du
Chasseur Bourgund du 60e Bataillon, condamné à mort pour avoir
abandonné son poste en présence de l’ennemi et déserté à
l’intérieur. » Le rapport du 20 mars 1915 ajoute : « Des
renseignements recueillis auprès des témoins, il ressort que le
chasseur Bourgund avait l’habitude, chaque fois que sa compagnie se
trouvait engagée, de quitter la ligne de combat sous des prétextes
futiles et de rejoindre lorsque le danger était écarté ; il avait
pour ce fait répété, reçu des observations et même des
punitions. Lors des combats de Saint-Laurent [Saint-Laurent-Blangy,
Pas-de-Calais], ce chasseur disparut à nouveau de sa compagnie,
ramené quelques jours après, il fut incarcéré et une plainte en
Conseil de guerre établie contre lui. «
Ce
chasseur a été condamné à mort et fusillé par une section du 97e
Régiment d’infanterie à Sainte-Catherine (dans un pré à la
lisière Est de Ste-Catherine et au Nord de la Scarpe), où il est
inhumé le 8 novembre 1914. Les deux médecins du bataillon ont
assisté à l’exécution. « Aucune pièce officielle relatant
l’exécution du chasseur Bourgund ne figure dans les archives du
bataillon. »
Le
général Barbot présente sa version des faits : Le 25 mars, le
général Barbot commandant la 77e Division adresse un courrier au
Général Pétain, commandant le 33e Corps d’Armée, dont voici
quelques extraits :
«
À chaque engagement de sa compagnie, ce chasseur disparaissait et
rentrait ensuite, le danger écarté. Il avait déjà été signalé
à Tilloy, les 2 et 3 octobre (…) Au cours des combats soutenus par
la division à St-Laurent (20 au 26 octobre), Bourgund quitta à
nouveau sa compagnie à laquelle il fut ramené quelques jours plus
tard. Il avait été trouvé en civil à Arras. Il fut alors
emprisonné.(…) Jugeant que des exemples immédiats étaient
nécessaires pour le maintien de la discipline, je vous demandai, le
7 novembre, après examen du dossier du chasseur Bourgund, de le
faire passer par les armes, son crime étant hors de doute. Sur
réponse affirmative de votre part, cet homme fut exécuté le 8
novembre par un piquet du 97è Régiment d’Infanterie, dans les
conditions indiquées sur le rapport du Commandant du 57e Bataillon
de Chasseurs. »
Lettre
de justification du général Pétain le 26 mars 1915 (extraits)
« Le
7 novembre, le général commandant la division m’a transmis la
plainte établie contre le chasseur Bourgund. Il me faisait
remarquer, qu’en raison de la situation très difficile dans
laquelle se trouvait sa division et des défaillances qui s’étaient
produites peu auparavant, il lui paraissait nécessaire de faire des
exemples et de procéder sans délai à la répression des fautes
commises. Il concluait en me demandant l’autorisation de faire
passer par les armes le chasseur Bourgund sur la culpabilité duquel
il ne pouvait exister aucun doute. J’ai donné l’ordre de
procéder immédiatement à l’exécution de ce chasseur, estimant
alors, comme encore maintenant, qu’en des circonstances pareilles,
il est du devoir du commandement d’assurer de semblables
responsabilités. »
Le
7 avril 1915, le général Joffre, commandant en Chef des Armées,
adresse un courrier au général Foch, commandant en chef adjoint de
la zone Nord dans lequel il désavoue son homologue :
«
Vous m’avez transmis le 28 mars 1915 sous le N° 9343 des rapports
relatifs à l’exécution le 8 novembre 1914 du chasseur Bourgund,
du 57e Bataillon de chasseurs à pied. Ce militaire a été fusillé,
pour abandon de poste en présence de l’ennemi et désertion à
l’intérieur, sans jugement, sur la demande du Général commandant
la 77è Division. La nécessité d’une répression immédiate dans
l’intérêt de la discipline, invoquée pour justifier cette
mesure, aurait pu recevoir satisfaction par la comparution de
Bourgund devant un conseil de guerre spécial réuni sans délai dans
son bataillon, alors qu’il ne s’agissait pas de forcer
l’obéissance au cours même du combat, de concilier ainsi les
exigences impérieuses de la discipline avec les garanties dues à un
accusé. Je vous prie de porter ces observations à la connaissance
des Généraux commandant le 33e Corps d’Armée et la 77è
Division.»
Ce
même 7 avril 1915, le Général Joffre écrit au Ministre de la
Guerre,
« J’adresse
par courrier de ce jour aux Généraux commandant le 33e Corps
d’Armée et la 77e Division, des observations, dont vous trouverez
ci-joint copie, pour que pareil fait ne se renouvelle pas. »
Note
ministérielle du 6 juin 1915 au sujet des exécutions capitales
rédigée par le colonel Buat, chef du cabinet du ministre de la
Guerre Alexandre Millerand :
« J’ai
été informé que des exécutions capitales avaient eu lieu dans des
conditions inutilement aggravantes. Des condamnés auraient eu à
parcourir un long trajet avant d’être fusillés. Des enfants,
attirés par le mouvement des troupes auraient pu s’approcher et
assister à l’exécution. Des musiques auraient joué au retour des
troupes. Je vous prie de donner des instructions pour que ces faits
ne se reproduisent pas. Vous voudrez bien, notamment, prescrire qu’il
soit procédé à l’exécution en un point aussi rapproché que
possible de l’endroit où le condamné à mort se trouve détenu.
Les mesures d’ordre nécessaires seront également prises pour
écarter la population civile du lieu d’exécution.
Je
vous rappelle en outre, que les Armées n’ont pas qualité pour
avertir les familles du décès des militaires. C’est au Ministre,
d’après l’instruction du 29 octobre 1910 (B.O. E.M. Vol. 28, p.
174), qu’il appartient de faire donner cet avis. Les autorités
militaires ne doivent donc fournir aucun renseignement aux familles
sur les décès par suite d’exécution. Le Ministre est prévenu de
la mort par l’envoi qui doit lui être fait (service intérieur,
bureau des Archives administratives) de l’expédition de l’acte
de décès. Il reçoit également (direction du Contentieux et de la
Justice militaires) le dossier d’exécution qui lui est envoyé par
mon intermédiaire. »
Que
s'est-il passé au 120è R.I en novembre 1914 ?
JMO :
« [après une attaque allemande violente le 5 novembre causant
10 tués dont un officier et 19 blessés à la 1ère Cie] 6
novembre-A la nuit le 147èet un bataillon du 112è viennent opérer
le relèvement des troupes du secteur, relève qui s’opère, grâce
à de la lune dans des conditions favorables. Le régiment va
stationner à La Placardelle et aux tranchées de la cote 211.
7,8,9,10
novembre : Repos dans les cantonnements ci-dessus » 11
novembre , relève sous la pluie de la garnison du bois de la
Gruerie.
Despurget
(prénom, date de naissance et lieu de décès inconnus) est
abattu le 10 novembre 1914. (exécution sommaire?) soldat du 120è
R.I.
Le
même jour, appartenant au même régiment, Pierre Lucien
Bertrand, né le 7 juin 1892 à Messicourt (Ardennes) est passé
part les armes au Bois de la Gruerie sans trace d'aucune procédure.
Ernest
Auguste Léturgez, né le 6 octobre 1891 à Villers-Bretonneux
(Somme) soldat au 120e R.I. est fusillé au hameau de La Placardelle
près de Vienne-le-Château (Marne) le 10 novembre 1914 sans trace de
jugement.
Ben
Bouchta Hadjoui Ben Aïssa, né en 1882 à Hajaoua au Maroc,
soldat au renseignement de Fez Banlieue, « mokhazni »
(supplétif militaire marocain) : « Le mokhazni Ben Aïssa
est ainsi noté par son chef : c’est un de ces auxiliaires
nécessaires que l’on emploie qu’à regret. Caractère bas et
faux, aimant passionnément l’argent, il a vendu successivement
tous ses frères. Lâche comme ses pareils, il n’hésite pas devant
un crime lorsqu’il se croit assuré de l’impunité. La rumeur
publique lui attribue le meurtre d’un nègre du pacha ben
Mohammed. » Aïssa est l’un des cinq hommes du détachement
qui accompagne le lieutenant Materne, chef du renseignement de Fez
lors de la perquisition chez un indigène des Chéragas Beni Snous,
au cours de laquelle les mokhaznis s’approprient des soieries et
des sommes d’argent que l’ordonnance du Lt Materne les voit se
partager. Le lendemain les cinq hommes sont envoyés pour présenter
le prisonnier perquisitionné au chef de bureau à Fez. Comme il ne
règne aucune hiérarchie parmi ces supplétifs, ben Aïssa, ben Saïd
et ben Hammou restent en arrière pour prendre du raisin dans un
jardin. Lorsqu’ils arrivent au bord de l’oued, une discussion
éclate entre Hammou et Aïssa au sujet du gué à traverser (2
passages se présentant à eux, distants de 150m qu’ils ne veulent
pas traverser ensemble.) Au terme de diverses péripéties, Aïssa
parvient à faire croire qu’Hammou qui l’a imprudemment menacé
cherche à fuit, et obtient de ben Saïd qu’il l’aide à le
désarmer et à lui lier les mains dans le dos. Il ordonne à ben
Saïd de l’exécuter, celui-ci le rate, Hammou fuit vers l’oued,
Aïssa tire sur lui à quatre reprises avec le revolver qu’il lui a
pris. Une balle l’atteint en plein front. Il aurait ainsi voulu
supprimer l’un des témoins gênants du vol de la veille.
Le
19 octobre, alors qu’il est écroué à la prison militaire de Fez,
et ayant entendu dire que tous les indigènes prisonniers allaient
être exécutés, ben Aïssa parvient à cacher sous ses vêtements
une hachette volée à la cuisine. Au moment de retourner en cellule,
il se débarrasse de la chaîne dont il réussi à rompre le cadenas
pendant la nuit et se glisse jusqu’au bureau du gardien-chef qu’il
surprend. Il a le temps de lui asséner deux coups de hache (l’un
au front, l’autre au bras gauche) avant que ses cris n’attirent
les gendarmes, qui, aidés de quelques prisonniers blancs parviennent
à le maîtriser.
Aïssa
est condamné par le 2è CG des troupes d'occupation du Maroc
occidental (29 octobre 1914) pour homicide et tentative d’homicide
avec préméditation. Il est fusillé le 10 novembre 1914 à Bab
Segma (Maroc).
Alfred
Loche, né le 28 janvier 1869 à
Béssèges (Gard) soldat au 58è R.I.
Fils
unique, d’un père mort peu après, Alfred Loche est élevé par sa
mère dans des conditions économiques difficiles. Sa scolarité a
été réduite au minimum, il ne sait ni lire ni écrire. Il a trouvé
un emploi aux forges de la ville, une dépendance des mines d’Alès.
Rapport
du capitaine Guilhaumon du 61è R.I. chargé de l'instruction :
Le 19 ou le 20 août le soldat Loche disparaît de sa compagnie sans qu’il soit possible de préciser exactement dans quelles circonstances (...) Quoi qu’il en soit, régulièrement ou non, Loche est dirigé sur l’arrière, rejoint le dépôt de son corps, d’où au bout de quelques jours il est renvoyé à nouveau sur le front. Il débarque à Bar-le-Duc le 1er octobre, fait avec ses camarades la première étape, puis le lendemain profite de l’heure matinale du départ pour abandonner une seconde fois sa place dans le rang en restant dans son cantonnement. Il revient ensuite vers Bar où il arrive le 3 octobre vers 16 h 00. Arrêté à l’entrée de la ville par un poste de garde, il raconte d’abord qu’il a été fait prisonnier et s’est échappé, puis qu’il a été blessé d’une balle au côté droit ; un examen médical met bientôt à néant ses affirmations. De cet ensemble de faits il résulte que Loche a abandonné à deux reprises sa place dans le rang au moment où ses camarades marchaient à l’ennemi, sans faire constater par ses chefs, comme il en avait incontestablement les moyens, les motifs d’indisponibilité qu’il pouvait avoir. Loche reconnaît en outre avoir abandonné son havresac sur le bord de la route. Notre avis est donc qu’il doit être mis en jugement devant le Conseil de Guerre pour abandon de poste devant l’ennemi et pour dissipation d’effets d’équipement .
CG
de la 30è DI
Témoignage d'André Aubenque, soldat du 56è R.I. qui visite son compagnon de régiment emprisonné à la prévôté de la gendarmerie militaire de Monzéville :
Je
voulus intervenir en sa faveur et les priai de m’indiquer
l’officier attaché au Conseil de Guerre pour lui fournir sur mon
camarade et concitoyen certains renseignements. En effet Loche ne
jouissait pas entièrement d’un état mental normal, sans être
atteint de folie il était d’un caractère bizarre, s’emportant
pour un rien si on le taquinait. En un mot il était détraqué et de
ce fait digne d’intérêt. Le sous-officier du Conseil de Guerre me
dit : « N’essayez pas d’insister car vous pourriez,
vous aussi, vous faire traiter de lâche ».
A Montzéville, le 11 novembre 1914 le soldat Alfred Loche va être passé par les armes. En entendant prononcer l’arrêt du jugement qui l’a condamné à mort, Loche ne fait aucun mouvement et ne manifeste aucune émotion. Le soir il mange sans se soucier de ce qui l’attend. Au petit matin il quitte la prison en disant "Au revoir" et en souriant à tout le personnel de la prévôté et aux autres militaires détenus. Le Bességeois Marcel Pradon fait partie du détachement qui rend les honneurs au moment de l’exécution. Selon lui : « Mon camarade et concitoyen n’avait pas l’air de comprendre ce qui se passait autour de lui, ce qui ne m’étonne nullement car il était connu à Bessèges comme un déséquilibré ».
Il
faudra vingt ans pour obtenir un jugement réhabilitant Loche ‘17
novembre 1934). Mort pour la France.
Georges
Fabert, né le 17 avril 1883 à Paris 9è, électricien,
soldat au 360ème R.I.
La
procédure expéditive contient un rapport bâclé qui rapporte que
le 4 novembre lors de l’attaque sur la Chapelle de N-D. De Lorette,
la 18è Cie, une fois ses chefs blessés, se débande avec sergents
et caporaux vers la tranchée de soutien tenue par la 19è. Là le
lieutenant et le capitaine commandant la 4è section leur ordonnent
de retourner à leur poste de combat. Le 5 on s’aperçoit de
l’absence de Fabert, ce que confirme l’appel fait le 6 au matin à
la sortie du bois. Ce serait le seul cas d’absence constatée.
Fabert est retrouvé, après une absence de 36 heures -ou 18
seulement selon son interrogatoire- au cantonnement du Petit-Servin
quand le bataillon y revient le 6 à 8h. Il reconnaît avoir
abandonné son poste, dit le rapporteur improvisé, alors qu’il
ressort de ses explications qu’on l’a plus ou moins forcé à
reconnaître la chose. Lui dit seulement qu’il est tombé dans un
ravin, n’a pu qu’à grand-peine se dégager des fils de fer et
retourner vers Aix-Noulette, et qu’ayant perdu son régiment, il a
passé la journée du 5 avec des territoriaux dans le bois.
Condamné
par un CG spécial du 360è R.I., convoqué à 14 heures à la maison
forestière du bois de Bouvigny le 14 novembre 1914, Fabert est
fusillé aussitôt la condamnation prononcée : « Tué à
l’ennemi ». Mort pour la France.
Georges
Raoul Voyer naît le 11 juin 1889 à Melun (77). Ayant des
problèmes de santé ne part pas de suite au service militaire. Il
est incorporé le 7 octobre 1911 au 1er Régiment du
Génie. Le 26 octobre 1912, la Commission spéciale de réforme de la
Seine le classe "bon pour le service armé". Il est donc
envoyé dans la disponibilité le 25 septembre 1913 avec le
certificat de bonne conduite. Il est rappelé à l'activité par
l'Ordre de Mobilisation générale du 1er août 1914 et
rejoint son régiment le 3 du même mois.
Léonce
Georges Goulon
naît le 14 décembre 1883 à Paris, dans le 13è
arrondissement.
Le 3 novembre 1910, il est condamné à huit jours de prison par le
Tribunal civil de la Seine pour "outrage aux agents".
Rappelé à l'activité par l'Ordre de Mobilisation du 1er
août
1914, il rejoint le 1er Régiment
du Génie à Versailles, dans les Yvelines.
Les
deux hommes comparaissent devant le Conseil de Guerre de la 69è
Division
d'Infanterie pour abandon de poste devant l'ennemi : "Ayant
reçu l'ordre du Sous-Lieutenant Moscio, le 2 novembre 1914 à 19
heures, de rester au pont de Soupir pour procéder, si besoin était,
à sa destruction, s'être enfui et n'être rentré au cantonnement
que plus de 24 heures après, sans pouvoir donner de bonnes raisons
de sa conduite".
La
plainte a été déposée par le Capitaine Collin, commandant la
Compagnie Divisionnaire du Génie où sont affectés les deux
sapeurs-mineurs. Le texte est identique pour les deux hommes :
Nous
avons, en conséquence, infligé au Sapeur Goulon / Sapeur Voyer une
punition de 15 jours de prison ... La faute reprochée au Sapeur
Goulon / Sapeur Voyer étant celle d'abandon de poste en face de
l'ennemi, nous avons l'honneur de demander qu'il soit, pour ce fait,
déféré au Conseil de Guerre de la 69è
Division de Réserve".
Le
12 novembre 1914, Le Conseil de Guerre de la 69è
Division
d'Infanterie de réserve siège à Braine, dans l'Aisne. Seuls le
Sous-Lieutenant Henri Jules Moscio et le Caporal Louis Gaston
Schermann, témoins à charge sont entendus. Le 14 novembre 1914, le
Conseil de Guerre rend son verdict : la peine de mort. Les deux
hommes sont exécutés le 15 novembre 1914 à Braine.
Les
constats de décès enregistrés par Marius Adolphe Augier, Docteur
en Médecine, Major de 2ème classe de la Compagnie
Divisionnaire du Génie montrent que Georges Raoul et Léonce Georges
ont été touchés à sept et neuf reprises par le peloton
d'exécution. « Etant donné que le condamné
présentait quelques mouvements respiratoires, malgré la mortalité
des blessures, le coup de grâce fut rapidement donné à la tête
(région temporale gauche). »
Émile
Joseph Louis Guiraud,
né le 3 décembre 1893 à
Puisserguier (Hérault) et le tambour Henri-Joseph Jolbert
né le 15 octobre 1889 à
Luxeuil-les-Bains (Haute-saône) appartenaient au 42e RI. On
est mal informé sur leur cas car les archives de la justice de la
14e division ont été détruites. Un rapport du 1er bureau de la 6e
armée indique que ces deux soldats, disparus de leur régiment au
commencement d’octobre, avaient été arrêtés une première fois
à Vic-sur-Aisne le 12 du même mois. Réintégrés dans leur unité,
ils avaient été arrêtés une deuxième fois, le 8 novembre à
Vic-sur-Aisne, dans le cantonnement du 35è RI où ils se cachaient,
après avoir pris soin d’enlever leurs écussons.
Tous
deux auraient été condamnés à mort par le conseil de guerre
spécial du 42e RI et fusillés à Nouvron-Vingré le 16 novembre. Le
mention « condamné à mort » sur la fiche de décès de
Guiraud, et « tué à l’ennemi » sur celle de Jolbert,
Mort pour la France, fait toutefois douter qu’il y ait eu un
procès.
Carnets
de JB Grousson, 298e RI :
« on
fusille à Vingré 2 soldats français accusés de désertion, on en
voit descendre des tranchées, pliés dans une couverture attachés à
une poutre comme un veau mort, par des hommes à l’œil terne,
pleins de boue, ils creusent un trou, on les recouvre et… c’est
fini ! Chambe pleure de la séparation tous ces préludes macabres
nous ont mis « le cafard », on monte aux tranchées,
balles et obus sifflent on couche dans la grotte sur la terre humide,
sans paille, et une autre nuit sur des pierres (froid) »
Léon
Boisseau, né le 25 novembre 1889 à Paris 20è, carreleur à
Levallois-Perret, soldat au 367è R.I. , déféré devant le 1er
conseil de guerre de la place de Toul : aucune des questions
posées n’est résolue à l’unanimité. Le rapport rédigé pour
la mise en accusation, ne faisait pourtant pas dans la dentelle :
« Le nommé Boisseau qui n’est qu’un lâche s’est
incontestablement rendu coupable les 21 octobre et dans la nuit du 23
au 24 du double crime d’abandon de poste devant l’ennemi et de
refus d’obéissance en présence de l’ennemi ».
Le
21 octobre vers 3h du matin le 367è est commandé de monter en ligne
au bois de Mort Mare. Boisseau prend prétexte d’avoir oublié son
képi – il l’a volontairement caché certifie le rapporteur-pour
quitter les rangs. Malgré l’ordre de l’adjudant Baur de suivre
sa section, il revient en arrière et ne reparaît à sa Cie que dans
la soirée du 23. Il ne regagne alors sa tranchée que sous la menace
du revolver du Lt Lavanant (Boisseau prétend même lors de son
interrogatoire n’avoir pas vu ce geste de menace). Commandé pour
monter en avant de la tranchée au poste d’écoute, il refuse de
s’y rendre, prétextant qu’il a mal aux jambes (il a en effet
comme son signalement l’indique, les pieds plats). Le « substitut
du commissaire du gouvernement rapporteur » (capitaine Heurtel
22è Cie) expose très bien lui-même les raisons de son acharnement
hystérique. « La présence de tels hommes dans une Cie est un
véritable danger pour les autres, c’est un mauvais exemple qu’il
faut enlever de l’armée même au prix de l’application des
articles 213 et 218 du code de justice militaire [mort]. Boisseau est
un mauvais soldat qui a fait 108 jours de salle de police et 28 jours
de prison dont 8 jours pour avoir été trouvé détenteur de
brochures antimilitaristes » (15 novembre 1914) Les faits ici
évoqués remontent à septembre 1911 : « A été trouvé
détenteur à la caserne d’un recueil de chansons, répertoire
Montéhus, chansons révolutionnaires et antipatriotiques dites
humanitaires de nature à nuire à la discipline » et 15 jours
plus tard : « A introduit au quartier un recueil manuscrit
de diverses chansons contenant notamment quelques chansons
antimilitaristes. En prison jusqu’à décision à intervenir, une
plainte en Conseil de discipline étant établie contre lui. »
sergent
Moreau : « Boisseau a toujours été en quelque sorte, si
je peux m’exprimer ainsi « le pitre de la section » il
n’était pas pris au sérieux par ses camarades et ne se prenait
pas au sérieux lui-même. »
Boisseau
est fusillé le 17 novembre à 14h à Noviant-Aux-Prés (Meurthe et
Moselle).
Ben
Smaïl Messaoud ben Ali, né en 1886 à Oued Asker (Thala)
(Tunisie), soldat au 8è R.M.T. est « tué au cours d’une
tentative d’évasion » le 19 novembre 1914, on ignore où.
Auguste
Ponroy, né
le 12 mai 1891 à Villeneuve-sur-Cher, 1ère classe au 85è R.I.,
télémètreur
à la 2è section de mitrailleuses. Condamnations:néant ;
relevé de punitions : néant.
Il
avait 23 ans à la mobilisation. Il était ouvrier tôlier
à Saint-Florent. Le 21 novembre 1914, à Commercy
dans la Meuse, il est accusé de désertion. Il a été séparé de
ses camarades pendant la bataille. Il faisait froid dans la Meuse, et
un document atteste que les tenues d'hiver des soldats n'ont été
commandées qu'en novembre ! Un témoin dit que les soldats ne
pouvaient plus sortir de la tranchée, l'échelle était trop courte
tellement il y avait de cadavres au-dessus. Son dossier lors du
procès dit bien qu'il donnait entière satisfaction avant la
mobilisation, mais il venait d'apprendre qu'il avait eu un enfant de
sa maîtresse. « Il est devenu dépressif, il pleurait sans
cesse ».
CG
de la 16è DI : « Le soldat Ponroy a disparu 4 fois de
son unité, du 20 au 23 août, du 25 au 27 août, du 31 août au 15
septembre, du 6 au 31 octobre. Sur les trois dernières disparitions,
il ne peut donner aucune explication, aps plus que sur l’emploi de
son temps. Il est avéré qu’il a vécu en arrière des fractions
de feu, allant demander par-ci par-là une ration aux cuisiniers du
172è, à Marbotte, du 96è ou du 95è… sa seule excuse, à ses
retours successifs, était qu’il avait trop peur des morts.
Il paraissait très atteint, complètement déprimé et
neurasthénique. »
« Le
général Vandenberg… considérant… qu’une répression
vigoureuse et immédiate est nécessaire en raison du nombre
considérable d’abandons de poste qui se sont produits… ordonne
que la justice suive son cours »
Ponroy
est fusillé le 21 novembre 1914 à 10 heures du matin à Commercy, à
proximité de la caserne Oudinot.
César
Philémon Bernard est né à Grasse (Alpes-Maritimes) le 23
septembre 1887 où il exerce la profession de cultivateur.
Le
13 août 1914 (8 h 30), César Bernard quitte sa compagnie (la 8ème)
peu avant que celle-ci ne soit engagée devant Coincourt
(Meurthe-et-Moselle). Arrêté dès le lendemain en tenue civile à
la gare de Blainville (Meurthe-et-Moselle), il est écroué à
Bourges (Cher) et Marseille (Bouches-du-Rhône). Trois mois plus
tard, une plainte en conseil de guerre est établie contre lui au
titre d'abandon de poste, de dissipation d'armes et d'effets
militaires, de vol. Déféré le 20 novembre 1914 devant le conseil
de guerre ordinaire de la 29ème D.I., il est à l'unanimité des
voix condamné à mort pour « abandon de poste en présence de
l'ennemi ».
César
Bernard est fusillé à Récicourt (Meuse), le 22 novembre 1914
après- midi (16 h), devant le 141ème rassemblé. Son acte de décès
a été transcrit à la mairie de Grasse (Alpes-Maritimes) le 11 mars
1915.
Louis
Isidore Marcel Naudin, né le 14 août 1889 à
Ouzouer-sous-Bellegarde, Loiret, cultivateur à Lorcy, soldat au 113è
R.I.
Le
24 août, vers le Grand Failly, Naudin disparaît au cours d’un
combat au moment où sa Cie reçoit une rafale de gros obus
percutants. Il passe la nuit dans une ferme inhabitée où il trouve
des effets civils. Après deux jours de route il arrive à Neuvilly
et se fait embaucher à la ferme d’Alancourt où il travaille
jusqu’au 4 septembre. Dès l’approche de l’ennemi, il se joint
à un convoi d’émigrés, va avec eux jusqu’à Salmagne, puis
revient à le ferme de la Tuilerie où il est arrêté avec les
habitants soupçonnés d’espionnage à la mi-octobre. Emmené à
Aubréville, il est relâché sans être inquiété. Il se dirige
alors vers Courcelles où il arrive le 21 octobre. Il se présente en
compagnie d’un individu qui n’a pu être identifié, chez M.
Ducange où cantonnait le compagnie du Génoie de la 10è DI et
demande l’hospitalité qu’on lui accorde, en vertu de deux
laisser-passer contrefaits des maires de Salmagne et Neuvilly. Le 23
octobre il est arrêté sur la dénonciation de son hôte Duchange.
Jamais puni, Naudin aurait passé pour un garçon courageux après de
ses camarades (il ne reste aucun chef pour témoigner du contraire).
Convaincu
de désertion (du 24 août au 23 octobre) il est déféré devant le
conseil de guerre de la 9e D.I. le 21 novembre 1914 et condamné à
mort pour « abandon de poste et désertion en présence de
l'ennemi » et dissipation d’effets militaires. Il est fusillé
le 23 novembre À 14h30 à la ferme de Beirtrameix à Aubréville,
forêt d'Argonne, avec
Auguste
Eugène
Haubert,
né
le 1er
mars 1891 à Vendôme (Loir-et-Cher), jardinier,
soldat
au
113è
R.I.
Il
avait prétexté un
mal de gorge, puis « un
état de faiblesse générale »
pour quitter temporairement le front et fabriqué deux
certificats médicaux pour justifier son absence du
20 septembre à
Varennes
au 8 octobre, ce
qui lui valut
d'être condamné à mort pour désertion en
présence de l’ennemi
et faux en écriture privée.
Pierre
Emile Jules Vignon, né le 6 septembre 1891 à Lyon 1er,
célibataire, employé aux Pâtes Alimentaires puis garçon-boucher,
soldat du 158è R.I.,déféré devant le conseil de guerre de la 43è
DI (21 novembre 1914) et condamné à mort pour "abandon de
poste en présence de l'ennemi". Lors de la même audience, le
soldat Camille Joseph Phelpin (né le 26 septembre 1892 à La
Houssière, ouvrier en filature, célibataire) est également
condamné à mort ; sa peine est commuée en 20 ans de détention
sur recours du conseil. La peine de prison est suspendue par le
général commandant la 13è DI en date du 27 août 1915. Cette
décision est révoqué le 10 décembre 1915, Phelpin ayant à
nouveau déserté en présence de l’ennemi, quittant sa Cie qui
montait de Vedrel aux tranchées pour se réfugier parmi ses
camarades du 8è territorial, avant son arrestation le 11 octobre au
bois de Berles. Jugé à nouveau il est condamné à 15 ans de
réclusion, peine qui s’ajoute à la précédente. Il bénéficiera
encore par 2 fois de remises de peine importantes en 1919 et 1922
(dix ans).
Vignon
est fusillé le 23 novembre 1914 à 7h à Bully- Grenay, au lieu-dit
Les Brebis (en fait la cour de l'abattoir), avec le caporal Pierre
Joseph Chappaz du même régiment né le 15 juillet 1891 à
Thorens-Glieres (Haute-Savoie), scieur à Annecy, célibataire.
« Le
5 novembre 1914, la section à laquelle appartenait Phelpin occupait
une tranchée à Noulette. Un caporal et quelques hommes dont Phelpin
furent détachés en petit poste sur la gauche de la section et un
peu en arrière. Vers 3 heures du matin, les Allemands tentèrent une
attaque sur la tranchée occupée par la section qui repoussa
l’ennemi. Le caporal et deux de ses hommes, ayant entendu quelques
balles siffler dans leur direction, prirent la fuite au pas
gymnastique, laissant le flanc de la section à découvert. Phelpin
et ses camarades ont reconnu les faits. Ils ont donné comme excuse
qu’il étaient partis parce qu’ils avaient vu s’enfuir des
soldats appartenant à la section engagée. »
La
différence de traitement entre les trois soldats s’explique en
partie par le fait que Vignon, désigné comme récidiviste, ait été
convaincu de mensonge, affirmant avoir été cerné et déclarant au
commandant de bataillon rencontré 600m en arrière, qu’il avait
été blessé par un coup de canon dans l’oeil porté
accidentellement par un camarade. Il faut aussi considérer que les
déclarations de Vignon, soulignant qu’il y aurait eu règlement de
compte ont pu paraître gênantes à la hiérarchie. Il raconte ainsi
qu’après sa fuite, se retrouvant aux cuisines avec Phelpin, ils
ont essuyé les quolibets des cuisiniers Pierre et Parrat :
« Tiens, en voilà un autre »… Parrat : »De
lui ça ne m’étonne pas ! »
« Ce
que dit le soldat Pierre relativement à une attaque de nuit est
inexact ; il ne m’a jamais dit « Mon vieux ! Si tu
nous lâches, je te réglerais ton affaire ! », et je ne
me suis pas sauvé. C’est de la pure invention de sa part.
D’ailleurs tout le monde m’en veut sans que je puisse savoir
pourquoi ; on me charge, c’est malheureux ! » Dans
l’active j’étais fonctionnaire caporal et j’avais eu sous mes
ordres le soldat Pierre : je ne l’ai jamais fait punir, mais
il m’en veut parce que je lui donnais des ordres.
-
Avez-vous aussi des difficultés avec le sergent Grimmer qui déclare
que vous êtes un lâche ?
-
C’est bien mieux, le sergent Grimmer frappe les hommes, et j’ai
été frappé par lui parce que je parlais dans la tranchée avec des
camarades alors qu’il avait défendu de parler. Il m’a donné un
coup de pied dans les fesses. C’est tout de même malheureux d’être
chargé par tout le monde. Je ne suis pourtant pas plus mauvais que
cela, puisque hier il m’a donné sa baïonnette à astiquer et je
l’ai fait sans difficulté. »
Chappaz
en tant que gradé est considéré comme plus coupable que les
autres, il les a entraînés dans sa défection ; selon les
soldats Wetzel et Cuny, il serait parti le premier, obligeant Cuny à
commander le feu (après la fusillade, Wetzel et Cuny sont eux aussi
partis, 4 camarades étant venu leur dire que tous les autres étaient
pris). Chappaz a été retrouvé caché dans une tranchée abandonnée
de l’arrière avec le soldat Bailly qu’il a rencontré dans le
bois. Au caporal Laurent qui lui demande « Qu’est-ce que tu
fous-là, feignant ? Ta place est dans la tranchée avec
les bonhommes», il répond « si les autres n’avaient pas
foutu le camp, je serais resté ».
Après
lecture et signature, nous demandons à l’inculpé pourquoi il n’a
plus ses galons de caporal. L’inculpé déclare : « Le
sergent Grimmer [qui commandait la section et demi de la tranchée
principale] à la suite des faits dont je vous ai parlé m’a dit :
« Enlevez vos galons, vous n’en êtes pas digne ». Je
les ai enlevé de suite, m’en rendant bien compte ».
Pierre
Maurin, date et lieu de naissance inconnus,
soldat au 36è R.I.C., décédé le 26 novembre
1914 sans qu’on sache comment ni pourquoi (sans rapport avec son
homonyme mort d'une blessure infectée le 19 novembre).
Armand
Louis Paul Bindel, né le 22 mars 1881 à Saint-Ouen-La-Rouërie
(Ille et Vilaine), cultivateur à Sacey (Manche) célibataire soldat
au 2è R.I.
« Tué
à l’ennemi » donc Mort pour la France.
Jean-Marie
Clément Lecompte, né le juin 1880 à Poligné (Ille et
Vilaine), cultivateur, marié, déférés devant le CG de la 20è
D.I. (minutes seules), sont accusés d’avoir courant octobre
abandonné leur poste par mutilation volontaire et
fusillés le 30 novembre 1914 à Sainte-Catherine (Marne) à
7h30
Décembre
Albin
Edouard Millard, né le 11 février 1885 à Revin (Ardennes),
ouvrier en métaux, chasseur 2è classe au 49è B.C.P.
CG
de la 52è Division de réserve (30 novembre 1914) : Voies de
fait et outrages envers un supérieur dans le service, vols au
préjudice de l’habitant (Mort), ivresse manifeste et publique (1
mois).
Le
26 octobre 1914 vers dix heurs du matin, le sergent Delicaille de la
10è Cie se trouvait dans le cantonnement de la Cie en train de faire
une ronde que lui avait prescrite le sous-lt François pour s’assurer
que des hommes n’étaient pas restés au cantonnement sans
autorisation. Au cours de cette ronde, il entendit le chasseur
Millard qui vomissait derrière des tonneaux. Il lui donna l’ordre
d’aller se coucher. Celui-ci fit quelques difficultés pour
s’éloigner , puis appela le sergent en ces termes « Delicaille,
j’ai quelque chose à te dire ». Il insista. Le sergent qui
se défiait de Millard, individu robuste et dangereux, hésiat
d’abord, puis s’avança. Millard retira alors sa capote, comme
s’il voulait se battre, se jeta d’un bond sur Delicaille, le
saisit à bras le corps et chercha à le terrasser. Le sergent butta
contre une planche et aurait été renversé sans l’intervention du
caporal Mortelecque et des chasseur Dhalluin et Druesne présents au
cantonnement. En même temps Millard avait saisi la baïonnette du
sergent et voulait la lui enfoncer dans la poitrine. Les soldats l’en
empêchèrent en le maîtrisant. Le soldat Druesne a déclaré :
« J’ai vu Millard ayant à la main une baïonnette faire un
mouvement en arrière, tenant la baïonnette relevée, dans la
position qui donnait nettement l’impression qu’il voulait tuer le
sergent. En même temps Millard injuriait Delicaille, l’appelait,
Petit trou du cul, bout de pine et d’autres noms semblables ».
Arrêté
et fouillé, Millard fut trouvé porteur d’une bague en or, un
porte-monnaie en nacre à initiales d’argent incrustées contenant
un petit sanglier en argent porte-bonheur, deux glands en or et un
flacon à sels en argent, une épingle de cravate, une médaille de
mariage, une clé de montre en or, une vrille, une bonde. Il reconnut
avoir trouvé l’épingle et les breloques à Bétheny parmi des
décombres et la médaille à Broussy le Petit.
L’entrée
des caves Henckel (« maison carrée occupée par les chasseurs
du cantonnement) ayant été barricadée et gardée par une
sentinelle, l’attention se porta sur la question de savoir comment
Millard s’était enivré. Millard avoua qu’ayant réussi à
tromper la vigilance de la sentinelle, il était descendu aux caves,
y subtilisant un seau de vin qu’il avait bu avec des camarades. La
vrille et la bonde trouvée sur lui montrait qu’il avait l’habitude
de se servir dans les caves. Il ressortirait de l’enquête que
Millard aurait également vendu en ville d’autres objets produits
de ses larcins, et qu’il avait probablement eu des complices, le
sergent Delicaille ayant entendu le soir de son arrestation des
chasseurs dirent à voix basse dans le noir « qu’il était
heureux qu’ils aient pu retirer les petits paquets de son sac ».
Il aurait également été vu en compagnie d’un zouave dans une
maison de Broussy mais il déclare qu’il n’y est arrivé qu’après
la fin du pillage (par d’autres chasseurs du bataillon) et n’aurait
quant à lui emporté qu’une bouteille de quinquina bue avec des
camarades (dont Delicaille « qui en aurait pris deux fois en
guise de café » insiste Millard).
Un
capitaine d’infanterie et un adjudant du génie rapportèrent avoir
vu le 28 août sur le champs de bataille de Douchy, un chasseur
correspondant au signalement de Millard (il lui manquait un doigt à
la main gauche), achever deux blessés français pour les voler. On
ne prête qu’aux riches ! En privé, au chasseur Druesne qui
avait eu des amis tués à Douchy, Millard répondit qu’il n’avait
fouillé que des allemands et « qu’il n’avait pas de
comptes à lui rendre ». « Devant ces réponses, dit
Duesnes, je l’ai frappé. Je le reconnais et je crois bien que sans
l’intervention du caporal Merlex, je l’aurais tué ».
L’adjudant retrouvé déclara que les faits avaient été mal
rapportés, qu’il avait effectivement aperçus des chasseurs de
« mauvaise allure », mais que s’il les avait vu
dépouiller des blessés, « il les aurait tués
immédiatement ».
« Millard
est un mauvais chasseur, paresseux et ivrogne ; c’est un
souteneur de profession. Les lettres trouvées sur lui ne laissent
aucun doute à ce sujet -ces lettres ne figurent pas au dossier-.
« C’est, dit son sergent, le type du chapardeur et du voleur
de profession, craint par tous, même par ses camarades. Quand il
revenait de ses expéditions, il offrait toujours le produit de ses
larcins à ses chefs ou à ses camarades de façon à les
compromettre et les empêcher plus tard de lui faire des
observations ». Il accuse ainsi divers sous-officiers d’avoir
donné le mauvais exemple en volant des lapins ou des effets
d’habillement.
Millard
est « fusillé au cours de l'accomplissement d'une punition à
l'hôpital complémentaire B (?) de Reims » selon sa fiche de
décès le 2 décembre 1914. Mort pour la France. En réalité, il a
été fusillé sur la commune de Tinqueux le 2 décembre à 7h.
Le
rapport d’une précision morbide qu’établit le Médecin-major de
2è classe Bureau, rappelle par son objectivité malsaine les
élucubrations médico-légales de certains mystiques cherchant à
décrire les blessures de la Passion :
« Aussitôt
après le feu du peloton d’exécution, la contraction immédiate de
tout le système musculaire a raidi le corps contre le piquet
d’exécution. La tête s’est soulevée. Puis à ces
manifestations extrêmement rapides ont succédé le relâchement des
muscles et l’affaissement du corps tout entier : la tête est
alors retombée inerte sur la poitrine. M’approchant de l’exécuté
j’ai constaté un écoulement de sang par la bouche et le nez ainsi
que deux ou trois spasmes des muscles du cou. Puis, aucune
manifestation vitale. Le coup de grâce a donc été inutile. Le
cadavre ayant été transporté immédiatement à la clinique
Mencière… j’ai fait les constatations suivantes .
Millard
a été frappé par 12 balles en pleine poitrine. Les 12 orifices
d’entrée ont été facilement retrouvés. Ils étaient d’ailleurs
tous situés dans la moitié droite du thorax, dans une
surface triangulaire formée opar la ligne médiosternale et 2 lignes
obliques partant du mamelon droit et se dirigeant, l’une vers la
fourchette sternale, l’autre vers l’appendice siphoïde. 1
projectile a pénétré exactement au niveau de la fourchette
sternale et a dû sectionner les gros vaisseaux de la base du cœur.
Bien que les orifices d’entrée n’intéressent que la zone
thoriacique en rapport avec le poumon droit, les projectiles n’ont
pas respecté le poumon gauche. Les orifices de sortie en donnent en
effet la démonstration.
On
retrouve dans le dos 10 orifices de sortie, mais il n’est pas
douteux que deux de ces orifices particulièrement étendus ont été
provoqués par 2 projectiles. Cette confusion des orifices de sortie
est d’autant plus naturelle que les orifices d’entrée étaient
extrêmement rapprochés les uns des autres. La surface triangulaire
relatée ci-dessus est en effet à peu près égale à celle d’une
main adulte. Or un de ces grands orifices se trouve précisément en
pleine fosse sous épineuse gauche. Par cet orifice ont été
projetés des fragments d’os, de muscles, et même de poumon. Cet
orifice très déchiqueté revêt une forme à peu près circulaire
et mesure environ 8 cm de diamètre. Le 2è orifice déterminé par
la sortie de 2 projectiles intéresse la fosse sous-épineuse droite.
Un peu moins grand que le précédent, il mesure environ 6 cm de
diamètre. Enfin, il faut signaler un 3è orifice de sortie situé
tout à fait à gauche de la région dorsale au niveau du 6è espace
intercostal. Il se trouve à un travers de doigt de la ligne
axillaire postérieure. Le projectile qui l’a provoqué a donc
blessé gravement les deux poumons et peut-être atteint le cœur à
la partie postérieure. Il est évidemment dû étan donné son
obliquité à un tireur placé à l’extrémité de la ligne su
peloton. Les autres orifices de sortie sont tous situés dans la
région dorsale, à proximité des précédents.
En
résumé, Millard a été frappé de 12 balles qui ont pénétré
dans la moitié droite du thorax. Les projectiles ont traversé de
part en part la cage thoracique en suivant un trajet non pas
exactement antéropostérieur, mais oblique d’avant en arrière et
de droite à gauche (par rapport à l’exécuté). Ils sont en effet
sortis pour la plupart dans la moitié gauche de la région dorsale,
au niveau de la fosse sous scapulaire. Le trajet oblique s’explique
par la situation de Millard, qui ne s’est pas présenté exactement
de face devant le peloton d’exécution, mais l’hémithorax droit
en avant. Les projectiles ont provoqué de graves déchirures
pulmonaires qui ont déterminé l’écoulement de sang nasal et
buccal constaté plus haut. Les lésions étaient déjà amplement
suffisantes pour déterminer la mort immédiate. Il s’y est ajouté
la section des gros vaisseaux de la base du coeur et peut-être une
lésion de cet organe lui-même. Les constatations ayant paru
absolument décisives, l’examen interne n’a pas été pratiqué. »
Les martyrs de Vingré
Le
caporal Paul Henry Floch et les soldats Jean Blanchard,
Francisque Durantet, Pierre Gay, Claude Pettelet et Jean Quinaud
appartenant au e RI.
Le
Journal de marche du régiment, signale l'exécution à la date du 4
décembre 1914 :
« L'exécution des 6 condamnés à mort a lieu à 7h30, à 200 m à l'ouest du calvaire de Vingré, situé à l'embranchement des deux chemins allant à Nouvion. Assistent à la parade d'exécution les quatrième compagnie de réserve du 298e, deuxième compagnie du 216e et une compagnie du 238e. Les troupes sont commandées par le Lieutenant-Colonel Pinoteau. Les condamnés qui ont passé la nuit dans la prison du poste de police sont amenés à 7h30 par un piquet de 50 hommes et fusillés. Après l'exécution qui se passe sans incident, les troupes défilent devant les cadavres et rentrent dans leurs cantonnements. »
Paul
Henry Floch
né le 31 mai 1881 à Breteuil où il est greffier de la justice de paix.
Dernière
lettre du caporal Floch adressée à sa femme Lucie avant son
exécution:
Le
4 décembre 1914, 6h 30
Ma
bien chère Lucie,
Quand
cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé. Voici pourquoi :
Le
27 novembre, vers 5 heures du soir, après un violent bombardement de
deux heures, dans une tranchée de première ligne, et alors que nous
finissions la soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée,
m’ont fait prisonnier avec deux autres camarades. J’ai profité
d’un moment de bousculade pour m’échapper des mains des
Allemands. J’ai suivi mes camarades, et ensuite, j’ai été
accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi.
Nous
sommes passés vingt-quatre hier soir au Conseil de Guerre. Six ont
été condamnés à mort dont moi. Je ne suis pas plus coupable que
les autres, mais il faut un exemple. Mon portefeuille te parviendra
et ce qu’il y a dedans.
Je
te fais mes derniers adieux à la hâte, les larmes aux yeux, l’âme
en peine. Je te demande à genoux humblement pardon pour toute la
peine que je vais te causer et l’embarras dans lequel je vais te
mettre…
Ma
petite Lucie, encore une fois, pardon.
Je
vais me confesser à l’instant, et j’espère te revoir dans un
monde meilleur.
Je
meurs innocent du crime d’abandon de poste qui m’est reproché.
Si au lieu de m’échapper des Allemands, j’étais resté
prisonnier, j’aurais encore la vie sauve. C’est la fatalité !
Ma
dernière pensée, à toi, jusqu’au bout.
Jean
Blanchard né le 30 septembre 1879 à Ambierle située dans le
département de la Loire et la région Rhône-Alpes. Il exerce le
métier de cultivateur avant d'être rappelé sous les drapeaux en
1914. Il est enterré dans le vieux cimetière d'Ambierle.
Ses
derniers mots:
"
Voici ce que j’ai sur moi :
Ma
montre
Mon
porte-monnaie qui contient 51 F 20, le mandat que tu m’as envoyé
et que je n’ai pas touché
Mon
couteau et quatre médailles
Je
tiendrais bien à ce que tu les reçoives.
J’espère
qu’on vous y fera parvenir, j’ai encore toutes les lettres que tu
m’as écrites dans mon sac ou sur moi.
J’ai
tous les effets que tu m’as envoyés et ceux que j’avais
auparavant ".
Jean
Quinaud, né le 14 mars 1886 à Saint Victor,
Allier, cultivateur, marié le 13 juin 1914 à Huriel. Inhumé à
Vallon-en-Sully.
«
Ma chère femme.
Je
t’écris mes dernières nouvelles : c’est fini pour moi. C’est
bien triste. Je n’ai pas le courage, je me (illisible). Pour toi,
tu ne me verras plus. Il nous est arrivé une histoire dans la
compagnie. Nous sommes passés vingt- quatre au Conseil de Guerre.
Nous sommes six condamnés à mort. Moi je suis dans les six et je ne
suis pas plus coupable que les autres camarades, mais notre vie est
sacrifiée pour les autres.
Ah
! autre chose : si vous pouvez m’emmener à Vallon. Je serai
enterré à Vingré.
Dernier
adieu chère petite femme. C’est fini pour moi. Adieu à tous, pour
la vie.
Dernière
lettre de moi, décédé au 298ème régiment d’infanterie, 19ème
compagnie, pour un motif dont je ne sais pas bien la raison. Les
officiers ont tous les torts et c’est nous qui sommes condamnés
pour eux. Ceux qui s’en partiront pourront te raconter. Jamais
j’aurai cru finir mes jours à Vingré et surtout d’être fusillé
pour si peu de choses et n’être pas coupable. Ca ne s’est jamais
vu une affaire comme cela. Je suis enterré à Vingré !... »
Francisque
Durantet né le 5 octobre 1878 à Ambierle dans la Loire. Il se
marie à Ambierle en 1906 avec Claudine Drigeard, ils ont deux fils.
Il exerce le métier de cultivateur. Il est enterré dans le vieux
cimetière de Ambierle.
«
Ma chère Claudine.
C’est
bien pour la dernière fois que je t’écris, car nous venons de
passer en Conseil de Guerre, je ne te reverrai plus en ce monde peut
être, nous nous reverrons dans l’autre monde. Car si je meurs ce
n’est pas ma faute, mais nous mourrons pour les autres.
Je
n’ai rien à me reprocher, j’ai vu l’aumônier et je me suis
bien confessé, et le plus malheureux pour moi c’est de ne plus te
revoir et ainsi que mes pauvres parents. Ma pauvre amie, il faut donc
se séparer nous qui étions si bien unis ensemble, il faut donc nous
séparer. Mon Dieu, que va tu faire seule avec les deux petits
enfants enfin Dieu te viendra en aide. Ne te décourage pas ma chère
amie, si je meurs je meurs la conscience tranquille ; Je n’ai pas
fait de mal à personne, si je suis puni, ma punition vient tout
simplement d’une bagatelle qui s’est produit par un homme qui a
crié : Sauvez vous voila les boches et tout le monde se sont mis en
déroute, nous étions 24 et sur le nombre nous avons été 6 qui
étaient pris, c’est bien malheureux pour nous, mais enfin c’est
notre destinée.
Je
te dis bien adieu, adieu et dit bien adieu à toute la famille pour
moi, ait bien soin de mes petits enfants.
Je
t’embrasse bien des fois, car c’est fini pour moi, et je te dis
une autre fois au revoir. »
Pierre
Gay né le 30 novembre 1884 à Treteau dans l'Allier. Il est
marié à Marie Minard le 28 septembre 1912 à Tréteau. Cultivateur
au domaine du Vieux Chambord à Treteau (Allier), marié, inhumé à
Treteau.
«Le
27 novembre, à 3 heures du soir, l'artillerie allemande s'est mise à
bombarder les tranchées pendant deux heures. La première section
qui était à notre droite a évacué sa tranchée sans qu'on le
sache.
Vers
5 h du soir, nous mangions la soupe en veillant devant nos créneaux,
quand, tout à coup, les Allemands viennent par la tranchée de la
première section, on nous croise la baïonnette sur la poitrine en
disant: «Rendez-vous, haut les mains, on vous fusille».
Je
me suis vu prisonnier avec un autre de mon escouade, je saisis un
moment d'inattention pour m'échapper. Il y avait un pare-éclats en
face de moi, je me suis jeté en face au risque de me faire tuer par
les balles et, comme je n'ai plus vu de camarades, je suis descendu
par la tranchée pour rejoindre ma section et nous sommes remontés
pour réoccuper la tranchée.
Le
lendemain, tous les officiers et chefs de section étaient bien à
leurs postes et nous, pour ne pas être restés prisonniers des
Allemands, nous avons passé en Conseil de guerre, nous ne sommes pas
plus coupables que les autres camarades de ma section. Nous avons
passé au Conseil de guerre le 5 décembre, toute la demi-section,
tous les autres ont été acquittés et nous avons été six
condamnés qui ne sont pas plus coupables que les autres ; mais si
nous mourons pour les autres, nous serons vengés par Dieu en
attendant de nous revoir dans les cieux.
Pardonne-moi
bien de la peine que je vais te faire ainsi qu'à mes pauvres
parents. Je vais demander l'aumônier pour me confesser, on ne me le
refusera pas, je suis innocent. Adieu, je ne sais plus quoi te
mettre, moi qui avait tant de choses à te dire. Oh ! Pardonne-moi
encore une fois, ainsi que mes chers parents, je n'ai pas peur de la
mort puisque je suis innocent du fait qu'on me reproche».
Claude
Pettelet né le 13 février 1887 à La Guillermie dans l'Allier,
cultivateur à la Guillermie (Allier), marié, un enfant, inhumé à
la Guillermie.
Lettre
du soldat Pettelet la veille de son exécution.
«Vingré
le 4/12/1914
Chère
Femme et parents,
Je
vous écris cette lettre pour vous annoncer une mauvaise nouvelle au
sujet des prisonniers qu'ils nous ont fait. Nous on s'est sauvé et
on croyait de sauver sa vie mais pas du tout je suis été appelé
devant le Conseil de guerre avec toute la demi-section dont je
faisais partie. On est 6 qui sont condamnés à mort. Quel ennui pour
vous et surtout pour mon Jérôme que j'aimais tant.
Mais
je te le recommande, aies en soin autant que tu pourras et tu diras à
ton père que je lui recommande son filleul, de faire ce qu'il pourra
pour lui puisque c'est fini pour moi.
Mon
motif qu'ils m'ont porté c'est «abandon de poste en présence de
l'ennemi». Je n'ai toujours pas tué ni volé et celui qui nous a
condamné j'espère de le voir un jour devant Dieu. Pour moi, j'ai
demandé le prêtre, il nous sera sûrement pas refusé et j'espère
que je ne tremblerai pas au moment de l'exécution. Ca ne doit pas
être un crime en se confessant à ne pas être digne du ciel.
Dès
que tu auras reçu ma lettre, tu me feras faire mon service et tu me
feras dire des messes, tu inviteras tous mes amis tels que Félix
Giraud du Pilard et Mélanie et quand tu vendras à Massonné, tu
feras ton possible pour que Mélanie l'achète.
Cher
femme, je vous invite tous, c'est à dire toi, mon père, ma mère et
mon oncle à avoir un bon accord ensemble et avoir soin de Jérôme
le reste de vos jours. Je vous le souhaite et j'espère que vous
m'accorderez cette faveur.
Chère
femme, la compagnie demande grâce pour nous au général mais il ne
faut pas compter sur ça pour être acquitté, mais enfin ne te fais
pas de l'ennui pour ça, il y en a d'autres.
Je
fais cette lettre et je la donne à un copain et je lui dis de la
faire partir que quand je serai mort. Quand vous la recevrai, tout
sera fini.
Je
termine en vous embrassant tous et en espérant de se revoir dans le
ciel, il n'y a plus que là que l'on peut se revoir. Il y en a
beaucoup du pays qui sont avec moi, ils diront toujours que ma faute
n'était pas grave. Je vous embrasse tous et je vous dit adieu. Je
regrette».
Témoignage
de J.B. Grousson de St-Etienne, 238e régiment d’infanterie :
4
Xbre – à 4 ½ du matin réveil pour exécution à 6 h à Vingré
de 6 soldats ayant abandonné leur poste surpris par les allemands,
avec Jules, je fais partie du peloton qui les encadre baïonnette au
canon, pour les mener au lieu d’exécution où le régiment est
réuni (19e Cie). Les aumôniers leur parlent et les embrassent, on
leur lie les mains qu’on attache ensuite à un poteau on leur bande
les yeux, l’adjudant Delmote qui commande le peloton d’exécution
abaisse son sabre, 72 fusils partent à la fois (dont Eyraud) et ces
6 martyrs tombent sans un cri, un sous-officier vient leur donner le
coup de grâce et on fait défiler tout le régiment devant ces 6
corps pantelants. Spectacle inoubliable et saisissant, l’un avait 5
enfants, l’autre 3. Etaient présents, Col. Pinoteau, lieut. Diot,
médecin Mallet, lieut. Brendejac.
Témoignage
de Jean Dumont du 238e régiment d’infanterie :
7h35
« Ensuite toutes les compagnies ont défilé devant les
cadavres renversés au pied des poteaux. Quel spectacle horrible
! Je n’ai pu m’empêcher de pleurer. Moi et les autres. Tous,
officiers, sous-officiers et soldats étaient atterrés. »
Témoignage
du Sergent Grenier du 298e régiment d’infanterie :
8h00
« C’est honteux, honteux, et c’est pour nous donner une
leçon, nous remonter le moral, nous donner du courage. Pour le
moment on ne peut rien dire, mais quand je pourrai parler, je dirai
ce que j’ai sur le cœur, et puisque nous n’avons pas pu sauver
leur vie, nous sauverons leur honneur. »
Hildevert
Eugène Marcadet,
né le 5 septembre 1877 à Dancourt, domestique en 1902-1903, une
fille, Julia Angèle Poulain. Soldat au 21è
Régiment
d'Infanterie Territoriale, il est inculpé d'abandon de poste étant
en faction en présence de l'ennemi. Fusillé le 4 décembre 1914 à
Fescamps (80). Annulation du jugement par la cour de cassation le
29/08/1918.
Alexandre
Foquino (en réalité Focchino selon ses papiers) né à
Marseille le 1er novembre 1887. Soldat au 111è R.I. il pre,d part à
la bataille de Vacincourt. Le 14 septembre, il perd la trace de sa
compagnie au moment où celle-ci quitte précipitamment Blercourt
pour poursuivre l'ennemi. Il est recueilli le 15 septembre par des
renforts du 61è R.I. mais alors qu'il combat dans le secteur de Bois
Carré (Avocourt),il prend la fuite, abandonnant arme et effets
militaires dans le feu de l'action. Arrêté le lendemain soir, il
déclare :
"
Au cours du combat qui s'est prolongé dans la nujit, il y eut une
débandade. Ke me suis perdu dans le bois avec deux compagnons du 61è
R.I. Nous y avons passé la nui. Au point du jour, ayant quitté mon
fusil et mon équipement pour mettre ma veste, j'ai été onligé de
m'enfuir précipitamment, car les Allemands, qui étaient à 25 pas,
nous tiraient dessus."
Les
témoignages accablants de deux "camarades" affirmant avoir
vu Focchino se coucher et refuser de suivre sa compagnie, incitent
ses supérieurs à le faire traduire en conseil de guerre. Devant le
CG de la 28è D.I. il est condamné à mort pour "abandon de
poste en présence de l'ennemi et dissipation d'armes et d'effets".
Son recours en grâce ayant été rejeté le 3 décembre, Alexandre
Focchino est fusillé à Récicourt le 5 décembre 1914.
Alphonse
Fortuné Fortoul est né à Revel en 1893 où il demeure avant
son appel pour le service militaire en novembre 1913. Il appartient à
la 10è compagnie du 157è régiment d’infanterie alpine qui est en
première ligne au moment de sa désertion.
Fortoul
est accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi le 13
novembre 1914 à Bouconville (Meuse), de vols au préjudice
d’inconnus et de désertion en présence de l’ennemi du 20 au 21
novembre. À partir de certains témoignages, l’accusation conclut
que Fortoul se préparait à déserter : il portait un paletot civil
sous sa capote, il se serait renseigné auprès de soldats de la
direction de Toul et on aurait retrouvé son sac laissé presque vide
après son départ de la tranchée...
Fortoul
est en effet arrêté par un poste de garde alors qu’il porte une
tenue civile sur sa tenue militaire. Lors de son arrestation, il
déclara avoir quitté la tranchée "parce que son capitaine, de
Barrin, lui avait tiré l’oreille et donné un coup de poing sur
l’épaule", pour le punir d’avoir fait un trou dans son
couvre-pieds. Il portait sur lui deux porte-monnaie, le sien et celui
qu’il a volé sur un mort allemand, ainsi qu’une somme de 19
marks et 19 pfennigs, qui s’y trouvait avec une alliance en or aux
initiales E.B.
Ramené
à son régiment, Fortoul profite de la relève de la garde pour
"s’esquiver de nouveau". Il est repris par la gendarmerie
le 23 novembre.
Le
capitaine nia avoir frappé Fortoul, déclarant que, "le 13
novembre, vers 14 h, il a pris par le bras et secoué Fortoul, qu’il
avait trouvé déséquipé ou mal placé dans la tranchée. Il ajoute
que cet homme était exaspérant par sa mollesse et sa lenteur à
exécuter les ordres". Incorporé en 1913, Fortoul est décrit
comme un "soldat négligent et malpropre" et son capitaine
le représente "comme peu intelligent, de caractère faible et
apathique, ne réagissant pas contre les émotions et les épreuves
de la campagne".
Fortoul
est condamné à mort pour "abandon de poste en présence de
l’ennemi" le 5 décembre et fusillé à Broussey-en-Woëvre
(Meuse) le 6 décembre 1914 au matin.
Extrait
de l'acte de décès :
Charles
Xavier Richter, né le 28 octobre 1885 à Bitschwiller
(Alsace), 2e classe au 8e Groupe de Chasseurs cyclistes
« Un
chasseur d’origine alsacienne nommé Richter était allé comme
d’autres échanger de loin quelques paroles avec les Allemands ; il
y eut même quelques trocs. Richter raconta à ses camarades qu’il
avait bu un coup de gnole en échange d’un peu de vin, ayant
liquidé le reste de son bidon, s’écria : "Je vais au patelin
chercher du pinard." Ses camarades ne purent le retenir ; à
Berles, il se trouva face à une sentinelle des Dragons qui, le
voyant excité, voulut le refouler puis, comme il menaçait cette
dernière, elle appela aux armes. Le poste arriva avec le
sous-officier qui tenta en vain de calmer le chasseur ivre et
furieux. Il le fit conduire à la Division où il fut écroué, passa
au conseil de guerre avec pour motif : ivresse, abandon de poste en
présence de l’ennemi et rébellion. Richter fut condamné à mort
et fusillé par un peloton d’exécution composé de ses camarades
chasseurs, de sous-officiers et caporaux, il mourut courageusement en
criant : "Visez juste, vive la France !". »
Mon
journal de guerre avec les Chasseurs (1914-1918), Bertrand Sittler,
présenté par Michel Turlotte. Extrait des Mémoires de la Société
d’Emulation de Montbéliard. N°128-2005, publié en 2006.
portrait
présumé
Carnets
de l’aspirant Laby, 28 juillet 1914-14 juillet 1919, médecin
des tranchées, présenté par Stéphane Audoin-Rouzeau, Bayard
éditions 2001, page 84."Lundi 7 déc 1914.
Je
retourne voir Julien. Le Dr Carivine est absent. En revenant,
j’assiste par hasard à l’exécution d’un chasseur cycliste qui
a quitté son poste, devant l’ennemi. Il meurt bravement. Il retire
sa veste et dit : "Mes chers camarades, visez à la poitrine,
pas à la tête." Il ne veut pas de bandeau et crie : "Vive
la France ! Vive l’Alsace !" Il rachète son crime par une
belle mort. Défilé des troupes devant le cadavre. Prière des
soldats avec l’aumônier.
Richter
est fusillé pour abandon de poste devant l’ennemi le 6 décembre
1914 à Pommier (Pas de Calais).
Louis
Macchia, né à Marseille le 30 novembre 1881.
Il
est forgeron, à Nîmes, au moment de la mobilisation générale.
Soldat réserviste de la classe 1901, il est rappelé et combat avec
le 312e régiment d'infanterie. Le 4 décembre 1914 au soir,
alors qu'il monte en ligne, il est blessé par balle à l'index de la
main droite et erre toute la nuit à la recherche d'un poste de
secours, qu'il n'atteindra qu'au matin. Suspecté de mutilation
volontaire, il est traduit devant le conseil de guerre. Malgré le
rapport médical attestant que la balle à l'origine de sa blessure a
été tirée de loin, il est condamné à mort pour “refus
d'obéissance en présence de l'ennemi”. Il est fusillé le 7
décembre au Bois de Malinbois à Chauvincourt-St Mihiel (55). Non
réhabilité.
Marcel
Henri Mulot, né le 2 mai 1886 à Angoulême, soldat de 2è
classe au 43è R.I.C. 20è Cie
Le
18 août au soir, à la ferme du Méridrey, en territoire allemand,
le Lieutenant Calvignac donna l’ordre au soldat Mulot qui voulait
acheter du vin, de faire le tour de la maison. Alors le soldat Mulot,
subitement furieux, brisa sa bicyclette et cria qu’il préférait
être fusillé. Puis il se montra très grossier envers M. Calvignac.
Lors de ce premier incident, Mulot échappe au conseil de guerre.
Mais dans la nuit du 1er au 2 décembre 1914, vers 23h30,
alors que la Cie est en première ligne dans les tranchées en face
de Monchy se produit l’événement qui va permettre à ses chefs de
se débarrasser de lui :
Déposition
du caporal Lambert : « A la suite d’une corvée
commandée par le caporal Lambert, le soldat Mulot s’est révolté,
a chargé son fusil et voulait se faire sauter la cervelle. [Il] a
simplement tiré en l’air, a posé son fusil à terre… C’est
alors qu’il se mit à crier très fort « Venez donc, les
Boches, nous ne sommes qu’une vingtaine »… après que le
sergent fut arrivé, ce soldat dit : « Ce n’est pas les
gros qui ont commandé cette corvée, ce sont ceux qui ont des
sardines ». Le sergent Estrade bouscula a lors le soldat et le
fit rentrer dans son trou. Le soldat Mulot était très surexcité.
Le caporal venait de le réveiller. Le soldat Mulot ronflait. »
Paroles
prononcées par le soldat Mulot, de son aveu : « Bordelle
(sic) de merde, venez donc nous chercher, on sera plus heureux que là
dedans ! »
-
Le soldat Mulot a-t-il eu une maladie coloniale qui pourrait atténuer
sa responsabilité ?
-
J’ai fait en août 1910
de
l’anémie palustre et j’ai obtenu un congé de convalescence de
cinq mois.
Le
médecin-major : « Le dossier médical, chargé en
affections vénériennes, ne porte pas d’indications relatives à
l’évolution d’une syphilis ayant particulièrement atteint le
système nerveux central. D’autre part, l’incontinence d’urine,
ayant nécessité une semaine d’hospitalisation sans récidive
depuis quatre ans, ne donne lieu à aucune conclusion d’ordre
médical. »
Cette
recherche de circonstances atténuantes -qui ne sont de toute façon
pas admises dans la procédure à cette époque- est une pure
hypocrisie de la hiérarchie, la lecture du premier rapport
(capitaine Favalelli) ne laissant aucun doute sur l’issue
recherchée : « D’un caractère fourbe, n’inspirant
aucune confiance, tenant par habitude des propos antimilitaristes,
parlant de revanche au moyen des syndicats, contre les galonnés, le
soldat Mulot est un danger au point de vue discipline et une
insécurité pour ses camarades quand leur confiance repose pour lui.
Le capitaine commandant la Cie a l’honneur de demander d’être
débarrassé d’un sans valeur pareil, d’un soldat d’un
caractère aussi anti-français ».
Après
supplément d’enquête -d’une journée- un Conseil de guerre
spécial du 43è régiment d'infanterie coloniale (6 et 8 décembre
1914) condamne Mulot pour trahison devant l’ennemi :
« Le
Conseil… considérant, que si ces cris n’ont pas été entendus
de l’ennemi, ils auraient pu l’être étant donné la distance
des tranchées et le silence de la nuit, que ces cris donnaient des
renseignements sur la façon dont était occupée la tranchée
française la plus proche de l’ennemi… considérant en outre que
de pareilles paroles sont démoralisantes pour les autres défenseurs
et qu’elles sont indignes d’un Français alors que tous sont
armés pour la défense du territoire, considérant au surplus, que
les renseignements fournis sur le soldat Mulot sont nettement
défavorables et qu’il est considéré par ses chefs depuis le
commencement de la campagne comme un révolté… condamne le soldat
Mulot à la peine de mort et à la dégradation militaire. »
Mulot
est "passé par les armes" le 8 décembre 1914 à
Saint-Amand (Pas de Calais), décès constaté à 16h.
Michel
Seguin, né le 15 novembre 1881 à Longueville (Lot-et-Garonne),
maître d’hôtel à Birac, marié, deux enfants, soldat au 153è
R.I.
Le
15 novembre 1914 à Kemmel (Belgique) à l’aube, le soldat Séguin
de la 10è Cie, quittait la tranchée dans laquelle il avait passé
la nuit pour se rendre aux feuillées situées en plein champs. Comme
il s’apprêtait à regagner la tranchée en achavant de se
boutonner, il prétend avoir ressenti une douleur soudaine à la main
droite. Il crie aussitôt « je suis blessé », et le
poste de secours l’envoie à l’infirmerie où le Médecin-chef
Labougle constate : « L’inculpé [son sort est donc
déjà décidé] a 2 petites blessures symétriques à la paume et à
la face dorsale de la main droite, qu’il dit avoir été causées
par la pénétration d’une balle et qui sont dues à la section de
la peau par un canif ».
Un
autre soldat Cautelouve, examiné le même jour et soupçonné
également de mutilation volontaire (arrachement par balle de deux
phalanges de l’index droit) échappe mystérieusement à la
répression. Seguin, jusqu’au jour de son évacuation avait la
réputation d’un bon soldat.
CG
de la 39è DI (audience du 5 décembre 1914) : la condamnation
est obtenue par trois voix contre deux, achoppant sur la
circonstance aggravante de la présence ou non de l’ennemi. La
commutation de peine proposée par le commissaire-rapporteur n’est
pas entérinée.
Seguin
est fusillé le 8 décembre 1914 à Elverdingue (Belgique) à 7h15.
Dr Neroly Maurice : « J’ai constaté que toutes les
balles avaient frappé la région précordiale, sauf une, qui entrée
par la bouche avait sectionné le bulbe ».
Gaston
Léon Eugène Brida, né à Valailles dans l'heure le 4 juillet
1893, garçon boulanger à Saint-Clair d'Arcey, célibataire, soldat
au 37è R.I. 9è Cie
Il
participe à toutes les batailles en Lorraine, Somme, Pas de Calais ;
Alors que son régiment cantonné à Woesten, doit partir relever le
lendemain le 156è aux tranchées de première ligne vers St Julien,
Brida est blessé à une main le 27 novembre 1914, il change
plusieurs fois de version, affirmant successivement avoir été
blessé sur la route, puis dans la tranchée, et enfin par un
camarade ayant tiré accidentellement derrière lui. Il est accusé
de mutilation volontaire par le médecin aide-major Abt de
l'ambulance 2/20 : déféré le 10 décembre 1914 devant le conseil
de guerre de la 11e D.I. il est condamné à mort à la majorité de
3 voix vois contre deux pour "abandon de poste par mutilation
volontaire" et exécuté à Elverdinge, Belgique le 11 décembre
1914 à 7h30. Non réhabilité, il figure sur le monument aux morts
de Saint-Clair-d’Arcey.
Louis
Joffin né le 25 mai 1883 à Verdun, terrassier à Reims, soldat
du 102è R.I. tatoué sur le bras droit « pas de chance ».
La
disparition de Joffin est constatée le 26 novembre 1914 à la relève
de la 10è Cie à L’Echelle Saint-Aurin, vers 18 heures. ; il est
arrêté le 28 novembre à Beauvais et dit qu’envoyé en
patrouille, il s’est perdu : « J’ai suivi la grande
route, couchant dans les meules et suis venu à Beauvais, espérant
obtenir des renseignements me permettant de rejoindre mon corps. »
Déféré devant le conseil de guerre ordinaire de la 7è D.I.,
Joffin est condamné à mort pour "abandon de poste en présence
de l'ennemi" : les minutes du jugement ne précisent pas
contrairement à l’obligation légale quel fut le nombre de voix
pour ou contre cette décision. Joffin ets fusillé à Fescamps le 12
décembre 1914 à 15 heures. Mais il est déclaré Mort pour la
France et le JO du 29 mai 1921 stipule encore : Joffin (Louis), mie
1471, soldat ayant eu au feu une belle attitude. Tombé au champ
d'honneur, pour le salut de la patrie, le 12 décembre 1914, à
Fescamps. Croix de guerre avec étoile de bronze. Sa fiche de décès
le dit mort par « suite de blessures ».
Jean
Grataloux, né le 9 décembre 1880 à ST Just-Sur-Loire, tourneur
sur métaux à Saint-Etienne, célibataire. Arrivé au 238è RI le 12
août 1914
JMO
: Depuis le 4/12/1914, le 238è RI procède à l'aménagement
défensif du secteur de Vingré - Le 12/12 : perte un homme Grataloux
passé par les armes »
Avant
d’entrer en campagne, Grataloux avait la première phalange de
l’annulaire gauche endommagée. Le 25 septembre il se présenta à
l’infirmerie du 238è R.I., ayant la 2è phalange de ce doigt
coupée. Il raconta que cette blessure lui avait été faite par une
balle perdue, après qu’il eut quitté la tranchée pour venir à
la visite. Les deux médecin ont des doutes mais enjoignent à
Grataloux une fois qu’ils l’ont pansé, de rejoindre sa tranchée,
au lieu de quoi, se présentant à l’ambulance n°1 à Fontenoy,
Grataloux se fait évacuer. Un mandat d’amener est délivré contre
lui le 15 octobre : il est arrêté à l’hôpital du Havre où
il est en traitement etcondamné à mort pour abandon de poste par
mutilation volontaire par le CG de la 63e DI le 12 décembre
L’abbé
Rochias, qui officie pour la 63e DI, est prévenu dans la matinée du
12 décembre, par le général Jullien, que deux exécutions auront
lieu ce jour-là. L’une à Vingré, d’un dénommé Grataloux,
l’autre à Port Fontenoy où se trouve enfermé Leymarie. Tandis
que son confrère Dumas s’en va assister Grataloux, l’abbé
Rochias se rend auprès de Leymarie. Au moment où il est remis au
détachement qui va le fusiller, ce soldat du 238e RI « tente
de se suicider à l’aide d’un couteau qu’il a pu dérober. Il
ne réussit qu’à se blesser et fut exécuté quelques instants
plus tard »
Grataloux
est fusillé le 12 décembre 1914 à 18 heures à Nouvron-Vingré
(Aisne)
Léonard Leymarie, né le 2 janvier 1880 à Seillac (Corrèze), marié, deux enfants, cultivateur, 2è classe au 305è R.I., 19è Cie
Le
17 novembre aux environs de Vingré, vers 1 heure du matin, Leymarie
a pris la faction dans une tranchée située à environ 200m des
tranchées allemandes. « Le créneau devant lequel il se
trouvait avait été détérioré par des projectiles ennemis. Il a
retiré son fusil du créneau pour voir s’il n’était pas
bouché ; en même temps avec la main gauche il a enlevé un peu
de terre qui le gênait pour replacer son fusil. Il a mis une
cartouche dans son fusil. C’est au moment où il a voulu
réintroduire son fusil dans le créneau avec la main droite que le
coup est parti. Leymarie indique qu’à ce moment-là il avait le
doigt sur la gachette et qu’il a, sans doute, en cherchant à
placer son fusil dans le créneau, accroché la courroie de son bidon
. Mais il ne peut expliquer comment il se fait que sa main gauche se
soit trouvée au bout du canon. » Le soldat Jouvent qui tenait
le créneau à droite de Leymarie signale en vain que « les
Allemands ne cessaient pas d’envoyer des balles », il est
contredit par le soldat Daumas, qui n’a rien vu mais n’a pas
entendu tirer les allemands au moment où Leymarie a été blessé.
Léonard
Leymarie, est condamné à mort à l’unanimité par le CGde la 63
DI pour «abandon de poste en présence de l’ennemi»
Sa
dernière lettre (orthographe originale respectée) :
"
Je soussigné, Leymarie Léonard, soldat de deuxième classe, né à
Seillac (Corrèze).
Le
Conseil de Guerre me condamne à la peine de mort pour mutilation
volontaire et je déclare formelmen que je sui innocan.
Je
suis blessé ou par la mitraille ennemie ou par mon fusi, comme
l'exige le major , mai accidentelmen, mai non volonrairemen, et je
jure que je suis innocan, et je répète que je suis innocan. Je
prouverai que j'ai fait mon devoir et que j'aie servi avec amour et
fidiélitée, et je je n'ai jamais féblie à mon devoir.
Et
je jure devandieux que je sui innocan.
Leymarie
Léonard "
Leymarie
est fusillé le 12 décembre 1914 à 16h30 à Port-Fontenoy.
Gratifié
de la mention Mort pour la France, il n'a pas été réhabilité
contrairement à la mention de sa fiche de décès « Tué
à l’ennemi Fusillé
réhabilité ». Requête en révision rejetée le 4 mai
1920, le 16 janvier 1922 (Limoges), puis en mai 1934 (Bordeaux).
La décimation d'Ypres
constitue l'un des deux exemples de décimation répertoriés durant la première guerre mondiale. Celle-là a frappé un régiment colonial constitué principalement de tunisiens. L'autre en 1915 concernera la Légion étrangère. Témoignage du peu d'importance de ces sous-hommes, l'autorité militaire n'a même pas pris la peine de noter le nom de sept des condamnés à mort:
Le
16 décembre 1914, 10 tirailleurs tunisiens du 8e régiment de
tirailleurs tunisiens (8e RTT) sont fusillés à Ypres
(Verbrande-Molen, Belgique), parmi lesquels Ahmed
ben Mohamed el Gadjedi, Ali ben Ahmed ben Fredj ben Khelil et
Hassin
ben Ali ben Guerra el Amolmi.
Les soldats combattaient depuis des semaines sans pouvoir se reposer
au point que leur historique de marche avoue que lorsqu’ils ont
gagné leur dernière position, les hommes étaient tellement épuisés
que certains "tombaient sur la route sans pouvoir se relever".
Le 14 décembre, les hommes de la 15e compagnie refusent d’obéir à
l’ordre d’attaque. Le lendemain, sur ordre du général Foch, 10
% des mutins sont tirés au sort, promenés devant le front avec un
écriteau portant en français et en arabe le mot « lâche » et
fusillés aussitôt après comme le note le JMO de la 38e division
d’infanterie dont relevait le 8e RTT : « Ordre du général
commandant l’armée de décimer la compagnie du 8e Tirailleurs qui
a refusé d’attaquer ».
Maurice
Clèche, né le 14 mai 1887 à Boulogne-Billancourt, boucher,
Zouave au 3è R.Z.
Le
13 décembre, vers 9 heures, pendant une marche exécutée par le
bataillon de Voormezele à Boeschepe, le capitaine Poulain
(commandant la 13è Cie du 3è Zouave) qui marchait avec le
médecin-major à la gauche du bataillon vit le zouave Clèche de la
16è Cie soutenu par des camarades, et qui semblait ivre et avait
abandonné ses armes et son havresac. Au moment où ces deux
officiers arrivèrent à la hauteur de ce soldat, celui-ci les
insulta grossièrement en les appelant « vaches, cons, salauds,
vendus » et ce, devant un groupe de belge et de deux soldats
anglais. Le capitaine Poulain dit de remettre Clèche à la garde de
police qui marchait derrière. Ceux-ci ne parvenant pas à le
maîtriser, le capitaine retourna sur ses pas, et reçut une nouvelle
bordée d’injures avant d’ordonner aux hommes d’employer la
force. Clèche se laissa alors traîner en tête du bataillon par
quelques hommes et le caporal Beaumont. Il se débattait néanmoins
en criant « Bandits, vampires, assassins », en rason de
quoi le chef de bataillon Lagne ordonna au sous-lieutenant Lovichi de
faire ligoter Clèche . « Quelques temps plus tard, le
capitaine Poulain a vu le même scandale se reproduire devant un
groupe nombreux de soldats anglais à l’égard du sous-Lieutenant
Lovichi de la 16è Cie. » Les officiers confient alors Clèche
à la garde de deux zouaves en attendant le passage d’une voiture
qui puisse le ramener, mais celui-ci finit par s’endormir
profondément et ils le laissent au bord de la route. Quand Lovichi
et les deux zouaves désignés pour la garde de Clèche reviennent en
arrière, ils le trouvèrent couché sur une charrette conduite par
des soldats anglais. Il fut ramené au cantonnement, moins ivre, mais
continuant à plaisanter et à tutoyer le sous-lieutenant.
Avant
le retour de Lovichi et de ses hommes, le sergent Bessières (du 2è
Zouave) commandant la garde de police, et qui devait ramasser tous
les traînards et éclopés qu’il rencontrait sur la route,
arrivant au village de La Clytte, aperçut Clèche, couché ivre dans
le fossé. Levé par deux hommes, Clèche, dès qu’il fut debout
porta un coup de pied au sergent. On voulut alors le faire monter sur
une voiture prêtée par des soldats anglais. Il en profita pour
donner au sergent un autre coup de pied au niveau des parties
génitales, ce qui fit tomber Bessières à la renverse. S’étant
dégagé des hommes qui le tenaient, Clèche saisit le sabre du
sergent et le frappa à la main gauche déterminant une blessure
assez profonde de deux centimètres de long. Quatre hommes le
saisirent et le hissèrent sur la voiture.
Condamné
par le CG spécial du 3ème régiment de zouaves de la 1ère
division, Clèche est fusillé le 16 décembre 1914 à Abeele
(Belgique), 8 heures.
François
Fernet, né le 16 juillet 1890 à Verjux (Saône et Loire),
ajusteur-mécanicien à Dijon, soldat au 27è R.I. déjà condamné
le 8 novembre à deux ans de prison avec sursis pour abandon de
poste : « etant aux avant-postes pendant la nuit, s’est
déplacé sans ordres et n’a pu être trouvé au moment de prendre
la faction en sentinelle. A pu prouver qu’il se trouvait dans une
section voisine. »
CG
spécial (réuni le 21 décembre) : Fernet quitte les rangs
alors que sa Cie se rend de Vignot à Bois-Brûlé, à deux km avant
d’arriver à Marbotte. Sa justification est qu’il était fatigué.
« Je savais que le régiment devait faire une attaque, mais je
ne savais pas que c’était pour le lendemain. J’ai rejoint aux
cuisines le onze décembre à midi, après avoir passé la nuit au
poste de secours du 29è près de Marbotte. En cherchant ma Cie dans
la matinée j’ai appris qu’elle était aux tranchées ;
n’ayant trouvé personne pour m’y conduire, je suis resté aux
cuisines. » Fernet est de retour à son escouade le 12 à 8h.
« Je ne pensais pas que je commettais une faute. »
Fernet
est fusillé le 22 décembre 1914 à Saint Mihiel Bois-Brûlé
(Meuse) devant les troupes de réserve du Bois Brûlé à 12 heures.
Louis
Eugène Abbadie, né le
15 mars 1884 à Paris 11è, deuxième enfant d'une fratrie de six.
Orphelin de père en 1900, de mère avant 1914, Louis Eugène
réside à Montargis, dans le Loiret, où il est courtier en chevaux.
Le
15 novembre 1914, Louis Eugène Abbadie est arrêté. Il est dans
l'incapacité de présenter son livret militaire déclarant qu'il l'a
perdu il y a cinq ou six mois… Le régiment ne peut pas non plus
présenter un relevé de punitions, pour les mêmes raisons…
Interrogatoire
de gendarmerie :
« Nous
avons interrogé sur les faits qui lui sont reprochées, le soldat
Abbadie (Louis), âgé de 31 ans, courtier en chevaux chez M. Caillat
à Montargis (Loiret) […] avouant une condamnation pour outrages à
agents. […] »
Zéphos
(René) soldat au 246ème
Régiment d'Infanterie, 24è Cie,
nous a déclaré : « Le 11 novembre dernier, dans la matinée,
nous sommes entrés à l'infirmerie de mon régiment à Crouy, j'ai
bu plusieurs consommations avec mon camarade Abbadie qui lui aussi
s'est présenté à l'infirmerie, Après la visite, c'est-à-dire
vers 8h30, je n'ai pas revu Abbadie, donc il ment en disant que
j'étais avec lui toute la journée" […] Fait et clos à
Soissons…"
Le
Commandant de sa compagnie, la 24è,
ajoute : "La
conduite habituelle de ce soldat laisse plus qu'à désirer : il a
profité de toutes les occasions pour s'enivrer et dans cet état,
commis fautes sur fautes ».
Avis
du Capitaine Sallet, commandant provisoirement le 6ème
Bataillon :
« Le soldat Abbadie est un très mauvais troupier. Indépendant, d'allure indisciplinée, il se refuse à supporter toute contrainte et n'obéit que lorsque l'obéissance devient pour lui nécessaire. C'est de propos délibéré qu'il a quitté sa Cie, se rendant de Soissons à Crouy pour occuper les tranchées. C'est également de propos délibéré qu'il a erré du 9 au 14 sans songer à rejoindre son unité. […] En attendant, le soldat Abbadie reste coupable d'abandon de poste devant l'ennemi et je demande en conséquence à ce qu'il soit traduit devant un Conseil de Guerre ».
Avis
du Chef de Bataillon Bonnet, commandant le 246ème
Régiment d'Infanterie :
« Le soldat Abbadie est un très mauvais sujet qui ne mérite aucune pitié. Je demande : 1° que cet homme soit traduit devant un Conseil de Guerre et 2° qu'il soit soumis à un examen minutieux permettant de savoir si oui ou non c'est un mutilé volontaire, les 2 rapports médicaux ci-joints ne concluant pas d'une façon ferme ».
Déclaration
d'Abbadie au sergent Ribes, commis-greffier :
« C'est à Bucy-le-Long, une heure environ avant l'incident qui m'est survenu que j'avais rencontré ce camarade. C'est un militaire du 152è de Ligne dont j'ignore le nom: je ne puis fournir à son sujet aucune autre indication. C'est ce militaire qui m'avait envoyé à le suivre dans les tranchées occupées par son régiment. Dès que j'ai été blessé, je me suis rendu à l'infirmerie de Crouy et mon camarade est parti dans sa direction. Je ne puis vous en dire davantage ».
Une
enquête menée auprès du 352è R.I. (alors que l'inculpé parlait
du 152è) ne donne évidemment rien.
Les
constatations médicales sont contradictoires, si ce n'est qu'elle
visent toutes plus ou moins directement le même but. Le Médecin du
246è témoigne : « […] Cet
homme dit avoir été blessé d'un coup de fusil dans la région de
Bucy-le-Long où il se trouvait isolé du régiment […] Elle paraît
au contraire être le résultat d'un coup de feu tiré à 20 ou 25
centimètres de distance... on peut être amené à déduire que le
blessé en est l'auteur « .
Le
16 novembre 1914, le Médecin Major de 2è classe Chambelland
atteste : « On peut dire
que cette plaie présente plutôt les apparences d'une plaie par
petit éclat d'obus. Or, le soldat Abadie prétend n'avoir pas
entendu éclater de projectiles près de lui, il n'a pas non plus
entendu siffler de balles dans le voisinage. […] On ne peut donc
pas conclure d'une façon ferme sur l'étiologie du traumatisme du
soldat Abadie, mais on peut dire que sa plaie présenté certains des
caractères des plaies produites par un coup de fusil tiré à bout
portant ».
En
plus de l'abandon de poste à l'ennemi, de la mutilation volontaire,
on accuse également le soldat Abbadie, fait gravissime ! d'avoir
volé du sucre...
Pour
l'accusation de vol, le Chef d'Escadron de gendarmerie Astruc, major
de la garnison de Soissons, dans l'Aisne, reconnaît formellement
Louis Eugène Abbadie comme étant celui qui a dérobé le sucre aux
magasins généraux le 11 novembre 1914. L'autre témoin est Louis
Aurissier, soldat au 289è Régiment d'Infanterie. C'est lui qui a
arrêté le "voleur" qui transportait 15 à 20 kilos de
sucre dans un sac de toile… Louis Eugène est présent lors de la
comparution des deux témoins mais il n'est pas interrogé : seuls
les témoins parlent ! (personne n'a l'air de se préoccuper de
savoir ce qu'il comptait faire de son butin, ni comment il est arrivé
dans la place.)
Le
30 novembre 1914, le jugement tombe : reconnu coupable d'abandon de
poste devant l'ennemi et confondu de vol, c'est la peine de mort !
L'exécution est prévue pour le 24 décembre 1914.
Le
Général Président du Conseil de Guerre de la 55ème
Division d'Infanterie de Réserve intercède en faveur du soldat
Abbadie. Il pense utile et important que la peine soit commuée.
« Deux
raisons m'ont décidé à faire appel à votre clémence. La première
ressort de la comparaison entre les articles 213 § 1 et 239 du Code
de Justice Militaire. Une disproportion me semble exister entre les
châtiments prononcés contre le "déserteur en présence de
l'ennemi" et le militaire coupable "d'abandon de poste en
présence de l'ennemi". Il résulte des pièces du procès que
le soldat Abbadie, ayant été autorisé par le Chef de section à
rester en arrière de la colonne n'a fait qu'abuser gravement de la
permission momentanée qui lui avait été donnée. J'ai estimé, en
outre que la majorité très restreinte obtenue au Conseil pour la
peine de mort, majorité qui, en temps de paix, aurait pu constituer
une minorité de faveur, justifiant un recours en grâce. »
Le
Général Berthelot transmet la demande à la hiérarchie avec avis :
« Je
déplore que le Conseil de Guerre ait cru devoir adresser un recours
en grâce en faveur d'un lâche doublé d'un voleur. Il semble
prendre à cet égard une mauvaise habitude puisque c'est la deuxième
fois en moins d'un mois qu'on propose une mesure d'indulgence dans
une situation où la discipline doit être maintenue avec la rigueur
la plus absolue ».
La
réponse à ce recours n'est pas connue lorsque le 24 décembre 1914,
Louis Eugène Abbadie est fusillé à 7h35 du matin, à Vauxbuin,
dans l'Aisne.
JMO
de la 55 è D.I. :
« Le
24 décembre, le soldat Abbadie du 246è Régiment d'Infanterie,
condamné à la peine de mort, est fusillé à Vauxbuin à 7h30. La
Gendarmerie a assuré le maintien de l'ordre. Le soldat Abbadie n'a
pas voulu qu'on lui bande les yeux, il a refusé de se mettre à
genoux et est mort très courageusement ».
La
transcription de son acte de décès en mairie de Montargis porte la
note marginale « Mort pour la France, le 14 août 1915 »
Frédéric
Julien Dédébat, né le 28 août 1881 à Saint-Lys
(Haute-Garonne), où il est cultivateur, marié, père d'une fillette
né en 1910. Soldat au 143è R.I.
Aucune
photo, aucun document, aucune lettre, aucun objet personnel, aucun
souvenir dans la famille, comme si Frédéric Julien Dédébat
n’avait jamais existé. Gabrielle, la dernière de ses deux petites
filles, nous confiait quelques mois avant de décéder "qu’il
se disait, qu’il aurait été tué par les Français".
Patrick
Lasseube, maire de Saint-Lys a consacré un
ouvrage et des années de son temps à la réhabilitation du
soldat Dédébat :
« Son
parcours est très atypique avec un engagement de 4 ans en 1901 où
il servira dans le 61è
régiment
d’Infanterie, mais où il sera excessivement sanctionné pour des
peccadilles ou des refus d’obéissance, tout cela lui coûtant
82 jours de prison, 49 jours de salle de police et 8 jours de
consigne au quartier.
Il
est accusé d'avoir abandonné son poste en présence de l'ennemi
mais aussi d'un vol de carte électorale et enfin d'avoir abandonné
son fusil, son épée baïonnette et une partie de ses effets
militaires. Dans leur jugement sur les trois accusations portées à
l'encontre de Dédébat, les cinq juges le reconnaissent non coupable
à l'unanimité d'avoir volé une carte d'électeur retrouvé sur lui
le jour de son arrestation. Ils le reconnaissent non coupable
concernant la dissipation et l'abandon d'une partie de ses effets
militaires. Par contre ils le reconnaissent coupable à l'unanimité
pour abandon de poste en présence de l'ennemi. L'instruction est
faite uniquement à charge, La procédure est des plus expéditives,
le conseil de guerre est convoqué le 22 décembre à 13 h 30, la
condamnation à la peine capitale est prononcée le 23 et elle est
mise à exécution le 24 décembre à 7 h 30, veille de Noël. Son
exécution a fait l'objet d'une mise en scène des plus macabres.
L'exécution se fait en présence de détachements de plusieurs
régiments qui sont contraints d'assister et de défiler devant la
dépouille mortelle de Frédéric Julien Dédébat. Aucun détail
descriptif ne manque y compris la mention : «Le coup de grâce n'a
pas été nécessaire». Il y a même un relevé d'autopsie indiquant
les lésions provoquées par les douze balles du peloton
d'exécution. »
Traduit
le 22 décembre 1914 devant le conseil de guerre de la 32e D.I.,
accusé d' « abandon de poste en présence de l'ennemi,
dissipation d'armes et d'effets militaires, vol au préjudice d'un
particulier ». Sa fiche SDG le dit « Mort pour la
France », sa fiche de décès le dit « Passé par les
armes pour abandon de poste ».
Fusillé
le 24 décembre 1914 à Reninghelst en Belgique.
Le
18 décembre 1914 est fusillé Abel Garçault, né le 30
janvier 1894 à Villedieu-sur-Indre (Indre), où il était
porcelainier, soldat du 1er régiment de marche de zouaves, se rend à
son initiative au poste de secours, alors qu'il est en ligne, pour
faire soigner une blessure à la main. Le major du poste (Dr Lannou)
indique dans une note succincte qu'il a noté des traces de poudre
autour de la plaie. Garçault est aussitôt déféré devant le
conseil de guerre de son régiment, qui le condamne le 26 décembre
pour « abandon de poste en présence de l'ennemi par mutilation
volontaire ». Il est fusillé le 27 décembre à Poperingue
(Belgique, Flandre occidentale). L'abbé Laffitte qui l'a confessé
et assisté jusqu'à son exécution, est persuadé que ce jeune de 20
ans est innocent. Il entreprend une campagne de réhabilitation. Une
expertise médicale du Dr Paul précise que les éléments constatés
par le major ne peuvent permettre de conclure à une automutilation.
Le 18 décembre 1918, un document du régiment atteste que le zouave
a été tué au feu et est mort pour la France. Abel Garçault
est définitivement réhabilité par un arrêt de la Cour de
cassation du 12 novembre 1925. Le même procédure innocente son
co-accusé condamné dans les mêmes conditions et fusillé
conjointement
Louis
Harion Alexandre Chochoi, né le 23 octobre 1884 à Desvres (Pas
de Calais), soldat au 1er R.M.Z. « Attendu que le 18 décembre
1914, Chochoi quittait, la main gauche ensanglantée, la partie de
tranchée dans laquelle il se trouvait seul à Verbranden-Molen ;
attendu qu’il n’a été procédé à aucune information
préalable, qu’aucun procès-verbal d’interrogatoire de l’accusé
n’a été dressé, qu’aucun témoin n’a été entendu à
l’audience ; qu’il n’a été produit aux juges une note du
médecin major Lannou, que cette note a disparu... » la Cour de
Cassation acquitte Chochoi. Le docteur Lannou, interrogé en 1925,
dégage sa responsabilité en remarquant que sa note ne faisait état
que d’un coup de fusil tiré de près, et qu’une enquête au
corps aurait dû déterminer les circonstances de l’accident. Le
commandant du 1er Zouave, quant à lui se souvient à peine de
Garçault et pas du tout de Chochoi ; il remarque qu’il
n’avait de nouvelles de ses hommes que lorsqu’ils revenaient à
l’arrière et qu’il a appris la condamnation de Garçault avant
d’avoir été averti des faits. Le commissaire-rapporteur Pommier
dont la mémoire est également défaillante (mais qui affirme
pourtant que le défenseur a pu consulter le dossier trois minutes
avant l’audience) insinue qu’ »il était très facile de se
faire blesser par une balle allemande, le tir étaitininterrompu nuit
et jour, les tranchées étaient très rapportées et il n’y avait
qu’à lever la main ». Malgré l’annulation du jugement, il
ne semble pas que des dommages-intérêts aient été versés aux
ayant-droits, ni qu’aucun tribunal n’ait prononcé la
condamnation de l’État. Réhabilitation à peu de frais donc,
puisque « tué à l’ennemi » Chochoi est « Mort
pour la France ».
Abel
René Viau, né à Bléré le 12 janvier 1888, marié,
cuisinier-charcutier à Bagnolet, engagé volontaire au 1er régiment
des zouaves à Alger puis successivement soldat au 266è et au 66e
R.I. Signe particulier : croix de la Légion d’Honneur tatouée
sur la poitrine.
Le
25 novembre à la tombée de la nuit, la 3è Cie du 66è est appelée
à se porter de la 2è à la première ligne Les soldats Viaux et
Ernest Gay disparaissent dans le brouillard. A leurs dires, ils
souffraient de rhumatismes qui les empêchaient de faire leur
service. Ils ne rejoignent leur Cie que le lendemain au village de St
Jean alors que leur régiment relevé se dirige vers son cantonnement
de repos à Vlamerthinghe. Viau est soupçonné d’avoir entraîné
son camarade qui se sépare de lui au matin du 26.
L’intention
de nuire du rapporteur paraît avérée : relève-t-elle du fait
que le 4 octobre Viau s’était présenté aux Etapes avec une
blessure par arme à feu à l’index gauche ? Ou qu’il
provenait de divers régiments de l’arrière épargnés par le
feu ? « Viau ne s’est présenté à la visite que le
lendemain de son arrivée au cantonnement de Vlammerthingue. Il est
vrai qu’il n’a pas été passé de visite au 1er bataillon le 26
novembre, mais il eut été facile à cet homme, s’il avait été
vraiment malade, de se rendre auprès des médecins du 2è Bataillon.
Il a préféré ce jour-là se livrer à la boisson, et c’est dans
ces conditions qu’il a été rencontré à 13 heures apr le sergent
Gallard dans un état d’ivresse manifeste. » .
CG
de la 18è DI (audience du 26 décembre 1914) : il y avait trois
témoins à charge et trois témoins à décharge, mais ces derniers
n'ont jamais pu arriver au procès.
Viau
est fusillé le 27 décembre 1914 à 8 heures au cimetière d'Ypres,
en Belgique (cimetière de Frezenberg disparu, ravagé par les
offensives allemandes ultérieures)
le cimetière à l'issue du conflit
plaque dévoilée le 11 novembre 2016
Ernest
Camus, né
le 29 mars 1880 à Buironfosse (Aisne), sabotier
à Chauny,
célibataire, père de deux
enfants reconnus, sergent-fourrier
au 151e R.I.
Signalement approximatif : 1,70m, figure rouge, large, yeux
clairs vifs. Parler campagnard, roule assez les r. Forte corpulence.
Cheveux chatains légèrement roux. Gendarme à pied, il est réformé
par mesure disciplinaire en 1906 après une affaire « d’indélicatesse
frisant l’escroquerie » (promesse de mariage et emprunt
d’argent), relevé de ses fonctions de sergent-major pour ivresse.
Le
21 décembre 1914, l’officier payeur vint déposer le prêt de
campagne à la 8è Cie du 151è. Il ne put être servi qu’aux
sous-officiers, la troupe quittant le cantonnement d’Ypres pour se
rendre aux tranchées. Le 23 décembre au matin, le sergent Camus,
faisant fonction de sergent-major se prétendait malade et emmenait
avec lui les hommes à la visite. Lui-même ne s’y présenta pas et
fut aperçu par le sergent Demolliens au « Café de la Tour »
rue au Beurre « sur le pas de la porte, en tricot et en
sabots ». Plusieurs sous-officiers s’y rendirent le lendemain
matin pensant l’y trouver, mais il ne trouvèrent qu’un certain
nombre de documents abandonnées par Camus (des livrets de soldats
décédés et des demandes de renseignement émanant des familles) et
apprirent qu’il était parti en laissant une ardoise d’1,80 franc
au café, après s’être fait raser, s’être offert un complet
bleu marine (100 francs) et une paire de lunettes. Il aurait déserté
(en présence de l’ennemi) en détournant la somme de 475, 79
francs du prêt non distribué.
Camus
est arrêté le 28 décembre par la gendarmerie « en tenue
civile et en état d’ivresse dans un estaminet de la rue St Nicolas
à Yppres » et remis au poste du 2è Bataillon, afin d’être
immédiatement jugé par un CG spécial réuni pour l’occasion.
Ordre
de parade (manuscrit, crayon noir sur pages de carnet) « Un
peloton de la 4è Cie (50 hommes) viendra prendre livraison du
condamné et le conduira de manière à le placer le dos à un tas de
bois voisin de deux meules. Le sergent qui commandera ce peloton aura
soin de couper avant tous les boutons de la capote du condamné, et
de lui enlever ses galons s’il en avait encore. »
Camus
est fusillé le 31 décembre 1914 à Poperinge (Belgique) à 5 heures
du matin.« Tué à l’ennemi », Mort pour la France.
Camus
est peut-être l’homme assis en bas à droite
Les 7 allemands de Chalons et quelques autres
Un
certain nombre de soldats allemands sont passés en Conseil de Guerre
une fois fait prisonniers, la majorité en 1914. Parmi eux, cette
année-là, 17 ont été fusillés, 2 condamnés directement aux
travaux forcés à perpétuité, un à 10 ans de réclusion.
Sur
ces 17, cinq ont fait l’objet d’une demande de grâce. Elles ont
toutes été rejetées. Ces demandes n’ont eu lieu qu’en octobre
et novembre. En septembre, les 9 condamnés n’en ont pas bénéficié
et ont été exécutés dans la foulée de leur jugement.
La
9ème Armée Foch a ainsi condamné à mort 7 d’entre eux :
Karl
(Charles) Hermann Ehrlich,
né le 8 février 1891 à
Wendisch Lippa, 182è R.I. allemand, marié
sans enfant
Friedrich
Paul Muss, né
le 26 mai 1891 à Lissa (Prusse), célibataire, 181è
R.I. allemand
Max
König, né
le 23 février 1893 à Warhau, mineur, célibataire, 181è
Arthur
Nix, né
le 12 mars 1891 à Dresde, instituteur, marié, 1 enfant, réserviste
182è
Ernst
Pommer, 23
ans, né à Scharhau (Saxe), marié, 1 enfant,179è
R.I.
Friedrich
Wilhelm Maynert,
né le 3 février 1893 à
Schwaneeberg, musicien, célibataire, 182è
Kurt
Eilfried Taubert,
né le 8 septembre 1892 à
Chermitz, serrurier, célbataire, 179è
Lors
de la retraite allemande consécutive à la bataille de la Marne, ils
avaient discrètement quitté les rangs le 11 septembre, donc déserté
et s’étaient réfugiés dans une maison vide à Chalons
sur Marne, 5, rue St Joseph, dans laquelle ils avaient bien vécu
jusqu’à ce qu’on les repère le 15 septembre et qu’on les
arrête au moment où ils
allaient passer à table dans la salle à manger du 1er
étage. Traduits en Conseil
de Guerre pour pillage en bande, ces déserteurs étaient jugés par
le Conseil de Guerre Spécial de la 9ème Armée dans la matinée du
19 septembre et exécutés le même jour à 15 heures à Chalons.
« Attendu…
qu’il est établi aux débats par les pièces du dossier et les
aveux des accusés qu’ils se sont livrés au pillage de la maison
inhabitée à Chalon rue St Joseph… que ces accusés ont reconnu
avoir agi en bande et être porteurs d’armes chargées… qu’ils
ont abandonné leur troupe sans raison valable ; qu’ils ont
déclaré avoir dérobé certains objets dans d’autres localités,
et qu’enfin ils ont déclaré « qu’ils n’avaient fait
qu’imiter leurs camarades de l’armée allemande qui voulaient
rapporter des souvenirs de France ». Par ces motifs le conseil
[les] condamne à l’unanimité à la peine de mort. »
En
fait de pillages, les inventaires sont assez minces, de mémoire, un
mouchoir à carreau, une bobine de fil blanc, un bouton de capote,
une petite glace, un album de vues de Versailles,
idem pour Reims, des cartes postales françaises, des boutons de
manchette en métal, une pipe en bruyère, deux
gommes, trois épingles de cravate, une cuillère à café, un fichu
et des gants de femme...
Le
capitaine commandant le détachement du 66è R.I. : « J’ai
l’honneur de vous rendre compte que les prisonniers qui m’ont été
confiés ont été passé par les armes à 15 heures et inhumées
dans un bois situé entre Les Grandes Loges et Livry. »
Le
21 septembre, deux jours après c’était au tour du soldat Heinrich
Werner de tomber sous les balles pour le même motif après
jugement par le Conseil de Guerre de la 22è DI.
Le
9è, Otto Führmann, a été condamné, lui, pour espionnage
par le Conseil de Guerre de la 41è DI le 29 septembre avec exécution
le lendemain à Saint-Dié.
On
ne sait pourquoi, à partir d’octobre 1914, la grâce a été
demandée pour une petite majorité des prisonniers allemands (5 sur
8). Le Conseil de guerre du 21ème CA l’a fait, après avoir jugé
Heinrich Alken et Wilhelm Putz, le 26 septembre pour
pillage. La réponse présidentielle négative est du 19 octobre avec
pour conséquence l’exécution le 20. Est-ce pour cela que le mois
suivant le même 21ème CA condamnait et exécutait deux nouveaux
« pilleurs » Auler et Aust le 27 octobre ?
La Direction des Etapes et Services de la 1ère Armée a décidé,
elle aussi, après condamnation à mort de Heinrich Stapf le
28 octobre d’en rester là et l’a fait exécuter le 30 du même
mois.
D’être
jugé à l’arrière ne garantissait pas une plus grande clémence.
Le 5 octobre 1914, devant le 2ème Conseil de Guerre du Gouvernement
Militaire de Paris Charles Bruggmann et Peter Schrick
étaient condamnés à mort toujours pour pillage en bande. La
réponse à la demande de grâce n’arriva pour les deux condamnés
à mort que le 29 octobre avec exécution à Vincennes le 31.
Le
brancardier Franz Ott n’aurait pas dû tenir un carnet de
marche précis entre le 22 août et le 7 septembre 1914 et surtout le
conserver par devers lui. Il y avait raconté par le menu son
itinéraire et les événements survenus dans son entourage. Il y
parlait de francs-tireurs abattus, de pillages. Le Conseil de Guerre
de Verdun le condamnera à mort le 10 octobre 1914, un mois après la
découverte de son carnet lors de sa capture le 8 septembre, près de
Jubécourt. Sa grâce fut demandée. On ne peut expliquer pourquoi la
réponse a tardé jusqu’au 23 novembre pour un dossier bien
constitué. En tout cas, négative, elle amenait son exécution le 27
du même mois.
Ainsi,
contrairement aux demandes de grâce envers des soldats, la
Présidence de la République a systématiquement entériné les
décisions militaires concernant des soldats allemands.
Quelques civils
Le
14 septembre Pierre Tinten, civil de 52 ans, domestique, puis
blanchisseur à Champigny originaire du Luxembourg est exécuté.
Selon
le certificat du capitaine commandant la Prévôté de la 5è
division d’infanterie, Pierre Tinten a été passé par les armes à
15 heures et 20 minutes à Saint-Thierry (51).Les Archives
départementales conservent ce jugement déclaratif du décès par
l’Armée française. Néanmoins il ne figure aucune mention des
motifs de son exécution. D’autre part le Ministère de la Défense,
contacté, répond que dans le contexte de l’époque, il est
envisageable mais impossible à démontrer que M. Tinten ait été
fusillé sans jugement. Avait-il un fort accent qui l’aurait fait
confondre avec un ennemi déserteur en civil ?
Léo
Mac Ghastley, né le 2 septembre 1870 à Sacramento, citoyen
américain, électricien
et
sa femme Marie Biehl, née
le 15 août 1874 à Trêves (Allemagne) ont été fusillés le
15 septembre 1914 à 10h30 à Romigny (Marne) dans la journée de
leur jugement. Mac Ghastley était arrivé de Paris vers la mi-août
pour équiper en matériel électrique la sucrerie de
Château-Thierry. A l’arrivée des Allemands, le 2 septembre, le
patron de la sucrerie leur demande d’assurer le gardiennage de sa
maison. Mac Ghastley et sa femme y reçoivent des officiers
allemands, qu’ils logent et servent, échangeant avec eux dans leur
langue. La femme de Mac Ghastley se fait remarquer par les relations
amicales qu’elle entretient avec les militaires allemands qui la
saluent dans la rue, s’arrêtent pour lui parler. Elle dit à
quelques personnes de son entourage qu’elle peut par son
intervention les protéger des pillages. Elle appose des notes en
allemand sur les maisons devant être épargnées, comme sur celle de
M. David où le couple vient résider au départ des Allemands. Mme
Mac Ghastley se montre alors très empressée auprès des officiers
français qui rentrent en ville, et particulièrement serviable pour
les gendarmes. Aucun rapport ou ordre de mise en accusation ne
demeurant au dossier, il est compliqué de déterminer si les Mac
Ghastley ont été confondus pour des agissements relevant de
l’espionnage ou par la condamnation de la rumeur publique se
méfiant de ces étrangers habiles à se faire des relations de tous
bords. L’accusation supplémentaire de vol pour l’emprunt d’une
paire de jumelles (sans molette de réglage) ramassée par Mac
Ghastley dans le jardin de la sucrerie incline à penser que les
poursuites ont peut-être été un peu hâtives.
Stanislas
Dobrowolsky, fusillé le 19 septembre 1914 à Driencourt (Somme)
était né le 7 février 1890 à Jaswon en Autriche.
Autrichien-polonais, domestique agricole depuis 1913 à Nanteuil le
Haudouin (Barlin) où il était venu exercer le métier de bouilleur,
il est condamné par le CG de la 1ère division de cavalerie
(gendarmerie à cheval) pour intelligences avec l’ennemi, et
menaces de mort sous condition de vols au préjudice d’habitants.
Travaillant depuis un an environ à la ferme de Bel-ai chez M.
Watteller, Dobrowolsky a montré sa sympathie envers les allemands
lors de le passage par le village de Nanteuil le 2 septembre en les
guidant de 8 à 20 heures chez les habitants pour qu’ils obtiennent
à boire et à fumer, sous la menace de les faire « Capout »
(sic) s’ils désobéissaient. Le 3 septembre il s’est introduit
dans la maison Watteler et a caché dans le tas de fumier six boites
de cartouches de cavalerie française et anglaise/ la perquisition de
sa chambre après son arrestation le 7, a révélé une chemise fine,
2 pantalons de treillis allemand, un couteau anglais et deux
bicyclettes dont une de femme.
Désiré
Dossancourt, civil, né dans l’Aisne à Étréaupont le 8 mars
1873. Plombier gazier domicilié 10 rue du parc à Creil. Arrêté le
20 septembre, Désiré Dossancourt a été jugé pour espionnage. En
l’occurrence, cette appellation générique désigne le fait
d’avoir facilité le pillage pendant l’occupation allemande de
Creil en renseignant l’ennemi sur l’emplacement des magasins et
des dépots et en profitant lui-même de l’occasion pour cambrioler
divers particuliers. Provisions, liqueurs, épicerie, chaussures,
etc. ont été retrouvés à son domicile. Des témoins détenus avec
lui témoignent de sa familiarité avec ses gardiens, l’avoir vu
revenir chaque soir avec force provisions pillées, à peu près
constamment en état d’ivresse. Il est fusillé le 28 septembre
1914 à 8h00 place Carnot à Creil.
Arthur
Renard, né le 31 janvier 1877 à Trigny (Marne), marié, deux
enfants, vigneron, inculpé avec sa femme (acquittée) d’espionnage.
Lors d’une perquisition, Renard a été trouvé possesseur d’un
cheval noir d’une charrette et d’un harnachement qui lui avaient
été donnés pas un officier allemand lors de l’occupation du
village. On été trouvés aussi chez lui trois fusils Lebel (l’un
cassé) et quantité de munitions allemandes. Marion Clément, qui
l’accompagnait à la pêche le jour de l’arrivée des Allemands
dit l’avoir vu s’approcher d’une voiture d’officiers et
discuter avec eux en pointant une carte d’état-major. Les
autorités françaises pensent qu’il aurait fourni des
renseignements sur les moyens de traverser sans danger les marais
avoisinants. La rumeur publique approuve l’arrestation des Renard,
Mme Renard, née Rustenholtz étant d’origine allemande.
Condamné
par le CG du QG de la Vè armée, Arthur Renard fusillé à Romigny
(Marne) le jour du jugement, 29 septembre 1914, 13h30
Jean
Jaegle, a été acquitté, car confondu avec un homonyme du
village voisin. L'autre Jean Jaegle a pourtant été fusillé le 30
septembre.
Joseph
Watier, né le 20 septembre 1874 à Soissons, jardinier à
Prunay, est fusillé à Verzy le 6 octobre à 17h30
Eugène
Jules André Cornet, alias Leleu-Lunette, né le 4 novembre 1884
à Verzenay (51), condamnés pat le CG de la 1ère DIMM, sont
fusillés le 6 octobre 1914 à 17h30 entre Verzy et Verzenay (à 900m
de la dernière maison de Verzenay), en compagnie d'Henri Firmin
Chenu (né le 15 avril 1890 à Beine)
Watier :
« Je reconnais avoir fait passer des fusées à Cornet qui
faisait des signaux aux allemands par la lucarne de la maison
Baudard. J’avais couché pendant 4 ou5 nuits chez Baudard, avec
Cornet, et je mangeais avec lui. Il m’avait raconté qu’il
faisait partir des fusées pour faire des signaux aux Allemands et je
l’ai vu opérer deux ou trois fois. » Chenu (qui a séjourné
dans la même maison Baudard est allé collecter des informations sur
les troupes d’artillerie à Beaumont et a décrit les signaux
lumineux qu’on lui a dit d’observer à Jean le Luxembourgeois,
que l’instruction n’a pu identifier, et que le rapporteur suppose
être le chef de réseau, replié hors d’atteinte dans les lignes
allemandes.
Une
femme d’origine allemande Catherine Weber reconnue coupable comme
son frère Alphonse Weber (né
le 8 mars 1870 à Altripp, Allemagne) d’avoir
hébergé 2 cavaliers allemands plusieurs jours lors de la retraite
allemande consécutive à la bataille de la Marne a été graciée
(20 ans de travaux forcés) mais Alphonse a été fusillé le
lendemain de son jugement, le
14 octobre 1914 à Châlons en Champagne.
Le
citoyen luxembourgeois Paul Binsfeld, né
le 18 novembre 1870 à Pollingen, célibataire, manœuvre à
Mourmelon le Grand, est
fusillé le lendemain de son jugement, 5
novembre 1914 à Châlons en Champagne, 6h54 précises. L’unique
question posée aux juges, et résolue à l’unanimité, ne permet
pas de comprendre sous quelles formes se sont manifestées les
intelligences reprochées à Binsfeld en septembre 1914.
Ben
Ali Sahrahoui Moulay Lhassen, né en 1881 à Freklat (Maroc),
cultivateur à Meknès
Bien
que la procédure concerne également un Spahi du 9è escadron, jugé
par contumace, force est de considérer Moulay Lhassen comme un
civil. Il est jugé avec son complice Miloudi ould Bouzini (qui sera
condamné à 20 ans de Travaux Forcés) pour Vols militaire qualifiés
et assassinat d’une sentinelle.
Dans
la nuit du 17 au 18 juin 1914 à Meknès, le spahi Akka ;
déserteur vola 7 carabines. Ce vols faisait partie d’une série de
vols de chevaus, mulets et armes commis à Meknès dans la premier
semestre 1914, sans que les auteurs aient pu être identifiés. Cette
fois, sur dénonciation, Moulay Lhassen est appréhendé après une
première fuite : il avoue alors avoir recelé les 7 carabines
remises par Akka alors qu’il était en faction. Il avoue en
supplément faire partie d’une association de malfaiteurs,
responsables du vol dans la nuit du 21 au 22 d’un pantalon, d’une
cartouchière et d’un cheval. Ayant été surpris par la sentinelle
convoyeur Saleb-ben-Belker, Moulay Lhassen (qui en rend responsable
Miloudi, désigné par lui comme le chef de bande) le tue à coups de
poignards sous les yeux du 2è convoyeur Khelifa.
Condamné
par le 2è CG des troupes d’occupation du Maroc (1er
octobre), Moulay Lhassen est fusillé devant les troupes de la
garnison de Fez rassemblées sous les armes le 11 novembre 1914.
Le
16 novembre 1914 un berger de Puisieulx, Alfred Durot, est
condamné par le Conseil de guerre à la peine de mort pour trahison
et exécuté pour espionnage: à l'aide de 5 chèvres blanches reçues
des Allemands, il indiquait le déplacement de l'artillerie française
en leur faisant prendre des positions conventionnelles dans le
troupeau.
Louis
Ernest Hirson, dit Nénès, né le 15 septembre 1878 à
Vailly-Sur-Aisne, fusillé le 23 novembre 1914 dans le parc du
Château à Villers-Cotterets, 7h.
Exemple des ravages de la "mauvaise
réputation" et de la délation :
Célibataire,
de métier forain
et journalier, il est décrit comme marginal vivant au jour le
jour et ne travaillant qu’occasionnellement. Il vit dans une
roulotte mais lorsque celle-ci est détruite par les bombardements,
il trouve refuge chez des femmes seules du village qui
l’hébergent dans leur cave.
En
octobre 1914, aidé par un ouvrier, Hirson s’est introduit dans
l’usine Wolber sise sur la commune de Vailly et y a dérobé
deux enveloppes et deux chambres à air pour équiper son vélo
au cas où il serait obligé d’évacuer précipitamment le village.
Entre temps, l’usine a été incendiée lors des bombardements. De
plus, lors de son arrestation, Hirson dit posséder la somme de
150 Frs. Mais, en réalité, il détient 200 Frs et
semble l’ignorer… Il déclare que cet argent représente
ses économies depuis trois ans et qu’étant célibataire, ses
dépenses sont très succinctes.
Mais
dans la foulée Hirson est accusé d'espionnage, par Louis Harlé,
qui étant hospitalisé, sera représenté lors de son procès par
Régnié, gendarme de la Prévôté du quartier général de la VIe
Armée. Louis Harlé est fait prisonnier par les allemands entre
le 3 et le 16 octobre 1914 avant de s’évader. Il a aperçu
Hirson, dans la nuit du 5 octobre, dans une tranchée
allemande discutant avec un officier, lui communiquant des
renseignements sur les troupes anglaises et leur Etat Major dont le
Q.G se trouve dans la maison de Mr. Cadot, située à 150m
derrière l’église de Vailly.
Un
rapport précise que la zone anglaise a été bombardée mais
qu’il est impossible de dire si cela s’est produit lorsque l’Etat
Major se trouvait dans la dite maison. Par ailleurs, Vailly étant
sous occupation allemande, il n’a pas été possible de découvrir
si des personnes avaient vu Hirson pénétrer dans les lignes
allemandes. En outre, la gendarmerie connaît très bien le jeune
Harlé, domestique chez un certain Sieur Vilain, actuellement sous la
domination allemande.
Le
belge Arthur Maesen, né
le 13 août 1873 à Poperinghe, employé de commerce à
Amiens, marié, 3 enfants. Il lui est reproché d’avoir, lors de
l’occupation d’Amiens, indiqué aux Allemands la route de
Ferrières, de savoir parler allemand, et d’avoir été choisi par
eux pour les diriger sans qu’il ait été en but à des menaces
armées puisqu’il a même offert trois verres de genièvre à des
cavaliers uhlans qui lui demandaient leur route et leur a souhaité
en les quittant « bonne route et bonne chance ». Jugé le
26 octobre Maesen a été fusillé le 24 novembre à la carrière de
Dury (Somme).
Gottlieb
Kühn, né le 22 juin 1866 à
Porembeu (Silésie
prussienne), sujet
allemand demeurant à Henning (Lorraine annexée), contre-maître
dans une usine de ciment, marié, 3 enfants.
Gustave
Reebs, né
le 23 décembre 1868 à Schloss-Grunehagen (Allemagne), ouvrier
cimentier, marié,
3 enfants
Kühn,
Reebs, et son fils ont
été arrêté le 18 août 1914, alors qu’ils
regardaient
défiler les troupes françaises arrivées
la veille à Henning. Kühn
a été trouvé porteur d’un papier émanant du 21è corps d’armée
allemand, daté du 25 mars 1914, l’accréditant comme chef du
sous-groupe des hommes de confiance de Henning. Reebs
portait sur lui une double feuille stipulant la façon de transmettre
des informations codées aux services allemands et
quel type d’information transmettre.
Ces
documents
leur
auraient
été remis par un gendarme (allemand) venu le trouver plusieurs fois
avant le 2 août pour leur
demander de se mettre à sa disposition en cas de mobilisation. Une
petite ardoise portant le mot « obligo » se trouvait
également sur Kühn,
ce mot représentant le code destiné à la transmission des messages
télégraphiques ou téléphoniques destinés aux
services de la sûreté allemande.
Bien
qu’il n’aient pas eu matériellement le temps de transmettre des
informations d’importance et qu’ils nient, l’intention supposée
suffit à les faire condamner à l’unanimité par le CG
de la 16è DI.
Kühn
et Reebs sont fusillé le 9
décembre 1914 à 6 heures,
à la
caserne Oudinot de Commercy
(Meuse)
Louis
Pharaon Pierrat, né le 7 octobre 1879 à Oulches
(Aisne), manœuvrier à Vallée Foulon, 2 enfants, est arrêté le 20
novembre par le 49è R.I. Il aurait avoué avoir fait, de leur
jardin, des signaux conventionnels aux allemands dans le but de leur
permettre de régler leurs tirs. Sa femme, pour avoir entretenu des
contacts avec Walter Mumm, fabricant de champagne à Reims (alors
officier dans l’armée allemande) et l’un de ses émissaires est
arrêtés le 1er décembre. Mme Alice Sirot épouse Pierrat a avoué
au cours de l’enquête avoir surpris les conversations
téléphoniques des troupes françaises concernant les emplacements
et les objectifs de l’artillerie, les mouvements de troupes, et les
avoir communiqués à son mari pour que celui-ci les transmette aux
Allemands, services pour lesquelles il aurait reçu de l’ennemi
diverses sommes d’argent (512, 25 francs seront retrouvés dans le
tiroir de leur buffet)
CG
de la 36è DI, Pierrat est fusillé le 12 décembre 1914 à Glennes
(Aisne) à 9 heures. Sa femme est curieusement acquittée.
Octave
Nocton, né le 8 juillet 1866 à Pouillon (Marne) sans domicile
fixe, domestique de culture, est inculpé de trahison, violation de
sépulture et tentative de vol.
Le
4 septembre dans la matinée, une Cie du 332è R.I., bien dissimulée
dans la ferme Lemasle à Cormicy fut attaqué par un détachement
allemand d’une quinzaine d’automobiles et fut obligée de se
replier après avoir subi des pertes de 7 morts et 14 blessés. Un
témoin reconnut Nocton dans le convoi allemand (on apprit ensuite
que celui-ci avait dit quelques heures avant chez le femme qui lui
servait à déjeuner « Je viens d’avec eux de Juvincourt ;
ils ne sont pas méchants, ils m’ont donné de l’argent, à boire
et à manger ; dans une heure ils seront ici ».) Ensuite
Nocton guida les allemands dans le village, il les emmena prendre
deux bouteilles de vin et un pain chez Mme Cornu, puis entra avec eux
dans le débit de boisson de Mme Bonneterre où il commanda pour eux,
but avec eux « et parla en maître ». Comme les allemands
inquiets regardaient vers l’étage, Nocton leur dit qu’il n’y
avait aucun danger, aucun soldat là-haut, mais qu’il savait où
trouver des soldats français. Plus tard dans la matinée, on
retrouva Nocton employé à enterrer des soldats allemands tombés
durant l’attaque, avec quelques habitant réquisitionnés sous la
menace des armes. L’officier qui tenait le revolver serra la main à
Nocton en lui disant « Merci, mon ami » et lui donna
quatre francs pour sa peine. Dans l’après-midi, un certain
Regnart, profitant du retour au calme pour aller voir brûler ses
meules vers la Maison Bleue, aperçut Nocton qui grattait la terre ;
revenu avec M. Cornu qui inhumait les Français au cimetière de
Cormicy, il le virent continuant sa besogne. Il avait dégagé la
tête et les mains d’un cadavre dont il ne fit pas mystère qu’il
espérait lui prendre ses bottes. Arrêté, il fut placé en
détention à l’hôtel de ville. Plusieurs jours après quand les
Allemands revinrent occuper le village et que les habitant leur
révélèrent obligeamment le motif de son incarcération, ceux-ci le
remirent aussitôt en liberté.
Nocton
est arrêté à Reims, le 10 novembre, identifié par un ouvrier des
postes au cours d’une conversation que ce dernier avait eue avec
l’ancien maire de Cormicy et son adjoint.
CG
de la 52è division de réserve, Nocton est fusillé à Tinqueux le
21 décembre à 7 heures.
Pierre
Philippe Richier, né le 25 mai 1869 à Creuë (55) et Julien
Joseph Mettavant, né le 26 septembre1855 à Woimbey
(55) fusillés sur jugement du CG de la 15è D.I. à Commercy le 27
novembre tandis que Jules Helzinger, condamné le 26 novembre
ne s’est retrouvé au poteau d’exécution que le 22 décembre,
son co-accusé Jean Sauveton ayant vu sa peine commuée en Travaux
forcés à perpétuité.
Fraternisations de Noël 1914
Pour
finir avec une touche d'espoir, évoquons la trêve de Noël que le
Pape Benoît XV avait réclamé en vain aux états majors, et que
divers soldats conclurent tout de même entre eux.
Alors
que les Anglais reçoivent du tabac, des chocolats, un pudding aux
prunes accompagnés d'un message du roi Georges V, que les allemand
se voient gratifiés de saucisses, de cigares, de bière et de
gigantesques sapins convoyés par train sur l'ordre du Kaiser, les
soldats français ne peuvent compter que sur les colis envoyés par
leurs familles.
En
ce mois de décembre 1914, le ténor Walter Kirchoff (qui s'est déjà
produit à Covent Garden, mais jamais en France) accompagne le prince
Wilhelm d’Allemagne dans sa visite de Noël, sur le front.
Au
moment où il arrive dans la tranchée du 130ème régiment
d’infanterie de Württemberger, les soldats des deux camps sont
déjà en train de chatonner, chacun de leur côté. La pluie a cessé
depuis des heures, les tirs aussi et, dans l’ensemble, l’ambiance
est détendue. Alors, lorsque Kirchhoff entame un concert improvisé,
ce ne sont pas seulement les soldats allemands qui l’applaudissent
mais également leurs ennemis français, stationnés à quelques
dizaines de mètres à peine. Leur capitaine est un mélomane
accompli et il a reconnu la voix de la vedette. Bientôt, tous les
soldats scandent "encore" ! Il se passe alors
quelques chose d’impensable : Walter Kirchhoff émerge de la
tranchée allemande et marche en direction de son public, à travers
le no man’s land, cette zone dévastée, où tout mouvement,
d’ordinaire, entraine la réponse des tireurs d’élites ennemis.
Le capitaine français sort à son tour et rencontre Kirchhoff, à
mi-chemin. Au même moment, en plusieurs endroits du front, des
chants résonnent et se répondent. Stille nacht, pour les
Allemands, Silent night pour les Britanniques et Douce nuit
pour les Français.
(Voir
sur le site
chtimiste les extraits de lettres et de carnet qui racontent
entre autre comment les allemands chantèrent la marseillaise, ou
comment les bavarois mirent leur vis-à-vis en garde contre des
attaques des prussiens...)
Ainsi,
en cette nuit de Noël, les chants des uns font échos aux chants des
autres. Les Allemands sont particulièrement bruyants. Ils jouent du
fifre et du tambourin. En des endroits du front, ils dressent même
leurs sapins sur les parapets des tranchés à la vue des Français
et des Britanniques. Petit à petit, des dialogues se nouent, des
trêves sont conclues, soient de manière plus ou moins formelle,
soit de fait mais toujours au nez et à la barbe du commandement.
Les
soldats s’échangent des cadeaux, discutent ensemble, partagent le
cognac des Allemands ou le champagne Gustave Berthier, par
exemple, raconte à se femme, Alice, comment il a échangé avec des
soldats ennemis des cigarettes, du " tabac boche "
et un exemplaire du Petit Parisien, contre de la presse
allemande. Un accord est trouvé entre les tranchées pour qu’aucun
coup de feu ne soit tiré.
Dès
le matin du 25 décembre et parfois jusqu’à la nouvelle année, on
échange des adresses, on s’accorde des trêves, entre les combats,
pour enterrer les morts voire même, on se prévient de l’imminence
d’une attaque de son infanterie.
Victorien
Fournet, de Sauzet, raconte qu'en janvier 1915, les Allemands ne
tirent plus et même sortent de leurs tranchées, demandant aux
Français d'en faire autant. À mi chemin, ils se rejoignent,
discutent et les Allemands remettent une lettre écrite en français
: «Dans la lettre, ils disaient d'aller les trouver à la tombée de
la nuit, sans arme, et qu'ils seraient les bienvenus »
Marius
Nublat, de Romans encore, écrit à sa femme le 4 janvier 1915 : «
Pour le jour de l’an, dans certaines tranchées, les Boches et les
Français ont fumé le cigare ensemble. Les quatre Français qui
avaient été chez les Boches sont revenus, mais nous avons gardé
les Boches ». Louis Chirossel, de Loriol, raconte lui aussi dans une
lettre comment Allemands et Français communiquent au moyen de
pierres auxquelles sont attachés des billets pour échanger du vin
et du pain contre des cigares.
Les
trêves atteignent leur paroxysme lorsque certains des soldats
roulent en boules quelques uns de leurs vêtements et improvisent des
matchs de football entre frères ennemis.
Bien
que contestés historiquement, au moins un de ces matchs est attesté
par un lieutenant allemand, dans le livre Frères de tranchées,
de Rémy Cazals : "Nous avons marqué les buts avec nos
képis. Les équipes ont été rapidement formées pour un match sur
la boue gelée, et les Fritz ont battu les Tommies 3 à 2".
En
réponse, le commandement dissoudra les unités "contaminées",
ayant participé aux scènes de fraternisation et fera donner, dès
le Noël suivant, l’artillerie, pour empêcher tout rapprochement
de ce type.
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