mardi 6 novembre 2018

les fusillés de 1914 (v2) 2-novembre




Arnold Maille, né le 26 mars 1890 à Gondecourt (Nord) plafonneur à Seclin, célibataire, 1er R.I. 28 décembre 1912 : s’étant fait porter malade se trouvait dans la cour très peu vêtu.
15 févier 1913 : désintéressement complet de la préparation de la revue
29 mars 1913 : ayant été surpris par le planton à uriner dans la cour a lancé un coup de poing à ce soldat, a répondu d’une façon déplacée au caporal de garde qui était intervenu et le lendemain a menacé le camarade qui l’avait fait punir
3 juillet 1913 : étant de garde, a apporté la nuit son traversin au poste
20 août 1913 : bousculé par un de ses camarades en prenant place à table au réfectoire lui a cassé une assiette sur la tête au risque de blesser grièvement ce dernier
8 mars 1914 : au lieu d’assister à l’épluchage des pommes de terre est resté dans sa chambrée.
30 avril 1914 : N’a pas assisté à l’épluchage des pommes de terre
13 mai 1914 : s’est présenté en retard au rassemblement de la Cie et n’avait pas le pantalon de drap au dessous de ses treillis
27 mai:N’a pas assisté à l’épluchage des pommes de terre
5 septembre : a quitté le rassemblement pour aller cueillir des raisins dans une vigne située à proximité de la route.

D : - Que faisiez-vous le 20 septembre à 8 heures 45 dans la ferme abandonnée par la Cie ?
R : - J’abattais des noix et je me disposai à suivre la Cie, puis je me suis couché dans un champ de betteraves, je ne me suis pas rendu aux tranchées.
D : - A quel moment êtes-vous revenu à la ferme ?
R : -Au moment de la grande pluie c’est-à-dire vers onze heures profitant du mauvais temps, j’ai pensé que je ne serai pas vu de l’ennemi et je suis rentré à la ferme où je suis resté jusqu’à 16 heures.
D : - Pourquoi n’avez-vous pas rejoint la Cie.
Pas de réponse

CG de la 1ère division d'active (21 octobre 1914) : refus d’obéissance en présence de l’ennemi.
Maille est fusillé le 22 octobre à Cormicy (Marne) : « Le soldat Maille, a été exécuté ce jour à 16 heures. Après le feu du peloton d’exécution, un coup de grâce a été nécessaire. J’ai examiné le cadavre et ai constaté la trace de dix balles ayant traversé la région thoracique ou abdominale de part en part. Le coups de grâce a été tiré à bout portant, sur la tempe gauche et est sorti dans la région occipitale droite. Le feu du peloton d’exécution n’avait pas atteint le cœur. »
En janvier 1922, Mme Hennio-Maille écrit au ministère : « Ayant un frère mort fusillé le 24 octobre 1914 à Cormicy, pour quel motif nous ne l’avons jamais appris, car d’après son décès arrivée à la Mairie, il nous a été dit qu’il était mort suite de ses blessures, et c’est d’après les soldats revenus du front que cette nouvelle nous fut apprise. Mes parents se sont déjà rendus à sa tombe, il était enterré derrière la ferme des Blancs Bois à Cormicy, et un avis leur est arrivé qu’il avait été transféré au Carré Militaire de la Maison Bleue… Son nom n’a pas été gravé sur la pierre du monument et mes parents ne reçoivent pas de pension annuelle comme les autres. » Les relevés récents ne montrent pas que le corps ait été retrouvé. En 1929, le ministre pose la question à ses services de savoir si Maille aurait été réhabilité : réponse négative.


Maurice David Séverin, né le 11 mars 1881 à Francheval (08) sergent au 147è R.I. , 11è Cie
A l'heure du recensement militaire, en 1901, Maurice Séverin était employé de commerce. Il vivait alors à Paris ainsi que ses parents. Il est Sergent lors de sa libération et reçoit le certificat de bonne conduite. Il change de nouveau de domicile et part pour Montmédy (55). Il se trouve rattaché au 147è RI où il est rappelé lors de la mobilisation. Il est affecté à la 11è Cie (3è bataillon).

Rapport du capitaine Louis : « Le sergent réserviste Séverin, cassé de son grade le 18 octobre 1914 pour avoir manifesté le regret de n’être indisponible que pendant une quinzaine de jours à la suite d’une plaie par balle à la main gauche, et remis soldat de 2è classe à la 10è Cie, a été blessé dans les circonstances suivantes : Séverin occupait avec 4 hommes, les soldats réservistes Daubin, Genet, Douchet, Clarisse, une tranchée de 1ère ligne dans la nuit du 17 au 18 octobre 1914. Le 18, entre 5h30 et 6h, les 4 soldats virent arriver à la tranchée le sergent Séverin blessé à la main gauche et pleurant. Interrogés séparément par le Cdt de la Cie le 22 octobre à 16h les soldats Daubin, Genet, Douchet ont reconnu que Séverin, avant sa blessure, avait quitté leur tranchée à leur insu, qu’il fut pansé par Genet et Douchet, qu’une fois pansé il fit placer dans son étui-musette un certain nombre d’objets retirés de son havresac, déposa son équipement et partit vers l’arrière en disant : « C’est malheureux, on sera peut-être obligé de me couper la main ». Ces même hommes ont affirmé que le sergent Séverin est revenu blessé sans fusil et que son fusil n’ a pas été retrouvé dans la tranchée. Les soldats Genet et Douchet chargés du pansement n’ont pas remarqué de taches noirâtres autour de la plaie qui saignait abonsamment. »
Les médecins si : les certificats de visite et de contre-visite (21 octobre) des majors Ménard et Janot, qui semblent s’être recopiés l’un l’autre concluent que « cette blessure est due à un coup de feu tiré de très près, la main se trouvant obliquement par rapport au canon, à quelques centimètres au plus de celui-ci. Ces constatations ne concordent pas avec les circonstances indiquées par le blessé ».
Le 23 octobre le conseil de guerre spécial du 147è R.I. se réunit à Florent en Argonne. Maurice est condamné à l'unanimité pour « abandon de poste en présence de l’ennemi ». Le 24 octobre 1914 à 5h30, Séverin est fusillé près du lavoir de Florent en Argonne. Devant le peloton d’exécution (2 témoins le racontent) Séverin aurait déclaré : « Je suis innocent, vive la France, meilleure, plus juste, plus humaine ! »
D'après les éléments figurant au dossier, sa veuve tenta des démarches en vue de sa réhabilitation en 1922, mais celles-ci n'aboutirent pas. On trouve dans le rapport rédigé à cette occasion le point de vue surprenant qu’ « après l’exécution on émit l’hypothèse qu’une balle aurait pu être tirée volontairement par un des camarades de Séverin ». Il apparaît en effet que les opinions nationalistes bravaches et forcenées de Séverin aient pu être un sujet de conflit avec ses hommes.
En avril 1923, un article du Populaire de Paris revient sur les faits avec un ton corrosif. On ne sait plus trop ce qui dans la rédaction de cette page relève de la réalité, la presse d'opinion étant aussi prodigue de sensationnel et de scandale que la justice, soucieuse de ne jamais se renier, de raideur aveugle.
 
Mme Séverin renonça et abandonna la demande de révision en 1924. Pourquoi Mme Veuve Séverin a-t-elle baissé les bras encours de route. Est-ce une simple question de moyens ? car la justice coûte cher, ou bien fut-elle à son tour habitée par le doute ? Le doute, cet élément qui devant la justice civile est supposé profiter à l'accusé. En 1953 encore le ministère de la défense, saisi d’une question par le ministère des anciens combattants, cherche à s'informer de l'état de cette procédure interrompue. Le cas Séverin est la démonstration que seule une réhabilitation complète de tous les fusillés est souhaitable et non la recherche au cas par cas de qui a été victime d'erreur ou non. Ne pas réhabiliter Séverin c'est donner raison à la peine de mort ; or, tous, coupables et innocents, ont été victimes de la même iniquité, du même abus de pouvoir, celui qui a pour nom « la guerre »


En ce qui concerne Auguste Charles Bourgeois, né le 14 avril 1892 à Villers-Lès-Guise (Aisne), soldat au 18é B.C.P., on ne possède que sa fiche de décès qui, sans spécifier le motif ni l’existence d’une procédure mentionne « passé par les armes » le 24 octobre à Four-de-Paris, (Marne)

Joseph-Marie Jéhannet, né le 28 août 1888 à Illifaut (Côtes du Nord), célibataire, culivateur à Ménéac, 2è classe au 118ème R.I., 2è Cie
Le 13 octobre 1914, Jéhannet se trouvait dans une tranchée en avant d’Auchonvilliers lorsqu’il demanda à son chef de section d’aller voir le Médecin parce qu’il avait des coliques. Le sergent lui dit d’attendre jusqu’au lendemain matin ; mais Jéhannet s’esquiva quand même et on ne le revit plus. Au moment de son départ, Jéhannet n’était pas blessé à la main gauche. Or, il résulte du rapport du Médechin-Chef de l’ambulance n°4 (Dr Lemeigner) que Jéhannet a été blessé par un coup de feu tiré à bout portant, ou tout au moins à très petite distance.
Condamné pour abandon de poste en présence de l’ennemi par le CG de la 22è D.I. Jéhannet est fusillé le 24 octobre à 7 heures à Senlis-le-sec, coteau du Moulin (Somme). « Aussitôt l’exécution, (sic) nous avons examiné le corps du supplicié et avons reconnu que le coup de grâce était inutile, la mort étant instantanée. De nos investigations, il ressort que trois balles avaient atteint la région du cœur et deux avaient traversé la paroi du crâne de part en part. »
« Genre de mort : Inconnu Tué à l’ennemi » donc Mort pour la France.

Aimé Devaux, né le 20 juin 1893 à La Chaux-du-Dombief (Jura), célibataire, cultivateur, soldat au 149è R.I. , jamais condamné, une seule punition de six jours de prison pour ivresse.
L’histoire de Devaux est si identique à la précédente qu’on a l’impression que le rapport destiné à la mise en accusation est devenu une pièce de routine où seuls changent les dates et lieu. Pour Devaux, la disparition remonte au 19 septembre vers 14h. Il se plaint de coliques, s’égare dans les bois de Souain, y passe la nuit et se présente le lendemain 20 septembre à l’ambulance n° 9 à Suippes, avec une blessure à la main gauche ; le médecin-chef concluant simplement à une « Blessure suspecte », Devaux est déféré devant le conseil de guerre de la 43e D.I. le 24 octobre 1914 et condamné à mort pour "abandon de poste en présence de l'ennemi" fusillé à Estrée-Cauchy (62), 8 heures.


Henri Alexis Doinot, né le 4 juin 1887 à Vaux-le-Pénil (Seine et Marne) patron de lavoir à Paris 11è (passage de Ménilmontant), soldat au 31è R.I. 4è Cie
CG de la 10è DI (20 octobre 1914) : Arrivé la veille du dépôt d’Albi, ayant demandé à retourner au feu au 31è, et non à son précédent régiment, afin de rejoindre ses frères, Doinot se présente le 7 octobre1914 à l’ambulance n°8, installée à la gare de Clermont, porteur d’un billet de sortie de l’Hôpital militaire de Bayonne et d’un chiffon de papier où figure l’indication : « Evag-Dépot ». Le médecin de la division Baratte l’examine et le déclare en état de faire complètement son service. Il le soupçonne d’avoir écrit le billet à l’orthographe précaire et le renvoie à son régiment en ordonnant une enquête. Il en résulte que Doinot, porté malade devait se rendre à la visite journalière, lorsque quelques obus vinrent à tomber sur le village de Le Claon. Pris de peur Doinot se serait réfugié dans le cantonnement de sa section, au lieu de se rendre à l’infirmerie. Après le bombardement, il serait allé se reposer dans un fossé de la route où il serait resté environ deux heures. Revenu à son cantonnement, il n’aurait plus trouvé personne et se serait alors engagé sur la route de Clermont où il est arrivé à la nuit. Questionné sur l’origine du billet apporté à l’ambulance, il finit par avouer au Commandant de Cie qu’il l’avait fabriqué lui-même. Inculpé d’abandon de poste en présence de l’ennemi il est présenté le 12 octobre devant le CG qui délivre un ordre de plus informer. Le nouvel interrogatoire ne révèle, de l’avis des autorités, qu’une suite d’invraisemblances, à l’exclusion du témoignage d’un caporal qui l’a vu rendre son café au matin du 7. Doinot invoque pour diminuer sa responsabilité la blessure (coup de crosse) qui l’a fait évacuer sur Bayonne et le fait toujours souffrir.
Le colonel commandant le 82è R.I. : « J’ai eu sous mes ordres pendant 2 ans… C’était un soldat très médiocre et j’avais donné l’ordre à mes gradés de le surveiller et de le faire marcher. C’était ce que j’appellerai un artiste, prêt à tromper ses chefs. Cependant, je dois dire qu’à ce moment il paraissait être un soldat piteux en temps de paix, mais devant être meilleur en temps de guerre. »
Doinot est fusillé le 27 octobre à la ferme de la grange Lecomte d'Auzéville par Clermont en Argonne, 11 heures. « Plaies par balles de Fusil Lebel : 3 à la base du cœur, 1 à la pointe du cœur, 1 à droite et à gauche du sternum, une sous la clavicule droite, 4 dans l’abdomen (épigastre). Plaies par balle de revolver d’ordonnance : une plaie en avant du conduit auditif externe gauche. »
Requête en révision rejetée par le garde des sceaux le 22 février 1934.


Alphonse Emile Després, né le 5 décembre 1887 à Paris 12è,  non reconnu, comptable à Paris,  Caporal Fourrier au 313é R.I. Déjà déserteur durant son service militaire, il récidive alors que son régiment combat près de Cunel : Son absence illégale dure du 1er au 30 septembre. Le dossier de procédure est très incomplet ne contenant que des minutes recopiées à la va-vite, et aucun rapport ni du commissaire rapporteur ni les rapports d’expertise que mentionnent pourtant l’expédition des pièces.
Déféré devant le conseil de guerre ordinaire de la 9e D.I. le 24 octobre 1914 avec Albert Petay (en vertu de sa condamnation le ministre des pensions supprime en 1938 la retraite de Petay), Fernand Donat et Georges Cornu du même régiment , Camille Trotin (Amnistié en 1918) et Georges Durand (Amnistié en 1925 de son exclusion de l’armée) du 82è R.I. sous inculpation d’abandon de poste et de désertion en présence de l’ennemi, Desprès est seul condamné à mort.
Després est fusillé à Le Neufour (Meuse)

Émile Flandre, né le 2 novembre 1892 à Bouchon (Somme), soldat au 120e R.I. ; n’est connu que par sa fiche de décès : fusillé le 29 octobre 1914 à 15h à Florent-en-Argonne (Marne)


Novembre

Isidore Pierre Guilbert, (en réalité peut-être Guillebert) né le 11 mars 1887 à Etaimpuis (Seine inférieure), journalier agricole à Beaumont-le-Hareng, soldat au 228è R.I., 21è Cie
Guilbert quitte la tranchée après quelle ait été bombardée par des shrapnells, occasionnant des blessés et des morts. Le commandant de compagnie lui conseille de se faire panser sommairement et d’attendre le lendemain pour se présenter à l’infirmerie, ce qu’il fait. Le docteur Blot qui le visite rédige un rapport à charge : « ...présente actuellement des lésions qui permettent d’affirmer que cet homme n’a pas été blessé par une balle venant en face de lui… Homme d’intelligence bornée, illettré qui a avoué qu’il s’était blessé lui-même « mais non par mauvais vouloir » Le médecin pratiquant la contre visite note que l’état de saleté de la blessure et le sang coagulé collant le médium et l’annulaire de la main gauche ne permettent pas de distinguer de traces de « tatouage » de poudre.
Avis du Lt-colonel Leroux commandant le 228è : « si la conduite de cet homme a été bonne en général, il en semble pas animé d’un grand patriotisme, car, blessé une première fois à l’avant-bras gauche légèrement … il paraît avoir profité de cette circonstance pour obtenir une convalescence de huit jours.
Le 28 octobre 1914, le CG spécial de la 53è division de réseau se déclare incompétent, le flagrant délit ne résultant pas des pièces du dossier. Renvoyé devant le CG de la 20è DI (audience du 31 octobre) Guibert est condamné à mort pour avoir abandonné son poste le 25 octobre à Maricourt (en présence de l‘ennemi).
Guilbert est fusillé le 1er octobre à Bray sur Somme : « onze balles intéressant à la fois le thorax et la base du cou. A sectionné la carotide gauche et 3 autres sans la région du cœur ont déterminé une mort foudroyante. »


Ben Assou Lhassen, né en 1889 à Douar Aït Aïssa, charbonnier à Immouzer, conducteur de 2è classe à la 1ère Compagnie du train marocain est condamné par le 2ème CG des troupes d'occupation du Maroc occidental, pour « désertion en présence de l’ennemi avec complot ».
Le 14 septembre 1914, à 1 heure, le convoi qui accompagnait à Meknès le bataillon du Commandant Frèrejean, quittait Aïn-Sehkeff où il avait cantoné la veille. Il était placé sous les ordres du moggaddem Mohamed ben Belkacem. Vers 4 heures, en longeant la colonne, le moggaddem s’aperçut que 4 mulets étaient sans conducteur. A l’appel au lever du jour, il consata que 3 hommes manquaient : Lhassen ben Assou, Hassou et Lhaoussine ; ces hommes avaient profité de la nuit pour s’enfuir, en emportant leurs effets, leurs armes et leurs munitions. Quelques jours après les 3 carabines sont retrouvé à Immouzer d’où son originaires les 3 hommes. Lhassen est arrêté le 29 septembre. Ses complices sont en désertion. Lhassen désigne Lhaoussine comme instigateur du complot qui aurait été ourdi dans la matinée du 13.
« Le conducteur dit avoir déserté parce qu’on le frappait à la compagnie… Le Commandant de la Cie considère Lhassen comme un garçon intelligent et sournois ; à son avis, ce conducteur est le véritable instigateur du complot ».
On remarque que contrairement à l’habitude, tous les interrogatoires sont menés avec l’emploi du tutoiement.
- Tu savais quel peine t’attendait et tu désertes deux mois avant ta libération. Tu devais donc avoir des raisons bien sérieurses.
- C’était écrit. Mektoub.
Le capitaine commandant la Cie : « ces trois désertions sont le complément d’une série qui, depuis un mois, porte, contre nous, chez les dissidents, armes et munitions. »
Lhassen est fusillé le 1er octobre 1914 à 800m du cimetière de Bab Segma.


Louis Emile Ernest Désiré Oger, né le 8 janvier 1875 à La Chapelle-Huon dans la Sarthe, marié, deux enfants, cultivateur, soldat au 27è RIT
Louis Marie Proust, né le 30 septembre 1874 à René (Sarthe) cultivateur à Lonlay (Orne), matié, sans enfant, soldat au 27è R.I.T.
Le 6 octobre 1914, la 12è Cie du 27è territorial est prise sous le feu de l'artillerie lourde alemande, sur la place de l'hôtel de ville d'Arras. Les soldats se dispersent pour se mettre à l'abri. Proust et Oger se réfugient au restaurant Petit où il boivent une bière. Mais il sont attabléd depuis moins de dix minutes quand la vitrine du café explose sous un impact. Proust et Oger aident alors les deux serveuses et les autre enfants en bas-âge qu'elles gardent à descendre dans la cave Ils y restent 24 heures. Ils en ressortent le 7 octobre vers midi, mais comme ils croisent des étrangers qui leur annoncent que des patrouilles allemandes circulent dans la ville, il redescendent. Les deux femmes leur prêtent des vêtements civils de leur patron et ils les emmènent hors la ville sur la route de St Pol. En chemin Proust et Oger aperçoivent leur régiment mais continuent leur chemin, escortant les deux femmes et les quatre enfants jusqu'à un km de Duisans. Là ils les quittent pour retourner en arrière vers Arras mais ils sont arrêtés par le sergent Couttet du 4è Génie, à qui ils disent, par plaisanterie confieront-ils à l'instruction, être réformés. Devant leurs explications confuses Couttet les livre à la gendarmerie d'Arras.
Le 4 novembre 1914 devant le CG de la 45è DI c'est sur l'unique témoignage de ce sergent qu'ils sont condamnés pour abandon de poste en présence de l'ennemi. Proust et Oget sont fusillés le 5 novembre 1914 à Villers-Châtel (Pas de Calais)
Franke, soldat de la Légion étrangère, né en Allemagne (aucune autre information), décédé le 8 novembre 1914 à Tuyen-Quang (Vietnam) figure dans la base des fusillés du Ministère des Armées

Henry Bourgund, né le 23 mai 1891 à Paris 13è, chasseur de 2è classe au 57è BCP
Le dossier d’Henri Bourgund, « fusillé sans jugement sur ordre du général commandant le 33è corps d'armée à la demande du général commandant la 77è DI», est révélateur de l’état d’esprit qui règne alors dans les rangs de l’État-major de l’armée. Contre toute attente, Joffre y paraît davantage soucieux d’équité et de justice que les généraux Pétain et Barbot, partisans quant à eux de méthodes plus expéditives…
Il faudra attendre le 20 mars 1915 pour que soit rédigé un rapport établissant les faits . À la date du 8 novembre 1914 figure dans le journal de marche du bataillon la mention : « Exécution du Chasseur Bourgund du 60e Bataillon, condamné à mort pour avoir abandonné son poste en présence de l’ennemi et déserté à l’intérieur. » Le rapport du 20 mars 1915 ajoute : « Des renseignements recueillis auprès des témoins, il ressort que le chasseur Bourgund avait l’habitude, chaque fois que sa compagnie se trouvait engagée, de quitter la ligne de combat sous des prétextes futiles et de rejoindre lorsque le danger était écarté ; il avait pour ce fait répété, reçu des observations et même des punitions. Lors des combats de Saint-Laurent [Saint-Laurent-Blangy, Pas-de-Calais], ce chasseur disparut à nouveau de sa compagnie, ramené quelques jours après, il fut incarcéré et une plainte en Conseil de guerre établie contre lui. «
Ce chasseur a été condamné à mort et fusillé par une section du 97e Régiment d’infanterie à Sainte-Catherine (dans un pré à la lisière Est de Ste-Catherine et au Nord de la Scarpe), où il est inhumé le 8 novembre 1914. Les deux médecins du bataillon ont assisté à l’exécution. « Aucune pièce officielle relatant l’exécution du chasseur Bourgund ne figure dans les archives du bataillon. »
Le général Barbot présente sa version des faits : Le 25 mars, le général Barbot commandant la 77e Division adresse un courrier au Général Pétain, commandant le 33e Corps d’Armée, dont voici quelques extraits :
« À chaque engagement de sa compagnie, ce chasseur disparaissait et rentrait ensuite, le danger écarté. Il avait déjà été signalé à Tilloy, les 2 et 3 octobre (…) Au cours des combats soutenus par la division à St-Laurent (20 au 26 octobre), Bourgund quitta à nouveau sa compagnie à laquelle il fut ramené quelques jours plus tard. Il avait été trouvé en civil à Arras. Il fut alors emprisonné.(…) Jugeant que des exemples immédiats étaient nécessaires pour le maintien de la discipline, je vous demandai, le 7 novembre, après examen du dossier du chasseur Bourgund, de le faire passer par les armes, son crime étant hors de doute. Sur réponse affirmative de votre part, cet homme fut exécuté le 8 novembre par un piquet du 97è Régiment d’Infanterie, dans les conditions indiquées sur le rapport du Commandant du 57e Bataillon de Chasseurs. »
Lettre de justification du général Pétain le 26 mars 1915 (extraits)
« Le 7 novembre, le général commandant la division m’a transmis la plainte établie contre le chasseur Bourgund. Il me faisait remarquer, qu’en raison de la situation très difficile dans laquelle se trouvait sa division et des défaillances qui s’étaient produites peu auparavant, il lui paraissait nécessaire de faire des exemples et de procéder sans délai à la répression des fautes commises. Il concluait en me demandant l’autorisation de faire passer par les armes le chasseur Bourgund sur la culpabilité duquel il ne pouvait exister aucun doute. J’ai donné l’ordre de procéder immédiatement à l’exécution de ce chasseur, estimant alors, comme encore maintenant, qu’en des circonstances pareilles, il est du devoir du commandement d’assurer de semblables responsabilités. »
Le 7 avril 1915, le général Joffre, commandant en Chef des Armées, adresse un courrier au général Foch, commandant en chef adjoint de la zone Nord dans lequel il désavoue son homologue :
« Vous m’avez transmis le 28 mars 1915 sous le N° 9343 des rapports relatifs à l’exécution le 8 novembre 1914 du chasseur Bourgund, du 57e Bataillon de chasseurs à pied. Ce militaire a été fusillé, pour abandon de poste en présence de l’ennemi et désertion à l’intérieur, sans jugement, sur la demande du Général commandant la 77è Division. La nécessité d’une répression immédiate dans l’intérêt de la discipline, invoquée pour justifier cette mesure, aurait pu recevoir satisfaction par la comparution de Bourgund devant un conseil de guerre spécial réuni sans délai dans son bataillon, alors qu’il ne s’agissait pas de forcer l’obéissance au cours même du combat, de concilier ainsi les exigences impérieuses de la discipline avec les garanties dues à un accusé. Je vous prie de porter ces observations à la connaissance des Généraux commandant le 33e Corps d’Armée et la 77è Division.»
Ce même 7 avril 1915, le Général Joffre écrit au Ministre de la Guerre,
« J’adresse par courrier de ce jour aux Généraux commandant le 33e Corps d’Armée et la 77e Division, des observations, dont vous trouverez ci-joint copie, pour que pareil fait ne se renouvelle pas. »

Note ministérielle du 6 juin 1915 au sujet des exécutions capitales rédigée par le colonel Buat, chef du cabinet du ministre de la Guerre Alexandre Millerand :
« J’ai été informé que des exécutions capitales avaient eu lieu dans des conditions inutilement aggravantes. Des condamnés auraient eu à parcourir un long trajet avant d’être fusillés. Des enfants, attirés par le mouvement des troupes auraient pu s’approcher et assister à l’exécution. Des musiques auraient joué au retour des troupes. Je vous prie de donner des instructions pour que ces faits ne se reproduisent pas. Vous voudrez bien, notamment, prescrire qu’il soit procédé à l’exécution en un point aussi rapproché que possible de l’endroit où le condamné à mort se trouve détenu. Les mesures d’ordre nécessaires seront également prises pour écarter la population civile du lieu d’exécution.
Je vous rappelle en outre, que les Armées n’ont pas qualité pour avertir les familles du décès des militaires. C’est au Ministre, d’après l’instruction du 29 octobre 1910 (B.O. E.M. Vol. 28, p. 174), qu’il appartient de faire donner cet avis. Les autorités militaires ne doivent donc fournir aucun renseignement aux familles sur les décès par suite d’exécution. Le Ministre est prévenu de la mort par l’envoi qui doit lui être fait (service intérieur, bureau des Archives administratives) de l’expédition de l’acte de décès. Il reçoit également (direction du Contentieux et de la Justice militaires) le dossier d’exécution qui lui est envoyé par mon intermédiaire. »


Que s'est-il passé au 120è R.I en novembre 1914 ?
JMO : « [après une attaque allemande violente le 5 novembre causant 10 tués dont un officier et 19 blessés à la 1ère Cie] 6 novembre-A la nuit le 147èet un bataillon du 112è viennent opérer le relèvement des troupes du secteur, relève qui s’opère, grâce à de la lune dans des conditions favorables. Le régiment va stationner à La Placardelle et aux tranchées de la cote 211.
7,8,9,10 novembre : Repos dans les cantonnements ci-dessus » 11 novembre , relève sous la pluie de la garnison du bois de la Gruerie.
Despurget (prénom, date de naissance et lieu de décès inconnus) est abattu le 10 novembre 1914. (exécution sommaire?) soldat du 120è R.I.
Le même jour, appartenant au même régiment, Pierre Lucien Bertrand, né le 7 juin 1892 à Messicourt (Ardennes) est passé part les armes au Bois de la Gruerie sans trace d'aucune procédure.
Ernest Auguste Léturgez, né le 6 octobre 1891 à Villers-Bretonneux (Somme) soldat au 120e R.I. est fusillé au hameau de La Placardelle près de Vienne-le-Château (Marne) le 10 novembre 1914 sans trace de jugement.


Ben Bouchta Hadjoui Ben Aïssa, né en 1882 à Hajaoua au Maroc, soldat au renseignement de Fez Banlieue, « mokhazni » (supplétif militaire marocain) : « Le mokhazni Ben Aïssa est ainsi noté par son chef : c’est un de ces auxiliaires nécessaires que l’on emploie qu’à regret. Caractère bas et faux, aimant passionnément l’argent, il a vendu successivement tous ses frères. Lâche comme ses pareils, il n’hésite pas devant un crime lorsqu’il se croit assuré de l’impunité. La rumeur publique lui attribue le meurtre d’un nègre du pacha ben Mohammed. » Aïssa est l’un des cinq hommes du détachement qui accompagne le lieutenant Materne, chef du renseignement de Fez lors de la perquisition chez un indigène des Chéragas Beni Snous, au cours de laquelle les mokhaznis s’approprient des soieries et des sommes d’argent que l’ordonnance du Lt Materne les voit se partager. Le lendemain les cinq hommes sont envoyés pour présenter le prisonnier perquisitionné au chef de bureau à Fez. Comme il ne règne aucune hiérarchie parmi ces supplétifs, ben Aïssa, ben Saïd et ben Hammou restent en arrière pour prendre du raisin dans un jardin. Lorsqu’ils arrivent au bord de l’oued, une discussion éclate entre Hammou et Aïssa au sujet du gué à traverser (2 passages se présentant à eux, distants de 150m qu’ils ne veulent pas traverser ensemble.) Au terme de diverses péripéties, Aïssa parvient à faire croire qu’Hammou qui l’a imprudemment menacé cherche à fuit, et obtient de ben Saïd qu’il l’aide à le désarmer et à lui lier les mains dans le dos. Il ordonne à ben Saïd de l’exécuter, celui-ci le rate, Hammou fuit vers l’oued, Aïssa tire sur lui à quatre reprises avec le revolver qu’il lui a pris. Une balle l’atteint en plein front. Il aurait ainsi voulu supprimer l’un des témoins gênants du vol de la veille.
Le 19 octobre, alors qu’il est écroué à la prison militaire de Fez, et ayant entendu dire que tous les indigènes prisonniers allaient être exécutés, ben Aïssa parvient à cacher sous ses vêtements une hachette volée à la cuisine. Au moment de retourner en cellule, il se débarrasse de la chaîne dont il réussi à rompre le cadenas pendant la nuit et se glisse jusqu’au bureau du gardien-chef qu’il surprend. Il a le temps de lui asséner deux coups de hache (l’un au front, l’autre au bras gauche) avant que ses cris n’attirent les gendarmes, qui, aidés de quelques prisonniers blancs parviennent à le maîtriser.
Aïssa est condamné par le 2è CG des troupes d'occupation du Maroc occidental (29 octobre 1914) pour homicide et tentative d’homicide avec préméditation. Il est fusillé le 10 novembre 1914 à Bab Segma (Maroc).



Alfred Loche, né le 28 janvier 1869 à Béssèges (Gard) soldat au 58è R.I.
Fils unique, d’un père mort peu après, Alfred Loche est élevé par sa mère dans des conditions économiques difficiles. Sa scolarité a été réduite au minimum, il ne sait ni lire ni écrire. Il a trouvé un emploi aux forges de la ville, une dépendance des mines d’Alès.
Rapport du capitaine Guilhaumon du 61è R.I. chargé de l'instruction :
Le 19 ou le 20 août le soldat Loche disparaît de sa compagnie sans qu’il soit possible de préciser exactement dans quelles circonstances (...) Quoi qu’il en soit, régulièrement ou non, Loche est dirigé sur l’arrière, rejoint le dépôt de son corps, d’où au bout de quelques jours il est renvoyé à nouveau sur le front. Il débarque à Bar-le-Duc le 1er octobre, fait avec ses camarades la première étape, puis le lendemain profite de l’heure matinale du départ pour abandonner une seconde fois sa place dans le rang en restant dans son cantonnement. Il revient ensuite vers Bar où il arrive le 3 octobre vers 16 h 00. Arrêté à l’entrée de la ville par un poste de garde, il raconte d’abord qu’il a été fait prisonnier et s’est échappé, puis qu’il a été blessé d’une balle au côté droit ; un examen médical met bientôt à néant ses affirmations. De cet ensemble de faits il résulte que Loche a abandonné à deux reprises sa place dans le rang au moment où ses camarades marchaient à l’ennemi, sans faire constater par ses chefs, comme il en avait incontestablement les moyens, les motifs d’indisponibilité qu’il pouvait avoir. Loche reconnaît en outre avoir abandonné son havresac sur le bord de la route. Notre avis est donc qu’il doit être mis en jugement devant le Conseil de Guerre pour abandon de poste devant l’ennemi et pour dissipation d’effets d’équipement .
CG de la 30è DI
Témoignage d'André Aubenque, soldat du 56è R.I. qui visite son compagnon de régiment emprisonné à la prévôté de la gendarmerie militaire de Monzéville :
Je voulus intervenir en sa faveur et les priai de m’indiquer l’officier attaché au Conseil de Guerre pour lui fournir sur mon camarade et concitoyen certains renseignements. En effet Loche ne jouissait pas entièrement d’un état mental normal, sans être atteint de folie il était d’un caractère bizarre, s’emportant pour un rien si on le taquinait. En un mot il était détraqué et de ce fait digne d’intérêt. Le sous-officier du Conseil de Guerre me dit : « N’essayez pas d’insister car vous pourriez, vous aussi, vous faire traiter de lâche ».

A Montzéville, le 11 novembre 1914 le soldat Alfred Loche va être passé par les armes. En entendant prononcer l’arrêt du jugement qui l’a condamné à mort, Loche ne fait aucun mouvement et ne manifeste aucune émotion. Le soir il mange sans se soucier de ce qui l’attend. Au petit matin il quitte la prison en disant "Au revoir" et en souriant à tout le personnel de la prévôté et aux autres militaires détenus. Le Bességeois Marcel Pradon fait partie du détachement qui rend les honneurs au moment de l’exécution. Selon lui : « Mon camarade et concitoyen n’avait pas l’air de comprendre ce qui se passait autour de lui, ce qui ne m’étonne nullement car il était connu à Bessèges comme un déséquilibré ».
Il faudra vingt ans pour obtenir un jugement réhabilitant Loche ‘17 novembre 1934). Mort pour la France.


Georges Fabert, né le 17 avril 1883 à Paris 9è, électricien, soldat au 360ème R.I.
La procédure expéditive contient un rapport bâclé qui rapporte que le 4 novembre lors de l’attaque sur la Chapelle de N-D. De Lorette, la 18è Cie, une fois ses chefs blessés, se débande avec sergents et caporaux vers la tranchée de soutien tenue par la 19è. Là le lieutenant et le capitaine commandant la 4è section leur ordonnent de retourner à leur poste de combat. Le 5 on s’aperçoit de l’absence de Fabert, ce que confirme l’appel fait le 6 au matin à la sortie du bois. Ce serait le seul cas d’absence constatée. Fabert est retrouvé, après une absence de 36 heures -ou 18 seulement selon son interrogatoire- au cantonnement du Petit-Servin quand le bataillon y revient le 6 à 8h. Il reconnaît avoir abandonné son poste, dit le rapporteur improvisé, alors qu’il ressort de ses explications qu’on l’a plus ou moins forcé à reconnaître la chose. Lui dit seulement qu’il est tombé dans un ravin, n’a pu qu’à grand-peine se dégager des fils de fer et retourner vers Aix-Noulette, et qu’ayant perdu son régiment, il a passé la journée du 5 avec des territoriaux dans le bois.
Condamné par un CG spécial du 360è R.I., convoqué à 14 heures à la maison forestière du bois de Bouvigny le 14 novembre 1914, Fabert est fusillé aussitôt la condamnation prononcée : « Tué à l’ennemi ». Mort pour la France.


Georges Raoul Voyer naît le 11 juin 1889 à Melun (77). Ayant des problèmes de santé ne part pas de suite au service militaire. Il est incorporé le 7 octobre 1911 au 1er Régiment du Génie. Le 26 octobre 1912, la Commission spéciale de réforme de la Seine le classe "bon pour le service armé". Il est donc envoyé dans la disponibilité le 25 septembre 1913 avec le certificat de bonne conduite. Il est rappelé à l'activité par l'Ordre de Mobilisation générale du 1er août 1914 et rejoint son régiment le 3 du même mois.
Léonce Georges Goulon naît le 14 décembre 1883 à Paris, dans le 13è arrondissement. Le 3 novembre 1910, il est condamné à huit jours de prison par le Tribunal civil de la Seine pour "outrage aux agents". Rappelé à l'activité par l'Ordre de Mobilisation du 1er août 1914, il rejoint le 1er Régiment du Génie à Versailles, dans les Yvelines.
Les deux hommes comparaissent devant le Conseil de Guerre de la 69è Division d'Infanterie pour abandon de poste devant l'ennemi : "Ayant reçu l'ordre du Sous-Lieutenant Moscio, le 2 novembre 1914 à 19 heures, de rester au pont de Soupir pour procéder, si besoin était, à sa destruction, s'être enfui et n'être rentré au cantonnement que plus de 24 heures après, sans pouvoir donner de bonnes raisons de sa conduite".
La plainte a été déposée par le Capitaine Collin, commandant la Compagnie Divisionnaire du Génie où sont affectés les deux sapeurs-mineurs. Le texte est identique pour les deux hommes :
Nous avons, en conséquence, infligé au Sapeur Goulon / Sapeur Voyer une punition de 15 jours de prison ... La faute reprochée au Sapeur Goulon / Sapeur Voyer étant celle d'abandon de poste en face de l'ennemi, nous avons l'honneur de demander qu'il soit, pour ce fait, déféré au Conseil de Guerre de la 69è Division de Réserve".
Le 12 novembre 1914, Le Conseil de Guerre de la 69è Division d'Infanterie de réserve siège à Braine, dans l'Aisne. Seuls le Sous-Lieutenant Henri Jules Moscio et le Caporal Louis Gaston Schermann, témoins à charge sont entendus. Le 14 novembre 1914, le Conseil de Guerre rend son verdict : la peine de mort. Les deux hommes sont exécutés le 15 novembre 1914 à Braine.
Les constats de décès enregistrés par Marius Adolphe Augier, Docteur en Médecine, Major de 2ème classe de la Compagnie Divisionnaire du Génie montrent que Georges Raoul et Léonce Georges ont été touchés à sept et neuf reprises par le peloton d'exécution. « Etant donné que le condamné présentait quelques mouvements respiratoires, malgré la mortalité des blessures, le coup de grâce fut rapidement donné à la tête (région temporale gauche). »


Émile Joseph Louis Guiraud, né le 3 décembre 1893 à Puisserguier (Hérault) et le tambour Henri-Joseph Jolbert né le 15 octobre 1889 à Luxeuil-les-Bains (Haute-saône) appartenaient au 42e RI. On est mal informé sur leur cas car les archives de la justice de la 14e division ont été détruites. Un rapport du 1er bureau de la 6e armée indique que ces deux soldats, disparus de leur régiment au commencement d’octobre, avaient été arrêtés une première fois à Vic-sur-Aisne le 12 du même mois. Réintégrés dans leur unité, ils avaient été arrêtés une deuxième fois, le 8 novembre à Vic-sur-Aisne, dans le cantonnement du 35è RI où ils se cachaient, après avoir pris soin d’enlever leurs écussons.
Tous deux auraient été condamnés à mort par le conseil de guerre spécial du 42e RI et fusillés à Nouvron-Vingré le 16 novembre. Le mention « condamné à mort » sur la fiche de décès de Guiraud, et « tué à l’ennemi » sur celle de Jolbert, Mort pour la France, fait toutefois douter qu’il y ait eu un procès.
Carnets de JB Grousson, 298e RI :
« on fusille à Vingré 2 soldats français accusés de désertion, on en voit descendre des tranchées, pliés dans une couverture attachés à une poutre comme un veau mort, par des hommes à l’œil terne, pleins de boue, ils creusent un trou, on les recouvre et… c’est fini ! Chambe pleure de la séparation tous ces préludes macabres nous ont mis « le cafard », on monte aux tranchées, balles et obus sifflent on couche dans la grotte sur la terre humide, sans paille, et une autre nuit sur des pierres (froid) »

 

Léon Boisseau, né le 25 novembre 1889 à Paris 20è, carreleur à Levallois-Perret, soldat au 367è R.I. , déféré devant le 1er conseil de guerre de la place de Toul : aucune des questions posées n’est résolue à l’unanimité. Le rapport rédigé pour la mise en accusation, ne faisait pourtant pas dans la dentelle : « Le nommé Boisseau qui n’est qu’un lâche s’est incontestablement rendu coupable les 21 octobre et dans la nuit du 23 au 24 du double crime d’abandon de poste devant l’ennemi et de refus d’obéissance en présence de l’ennemi ».
Le 21 octobre vers 3h du matin le 367è est commandé de monter en ligne au bois de Mort Mare. Boisseau prend prétexte d’avoir oublié son képi – il l’a volontairement caché certifie le rapporteur-pour quitter les rangs. Malgré l’ordre de l’adjudant Baur de suivre sa section, il revient en arrière et ne reparaît à sa Cie que dans la soirée du 23. Il ne regagne alors sa tranchée que sous la menace du revolver du Lt Lavanant (Boisseau prétend même lors de son interrogatoire n’avoir pas vu ce geste de menace). Commandé pour monter en avant de la tranchée au poste d’écoute, il refuse de s’y rendre, prétextant qu’il a mal aux jambes (il a en effet comme son signalement l’indique, les pieds plats). Le « substitut du commissaire du gouvernement rapporteur » (capitaine Heurtel 22è Cie) expose très bien lui-même les raisons de son acharnement hystérique. « La présence de tels hommes dans une Cie est un véritable danger pour les autres, c’est un mauvais exemple qu’il faut enlever de l’armée même au prix de l’application des articles 213 et 218 du code de justice militaire [mort]. Boisseau est un mauvais soldat qui a fait 108 jours de salle de police et 28 jours de prison dont 8 jours pour avoir été trouvé détenteur de brochures antimilitaristes » (15 novembre 1914) Les faits ici évoqués remontent à septembre 1911 : « A été trouvé détenteur à la caserne d’un recueil de chansons, répertoire Montéhus, chansons révolutionnaires et antipatriotiques dites humanitaires de nature à nuire à la discipline » et 15 jours plus tard : « A introduit au quartier un recueil manuscrit de diverses chansons contenant notamment quelques chansons antimilitaristes. En prison jusqu’à décision à intervenir, une plainte en Conseil de discipline étant établie contre lui. »
sergent Moreau : « Boisseau a toujours été en quelque sorte, si je peux m’exprimer ainsi « le pitre de la section » il n’était pas pris au sérieux par ses camarades et ne se prenait pas au sérieux lui-même. »

Boisseau est fusillé le 17 novembre à 14h à Noviant-Aux-Prés (Meurthe et Moselle).


Ben Smaïl Messaoud ben Ali, né en 1886 à Oued Asker (Thala) (Tunisie), soldat au 8è R.M.T. est « tué au cours d’une tentative d’évasion » le 19 novembre 1914, on ignore où.


Auguste Ponroy, né le 12 mai 1891 à Villeneuve-sur-Cher, 1ère classe au 85è R.I., lémètreur à la 2è section de mitrailleuses. Condamnations:néant ; relevé de punitions : néant.
Il avait 23 ans à la mobilisation. Il était ouvrier tôlier à Saint-Florent. Le 21 novembre 1914, à Commercy dans la Meuse, il est accusé de désertion. Il a été séparé de ses camarades pendant la bataille. Il faisait froid dans la Meuse, et un document atteste que les tenues d'hiver des soldats n'ont été commandées qu'en novembre ! Un témoin dit que les soldats ne pouvaient plus sortir de la tranchée, l'échelle était trop courte tellement il y avait de cadavres au-dessus. Son dossier lors du procès dit bien qu'il donnait entière satisfaction avant la mobilisation, mais il venait d'apprendre qu'il avait eu un enfant de sa maîtresse. « Il est devenu dépressif, il pleurait sans cesse ».
CG de la 16è DI : « Le soldat Ponroy a disparu 4 fois de son unité, du 20 au 23 août, du 25 au 27 août, du 31 août au 15 septembre, du 6 au 31 octobre. Sur les trois dernières disparitions, il ne peut donner aucune explication, aps plus que sur l’emploi de son temps. Il est avéré qu’il a vécu en arrière des fractions de feu, allant demander par-ci par-là une ration aux cuisiniers du 172è, à Marbotte, du 96è ou du 95è… sa seule excuse, à ses retours successifs, était qu’il avait trop peur des morts. Il paraissait très atteint, complètement déprimé et neurasthénique. »
« Le général Vandenberg… considérant… qu’une répression vigoureuse et immédiate est nécessaire en raison du nombre considérable d’abandons de poste qui se sont produits… ordonne que la justice suive son cours »
Ponroy est fusillé le 21 novembre 1914 à 10 heures du matin à Commercy, à proximité de la caserne Oudinot.


César Philémon Bernard est né à Grasse (Alpes-Maritimes) le 23 septembre 1887 où il exerce la profession de cultivateur.
Le 13 août 1914 (8 h 30), César Bernard quitte sa compagnie (la 8ème) peu avant que celle-ci ne soit engagée devant Coincourt (Meurthe-et-Moselle). Arrêté dès le lendemain en tenue civile à la gare de Blainville (Meurthe-et-Moselle), il est écroué à Bourges (Cher) et Marseille (Bouches-du-Rhône). Trois mois plus tard, une plainte en conseil de guerre est établie contre lui au titre d'abandon de poste, de dissipation d'armes et d'effets militaires, de vol. Déféré le 20 novembre 1914 devant le conseil de guerre ordinaire de la 29ème D.I., il est à l'unanimité des voix condamné à mort pour « abandon de poste en présence de l'ennemi ».
César Bernard est fusillé à Récicourt (Meuse), le 22 novembre 1914 après- midi (16 h), devant le 141ème rassemblé. Son acte de décès a été transcrit à la mairie de Grasse (Alpes-Maritimes) le 11 mars 1915. 


Louis Isidore Marcel Naudin, né le 14 août 1889 à Ouzouer-sous-Bellegarde, Loiret, cultivateur à Lorcy, soldat au 113è R.I.
Le 24 août, vers le Grand Failly, Naudin disparaît au cours d’un combat au moment où sa Cie reçoit une rafale de gros obus percutants. Il passe la nuit dans une ferme inhabitée où il trouve des effets civils. Après deux jours de route il arrive à Neuvilly et se fait embaucher à la ferme d’Alancourt où il travaille jusqu’au 4 septembre. Dès l’approche de l’ennemi, il se joint à un convoi d’émigrés, va avec eux jusqu’à Salmagne, puis revient à le ferme de la Tuilerie où il est arrêté avec les habitants soupçonnés d’espionnage à la mi-octobre. Emmené à Aubréville, il est relâché sans être inquiété. Il se dirige alors vers Courcelles où il arrive le 21 octobre. Il se présente en compagnie d’un individu qui n’a pu être identifié, chez M. Ducange où cantonnait le compagnie du Génoie de la 10è DI et demande l’hospitalité qu’on lui accorde, en vertu de deux laisser-passer contrefaits des maires de Salmagne et Neuvilly. Le 23 octobre il est arrêté sur la dénonciation de son hôte Duchange. Jamais puni, Naudin aurait passé pour un garçon courageux après de ses camarades (il ne reste aucun chef pour témoigner du contraire).
Convaincu de désertion (du 24 août au 23 octobre) il est déféré devant le conseil de guerre de la 9e D.I. le 21 novembre 1914 et condamné à mort pour « abandon de poste et désertion en présence de l'ennemi » et dissipation d’effets militaires. Il est fusillé le 23 novembre À 14h30 à la ferme de Beirtrameix à Aubréville, forêt d'Argonne, avec
Auguste Eugène Haubert, né le 1er mars 1891 à Vendôme (Loir-et-Cher), jardinier, soldat au 113è R.I.
Il avait prétexté un mal de gorge, puis « un état de faiblesse générale » pour quitter temporairement le front et fabriqué deux certificats médicaux pour justifier son absence du 20 septembre à Varennes au 8 octobre, ce qui lui valut d'être condamné à mort pour désertion en présence de l’ennemi et faux en écriture privée.


Pierre Emile Jules Vignon, né le 6 septembre 1891 à Lyon 1er, célibataire, employé aux Pâtes Alimentaires puis garçon-boucher, soldat du 158è R.I.,déféré devant le conseil de guerre de la 43è DI (21 novembre 1914) et condamné à mort pour "abandon de poste en présence de l'ennemi". Lors de la même audience, le soldat Camille Joseph Phelpin (né le 26 septembre 1892 à La Houssière, ouvrier en filature, célibataire) est également condamné à mort ; sa peine est commuée en 20 ans de détention sur recours du conseil. La peine de prison est suspendue par le général commandant la 13è DI en date du 27 août 1915. Cette décision est révoqué le 10 décembre 1915, Phelpin ayant à nouveau déserté en présence de l’ennemi, quittant sa Cie qui montait de Vedrel aux tranchées pour se réfugier parmi ses camarades du 8è territorial, avant son arrestation le 11 octobre au bois de Berles. Jugé à nouveau il est condamné à 15 ans de réclusion, peine qui s’ajoute à la précédente. Il bénéficiera encore par 2 fois de remises de peine importantes en 1919 et 1922 (dix ans).
Vignon est fusillé le 23 novembre 1914 à 7h à Bully- Grenay, au lieu-dit Les Brebis (en fait la cour de l'abattoir), avec le caporal Pierre Joseph Chappaz du même régiment né le 15 juillet 1891 à Thorens-Glieres (Haute-Savoie), scieur à Annecy, célibataire.
« Le 5 novembre 1914, la section à laquelle appartenait Phelpin occupait une tranchée à Noulette. Un caporal et quelques hommes dont Phelpin furent détachés en petit poste sur la gauche de la section et un peu en arrière. Vers 3 heures du matin, les Allemands tentèrent une attaque sur la tranchée occupée par la section qui repoussa l’ennemi. Le caporal et deux de ses hommes, ayant entendu quelques balles siffler dans leur direction, prirent la fuite au pas gymnastique, laissant le flanc de la section à découvert. Phelpin et ses camarades ont reconnu les faits. Ils ont donné comme excuse qu’il étaient partis parce qu’ils avaient vu s’enfuir des soldats appartenant à la section engagée. »
La différence de traitement entre les trois soldats s’explique en partie par le fait que Vignon, désigné comme récidiviste, ait été convaincu de mensonge, affirmant avoir été cerné et déclarant au commandant de bataillon rencontré 600m en arrière, qu’il avait été blessé par un coup de canon dans l’oeil porté accidentellement par un camarade. Il faut aussi considérer que les déclarations de Vignon, soulignant qu’il y aurait eu règlement de compte ont pu paraître gênantes à la hiérarchie. Il raconte ainsi qu’après sa fuite, se retrouvant aux cuisines avec Phelpin, ils ont essuyé les quolibets des cuisiniers Pierre et Parrat : « Tiens, en voilà un autre »… Parrat : »De lui ça ne m’étonne pas ! »
« Ce que dit le soldat Pierre relativement à une attaque de nuit est inexact ; il ne m’a jamais dit « Mon vieux ! Si tu nous lâches, je te réglerais ton affaire ! », et je ne me suis pas sauvé. C’est de la pure invention de sa part. D’ailleurs tout le monde m’en veut sans que je puisse savoir pourquoi ; on me charge, c’est malheureux ! » Dans l’active j’étais fonctionnaire caporal et j’avais eu sous mes ordres le soldat Pierre : je ne l’ai jamais fait punir, mais il m’en veut parce que je lui donnais des ordres.
- Avez-vous aussi des difficultés avec le sergent Grimmer qui déclare que vous êtes un lâche ?
- C’est bien mieux, le sergent Grimmer frappe les hommes, et j’ai été frappé par lui parce que je parlais dans la tranchée avec des camarades alors qu’il avait défendu de parler. Il m’a donné un coup de pied dans les fesses. C’est tout de même malheureux d’être chargé par tout le monde. Je ne suis pourtant pas plus mauvais que cela, puisque hier il m’a donné sa baïonnette à astiquer et je l’ai fait sans difficulté. »
Chappaz en tant que gradé est considéré comme plus coupable que les autres, il les a entraînés dans sa défection  ; selon les soldats Wetzel et Cuny, il serait parti le premier, obligeant Cuny à commander le feu (après la fusillade, Wetzel et Cuny sont eux aussi partis, 4 camarades étant venu leur dire que tous les autres étaient pris). Chappaz a été retrouvé caché dans une tranchée abandonnée de l’arrière avec le soldat Bailly qu’il a rencontré dans le bois. Au caporal Laurent qui lui demande « Qu’est-ce que tu fous-là, feignant ? Ta place est dans la tranchée avec les bonhommes», il répond « si les autres n’avaient pas foutu le camp, je serais resté ».
Après lecture et signature, nous demandons à l’inculpé pourquoi il n’a plus ses galons de caporal. L’inculpé déclare : « Le sergent Grimmer [qui commandait la section et demi de la tranchée principale] à la suite des faits dont je vous ai parlé m’a dit : « Enlevez vos galons, vous n’en êtes pas digne ». Je les ai enlevé de suite, m’en rendant bien compte ».


Pierre Maurin, date et lieu de naissance inconnus, soldat au 36è R.I.C., décédé le 26 novembre 1914 sans qu’on sache comment ni pourquoi (sans rapport avec son homonyme mort d'une blessure infectée le 19 novembre).


Armand Louis Paul Bindel, né le 22 mars 1881 à Saint-Ouen-La-Rouërie (Ille et Vilaine), cultivateur à Sacey (Manche) célibataire soldat au 2è R.I.
« Tué à l’ennemi » donc Mort pour la France.
Jean-Marie Clément Lecompte, né le juin 1880 à Poligné (Ille et Vilaine), cultivateur, marié, déférés devant le CG de la 20è D.I. (minutes seules), sont accusés d’avoir courant octobre abandonné leur poste par mutilation volontaire et fusillés le 30 novembre 1914 à Sainte-Catherine (Marne) à 7h30


Décembre



Albin Edouard Millard, né le 11 février 1885 à Revin (Ardennes), ouvrier en métaux, chasseur 2è classe au 49è B.C.P.
CG de la 52è Division de réserve (30 novembre 1914) : Voies de fait et outrages envers un supérieur dans le service, vols au préjudice de l’habitant (Mort), ivresse manifeste et publique (1 mois).
Le 26 octobre 1914 vers dix heurs du matin, le sergent Delicaille de la 10è Cie se trouvait dans le cantonnement de la Cie en train de faire une ronde que lui avait prescrite le sous-lt François pour s’assurer que des hommes n’étaient pas restés au cantonnement sans autorisation. Au cours de cette ronde, il entendit le chasseur Millard qui vomissait derrière des tonneaux. Il lui donna l’ordre d’aller se coucher. Celui-ci fit quelques difficultés pour s’éloigner , puis appela le sergent en ces termes « Delicaille, j’ai quelque chose à te dire ». Il insista. Le sergent qui se défiait de Millard, individu robuste et dangereux, hésiat d’abord, puis s’avança. Millard retira alors sa capote, comme s’il voulait se battre, se jeta d’un bond sur Delicaille, le saisit à bras le corps et chercha à le terrasser. Le sergent butta contre une planche et aurait été renversé sans l’intervention du caporal Mortelecque et des chasseur Dhalluin et Druesne présents au cantonnement. En même temps Millard avait saisi la baïonnette du sergent et voulait la lui enfoncer dans la poitrine. Les soldats l’en empêchèrent en le maîtrisant. Le soldat Druesne a déclaré : « J’ai vu Millard ayant à la main une baïonnette faire un mouvement en arrière, tenant la baïonnette relevée, dans la position qui donnait nettement l’impression qu’il voulait tuer le sergent. En même temps Millard injuriait Delicaille, l’appelait, Petit trou du cul, bout de pine et d’autres noms semblables ».
Arrêté et fouillé, Millard fut trouvé porteur d’une bague en or, un porte-monnaie en nacre à initiales d’argent incrustées contenant un petit sanglier en argent porte-bonheur, deux glands en or et un flacon à sels en argent, une épingle de cravate, une médaille de mariage, une clé de montre en or, une vrille, une bonde. Il reconnut avoir trouvé l’épingle et les breloques à Bétheny parmi des décombres et la médaille à Broussy le Petit.
L’entrée des caves Henckel (« maison carrée occupée par les chasseurs du cantonnement) ayant été barricadée et gardée par une sentinelle, l’attention se porta sur la question de savoir comment Millard s’était enivré. Millard avoua qu’ayant réussi à tromper la vigilance de la sentinelle, il était descendu aux caves, y subtilisant un seau de vin qu’il avait bu avec des camarades. La vrille et la bonde trouvée sur lui montrait qu’il avait l’habitude de se servir dans les caves. Il ressortirait de l’enquête que Millard aurait également vendu en ville d’autres objets produits de ses larcins, et qu’il avait probablement eu des complices, le sergent Delicaille ayant entendu le soir de son arrestation des chasseurs dirent à voix basse dans le noir « qu’il était heureux qu’ils aient pu retirer les petits paquets de son sac ». Il aurait également été vu en compagnie d’un zouave dans une maison de Broussy mais il déclare qu’il n’y est arrivé qu’après la fin du pillage (par d’autres chasseurs du bataillon) et n’aurait quant à lui emporté qu’une bouteille de quinquina bue avec des camarades (dont Delicaille « qui en aurait pris deux fois en guise de café » insiste Millard).
Un capitaine d’infanterie et un adjudant du génie rapportèrent avoir vu le 28 août sur le champs de bataille de Douchy, un chasseur correspondant au signalement de Millard (il lui manquait un doigt à la main gauche), achever deux blessés français pour les voler. On ne prête qu’aux riches ! En privé, au chasseur Druesne qui avait eu des amis tués à Douchy, Millard répondit qu’il n’avait fouillé que des allemands et « qu’il n’avait pas de comptes à lui rendre ». « Devant ces réponses, dit Duesnes, je l’ai frappé. Je le reconnais et je crois bien que sans l’intervention du caporal Merlex, je l’aurais tué ». L’adjudant retrouvé déclara que les faits avaient été mal rapportés, qu’il avait effectivement aperçus des chasseurs de « mauvaise allure », mais que s’il les avait vu dépouiller des blessés, « il les aurait tués immédiatement ».
« Millard est un mauvais chasseur, paresseux et ivrogne ; c’est un souteneur de profession. Les lettres trouvées sur lui ne laissent aucun doute à ce sujet -ces lettres ne figurent pas au dossier-. « C’est, dit son sergent, le type du chapardeur et du voleur de profession, craint par tous, même par ses camarades. Quand il revenait de ses expéditions, il offrait toujours le produit de ses larcins à ses chefs ou à ses camarades de façon à les compromettre et les empêcher plus tard de lui faire des observations ». Il accuse ainsi divers sous-officiers d’avoir donné le mauvais exemple en volant des lapins ou des effets d’habillement.

Millard est « fusillé au cours de l'accomplissement d'une punition à l'hôpital complémentaire B (?) de Reims » selon sa fiche de décès le 2 décembre 1914. Mort pour la France. En réalité, il a été fusillé sur la commune de Tinqueux le 2 décembre à 7h.
Le rapport d’une précision morbide qu’établit le Médecin-major de 2è classe Bureau, rappelle par son objectivité malsaine les élucubrations médico-légales de certains mystiques cherchant à décrire les blessures de la Passion :
« Aussitôt après le feu du peloton d’exécution, la contraction immédiate de tout le système musculaire a raidi le corps contre le piquet d’exécution. La tête s’est soulevée. Puis à ces manifestations extrêmement rapides ont succédé le relâchement des muscles et l’affaissement du corps tout entier : la tête est alors retombée inerte sur la poitrine. M’approchant de l’exécuté j’ai constaté un écoulement de sang par la bouche et le nez ainsi que deux ou trois spasmes des muscles du cou. Puis, aucune manifestation vitale. Le coup de grâce a donc été inutile. Le cadavre ayant été transporté immédiatement à la clinique Mencière… j’ai fait les constatations suivantes .
Millard a été frappé par 12 balles en pleine poitrine. Les 12 orifices d’entrée ont été facilement retrouvés. Ils étaient d’ailleurs tous situés dans la moitié droite du thorax, dans une surface triangulaire formée opar la ligne médiosternale et 2 lignes obliques partant du mamelon droit et se dirigeant, l’une vers la fourchette sternale, l’autre vers l’appendice siphoïde. 1 projectile a pénétré exactement au niveau de la fourchette sternale et a dû sectionner les gros vaisseaux de la base du cœur. Bien que les orifices d’entrée n’intéressent que la zone thoriacique en rapport avec le poumon droit, les projectiles n’ont pas respecté le poumon gauche. Les orifices de sortie en donnent en effet la démonstration.
On retrouve dans le dos 10 orifices de sortie, mais il n’est pas douteux que deux de ces orifices particulièrement étendus ont été provoqués par 2 projectiles. Cette confusion des orifices de sortie est d’autant plus naturelle que les orifices d’entrée étaient extrêmement rapprochés les uns des autres. La surface triangulaire relatée ci-dessus est en effet à peu près égale à celle d’une main adulte. Or un de ces grands orifices se trouve précisément en pleine fosse sous épineuse gauche. Par cet orifice ont été projetés des fragments d’os, de muscles, et même de poumon. Cet orifice très déchiqueté revêt une forme à peu près circulaire et mesure environ 8 cm de diamètre. Le 2è orifice déterminé par la sortie de 2 projectiles intéresse la fosse sous-épineuse droite. Un peu moins grand que le précédent, il mesure environ 6 cm de diamètre. Enfin, il faut signaler un 3è orifice de sortie situé tout à fait à gauche de la région dorsale au niveau du 6è espace intercostal. Il se trouve à un travers de doigt de la ligne axillaire postérieure. Le projectile qui l’a provoqué a donc blessé gravement les deux poumons et peut-être atteint le cœur à la partie postérieure. Il est évidemment dû étan donné son obliquité à un tireur placé à l’extrémité de la ligne su peloton. Les autres orifices de sortie sont tous situés dans la région dorsale, à proximité des précédents.
En résumé, Millard a été frappé de 12 balles qui ont pénétré dans la moitié droite du thorax. Les projectiles ont traversé de part en part la cage thoracique en suivant un trajet non pas exactement antéropostérieur, mais oblique d’avant en arrière et de droite à gauche (par rapport à l’exécuté). Ils sont en effet sortis pour la plupart dans la moitié gauche de la région dorsale, au niveau de la fosse sous scapulaire. Le trajet oblique s’explique par la situation de Millard, qui ne s’est pas présenté exactement de face devant le peloton d’exécution, mais l’hémithorax droit en avant. Les projectiles ont provoqué de graves déchirures pulmonaires qui ont déterminé l’écoulement de sang nasal et buccal constaté plus haut. Les lésions étaient déjà amplement suffisantes pour déterminer la mort immédiate. Il s’y est ajouté la section des gros vaisseaux de la base du coeur et peut-être une lésion de cet organe lui-même. Les constatations ayant paru absolument décisives, l’examen interne n’a pas été pratiqué. »



Les martyrs de Vingré 

Le caporal Paul Henry Floch et les soldats Jean Blanchard, Francisque Durantet, Pierre Gay, Claude Pettelet et Jean Quinaud appartenant au e RI.
Le Journal de marche du régiment, signale l'exécution à la date du 4 décembre 1914 :
 « L'exécution des 6 condamnés à mort a lieu à 7h30, à 200 m à l'ouest du calvaire de Vingré, situé à l'embranchement des deux chemins allant à Nouvion. Assistent à la parade d'exécution les quatrième compagnie de réserve du 298e, deuxième compagnie du 216e et une compagnie du 238e. Les troupes sont commandées par le Lieutenant-Colonel Pinoteau. Les condamnés qui ont passé la nuit dans la prison du poste de police sont amenés à 7h30 par un piquet de 50 hommes et fusillés. Après l'exécution qui se passe sans incident, les troupes défilent devant les cadavres et rentrent dans leurs cantonnements. » 
Paul Henry Floch né le 31 mai 1881 à Breteuil où il est greffier de la justice de paix.
 

Dernière lettre du caporal  Floch adressée à sa femme Lucie avant son exécution:
Le 4 décembre 1914, 6h 30
Ma bien chère Lucie,
Quand cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé. Voici pourquoi :
Le 27 novembre, vers 5 heures du soir, après un violent bombardement de deux heures, dans une tranchée de première ligne, et alors que nous finissions la soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée, m’ont fait prisonnier avec deux autres camarades. J’ai profité d’un moment de bousculade pour m’échapper des mains des Allemands. J’ai suivi mes camarades, et ensuite, j’ai été accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi.
Nous sommes passés vingt-quatre hier soir au Conseil de Guerre. Six ont été condamnés à mort dont moi. Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais il faut un exemple. Mon portefeuille te parviendra et ce qu’il y a dedans.
Je te fais mes derniers adieux à la hâte, les larmes aux yeux, l’âme en peine. Je te demande à genoux humblement pardon pour toute la peine que je vais te causer et l’embarras dans lequel je vais te mettre…
Ma petite Lucie, encore une fois, pardon.
Je vais me confesser à l’instant, et j’espère te revoir dans un monde meilleur.
Je meurs innocent du crime d’abandon de poste qui m’est reproché. Si au lieu de m’échapper des Allemands, j’étais resté prisonnier, j’aurais encore la vie sauve. C’est la fatalité !
Ma dernière pensée, à toi, jusqu’au bout.


Jean Blanchard né le 30 septembre 1879 à Ambierle située dans le département de la Loire et la région Rhône-Alpes. Il exerce le métier de cultivateur avant d'être rappelé sous les drapeaux en 1914. Il est enterré dans le vieux cimetière d'Ambierle.
 
 
Ses derniers mots:
" Voici ce que j’ai sur moi :
Ma montre
Mon porte-monnaie qui contient 51 F 20, le mandat que tu m’as envoyé et que je n’ai pas touché
Mon couteau et quatre médailles
Je tiendrais bien à ce que tu les reçoives.
J’espère qu’on vous y fera parvenir, j’ai encore toutes les lettres que tu m’as écrites dans mon sac ou sur moi.
J’ai tous les effets que tu m’as envoyés et ceux que j’avais auparavant ".
Jean Quinaud, né le 14 mars 1886 à Saint Victor, Allier, cultivateur, marié le 13 juin 1914 à Huriel. Inhumé à Vallon-en-Sully.
 
« Ma chère femme.
Je t’écris mes dernières nouvelles : c’est fini pour moi. C’est bien triste. Je n’ai pas le courage, je me (illisible). Pour toi, tu ne me verras plus. Il nous est arrivé une histoire dans la compagnie. Nous sommes passés vingt- quatre au Conseil de Guerre. Nous sommes six condamnés à mort. Moi je suis dans les six et je ne suis pas plus coupable que les autres camarades, mais notre vie est sacrifiée pour les autres.
Ah ! autre chose : si vous pouvez m’emmener à Vallon. Je serai enterré à Vingré.
Dernier adieu chère petite femme. C’est fini pour moi. Adieu à tous, pour la vie.
Dernière lettre de moi, décédé au 298ème régiment d’infanterie, 19ème compagnie, pour un motif dont je ne sais pas bien la raison. Les officiers ont tous les torts et c’est nous qui sommes condamnés pour eux. Ceux qui s’en partiront pourront te raconter. Jamais j’aurai cru finir mes jours à Vingré et surtout d’être fusillé pour si peu de choses et n’être pas coupable. Ca ne s’est jamais vu une affaire comme cela. Je suis enterré à Vingré !...  »

Francisque Durantet né le 5 octobre 1878 à Ambierle dans la Loire. Il se marie à Ambierle en 1906 avec Claudine Drigeard, ils ont deux fils. Il exerce le métier de cultivateur. Il est enterré dans le vieux cimetière de Ambierle. 
 
« Ma chère Claudine.
C’est bien pour la dernière fois que je t’écris, car nous venons de passer en Conseil de Guerre, je ne te reverrai plus en ce monde peut être, nous nous reverrons dans l’autre monde. Car si je meurs ce n’est pas ma faute, mais nous mourrons pour les autres.
Je n’ai rien à me reprocher, j’ai vu l’aumônier et je me suis bien confessé, et le plus malheureux pour moi c’est de ne plus te revoir et ainsi que mes pauvres parents. Ma pauvre amie, il faut donc se séparer nous qui étions si bien unis ensemble, il faut donc nous séparer. Mon Dieu, que va tu faire seule avec les deux petits enfants enfin Dieu te viendra en aide. Ne te décourage pas ma chère amie, si je meurs je meurs la conscience tranquille ; Je n’ai pas fait de mal à personne, si je suis puni, ma punition vient tout simplement d’une bagatelle qui s’est produit par un homme qui a crié : Sauvez vous voila les boches et tout le monde se sont mis en déroute, nous étions 24 et sur le nombre nous avons été 6 qui étaient pris, c’est bien malheureux pour nous, mais enfin c’est notre destinée.
Je te dis bien adieu, adieu et dit bien adieu à toute la famille pour moi, ait bien soin de mes petits enfants.
Je t’embrasse bien des fois, car c’est fini pour moi, et je te dis une autre fois au revoir. »

Pierre Gay né le 30 novembre 1884 à Treteau dans l'Allier. Il est  marié à Marie Minard le 28 septembre 1912 à Tréteau. Cultivateur au domaine du Vieux Chambord à Treteau (Allier), marié, inhumé à Treteau.
 


«Le 27 novembre, à 3 heures du soir, l'artillerie allemande s'est mise à bombarder les tranchées pendant deux heures. La première section qui était à notre droite a évacué sa tranchée sans qu'on le sache.
Vers 5 h du soir, nous mangions la soupe en veillant devant nos créneaux, quand, tout à coup, les Allemands viennent par la tranchée de la première section, on nous croise la baïonnette sur la poitrine en disant: «Rendez-vous, haut les mains, on vous fusille».
Je me suis vu prisonnier avec un autre de mon escouade, je saisis un moment d'inattention pour m'échapper. Il y avait un pare-éclats en face de moi, je me suis jeté en face au risque de me faire tuer par les balles et, comme je n'ai plus vu de camarades, je suis descendu par la tranchée pour rejoindre ma section et nous sommes remontés pour réoccuper la tranchée.
Le lendemain, tous les officiers et chefs de section étaient bien à leurs postes et nous, pour ne pas être restés prisonniers des Allemands, nous avons passé en Conseil de guerre, nous ne sommes pas plus coupables que les autres camarades de ma section. Nous avons passé au Conseil de guerre le 5 décembre, toute la demi-section, tous les autres ont été acquittés et nous avons été six condamnés qui ne sont pas plus coupables que les autres ; mais si nous mourons pour les autres, nous serons vengés par Dieu en attendant de nous revoir dans les cieux.
Pardonne-moi bien de la peine que je vais te faire ainsi qu'à mes pauvres parents. Je vais demander l'aumônier pour me confesser, on ne me le refusera pas, je suis innocent. Adieu, je ne sais plus quoi te mettre, moi qui avait tant de choses à te dire. Oh ! Pardonne-moi encore une fois, ainsi que mes chers parents, je n'ai pas peur de la mort puisque je suis innocent du fait qu'on me reproche».

Claude Pettelet né le 13 février 1887 à La Guillermie dans l'Allier, cultivateur à la Guillermie (Allier), marié, un enfant, inhumé à la Guillermie.
 
 
Lettre du soldat Pettelet la veille de son exécution.
«Vingré le 4/12/1914
Chère Femme et parents,
Je vous écris cette lettre pour vous annoncer une mauvaise nouvelle au sujet des prisonniers qu'ils nous ont fait. Nous on s'est sauvé et on croyait de sauver sa vie mais pas du tout je suis été appelé devant le Conseil de guerre avec toute la demi-section dont je faisais partie. On est 6 qui sont condamnés à mort. Quel ennui pour vous et surtout pour mon Jérôme que j'aimais tant.
Mais je te le recommande, aies en soin autant que tu pourras et tu diras à ton père que je lui recommande son filleul, de faire ce qu'il pourra pour lui puisque c'est fini pour moi.
Mon motif qu'ils m'ont porté c'est «abandon de poste en présence de l'ennemi». Je n'ai toujours pas tué ni volé et celui qui nous a condamné j'espère de le voir un jour devant Dieu. Pour moi, j'ai demandé le prêtre, il nous sera sûrement pas refusé et j'espère que je ne tremblerai pas au moment de l'exécution. Ca ne doit pas être un crime en se confessant à ne pas être digne du ciel.
Dès que tu auras reçu ma lettre, tu me feras faire mon service et tu me feras dire des messes, tu inviteras tous mes amis tels que Félix Giraud du Pilard et Mélanie et quand tu vendras à Massonné, tu feras ton possible pour que Mélanie l'achète.
Cher femme, je vous invite tous, c'est à dire toi, mon père, ma mère et mon oncle à avoir un bon accord ensemble et avoir soin de Jérôme le reste de vos jours. Je vous le souhaite et j'espère que vous m'accorderez cette faveur.
Chère femme, la compagnie demande grâce pour nous au général mais il ne faut pas compter sur ça pour être acquitté, mais enfin ne te fais pas de l'ennui pour ça, il y en a d'autres.
Je fais cette lettre et je la donne à un copain et je lui dis de la faire partir que quand je serai mort. Quand vous la recevrai, tout sera fini.
Je termine en vous embrassant tous et en espérant de se revoir dans le ciel, il n'y a plus que là que l'on peut se revoir. Il y en a beaucoup du pays qui sont avec moi, ils diront toujours que ma faute n'était pas grave. Je vous embrasse tous et je vous dit adieu. Je regrette».
Témoignage de J.B. Grousson de St-Etienne, 238e régiment d’infanterie :
 
 
4 Xbre – à 4 ½ du matin réveil pour exécution à 6 h à Vingré de 6 soldats ayant abandonné leur poste surpris par les allemands, avec Jules, je fais partie du peloton qui les encadre baïonnette au canon, pour les mener au lieu d’exécution où le régiment est réuni (19e Cie). Les aumôniers leur parlent et les embrassent, on leur lie les mains qu’on attache ensuite à un poteau on leur bande les yeux, l’adjudant Delmote qui commande le peloton d’exécution abaisse son sabre, 72 fusils partent à la fois (dont Eyraud) et ces 6 martyrs tombent sans un cri, un sous-officier vient leur donner le coup de grâce et on fait défiler tout le régiment devant ces 6 corps pantelants. Spectacle inoubliable et saisissant, l’un avait 5 enfants, l’autre 3. Etaient présents, Col. Pinoteau, lieut. Diot, médecin Mallet, lieut. Brendejac.

Témoignage de Jean Dumont du 238e régiment d’infanterie :
7h35 « Ensuite toutes les compagnies ont défilé devant les cadavres renversés au pied des poteaux. Quel spectacle horrible  ! Je n’ai pu m’empêcher de pleurer. Moi et les autres. Tous, officiers, sous-officiers et soldats étaient atterrés. »
Témoignage du Sergent Grenier du 298e régiment d’infanterie :
8h00 « C’est honteux, honteux, et c’est pour nous donner une leçon, nous remonter le moral, nous donner du courage. Pour le moment on ne peut rien dire, mais quand je pourrai parler, je dirai ce que j’ai sur le cœur, et puisque nous n’avons pas pu sauver leur vie, nous sauverons leur honneur. »

Hildevert Eugène Marcadet, né le 5 septembre 1877 à Dancourt, domestique en 1902-1903, une fille, Julia Angèle Poulain. Soldat au 21è Régiment d'Infanterie Territoriale, il est inculpé d'abandon de poste étant en faction en présence de l'ennemi. Fusillé le 4 décembre 1914 à Fescamps (80). Annulation du jugement par la cour de cassation le 29/08/1918.


Alexandre Foquino (en réalité Focchino selon ses papiers) né à Marseille le 1er novembre 1887. Soldat au 111è R.I. il pre,d part à la bataille de Vacincourt. Le 14 septembre, il perd la trace de sa compagnie au moment où celle-ci quitte précipitamment Blercourt pour poursuivre l'ennemi. Il est recueilli le 15 septembre par des renforts du 61è R.I. mais alors qu'il combat dans le secteur de Bois Carré (Avocourt),il prend la fuite, abandonnant arme et effets militaires dans le feu de l'action. Arrêté le lendemain soir, il déclare :
" Au cours du combat qui s'est prolongé dans la nujit, il y eut une débandade. Ke me suis perdu dans le bois avec deux compagnons du 61è R.I. Nous y avons passé la nui. Au point du jour, ayant quitté mon fusil et mon équipement pour mettre ma veste, j'ai été onligé de m'enfuir précipitamment, car les Allemands, qui étaient à 25 pas, nous tiraient dessus."
Les témoignages accablants de deux "camarades" affirmant avoir vu Focchino se coucher et refuser de suivre sa compagnie, incitent ses supérieurs à le faire traduire en conseil de guerre. Devant le CG de la 28è D.I. il est condamné à mort pour "abandon de poste en présence de l'ennemi et dissipation d'armes et d'effets". Son recours en grâce ayant été rejeté le 3 décembre, Alexandre Focchino est fusillé à Récicourt le 5 décembre 1914.


Alphonse Fortuné Fortoul est né à Revel en 1893 où il demeure avant son appel pour le service militaire en novembre 1913. Il appartient à la 10è compagnie du 157è régiment d’infanterie alpine qui est en première ligne au moment de sa désertion.
Fortoul est accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi le 13 novembre 1914 à Bouconville (Meuse), de vols au préjudice d’inconnus et de désertion en présence de l’ennemi du 20 au 21 novembre. À partir de certains témoignages, l’accusation conclut que Fortoul se préparait à déserter : il portait un paletot civil sous sa capote, il se serait renseigné auprès de soldats de la direction de Toul et on aurait retrouvé son sac laissé presque vide après son départ de la tranchée...
Fortoul est en effet arrêté par un poste de garde alors qu’il porte une tenue civile sur sa tenue militaire. Lors de son arrestation, il déclara avoir quitté la tranchée "parce que son capitaine, de Barrin, lui avait tiré l’oreille et donné un coup de poing sur l’épaule", pour le punir d’avoir fait un trou dans son couvre-pieds. Il portait sur lui deux porte-monnaie, le sien et celui qu’il a volé sur un mort allemand, ainsi qu’une somme de 19 marks et 19 pfennigs, qui s’y trouvait avec une alliance en or aux initiales E.B. 
  
Ramené à son régiment, Fortoul profite de la relève de la garde pour "s’esquiver de nouveau". Il est repris par la gendarmerie le 23 novembre.
Le capitaine nia avoir frappé Fortoul, déclarant que, "le 13 novembre, vers 14 h, il a pris par le bras et secoué Fortoul, qu’il avait trouvé déséquipé ou mal placé dans la tranchée. Il ajoute que cet homme était exaspérant par sa mollesse et sa lenteur à exécuter les ordres". Incorporé en 1913, Fortoul est décrit comme un "soldat négligent et malpropre" et son capitaine le représente "comme peu intelligent, de caractère faible et apathique, ne réagissant pas contre les émotions et les épreuves de la campagne".
Fortoul est condamné à mort pour "abandon de poste en présence de l’ennemi" le 5 décembre et fusillé à Broussey-en-Woëvre (Meuse) le 6 décembre 1914 au matin.
Extrait de l'acte de décès :
 
Charles Xavier Richter, né le 28 octobre 1885 à Bitschwiller (Alsace), 2e classe au 8e Groupe de Chasseurs cyclistes
« Un chasseur d’origine alsacienne nommé Richter était allé comme d’autres échanger de loin quelques paroles avec les Allemands ; il y eut même quelques trocs. Richter raconta à ses camarades qu’il avait bu un coup de gnole en échange d’un peu de vin, ayant liquidé le reste de son bidon, s’écria : "Je vais au patelin chercher du pinard." Ses camarades ne purent le retenir ; à Berles, il se trouva face à une sentinelle des Dragons qui, le voyant excité, voulut le refouler puis, comme il menaçait cette dernière, elle appela aux armes. Le poste arriva avec le sous-officier qui tenta en vain de calmer le chasseur ivre et furieux. Il le fit conduire à la Division où il fut écroué, passa au conseil de guerre avec pour motif : ivresse, abandon de poste en présence de l’ennemi et rébellion. Richter fut condamné à mort et fusillé par un peloton d’exécution composé de ses camarades chasseurs, de sous-officiers et caporaux, il mourut courageusement en criant : "Visez juste, vive la France !". »
Mon journal de guerre avec les Chasseurs (1914-1918), Bertrand Sittler, présenté par Michel Turlotte. Extrait des Mémoires de la Société d’Emulation de Montbéliard. N°128-2005, publié en 2006.

  
 portrait présumé

Carnets de l’aspirant Laby, 28 juillet 1914-14 juillet 1919, médecin des tranchées, présenté par Stéphane Audoin-Rouzeau, Bayard éditions 2001, page 84."Lundi 7 déc 1914.
Je retourne voir Julien. Le Dr Carivine est absent. En revenant, j’assiste par hasard à l’exécution d’un chasseur cycliste qui a quitté son poste, devant l’ennemi. Il meurt bravement. Il retire sa veste et dit : "Mes chers camarades, visez à la poitrine, pas à la tête." Il ne veut pas de bandeau et crie : "Vive la France ! Vive l’Alsace !" Il rachète son crime par une belle mort. Défilé des troupes devant le cadavre. Prière des soldats avec l’aumônier.
Richter est fusillé pour abandon de poste devant l’ennemi le 6 décembre 1914 à Pommier (Pas de Calais).


Louis Macchia, né à Marseille le 30 novembre 1881.
Il est forgeron, à Nîmes, au moment de la mobilisation générale. Soldat réserviste de la classe 1901, il est rappelé et combat avec le 312e régiment d'infanterie. Le 4 décembre 1914 au soir, alors qu'il monte en ligne, il est blessé par balle à l'index de la main droite et erre toute la nuit à la recherche d'un poste de secours, qu'il n'atteindra qu'au matin. Suspecté de mutilation volontaire, il est traduit devant le conseil de guerre. Malgré le rapport médical attestant que la balle à l'origine de sa blessure a été tirée de loin, il est condamné à mort pour “refus d'obéissance en présence de l'ennemi”. Il est fusillé le 7 décembre au Bois de Malinbois à Chauvincourt-St Mihiel (55). Non réhabilité.


Marcel Henri Mulot, né le 2 mai 1886 à Angoulême, soldat de 2è classe au 43è R.I.C. 20è Cie
Le 18 août au soir, à la ferme du Méridrey, en territoire allemand, le Lieutenant Calvignac donna l’ordre au soldat Mulot qui voulait acheter du vin, de faire le tour de la maison. Alors le soldat Mulot, subitement furieux, brisa sa bicyclette et cria qu’il préférait être fusillé. Puis il se montra très grossier envers M. Calvignac. Lors de ce premier incident, Mulot échappe au conseil de guerre. Mais dans la nuit du 1er au 2 décembre 1914, vers 23h30, alors que la Cie est en première ligne dans les tranchées en face de Monchy se produit l’événement qui va permettre à ses chefs de se débarrasser de lui :
Déposition du caporal Lambert : « A la suite d’une corvée commandée par le caporal Lambert, le soldat Mulot s’est révolté, a chargé son fusil et voulait se faire sauter la cervelle. [Il] a simplement tiré en l’air, a posé son fusil à terre… C’est alors qu’il se mit à crier très fort « Venez donc, les Boches, nous ne sommes qu’une vingtaine »… après que le sergent fut arrivé, ce soldat dit : « Ce n’est pas les gros qui ont commandé cette corvée, ce sont ceux qui ont des sardines ». Le sergent Estrade bouscula a lors le soldat et le fit rentrer dans son trou. Le soldat Mulot était très surexcité. Le caporal venait de le réveiller. Le soldat Mulot ronflait. »
Paroles prononcées par le soldat Mulot, de son aveu : « Bordelle (sic) de merde, venez donc nous chercher, on sera plus heureux que là dedans ! »
- Le soldat Mulot a-t-il eu une maladie coloniale qui pourrait atténuer sa responsabilité ?
- J’ai fait en août 1910 de l’anémie palustre et j’ai obtenu un congé de convalescence de cinq mois.
Le médecin-major : « Le dossier médical, chargé en affections vénériennes, ne porte pas d’indications relatives à l’évolution d’une syphilis ayant particulièrement atteint le système nerveux central. D’autre part, l’incontinence d’urine, ayant nécessité une semaine d’hospitalisation sans récidive depuis quatre ans, ne donne lieu à aucune conclusion d’ordre médical. »
Cette recherche de circonstances atténuantes -qui ne sont de toute façon pas admises dans la procédure à cette époque- est une pure hypocrisie de la hiérarchie, la lecture du premier rapport (capitaine Favalelli) ne laissant aucun doute sur l’issue recherchée : « D’un caractère fourbe, n’inspirant aucune confiance, tenant par habitude des propos antimilitaristes, parlant de revanche au moyen des syndicats, contre les galonnés, le soldat Mulot est un danger au point de vue discipline et une insécurité pour ses camarades quand leur confiance repose pour lui. Le capitaine commandant la Cie a l’honneur de demander d’être débarrassé d’un sans valeur pareil, d’un soldat d’un caractère aussi anti-français ».

Après supplément d’enquête -d’une journée- un Conseil de guerre spécial du 43è régiment d'infanterie coloniale (6 et 8 décembre 1914) condamne Mulot pour trahison devant l’ennemi :
« Le Conseil… considérant, que si ces cris n’ont pas été entendus de l’ennemi, ils auraient pu l’être étant donné la distance des tranchées et le silence de la nuit, que ces cris donnaient des renseignements sur la façon dont était occupée la tranchée française la plus proche de l’ennemi… considérant en outre que de pareilles paroles sont démoralisantes pour les autres défenseurs et qu’elles sont indignes d’un Français alors que tous sont armés pour la défense du territoire, considérant au surplus, que les renseignements fournis sur le soldat Mulot sont nettement défavorables et qu’il est considéré par ses chefs depuis le commencement de la campagne comme un révolté… condamne le soldat Mulot à la peine de mort et à la dégradation militaire. »
Mulot est "passé par les armes" le 8 décembre 1914 à Saint-Amand (Pas de Calais), décès constaté à 16h.


Michel Seguin, né le 15 novembre 1881 à Longueville (Lot-et-Garonne), maître d’hôtel à Birac, marié, deux enfants, soldat au 153è R.I.
Le 15 novembre 1914 à Kemmel (Belgique) à l’aube, le soldat Séguin de la 10è Cie, quittait la tranchée dans laquelle il avait passé la nuit pour se rendre aux feuillées situées en plein champs. Comme il s’apprêtait à regagner la tranchée en achavant de se boutonner, il prétend avoir ressenti une douleur soudaine à la main droite. Il crie aussitôt « je suis blessé », et le poste de secours l’envoie à l’infirmerie où le Médecin-chef Labougle constate : « L’inculpé [son sort est donc déjà décidé] a 2 petites blessures symétriques à la paume et à la face dorsale de la main droite, qu’il dit avoir été causées par la pénétration d’une balle et qui sont dues à la section de la peau par un canif ».
Un autre soldat Cautelouve, examiné le même jour et soupçonné également de mutilation volontaire (arrachement par balle de deux phalanges de l’index droit) échappe mystérieusement à la répression. Seguin, jusqu’au jour de son évacuation avait la réputation d’un bon soldat.
CG de la 39è DI (audience du 5 décembre 1914) : la condamnation est obtenue par trois voix contre deux, achoppant sur la circonstance aggravante de la présence ou non de l’ennemi. La commutation de peine proposée par le commissaire-rapporteur n’est pas entérinée.
Seguin est fusillé le 8 décembre 1914 à Elverdingue (Belgique) à 7h15. Dr Neroly Maurice : « J’ai constaté que toutes les balles avaient frappé la région précordiale, sauf une, qui entrée par la bouche avait sectionné le bulbe ».


Gaston Léon Eugène Brida, né à Valailles dans l'heure le 4 juillet 1893, garçon boulanger à Saint-Clair d'Arcey, célibataire, soldat au 37è R.I. 9è Cie
Il participe à toutes les batailles en Lorraine, Somme, Pas de Calais ; Alors que son régiment cantonné à Woesten, doit partir relever le lendemain le 156è aux tranchées de première ligne vers St Julien, Brida est blessé à une main le 27 novembre 1914, il change plusieurs fois de version, affirmant successivement avoir été blessé sur la route, puis dans la tranchée, et enfin par un camarade ayant tiré accidentellement derrière lui. Il est accusé de mutilation volontaire par le médecin aide-major Abt de l'ambulance 2/20 : déféré le 10 décembre 1914 devant le conseil de guerre de la 11e D.I. il est condamné à mort à la majorité de 3 voix vois contre deux pour "abandon de poste par mutilation volontaire" et exécuté à Elverdinge, Belgique le 11 décembre 1914 à 7h30. Non réhabilité, il figure sur le monument aux morts de Saint-Clair-d’Arcey.


Louis Joffin né le 25 mai 1883 à Verdun, terrassier à Reims, soldat du 102è R.I. tatoué sur le bras droit « pas de chance ».
La disparition de Joffin est constatée le 26 novembre 1914 à la relève de la 10è Cie à L’Echelle Saint-Aurin, vers 18 heures. ; il est arrêté le 28 novembre à Beauvais et dit qu’envoyé en patrouille, il s’est perdu : « J’ai suivi la grande route, couchant dans les meules et suis venu à Beauvais, espérant obtenir des renseignements me permettant de rejoindre mon corps. » Déféré devant le conseil de guerre ordinaire de la 7è D.I., Joffin est condamné à mort pour "abandon de poste en présence de l'ennemi" : les minutes du jugement ne précisent pas contrairement à l’obligation légale quel fut le nombre de voix pour ou contre cette décision. Joffin ets fusillé à Fescamps le 12 décembre 1914 à 15 heures. Mais il est déclaré Mort pour la France et le JO du 29 mai 1921 stipule encore : Joffin (Louis), mie 1471, soldat ayant eu au feu une belle attitude. Tombé au champ d'honneur, pour le salut de la patrie, le 12 décembre 1914, à Fescamps. Croix de guerre avec étoile de bronze. Sa fiche de décès le dit mort par « suite de blessures ».


Jean Grataloux, né le 9 décembre 1880 à ST Just-Sur-Loire, tourneur sur métaux à Saint-Etienne, célibataire. Arrivé au 238è RI le 12 août 1914
JMO : Depuis le 4/12/1914, le 238è RI procède à l'aménagement défensif du secteur de Vingré - Le 12/12 : perte un homme Grataloux passé par les armes »
Avant d’entrer en campagne, Grataloux avait la première phalange de l’annulaire gauche endommagée. Le 25 septembre il se présenta à l’infirmerie du 238è R.I., ayant la 2è phalange de ce doigt coupée. Il raconta que cette blessure lui avait été faite par une balle perdue, après qu’il eut quitté la tranchée pour venir à la visite. Les deux médecin ont des doutes mais enjoignent à Grataloux une fois qu’ils l’ont pansé, de rejoindre sa tranchée, au lieu de quoi, se présentant à l’ambulance n°1 à Fontenoy, Grataloux se fait évacuer. Un mandat d’amener est délivré contre lui le 15 octobre : il est arrêté à l’hôpital du Havre où il est en traitement etcondamné à mort pour abandon de poste par mutilation volontaire par le CG de la 63e DI le 12 décembre
L’abbé Rochias, qui officie pour la 63e DI, est prévenu dans la matinée du 12 décembre, par le général Jullien, que deux exécutions auront lieu ce jour-là. L’une à Vingré, d’un dénommé Grataloux, l’autre à Port Fontenoy où se trouve enfermé Leymarie. Tandis que son confrère Dumas s’en va assister Grataloux, l’abbé Rochias se rend auprès de Leymarie. Au moment où il est remis au détachement qui va le fusiller, ce soldat du 238e RI « tente de se suicider à l’aide d’un couteau qu’il a pu dérober. Il ne réussit qu’à se blesser et fut exécuté quelques instants plus tard »
Grataloux est fusillé le 12 décembre 1914 à 18 heures à Nouvron-Vingré (Aisne)

 

Léonard Leymarie, le 2 janvier 1880 à Seillac (Corrèze), marié, deux enfants, cultivateur, 2è classe au 305è R.I., 19è Cie

 

 

Le 17 novembre aux environs de Vingré, vers 1 heure du matin, Leymarie a pris la faction dans une tranchée située à environ 200m des tranchées allemandes. « Le créneau devant lequel il se trouvait avait été détérioré par des projectiles ennemis. Il a retiré son fusil du créneau pour voir s’il n’était pas bouché ; en même temps avec la main gauche il a enlevé un peu de terre qui le gênait pour replacer son fusil. Il a mis une cartouche dans son fusil. C’est au moment où il a voulu réintroduire son fusil dans le créneau avec la main droite que le coup est parti. Leymarie indique qu’à ce moment-là il avait le doigt sur la gachette et qu’il a, sans doute, en cherchant à placer son fusil dans le créneau, accroché la courroie de son bidon . Mais il ne peut expliquer comment il se fait que sa main gauche se soit trouvée au bout du canon. » Le soldat Jouvent qui tenait le créneau à droite de Leymarie signale en vain que « les Allemands ne cessaient pas d’envoyer des balles », il est contredit par le soldat Daumas, qui n’a rien vu mais n’a pas entendu tirer les allemands au moment où Leymarie a été blessé.
Léonard Leymarie, est condamné à mort à l’unanimité par le CGde la 63 DI pour «abandon de poste en présence de l’ennemi»
Sa dernière lettre (orthographe originale respectée) :
" Je soussigné, Leymarie Léonard, soldat de deuxième classe, né à Seillac (Corrèze).
Le Conseil de Guerre me condamne à la peine de mort pour mutilation volontaire et je déclare formelmen que je sui innocan.
Je suis blessé ou par la mitraille ennemie ou par mon fusi, comme l'exige le major , mai accidentelmen, mai non volonrairemen, et je jure que je suis innocan, et je répète que je suis innocan. Je prouverai que j'ai fait mon devoir et que j'aie servi avec amour et fidiélitée, et je je n'ai jamais féblie à mon devoir.
Et je jure devandieux que je sui innocan.
Leymarie Léonard "


Leymarie est fusillé le 12 décembre 1914 à 16h30 à Port-Fontenoy.
Gratifié de la mention Mort pour la France, il n'a pas été réhabilité contrairement à la mention de sa fiche de décès « Tué à l’ennemi Fusillé réhabilité ». Requête en révision rejetée le 4 mai 1920, le 16 janvier 1922 (Limoges), puis en mai 1934 (Bordeaux).




La décimation d'Ypres

constitue l'un des deux exemples de décimation répertoriés durant la première guerre mondiale. Celle-là a frappé un régiment colonial constitué principalement de tunisiens. L'autre en 1915 concernera la Légion étrangère. Témoignage du peu d'importance de ces sous-hommes, l'autorité militaire n'a même pas pris la peine de noter le nom de sept des condamnés à mort:

Le 16 décembre 1914, 10 tirailleurs tunisiens du 8e régiment de tirailleurs tunisiens (8e RTT) sont fusillés à Ypres (Verbrande-Molen, Belgique),  parmi lesquels Ahmed ben Mohamed el Gadjedi, Ali ben Ahmed ben Fredj ben Khelil et Hassin ben Ali ben Guerra el Amolmi. Les soldats combattaient depuis des semaines sans pouvoir se reposer au point que leur historique de marche avoue que lorsqu’ils ont gagné leur dernière position, les hommes étaient tellement épuisés que certains "tombaient sur la route sans pouvoir se relever". Le 14 décembre, les hommes de la 15e compagnie refusent d’obéir à l’ordre d’attaque. Le lendemain, sur ordre du général Foch, 10 % des mutins sont tirés au sort, promenés devant le front avec un écriteau portant en français et en arabe le mot « lâche » et fusillés aussitôt après comme le note le JMO de la 38e division d’infanterie dont relevait le 8e RTT : « Ordre du général commandant l’armée de décimer la compagnie du 8e Tirailleurs qui a refusé d’attaquer ».


Maurice Clèche, né le 14 mai 1887 à Boulogne-Billancourt, boucher, Zouave au 3è R.Z.
Le 13 décembre, vers 9 heures, pendant une marche exécutée par le bataillon de Voormezele à Boeschepe, le capitaine Poulain (commandant la 13è Cie du 3è Zouave) qui marchait avec le médecin-major à la gauche du bataillon vit le zouave Clèche de la 16è Cie soutenu par des camarades, et qui semblait ivre et avait abandonné ses armes et son havresac. Au moment où ces deux officiers arrivèrent à la hauteur de ce soldat, celui-ci les insulta grossièrement en les appelant « vaches, cons, salauds, vendus » et ce, devant un groupe de belge et de deux soldats anglais. Le capitaine Poulain dit de remettre Clèche à la garde de police qui marchait derrière. Ceux-ci ne parvenant pas à le maîtriser, le capitaine retourna sur ses pas, et reçut une nouvelle bordée d’injures avant d’ordonner aux hommes d’employer la force. Clèche se laissa alors traîner en tête du bataillon par quelques hommes et le caporal Beaumont. Il se débattait néanmoins en criant « Bandits, vampires, assassins », en rason de quoi le chef de bataillon Lagne ordonna au sous-lieutenant Lovichi de faire ligoter Clèche . « Quelques temps plus tard, le capitaine Poulain a vu le même scandale se reproduire devant un groupe nombreux de soldats anglais à l’égard du sous-Lieutenant Lovichi de la 16è Cie. » Les officiers confient alors Clèche à la garde de deux zouaves en attendant le passage d’une voiture qui puisse le ramener, mais celui-ci finit par s’endormir profondément et ils le laissent au bord de la route. Quand Lovichi et les deux zouaves désignés pour la garde de Clèche reviennent en arrière, ils le trouvèrent couché sur une charrette conduite par des soldats anglais. Il fut ramené au cantonnement, moins ivre, mais continuant à plaisanter et à tutoyer le sous-lieutenant.
Avant le retour de Lovichi et de ses hommes, le sergent Bessières (du 2è Zouave) commandant la garde de police, et qui devait ramasser tous les traînards et éclopés qu’il rencontrait sur la route, arrivant au village de La Clytte, aperçut Clèche, couché ivre dans le fossé. Levé par deux hommes, Clèche, dès qu’il fut debout porta un coup de pied au sergent. On voulut alors le faire monter sur une voiture prêtée par des soldats anglais. Il en profita pour donner au sergent un autre coup de pied au niveau des parties génitales, ce qui fit tomber Bessières à la renverse. S’étant dégagé des hommes qui le tenaient, Clèche saisit le sabre du sergent et le frappa à la main gauche déterminant une blessure assez profonde de deux centimètres de long. Quatre hommes le saisirent et le hissèrent sur la voiture.
Condamné par le CG spécial du 3ème régiment de zouaves de la 1ère division, Clèche est fusillé le 16 décembre 1914 à Abeele (Belgique), 8 heures.


François Fernet, né le 16 juillet 1890 à Verjux (Saône et Loire), ajusteur-mécanicien à Dijon, soldat au 27è R.I. déjà condamné le 8 novembre à deux ans de prison avec sursis pour abandon de poste : « etant aux avant-postes pendant la nuit, s’est déplacé sans ordres et n’a pu être trouvé au moment de prendre la faction en sentinelle. A pu prouver qu’il se trouvait dans une section voisine. »
CG spécial (réuni le 21 décembre) : Fernet quitte les rangs alors que sa Cie se rend de Vignot à Bois-Brûlé, à deux km avant d’arriver à Marbotte. Sa justification est qu’il était fatigué. « Je savais que le régiment devait faire une attaque, mais je ne savais pas que c’était pour le lendemain. J’ai rejoint aux cuisines le onze décembre à midi, après avoir passé la nuit au poste de secours du 29è près de Marbotte. En cherchant ma Cie dans la matinée j’ai appris qu’elle était aux tranchées ; n’ayant trouvé personne pour m’y conduire, je suis resté aux cuisines. » Fernet est de retour à son escouade le 12 à 8h. « Je ne pensais pas que je commettais une faute. »
Fernet est fusillé le 22 décembre 1914 à Saint Mihiel Bois-Brûlé (Meuse) devant les troupes de réserve du Bois Brûlé à 12 heures.


Louis Eugène Abbadie, le 15 mars 1884 à Paris 11è, deuxième enfant d'une fratrie de six. Orphelin de père en 1900, de mère avant 1914,  Louis Eugène réside à Montargis, dans le Loiret, où il est courtier en chevaux.
Le 15 novembre 1914, Louis Eugène Abbadie est arrêté. Il est dans l'incapacité de présenter son livret militaire déclarant qu'il l'a perdu il y a cinq ou six mois… Le régiment ne peut pas non plus présenter un relevé de punitions, pour les mêmes raisons…
Interrogatoire de gendarmerie :
« Nous avons interrogé sur les faits qui lui sont reprochées, le soldat Abbadie (Louis), âgé de 31 ans, courtier en chevaux chez M. Caillat à Montargis (Loiret) […] avouant une condamnation pour outrages à agents. […] »
Zéphos (René) soldat au 246ème Régiment d'Infanterie, 24è Cie, nous a déclaré : « Le 11 novembre dernier, dans la matinée, nous sommes entrés à l'infirmerie de mon régiment à Crouy, j'ai bu plusieurs consommations avec mon camarade Abbadie qui lui aussi s'est présenté à l'infirmerie, Après la visite, c'est-à-dire vers 8h30, je n'ai pas revu Abbadie, donc il ment en disant que j'étais avec lui toute la journée" […] Fait et clos à Soissons…"
Le Commandant de sa compagnie, la 24è, ajoute : "La conduite habituelle de ce soldat laisse plus qu'à désirer : il a profité de toutes les occasions pour s'enivrer et dans cet état, commis fautes sur fautes ».

Avis du Capitaine Sallet, commandant provisoirement le 6ème Bataillon :
« Le soldat Abbadie est un très mauvais troupier. Indépendant, d'allure indisciplinée, il se refuse à supporter toute contrainte et n'obéit que lorsque l'obéissance devient pour lui nécessaire. C'est de propos délibéré qu'il a quitté sa Cie, se rendant de Soissons à Crouy pour occuper les tranchées. C'est également de propos délibéré qu'il a erré du 9 au 14 sans songer à rejoindre son unité. […] En attendant, le soldat Abbadie reste coupable d'abandon de poste devant l'ennemi et je demande en conséquence à ce qu'il soit traduit devant un Conseil de Guerre ».
Avis du Chef de Bataillon Bonnet, commandant le 246ème Régiment d'Infanterie :
« Le soldat Abbadie est un très mauvais sujet qui ne mérite aucune pitié. Je demande : 1° que cet homme soit traduit devant un Conseil de Guerre et 2° qu'il soit soumis à un examen minutieux permettant de savoir si oui ou non c'est un mutilé volontaire, les 2 rapports médicaux ci-joints ne concluant pas d'une façon ferme ».
Déclaration d'Abbadie au sergent Ribes, commis-greffier :
« C'est à Bucy-le-Long, une heure environ avant l'incident qui m'est survenu que j'avais rencontré ce camarade. C'est un militaire du 152è de Ligne dont j'ignore le nom: je ne puis fournir à son sujet aucune autre indication. C'est ce militaire qui m'avait envoyé à le suivre dans les tranchées occupées par son régiment. Dès que j'ai été blessé, je me suis rendu à l'infirmerie de Crouy et mon camarade est parti dans sa direction. Je ne puis vous en dire davantage ».
Une enquête menée auprès du 352è R.I. (alors que l'inculpé parlait du 152è) ne donne évidemment rien.
Les constatations médicales sont contradictoires, si ce n'est qu'elle visent toutes plus ou moins directement le même but. Le Médecin du 246è témoigne : « […] Cet homme dit avoir été blessé d'un coup de fusil dans la région de Bucy-le-Long où il se trouvait isolé du régiment […] Elle paraît au contraire être le résultat d'un coup de feu tiré à 20 ou 25 centimètres de distance... on peut être amené à déduire que le blessé en est l'auteur « .
Le 16 novembre 1914,  le Médecin Major de 2è classe Chambelland atteste :  « On peut dire que cette plaie présente plutôt les apparences d'une plaie par petit éclat d'obus. Or, le soldat Abadie prétend n'avoir pas entendu éclater de projectiles près de lui, il n'a pas non plus entendu siffler de balles dans le voisinage. […] On ne peut donc pas conclure d'une façon ferme sur l'étiologie du traumatisme du soldat Abadie, mais on peut dire que sa plaie présenté certains des caractères des plaies produites par un coup de fusil tiré à bout portant ».
En plus de l'abandon de poste à l'ennemi, de la mutilation volontaire, on accuse également le soldat Abbadie, fait gravissime ! d'avoir volé du sucre...
Pour l'accusation de vol, le Chef d'Escadron de gendarmerie Astruc, major de la garnison de Soissons, dans l'Aisne, reconnaît formellement Louis Eugène Abbadie comme étant celui qui a dérobé le sucre aux magasins généraux le 11 novembre 1914. L'autre témoin est Louis Aurissier, soldat au 289è Régiment d'Infanterie. C'est lui qui a arrêté le "voleur" qui transportait 15 à 20 kilos de sucre dans un sac de toile… Louis Eugène est présent lors de la comparution des deux témoins mais il n'est pas interrogé : seuls les témoins parlent ! (personne n'a l'air de se préoccuper de savoir ce qu'il comptait faire de son butin, ni comment il est arrivé dans la place.)
Le 30 novembre 1914, le jugement tombe : reconnu coupable d'abandon de poste devant l'ennemi et confondu de vol, c'est la peine de mort ! L'exécution est prévue pour le 24 décembre 1914.
Le Général Président du Conseil de Guerre de la 55ème Division d'Infanterie de Réserve intercède en faveur du soldat Abbadie. Il pense utile et important que la peine soit commuée.
« Deux raisons m'ont décidé à faire appel à votre clémence. La première ressort de la comparaison entre les articles 213 § 1 et 239 du Code de Justice Militaire. Une disproportion me semble exister entre les châtiments prononcés contre le "déserteur en présence de l'ennemi" et le militaire coupable "d'abandon de poste en présence de l'ennemi". Il résulte des pièces du procès que le soldat Abbadie, ayant été autorisé par le Chef de section à rester en arrière de la colonne n'a fait qu'abuser gravement de la permission momentanée qui lui avait été donnée. J'ai estimé, en outre que la majorité très restreinte obtenue au Conseil pour la peine de mort, majorité qui, en temps de paix, aurait pu constituer une minorité de faveur, justifiant un recours en grâce. »
Le Général Berthelot transmet la demande à la hiérarchie avec avis :
« Je déplore que le Conseil de Guerre ait cru devoir adresser un recours en grâce en faveur d'un lâche doublé d'un voleur. Il semble prendre à cet égard une mauvaise habitude puisque c'est la deuxième fois en moins d'un mois qu'on propose une mesure d'indulgence dans une situation où la discipline doit être maintenue avec la rigueur la plus absolue ».
La réponse à ce recours n'est pas connue lorsque le 24 décembre 1914, Louis Eugène Abbadie est fusillé à 7h35 du matin, à Vauxbuin, dans l'Aisne.
JMO de la 55 è D.I. :
« Le 24 décembre, le soldat Abbadie du 246è Régiment d'Infanterie, condamné à la peine de mort, est fusillé à Vauxbuin à 7h30. La Gendarmerie a assuré le maintien de l'ordre. Le soldat Abbadie n'a pas voulu qu'on lui bande les yeux, il a refusé de se mettre à genoux et est mort très courageusement ».
La transcription de son acte de décès en mairie de Montargis porte la note marginale  « Mort pour la France, le 14 août 1915 »


Frédéric Julien Dédébat, né le 28 août 1881 à Saint-Lys (Haute-Garonne), où il est cultivateur, marié, père d'une fillette né en 1910. Soldat au 143è R.I.
Aucune photo, aucun document, aucune lettre, aucun objet personnel, aucun souvenir dans la famille, comme si Frédéric Julien Dédébat n’avait jamais existé. Gabrielle, la dernière de ses deux petites filles, nous confiait quelques mois avant de décéder "qu’il se disait, qu’il aurait été tué par les Français".
Patrick Lasseube, maire de Saint-Lys a consacré un ouvrage et des années de son temps à la réhabilitation du soldat Dédébat :
« Son parcours est très atypique avec un engagement de 4 ans en 1901 où il servira dans le 61è régiment d’Infanterie, mais où il sera excessivement sanctionné pour des peccadilles ou des refus d’obéissance, tout cela lui coûtant 82 jours de prison, 49 jours de salle de police et 8 jours de consigne au quartier.
Il est accusé d'avoir abandonné son poste en présence de l'ennemi mais aussi d'un vol de carte électorale et enfin d'avoir abandonné son fusil, son épée baïonnette et une partie de ses effets militaires. Dans leur jugement sur les trois accusations portées à l'encontre de Dédébat, les cinq juges le reconnaissent non coupable à l'unanimité d'avoir volé une carte d'électeur retrouvé sur lui le jour de son arrestation. Ils le reconnaissent non coupable concernant la dissipation et l'abandon d'une partie de ses effets militaires. Par contre ils le reconnaissent coupable à l'unanimité pour abandon de poste en présence de l'ennemi. L'instruction est faite uniquement à charge, La procédure est des plus expéditives, le conseil de guerre est convoqué le 22 décembre à 13 h 30, la condamnation à la peine capitale est prononcée le 23 et elle est mise à exécution le 24 décembre à 7 h 30, veille de Noël. Son exécution a fait l'objet d'une mise en scène des plus macabres. L'exécution se fait en présence de détachements de plusieurs régiments qui sont contraints d'assister et de défiler devant la dépouille mortelle de Frédéric Julien Dédébat. Aucun détail descriptif ne manque y compris la mention : «Le coup de grâce n'a pas été nécessaire». Il y a même un relevé d'autopsie indiquant les lésions provoquées par les douze balles du peloton d'exécution. »
Traduit le 22 décembre 1914 devant le conseil de guerre de la 32e D.I., accusé d' « abandon de poste en présence de l'ennemi, dissipation d'armes et d'effets militaires, vol au préjudice d'un particulier ». Sa fiche SDG le dit « Mort pour la France », sa fiche de décès le dit « Passé par les armes pour abandon de poste ».
Fusillé le 24 décembre 1914 à Reninghelst en Belgique.
 
Le 18 décembre 1914 est fusillé Abel Garçault, né le 30 janvier 1894 à Villedieu-sur-Indre (Indre), où il était porcelainier, soldat du 1er régiment de marche de zouaves, se rend à son initiative au poste de secours, alors qu'il est en ligne, pour faire soigner une blessure à la main. Le major du poste (Dr Lannou) indique dans une note succincte qu'il a noté des traces de poudre autour de la plaie. Garçault est aussitôt déféré devant le conseil de guerre de son régiment, qui le condamne le 26 décembre pour « abandon de poste en présence de l'ennemi par mutilation volontaire ». Il est fusillé le 27 décembre à Poperingue (Belgique, Flandre occidentale). L'abbé Laffitte qui l'a confessé et assisté jusqu'à son exécution, est persuadé que ce jeune de 20 ans est innocent. Il entreprend une campagne de réhabilitation. Une expertise médicale du Dr Paul précise que les éléments constatés par le major ne peuvent permettre de conclure à une automutilation. Le 18 décembre 1918, un document du régiment atteste que le zouave a été tué au feu et est mort pour la France. Abel Garçault est définitivement réhabilité par un arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 1925. Le même procédure innocente son co-accusé condamné dans les mêmes conditions et fusillé conjointement
Louis Harion Alexandre Chochoi, né le 23 octobre 1884 à Desvres (Pas de Calais), soldat au 1er R.M.Z. « Attendu que le 18 décembre 1914, Chochoi quittait, la main gauche ensanglantée, la partie de tranchée dans laquelle il se trouvait seul à Verbranden-Molen ; attendu qu’il n’a été procédé à aucune information préalable, qu’aucun procès-verbal d’interrogatoire de l’accusé n’a été dressé, qu’aucun témoin n’a été entendu à l’audience ; qu’il n’a été produit aux juges une note du médecin major Lannou, que cette note a disparu... » la Cour de Cassation acquitte Chochoi. Le docteur Lannou, interrogé en 1925, dégage sa responsabilité en remarquant que sa note ne faisait état que d’un coup de fusil tiré de près, et qu’une enquête au corps aurait dû déterminer les circonstances de l’accident. Le commandant du 1er Zouave, quant à lui se souvient à peine de Garçault et pas du tout de Chochoi ; il remarque qu’il n’avait de nouvelles de ses hommes que lorsqu’ils revenaient à l’arrière et qu’il a appris la condamnation de Garçault avant d’avoir été averti des faits. Le commissaire-rapporteur Pommier dont la mémoire est également défaillante (mais qui affirme pourtant que le défenseur a pu consulter le dossier trois minutes avant l’audience) insinue qu’ »il était très facile de se faire blesser par une balle allemande, le tir étaitininterrompu nuit et jour, les tranchées étaient très rapportées et il n’y avait qu’à lever la main ». Malgré l’annulation du jugement, il ne semble pas que des dommages-intérêts aient été versés aux ayant-droits, ni qu’aucun tribunal n’ait prononcé la condamnation de l’État. Réhabilitation à peu de frais donc, puisque « tué à l’ennemi » Chochoi est « Mort pour la France ».


Abel René Viau, né à Bléré le 12 janvier 1888, marié, cuisinier-charcutier à Bagnolet, engagé volontaire au 1er régiment des zouaves à Alger puis successivement soldat au 266è et au 66e R.I. Signe particulier : croix de la Légion d’Honneur tatouée sur la poitrine.
Le 25 novembre à la tombée de la nuit, la 3è Cie du 66è est appelée à se porter de la 2è à la première ligne Les soldats Viaux et Ernest Gay disparaissent dans le brouillard. A leurs dires, ils souffraient de rhumatismes qui les empêchaient de faire leur service. Ils ne rejoignent leur Cie que le lendemain au village de St Jean alors que leur régiment relevé se dirige vers son cantonnement de repos à Vlamerthinghe. Viau est soupçonné d’avoir entraîné son camarade qui se sépare de lui au matin du 26.
L’intention de nuire du rapporteur paraît avérée : relève-t-elle du fait que le 4 octobre Viau s’était présenté aux Etapes avec une blessure par arme à feu à l’index gauche ? Ou qu’il provenait de divers régiments de l’arrière épargnés par le feu ? « Viau ne s’est présenté à la visite que le lendemain de son arrivée au cantonnement de Vlammerthingue. Il est vrai qu’il n’a pas été passé de visite au 1er bataillon le 26 novembre, mais il eut été facile à cet homme, s’il avait été vraiment malade, de se rendre auprès des médecins du 2è Bataillon. Il a préféré ce jour-là se livrer à la boisson, et c’est dans ces conditions qu’il a été rencontré à 13 heures apr le sergent Gallard dans un état d’ivresse manifeste. » .
CG de la 18è DI (audience du 26 décembre 1914) : il y avait trois témoins à charge et trois témoins à décharge, mais ces derniers n'ont jamais pu arriver au procès.
Viau est fusillé le 27 décembre 1914 à 8 heures au cimetière d'Ypres, en Belgique (cimetière de Frezenberg disparu, ravagé par les offensives allemandes ultérieures)
 
le cimetière à l'issue du conflit
 plaque dévoilée le 11 novembre 2016
 
Ernest Camus, né le 29 mars 1880 à Buironfosse (Aisne), sabotier à Chauny, célibataire, père de deux enfants reconnus, sergent-fourrier au 151e R.I. Signalement approximatif : 1,70m, figure rouge, large, yeux clairs vifs. Parler campagnard, roule assez les r. Forte corpulence. Cheveux chatains légèrement roux. Gendarme à pied, il est réformé par mesure disciplinaire en 1906 après une affaire « d’indélicatesse frisant l’escroquerie » (promesse de mariage et emprunt d’argent), relevé de ses fonctions de sergent-major pour ivresse.
Le 21 décembre 1914, l’officier payeur vint déposer le prêt de campagne à la 8è Cie du 151è. Il ne put être servi qu’aux sous-officiers, la troupe quittant le cantonnement d’Ypres pour se rendre aux tranchées. Le 23 décembre au matin, le sergent Camus, faisant fonction de sergent-major se prétendait malade et emmenait avec lui les hommes à la visite. Lui-même ne s’y présenta pas et fut aperçu par le sergent Demolliens au « Café de la Tour » rue au Beurre « sur le pas de la porte, en tricot et en sabots ». Plusieurs sous-officiers s’y rendirent le lendemain matin pensant l’y trouver, mais il ne trouvèrent qu’un certain nombre de documents abandonnées par Camus (des livrets de soldats décédés et des demandes de renseignement émanant des familles) et apprirent qu’il était parti en laissant une ardoise d’1,80 franc au café, après s’être fait raser, s’être offert un complet bleu marine (100 francs) et une paire de lunettes. Il aurait déserté (en présence de l’ennemi) en détournant la somme de 475, 79 francs du prêt non distribué.
Camus est arrêté le 28 décembre par la gendarmerie « en tenue civile et en état d’ivresse dans un estaminet de la rue St Nicolas à Yppres » et remis au poste du 2è Bataillon, afin d’être immédiatement jugé par un CG spécial réuni pour l’occasion.
Ordre de parade (manuscrit, crayon noir sur pages de carnet) « Un peloton de la 4è Cie (50 hommes) viendra prendre livraison du condamné et le conduira de manière à le placer le dos à un tas de bois voisin de deux meules. Le sergent qui commandera ce peloton aura soin de couper avant tous les boutons de la capote du condamné, et de lui enlever ses galons s’il en avait encore. »
Camus est fusillé le 31 décembre 1914 à Poperinge (Belgique) à 5 heures du matin.« Tué à l’ennemi », Mort pour la France.

Camus est peut-être l’homme assis en bas à droite


Les 7 allemands de Chalons et quelques autres

(citation partielle du blog prisme1418)
Un certain nombre de soldats allemands sont passés en Conseil de Guerre une fois fait prisonniers, la majorité en 1914. Parmi eux, cette année-là, 17 ont été fusillés, 2 condamnés directement aux travaux forcés à perpétuité, un à 10 ans de réclusion.
Sur ces 17, cinq ont fait l’objet d’une demande de grâce. Elles ont toutes été rejetées. Ces demandes n’ont eu lieu qu’en octobre et novembre. En septembre, les 9 condamnés n’en ont pas bénéficié et ont été exécutés dans la foulée de leur jugement.
La 9ème Armée Foch a ainsi condamné à mort 7 d’entre eux :
Karl (Charles) Hermann Ehrlich, né le 8 février 1891 à Wendisch Lippa, 182è R.I. allemand, marié sans enfant

Friedrich Paul Muss, né le 26 mai 1891 à Lissa (Prusse), célibataire, 181è R.I. allemand

Max König, né le 23 février 1893 à Warhau, mineur, célibataire, 181è

Arthur Nix, né le 12 mars 1891 à Dresde, instituteur, marié, 1 enfant, réserviste 182è

Ernst Pommer, 23 ans, né à Scharhau (Saxe), marié, 1 enfant,179è R.I.

Friedrich Wilhelm Maynert, né le 3 février 1893 à Schwaneeberg, musicien, célibataire, 182è

Kurt Eilfried Taubert, né le 8 septembre 1892 à Chermitz, serrurier, célbataire, 179è

Lors de la retraite allemande consécutive à la bataille de la Marne, ils avaient discrètement quitté les rangs le 11 septembre, donc déserté et s’étaient réfugiés dans une maison vide à Chalons sur Marne, 5, rue St Joseph, dans laquelle ils avaient bien vécu jusqu’à ce qu’on les repère le 15 septembre et qu’on les arrête au moment où ils allaient passer à table dans la salle à manger du 1er étage. Traduits en Conseil de Guerre pour pillage en bande, ces déserteurs étaient jugés par le Conseil de Guerre Spécial de la 9ème Armée dans la matinée du 19 septembre et exécutés le même jour à 15 heures à Chalons.

« Attendu… qu’il est établi aux débats par les pièces du dossier et les aveux des accusés qu’ils se sont livrés au pillage de la maison inhabitée à Chalon rue St Joseph… que ces accusés ont reconnu avoir agi en bande et être porteurs d’armes chargées… qu’ils ont abandonné leur troupe sans raison valable ; qu’ils ont déclaré avoir dérobé certains objets dans d’autres localités, et qu’enfin ils ont déclaré « qu’ils n’avaient fait qu’imiter leurs camarades de l’armée allemande qui voulaient rapporter des souvenirs de France ». Par ces motifs le conseil [les] condamne à l’unanimité à la peine de mort. »

En fait de pillages, les inventaires sont assez minces, de mémoire, un mouchoir à carreau, une bobine de fil blanc, un bouton de capote, une petite glace, un album de vues de Versailles, idem pour Reims, des cartes postales françaises, des boutons de manchette en métal, une pipe en bruyère, deux gommes, trois épingles de cravate, une cuillère à café, un fichu et des gants de femme...

 

 
Le capitaine commandant le détachement du 66è R.I. : « J’ai l’honneur de vous rendre compte que les prisonniers qui m’ont été confiés ont été passé par les armes à 15 heures et inhumées dans un bois situé entre Les Grandes Loges et Livry. »


Le 21 septembre, deux jours après c’était au tour du soldat Heinrich Werner de tomber sous les balles pour le même motif après jugement par le Conseil de Guerre de la 22è DI.
Le 9è, Otto Führmann, a été condamné, lui, pour espionnage par le Conseil de Guerre de la 41è DI le 29 septembre avec exécution le lendemain à Saint-Dié.
On ne sait pourquoi, à partir d’octobre 1914, la grâce a été demandée pour une petite majorité des prisonniers allemands (5 sur 8). Le Conseil de guerre du 21ème CA l’a fait, après avoir jugé Heinrich Alken et Wilhelm Putz, le 26 septembre pour pillage. La réponse présidentielle négative est du 19 octobre avec pour conséquence l’exécution le 20. Est-ce pour cela que le mois suivant le même 21ème CA condamnait et exécutait deux nouveaux « pilleurs » Auler et Aust le 27 octobre ? La Direction des Etapes et Services de la 1ère Armée a décidé, elle aussi, après condamnation à mort de Heinrich Stapf le 28 octobre d’en rester là et l’a fait exécuter le 30 du même mois.
D’être jugé à l’arrière ne garantissait pas une plus grande clémence. Le 5 octobre 1914, devant le 2ème Conseil de Guerre du Gouvernement Militaire de Paris Charles Bruggmann et Peter Schrick étaient condamnés à mort toujours pour pillage en bande. La réponse à la demande de grâce n’arriva pour les deux condamnés à mort que le 29 octobre avec exécution à Vincennes le 31.


Le brancardier Franz Ott n’aurait pas dû tenir un carnet de marche précis entre le 22 août et le 7 septembre 1914 et surtout le conserver par devers lui. Il y avait raconté par le menu son itinéraire et les événements survenus dans son entourage. Il y parlait de francs-tireurs abattus, de pillages. Le Conseil de Guerre de Verdun le condamnera à mort le 10 octobre 1914, un mois après la découverte de son carnet lors de sa capture le 8 septembre, près de Jubécourt. Sa grâce fut demandée. On ne peut expliquer pourquoi la réponse a tardé jusqu’au 23 novembre pour un dossier bien constitué. En tout cas, négative, elle amenait son exécution le 27 du même mois.
Ainsi, contrairement aux demandes de grâce envers des soldats, la Présidence de la République a systématiquement entériné les décisions militaires concernant des soldats allemands.


Quelques civils


Le 14 septembre Pierre Tinten, civil de 52 ans, domestique, puis blanchisseur à Champigny  originaire du Luxembourg est exécuté.
Selon le certificat du capitaine commandant la Prévôté de la 5è division d’infanterie, Pierre Tinten a été passé par les armes à 15 heures et 20 minutes à Saint-Thierry (51).Les Archives départementales conservent ce jugement déclaratif du décès par l’Armée française. Néanmoins il ne figure aucune mention des motifs de son exécution. D’autre part le Ministère de la Défense, contacté, répond que dans le contexte de l’époque, il est envisageable mais impossible à démontrer que M. Tinten ait été fusillé sans jugement. Avait-il un fort accent qui l’aurait fait confondre avec un ennemi déserteur en civil ?


Léo Mac Ghastley, né le 2 septembre 1870 à Sacramento, citoyen américain, électricien

 

et sa femme Marie Biehl, née le 15 août 1874 à Trêves (Allemagne) ont été fusillés le 15 septembre 1914 à 10h30 à Romigny (Marne) dans la journée de leur jugement. Mac Ghastley était arrivé de Paris vers la mi-août pour équiper en matériel électrique la sucrerie de Château-Thierry. A l’arrivée des Allemands, le 2 septembre, le patron de la sucrerie leur demande d’assurer le gardiennage de sa maison. Mac Ghastley et sa femme y reçoivent des officiers allemands, qu’ils logent et servent, échangeant avec eux dans leur langue. La femme de Mac Ghastley se fait remarquer par les relations amicales qu’elle entretient avec les militaires allemands qui la saluent dans la rue, s’arrêtent pour lui parler. Elle dit à quelques personnes de son entourage qu’elle peut par son intervention les protéger des pillages. Elle appose des notes en allemand sur les maisons devant être épargnées, comme sur celle de M. David où le couple vient résider au départ des Allemands. Mme Mac Ghastley se montre alors très empressée auprès des officiers français qui rentrent en ville, et particulièrement serviable pour les gendarmes. Aucun rapport ou ordre de mise en accusation ne demeurant au dossier, il est compliqué de déterminer si les Mac Ghastley ont été confondus pour des agissements relevant de l’espionnage ou par la condamnation de la rumeur publique se méfiant de ces étrangers habiles à se faire des relations de tous bords. L’accusation supplémentaire de vol pour l’emprunt d’une paire de jumelles (sans molette de réglage) ramassée par Mac Ghastley dans le jardin de la sucrerie incline à penser que les poursuites ont peut-être été un peu hâtives.

Stanislas Dobrowolsky, fusillé le 19 septembre 1914 à Driencourt (Somme) était né le 7 février 1890 à Jaswon en Autriche. Autrichien-polonais, domestique agricole depuis 1913 à Nanteuil le Haudouin (Barlin) où il était venu exercer le métier de bouilleur, il est condamné par le CG de la 1ère division de cavalerie (gendarmerie à cheval) pour intelligences avec l’ennemi, et menaces de mort sous condition de vols au préjudice d’habitants. Travaillant depuis un an environ à la ferme de Bel-ai chez M. Watteller, Dobrowolsky a montré sa sympathie envers les allemands lors de le passage par le village de Nanteuil le 2 septembre en les guidant de 8 à 20 heures chez les habitants pour qu’ils obtiennent à boire et à fumer, sous la menace de les faire « Capout » (sic) s’ils désobéissaient. Le 3 septembre il s’est introduit dans la maison Watteler et a caché dans le tas de fumier six boites de cartouches de cavalerie française et anglaise/ la perquisition de sa chambre après son arrestation le 7, a révélé une chemise fine, 2 pantalons de treillis allemand, un couteau anglais et deux bicyclettes dont une de femme.

Désiré Dossancourt, civil, né dans l’Aisne à Étréaupont le 8 mars 1873. Plombier gazier domicilié 10 rue du parc à Creil. Arrêté le 20 septembre, Désiré Dossancourt a été jugé pour espionnage. En l’occurrence, cette appellation générique désigne le fait d’avoir facilité le pillage pendant l’occupation allemande de Creil en renseignant l’ennemi sur l’emplacement des magasins et des dépots et en profitant lui-même de l’occasion pour cambrioler divers particuliers. Provisions, liqueurs, épicerie, chaussures, etc. ont été retrouvés à son domicile. Des témoins détenus avec lui témoignent de sa familiarité avec ses gardiens, l’avoir vu revenir chaque soir avec force provisions pillées, à peu près constamment en état d’ivresse. Il est fusillé le 28 septembre 1914 à 8h00 place Carnot à Creil.

Arthur Renard, né le 31 janvier 1877 à Trigny (Marne), marié, deux enfants, vigneron, inculpé avec sa femme (acquittée) d’espionnage. Lors d’une perquisition, Renard a été trouvé possesseur d’un cheval noir d’une charrette et d’un harnachement qui lui avaient été donnés pas un officier allemand lors de l’occupation du village. On été trouvés aussi chez lui trois fusils Lebel (l’un cassé) et quantité de munitions allemandes. Marion Clément, qui l’accompagnait à la pêche le jour de l’arrivée des Allemands dit l’avoir vu s’approcher d’une voiture d’officiers et discuter avec eux en pointant une carte d’état-major. Les autorités françaises pensent qu’il aurait fourni des renseignements sur les moyens de traverser sans danger les marais avoisinants. La rumeur publique approuve l’arrestation des Renard, Mme Renard, née Rustenholtz étant d’origine allemande.
Condamné par le CG du QG de la Vè armée, Arthur Renard fusillé à Romigny (Marne) le jour du jugement, 29 septembre 1914, 13h30

Jean Jaegle, a été acquitté, car confondu avec un homonyme du village voisin. L'autre Jean Jaegle a pourtant été fusillé le 30 septembre.

Joseph Watier, né le 20 septembre 1874 à Soissons, jardinier à Prunay, est fusillé à Verzy le 6 octobre à 17h30
Eugène Jules André Cornet, alias Leleu-Lunette, né le 4 novembre 1884 à Verzenay (51), condamnés pat le CG de la 1ère DIMM, sont fusillés le 6 octobre 1914 à 17h30 entre Verzy et Verzenay (à 900m de la dernière maison de Verzenay), en compagnie d'Henri Firmin Chenu (né le 15 avril 1890 à Beine)
Watier : « Je reconnais avoir fait passer des fusées à Cornet qui faisait des signaux aux allemands par la lucarne de la maison Baudard. J’avais couché pendant 4 ou5 nuits chez Baudard, avec Cornet, et je mangeais avec lui. Il m’avait raconté qu’il faisait partir des fusées pour faire des signaux aux Allemands et je l’ai vu opérer deux ou trois fois. » Chenu (qui a séjourné dans la même maison Baudard est allé collecter des informations sur les troupes d’artillerie à Beaumont et a décrit les signaux lumineux qu’on lui a dit d’observer à Jean le Luxembourgeois, que l’instruction n’a pu identifier, et que le rapporteur suppose être le chef de réseau, replié hors d’atteinte dans les lignes allemandes.


Une femme d’origine allemande Catherine Weber reconnue coupable comme son frère Alphonse Weber (né le 8 mars 1870 à Altripp, Allemagne) d’avoir hébergé 2 cavaliers allemands plusieurs jours lors de la retraite allemande consécutive à la bataille de la Marne a été graciée  (20 ans de travaux forcés) mais Alphonse a été fusillé le lendemain de son jugement, le 14 octobre 1914 à Châlons en Champagne.


Le citoyen luxembourgeois Paul Binsfeld, né le 18 novembre 1870 à Pollingen, célibataire, manœuvre à Mourmelon le Grand, est fusillé le lendemain de son jugement, 5 novembre 1914 à Châlons en Champagne, 6h54 précises. L’unique question posée aux juges, et résolue à l’unanimité, ne permet pas de comprendre sous quelles formes se sont manifestées les intelligences reprochées à Binsfeld en septembre 1914.


Ben Ali Sahrahoui Moulay Lhassen, né en 1881 à Freklat (Maroc), cultivateur à Meknès
Bien que la procédure concerne également un Spahi du 9è escadron, jugé par contumace, force est de considérer Moulay Lhassen comme un civil. Il est jugé avec son complice Miloudi ould Bouzini (qui sera condamné à 20 ans de Travaux Forcés) pour Vols militaire qualifiés et assassinat d’une sentinelle.
Dans la nuit du 17 au 18 juin 1914 à Meknès, le spahi Akka ; déserteur vola 7 carabines. Ce vols faisait partie d’une série de vols de chevaus, mulets et armes commis à Meknès dans la premier semestre 1914, sans que les auteurs aient pu être identifiés. Cette fois, sur dénonciation, Moulay Lhassen est appréhendé après une première fuite : il avoue alors avoir recelé les 7 carabines remises par Akka alors qu’il était en faction. Il avoue en supplément faire partie d’une association de malfaiteurs, responsables du vol dans la nuit du 21 au 22 d’un pantalon, d’une cartouchière et d’un cheval. Ayant été surpris par la sentinelle convoyeur Saleb-ben-Belker, Moulay Lhassen (qui en rend responsable Miloudi, désigné par lui comme le chef de bande) le tue à coups de poignards sous les yeux du 2è convoyeur Khelifa.
Condamné par le 2è CG des troupes d’occupation du Maroc (1er octobre), Moulay Lhassen est fusillé devant les troupes de la garnison de Fez rassemblées sous les armes le 11 novembre 1914.


Le 16 novembre 1914 un berger de Puisieulx, Alfred Durot, est condamné par le Conseil de guerre à la peine de mort pour trahison et exécuté pour espionnage: à l'aide de 5 chèvres blanches reçues des Allemands, il indiquait le déplacement de l'artillerie française en leur faisant prendre des positions conventionnelles dans le troupeau.

Louis Ernest Hirson, dit Nénès, né le 15 septembre 1878 à Vailly-Sur-Aisne, fusillé le 23 novembre 1914 dans le parc du Château à Villers-Cotterets, 7h. Exemple des ravages de la "mauvaise réputation" et de la délation :
Célibataire, de métier forain et journalier, il est décrit comme  marginal vivant au jour le jour et ne travaillant qu’occasionnellement.  Il vit dans une roulotte mais lorsque celle-ci est détruite par les bombardements, il trouve refuge chez des femmes seules du village qui l’hébergent dans leur cave.
En octobre 1914, aidé par un ouvrier, Hirson s’est introduit dans l’usine Wolber sise sur la commune de Vailly et y a dérobé deux enveloppes et deux chambres à air pour équiper son vélo au cas où il serait obligé d’évacuer précipitamment le village. Entre temps, l’usine a été incendiée lors des bombardements. De plus, lors de son arrestation, Hirson dit posséder la somme de 150 Frs. Mais, en réalité,  il détient 200 Frs et semble l’ignorer… Il déclare que cet argent représente ses économies depuis trois ans et qu’étant célibataire, ses dépenses sont très succinctes.
Mais dans la foulée Hirson est accusé d'espionnage, par Louis Harlé, qui étant hospitalisé, sera représenté lors de son procès par Régnié, gendarme de la Prévôté du quartier général de la VIe Armée. Louis Harlé est fait prisonnier par les allemands entre le 3 et le 16 octobre 1914 avant de s’évader. Il a aperçu Hirson, dans la nuit du 5 octobre, dans une tranchée allemande discutant avec un officier, lui communiquant des renseignements sur les troupes anglaises et leur Etat Major dont le Q.G se trouve dans la maison de Mr. Cadot, située à 150m derrière l’église de Vailly.
Un rapport précise que la zone anglaise a été bombardée mais qu’il est impossible de dire si cela s’est produit lorsque l’Etat Major se trouvait dans la dite maison. Par ailleurs, Vailly étant sous occupation allemande, il n’a pas été possible de découvrir si des personnes avaient vu Hirson pénétrer dans les lignes allemandes. En outre, la gendarmerie connaît très bien le jeune Harlé, domestique chez un certain Sieur Vilain, actuellement sous la domination allemande.

Le belge Arthur Maesen, né le 13 août 1873 à Poperinghe, employé de commerce à Amiens, marié, 3 enfants. Il lui est reproché d’avoir, lors de l’occupation d’Amiens, indiqué aux Allemands la route de Ferrières, de savoir parler allemand, et d’avoir été choisi par eux pour les diriger sans qu’il ait été en but à des menaces armées puisqu’il a même offert trois verres de genièvre à des cavaliers uhlans qui lui demandaient leur route et leur a souhaité en les quittant « bonne route et bonne chance ». Jugé le 26 octobre Maesen a été fusillé le 24 novembre à la carrière de Dury (Somme).

Gottlieb Kühn, né le 22 juin 1866 à Porembeu (Silésie prussienne), sujet allemand demeurant à Henning (Lorraine annexée), contre-maître dans une usine de ciment, marié, 3 enfants.
Gustave Reebs, né le 23 décembre 1868 à Schloss-Grunehagen (Allemagne), ouvrier cimentier, marié, 3 enfants
Kühn, Reebs, et son fils ont été arrêté le 18 août 1914, alors qu’ils regardaient défiler les troupes françaises arrivées la veille à Henning. Kühn a été trouvé porteur d’un papier émanant du 21è corps d’armée allemand, daté du 25 mars 1914, l’accréditant comme chef du sous-groupe des hommes de confiance de Henning. Reebs portait sur lui une double feuille stipulant la façon de transmettre des informations codées aux services allemands et quel type d’information transmettre. Ces documents leur auraient été remis par un gendarme (allemand) venu le trouver plusieurs fois avant le 2 août pour leur demander de se mettre à sa disposition en cas de mobilisation. Une petite ardoise portant le mot « obligo » se trouvait également sur Kühn, ce mot représentant le code destiné à la transmission des messages télégraphiques ou téléphoniques destinés aux services de la sûreté allemande.
Bien qu’il n’aient pas eu matériellement le temps de transmettre des informations d’importance et qu’ils nient, l’intention supposée suffit à les faire condamner à l’unanimité par le CG de la 16è DI.
Kühn et Reebs sont fusillé le 9 décembre 1914 à 6 heures, à la caserne Oudinot de Commercy (Meuse)


Louis Pharaon Pierrat, né le 7 octobre 1879 à Oulches (Aisne), manœuvrier à Vallée Foulon, 2 enfants, est arrêté le 20 novembre par le 49è R.I. Il aurait avoué avoir fait, de leur jardin, des signaux conventionnels aux allemands dans le but de leur permettre de régler leurs tirs. Sa femme, pour avoir entretenu des contacts avec Walter Mumm, fabricant de champagne à Reims (alors officier dans l’armée allemande) et l’un de ses émissaires est arrêtés le 1er décembre. Mme Alice Sirot épouse Pierrat a avoué au cours de l’enquête avoir surpris les conversations téléphoniques des troupes françaises concernant les emplacements et les objectifs de l’artillerie, les mouvements de troupes, et les avoir communiqués à son mari pour que celui-ci les transmette aux Allemands, services pour lesquelles il aurait reçu de l’ennemi diverses sommes d’argent (512, 25 francs seront retrouvés dans le tiroir de leur buffet)
CG de la 36è DI, Pierrat est fusillé le 12 décembre 1914 à Glennes (Aisne) à 9 heures. Sa femme est curieusement acquittée.


Octave Nocton, né le 8 juillet 1866 à Pouillon (Marne) sans domicile fixe, domestique de culture, est inculpé de trahison, violation de sépulture et tentative de vol.
Le 4 septembre dans la matinée, une Cie du 332è R.I., bien dissimulée dans la ferme Lemasle à Cormicy fut attaqué par un détachement allemand d’une quinzaine d’automobiles et fut obligée de se replier après avoir subi des pertes de 7 morts et 14 blessés. Un témoin reconnut Nocton dans le convoi allemand (on apprit ensuite que celui-ci avait dit quelques heures avant chez le femme qui lui servait à déjeuner « Je viens d’avec eux de Juvincourt ; ils ne sont pas méchants, ils m’ont donné de l’argent, à boire et à manger ; dans une heure ils seront ici ».) Ensuite Nocton guida les allemands dans le village, il les emmena prendre deux bouteilles de vin et un pain chez Mme Cornu, puis entra avec eux dans le débit de boisson de Mme Bonneterre où il commanda pour eux, but avec eux « et parla en maître ». Comme les allemands inquiets regardaient vers l’étage, Nocton leur dit qu’il n’y avait aucun danger, aucun soldat là-haut, mais qu’il savait où trouver des soldats français. Plus tard dans la matinée, on retrouva Nocton employé à enterrer des soldats allemands tombés durant l’attaque, avec quelques habitant réquisitionnés sous la menace des armes. L’officier qui tenait le revolver serra la main à Nocton en lui disant « Merci, mon ami » et lui donna quatre francs pour sa peine. Dans l’après-midi, un certain Regnart, profitant du retour au calme pour aller voir brûler ses meules vers la Maison Bleue, aperçut Nocton qui grattait la terre ; revenu avec M. Cornu qui inhumait les Français au cimetière de Cormicy, il le virent continuant sa besogne. Il avait dégagé la tête et les mains d’un cadavre dont il ne fit pas mystère qu’il espérait lui prendre ses bottes. Arrêté, il fut placé en détention à l’hôtel de ville. Plusieurs jours après quand les Allemands revinrent occuper le village et que les habitant leur révélèrent obligeamment le motif de son incarcération, ceux-ci le remirent aussitôt en liberté.
Nocton est arrêté à Reims, le 10 novembre, identifié par un ouvrier des postes au cours d’une conversation que ce dernier avait eue avec l’ancien maire de Cormicy et son adjoint.
CG de la 52è division de réserve, Nocton est fusillé à Tinqueux le 21 décembre à 7 heures.


Pierre Philippe Richier, né le 25 mai 1869 à Creuë (55) et Julien Joseph Mettavant, né le  26 septembre1855 à Woimbey (55) fusillés sur jugement du CG de la 15è D.I. à Commercy le 27 novembre tandis que Jules Helzinger, condamné le 26 novembre ne s’est retrouvé au poteau d’exécution que le 22 décembre,  son co-accusé Jean Sauveton ayant vu sa peine commuée en Travaux forcés à perpétuité. 


Fraternisations de Noël 1914

 

Pour finir avec une touche d'espoir, évoquons la trêve de Noël que le Pape Benoît XV avait réclamé en vain aux états majors, et que divers soldats conclurent tout de même entre eux.
Alors que les Anglais reçoivent du tabac, des chocolats, un pudding aux prunes accompagnés d'un message du roi Georges V, que les allemand se voient gratifiés de saucisses, de cigares, de bière et de gigantesques sapins convoyés par train sur l'ordre du Kaiser, les soldats français ne peuvent compter que sur les colis envoyés par leurs familles.
En ce mois de décembre 1914, le ténor Walter Kirchoff (qui s'est déjà produit à Covent Garden, mais jamais en France) accompagne le prince Wilhelm d’Allemagne dans sa visite de Noël, sur le front. 

 
Au moment où il arrive dans la tranchée du 130ème régiment d’infanterie de Württemberger, les soldats des deux camps sont déjà en train de chatonner, chacun de leur côté. La pluie a cessé depuis des heures, les tirs aussi et, dans l’ensemble, l’ambiance est détendue. Alors, lorsque Kirchhoff entame un concert improvisé, ce ne sont pas seulement les soldats allemands qui l’applaudissent mais également leurs ennemis français, stationnés à quelques dizaines de mètres à peine. Leur capitaine est un mélomane accompli et il a reconnu la voix de la vedette. Bientôt, tous les soldats scandent "encore" ! Il se passe alors quelques chose d’impensable : Walter Kirchhoff émerge de la tranchée allemande et marche en direction de son public, à travers le no man’s land, cette zone dévastée, où tout mouvement, d’ordinaire, entraine la réponse des tireurs d’élites ennemis. Le capitaine français sort à son tour et rencontre Kirchhoff, à mi-chemin. Au même moment, en plusieurs endroits du front, des chants résonnent et se répondent. Stille nacht, pour les Allemands, Silent night pour les Britanniques et Douce nuit pour les Français.

(Voir sur le site chtimiste les extraits de lettres et de carnet qui racontent entre autre comment les allemands chantèrent la marseillaise, ou comment les bavarois mirent leur vis-à-vis en garde contre des attaques des prussiens...)

Ainsi, en cette nuit de Noël, les chants des uns font échos aux chants des autres. Les Allemands sont particulièrement bruyants. Ils jouent du fifre et du tambourin. En des endroits du front, ils dressent même leurs sapins sur les parapets des tranchés à la vue des Français et des Britanniques. Petit à petit, des dialogues se nouent, des trêves sont conclues, soient de manière plus ou moins formelle, soit de fait mais toujours au nez et à la barbe du commandement.
Les soldats s’échangent des cadeaux, discutent ensemble, partagent le cognac des Allemands ou le champagne  Gustave Berthier, par exemple, raconte à se femme, Alice, comment il a échangé avec des soldats ennemis des cigarettes, du " tabac boche " et un exemplaire du Petit Parisien, contre de la presse allemande. Un accord est trouvé entre les tranchées pour qu’aucun coup de feu ne soit tiré. 
Dès le matin du 25 décembre et parfois jusqu’à la nouvelle année, on échange des adresses, on s’accorde des trêves, entre les combats, pour enterrer les morts voire même, on se prévient de l’imminence d’une attaque de son infanterie.
Victorien Fournet, de Sauzet, raconte qu'en janvier 1915, les Allemands ne tirent plus et même sortent de leurs tranchées, demandant aux Français d'en faire autant. À mi chemin, ils se rejoignent, discutent et les Allemands remettent une lettre écrite en français : «Dans la lettre, ils disaient d'aller les trouver à la tombée de la nuit, sans arme, et qu'ils seraient les bienvenus »

Marius Nublat, de Romans encore, écrit à sa femme le 4 janvier 1915 : « Pour le jour de l’an, dans certaines tranchées, les Boches et les Français ont fumé le cigare ensemble. Les quatre Français qui avaient été chez les Boches sont revenus, mais nous avons gardé les Boches ». Louis Chirossel, de Loriol, raconte lui aussi dans une lettre comment Allemands et Français communiquent au moyen de pierres auxquelles sont attachés des billets pour échanger du vin et du pain contre des cigares.
Les trêves atteignent leur paroxysme lorsque certains des soldats roulent en boules quelques uns de leurs vêtements et improvisent des matchs de football entre frères ennemis.
Bien que contestés historiquement, au moins un de ces matchs est attesté par un lieutenant allemand, dans le livre Frères de tranchées, de Rémy Cazals : "Nous avons marqué les buts avec nos képis. Les équipes ont été rapidement formées pour un match sur la boue gelée, et les Fritz ont battu les Tommies 3 à 2".  

En réponse, le commandement dissoudra les unités "contaminées", ayant participé aux scènes de fraternisation et fera donner, dès le Noël suivant, l’artillerie, pour empêcher tout rapprochement de ce type.




 









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