Avril
Louis Martin Luigi,
né le 27 mars 1890 à Bastia, négociant, soldat au 173è R.I.,
1,54m, cheveux et sourcil blonds, yeux gris-bleu
puni à plusieurs reprises
pour ne pas avoir couché dans le cantonnement affecté à la Cie ;
le 15 janvier 1915 « ayant reçu de son caporal l’ordre de
faire le guet dans la tranchée a répondu grossièrement à ce
gradé, l’a saisi par les épaules et menacé » (8 jours) ;
Luigi échappe à l’inculpation de désertion sur territoire en
état de guerre (« Luigi venait tous les jours à son
cantonnement et n’était pas considéré comme manquant…
l’absence de Luigi aux appels du matin et du soir n’a pas été
régulièrement constatée ni signalée ».)
« Le 29 janvier 1915,
la Cie descendait des tranchées pour prendre 4 jours de repos à
Sommedieue. Luigi était puni de prison. Pendant tout ce séjour, il
découcha régulièrement toutes les nuits… Il passait toutes ses
nuits dans une grange voisine de son cantonnement… Et c’est une
étrange complaisance qu’un homme puni de prison, ait pu de la
sorte,au vu et su de tous ses camarades et de ses gradés, découcher
de façon continue et prendre une liberté d’allures qui semblait
en faire comme un Soldat amateur à la Cie. » Mais il apparaît
que le poste de police ne pouvait assurer sa garde, faute de locaux :
« Luigi était laissé en liberté presque absolue. On peut se
demander si ce soldat ne devait pas à la crainte qu’il inspirait
ce relâchement de surveillance. »[?] L’accusation d’abandon
de poste, Luigi ayant été surpris par le départ de sa Cie à 2h du
matin le 2 février ne tient pas non plus (au grand dam du
rapporteur), le soldat ayant été empêtré par le mauvais état de
ses chaussures, s’étant perdu avant de reparaître dans les
tranchées de 2è ligne vers 15 heures.
« Après avoir passé
4 jours aux tranchées, la Cie redescend à Sommedieu, en
cantonnement de repos, pour une nouvelle période de 4 jours. Luigi,
reprenant ses anciens errements, retourne à son grenier pour y
passer les nuits. Mais bientôt, il demande à l’hôtesse, Mme
Fortier, la permission de descendre du grenier dans l’appartement,
lui offrant de lui louer une chambre. Cette personne accède à son
désir et le 8 février, Luigi occupe la chambre. » Dans la
nuit du 9 au 10, vers 1 heure du matin, la Cie remonte aux tranchées
et Luigi part avec elle. Le lendemain matin, Mme Fortier constate la
disparition de sa table de nuit d’une somme de 400 francs qu’elle
y avait déposé. Ayant cru entendre la veille au soir Luigi entrer
dans sa chambre, elle porte plainte à la gendarmerie. Les jours
suivants Luigi apparaît plus en fond que ses ressources ne le
laissaient supposer. Il règle des dettes, rendant 40 francs à un
sergent major qui les lui avait prêtés pour s’acheter des
chaussures, et celui-ci croit avoir vu dans son portefeuille un
billet de 100. Il paraît avéré qu’en deux jours, Luigi a dépensé
200 dont il ne peu expliquer la provenance, mais, en dépit des
préventions qui le chargent le CG de la 12è DI le 1er avril 1915,
acquitte Luigi des faits de vol. L’énigme ne sera pas résolue.
« Le 16 février,
vers 17 heures, Luigi était de garde au poste de police. Il va
trouver l’adjudant Villemagne pour lui demander de se faire
remplacer dans son service de garde par un de ses camarades. Il le
rencontre dans la rue, face au cantonnement de la Cie. L’adjudant
Villemagne demande à Luigi le motif pour lequel il veut se faire
relever. Luigi répond « Ce n’est pas votre affaire. »
L’adjudant Villemagne, sollicité une deuxième fois, refuse,
arguant qu’il ne peut prendre cette responsabilité en raison de la
situation de Luigi en prévention de conseil de guerre, et qu’il
faut qu’il adresse sa demande au Capitaine. « C’est à ce
moment que l’inculpé, devenu furieux, se met à injurier
l’adjudant, le traitant d’hypocrite, de cochon, ajoutant :
« je vous emmerde » et, lui jetant à la figure le cigare
qu’il tenait à la main, finit par le gifler. »
Soldat Delattre : « Il
a monté l’échelle pour rentrer dans son cantonnement en disant à
l’adjudant : « je vais vous exécuter avant que l’on
m’exécute ».
Le capitaine : « C’est
un véritable dissolvant de la discipline. Indiscipliné, violent,
résolu à ne rien faire, dépourvu de scrupules et professant le
plus grand mépris pour les ordres et les gradés… Je le crois
capable de tout. C’est une fripouille. »
Luigi est fusillé le 2
avril 1915 à 5h Rupt-En-Woêvre : « Le soldat Luigi est
tombé au premier coup de feu du peloton d’exécution. La mort a
été immédiate. Le coup de grâce a été donné par pure
conscience ».
L'affaire
de Saint-Amand sur Fion
Un témoin du 170è R.I. note, en
basque, dans son carnet : Samedi 3 avril 1915 St Amand - Ce matin
quatre soldats fusillés devant le 170è et 174è réunis : 12 balles
seulement.
On voit qu'en effet, en mars 1915, les
officiers, pris d'une sorte de panique ou d'un coup de folie
meurtrière, répriment sans discernement tout manquement réel ou
imaginaire à la discipline. Les quatre condamnés exécutés à
Saint-Amand, proviennent de quatre régiments différents. Ils sont
tous condamnés par le CG du QG de la IVè armée le 1er avril 1915
au motif d' "abandon de poste en présence de l'ennemi" (à
des dates différentes, 24 février, 2, 7 et 13 mars)
Le soldat Lucien Mervelay, né le
31 juillet 1886 à Pair-et-Grandrupt (Vosges) célibataire et fileur
à Saint-Dié (88).
Rappelé sous les drapeaux au 170è
R.I., avec qui il combat dans l'Oise et l'Aisne, il passe à la 4è
Cie du 174è R.I. le 10 février 1915. Le 12 mars il participe à
l'offensive de la 48è D.I. au Mesnil-Lès-Hurlus (Marne).
Le lendemain soir, alors que sa Cie
lutte pour maintenir sa position, il est blessé par balle à l'index
de la main droite et évacué sur l'hôpital de Châlons en Champagne
où il tombe entre les griffes du médecin-chef Buy.
Déclaration de Lucien Mervelay lors de
l'instruction :
« Le 13 mars 1915, vers 6h30 du
soir, j'étais dans un boyau en avant du Mesnil-Lès-Hurlus quand le
sergent Boulais, de ma section, m'a demandé d'aller chercher des
fusées au poste de commandement. A peine avais-je fait une centaine
de mètres... que je me suis senti blessé à la main droite, le fût
de mon fusil en a été brisé et le magasin contenant les cartouches
s'est trouvé vide. J'ai transporté mon fusil ainsi brisé jusqu'au
poste de secours. Aussitôt blessé, j'ai crié "Sergent
Boulais, je viens d'être blessé !" »
Mais quelques jours plus tard il donne
devant le Conseil une autre version des faits :
« Contrairement à ce que j'ai
dit à l'instruction, je dois dire que je me suis blessé moi même
volontairement. Pour me blesser, j'ai pris mon fusil par terre en
long, je me suis mis à côté et j'ai fait partir le coup, après
avoir préalablement mis ma main blessée devant le canon. Mais comme
il faisait nuit, je ne peux préciser la distance. Je voulais cacher
ma faute en niant, mais je me suis décidé à avouer l'acte que j'ai
commis volontairement. Quand j'ai fait cela, j'étais comme fou. Je
ne savais plus ce que je faisais. Je me repens de ma faute et demande
à retourner auprès de mes camarades pour me racheter. »
Les états de service médiocres du
soldat Mervelay (son lieutenant le décrit comme un mauvais soldat et
il cumule une vingtaine de punitions pour ivresse et indiscipline)
ainsi que le certificat accablant du Dr Buy, inclinent les juges à
le condamner à mort pour "abandon de poste en présence de
l'ennemi" à la majorité de 3 voix contre deux.
Charles Auguste Joseph Cailleretz,
né le 11 mai 1890 à Berles (Pas de Calais), cocher, célibataire,
1ère classe au 8è R.I. Hospitalisé du 10 mars 1915 au 1er avril
1915, date de l’audience du CG du QG de la IVè armée, ce qui
laisse supposer qu'on l'a soigné d'une blessure afin de l'exécuter
guéri.
« Le 7 mars j’étais allé
passer la visite à Mesnil, visite qui n’a pas eu lieu. J’ai
regagné ma Cie à 8h du matin et j’ai été blessé dans le boyau
du Bois Accent à l’endroit où le boyau était éboulé, d’une
balle au doigt majeur de la main gauche… J’avais mon fusil dans
la main gauche. Aussitôt blessé j’ai lâché mon arme. »
Seul témoin cité contre lui, Dr Buy, dont le rapport convainc les
juges à l’unanimité. « plaie par arme à feu avec perte des
parties molles recouvrant l’extrémité de la 3è phalange du
médius gauche : tatouage noir, très net recouvrant toute la
face antérieure de ladite phalange ; »
Avis du chef de bataillon Hinaux :
« La conduite du soldat Cailleretz, évacué pour blessure
suspecte, n’avait donné lieu à aucune remarque depuis le début
de la campagne.
Louis Joseph Grard, né le 26
mars à Provin 1893, mineur, célibataire, soldat au 127è R.I. (Mème
audience du 1er avril 1915, condamné à l’unanimité),
punition : néant.
Grard paraît avouer que
dans la nuit du 2 au 3 mars à Beauséjour c’est bien son propre
fusil qui l’a blessé après qu’il ait tenté d’en débouche le
canon après avoir tenté de se dépêtrer des fils téléphoniques.
Rapport Buy : « plaie perforante de la 1ère phalange de
l’index droit : le projectile est entré par la face
antérieure de la phalange et est ressorti au niveau de la racine de
l’ongle : tatouage très marqué avec piqueté discret, mais
net, sur la face antérieure de la 2è et 3è phalange de l’index ».
Une enquête « extra-judiciaire »
(insistant sur la nécessité de faire le moins de frais possible)
est prescrite par le ministre de la guerre en 1932 sur la requête de
la mère de Grard. Gustave Accoud, évacué pendant les faits,
rapporte : « Les camarades m’ont dit que d’après eux
Grard avait été blessé à la main par une balle allemande en
relevant un fil téléphonique de la tranchée sur le parapet. »
Marcel Théobald Pollet, né le 6
juin 1891 à Lille, marchand de quatre-saisons à Amiens,
célibataire, soldat au 72è R.I.
Blessé à la main droite à
Mesnil-les-Hurlus le 24 février vers 17 heures : « C’est
en voulant monter sur le parapet de la tranchée que j’ai été
blessé par mon propre fusil. Je m’aidais avec celui-ci et j’avais
mis la paume de la main au bout du canon, la baïonnette était mise.
J’avais pris mon fusil de cette façon à pleine main… Je n’ai
pas en effet raconté cette version à l’instruction, mais je ne
puis dire comment le coup est parti. J’étais à genou sur le bord
du parapet de la tranchée, m’aidant avec mon fusil pour me
hisser. »
Condamné à l’unanimité sur
certificat du Dr Buy. Il fut inhumé à St-Amand-sur-Fion, puis à
Courdemanges en 1920 avant d'être transféré comme les autres à la
nécropole de Vitry le François
Le conseil de Guerre avait vu les choses
en grand, réunissant en zone arrière 6000 hommes (170è, 174è, 95è
brigade) contre les 500 à 1000 habituellement convoqués au
spectacle le 3 avril 1915 à 7h45.
Témoignage du soldat Devaux, 6è Cie du
170è R.I. (tel que publié en octobre 1955 dans L'Hirondelle)
:
Pâques 1915, secteur des Eparges : ce samedi de Pâques, le réveil avait été sonné avant l'aube. Les caporaux avaient eu du mal à nous faire sortir de notre magnifique litière de foin dans lequel nous nous étions enfoncés avec délices...
Péniblement la Cie s'est rassemblée. Les caporaux lancent dans la nuit leur rapport : « Manque personne ». Et le bataillon bientôt quitte la route pour prendre son emplacement sur le terrain. Les Cies en ligne sur deux rangs, les troupes -le 170è et le 174è- sont disposées sur les trois côtés d'un carré, et dans le jour qui commence à se lever, nous distinguons le quatrième côté ; il est formé par une espèce de remblai ; à peine ébauché sur la gauche de la Cie, il s'élève rapidement formant, une butte -une butte de tir.
Déjà les uns ont vu ce que les autres devinent à peine -quatre poteaux. Il semble que l'air soit soudain devenu plus froid à la vue de ces poteaux et de leur tragique signification. La Cie est au repos ; mais le trouble saisit chacun -déjà la mort rôde. Chacun voudrait fuir l'épouvantable scène à laquelle nous avons été conviés.
Les pelotons prennent silencieusement leurs emplacements ; ils sont là, l'arme au pied ; un adjudant les commande avec quatre sergents.
Mais déjà le capitaine a commandé : « Garde à vous ! Présentez armes ! » Et là-bas, sur la droite, dans l'intervalle libre entre deux compagnies, s'avance un camion. Dans l'atmosphère sinistre tout à coup éclatent les notes joyeuses, du général qui passe.
L'air est devenu glacial.
Le camion s'est arrêté devant la 6è Cie, et, un à un, quatre hommes -quatre soldats français- descendent, immédiatement encadrés par deux gendarmes ; l'aumônier est avec eux.
Rigides, dans un « présentez armes » plus impressionnant qu'à une revue, nous les voyons tranquillement, sans défaillance, s'avancer vers leur dernier matin.
Le silence s'est fait, profond, épouvantable, et grandiose.
Ils sont là, chacun agenouillé devant son poteau et, quelles que soient leurs fautes, nous leur rendons les honneurs. A cette minute, ce sont des hommes.
Tandis qu'on leur bande les yeux, les pelotons, sur un signe, se sont rapprochés.
L'adjudant a levé bien haut son sabre ; les fusils visent sur la cible à dix pas.
Nous sommes figés, glacés, transis ; nos cœurs bondissent furieusement ; la respiration manque.
Un cri, un hurlement : « feu ». Le sabre s'est abaissé, la salve est partie ; le silence, trois bruits assourdis par l'herbe, puis le dernier homme s'écroule face contre terre.
Les sergents, détournant la tête, ponctuent le dernier adieu d'un coup sec de leur revolver.
C'est fini !
L'air est plus chaud, le fusil moins pesant et la musique entonne une marche entraînante.
Témoignage de Maurice
Bedel, médecin aide-major au 2è bataillon du 170è R.I. (Journal
de guerre 1914-1918) :
5 avril 1915, Saint-Amand
Nous avons assisté ce matin à
l'exécution de quatre militaires condamnés à mort.
La cérémonie s'est déroulée
à 1500 mètres du village dans une prairie encaissée, formant un
carré dont trois côtés étaient occupés par les troupes de la
brigade, et le quatrième et le quatrième, au pied d'un talus, par
les quatre poteaux d'exécution.
L'exécution doit avoir lieu à
sept heures. A 6 heures nous sommes déjà sur le terrain. Six mille
hommes sont présents avec drapeau, clairons, tambours, voir même
chevaux de mitrailleuses. Le ciel est bas. Il tombe une petite pluie
fine et froide, qui nous fait grelotter. Devant chaque poteau, à dix
mètre,, viennent se ranger, sur deux rangs chacun, les quatre
pelotons d'exécutions constitués par les plus anciens sergents,
caporaux et soldats de la brigade. L'ensemble est commandé par un
vieil adjudant. Il me semble qu'il y a une douzaine d'hommes par
peloton.
L'attente dure une heure et
demie. Les condamnés amenés en automobiles sont en panne à
quelques kilomètres. Enfin, ils arrivent.
Quel soulagement pour nous qui
souffrons pour eux !.. Le camion, recouvert d'une bâche, sur
laquelle sont peintes au milieu d'ovales blancs des croix de Lorraine
noires, se hisse péniblement sur l'herbe grasse jusqu'au niveau de
la ligne des poteaux. L'arrière est ouvert et laisse voir en
compagnie de huit gendarmes quatre pauvres types en capote, le képi
sur la tête. Ils n'ont pas des têtes de révoltés. Oh non ! ce
sont quatre mutilés volontaires. L'un d'eux, le plus jeune, porte un
pansement à la main gauche. Il sautent l'un après l'autre, mêlés
aux gendarmes du haut de l'automobile. Ils sont solides sur leurs
jambes., dociles comme des moutons, silencieux. L'aumônier arrive
jusqu'à eux, il ne peut articuler une parole. Ils dirigent, chacun
entre deux gendarmes jusqu'au dernier des quatre poteaux. A ce moment
les tambours et les clairons battent et sonnent. Le commandement du
« Présentez armes ! » retentit dans les bataillons et
une haie de baïonnettes se hérisse soudain devant le lieu de
supplice.
Les quatre hommes toujours
dociles et disciplinés jusqu'au bout cherchent la place qui leur
revient. L'un d'eux demande à un gendarme, en désignant un des
poteaux : « C'est ma place, celle-là? »
On les adosse au piquet
lentement. On les agenouille. Le plus jeune ne pose qu'un genou à
terre. Avant de recevoir le bandeau sur les yeux, il peut apercevoir
un groupe de soldats qui la pelle et la pioche à la main, attend
dans un coin pour l'ensevelissement.
Un soldat se détache de
chaque peloton, noue posément un large bandeau blanc sur les yeux de
chaque homme. Il se retire en même temps que les gendarmes sur la
pointe des pieds... Tout cela dure très longtemps, est fait avec une
horrible lenteur, un calme inouï.
Pendant que les gendarmes se
retirent, les deux rangs de pelotons se rapprochent jusqu'à quatre
ou cinq mètres des condamnés.
« Feu ! »
Une énorme détonation.
Quatre corps qui s'effondrent. Un cri. Un seul. Et puis quatre coups
de revolver dit « coup de grâce ».
Au pied de chaque poteau un
corps replié, les genoux ployés, la face contre terre. Et c'est
devant cette pauvre loque bleue éclaboussée de sang que défile la
brigade entière, l'arme sur l'épaule, baïonnette au canon.
J'oublie de noter que pendant
la cérémonie de l'agenouillement et du bandeau, un gros homme à
trois galons a lu les sentences des condamnations, que personne
n'écoutait.
Quand les 6000 hommes ont défilés, je pense au motif de leur exécution : mutilation volontaire. J'évoque l'enfer des Hurlus... Est-ce bien de sang froid qu'ils se sont mutilés? Ils « étaient fous ». Mais quelle leçon pour les spectateurs terrifiés de ce matin ? C'est l'excuse de cette lente et sinistre cérémonie à laquelle on a eu tort de faire assister notre drapeau.
Comme ils sont pâles ces colonels, ces officiers, ces soldats qui regagnent Saint-Amand sous la pluie fine. Et comme ils sont silencieux!..
3
avril 1915, Sivry sur Ante (Marne) : les 3 du 14è R.I.
JMO du 14e RI (26N586/3) en date du 3
Avril 1915:
Le régiment se repose et reforme à
Sivry sur Ante.
A 17 heures a lieu une parade militaire pour l'exécution de 3 soldats du régiment condamnés à mort par le conseil de guerre pour "abandon de poste en présence de l'ennemi".
A 17 heures a lieu une parade militaire pour l'exécution de 3 soldats du régiment condamnés à mort par le conseil de guerre pour "abandon de poste en présence de l'ennemi".
Théodore Bonnemaison, né le 3
octobre 1889 à Agen, peintre en bâtiments, célibataire, 2è classe
au 14è R.I. Combattant sans souci jusqu'en mars 1915. Alors que sa
compagnie monte de la Cheppe aux tranchées de première ligne, il
s’arrête aux 3/4 du chemin pour se reposer dans un abri. Le
rapport du commissaire Zamlinsky est d’une brièveté tranchante :
« Le 16 mars 1915 la Cie se rendait aux tranchées pour
l’attaque. En passant au bivouac de 204, vers 4h30, le soldat
Bonnemaison s’est arrêté au lieu de suivre sa Cie. Dans une
guitoune où il était caché avec son camarade Roy, il fut découvert
par un officier de chasseurs et des gendarmes. Ces derniers
l’obligèrent à rejoindre spn poste où il arriva à 11h30. A
l’instruction Bonnemaison reconnaît la matérialité des faits qui
lui sont reprochés, il invoque seulement comme excuse la maladie,
sans apporter à ce sujet la moindre justification. En réalité,
Bonnemaison a voulu se soustraire à son devoir, ce n’est pas
d’ailleurs la première fois qu’il peut se reprocher cette
faute. » Aucune preuve n’existe au dossier de cette dernière
allégation.
Déféré devant le conseil de guerre de
la 34e DI le 1er avril 1915 Bonnemaison est condamné à mort pour
« abandon de poste en présence de l'ennemi ».
Rapport du Major Silvestre :« Le
soldat Bonnemaison est décédé des suites des plaies plaies
pénétrantes par balles, situées dans les régions suivantes :
trois dans la région du coeur, deux à la base du cou, trois dans
l’épigastre et une dans la région inguinale externe droite, coup
de grâce à la tempe gauche ». Inscrit au monument aux morts
d'Agen. « Tué à l’ennemi » : Mort pour la
France.
Charles François Roy,
né le 30 décembre 1889 à Agen, télégraphiste,
2è classe 14è R.I.
Condamné à
l’unanimité. Silvestre : « Cinq dans la poitrine,
région du cœur, une à la base du cou, deux dans l’abdomen, une
poignet gauche, coup de grâce dans la nuque à gauche. »
Encore une fois, le crime est déguisé en « Tué à l’ennemi »
et Roy Mort pour la France.
Bertrand Théophile Manent, né
le 13 octobre 1889 à Esbareich (Hautes-Pyrénées) où il est
cultivateur, 2è classe au 14è RI.
Manent aurait abandonné sa compagnie
aux tranchées le 16 mars vers 10h à quelque distance de la « cabane
forestière » pour ne reparaître que le 18 mars, 18h. Il dit
que malade (coliques), il n’a même pas rejoint, étant demeuré au
bivouac de la cote 204 près des cuisines du 143è.
Rapport du Lt Tresmouran : « Le
soldat Manent est présent sous les drapeaux depuis le début de la
guerre ; Il n’a guère donné satisfaction dans sa manière de
servir, et ne s’est distingué en aucune circonstance. Une bonne
leçon s’impose, et serait salutaire auprès des militaires de la
Cie ».
Major Silvestre : « 4 dans la
poitrine,une à la base du cou, une dans le ventre, une dans la
cuisse gauche et une jambe droite, coup de grâce dans l’oreille
droite » Reconnu Mort pour la France (figure sur plusieurs
monuments)
Condamné solidairement pour "abandon
de poste en présence de l'ennemi, à la peine de mort" par le
CG de la 34è DI ce même 1er avril 1915, le soldat Henri Borde, né
le 11 novembre 1888, voit sa peine commuée en vingt années
d'emprisonnement le 2 mai 1915. Le 27 mai 1915, il passe au 59è
régiment d'infanterie et "est tué à l'ennemi le 21 septembre
1915".
Théodore Mastwyk, né le 20
octobre 1875 à Harmelen (Pays-Bas), soldat au 2è R.M. du 2è
étranger, exécuté le 4 avril 1915 à Le Blanc-Sablon (Aisne), sans
trace de jugement.
Lucien Jean Levieux, né
le 16 octobre 1892 à Saint Adresse (Le Havre). Journalier,
célibataire, est condamné à mort par le conseil de guerre de la
29e D.I pour « refus d'obéissance pour marcher contre l'ennemi
-et outrages par paroles et gestes de menaces envers des supérieurs »
fusillé le 5 avril 1915 à Avocourt (Meuse), au lieu-dit
"rendez-vous de chasse" à 6 km au nord d'Aubréville,
forêt de Hesse.
Avec lui, du même régiment, François
Marie Penvern, né le 14 mai 1892 à Relecq-Kerhuon (29),
célibataire, boucher,engagé volontaire (marine).
Rapport sur l'affaire des soldats
Penvern, Levieux et Ruellan du 3è RI:
« Dans l'après-midi du 22 mars, à
Brabant, quatre soldats du 3è d'infanterie -anciens disciplinaires,-
ivres, faisaient du tapage au poste de police. Les musiciens préposés
à leur garde (en raison de la relève...) n'en pouvaient venir à
bout. Le capitaine d'artillerie Ravaille envoya pour les maîtriser 1
brigadier et 4 canonniers. Il vint lui-même voir ce qui se passait.
Alors se déroula la lamentable scène d'indiscipline (...) Les
quatre hommes -Levieux, Penvern, Ruelland et Ragot-eurent envers le
capitaine et le brigadier une attitude de la dernière insolence.
Levieux, se campant devant le capitaine Ravaille lui jeta à la
figure : « vous avez servi dans la coloniale vous ?.. Eh, allez
vous coucher ! » accompagnant cette injure d'un geste
méprisant du bras. Penvern, lui, débraillé, comme fou de colère,
se précipitait les poings menaçants sur le brigadier Roux. Il se
calma d'ailleurs instantanément devant le revolver que ce gradé
braqua sur lui. Quant à Ruelland il refusa de se défaire d'un bidon
de vin que le brigadier dut lui enlever.
Quelques instants après les quatre
hommes se roulaient à terre dans un coin du poste se livrant à
diverses excentricités. Le brigadier et ses hommes entendirent alors
sans pouvoir préciser qui les prononçait, des phrases comme : « Ils
y passeront tous.. nous nous vengerons aux tranchées ».
Enfin Penvern, montrant une photographie d'un parent à lui,
brigadier d'artillerie dit en montrant le brigadier Roux : « Ce
n'est pas une vache comme toi. S'il était aussi méchant, je lui
ferais la peau! »
Les lieutenant
(...) décidèrent qu'ils monteraient aux tranchées le jour-même...
sous la conduite du sergent Borel et du caporal Morelli. Devant leurs
officiers les inculpés furent assez calmes et déclarèrent qu'ils
partiraient.(...) Mais quand ils furent seuls avec le sergent et le
caporal, le scandale reprit de plus belle. Le départ de Brabant fut
l'occasion du plus triste spectacle d'indiscipline collective. Jetant
leurs sacs à terre, se roulant sur le sol, marchant quand ils
voulaient et s'arrêtant de même, les quatre anciens disciplinaires
n'en faisaient qu'à leur guise. (...) En sortant du village, l'un
d'eux, Ragot, rencontrant couché en bord du chemin un autre et
disciplinaire ivre lui-aussi, se jeta sur lui, se roula à ses côtés
et saisissant son fusil fit partir le coup. Les gradés ne croient
pas d'ailleurs qu'il l'ait fait avec intention.
Le trajet se
continua ainsi dans la direction de Parois. De temps à autre ils se
couchaient et les gradés devaient user de persuasion pour les
décider à reprendre la marche. Ils ne cachaient pas d'ailleurs leur
intention de ne pas aller plus loin que Parois. Effectivement arrivés
au poste de police de Parois ils s'arrêtèrent et déclarèrent
catégoriquement qu'ils n'iraient pas plus loin. Les deux gradés
insistèrent en vain et décidèrent à les faire coucher à Parois.
Le lendemain
matin ils ne firent pas trop de difficultés pour repartir et se
contentèrent -comme compensation- d'un café que leur offrit le
sergent Borel pour les décider.
Le lendemain des
faits, Ragot fut blessé dans les tranchées et sa cause fut
disjointe de celle de ses camarades. »
Le rapporteur
suggéra d'abandonner contre Ruellan l'accusation d'outrage, ce qui
lui sauva la vie.
Jean Favier,
né le 1er octobre 1888 à Verrières-en Forez (Loire), chasseur au
12è BCA : fiche de décès seule qui précise « Fusillé.
Condamné à la peine de mort par le CG de la 47è DI en sa séance
du 3 avril 1915 pour abandon de poste par mutilation volontaire en
face de l’ennemi ».
Son nom figure
sur le monument aux morts de Verrières-en-Forez.
Adolphe Jean Joseph Pouzols, né
le 7 décembre 1884 à Jonzieux, chasseur au 51è BCA depuis le 8
août 1914. Probablement condamné à la peine de mort le 3
avril 1915 par le CG de la 47è, sa fiche de décès, est beaucoup
moins explicite ne mentionnant que « a été fusillé »
le 5 avril 1915 au champs de tir de la garnison de Gérardmer, comme
(et sans doute avec) le précédent.
Louis Habay, né le 7 février
1878 à Paris 2è, emballeur, soldat au 291è R.I.,
Le 25 mars 1915, alors qu'il est puni de
prison, Habay avait été commandé pour aller à 13 heures,
travailler avec une corvée de terrassement, à une place d'armes
qu'on creusait à droite de la tranchée de première ligne. On ne le
trouva pas au départ de la corvée. Après enquête, le capitaine
apprit le lendemain que Luis Habay devait se trouver à Réims dans
une pâtisserie mal famée de la rue de Neufchâtel. Il envoya un
sergent et un caporal le chercher. La propriétaire de cet
établissement fit beaucoup de difficultés pour reconnaître que
Habay était chez elle ; elle finit cependant par les conduire à
la chambre où il se trouvait. Habay les accompagna sans résistance
mais arrivé place de la République, il rencontra des camarades,
causa avec eux, puis refusa de suivre le sergent et le caporal,
disant qu'il rentrerait bien tout seul. Il leur aurait adressé des
menaces, mais cet épisode resta assez confus à l'audience. Les deux
gradés manquèrent de fermeté et laissèrent Habay s'échapper. Le
soir, il tomba sur un médecin-major du 320è qui le fit ramener à
son cantonnement. Malgré la surveillance spéciale dont il était
l'objet, Habay parvint à s'échapper avant son transfèrement à la
prison militaire le 27 mars à 5h. Il fut retrouvé par une
patrouille lancée à sa recherche à 14h30.
« Habay est un récidiviste. Il
avait été condamné par le CG de la division à deux ans de prison
pour abandon de poste sur un territoire en état de siège. Il avait
alors bénéficié du sursis, et du 320è son régiment d'origine, il
avait été affecté au 291è. Traduit devant le conseil de guerre
sur citation directe… Habay a reconnu les faits ; il a déclaré
qu'il venait d'apprendre que la femme avec laquelle il vivait était
devenue folle, et que cela lui avait fait perdre la tête. Le conseil
a écarté les outrages qui n'ont pas été suffisamment démontré à
l'audience et condamné Habay à la peine de mort pour abandon de
poste en présence de l'ennemi.
« ...Je n'ai
menacé le sergent et le caporal, je n'ai pas dit les paroles qu'on
me reproche… Je me suis échappé le lendemain. Les effets civils
étaient à moi ; je les avais dans un ballot. Je mets les
effets civils sous ma tenue… Je venais de recevoir une lettre de ma
belle-sœur, que ma femme était folle et venait d'entrer à
Villejuif… Je n'ai jamais vu de femme dans cette pâtisserie. »
Sergent Herbin :
« Lorsqu'il est parti il nous a menacés en disant qu'il avait
des cartouches et un fusil et qu'il savait s'en servir. Nous n'avons
pas insisté pour ne pas causer de scandale. »
Sous Lieutenant
Gilot : Habay est à la Cie depuis 2 mois et demi. Je n'ai
jamais rien eu à lui reprocher… Lorsque j'avais des travaux
pénibles, je les lui faisais faire et il les faisait volontiers »
Habay : Je
demande à retourner sur le front pour venger la mort de mon frère. »
L'avis du Lt-Colonel
Bataille, commandant de régiment à l'origine du dépôt de plainte
ne s'embarrasse pas de calomnies hystériques : « Habay
est un malfaiteur. Il est, pour tous, un véritable danger. C'est un
individu qui n'hésitera pas plus à se servir de ses armes contre un
de ses camarades ou un de ses supérieurs, qu'à passer à l'ennemi
et à lui dévoiler ce qu'il a pu apprendre. Il est à souhaiter que
l'armée soit, enfin, débarrassée d'un pareil sujet et qu'un
exemple sévère vienne avertir les quelques mauvais soldats trop
portés à imiter Habay. »
Avis du général
Siben, commandant la 103è brigade : « Habay doit être
traduit en conseil de guerre et il est à désirer qu'un exemple
énergique soit fait ; les régiments sont infrstés d'individus
comme Habay qui, après une condamnation en CG sont changés de
corps, mais nullement amendés, et ne sont que des ferments
d'indiscipline ». (Traduction : fusillons tout le monde!)
Le CG de la 52è DI obéit aux ordres de
ses chefs et condamne Habay à l'unanimité à la peine de mort. Il
est fusillé à Trinqueux « au lieu ordinaire des exécutions »
le 6 avril 1915 à 5h30.
Joseph Séraphin Boudaillez, né
le 24 juillet 1881 à Auby dans le Nord, menuisier, célibataire,
soldat au 100è R.I.. A la suite d'une méningite, à l'âge de 19
ans Boudaillez a été interné 26 jours à l'asile d'Armentières.
Il ne s'en serait jamais tout à fait remis et a été ajourné deux
fois avant d'être incorporé ; pendant son année de service
militaire, il est à nouveau interné pour maux de tête et faiblesse
mentale et demeure en traitement jusqu'à sa libération. Neuf ans se
passent sans incident jusqu'à la mobilisation.
Le 27 octobre 1914 vers 13 heures, étant
seul en faction dans une tranchée de première ligne, Boudaillez se
blesse à la main gauche. Tout le débat repose sur le fait de
déterminer s'il s'agissait d'un accident ou d'une mutilation
volontaire. Le chef de bataillon est d'avis qu'il n'y a pas lieu
d'informer, mais le général de division en décide autrement. Un
premier examen mental en décembre incline à ramener Boudaillez à
l'arrière pour le mettre en observation prolongée, en réalité
déterminer s'il est un habile simulateur. Le médecin-expert obtient
des aveux et conclut à la responsabilité limitée le déclarant
« faible d'esprit d'un niveau mental inférieur à la
moyenne ». Le 6 février, le médecin principal Delamare fait
adresser avec avis favorable une demande de mesure de grâce
directement au Ministre de la Guerre. Ce n'est que le 15 mars que le
commissaire rapporteur, par peur de le perdre sans doute, ou
manifestant simplement son impatience, émet un mandat d'amener
Boudaillez « détenu à l’Hôpital du Val de Grâce à
Paris ». Il rencontre cette réponse du sergent de garde :
« le soldat Boudaillez a quitté l'hôpital le 16 mars 1915,
accompagné d'un gradé qui l'a conduit sur sa formation pour y être
jugé ».
Devant le CG de la 24e D.I. le 5 avril
1915, le sous-Lieutenant Castillon déclare que Boudaillez n'a pu se
blesser accidentellement ; il estime que l'acte n'a pu être que
volontaire. Boudaillez était depuis huit jours seulement à la Cie.
Il a fait l'impression d'un déséquilibré. En arrivant dans la
tranchée ne cessait de tirer sans raison. On a été obligé de le
mettre sous surveillance d'un sergent pour l'empêcher de tirer sans
arrêt. Ce témoin a entendu dire par son caporal que Boudaillez, 2
ou 3 jours avant, a bu son urine dans la tranchée.
Le sergent Soustre, tout en considérant
Boudaillez « comme un arriéré et un faible d'esprit »
qui, « sournois, cherchait la solitude » dresse un
portrait assez différent, reconnaissant qu'il était bon soldat,
exécutant bien les corvées et n'ayant jamais fait preuve de mauvais
esprit ou d'indiscipline.
Condamné à mort à la majorité de 4
voix contre 1 pour « abandon de poste en présence de
l'ennemi », Boudaillez est fusille le 6 avril 1915 à
Villers-en-Haye (Meurthe et Moselle) à 18 heures. Une balle au front
a déterminé la mort instantanée.
Adolphe Jean Marie Lhuillier
, né le 21 août 1892 à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, célibataire,
inscrit au quartier maritime de Saint-Gilles, incorporé au 1er
bataillon d’infanterie légère d’Afrique en 1912, chasseur de 2è
classe. Condamné au civil dès l'âge de 16 ans pour vols (3 fois)
et coups et blessures (1911 et 1912)
« Le 20 décembre 1914, vers
21h30, à Berguent (Maroc), le chasseur Lhuillier, en état
d'ivresse, causait du scandale dans la chambre ; criant « aux
armes »il voulait faire lever ses camarades et aller avec eux
délivrer le clairon Resson, puni de prison. Le sergent Bacq
intervint, aidé du caporal Ferré, chef de patrouille. A peine
celui-ci fut-il en sa présence que Lhuillier, s'élançant, lui
porta deux coups de poing à la figure ; il saisit peu après sa
baïonnette, puis, se ravisant, son fusil et un paquet de
cartouches : « Attends, une balle ça vaudra mieux ! »,
dit-il. A ce moment, il fut désarmé par les hommes de garde qui ne
purent toutefois le maintenir. Il se précipita alors sur le sergent
Bacq à qui il donna un violent coup de poing dans la poitrine et sur
le caporal Guérineau qu'il frappa pour la deuxième fois d'un coup
de pied. Maîtrisé enfin et emmené aux locaux disciplinaires, il ne
cessa d'insulter les gradés : « Bandes de vaches, bande
d'enculés, je vous crèverai la peau ! » (…) Ainsi que
l'attestent son folio de punition et l'extrait de bulletin
confidentiel, Lhuillier met au service du mal son caractère brutal ;
d'une intelligence au-dessus de la moyenne et tout en servant
généralement bien, il a des sursauts d'énergie qu'il exerce autant
contre ses camarades que vis-à-vis de ses chefs. »
Quinze jours auparavant, Lhuillier avait
été relevé de l'emploi d'ordonnance qu'il avait rempli pendant 17
mois auprès du Lieutenant Guamot, à la suite d'une bagarre :
« a roué de coups sans motif un conducteur du train qui, par
suite, a été dans l'impossibilité d'assurer son service ».
Condamné à la peine de mort (4 voix de
majorité) le 2 février 1915 par le 1er conseil de guerre de
l'Amalat d’Oujda, grâce rejetée le 2 avril, Lhuillier est fusillé
à Oujda le 6 avril 1915. Son nom figure pourtant sur le monument aux
morts de Saint-Gilles, pas sur la plaque commémorative de l’église.
Eugène Honoré Maxime Morelli
du 7e BCP, originaire de Nice (12 mars 1884) est « fusillé »
exécuté le 7 avril 1915 à Wesserling. (fiche de décès seule, pas
de procédure).
Karl Vogelgesang (dit Gotthold),
soldat du 36è R.I. allemand Magdebour, régiment responsable de "28
massacres de civils et de 83 incendies entre le 16 et le 18 août
1914" en Belgique. Blessé et fait prisonnier lors de la
bataille de l'Ourcq, en septembre 1914 il est hospitalisé à Évreux,
où il subit une fouille. Un carnet, qui relate toutes les exactions
et pillages auxquels s'est adonné son régiment, est retrouvé sur
lui. L'affaire est jugée par le Conseil de guerre de Rennes, qui est
compétent pour l'ensemble des actes commis sur un territoire allié.
Il est condamné à mort le 26 février 1915 par le Conseil de Guerre
de la 10e Région militaire pour "pillage en bande avec armes et
homicide sur des militaires blessés hors d'état de se défendre";
son recours en grâce ayant été rejeté rejeté le 5 avril 1915 il
est exécuté à Rennes le 9 avril.
Ben Mohammed Ahmed, né en 1893 à Casbah ben Ahmed (Maroc), ouvrier laboureur à M'zab Chaouia, spahis au 3è rgt de marche de spahis marocains, 9è escadron
le 8 mai 1915, vers 19h, le spahi Ahmed
se rendit à maison de tolérance de Laouia Badaoui et demanda à la
pensionnaire Ysa bent Hamadi de passer la nuit avec elle, et fut
éconduit. Ladite Ysa était en rendez-vous dans sa chambre avec sa
sœur Aïcha, deux civils, Mohmed Chaoui et El Achemi ben Ahmed, et
un spahi du 4è Rgt, quand, vers 23 heures, elle entendit des coups
de feu tirés dans la cour du fondouk. Le spahi ben Ali ouvrit la
porte et vit Ahmed, armé d'une carabine qui menaçait les femmes des
chambres voisines de tirer sur elles si elles ne rentraient pas dans
leurs appartements. Apercevant ben Ali, Ahmed tira un coup de feu
sans l'atteindre. Rechargeant son arme il visa plus bas et atteignit
la porte de la chambre derrière laquelle s'était groupés les
occupants. La balle atteignit Aïcha sous le mamelon droit et la tua
sur le coup. Mohamed Chaoui, accroupi derrière la porte voulut
sortir, mais au moment où il se relevait, il fut atteint à son tour
d'une balle sous l’œil qui, pénétrant dans la boîte crânienne
le tua instantanément. Une troisième balle au travers de la porte
atteignit El Hachemi, le blessant grièvement. Attirés par le bruit
le patron et le portier de l'établissement essayèrent de monter au
premier étage, mais durent rebrousser chemin après avoir essuyé un
nouveau coup de feu qui les manqua. Pendant qu'ils allaient chercher
les gendarmes, Ahmed tenta de se suicider. Il fut interpellé un peu
plus tard dans la rue.
Ahmed reconnut les faits : rendu
furieux par le refus d'Ysa qui était sa maîtresse (elle dit aux
gendarmes ne pas le connaître), il s'empara aussitôt de son arme
dans l'intention de revenir la tuer, supprimant au passage tous ceux
qui auraient pu tenter de s'opposer à son acte. Ben Mohammed Ahmed
était jusqu'au jour des crimes reconnu comme un bon soldat, faisant
son service avec exactitude, exempt de punitions et sans antécédent
judiciaire connu.
« Quant au meurtrier, auquel avons
également donné nos soins, écrit le médecin-chef de l'infirmerie
indigène de Meknès, il s'est tiré un coup de fusil à bout
portant, lequel a produit une plaie en séton au niveau de la 8è
côte, blessure n'offrant aucun caractère de gravité ».
Ahmed est condamné par le CG des
troupes d'occupation du Maroc occidental le 27 mars 1915. Le 24
février, le même conseil avait condamné pour un tout autre motif
et pour des faits remontant au 29 juin 1914 Ben Djouda Ali Ben
Lakhder, né en 1886 à Medjez El Bab (Tunisie), cultivateur,
marié, tirailleur au 4è RTI, section de mitrailleuse du 2è
bataillon.
Ali ben Lakhdar est porté manquant le
29 juin 1914 au poste de l'oued Ifranc, marquant la frontière entre
la zone d'occupation française et le territoire tenu par les
rebelles Zaïans. Il emporte son fusil et 120 cartouches. Il est
arrêté par un Mohagzani le 3 novembre à Hassi el Haouri.
« Lakhder ben Ali s'est rendu
coupable du crime de désertion à l'ennemi. Il a abandonné ses
drapeaux, et il s'est rendu à l'ennemi, leur donnant un fusil et 120
cartouches, il a séjourné plusieurs mois chez les rebelles et, tout
porte à croire que pour avoir la vie sauve, il les a aidés dans
leurs entreprises contre nos troupes ».
Ben Mohammed Ahmed et Ali ben Lakhder
sont fusillés le 14 avril au camp de Poublan à Meknès (Maroc).
Victor Edouard
Etienne Brisard, né le 1er août 1889 à Montsûrs (53), soldat
au 124è R.I., condamné par le CG de la 8è D.I.
Dans la nuit du 10
au 11 mars, la 6è compagnie du 124è régiment d'infanterie monte en
première ligne, au niveau de Perte-lès-Hurlus, dans la Marne, sans
Victor Brisard, qui souffre de coliques. Le soldat, alors âgé de 26
ans, rejoint ensuite son cantonnement, mais il est poursuivi pour
abandon de poste. Il est jugé le 16 avril 1915 par le conseil de
guerre, à Baconnes. Et fusillé le lendemain à 5 h du matin.
De son dossier
militaire, on apprend que Victor Brisard était carrier (ouvrier de
carrières) et célibataire, sans descendance et orphelin. Et qu'il a
été condamné à deux reprises dans le civil : à 14 jours de
prisons pour coups et blessures par le tribunal de Château-Gontier
et à deux mois de prison pour vol par le tribunal de Domfront. Les
témoins décrivent Brisard comme étant « très mauvais
soldat, indiscipliné et malpropre. ». Le rapport médico-légal
précise qu'il a été tué par douze balles « dont neuf ont
atteint la région du cœur ».
Les faits sont implacables et c'est bien une simple colique, qu'elle
soit réelle ou simulée, qui a envoyé le soldat Brisard au peloton
d'exécution.
René Léon Julien Dubois, né le
21 mai 1893 à Les Moutiers-Hubert (Calvados), cultivateur à
Gaillon, célibataire, soldat au 161è R.I.,
(procédure
manquante, minutes seules) : Condamnations antérieures :
devant le CG de la 40è DI le 6 octobre 1914, 5 ans de prison pour
abandon de poste ; 13 mars 1915, 5 ans de travaux publics pour
outrage à supérieur dans le service (peines suspendues)
Condamné à mort à
l’unanimité le 16 avril 1915 par le conseil de guerre de la 40e
DI pour « abandon de poste et désertion en présence de
l'ennemi », le 29 mars au bois de la Gruerie, fusillé le 17 à
Vienne-la-Ville (Marne) à 14 heures.
Félix François Léon Bertouille,
né le 12 mai 1889 à Alençon dans l'Orne, célibataire, cordonnier
coupeur, célibataire, marsouin du 6è R.I.C.
Récidiviste de la désertion (deux fois
durant son service militaire) il est amnistié par la loi du 5 août
1914 et rejoint le 6è R.I.C.. Il participe à toutes les batailles
jusqu'au 9 février 1915 où il est condamné une première fois pour
abandon de poste, puis récidive le 26 du même mois.
Le 26 février 1915 vers 14h30, au
cantonnement de La Chalade (sic) où son bataillon se trouve en
réserve mais en alerte (et donc les hommes consignés avec
interdiction de sortir, le soldat Bertouille, prétendant qu’il va
faire des courses pour son officier, sort en ville muni d’un faux
laisser-passer qu’il s’est fabriqué lui-même. Avec un de ses
camarades, Valette (disparu depuis dans l’attaque du 14 mars) il se
dirige sur Florent où il boit dans plusieurs débits. Il y passe la
nuit du 26 au 27, dans une grange avant de prendre avec le soldat
Champagnac rencontré à Florent (blessé et évacué le 14 mars) la
direction de Ste-Ménéhould où il est arrêté en complet état
d’ivresse.
« Bertouille est, selon son
commandant de compagnie un soldat exécrable à tous points de vue ;
malgré l’air gouailleur qu’il affecte, il est d’une
poltronnerie sans pareille au feu et il est la terreur de la Cie
lorsqu’il est en état d’ivresse ».
Déféré devant le conseil de guerre de
la 9e D.I. le 16 avril 1915 il est condamné à mort + 2 mois de
prison pour « abandon de poste en présence de l'ennemi et
ivresse publique et manifeste ». Il est fusillé le 17 avril à
Lachalade dans la Meuse à 7 heures.
JMO du 6è RIC: "Le soldat Félix
Bertouille est condamné à la peine de mort pour abandon de poste en
présence de l’ennemi, et passé par les armes".
Jean-Pierre Bousquet, né le 21
janvier 1890 à Pau, célibataire, clerc de notaire, soldat du 88è
R.I. arrivé au corps le 4 août 1914. Il disparaît des lignes où
se trouvait sa compagnie, le 8 mars vers Somme-Suippes alors qu'elle
allait attaquer devant Perthes-lès-Hurlus, en se cachant dans un
gourbi avec son camarade Monteil. Il reste avec les cuisiniers avant
de réapparaître le 9 mars à 6h, quand sa Cie est relevée. Ses
chefs rendent son exemple « responsable » des défections
survenues le lendemain à la 8è Cie. Condamné à mort à
l’unanimité le 25 mars 1915 pour « abandon de poste
en présence de l'ennemi" » par le CG de la 34è
DI, demande de grâce rejetée le 20 avril 1915, Bousquet est fusillé
le 18 avril 1915 à 15h à Chardogne dans la Meuse.
Claude Frédéric Laprée, né le
8 janvier 1888 à Lyon 3è, célibataire vivant en concubinage avec
une femme mariée en juin 1915, voiturier, soldat au 75è R.I.
Condamné en 1910 pour désertion à l’intérieur en temps de paix,
et en octobre 1914 pour « homicide par imprudence » (six
mois)
Frédéric Charignon (mort en 1941)
rédige Souvenirs de guerre d’un poilu de Châteaudouble après
la guerre, d’après ses carnets, à la demande de ses enfants. On
ignore pourquoi ils s’interrompent à la date du 27 avril 1915, peu
après le traumatisme de l’exécution. Dès septembre 1914, il
signale qu’on lit aux troupes des ordres sévères sur la
discipline et les mutilations volontaires. Les soldats n’hésitent
pas à suivre le lieutenant Million-Rousseau parce qu’il donne
l’exemple et qu’il a dit avant la sortie : « S’il en est
parmi vous qui ont peur, ils n’ont qu’à rester." »Avec
le lieutenant Dumas, « tout se passe en famille ». Mais
le lieutenant Cantero qui le remplace, venant de la cavalerie,
" « est loin de valoir l’ancien ». Il s’en
prend au soldat Laprée.
"Vaillant soldat présent pour
toutes patrouilles ; étant exempté de corvée par le capitaine (en
permission) il refusa de prendre une garde. 8 jours plus tard le
lieutenant lui ayant intimé le même ordre trois fois lui met un
motif" - déféré le 18 avril 1915 devant un conseil de guerre
spécial du 75e R.I. il est condamné à mort pour « refus
d'obéissance devant l'ennemi ». La section, « où Laprée
était estimé », rédige une protestation en sa faveur.
L’escouade de Charignon et de Laprée refuse de participer au
peloton d’exécution . Au poteau, Laprée « critique les
officiers, mais on l’arrête ». Le régiment doit défiler
devant le corps. Charignon et ses camarades reviennent « bien
ruinés de cette triste cérémonie. Le soir, à la nuit tombante,
quand le lieutenant vient faire l’appel, il fut obligé de faire
demi-tour : de tous les cantonnements, on criait : Voilà l’assassin,
enlevez-le ». Laprée est fusillé 400 m au nord-ouest de
Bayonvilliers dans la Somme à midi.
Gustave Paulin Raoul Motte, né à
Marseille le 13 septembre 1875, marié, père d'une fillette de 11
ans, banquier à Carcassonne, lieutenant au 224è R.I.. Engagé
volontaire dès 1894, sergent dès l'année suivante, il remplit
parfaitement son rôle de chef de section au cours de ses nombreuses
périodes militaires quoique ses chef soulignent son "manque
d'esprit militaire". Le 18 avril 1912, par exemple, il est
sanctionné pour avoir quitté sans autorisation sa compagnie à
l'issue d'une manœuvre et rejoint son cantonnement en automobile en
doublant la colonne.
Rappelé à la mobilisation en tant que
lieutenant de réserve, il arrive en renfort au 224è R.I. le 30
janvier 1915 et envoyé combattre sur le front de Somme (Maricourt).
S'estimant lésé par rapport à d’autres lieutenant plus
fraîchement promus qui prennent sa place, dépressif et ne pouvant
supporter plus longtemps la vue des cadavres, il disparaît de sa
compagnie le 1er février 1915 dans le secteur du bois de Pargny
(Somme). Après un long périple durant lequel il réussit à
gagner Lyon, Carcassonne, puis Hendaye ; il renonce à passer en
Espagne et revient à Marseille voir sa famille avant de se rendre à
la place de Limoges.
Déféré le 17 avril devant le CG de la
53è D.I. il est condamné à mort (4 voix contre une) pour « abandon
de poste en présence de l'ennemi » : toutefois, peut-être
en raison de son grade, les cinq juges signent une demande de
commutation de peine… en vain.
Dernière lettre de supplique :
« Mon Général, j’apprends par mon avocat la terrible
nouvelle. J’affirme au moment de mourir que tout à l’heure mon
intention formelle était de me rendre chez vous.
Je le jure et cela peut s’établir en cinq minutes par la seule
comparution du gendarme
à qui je m’étais ouvert de mon projet. Je n’avais donc d’autre
but. -Ce serait donc affreux que ce dernier incident me fasse
fusiller. Assurez-vous en, mon Général, il est encore temps de me
sauver. Au nom des miens je vous en conjure. »
Le
peu de pages consacrée au lieutenant Motte sont possiblement la
conséquence de la difficulté à le défendre quand on veut se faire
l'avocat du diable : Motte se tient dans cette position du milieu où
il révère ses chefs, ou fait semblant. Trop respectueux de la
hiérarchie à laquelle il croit appartenir de droit, il reste
empêtré dans des liens familiaux qui sont les paravents de sa
défense. Il agit en aristocrate et en maître. Il
réclame qu'on pleure sur son malheur et son vague à l'âme. Alors
pleurons !
Motte est fusillé à Bray-sur-Somme sur
la route de Cappy le 18 avril 1915 à 19 heures.
Les syndicalistes de Flirey
le 63è au repos dans le
village de Maney en avril 1915
Le caporal Antoine Morange et les
soldats Félix Baudy, François Fontanaud et Henri Prebost du
63e RI sont fusillés le 20 avril 1915 à Flirey (54) suite au refus
collectif de leur compagnie de monter en ligne. Le 19 avril une
attaque devait avoir lieu à Mort-Mare au sud de Thiaucourt pour
enlever une tranchée encore occupée par des Allemands au centre
d'une première ligne conquise quelques jours plus tôt avec la
pertes de 600 hommes. La troupe d'assaut chargée de la mission fut
tirée au sort et le hasard avait alors désigné une des compagnies
déjà fortement éprouvée les 3, 4 et 5 avril au cours des combats
sur la route de Thiaucourt. Au signal de l'assaut les 250 hommes
refusent de quitter la tranchée "ce n'est pas à notre tour
d'attaquer" disent-ils. L'instant d'avant les douze hommes qui
avaient jaillis hors de la tranchée avaient été tous fauchés par
les mitrailleuses ennemies et gisaient morts ou blessés sous les
yeux de leurs camarades.
Le général Delétoile ordonne que les
250 soldats passent en cour martiale pour délit de lâcheté afin
d'être exécutés. Après l'intervention de plusieurs officiers cinq
hommes furent désignés pour comparaître. un sera acquitté, deux
seront tirés au sort dont le soldat Fontanaud natif de Montbron en
Charente et le caporal Antoine Morange. Les soldats Baudy et
Presbost, maçons tous les deux dans le civil, furent désignés à
cause de leur appartenance syndicale à la CGT. Le général Joffre
en visite dans le secteur aurait refusé sa clémence aux condamnés
en exigeant une sévérité à l'égard de la compagnie. Les quatre
hommes sont fusillés à la lisière du bois de Manoville (54).
François Fontanaud
Ce soldat est
d'origine charentaise, son corps est inhumé à Montbron où il est
né en 1883. Le lieutenant Meisnieux demande à un soldat de choisir
un chifftr, celui-ci dit 17. Fontanaud est en 17è position dans son
carnet. L'autre tiré au sort, le soldat Coulon est sauvé in
extremis, car considéré comme simple d'esprit et irresponsable.
Antoine Morange était né à Champagnac le 20 septembre 1882. Il était employé des tramways à Lyon.
Déclaration lors du
conseil: " J'ai fait comme tous mes camarades qui se trouvaient
à mes côtés. Je ne vois pas pourquoi je serais plus punissable que
les autres, je n'ai pas vu mon capitaine sortir, ni mon chef de
section. Nous sommes nombreux de ceux qui ne sont pas sortis. J'ai
toujours fait mon devoir, fait toutes les campagnes. Jamais on a eu à
se plaindre de moi."
Son nom ne figure
sur aucun monument aux morts.
Henri-Jean Prébost,
né le 1er septembre 1884 à Saint-Martin
Félix François Louis Baudy, né
le 18 septembre 1881 à Royère-de-Vassivière, était un militant du
syndicat des maçons et aides de Lyon de la CGT. C'est un maçon
de la Creuse travaillant sur les chantiers de Lyon.
Le corps du soldat Félix Baudy fut
transféré au cimetière de son village natal à
Royère-de-Vassivière dans la Creuse, une plaque fut déposé sur sa
tombe par ses compagnons maçons qui porte cette incription :
"Maudite soit la guerre -Maudits soient ses bourreaux- Baudy
n'est pas un lâche- Mais un martyr".
On fait mettre les 4 condamnés à mort
à genoux et on leur bande les yeux. Félix Baudy arrache le mouchoir
et crie : "Camarades, tirez droit au cœur ! Vous verrez comment
on meurt quand on est français".
Fait exceptionnel, une photo clandestine
de l'exécution est prise par Jean
Combier, artilleur mais aussi photographe professionnel. Ce
cliché distribué individuellement à des soldats n'est retrouvé
qu'en 1976 par le fils de l'auteur.
Les 4 fusillés de Flirey
ont été réhabilités en 1934.
Pierre Louis Marie Le
Bihan, né le 18 juillet 1874 au Dreff à Riantec, marin pêcheur
demeurant à Kerner , Riantec. marié le 15 novembre 1903, marsouin
au 33è RIC, 13è Cie
Le
rapporteur : -Que s’est-il passé le 17 avril au soir, jour de
la relève du Bataillon à Vergny ?
Georges
Caillaux : - Vers 20h30 le suisiniers de la 13è Cie sour les
ordres du sergent major Villenave se sont mis en route pour les abris
de la cote 181.
Le
rapporteur : - Le Bihan faisait-il partie du détachement de
départ ?
Caillaux :
- Au départ j’ai demandé si Pierre était là, quelqu’un a
répondu oui.(…) En arrivant à la tranchée qui barre le col de
Vergny-Courtémont, un coup de feu est parti de derrière nous
environ vingt mètres. Le soldat cuisinier Cartier a été blessé,
nous ne savions pas ce que cela voulait dire. Un deuxième coup de
feu est parti presque aussitôt.
Traduit
le 20 avril 1915 devant le conseil de guerre spécial du 33e R.I.C.,
Le Bihan déclare avoir tiré cinq ou six coups de fusil et s’être
sauvé après les deux premiers. Il avoue avoir tiré sur le soldat
Quefellec qu’il n’avait pas reconnu et explique qu’il a eu peur
sans pouvoir donner les motifs de sa peur. L’adjudant Giraud
témoigne que Le Bihan avait été placé comme aide cuisinier parce
que vieux et maladroit, pour lui éviter les fatigues des tranchées.
Il ne s’est jamais aperçu que ses camarades aient pu le brimer. Le
Bihan avait demandé à quitter son emploi pour reprendre son service
aux tranchées parce que ses camarades les cuisiniers l’embêtaient
et qu’il s’ennuyait parce qu’aucun n’était breton. Le
caporal d’ordinaire Gustave Papin raconte qu’il rentrait au
cantonnement avec ses hommes lorsqu’il entendit une détonation et
un soldat crier : « je suis touché ». Quelques
secondes après un second coup de feu se fit entendre qui blessait le
sergent-major Henri Villenave. Le Bihan se sauva. Papin alla
immédiatement accompagné à l’infirmerie le soldat blessé. Quand
il est revenu, le sergent-major était mort et l’adjudant avait
arrêté Le Bihan. Quefellec, l’un des blessés, était cuisinier
et breton, il causait avec Le Bihan. A sa connaissance, aucun des
cuisiniers n’avait jamais fait de misères à Le Bihan qui n’était
jamais commandé et ne faisait que ce qu’il désirait. Papin
n’envoyait jamais Le Bihan porter la soupe au tranchées, craignant
des accidents. Après le crime il lui demanda : « M’en
vouliez-vous ? » Le Bihan répondit non. « M’auriez-vous
tué aussi ? » « Oui, comme les autres »
répondit Le Bihan. Le cadavre de sa victime lui ayant été montré,
le Bihan dit : « J’ai commis un crime ! »
Le
soldat Kerneur connaissait Le Bihan depuis l’enfance, leurs
demeures étant distantes de 14 km. 48 heures avant le crime, le
jeudi 15 avril vers 16h30, Le Bihan vint trouver Kerneur qui était
en corvée et lui demanda d’écrire une lettre à sa famille, ce
qu’il ne put faire faute de papier. Il lui dit alors : « L’on
va m’envoyer demain sur le front et je serai fusillé » et
voulut lui donner son argent, 10 francs, en lui recommandant de les
envoyer chez lui. Comme Kerneur ne le prenait pas il jeta ses deux
billets de cinq francs sur la route.
Le
Bihan déclare regretter beaucoup son acte et savoir pourtant ce
qu’il faisait. Il dit que c’est un coup de colère et qu’il est
resté en arrière de ses camarades pour tirer sur les cuisiniers et
non sur le sergent major qu’il ne connaissait pas. Il demande qu’on
le mette en prison mais qu’on ne le tue pas.
Rapport
du Médecin-major Foll sur l’examen mental du soldat Le Bihan
(extraits) :
« L’examen
mental de cet homme présente de grosses difficultés. L’homme ne
parle que la langue bretonne. Par suite, il est impossible
d’interpréter les nuances de langage qui peuvent mettre sur la
voie de certaines affections mentales. Point important : cet
homme dit qu’une de ses sœurs a été internée à Lorient pour
troubles mentaux)… L’homme est un alcoolique et présente des
idées de persécution. Ces idées ne forment pas le « d »lire
de persécution » bien caractérisé et sont vraisemblalement
sous la dépendance de l’alcoolisme. Il présente des signes de
vieillesse prématurée. Agé de 41 ans, il est presque blanc de
cheveux et de barbe. Tremblement de la langue, des mains, yeux
brillants, faciès hébété. Il a pu se produire une sorte d’action
décharge, comme il s’en produit chez les alcooliques privés
d’alcool, -et qui peuvent même se produire à la suite d’un rêve
ou d’une halluciantion à l’état de veille… j’estime qu’il
serait nécessaire qu’une enquête complète soit faite dans son
pays. En l’état actuel des choses, il m’est impossible de me
prononcer sur la responsabilité de cet homme. »
Interrogatoire
Le Bihan : « Les cuisiniers m’ont fait peur, j’ai cru
comprendre qu’ils voulaient me manger en salade. J’ai dit ce que
j’ai fait, je ne pense rien dire d’autre. Tous les cuisiniers me
voulaient du mal, ils m’appelaient sale vache et me maltraitaient
continuellement. »
Rapport
du Lt Vergnol commandant la13è Cie :« Le contingent
nouvellement arrivé, composé de territoriaux originaires de
Bretagne et du Midi, et dont l’instruction militaire théorique et
pratique laisse fort à désirer, a été très vivement impressionné
par ces attentats successifs. Dans l’intérêt de la discipline un
exemple s’impose. Il serait donc à désirer que les formes légales
fussent abrégées le plus possible et que le soldat Le Bihan fût
fusillé dans le délai le plus court devant le bataillon
rassemblé. » Rapidement condamné à mort avec dégradation
militaire pour « homicide volontaire », Le Bihan est
fusillé le 21 avril 1915 à 14h à Dommartin-sous-Hans dans la
Marne.
Julien
Arthur Cornuwaël, né le 7 décembre 1887 à
Lille, célibataire, mouleur, soldat au 107è R.I.
Services
: « Vélocipédiste. Sait nager. Déserteur en 1909... Condamné
à deux mois de prison le 22 janvier 1915 » pour abandon de
poste.
Le
17 avril 1915, avant le départ de sa Cie pour les tranchées.
Cornuwaël demanda au Commandant l’autorisation de rester à
Mourmelon pour aller le surlendemain prendre un bain de désinfection
contre les poux. Mécontent qu’on lui refuse il frappe la crosse de
son fusil au sol, ce qui déclenche un tir en l’air.
Selon
les notes d'audience du conseil de
guerre de la 23è DI (28 mars 1915) : « reconnaît
n'avoir pas obéi aux ordres réitérés de ses supérieurs, parce
que, dit-il, il était un peu ivre, et complètement sourd, à la
suite du coup de feu, parti par mégarde, près de son oreille. Dit
qu'il ne se rappelle pas avoir dit à son chef de section : « Je
refuse d'aller aux tranchées car je sais bien qu'on ne pourra que
m'envoyer au bagne ». Son
chef de section, le caporal Boissaud ajoute : « pendant
que je l’emmenais au poste de police, Cornuwaël m’a dit,
s’adressant à moi personnellement : « Je ne voulais
plus aller aux tranchées ; il y a longtemps
que je
cherchais une occasion ».
Par
télégramme
du 23 avril 1915, le Général en chef
prévient que le président de la République a reconnu la nécessité
de laisser la justice suivre son cours à l’égard des soldats
Cornuwaël et Voisin.
Antoine Voisin, né le 1er juin 1891 à Limoges, garçon de magasin, célibataire, soldat au 63è RI.
Engagé
pour 3 ans (le 22 février 1910) au 50è R.I.par sa mère remariée.
Versé au 2è Bataillon d'Afrique (d'octobre 1912 à janvier 1914 en
Algérie et au Maroc). Certificat de bonne conduite refusé. Condamné
au civil pour vol, et en octobre 1911 pour vol d’argent au
préjudice d’un militaire.
Le
7 février 1915, Voisin était ramené à son corps après avoir été
condamné le 5 à trois ans de prison (peine suspendue) pour abandon
de poste. Dès qu’il reçut l’ordre de remonter aux tranchées de
1ère lignes en avant de Jonchéry, il n’obéit pas et retourna à
l’arrière au cantonnement de Mourmelon le grand, où on le
retrouva le lendemain soir, au retour de sa Cie. Dans l’après-midi
du 11 février, Voisin est surpris causant du scandale en tenue
débraillée dans la rue principale du cantonnement. Le sergent
Goudard lui donne l’ordre de renter. Il obtient pour réponse une
bordée d’injures : « Tu es un enculé, un
enviandé » Puis il saisit une chaise et la lança sur le
sergent qui l’évita en s’abritant derrière une voiture. Au
sous-lieutenant Jumancourt qui veut intervenir, il dit en serrant les
poings : « Toi aussi tu veux des châtaignes ? »
Attaché, il continua à invectiver les hommes qui le conduisaient
au poste de police, criant « Les limousins, où sont-il ? »
comme pour appeler au secours. Et « vous êtes tous des
enculés, c’est de votre faute si je suis passé au conseil de
guerre : je m’en fous, qu’on me fusille, je demande la
mort ! » Le 13 février, échappant à la surveillance au
retour des feuillées et profitant de ce que ses gardiens vaccinés
la veille sont diminués, Voisin s’enfuit en sautant la clôture.
Après avoir erré deux jours dans les bois, il fut arrêté le 15
vers 18h par une sentinelle de Verne à qui il demandait à manger.
« Si
j’ai quitté mon corps c’est parce qu’on m’avait enfermé
[dans la cave d’une maison pendant deux jours, où l’on ne me
donnait que du pain] et qu’en raison du froid on ne me donnait rien
pour me couvrir ».
Voisin
est condamné par le conseil de guerre de la 23e DI le 28 mars 1915
au moment même où cette division faisait mouvement pour conduire la
1ère offensive de Woëvre.
Cornuwaël
et Voisin sont fusillés le 24 avril 1915 à Griscourt (Meurthe et
Moselle) 16 heures.
Gaston
Charles Joseph Cohet,
né le 22 novembre
1888, à Annonay, célibataire, ébéniste à Sablons (38), soldat au
131è R.I. Certificat de bonne conduite en 1911. Condamné à 6 mois
de prison, le 2 décembre 1914 par le CG de la 10ème Armée, pour
« lacération d'effets militaires ».
Le 13
mars 1915, en forêt d’Argonne, des obus tombent entre 12 et 14
heures à proximité du campement de la 10è Cie du 131è. Ordre est
donné à la troupe de rentrer aux abris. C’est alors que Cohet
disparaît.
« Je
suis arrivé avec un détachement de renfort à une date que je ne
puis pas préciser. Je n’avais ni poste fixe, ni Cie attitrée.
J’ai été mis auprès d’un ravin, dans une hutte. A un moment
des obus sont tombés. Tout le monde s’est dispersé, j’ai fait
comme les autres… Quand les obus ont fini de tomber, je suis allé
rôder auprès d’autres huttes, je me suis mis avec une section de
brancardiers qui transportaient des blessés et je les ai aidés. »
Vers
17h15 ce même jour, les hommes de la 3è Cie le trouvent errant sans
arme ni équipement dans leur cantonnement. Il interroge
successivement tous ceux qu’il rencontre, demandant le numéro de
Cie, l’âge du soldat, s’il est marié, etc. Interrogé il donne
une fausse identité. Puis il se ravise. Comprenant qu’on va le
ramener d’où il vient il refuse de suivre, prétendant ne pouvoir
marcher malgré la triple injonction que lui fait le capitaine. Les
soldats l’ayant pris par le bras, il se laissa ensuite entraîner
docilement. Le 14 mars, alors qu’il est gardé à vue en attendant
son transfert à la prison divisionnaire, il tente de se précipiter
sur un des soldats armés qui le gardaient.
Cohet
était arrivé sur le front le 11 mars venant du dépôt d’Orléans
par un détachement de renfort de quelques hommes seulement. Son
caporal avait reçu la consigne de le surveiller particulièrement,
car ses chefs le soupçonnaient de simuler la folie ; parti
d’Orléans le 10 mars, il s’échappa du train en gare de
Joinville et alla se cacher dans la halle aux marchandises où il fut
découvert trois heures plus tard par la gendarmerie.
« Si
j’avais pu me sauver, je l’aurais fait… parce que je ne tenais
pas trop à aller me faire tuer ».
Il dit
qu’il a été désigné pour partir sur le front alors que ce
n’était pas son tour, ignorant qu’il s’agit d’une mesure
disciplinaire.
Cohet
est condamné à mort, le 24 avril 1915 par le CG de la 9ème DI.
malgré 3 avis médicaux atténuant sa responsabilité : « ...la
guerre actuelle est pour lui comme une sorte d’épiphénomène qui
lui vaut des contraintes auxquelles il reste à peu près étranger
et ne s’associe pas ; « les journaux disent qu’on est
en guerre », il n’en sait pas plus long et il lui est
indifférent d’en savoir plus long. Cohet est atteint de confusion
mentale chronique symptomatique de démence précoce. Il n’est pas
responsable des actes qui lui sont reprochés. » et
contre-expertise : Il parle comme s’il ne se rendait
nullement compte de la situation actuelle. Il ne comprend pas qu’on
le fasse passer au conseil de guerre. Il s’étonne qu’on ne lui
laisse pas d’argent et il réclame sa solde. Il dit : « je
n’ai pas demandé à être en prison moi ». Il s’insurge
contre ses gardiens qui lui mettent le soir des fers ; « J’ai
failli envoyer une calotte au gendarme, dit-il, hier ». Il
répète aussi souvent ; « on m’empêche de me
débrouille, qu’on me lâche ».(…) Cohet présente un
trouble intellectuel de nature organique, préexistant peut-être à
la guerre, plus probablement déclenché par le surmenage
intellectuel qu’impose la bataille, en tout cas de nature à
limiter la responsabilité de cet homme. »
Cohet
est fusillé le 25 avril 1915 à 8h du matin, à Le Claon (Meuse),
avec les soldats
Jules
Alphonse Thierry, né le 12 septembre 1892 à
Saint-Germain-lès-Arpajons (91), célibataire charretier, marchand
de chevaux, soldat au 82è R.I.
Le 17
janvier 1915, vers 14h, Thierry tente d’emboîter le pas à un
agent de liaison envoyé rendre compte de l’avancée de l’attaque
allemande qui menaçait de prendre sa tranchée. Son caporal
d’escouade le rattrape à temps, et le menace de l’exécuter s’il
ne reprend pas son poste. Un quart d’heure plus tard, la Cie ayant
reçu l’ordre de reculer pour occuper un nouveau front, Thierry
disparaît dans le bois et arrive aux cuisines du régiment,
accompagné de deux autres hommes, Lambert et Colombo. Là, il dit à
l’adjudant Maréchal chargé de la surveillance : »C’est
pas la peine de porter à manger au bataillon, tout le monde s’est
sauvé. » L’adjudant lui ordonne d’aller rendre compte au
poste de commandement du Chef de Bataillon. Il part dans cette
direction, mais dès qu’il est hors de vue, oblique vers la Maison
Forestière, aux alentours de laquelle il trouve une fourragère sur
laquelle il monte avec ses deux compagnon. Il arrive ainsi aux
Islettes dans la soirée. Il y passe la nuit et le lendemain vers 10
heure se rend à la Prévôté, dans l’intention d’être
reconduit à son corps. Arrivé aux cuisines, il retrouve l’adjudant
maréchal qui lui enjoint de rejoindre sa Cie, sans quoi il le fera
conduire au colonel entre deux homme armés. Il prend la direction
des tranchées, mais, dit-il, surpris par la nuit, s’arrête dans
un abri proche du poste de commandement et ne rejoint son unité
qu’au matin du 19.
« Il
est noté comme soldat douteux, ayant mauvais esprit, tireur au
flanc, obéissant difficilement et toujours sous la menace. Il y a
lieu d’observer cependant qu’au moment où il a commis la faute
qui lui est reprochée, les hommes étaient fatigués et que des
unités voisines de la sienne ont légèrement fléchi. »
Adjudant
Maréchal : « Dans la journée du 17, j’ai arrêté
environ une quinzaine d’hommes qui se trouvaient dans la situation
de Thierry. Il y a donc eu sûrement une petit moment de panique dans
les compagnies. »
Ce qui
s’est passé après le 17 février reste assez mystérieux. Le 5
avril le commissaire rapporteur émet une commission rogatoire pour
s’assurer de la régularité de la situation du soldat Thierry,
évacué (indûment, dit-il) le 17 février sur un hôpital de
l’arrière, et qu’il soupçonne d’avoir quitté le convoi
sanitaire en cours de route. Comment Thierry se retrouve-t-il dans un
hôpital de la Haute Vienne, et surtout à la suite de quelles
circonstances ? Aucun éclaircissement ne sera apporté à
l’instruction. Il ne figure au dossier qu’un rapport de
gendarmerie relatant l’interrogatoire de sa mère : « Mon
fils, Alphonse Thierry, soldat au 82è R.I. est entré à l’hôpital
de Le Dorat (Hte Vienne) à la suite d’une blessure à la jambe par
une balle, il y a environ un mois et demi. Il est venu en permission
de 7 jours expirant le 1er avril. Ce jour-même, il a rejoint le
dépôt de son régiment à Montargis, et j’ai reçu de lui ce
matin-même une lettre datée du 3 avril, nous informant qu’il est
à la 27è Compagnie ».
Le
genre de mort n’est pas renseigné sur sa fiche de décès. Mort
pour la France.
Clément
Gustave Proust, né le 24 janvier 1888 à Villedieu-en-Beauce
(41), célibataire, maçon, soldat au 113è R.I.
« J’ai
quitté Le Claon pour aller au Neufour acheter du vin. J’ai
rencontré un camarade et j’ai bu avec lui. Je suis ensuite rentré
au Claon mais je me suis aperçu que mon bataillon était parti dans
les tranchées. J’ai perdu la tête et je me suis dirigé à
travers les bois où je me suis perdu. J’ai erré dans la forêt
pendant plusieurs jours, je mangeais très peu. J’ai rencontré des
soldats bûcherons qui m’ont arrêté. »
Le 18
mars 1915, dans la soirée Proust disparaissait du cantonnement de sa
compagnie au Claon. Il était porté manquant à minuit ce même jour
au moment du départ pour les tranchées. A 18h ce jour là Proust
avait été vu par le soldat Nail au Claon en état d’ivresse. Le
19 mars il vit au Neufort les soldats Barthélémy et Laboureau de
son régiment auxquels il raconta qu’il était passé au génie,
qu’il y était employé pour creuse des sapes et qu’il se
trouvait au repos. Le lendemain Proust se dirigea sur Les Islettes.
Le 3 avril Proust se présenta dans la bois de Clermont à des
charbonniers qui y travaillaient pour leur demander à manger. La
scène s’étant reproduite le soir, ces soldats bûcherons
l’emmenèrent à la Prévôté.
Considéré
peu soigneux dans sa tenue, selon ses chefs, Proust n’avait jamais
fait montre de mauvais esprit, son principal défaut étant de se
livrer à la boisson.
Victor Léon
Gabriel Prieur, né le 13 février 1892 à Paris 18è , 2è
classe au 13e bataillon de chasseurs à pied, n’est connu que par
sa fiche de décès qui porte la mention « fusillé » le
25 avril 1915 à Wesserling (Alsace).
Louis Eugène Bertrand, né le 6 juin 1894 à Belfort, dragon au 11è R.D. « Condamné à mort. Fusillé » le 30 avril 1915 à Juvigny (Marne). Pas de dossier de jugement.
Mai
Hameri Ben Mohammed Ben
Cherghi, né en 1885 à Maadid (Algérie),
cultivateur à Témala, 3è RTA, 9è Cie
Motif de la punition encourue le 24
février 1915 : « S’est absenté du cantonnement sans
autorisation pour aller acheter du tabac au village voisin. Ayant
rencontré au retour un jeune garçon, a tenté en le menaçant d’un
couteau, de se livrer sur lui à un acte de pédérastie.
Le 18 mars, ben Cherghi est absent de la
tranchée de 1ère ligne en avant du village de Mesnil où sa Cie a
pris place. Il dit s’être joint à la section de mitrailleuses du
9è Tirailleurs parce qu’il n’y avait pas assez de place à
l’endroit occupé par sa section dans la tranchée. Il serait en
fait resté en arrière dans les journées des 18, au village du
Ménil où il a été aperçu par un cuisinier, et les 19 et 20, dans
des tranchées de 2è ligne où il a été vu par des agents de
liaison de la 9è Cie, entre autre couché avec d’autres
tirailleurs de la même Cie revenus eux aussi vers l’arrière.
Adjudant-chef Cusin : « Le 20
mars vers 24h, alors que la Cie était relevée des tranchées de
première ligne, je pris la tête de la Cie pour reconnaître
l’emplacement que devait occuper mon unité pour le rassemblement
du bataillon. Arrivé vers le poste de secours (300 ou 400m de la
1ère ligne) je vis plusieurs tirailleurs couchés dans un boyau.
Croyant à des blessés, j’en interrogeai un, lui demandant où il
était blessé, et à la lueur d’une fusée, je reconnus Ben
Cherghi qui avait disparu de ma section depuis le 16. Il n’était
nullement blessé et ne put expliquer sa présence en cet endroit. »
Ben Cherghi :
« … je tiens à vous dire que l’adjudant m’en veut, que
je suis l’objet de brutalités constantes de sa part, et que depuis
que je me suis battu avec un jeune tirailleur européen, ilm’a
battu à plusieurs reprises. Le jour où il m’a trouvé dans la
tranchée il m’a menacé de son revolver et arrivé au village m’a
encore battu. Toute la Cie en a été témoin. Tout le long de la
route j’ai reçu des coups. »
Confrontation le 12
avril :
Ben Cherghi :
« Zaouach sait bien que j’ai été frappé par l’adjudant
Cusin dans maintes et maintes circonstances sans raison. »
Zaouach : « Il
est vrai que l’adjudant Cusin l’a battu, mais pas plus que les
autres. Les gradés nous frappent tous dans le service. »
Sergent
Ouzerkak : « Je n’ai jamais vu l’adjudant-chef
Cusin le frapper qu’une seule fois, quand il a voulu abuser d’un
enfant, il y a un mois environ. »
Ben Cherghi :
« C’est un heure ou une heure et demi après qu’Ider m’eût
rejoint dans le boyau que l’adjudant Cusin est survenu disant que
la Cie allait descendre, et nous a battus en nous demandant ce que
nous faisions.
Ider : « Je
n’ai pas entendu l’adjudant dire que la Cie allait descendre ;
il nous a seulement demandé ce que nous faisions là et nous a donné
des coups. »
Avis du colonel
Vrénière commandant la 96è brigade : « Les tirailleurs
d’aujourd’hui ne sont pas les Turcs de 70. Si nous voulons
pouvoir compter sur eux, il faut que les actes de lâcheté soient
punis avec la dernière sévérité : les francs-fileurs qui
reviennent après la bataille sont trop nombreux et des exemples
s’imposent.
Abdallah Ben Takar Radjai, né
en 1893 à Nechtab (Algérie), tirailleur au 3è RTA, 9è Cie
Le 16 mars 1915, le tirailleur Radjai
est resté blotti dans la tranchée d’où sa section était sortie
depuis 5 minutes pour se déployer et marcher à l’assaut. Le
sergent Bourrat l’y trouva tremblant et paraissant complètement
démoralisé. Le 18 mars, sa Cie marchant aux tranchées de 1ère
ligne par un boyau, Radjai s’arrêta disant au sergent de sa
section qu’il avait un besoin à satisfaire. Les sergents des 3
autres sections l’ont vu les uns après les autres, blotti dans le
boyau. Quoiqu’ils lui enjoignissent tous d’avancer, il demeura
sur place. Enfin, le 20 mars, le tirailleur Mira, ayant reçu l’ordre
d’aller chercher des vivres dans les tranchées de 2è ligne,
aperçut Radjai accroupi dans le même boyau. Sur l’indication de
l’emplacement de sa Cie donnée par Mira, il se décida à la
rejoindre.
Radjai était représenté comme un
soldat discipliné, doux et tranquille, mais manquant d’énergie et
d’initiative. Il avait déjà pris part à divers combats au Maroc
et en France, notamment à Soissons et à Soupir et s’y était bien
comporté.
Ben Cherghi et Radjai sont condamnés le
30 avril 1915 par le CG de la 48è DI et fusillés au fort du
Rozelier à Verdun le 1er mai 1915 à 7h .
Germeuil Georges Louchard, né le
17 décembre 1890 à Oucques (41), soldat au 113è R.I., 8è Cie,
« condamné à mort pour abandon de poste et exécuté »le
4 mai 1915 sur la route du Claon (à Florent, à l'ouest du pont de
la Biesme). Fiche de décès seule.
Charles Auguste
Legreu, né le 7 septembre 1892 à Paris 10è, ouvrier
métallurgiste, célibataire, chasseur au 1er BMILA
Rapport : « Le
12 février 1915, vers 7 heures à El Guettaf, au rassemblement en
armes de la section, le chasseur Legreu recevait du sergent Fafiotte
(Jean Lazare) l’ordre de rectifier sa tenue en tous points
déplorable : il ne bougea pas. A la deuxième injonction :
« Vous me faites chier, s’écria-t-il, enculé, fainéant ! »
[selon le chasseur Mortreuil, « J’en ai assez bande
d’enculés »] , puis saisissant son fusil par le bout du
canon, il le brandit au-dessus de sa tête et allait en frapper le
sous-officier qui n’évita le coup qu’en se jetant vivement en
arrière : « Buveur de sang, disait-il, viens là, je vais
t’arranger ! » Simulateur habile… l’inculpé ne
répond à son interrogatoire que par des paoles incohérentes,
gestes désordonnés, signes apparents de déséquilibre mental chez
un sujet sanguin au caractère impulsif et brutal… Chemineau sans
scrupule, il vécut d’expédients avant son incorporation et eut
maintes fois maille à partir avec la justice. Au régiment, où il
ne vint que de force, il s’appliqua à mal faire, toujours sous un
faux air idiot. Les chefs qui l’observèrent patiemment et avec
bienveillance ne veulent plus être dupes. Il a fait preuve devant le
médecin et devant nous d’une rare insolence. »
« Le sergent a
voulu me frapper… C’était la veille, il n’y avait pas de
témoins… je ne sais pas pourquoi ».
Le lecture du
rapport médical nous enseigne que le médecin expert, prenant peur
devant un geste de menace a cru opportun de faire ligoter de soldat
Legreu et de le placer sous sédatif durant plusieurs jours avant de
procéder à son interrogatoire. Il en ressort que Legreu n’a
jamais connu son père, que sa mère n’a pas pu s’occuper de son
éducation, bien qu’il sache lire et écrire. « Au point de
vue physique il semble exceptionnellement vigoureux ; trapu,bien
musclé avec les épaules proéminentes et le cou, très large,
enfoncé. »,
Les divers
témoignages des autres chasseurs ne sont pas conformes à
l’interprétation à charge du rapporteur. Selon Le Champion,
Legreu aurait omis de faire-demi tour pour l’inspection des
cartouches, Fafiotte lui aurait alors fait remarquer que ses
bretelles de suspension étaient tortillées… Ce Le Champion n’a
rien entendu des paroles prétendument prononcées. Comme Mortreuil,
il a vu le geste mais ne paraît pas croire qu’il ait voulu
frapper, mais Legreu reconnaît avoir voulu frapper même s’il
maintient n’avoir rien dit. Le relevé de punition semble démontrer
que Legreu était coutumier des insolences vis-à-vis des gradés, et
« qu’il ne cesse de tenir des propos malsonnants, ce qui
provoque l’hilarité de ses camarades » (novembre 1914) Le 11
janvier 1915, refusant de laver ses effets il répond au Lieutenant
appelé pour le contraindre, « vous me prenez pour un con »,
3 jours plus tard il refuse de prendre la garde assurant qu’on ne
lui a pas donné de vin, et que ses camarades ont menacé de le
battre.
Condamné le 27
avril 1915 par le 1er CG de l’Amalat d’Oujda, Legreu
est fusillé à Oujda le 4 mai 1915.
Charles Georges Seyler, né le 3
mars 1892 à Saint-Dié-des-Vosges, boulanger à Hurbache,
célibataire, chasseur au 1er B.C.P. 3è Cie, déjà condamné à 3
ans de Travaux publics le 19 octobre 1914 pour désertion à
l’intérieur et escroquerie.
CG de la 43è DI (29 avril 1915), notes
d’audience : « Le 4 mars 1915, vers 16 heures, un obus
étant tombé sur la tranchée où [Seyler] se trouvait, il quitta
ces tranchées [plateau ND de Lorette, tranchée des spahis] à la
suite d’une panique. Il franchit le dos de la tranchée pour courir
au boyau… Dans le boyau il arrêta quelques minutes pour voir si
ses camarades suivaient. Il fut blessé dans le grand boyau. Il se
retira après avoir emprunté le boyau jusqu’à la Faisanderie puis
jusqu’à Noeux sans se présenter à aucun poste de secours. Il
avait été blessé au genou par une motte de terre. A Noeux il vit
au train de combat le sous-lieutenant Rafessin, lequel ne lui dit pas
de se présenter à qui que ce soit. Quand a-t-il reçu un coup de
baïonnette qu’il a invoqué pour se justifier ? Il ne peut
dire s’il a reçu un coup de baïonnette ou s’est pris dans un
hérisson en escaladant le parados. Son peloton n’était pas
destiné à attaquer, c’était l’autre peloton qui était
désigné.
Examiné le 10 mars,
Seyler n’est affecté que par une ecchymose de la taille d’une
pièce de 1fr.
Avis du général
commandant la 86è brigade : « On ne peut tolérer qu’un
individu venant des travaux publics, vienne donner ce détestable
exemple à nos chasseurs. »
Seyler est fusillé
à Noeux-les-Mines le 4 mai 1915 à 5h.
Sedd-Ul-Bahr
(Turquie) 4 mai 1915
arrivée
des troupes françaises dans le détroit des Dardanelles
La bataille de Sedd-Ul-Bahr se déroule
du au pendant l'expédition des Dardanelles et au cours de laquelle
les forces franco-britannique débarquent dans la péninsule de
Gallipoli.
Commencée triomphalement avec le Corps expéditionnaire d'orient
constitué principalement du 175è R.I. et du 1er RMA (régiment de
marche d'Afrique constitué de zouaves et de légionnaires, qui
portera ensuite pendant la guerre civile russe sur leur drapeau la
mention honorifique Sedd-Ul-Bahr 1915) la campagne contre l'Empire
Ottoman s'achèvera par une défaite sanglante en juin.
Comme ailleurs, cette campagne se solde
par un certain nombre de condamnations à mort prononcées par un CG
spécial du quartier général du C.E.O. : Les seuls soldats exécutés
répertoriés appartiennent tous au 4è RMIC. On se bornera à
remarquer qu'ils étaient tous originaires d'Afrique Noire, donc
probablement supposés suspects par la hiérarchie.
Bara Bada, né à Boliga
(Sénégal)
Taroré Baziri, né à Ségou
(Sénégal)
Véo Katio, né à Gorgan
(ancienne Abyssinie?)
Dioup Maqui, né à Sin Salou
(Sénégal)
Loulibaly Sory, né à Hati
(Soudan)
Tampsada Tidaogo (son nom est
celui de son lieu de naissance au Sénégal)
Dans le seul document conservé (notes
d'audience du 3 mai 1915) qui fait état de leur défense, on croit
comprendre que ces soldats se sont retrouvés sans chef ni munitions,
incapables de rejoindre leur unité, ou arrêtés, leur fusil saisi
par les gendarmes avant de pouvoir regagner le bateau :
Frédéric Jean Sert,
né
le 14 septembre 1875, à Oz (Isère),
cultivateur,
du 35ème RIC
Réserviste
rappelé. Déclaré « Bon absent, dispensé, art. 21: frère au
service ». Insoumis le 8 septembre 1914, arrêté le même
jour, il est acquitté par le CG de la 14ème Région comme non
coupable d'insoumission le 9 octobre 1914. Condamné à 5 ans de
prison le 14 janvier 1915, pour « abandon de poste sur un
territoire en état de guerre » Transféré au 35ème RIC le 16
janvier 1915.
Il refuse le 1er
avril 1915 d'obéir aux ordres de ses supérieurs, dans les tranchées
de Richecourt.
« Passé
par les armes » le 5 mai 1915, à Jouy sous les Côtes (Meuse)
selon sa fiche de décès.
Edouard Schneider, né le 2
juillet 1892 en Suisse, soldat du 2è Rgt de Marche du 1er Etranger,
mort le 6 mai 1915 à Mont-Saint-Eloi (Pas de Calais). « Tué à
l’ennemi ». Mort pour la france.
Jean-Baptiste Georges Bourcier,
né à Poitiers (Vienne) le 1er septembre 1871, marié en 1908,
forgeron à Marseille. Rappelé sous les drapeaux à la mobilisation,
le caporal de réserve Bourcier rejoint à Nice le 7è bataillon
territorial de chasseurs. Promu sergent au sein de la 2è Cie le 6
avril 1915, il combat dans le secteur de Breitfirst (Haut-Rhin). Le 5
mai 1915, il commande un poste avancé en haute vallée de la Fecht
(au nord est de Schnepfenriedwasen). Vers 21h, croyant à une attaque
adverse alors qu'il s'agit en fait de l'arrivée d'une équipe de
corvée, il fait ouvrir le feu par ses hommes, quitte son poste
terrorisé et disparaît. Le lendemain matin à 6h il se présente
seul à Bretfirst en état de choc au colonel Guillebon en présence
du lt Jullien, et explique que son poste a été enlevé dans la nuit
par les Allemands et qu'il s'est enfui pour éviter d'être fait
prisonnier. Le colonel Guillebon le fait traduire le soir-même
devant un CG spécial du 7è BCP, qu'il préside lui-même, et qui le
condamne à mort.
Jean-Baptiste Bourcier ne cessera de
clamer sa bonne foi, comme dans la lettre qu'il écrit à sa sœur la
veille de sa mort :
« Le lieutenant arrive. Il
commence à faire nuit. J'assure le service en faisant remplacer les
sentinelles. Alors le lieutenant se décide à faire retourner les
hommes pour chercher de la paille et des planches. Les hommes partent
et le lieutenant reste environ une demi heure ou trois quart d'heure
(...) Enfin les hommes arrivent à tour de rôle, qui tombant, qui
trébuchant souvent. Je les fais rentrer de suite dans l'abri qui
n'est pas terminé. Ils se querellaient et allumaient même des
allumettes de temps en temps. Alors, je me fâchai, les menaçant de
les faire relever. Alors, ils ne dirent plus rien.
Lorsque, en me retournant pour
chercher mon petit abri que je m'étais fait, je trébuche sur un
homme couché au pied d'un sapin. Je me baisse et le réveille, ne
sachant à qui j'avais à faire parce qu'on ne voyait rien. Alors
j'entends du bruit du côté où étaient montés les hommes. Je
réponds à l'homme que j'avais reconnu, celui qui dormait : « Prends
vite ton fusil, ce sont les boches ». A ce moment les boches
arrivent. Je ne peux pas évaluer le nombre, car on n'y voit pas. Je
dis aux hommes : « Vite, vite, votre fusil, ce sont les
boches ».Ils font comme ils peuvent et nous faisons le coup de
feu. Lorsque les boches qui sont montés sur notre abri nous crient
« Camarades, camarades ». Moi au contraire je dis aux
miens de tirer lorsque au contraire il y en a parmi les miens qui
leur répondent aussitôt « Camarades, camarades » en
levant les bras en l'air, surtout mon voisin et bien d'autres que je
ne cite pas, car ce serait criminel de les accuser de lâcheté.
Quand j'ai vu ça, qu'ils se rendaient comme ça, moi qui les excite
à tirer, je n'ai pas hésité à me faire la belle, surtout quand je
me suis senti prendre mon fusil par le canon, alors je me suis sauvé
au lieu d'être fait prisonnier comme les autres. Maintenant, comment
se fait-il que le poste ne fut pas emmené, je n'en sais rien, car le
lendemain ils y étaient tous. Et bien l'on m'accuse d'avoir
abandonné mon poste : je ne sais ce qui en résulte, mais en tout
cas, quoi qu'il arrive, que je sois mort ou condamné, je ne crois
pas que ce soit par lâcheté ».
Jean-Baptiste Bourcier est fusillé à
Breitfirst le vendredi 7 mai 1915 à 5h30. Refusant qu'on lui bande
les yeux sur le poteau d'exécution, il dit au commandant :
« Regardez-moi bien en face mon commandant ; ce n'est pas un
lâche que vous faîtes fusiller, mais un innocent. »
Une croix sans nom fut mise sur sa
tombe. Deux jours plus tard, un cœur en cuivre était cloué en
cachette sur cette croix anonyme avec l'inscription « sergent
Bourcier, mort à l'ennemi" » Son nom ne figure sur aucun
monument aux morts, alors qu'il a été réhabilité.
JMO du 3e BILA
(Prévôté 45e DI) - 10 Mai 1915 : "Le gendarme à pied
Schneider reçoit par la voix “de l’ordre” les félicitations
du Gal commandant la division pour avoir le 10 mai fait preuve
d’énergie en abattant d’un coup de carabine un Caporal du 3e
BMILA surpris en train de piller une maison à Elverdinghe et qui
fuyait sans s’arrêter aux sommations du gendarme”. Il s'agit du
caporal
Henri Edouard Alphonse
Fidelin, 3è BILA, né le 28 novembre 1892 à Limpivile
(76), donné comme "tué à l'ennemi" à Boezingue
(Belgique) le 11 mai. Mort pour la France. Fidelin ne figure pas dans
la base officielle des fusillés qui recense pourtant quelques
« exécutés sommaires ».
Marie Ange Dreneuc,
né le 19 juin 1882 à Hénon
(Côtes du Nord), 2è classe au 71è R.I.
Avant de partir à la guerre, Ange
Dreneuc était ouvrier dans une cimenterie de Guerville près de
Mantes-la-Ville, où son nom est encore inscrit, aujourd'hui, sur un
monument aux Morts. Ange Dreneuc est officiellement tombé le 11 mai
1915 en pleine bataille de l'Artois, près de Roclaincours. D'abord
porté disparu, puis officiellement déclaré mort le 9 avril 1921.
Mais Solange Hervé Banki sait que la vérité n'est pas si lisse :
ce que la famille pressentait, sa maman en a eu confirmation il y a
une quarantaine d'années, avec une tante qui lui affirme avoir
appris que Ange avait été fusillé. « Tante J. était
une sœur de mon grand-père, plus jeune que lui de 20 ans, ce qui
arrivait souvent dans les familles nombreuses en Bretagne. Cette
tante lui a donc raconté que mon grand-père était venu peu de
temps avant sa mort en permission et qu’il aurait parlé d’une
offensive qui se préparait mais qu’il s’y refuserait ; son
père l’aurait alors mis en garde : « Fais attention à
toi ! Ils t’auront ». Avant sa mobilisation mon
grand-père, ouvrier à la cimenterie de Mantes était syndicaliste
et faisait vraisemblablement partie de ces pacifistes qui se sont
laissé entraîner à la guerre, parfois même comme on le sait « la
fleur au fusil »- »
Pour Solange Hervé Branki, Ange Dreneuc
a donc été sommairement abattu au milieu du carnage, parce qu'il a
confié ses états d'âme quelques semaines plus tôt. Dans le petite
tas de lettres échangées presque chaque jour avec son épouse,
l'une, datée de la fin avril 1915, lui apprend le décès de sa
petite fille, victime d'une méningite : c'est le probable
élément déclencheur de son insoumission. « Tué à
l’ennemi » : Mort pour la France. Inscrit au monument
aux morts de Mantes-la-Ville. Ange Dreneuc ne figure pas dans la base
officielle des fusillés.
Camille Blot, né le 4 juillet
1887 à Amiens, cordonnier, célibataire, soldat au 72e R.I.
« Samedi 24 courant, vers 8 heures
du matin la 2è Cie… était tombée en partie aux mains de
l’ennemi, j’ai abandonné mes armes et mon havresac et je me suis
sauvé en empruntant un boyau. J’étais à ce moment aux Eparges.
J’ai erré dans les bois de la région pour venir échouer à
Sommedieu hier soir 26 courant ».
Lieutenant Potencier, commandant la 3è
Cie du 72è : « Je reconnais qu’il est parfaitement
exact que la 4è section à laquelle appartenait le soldat Blot a été
envoyée en renfort de la 2è Cie le vendredi 23 avril à 18h et a
été mise hors de combat. Mais les survivants ont rejoint ma Cie et
si le soldat Blot ne les a pas suivis, c’est qu’il a abandonné
son poste, ce dont il était parfaitement capable. En effet, la
manière de servir du soldat Blot, ex-caporal cassé pour faute
contre la discipline, a toujours laissé à désirer et los du séjour
de son régiment à Riaville il avait déjà abandonné son poste le
dernier jour de l’occupation. J’avais le soldat Blot à l’œil
et je doutais fort que sa disparition s’expliquerait par une
désertion prévue ».
CG de la 3è DI (10 mai 1915) :
abandon de poste en présence de l'ennemi. Les 5 juges présentent
une demande de recours en grâce à l’issue du procès. La réponse
ne figure pas au dossier.
Blot est fusillé au champ de tir de la
Blancharderie à Verdun (55) le 12 mai 1915 à 6h.
François Marie
Bihouise, né le 10 juillet 1878 à Coët er sach, Camors
(Morbihan), profession : scieur de long, soldat du 88e R.I.
JMO 88e RIT mai 1915 - P 5 : « Le
soldat Bihouise de la CHRA employé comme perruquier à Blangy les
Fismes où était cantonné le service de ravitaillement du rgt tire
un coup de feu avec son fusil sur le Sous-Lt Grillet qui n’est
atteint que légèrement à l’épaule gauche. »
« Je reconnais qu’hier soir vers
18h30 j’étais en état d’ivresse, mais je ne me souviens plus de
rien. Ce matin, vers 6 heures, le sous lieutenant Grillet me faisant
des observations au sujet de mon état d’ivresse de la veille, m’a
dit que si je recommençais il me ficherait une balle dans la peau
avec son revolver… Mécontent des propos de cet officier, je me
suis aussitôt proposé de lui tirer un coup de feu à sa rentrée de
Fismes, et dans ce but j’ai chargé mon fusil à 3 cartouches.
J’affirme que je n’avais nullement l’intention de le tuer mais
simplement de lui faire peur. Lorsque j’ai tiré, j’étais assis
sur une chaise sous un pommier situé dans le jardin à 15 mètres de
lui. »
Incarcéré immédiatement à la prison
militaire de la 36e DI à Maizy, Bihouise est jugé par un CG
spécial (flagrant délit) sous l'inculpation de tentative
d'assassinat avec préméditation et guet-apens.
Bihouise est fusillé le 13 mai 1915 à
Glennes (Aisne) à 4 heures.
Fernand
Charles Pelleton, né le 14 mai 1915 à Paris, vendeur de
journaux domicilié à Hénonville, soldat au 54è R.I. Absent 2
jours et 16 heures à compter 24 décembre 1914 de la tranchée de
Calonne, condamné à deux ans de prison par un CG spécial du 54è
R.I. (jugement suspendu)
Lors de l’attaque
des Eparges, le 19 mai 1915, vers 5 h du matin, le 1er bataillon du
54è R.I. prenait position à laa crête nord de Montgirmont. Le
sous-Lieutenant Voyez s’apercevait vers 8 heures de la disparition
su soldat Pelleton, qui avait abandonné sur place son sac et son
fusil. Le surlendemain, vers 9h, le soldat Devaux, du même régiment
rencontrait dans les rues du village de Trésauvaux Pelleton, la tête
ceinte d’un bandeau ; Pelleton lui raconta qu’il avait été
blessé d’un éclat de pierre à la tête à la suite de
l’éclatement d’un obus, alors qu’il se trouvait encore à la
crête de Montgiront et ajouta qu’il alla remonter vers 11h à la
Cie, ce qu’il ne fit pas. Le lieutenant Maillot, commandant la 3è
Cie fit alors demander au sous-Lieutenant Guilbert, chargé d’assurer
la police du cantonnement au village de Trésauvaux, d’appréhender
Pelleton, ce qui fut fait le 25 au matin, soit le 7è jour de sa
disparition. Pelleton était resté entre temps avec des cuisiniers
de la section de mitrailleuse dont il ne connaît pas les noms,
couchant dans une grange qu’ils occupaient.
« Pour se
défendre, Pelleton déclare simplement qu’étant mouillé par une
nuit de pluie, il était descendu à Trévausaux pour se réchauffer
et se sécher ; qu’il n’avait pas rejoint ensuite par
crainte des sanctions. Il fit connaître à l’instruction qu’étant
tombé sur un arbre abattu, il s’était fait une simple
égratignure, mais qu’il saignait, ce pourquoi il s’était servi
de son pansement individuel. Enfin pour expliquer sa conduite
générale, il déclare : « Avant ma première
condamnation, un obus était tombé près de moi et m’avait rendu
comme fou, parce que mes camarades étaient déchiquetés. Depuis,
j’ai peur des obus : tout le monde le sait bien à la Cie ».
CG de la 12è DI
(13 mai 1915) aucun des trois témoins prévus n’assiste tous ayant
été soit blessés soit portés disparus fin avril.
Pelleton est
fusillé le 14 mai 1915 à 4 heures du matin à Rupt-en-Woëvre
(Meuse).
Marin Hubert Maillet, né le 13
janvier 1880 à Averdon (Loir et Cher), soldat au 113è R.I.,
condamné à la peine de mort et à la dégradation », fusillé
le 15 mai 1915 à Le Claon sans trace de procédure.
Blaise Billard, né le 28
novembre 1893 à Saint-Etienne est « fusillé » le 15 mai
1915 à 21 ans à Gérardmer (88) en compagnie de
Eugène Lucien Emery, né le 12
juin 1891 à Lyon 5è, célibataire, employé de bureau, tous deux
chasseur au 14è B.C.A. (fiche de décès « Excécuté »
sic)
André Albert Lecroq né le 7
février 1880 à Saint Léonard près de Fécamp, ancien verrier à
Blangy (enfant assisté, comme on désigne à l'époque les pupilles
de l'enseignement forcé, en l’occurrence les enfants qu'on
envoie tenir les moules des verriers). Albert Lecroq, 1,62m, marié,
un enfant, est décrit comme de constitution faible lorsqu'il est
mobilisé au 39è R.I. Il subit avec ses camarades un bombardement de
plus de 36 heures dans l’Aisne, au secteur dit La Ferme du Choléra
(Mont-Doyen). Le 10 mai 1915, à la suite d’une forte explosion qui
le commotionne sérieusement, il craque et part vers l’arrière
sans ordre. Intercepté par le commandant De Lignières, il lui
déclare faussement que les allemands ont investi la tranchée (des
témoins invoqueront le fait qu'il paraissait n'avoir plus toute sa
tête) Il est arrêté pour abandon de poste en présence de
l’ennemi. Quoique son lieutenant le décrive comme « bon
soldat » lors du procès, il est condamné à mort le 18 mai
par une courte majorité de trois voix contre deux et fusillé le
jour même, 16h30 à Vrigny dans la Marne, accompagné des pleurs des
gendarmes et des officiers, selon le témoignage de l’aumônier.
(N'est-ce pas touchant ?) Un soldat blangeois désigné pour faire
partie du piquet d'exécution aurait dû être remplacé, victime
d'une crise de nerfs.Réhabilitation refusée.
Lecroq est devenu une image iconique de
l'injustice militaire malgré les pleurnicheries des assassins, car
c'est probablement à lui que se réfère Dorgelès, mobilisé
également au 39è R.I. et donc témoin de l'exécution de Lecroq et
de Dussaux (sinon de celle de Carpentier).
Roland Dorgeles en 1915
Dans une conférence donnée à
l’Université des Annales le 5 février 1932 Roland Dorgelès,
déclara : « Je vous disais que dans Les Croix de Bois,
j’ai toujours tenu, au lieu de me soumettre aux faits, à recréer
la vérité. Pourtant, il y a un chapitre, le plus court, juste trois
pages, qui n’est que le reportage fidèle d’un événement dont
tous les survivants du 39e ont gardé le souvenir. Je veux parler de
cette exécution d’un soldat qu’on traîna au poteau et qui
hurlait devant ses camarades épouvantés, appelant ses enfants, nous
suppliant de demander sa grâce ».
Extrait : Mourir pour la Patrie (Les
Croix de bois (1919), chap. IX)
Non, c’est affreux, la musique ne
devrait pas jouer ça…
L’homme s’est effondré en tas,
retenu au poteau, par ses poings liés. Le mouchoir, en bandeau, lui
fait comme une couronne. Livide, l’aumônier dit une prière, les
yeux fermés pour ne plus voir.
Jamais, même aux pires heures, on n’a
senti la Mort présente comme aujourd’hui. On la devine, on la
flaire, comme un chien qui va hurler. C’est un soldat, ce tas
bleu ? Il doit être encore chaud.
Oh ! Être obligé de voir ça, et
garder, pour toujours dans sa mémoire, son cri de bête, ce cri
atroce où l’on sentait la peur, l’horreur, la prière, tout ce
que peut hurler un homme qui brusquement voit la mort là, devant
lui. La Mort : un petit pieu de bois et huit hommes blêmes, l’arme
au pied.
Ce long cri s’est enfoncé dans notre
cœur à tous, comme un clou. Et soudain, dans ce râle affreux,
qu’écoutait tout un régiment horrifiée, on a compris des mots,
une supplication d’agonie : « Demandez pardon pour
moi…Demandez pardon au colonel… »
Il s’est jeté par terre, pour mourir
moins vite, et on l’a traîné au poteau par les bras, inerte,
hurlant. Jusqu’au bout il a crié. On entendait : « Mes petits
enfants…Mon colonel… » Son sanglot déchirait ce silence
d’épouvante et les soldats tremblants n’avaient plus qu’une
idée : » Oh ! vite…vite…que ça finisse. Qu’on tire, qu’on
ne l’entende plus !... »
Le craquement tragique d’une salve. Un
coup de feu, tout seul : le coup de grâce. C’était fini…
Il a fallu défiler devant son cadavre,
après. La musique s’était mise à jouer Mourir pour la Patrie et
les compagnies déboîtaient l’une après l’autre, le pas mou.
Berthier serrait les dents, pour qu’on ne voie pas sa mâchoire
trembler. Quand il a commandé : « En avant ! » Vieublé, qui
pleurait, à grands coups de poitrine, comme un gosse, a quitté les
rangs en jetant son fusil, puis il est tombé, pris d’une crise de
nerfs. En passant devant le poteau, on détournait la tête. Nous
n’osions pas même nous regarder l’un l’autre, blafards, les
yeux creux, comme si nous venions de faire un mauvais coup.
Voilà la porcherie où il a passé sa
dernière nuit, si basse qu’il ne pouvait s’y tenir qu’à
genoux. Il a dû entendre, sur la route, le pas cadencé des
compagnies descendant à la prise d’armes. Aura-t-il compris ?
C’est dans la salle de bal du Café de
la Poste qu’on l’a jugé hier soir. Il y avait encore les
branches de sapin de notre dernier concert, les guirlandes tricolores
en papier, et, sur l’estrade, la grande pancarte peinte par les
musicos : « Ne pas s’en faire et laisser dire ».
Un petit caporal, nommé d’office, l’a
défendu, gêné, piteux. Tout seul sur cette scène, les bras
ballants, on aurait dit qu’il allait « en chanter une », et le
commissaire du gouvernement a ri, derrière sa main gantée.
— Tu sais ce qu’il
avait fait ?
— L’autre nuit,
après l’attaque, on l’a désigné de patrouille. Comme il avait
déjà marché la veille, il a refusé. Voilà…
— Tu le
connaissais ?
— Oui, c’était un gars de
Cotteville. Il avait deux gosses.
Deux gosses : grands comme son poteau…
Régis
Rochelimagne, né le 18 janvier 1882 à Brives-Charensac
(Haute-loire), célibataire, terrassier, soldat du 238é R.I., déjà
condamné à 5 ans de travaux forcés pour mutilation volontaire en
novembre 1914.
A Soissons, le 4
mai 1915, vers 23 heures, le soldat Rochelimagne était couché avec
ses camarades lorsque le caporal Maurin donna l’ordre aux hommes de
son escouade de se lever pour exécuter une corvée de paille.
Rochelimagne ayant refusé, Maurin en rendit compte au sergent
Dubreuil qui vint le trouver et dit : « Eh bien !
qu’est-ce que vous avez ? » « Je suis malade,
répondit Rochelimagne, ne venez pas interrompre mon sommeil. En même
temps il rejeta sa couverture, se leva et s’avança vers le sergent
en s’écriant : « Qu’est-ce que vous avez à dire,
vous, sergent ? » Puis il le saisit par le col de sa
capote et le secoua. Dubreuil parvint à le repousser mais comme
Rochelimagne s’élançait à nouveau vers lui, le caporal Maurin le
saisit à bras le corps. Rochelimagne lui fit un croche-pied mais
Mautin l’évita et souleva Rochelimagne qu’il coucha à terre. Un
peu plus tard, devant les hommes rassemblés dans la cour du
cantonnement, Rochelimagne s’en prit au caporal : « Caporal
Maurin, tu es malin. Amène toi ici ; je n’ai pas peur !
Espèce de fainéant, crapule, salaud ». Rochelimagne s’élança
vers lui la tête en avant. Maurin para le coup tandis que
Rochelimagne disait : « Tu ne le perdras pas ! La
voltige je la connais... » Le lendemain au réveil,
Rochelimagne adressa pendant un quart d’heure des injures au
caporal Maurin (« Vaurien, imbécile, crapule... ») :
« Est-ce que ça te regarde de soutenir les vauriens, cette
bande d’apaches. Viens là si tu n’es pas un fainéant. Toi et
tes copains, je vous aurai la peau ». Conduit au commandant qui
lui demande pourquoi il n’a pas participé à la corvée de nuit,
Rochelimagne répond : « Parce que nous sommes mal
commandés par un caporal plus bête que ses pieds ». On
l’enferme en prison.
« Rochelimagne
est un alcoolique redouté de ses camarades pour sa brutalité. C’est
un très mauvais soldat qui par ses propos cherchait à démoraliser
les hommes de l’escouade ».
Rochelimagne :
« Le caporal Maurin est du même pays que moi, nous sommes très
bien ensemble. Le 4 mai il m’a donné cent sous pour que j’aille
chercher du vin. Le caporal joue aux cartes et quand il gagne il
m’envoie chercher du vin. Le 4 mai il a bu avec moi. »
Jean-baptiste
Collange, 2è classe : « Quand dans l’escouade on avait
deux ou trois litres à boire, on se réunissait tous ensemble et le
caporal buvait avec nous de temps en temps. Je ne lui ai jamais vu
donner de l’argent à qui que ce soit pour aller acheter du vin.
Quand il venait avec nous il se contentait de payer sa part. Je ne
l’ai jamais vu pris de boisson. Le 4 mai je ne l’ai pas vu donner
100 sous à Rochelimagne. »
Dubreuil :
« Rochelimagne n’est pas un mauvais soldat, mais c’est une
forte tête qui ne veut pas marcher quand on le commande de corvée
de nuit ».
CG de la 63e
division. Rochelimagne est fusillé le 21 mai 1915 à 5 h à la
sortie sud de Vignolles, Aisne.
Le JMO de la
division ne contient aux dates funestes que des "Rien à
signaler". La période était jugée parfaitement calme, le
régiment étant occupé à d'importants travaux de terrassement de
tranchées.
Au même JMO:" le 18 mai le
soldat Raymondin Agnan de la 24è se suicide d'un coup de fusil."
Albert Paul Cagny, né le 1er
avril 1887 à Bray-Sur-Somme, ébéniste à Paris, soldat au 320e
R.I.
Privé de permission à cause de son
absence à l'appel du soir le 30 mai (il était resté jusqu'à 23h
dans le cantonnement d'une Cie voisine), Cagny quitta le cantonnement
de sa Cie à Reims sans autorisation, le 4 mai à 9h, manquant le
départ pour les tranchées. Le 5 vers 5 heures du matin il fut
retrouvé, couché à côté de l'abri où se trouvait sa section. Il
a prétendu que désirant se marier par procuration, il était sorti
en ville pour aller voir l'officier payeur de son régiment et ne
l'ayant pas trouvé, s'était rendu au bureau militaire de l'Hôtel
de Ville. Il aurait rencontré des camarades avec lesquels il aurait
bu, rentrant au cantonnement à 21h, une fois sa compagnie partie. Le
5 mai, apprenant qu'une plainte allait être établie contre lui, il
tint dans l'abri de son escouade en présence des sous-officiers, ces
propos : « Quand je serai condamné et changé de
corps, je ne serai pas si bête que Chartier qui reste au 291è. Je
profiterai de la première occasion pour aller en face, chez les
pointus et je leur raconterai tout ce que je sais sur les
ravitaillements, les positions d'artillerie, d'infanterie etc. »
Dénoncé immédiatement, Cagny passe en citation directe devant le
CG de la 52è DI. Il est condamné pour abandon de poste en présence
de l'ennemi, toutes les rumeurs habituelles étant retenues contre
lui (voleur supposé, détesté de ses camarades, fréquentant des
sujets suspects etc.) malgré les déclaration de son sergent qui
reconnaît que les propos on été tenus sous le coup de la colère
et de son caporal qui conclut laconiquement : « c'est un
bon sujet ».
Cagny est fusillé à Tinqueux (Marne)
le 20 mai 1915 à 5h. « Après la salve d'exécution, Cagny
qui avait été placé à genoux, les yeux bandés, s’affaissa en
avant. Le corps pivotant autour du poteau d'exécution se plaça la
face contre terre à droite du poteau. Le corps fut d'abord
complètement inanimé mais pendant que l'on dénouait les liens,
c’est-à-dire 10 secondes environ après la salve la nuque commença
à se raidir et je fis signe au sous-officier chargé de donner le
coup de grâce de s'approcher. Cagny eut alors une inspiration
bruyante. Le coup de grâce fut donné au niveau de l'oreille droite,
et la mort fut constatée… En arrière se trouvaient quatre gros
foyers déchiquetés avec issue de sang, d'esquilles osseuses et de
tissus organiques divers. Ces foyers siégeaient : l'un, ayant
la dimension de la paume de la main, à la partie moyenne de la
région dorsale dans l'angle costo-vertébral gauche ; les trois
autres dont les dimensions variaient entre les 2/3 et la moitié du
précédent étaient répartis à la partie inférieure de la région
scapulo-thoracique droite. Une hémorragie abondante était constatée
à terre et dans les vêtements du condamné. ».
Jules Désiré Mercier, né le 27
octobre 1878 à Arras, marié, 5 enfants, chauffeur à l’usine à
gaz, soldat au 5è R.I.T., sans condamnation antérieure
A Wimereux était stationné un
détachement de 120 hommes (la plupart quarantenaires) pour le
service de garde des différentes routes et voies et du viaduc de
chemin de fer, cantonnés dans un ancien manège et centre de
dressage situé entre l’église et le viaduc, les hommes installés
dans l’ancienne écurie. LA base de leur service était constitué
de 24 heures de garde pour 24 heures de repos. Le soir du 21 mars,
Mercier rentra légèrement éméché, apportant à la chambrée un
petit flacon d’eau-de-vie qu’il but avec des camarades. Après
une légère discussion, il se coucha après avoir dit :
« Puisque vous m’emmerdez, je ne prendrai pas la garde cette
nuit ». A 22h25, le caporal Deschodt qui devait faire la relève
des sentinelles vint réveiller les hommes qui devaient prendre la
garde ; arrivé à Mercier, il le secoua un peu, et comme il
insistait s’attira cette réponse : « Laisse-moi
tranquille, tu me fais chier, je t’emmerde, je vais te casser la
gueule ». Deschodt lui dit alors paternellement :
« Voyons, ce n’est pas parce que tu aurais bu un coup que tu
vas faire l’imbécile, le con, le Jacques ». Mercier proféra
encore quelques injures, puis se levant brusquement, porta au caporal
un coup de poing à l’œil droit. Celui-ci après avoir basculé
légèrement frappa Mercier en se relevant avec un falot qu’il
tenait à la main. (En utilisant ce mot de falot, grande lanterne
-qui n’éclaire pas forcément très bien-, le rapporteur
ignore-t-il que le terme désigne en argot militaire le conseil de
guerre?) Mercier, atteint au visage retomba sur le lit et le caporal
lui porta encore deux coups de sa lanterne à l’épaule et dans les
reins, brisant le verre de la lampe. « C’est lâche de
frapper ainsi avec une arme » remarqua Mercier. « Si
j’avais eu une baïonnette entre les mains, ç’aurait été autre
chose ! » répliqua Deschodt et il sortit. Mercier,
traversant la cour sans que la sentinelle ait pu l’arrêter se
rendit à l’hôtel Bellevue, l’immeuble voisin où était
installé un hôpital anglais. Il se fit panser et on lui posa deux
points de suture à la joue. Il regagna le cantonnement un quart
d’heure plus tard. Deschodt se trouvait près de la porte de la
rue. En passant devant lui, Mercier le menaça d’un « tu
verras, tu verras ! » « Qu’est-ce que je
verrai ? » insista le caporal « tu sais, si tu en
veux encore autant, tu n’as qu’à le dire ! » Mercier
rentra à la chambrée et dit à ses camarades : « Si vous
croyez que ça fait du bien de se faire passer une aiguille dans la
joue ! J’ai même dit aux anglais qu’ils entendraient tirer
un coup de fusil cette nuit. Mais demain Deschodt n’y sera plus et
moi non plus !.. je le tuerai, il a voulu me tuer, il faut que
je le tue, nous sommes en guerre... il ne montera pas sa garde
jusqu’à demain… (et à un de ses copains) tu peux dormir
tranquille, il ne viendra plus te réveiller pour ta faction de cette
nuit. » Aux soldats Etienne et Després il dit : « Vous
ne direz pas qu’il n’y a pas préméditation, je prédis mon
crime d’avance !.. Je me fiche pas mal d’avoir 12 balles
dans la peau, j’aurais fait à ma mode ! » et comme
Etienne lui faisait remarqué que tout cela ns serait pas arrivé
s’il n’avait commencé par donner un coup de poing au caporal, il
répondit : « Toi, ne dis pas que je lui ai flanqué un
coup de poing, ou bien je t’en ferai autant qu’à lui. »
Les autres s’étant couchés, Mercier prit son fusil au râtelier
d’armes et sortit. Ses camarades entendirent le coup de feu avant
d’avoir pu réagir. Mercier rentra, fusil en main, di « Ce
coup-ci ça y est » et comme certains s’enfuyaient,
ajouta : « Ce n’est pas la peine de vous sauver.
C’est moi qui l’ai tué, je vais aller le dire ». Il remit
calmement son fusil au râtelier, s’assit sur le banc près du
poêle, roula une cigarette et l’alluma. « J’ai fait mon
affaire, je vais me préparer pour qu’on m’enlève ».
Deschodt en rentrant au
poste était resté debout, fumant la pipe, contre la porte vitrée
donnan sur la cour : « la pièce était éclairée
par une lampe sans abat-jour, posée sur la able, qui, tout en
montrant parfaitement la silhouette du caporal se détachant sur le
fond éclairé éclairait aussi la cour par les parties vitrées de
la fenêtre et de la porte… La balle pénétra par la bouche, après
avoir déchiré la commissure gauche des lèvres, brisa le maxillaire
inférieur, enleva une partie de la langue, coupa les carotides et
réduisit en bouillie deux vertèbres. La mort dut être
instantanée : le corps fut trouvé
allongé sur
le dos, les pieds près
de la porte,
la tête vers l’intérieur,
le sang coulait à flots par la bouche. »
Aux
reproches qu’on lui fait sur son caractère emporté et chicanier,
Mercier répond : »Quand quelqu’un est dans la misère,
tout le monde lui met tout sur le dos ».
CG de la région Nord, pièces de
conviction : un fusil 1886, une lanterne, du verre brisé, une
pipe cassée, un carreau troué par une balle.Recours en révision
rejeté le 24 avril 1915. Mercier est fusillé à Ringles le 20 mai
1915 à 5h30 en présence des troupes réunies de la garnison de
Boulogne.
Prosper Valentin Marie Dauvergne,
né à Avignon (Vaucluse) le 27 mars 1890, interprète de langue
espagnole à Barcelone, ancien légionnaire, soldat de 2ème classe
au 58ème R.I.
Le 2 mai 1915 aux tranchées devant
Béthincourt, Dauvergne avait demandé à son chef d’escouade, le
soldat de 1ère classe Grégoire à faire partie de la corvée de
soupe, ce que celui-ci avait refusé, Dauvergne y étant allé la
veille. A 8h le sergent Giguet, faisant sa ronde, constata néanmoins
son absence. Vers 10 heures les hommes de soupe revenaient, et cinq
minutes derrière eux, Dauvergne en état complet d’ivresse. Le
sergent Giguet tenta en vain de l’obliger à se coucher. Le
trouvant peu de temps après dans une autre section que la sienne
faisant du tapage, il lui ordonna de le suivre. Dauvergne répondit :
« Tu m’emmerdes, eh, vieille lope, vache, sale gradaille... »
Revenant le chercher sur l’ordre du lieutenant Foucher, il le
retrouve dans l’abri des agents de liaison. Dauvergne refuse à
nouveau de le suivre « Tu me fais chier et si tu continues, tu
vas voir ». A la 3è injonction il se résout à marcher, non
sans continuer à traiter le sergent de « Bourrique, fumier,
veau, cochon ». En traversant la tranchée Dauvergne se saisit
d’une hache abandonnée qu’il tenta de dissimuler sous sa capote,
mais Guiguet qui avait vu le geste se jeta sur lui et le désarma
puis l’entraîna dans l’abri des sous officiers sous les
quolibets de « tapette, enculé, macchabée, pouilleux,
vendu ». Il partit rendre compte au lieutenant, qui s’étant
mis en route de son côté venait de trouver Dauvergne, échappé aux
sous-officiers dans la tranchée occupée par la Cie voisine. Remis à
la surveillance du 1ère classe Grégoire, Dauvergne, d’abord calmé
réclama la capote qu’il avait laissée à l’abri et comme il le
retenait, gifla Grégoire. Le bruit attira les sergents Giguet et
Accarias. Quand il les vit, Dauvergne se jeta sur un fusil qu’il
arma et fit mine de chercher ses cartouches. Désarmé par Accarias,
après avoir cherché son couteau sans le trouver il s’empara d’un
autre fusil qu’il abandonna aussitôt pour sauter à la gorge du
sergent et tenter de l’étrangler en criant « si tu me
touches je te troue le ventre, vache, fumier, vendu, bico (sic) ».
Giguet ayant dégagé Accarias, Dauvergne le menaça à son
tour : »si je te trouve, je te fais la peau ».
Finalement emporté au poste des brancardiers et ligoté, Dauvergne
s’endormit « comme une brute ».
Dauvergne : « Je ne me
rappelle absolument de rien sinon que j’étais saoul comme un
cochon. »
Maurice Maurin, caporal 6è Cie du 58è :
« Dauvergne que je connais depuis que je suis à la Cie n’est
pas méchant, mais quand il est ivre, ce qui est presque son état
normal, est absolument capable de tout. »
CG de la 30è DI, le 19 mai 1915 pour
"abandon de poste, voies de fait envers un supérieur, ivresse".
Condamné à la peine de mort + 1franc d’amende
Prosper Dauvergne est fusillé à 1600m
à l'ouest de Souilly (Meuse) sur la route de St-André, le 20 mai
1915, 4h30. Inhumé dans la nécropole nationale de
Rembercourt-aux-Pots (Meuse), tombe N° 204, son nom ne figure sur
aucun monument aux mort.
Georges Pennerat, né le 28 mai
1886 à Paris 14è, polisseur, soldat au 96è R.I.,
CG spécial du 96è R.I. réuni au PC de
la Truie le 20 mai 1915, réquisitoire (brouillon) :
« Mon
Commandant, Messieurs,
Le soldat Pennerat
Georges qui comparait aujourd’hui devant vous, devait rejoindre le
front à la date du 16 décembre 1914 ; une première fois il
s’évade à Paris puis se fait admettre au dépôt d’éclopés du
Bourget après une absence illégale de trente heures. En janvier, il
quitte ce dépôt pendant 17 heures. Renvoyé au dépôt du corps à
Béziers puis dirigé sur le front avec le renfort du 15 avril 1915,
il se fait porter malade au Bourget où on l’hospitalise, il fait
encore une absence illégale pour se rendre à Paris pendant 48
heures. Renvoyé au dépôt du corps, il part pour le front sans se
présenter à la visite du médecin-major ; il arrive au Poste 4
le 6 mai 1915, se fait porter malade le 7 mai, est reconnu apte au
service de tranchées par un médecin aide major ; une contre
visite lui est accordée et le médecin major chef de service
confirme la décision qui résulte du premier examen. Le 7 mai
Pennerat reçoit d’un officier l’ordre de rejoindre sa Cie aux
tranchées ; il refuse d’exécuter cet ordre, maintient son
refus devant deux témoins… malgré les bons conseils que lui
prodigua le lieutenant Vigneron. Le 9 mai la 2è Cie du 96è se
trouve au Poste 4. Le lieutenant Loubatières qui commande cette Cie
donne au soldat Pennerat l’ordre d’aller rejoindre la section à
laquelle il est affecté et cela en présence de 2 témoins ;
Pennerat refuse catégoriquement.(…) Pennerat, très conscient, est
bien déterminé à se maintenir dans son crime, il est pour ses
camarades l’exemple le plus mauvais, le plus dangereux, celui qu’il
importe d’écarter surtout en ce moment où les devoirs du soldat
ont toute leur importance mais aussi toute leur rigueur, toute leur
âpreté. »
Ici, le procureur
‘sous-lieutenant Rigaud de la section de mitrailleuses appelé à
occuper les fonctions de commissaire du gouvernement) ne sait plus
très bien comment faire culminer son indignation, se répète,
biffe, invoque la loi, se trompe de sanction, rature, raye
rageusement ces conclusions : « Aucune circonstance
ne peut atténuer la faute du soldat Pennerat ; celui-ci est :
par ses mauvais antécédents, par son esprit indiscipliné, sa
fausseté, sa répugnance à accomplir ses devoirs sacrés de
soldat ; un exemple dangereux, une mauvaise contagion ; il
est indigne de l’Honneur de servir sa patrie les armes à la main.
Mon Commandant,
messieurs, je vous demande de vous montrer très sévères
pour ce soldat et de lui appliquer le maximum de la peine que la loi
militaire prescrit en punition du crime qu’il a commis.
J’ai le pénible devoir de vous demander d’appliquer strictement
la loi militaire. »
L’état signalétique de Pennerat rédigé le 12 mai 1915 en
l’absence de pièces matricules comporte la mention « œil
droit blessé ».
Deleuil Jean marius, caporal fourrier : « Pennerat a
répondu qu’il était malade et qu’il rejoindrait la Cie après
qu’il aurait été soigné pour son oeil ».
Pierre paul Vidal, sergent : « Il a répondu qu’il
ne considérait pas la contre-visite du Médecin chef comme une
contre-visite, qu’il était malade et qu’il ne monterait pas aux
tranchées se faire tuer bêtement. Il a répondu au lieutenant
Loubatière qu’il ne rejoindrait sa secion que quand il serai
guéri. »
Pennerat :
« J’ai fait cette bêtise parce que je n’y vois que d’un
œil.. Je ne vousrais pas
exposer ma vie mal à propos du moment que je n’y vois pas. Je ne
veux aller aux tranchées qu’après avoir vu un oculiste à
Chalons. J’y vois de jour, la nuit pas du tout. ». Il ajoute
qu’il rejoindra les tranchés si on le change de régiment pour
être avec son frère, et après avoir vu l’oculiste à l’hôpital.
Pennerat est
fusillé le 24 mai 1915 à Somme-Tourbe (Marne) à 10 heures.
Gazette de Souain (28 juin 1915 ): Nous
venons d’apprendre qu'un autre soldat Georges Pennerat avait
également été fusillé à Somme Tourbe pour motif de refus de
monter en ligne le 24 du mois dernier.
Koné
Dioumé, présumé né en 1892 à Kélékélé (Haut-Sénégal et
Niger), ne connaît pas son âge, célibataire, ciltivateur,
Tirailleur de 2è classe au 4è R.T.S., pas d’antécédent
judiciaire connu.
Signes
particuliers : 3 cicatrices verticales sur chaque joue,
multiples au front. Race Bambara.
CG de la colonie du
Sénégal : Koné Dioumé, en garnison à Rufisque, était
depuis sept mois l’amant de Makoné, femme d’un tirailleur
cuisinier du capitaine Ragot et parti en France avec lui. Celle-ci
avait aussi des relations avec le tirailleur Mamadou Konaté, et des
scènes fréquentes se produisaient entre les deux hommes.
« Je donnais à
Makoné l’argent de mon prêt et celui que je pouvais gagner aux
cartes. Un jour je suis allé dans la case de Makoné et j’ai voulu
lui donner 5 francs. Le tirailleur Mamadou Konaté était dans la
case. Makoné m’a dit que 5 fr ce nétait pas assez, que je n’avais
pas assez d’argent, que Mamadou Konaté avait beaucoup d’argent
et qu’elle ne voulait plus avoir de relations avec moi. Mamadou
Konaté me dit de renoncer à Makomé ou qu’il me couperait les
couilles. »
Après une querelle
particulièrement violente durant laquelle Makomé jeta toutes les
affaires de Dioumé en dehors de sa case le dimanche 13 décembre
1914 vers 18h, Makoné signifia à Koné Dioumé d’avoir à cesser
toute relation avec elle. Il lui dit qu’il la tuerait et s’en
alla. Revenu peu après armé d’un coupe-coupe et d’un rasoir, il
la chercha en vain et tua deux de ses voisines, Sara Coulibaly et
Diouldé Baly. Ayant jeté son coupe-coupe il se rendit ensuite dans
une case de tirailleurs célibataires à qui il servait d’instructeur
et s’empara d’une somme de 25 francs que Kalifa Sébédé
comptait avec un de ses camarades, et comme celui-ci protestait
Dioumé dit « je vais te tuer tout de suite , le frappant
au cou avec son rasoir. Pris alors d’une frénésie de meurtre, il
frappa trois autres tirailleurs, toujours au cou, cherchant sans
doute à leur trancher la gorge, et en s’enfuyant blessait encore
un 5è, de garde devant le poste de police. Le lendemain il se laissa
arrêter sans résistance près du camp par des hommes en manœuvre.
Dioumé avoue qu’au
moment de se mettre à la recherche de Makoné, il avait bu deux
bouteilles d‘absinthe sans eau pour se donner « du courage
et de la force ». Perdant toute notion du cours des événements,
il ne serait revenu à la conscience que le lendemain matin, couché
dans un fossé, tenant encore à la main son rasoir ensanglanté.
« Je ne voulais pas
tuer les autres femmes que je ne connais pas, ni les tirailleurs,
mais je voualsi tuer Makoné qui a mangé mon argent, qui m’a mal
parlé, et qui m’a secoué par mon paletot ; une femme ne peut
pas faire ça ! »
Rejet de grâce le 22 mai.
Dioumé est fusillé le 25 mai 1915 au champ de manœuvre de
l’abattoir à Dakar 5h30
Raoul Edouard Hurtault,
né le 7 janvier 1874 à Varennes sur Loire, 2è classe au 268è
R.I., 21è Cie aurait été « tué à l’ennemi » le 26
mai 1915 à Brielen (Belgique) donc Mort pour la France. L'absence de
jugement laisse perplexe sur ce qui lui est réellement advenu...
Marius Casimir Marcel,
né le 31 mars 1881 à Carcès, cultivateur, marié, 1 enfant
Le 15 mai, le 1er bataillon
du 7e RIC tient les premières lignes devant Ville-sur-Tourbe. La 4e
compagnie de Marius Marcel occupe l'ouvrage « Pruneau ».
La matinée et l'après-midi
avaient été calmes, quand soudain, vers 18h, trois fourneaux de
mines allemandes sautent, bouleversant le secteur et ensevelissant
des hommes dans la tranchée. Au même instant, la vague allemande
écrase les survivants sous une pluie de grenades.
Quatre
marsouins de la 4e compagnie du 7e RIC Marcel et Daspe,
Casimir
Farjounel, né le 31 mars 1886 à Castenet, sabotier,
célibataire
Henri Perron, né le 14 mai 1883 à Bordeaux, peintre, célibataire
Henri Perron, né le 14 mai 1883 à Bordeaux, peintre, célibataire
avaient
réussi à se dégager émergeant de la glèbe, sans arme et errant à
la recherche du reste de leur régiment.
Le capitaine Kaufmann du 7e
RIC, 1ère Compagnie, les croise, les apostrophe et les fait
emprisonner sur le champ à Maffrécourt (Marne) estimant qu'ils ont
cédé trop facilement . Traduits devant le conseil de guerre de la
3e division coloniale, le 28 mai, Marius Marcel et ses compagnons
sont accusés et condamnés à mort pour « abandon de poste en
présence de l'ennemi » avec les soldats Farjouvel, Perron et
Daspe. Exception faite pour Daspe, gracié à la dernière minute (le
26 juin dit la pièce officielle ?)
Farjounel, Perron et Marcel
s sont fusillés, le lendemain, 29 mai 1915, à 7h du matin, devant
le régiment rassemblé.
Devant leurs cadavres, le
colonel fit un discours martial : "En cas de défaillance, voilà
ce qui vous attend. Que cela vous serve d'exemple. Rompez !".
Marius Marcel laissait au
pays une femme et un enfant. Mme Marcel commença ses recherches pour
essayer de comprendre ce qui était arrivé à son mari sans rien
obtenir. Tant de chagrins, tant de déceptions ont abattu ses forces.
Elle meurt, laissant à son beau-frère, la charge de son fils et de
son honneur. Marcel est réhabilité le 30 juin 1927. Le 1er juillet
1927, la cour de cassation annule le jugement du conseil de guerre,
réhabilitant Fajournel et Perron.
Eugène Paul Werner, né le 20 juillet 1879 à Soissons, mouleur à Montreuil, marié, père de famille,soldat au 302è R.I. 19è Cie,
mai 1915 St-Dié
Juin
Tayeb Ben Mohamed Mechtoub, né
en 1887 à Douar Ouled Ale Nacer (Algérie), soldat au 3è RMTA
« fusillé » le 2 juin à Tracy-Le-Val (60). Pas de trace
de jugement.
Aristide
Gauthier, né le 14 décembre 1891 à Ségry (Indre), coiffeur à
Issoudun, soldat au 125è R.I., 11è Cie,
condamné le 1er
juin 1915 par un CG spécial de son régiment pour « abandon de
poste en présence de l’ennemi » le 30 mai à la Fosse
Calonne (ND de Lorette) est fusillé le 2 juin 1915 à Aubigny.
Si les nombreux
recours en révision de la famille n’aboutissent à rien (le
ministère s’arrangeant même lors du deuxième pour oublier le
dossier jusqu’à ce que la procédure d’appel tombe hors délai),
ils donnent une idée du cas du soldat Gauthier. En novembre 1933,
les témoins ne sont plus forcément très précis sur les dates. Ce
flou, et l’entêtement du chef de bataillon de l’époque qui
refuse de se déjuger permettent sans doute au commissaire du
gouvernement d’obtenir le rejet du pourvoi. Pourtant plusieurs
témoins, simple soldats témoignent avoir déterré Gauthier
enseveli sous 2m3 de terre avant l’attaque du 30 mai. Le
plus accablant émane du soldat Loudrat : « C’est moi
qui ai conduit Gauthier au poste de secours où le Médecin major
Rausy l’a exempté deux jours. Revenu en première ligne, j’ai
été chargé par une personne dont je ne me rappelle ni le nom, ni
la qualité, de porter un pli au Médecin major, qui après l’avoir
lu a dit à Gauthier qu’il n’était pas malade et qu’il devait
immédiatement rejoindre les premières lignes. » Le greffier
du CG avoue que le Médecin major Rausy était très dur avec les
hommes.
Il ressort du
mémoire du défenseur que Gauthier, en délicatesse avec son
commandant de compagnie (président du CG spécial), puni de prison
le 26, enseveli le 28, souffrait déjà d’un début de dysenterie,
qu’il a dû, incapable de marcher, être transporté, l’épaule
luxée sur un brancard jusqu’au poste de secours, dont il fut
chassé le 29, qu’il remonta à la tranchée et se présenta à
nouveau à la visite le 30, jour où le major refusa de l’examiner
à nouveau, et qu’il était en train de rejoindre ce jour lorsqu’il
rencontra un agent de liaison qui ayant pour ordre d’annoncer la
relève le ramena avec lui aux cuisines pour attendre sa section
alors que le régiment était dans cette même nuit transporté en
autobus à Aubigny-en-Artois. Autre écueil : « une
pension de la loi du 31 mars 1919 fut concédée à M et Mme Gauthier
requérants, et ils en sont encore à ce jour bénéficiaires ».
Sylvain Henri Etienne Serres, né
le 15 juillet1884 à Saint-Michel-De-Chavaignes (Hérault),
célibataire, maçon,soldat au 281è R.I. 18è Cie, pas d’antécédent
judiciaire (sur sa déclaration, délit de chasse), pas de punition.
Prévenu d’abandon de poste en date du
6 janvier 1915, dans les tranchées en avant de Vermelles, Serres fut
présenté devant le conseil le 20 janvier. Lors de cette audience,
le lieutenant Quibal, défenseur commis d’office parvint très
habilement à convaincre le conseil de la nécessité d’une examen
mental, la mise en cause de la chaîne de commandement par l’accusé
ne pouvant être que le résultat d’un déséquilibre et d’une
confusion des notions morales élémentaires.
Serres fut donc conduit à Paris, au Val
de Grâce, sous surveillance rapprochée puisqu’il avait répété
son intention de fuir à la première occasion, où deux experts
aliénistes de l’examinèrent, le Dr Vallon de Saint-Anne et le
chef de service Delamare. Le 7 avril à l’issu de cette procédure,
Serres est incarcéré à la prison militaire du Cherche-Midi, en
attente de son retour à la prison de la division. Le rapport du 15
mai est édifiant (et affligeant) quant à l’état mental des
accusateurs et ce qui se veut la norme : « L’ordinaire
du Val-d-Grâce même ne le satisfait qu’incomplètement. Les
sentiments d’altruisme et de patriotisme n’existent pas chez lui.
Dans le service au front il ne voit que l’effort du moment, la
grandeur du but à atteindre lui échappe, le résultat de la lutte
lui est quasi-indifférent. C’est un égoïste dans toute
l’acception du mot… Il connaît beaucoup mieux ce qu’il croit
être ses droits. L’indignation que lui ont causé des punitions
immérités à son avis, ne s’est pas camée avec le temps.
Dépourvu de toute instruction, ayant toujours vécu dans sa famille
à la campagne, où il exerçait le métier de maçon, Serres est un
esprit fruste, au jugement peu développé… Ses idées sur la
guerre, la discipline, la conduite des officiers, ses droits, ne sont
pas plus des preuves d’aliénation mentale que les idées
anti-militaristes ou anarchistes ».
Les erreurs de destinataires des
documents officiels semblent eux-même faire la preuve de
l’incompétence d’une hiérarchie désorientée qui attend des
médecins une autorisation d’exterminer le récalcitrant dont les
seuls propos ont suffi à l’affoler.
Serres avait été versé dans une
section territoriale du Génie chargée de creuser des tranchées.
Ayant une nuit déposé son fusil avec ceux de ses camarades, il ne
le retrouva pas le lendemain ce qui lui valut une punition de 8 jours
de prison, où on le priva de nourriture. Le troisième jour il fut
versé dans une Cie de première ligne et envoyé aux tranchées, où
il dut remplir un poste de guetteur sans fusil. Quand il ne se vit
pas relevé au-delà d’un temps qu’il estimait excéder sa
faction, il pensa qu’on lui jouait un tour pour le faire tuer. Il
résolut de s’enfuit et quitta sa compagnie. Arrêté par les
gendarmes, il s’évada, et une fois repris, réclama à manger avec
insistance, essayant de briser les portes des locaux où on l’avait
enfermé.
« Je suis parti parce
que je voyais que tout ce qui se passait était absurde… il n’y
avait pas de place dans la tranchée, je me mets dans une cahute à
part. Un caporal me conduit au 281è et dit : « Je vous le
passe en consigne » comme on passe un chien. On me fait monter
sur un escalier pour regarder ; c’était absurde, il aurait
mieux valu me laisser dans la cahute ; alors je suis parti après
avoir pris mon linge dans mon sac… Plus tard sur la route à Bully
j’ai rencontré des gendarmes. Une fois en prison, je leur ai
demandé de m’apporter du café. On m’a apporté du café mais
sans sucre ; je l’ai jeté ; du café sans sucre c’est
bon pour les cochons. J’ai demandé à manger ; on ne m’a
rien apporté ; alors je me suis mis à cogner contre la porte.
Un gendarme m’a donné un coup de poing. Enfin à 4 heures on m’a
apporté soi-disant du bouillon, pour moi c’était de l’eau… Je
suis resté là, deux, trois jours sans manger… j’étais furieux
d’être enfermé et ce qu’on me donnait était mauvais… Le 11
janvier j’ai demandé au sergent de me faire apporter à manger, il
ne m’a rien envoyé. J’ai fait acheter du pain et du saucisson,
j’étais indigné ; alors je me suis évadé… J’ai été
conduit à Sailly-la-Bourse, et en prison. Là, les autres
mangeaient, buvaient, fumaient, se nettoyaient. Moi, rien. J’étais
plein de poux. J’ai essayé de me sauver. Un gendarme m’a
bousculé, m’a mis le cabriolet et je n’ai rien obtenu. Je suis
resté en prison dans la saleté. On traite les animaux comme ça,
mais pas les hommes. On m’a fait passer au conseil de guerre. J’ai
dit que l’armée est absurde, que nous sommes des hommes et pas des
bêtes. On m’a envoyé ici comme fou. Ceux du conseil pouvaient
être fous, mais pas moi… Les autres ne disaient rien mais ça leur
cuisait tout de même dans la tête. Vous voulez qu’on aille se
faire casser la tête pendant que vous, officiers, vous restez à
l’arrière à boustifailler ! Mais ma peau vaut celle de
n’importe quel officier… Ils ont des ordonnances qui leur
apportent des vivres. C’est injuste. C’est pas légal… Pour
vous, officiers, les règlements sont bons, mais, pour un simple
soldat, ils ne valent rien… A Sailly-la-Bourse on m’a fait passer
la visite à 4h du soir, ce n’est pas légal ; on doit passer
la visite le matin. J’ai horreur d’être dans l’armée. »
Serres au maréchal des
Logis gardien chef : « J’ai l’honneur de soliciter de
votre haute bienveillance l’autorisation de pouvoir fumer. Je me
promets de ne plus échappatoir et de faire par la suite un bon
sujet. Désirant laver mon linge de corps j’aurais besoin de savon
étant donné que j’ai à la caisse du corps la somme de 24,95 je
vous serez reconnaissant de voir pour me faire parvenir le nécessaire
pour ces divers achats. Signé Serres. »
CG de la 58è DI (2 juin 1915) :
Serres renouvelle les arguments qu’il avait produits à l’audience
du 20 février 1915 ; absence de nourriture, situation générale
mauvaise, commandement insuffisant. Il ajoute qu’il était dégoûté
de voir les officiers rester à l’arrière et bien se soigner
- « comme vous », dit-il en désignant le conseil.
Le capitaine Falconetti, commandant la
18è Cie, a été tué à l’attaque de Loos. Tous les autres
témoins ont été évacués, y compris l’avocat de Serres lors du
premier jugement. Quand le président demande à Serres s’il a
quelque chose à ajouter, celui-ci répond qu’il ne veut pas
retourner au front. Voilà comment le procès de l’abandon de poste
devient celui de la hiérarchie.
Serres est fusillé le 3 juin1915 à
Hersin-Coupigny, 4h
Fernand Firmin Leroux, né le 25
septembre 1881 à Caen, marié, électricien, sapeur au 1er Rgt du
Génie, 5è Cie, soupçonné d'avoir tenté de passer à l'ennemi le
13 mai 1915 il est déféré devant le conseil de guerre de la 9e
D.I. « dont les archives ont été détruites par suite
d’événements de guerre » (demande de bulletin n°2 le 6
octobre 1955) le 4 juin 1915 et condamné à mort pour "désertion
à l'ennemi". En 1967 le ministère demande à nouveau des
précisions ; il lui est répondu par le greffier des archives
centrales de la justice militaire à Meaux qu’ « il y a lieu
de considérer que l’infraction retenue par le conseil de guerre se
trouve amnistiée de droit par l’article 29 de la loi du 18 juin
1966 ».
Leroux a été « passé par les
armes » le 5 juin 1915 au Claon (Meuse), et l’on en saura pas
plus
Armand Isidore Jourdan né le 7
août 1888 à Saint Georges de Chesné (Ille et Vilaine), cultivateur
à La chapelle Saint-Aubert, marié, 2 enfants, soldat au 124è R.I.,
2è Cie, casier vierge
8 mai 1915 : « La section
ayant été mise au garde à vous pour une inspection passée par
l'adjudant est resté les bras croisés, à une observation, s'est
mis à rire et à l'annonce d'une punition a répondu « Portez-moi
8 jours de consigne si vous voulez. Vous, vous commencez à me
courir ».
CG de la 8è DI (10 juin 1915) : »A
l'unanimité coupable d'avoir le 2 juin 1915 vers 21 heures, en avant
des tranchées de première ligne occupées par sa Cie et au cours
d'une reconnaissance au point dit « l'allée du Château »
refusé d'obéir à l'ordre que lui donnait le Caporal Wihelm de
rejoindre ses camarades qui se trouvaient en avant. »
En fait, Jordan refuse catégoriquement
de sortir du trou qu'il s'était creusé dans la tranchée pour
rejoindre la section qui patrouille le long des barbelés protégeant
la tranchée allemande à une cinquantaine de mètres en face.
« Jourdan au mois d'octobre à
Guerbigny (somme) a eu l'index de la main gauche sectionné par un
coup de son fusil parti à bout portant alors qu'il était
sentinelle. Une enquête au corps avait eu lieu ayant pour but de le
traduire devant un conseil spécial. Il avait bénéficié du doute,
de l'absence de témoins. Un ordre de non informer avait été
rendu ».(Commissaire-rapporteur, rapport post mortem)
Jourdan est fusillé le 11 juin 1915 à
4h à Baconnes. « Le coups de grâce a été tiré dans la
région carotidienne gauche ». « tué à l'ennemi ».
Mort pour la France.
Une lettre d'Albert Filoche en 1918,
commente : « Il ressort que nombre de ses messieurs
mériteraient plus vite douze balles dans les tripes que notre
infortuné camarade Jourdan du 1er bataillon du 124e d'infanterie qui
fut fusillé à Baconnes en 1915 »
Daniel Fabre, né le 12 mai 1888
à Lyon 1er, marchand ambulant, soldat au 75è R.I. ,
tatouages sur les bras
Louis Jules Feroussier,
né le 22 septembre 1890, à Saint-Fortunat (Ardèche), boulanger 75è
R.I., déjà condamné en novembre 1914 à 2 ans de TP pour désertion
sur territoire en état de guerre. « Tué àl’ennemi »
Mort pour la France.
Le rapport identique rédigé
dans l’urgence indique le ces deux soldats n’ont pas suivi leur
Cie aux tranchées le 7 juin à 23h, malgré les bons conseils de
camarades et de gradés qui les encourageaient « à rejoindre
la portion conquise ». Ils ne sont réapparus que le 11 juin,
jour du CG spécial et de leur exécution dans la foulée sur le
champ de bataille d’Hébuterne le 11 juin 1915 à 20 heures. La
précipitation, l’absence d’interrogatoire et l’aspect allusif
des notes d’audience qui ne figurent que pour remplir le vide sans
apporter la moindre information, font penser à une exécution
sommaire maquillée en condamnation « légale »
Victor Oscar Augustin Feuillâtre,
né le 14 mars 1877 à Paris 20è, ébéniste, célibataire, caporal
au 14è R.I.T, condamné pendant son service actif en 1899 pour
abandon de poste étant de garde et en 1901 pour outrages à
supérieur et coups volontaires.
Le Lieutenant François, aperçoit le
caporal Feuillâtre qui revient sans fusil de l’exercice qu’il
commandait, parti à la recherche d’un objet qu’il ne distingue
d’abord pas. Quand il s’aperçoit qu’il s’agit d’un litre
de vin aux 2/3 plein et d’un verre, il lui porte une punition pour
avoir quitté les rangs sans autorisation et apporté à boire en
service. Feuillâtre maugrée « je réclamerai ».
CG spécial de la 81è DI, le 12 juin
1915 : « Le 10 juin 1915, , vers 15 heures, alors que vous
aviez été puni de prison par le Lieutenant François commandant
votre Cie, vous avez été retrouver votre Lieutenant au bureau de la
Cie, vous avez pris une attitude violente envers lui et finalement
avez tiré un coup de feu sur lui avec votre fusil ; les faits
sont attestés par plusieurs témoins... »
« Je n’ai jamais voulu tuer ou
blesser le lieutenant François et si je l’avais voulu je m’y
serais pris autrement, quelqu’un voulant tuer dans ce petit bureau
de la 4è Cie n’aurait pas pu manquer son homme. Le coup de feu
n’est que le résultat d’un accident. L’après-midi j’avais
commandé une escouade du dernier renfort arrivé de Landerneau. A un
moment donné, j’ai fait une théorie sur le devoir d’une
sentinelle en présence de l’ennemi et sur la manœuvre du fusil.
J’aurais probablement [… dû décharger l’arme, le témoignage
s’arrête ici]. Feuillâtre prétend que le coup est parti seul, ce
que dément l’expertise de l’arme, prétendant démontrer qu’il
fallait exercer une forte pression sur la gâchette pour déclencher
un tir du fusil en bon état. Un examen mental est rapidement bâclé
qui ne démontre rien, excepté une supposée prédisposition à
l’alcoolisme transmise par son père « buveur incorrigible »
(comme, le supposent les chefs distingués, beaucoup d’ébénistes
du faubourg St-Antoine). L’examen médico-légal montre sur le
Lieutenant François une blessure superficielle à la cuisse droite,
la balle ayant déformé et coupé en deux l’une des trois pièces
d’or contenues dans sa poche.
Lt François : « Je m’assis
à la table sur la chaise face à la fenêtre. Je finissais de dicter
la punition quand Feuillâtre se présenta me demandant des
explications sur sa punition avec une attitude insolente. Je lui
répondis qu’il aurait huit jours de prison au lieu de quatre et
donnai l’ordre de le mettre à la porte. A ce moment, Feuillâtre
jeta son képi sur la table en disant qu’il avait deux balles, une
pour moi, une pour lui, recula dans l’embrasure de la porte qui
avait été ouverte pour le faire sortir, abaissa son arme dans ma
direction et fit feu. La balle me traversa la cuisse et alla [d’a…
illisible] en hachant le dossier de ma chaise. Devant l’attitude de
Feuillâtre je m’étais levé et lui faisai face quand il a abaissé
le canon de son arme qu’il me dirigeait en pleine poitrine. C’est
pour cela que je pus saisir le canon du fusil, l’abaisser, et que
je ne fus blessé qu’à la cuisse. Quand Feuillâtre a tiré, il
n’a fait aucun mouvement de culasse mobile et son fusil était
chargé et armé, prêt à tirer. »
Le témoignage presque identique du
sergent-fourrier présente cette différence qu’après avoir
demandé des explications en vouvoyant le lieutenant « Feuillâtre
reprit « Alors, tu ne te rappelles plus le temps où tu étais
sergent » et prononça diverses paroles dont je n’ai pas le
souvenir exact… Tu as brisé ma vie. J’ai là deux balles, une
pour toi une pour moi ». (témoignage sergent major
Froidevaux : « alors le caporal Feuillâtre s’approcha
du Lieutenant François et lui frappa sur l’épaule en disant :
« Tu ne te rappelles donc le temps où tu étais sergent, ma
vie est brisée, je vais me suicider ») Quand nous avons eu
désarmé Feuillâtre nous avons constaté qu’il n’y avait qu’une
cartouche dans l’arme, celle qui avait été tirée. »
Les propos étranges de Feuillâtre ne
soulèvent pas la moindre question de la part de l’instructeur qui
redoute sans doute d’en obtenir l’explication.
Feuillâtre est fusillé le 13 juin à
Bergues à 5 heures.
Eugène Paul Werner, né le 20 juillet 1879 à Soissons, mouleur à Montreuil, marié, père de famille,soldat au 302è R.I. 19è Cie,
« Le soldat Werner… depuis
quelques temps se faisait remarquer par son esprit d’insubordination
et d’indiscipline. Il étaut au dire de son chef de section « le
beau parleur de la section, le théoricien qui discutait tous les
jours les principes qu’il tirait de la Bataille syndicaliste
fidèlement envoyée. Ayant conçu le projet de le ramener à des
idées plus saines, son chef de section essaya vainement de la
persuasion et de la douceur, mais devant l’insuccès de cette
tentative, il se contenta d’exercer une surveillance des plus
actives. Werner se tenait toujours dans les limites non punissables
de la faute, persistant dans une attitude de révolte sournoise. A
propos de chaque corvée, le sous lieutenant Fourcade entendait des
réflexions partir du milieu de la section sur le « tarif du
travail », le salaire ou autres, mais la complicité muette des
camarades assurait à Werner une impunité qui augmenta son audace.
Le 27
mai dernier, Werner… réussit en trompant la surveillance de ses
chefs à s’esquiver et à rentrer au cantonnement, au lieu de
prendre part à la manœuvre avec ses camarades. Au
cours de l’exercice de l’après-midi, le sous lieutenant Fourcade
annonça à Werner que cette absence serait sanctionnée par une
punition. Le soldat discuta, nia même les faits qui lui étaient
reprochés et répondit à l’ordre de se taire que l’officier lui
donnait : « C’est bien ça, en voyant arriver de
nouveaux chefs, on croyait assister à l’avènement de l’ère
nouvelle, mais c’est encore pire qu’avec les autres… Nous avons
nos journaux et après la guerre, vous passerez en jugement devant le
peuple… et nos journaux aussi vous emmerdent et moi aussi »
Devant l’impossibilité d’obtenir le silence et pour éviter à
la section le spectacle de cette scène qui se prolongeait par trop,
le lieutenant fit conduire Werner au poste de police, cependant que
celui-ci s’écriait « on trouvera toujours des fainéants
pour emballer un camarade ». Ces faits allaient faire l’objet
d’une plainte en CG, lorsque Werner se rendit coupable
d’infractions beaucoup plus graves au cours de la marche manœuvre
du 30 mai 1915. Après le tir… une discussion s’est engagée
entre Werner et le caporal Ramanger… Le témoin Fauret précise
qu’à un moment il entendit le caporal dire à Werner « ce
que tu me dis à moi tu ne le dirais pas à un lieutenant ou à un
sous lieutenant » à quoi Werner répliqua « la même
chose si je suis dans mon droit ». A ce moment Werner donna une
gifle au caporal. Celui-ci
alla se plaindre au lieutenant Danis commandant la Cie, qui rendit
compte au chef de bataillon Humblot ; qui venait avec son
officier adjoint, le lieutenant Comont, surveiller le retour des
Cies… Le caporal avait les lèvres écorchées, malgré cela Werner
niait. Ses camarades d’escouade refusiaent de témoigner,
encouragés en cela par Fauret, qui, derrière le dos du Commandant,
leur faisait signe de se taire. Le lieutenant Comont, ayant surpris
cette mimique, intima à Fauret l’ordre de se taire, mais à ce
moment il remettait dans sa gaine un couteau dont il se servait
machinalement pour retailler un de ses ongles (Cet officier a le
pouce droit écrasé). Werner profita de cette circonstance pour
causer du scandale ; s’adressant au lieutenant Comont, il
l’invectiva en lui disant : « Ah, cochon ! Tu veux
me brûler mais je te brûleraiavant ! » Le commandant
Humblot donna l’ordre au lieutenant Danis de faire conduire Werner,
sous escorte au poste de police, après l’avoir fait désarmer.
Werner refusa, saisit sa baïonnette par la poignée et voulut la
tirer ; il y réussit malgré les hommes qui l’escortaient et
prit son fusil sur un faisceau… mais
à ce moment le sergent Cintrat le maîtrisa et le fit conduire par
une voiture médicale au poste. Au cours du trajet Werner persista
dans son attitude, il rentra au village la cigarette à la bouche,
l’air gouailleur apostrophant les soldats.
Lors du la séance du 12 juin devant le
CG de la 67è DI, aucun témoin n’est présent. Werner déclare :
« J’étais camarade avec Ramanger, nous discutions souvent,
sans acrimonie. Nous avions bu un peu tous deux. Je l’ai blagué.
Nous nous sommes bousculés. Il est allé se plaindre une fois en
marche et s’est mis aux derniers rangs de la colonne. Quand le
Commandant a arrêté la Cie, j’ai vu que plusieurs camarades
prenaient mon parti. J’ai alors déclaré que j’assumais toute la
responsabilité de cet incident, et sui allé m’asseoir sur le bord
de la route. Ce sont mes camardes qui en se remuant ont fait tomber
les faisceaux. Je n’ai à aucun moment essayé de dégaîner. Je me
suis cru menacé par le Lieutenant Comont… Je n’ai pas insulté
le Commandant. J’ai répondu à son apostrophe « Il y a ici
des goujats ! » par ces mots « non, il n’y a que
de braves gens et ils ont fait et feront tout leur devoir »…
Les camarades m’ont raconté, après mon arrestation que pour se
venger de l’incident, le Commandant Humblot avait fait faire un
exercice supplémentaire aux hommes, et que ceux-ci avaient crié,
mis des balles dans leurs fusils et que le Commandant avait été
obligé de s’en aller. »
Aucun des témoignages n’est
absolument clair. Au fil des procès-verbaux d’interrogation on
comprend que le soldat Fauret, qui témoigne le premier avoir vu
gifler Ramanger et s’empresse de jeter de l’huile sur le feu est
une balance, qu’il nourrissait lui-même une haine féroce contre
ce caporal dont Werner prenait souvent la défense. (Ramanger,
caissier du Bulletin de la société d’éducation et
d’enseignement, recevait également tous les jours Le
Gaulois et la Libre Parole. « Ramanger
et Werner, bien qu’il se disputassent continuellement, étaient
tout le temps ensemble, soit pour boire, soit pour jouer aux cartes.
Ce matin-là, je crois pouvoir dire que le caporal était ivre et que
Werner avait une légère pointe d’ivresse » témoigne du
sergent Cintrat.) Il semble que Werner ait fait par
l’intermédiaire de sa femme passer des articles à la Bataille
syndicaliste, ce qui s’apparente pour les officiers à des
faits de trahison. Ramanger se serait endormi pour cuver sur la
pelouse et les hommes, pour le plaisanter lui auraient envoyé des
boîtes de conserves, ce dont il s’éveilla fort fâché. Lors de
la tentative d’explication, l’adjoint Comont, constatant que les
camarades de Werner prenaient sa défense contre le caporal aurait
tiré son poignard pour les faire taire. Il s’en serait suivi une
mêlée générale au cours de laquelle les hommes, constatant
l’arrogance du lieutenant auraient mis baïonnette au fusil pour se
prévenir d’une attaque. Après avoir fait désarmer tout le monde
Humblot fit une démonstration morale sur les dangers de l’ivresse
et aurait traité les soldats non de goujats, mais de canailles et
d’ivrognes. Tout ce conflit apparaît donc comme un règlement de
compte politique, et la tentative de juguler un mouvement de
rébellion spontanée en éliminant le meneur supposé le plus
dangereux.
Condamné à l’unanimité, Werner est
fusillé le 14 juin 1915 à 5 heures à Troyon-Sur-Meuse.
Joseph Gabrielli, né le 8
février 1894 à Pietraserena (Corse). Berger de son état, illettré,
ne parlant que sa langue natale, il n’avait jamais son village
natal près de Corte, quand il fut mobilisé au 140è régiment
d’infanterie. Bien qu’il soit considéré comme arriéré mental,
on l’affecte à la 6è compagnie où on a plus besoin de son corps
que de son esprit. Le 8 juin 1915, au cours d’une attaque, il est
légèrement blessé. Son chef l’envoie se faire penser au poste de
secours.
En revenant, il s’égare et ne
retrouve plus sa compagnie. On le retrouve cinq jours plus tard,
terré au fond d’une cave à Colincamps (Pas de Calais).
Interrogé il déclare (avec peine, car
il parle très mal le français) aux gendarmes:
« Mon régiment est rentré dans
la tranchée la nuit du 6 au 7. J’ai pris part à plusieurs
combats. Dans la nuit du 12, ma compagnie est partie à l’attaque,
j’ai suivi mes camarades, mais à la fin des combats, je ne les ai
pas retrouvés. Je suis revenu à la tranchée, mais, comme il n’y
avait plus personne de mon régiment, je suis parti sans savoir où
j’allais. Je suis arrivé à Colincamps vers quinze heures, j’ai
cherché ma compagnie sans la retrouver, c’est alors, que j’ai eu
l’idée de descendre dans la cave d’une maison abandonnée où je
suis resté pendant deux jours. J’ai perdu mon fusil et mon sac
dans la tranchée. »
Le rapport rédigé par le commandant de
la prévôté donne une autre version des faits :
« Le soldat
Gabrielli a disparu de sa compagnie le 8 juin au matin et a été
signalé par son caporal d’escouade comme manquant à l’appel.
Dans la même journée, des soldats de la compagnie faisant le
service de ravitaillement ont attesté avoir vu Gabrielli au poste de
secours du bataillon. »
D’après
l’enquête faite auprès de ses chefs, et de ses camarades, il
ressort que Gabrielli est un débile profond, élevé à l’état
sauvage et surtout employé à creuser des latrines ou des tranchées.
Il est néanmoins traduit devant le conseil de guerre spécial du
140è R.I.
Voici la transcription d’une partie de
l’interrogatoire de l’accusé faite par le commissaire du
gouvernement.
- Quand avez-vous
quitté votre compagnie et à quelle heure ?
- Je ne m’en
souviens pas…
- Pourquoi
l’avez-vous quittée ?
- J’ai reçu un
obus près de moi et je ne me rappelle plus rien…
- Combien de jours
êtes vous resté absent de votre compagnie ?
- Trois jours.
- Pourquoi
n’avez-vous pas cherché à regagner votre compagnie le plus tôt
possible ?
- J’ai cherché
partout et je n’ai pas trouvé.
- Où avez-vous été
trouvé ?
- Dans une cave.
- Est-ce dans une
cave que vous cherchiez votre compagnie ? Pourquoi avez-vous dit aux
gendarmes avoir quitté votre poste le 12 courant alors qu’en
réalité vous êtes porté absent depuis le 8 juin ?
- Les gendarmes
n’ont rien compris…
- Pourquoi avoir dit
que vous étiez resté absent trois jours, alors que vous êtes porté
manquant depuis le 8 au matin et que vous n’avez été retrouvé
que le 13 juin à 18 heures, c’est-à-dire six jours après ?
- Je ne peux pas
m’expliquer.
- Avez vous quelque
chose à rajouter pour votre défense ?
- Je suis ici pour
défendre la France !
C’est un interprète corse qui
traduisait au fur et à mesure les questions et les réponses. Malgré
les témoignages des soldats et de son commandant de compagnie
confirmant l’irresponsabilité de l’accusé, le conseil de guerre
le reconnaît coupable d’abandon de poste devant l’ennemi et le
condamne à mort.
Le même jour, à Hébuterne (Pas de
Calais), le 14 juin 1915, la sentence est lue à 20 heures et
Gabrielli, 21 ans, est fusillé une heure plus tard. Dix ans après,
un témoin, M Dupommier, qui avait assuré la défense de l’accusé,
raconte l’exécution.
« Au cours de ces quatre années
de guerre, j’ai vu de terribles choses. Je ne crois pas avoir
assisté à un plus triste spectacle que cette exécution. Gabrielli,
affolé, courrait devant les fusils en criant : « Maman, maman,
je ne veux pas mourir… » Il se cramponnait convulsivement,
tantôt à l’aumônier, tantôt à moi ; il a fallu planter un
poteau sur la tranchée de deuxième ligne pour l’y ligoter. Cela a
duré une demi-heure. Les hommes du peloton d’exécution étaient
terriblement émus. Un seul être demeurait impassible : c’était
le commandant Poussel (tué quelques mois plus tard en Champagne).
Après le coup de grâce, cet officier m’a dit « Voilà
une mort qui épargnera bien des vies humaines ». J’ai
répondu « Vous avez mon commandant, une étrange conception de
la justice et vous venez d’assumer une bien effroyable
responsabilité devant Dieu ».
Le 4 novembre 1933, la cour spéciale
militaire annule le jugement du conseil de guerre et réhabilite
Gabrielli. Néanmoins, ce corse n’a pas droit à la mention Mort
pour la France.
Le 25 mai 1915, Georges Célestin
Leminorel se cache dans un renforcement de la tranchée de
départ, alors que la 1ère compagnie du 24e RI, à laquelle il
appartient, se porte en avant sous le feu des adversaires. Quand le
cycliste de la compagnie Kuhn le surprend, le soldat Leminorel
prétend être blessé aux reins. Il ne s'est pas présenté au
service médical pour prouver sa blessure. Au cours de
l'interrogatoire qu'il subit, il reconnaît avoir menti. Au cours de
l'audience, il est souvent mis en exergue le fait qu'il soit « un
mauvais soldat ». Le dossier de procédure relève surtout des
punitions infligées en 1913; Le 15 juin, il est fusillé dans le
Pas-de-Calais, à l'âge de 22 ans.
Pierre Marie Guellec, né le 21
février 1886 à Landrevarzec (Finistère), garçon de magasin à
Briec, célibataire (1,73m, cheveux châtain clair, yeux marron
clair, front et nez moyen, visage rond, menton petit, cicatrice dans
l'aine).
Engagé volontaire en 1906, passé
premier canonnier en 1907, rengagé pour un an, passé dans la
réserve le 7 décembre 1910 avec certificat de bonne conduite, à
nouveau rengagé, promu 1er canonnier conducteur en août 1913, versé
au 1er Rgt d'Artillerie coloniale le 8 août 1914.
Chef d'accusation : "Prévention
suffisamment établie d'avoir, le 6 juin 1915 à Bussy le Château
(Marne) commis volontairement un homicide sur la personne du
brigadier Landel avec la circonstance aggravante que ledit homicide a
eu lieu avec préméditation.
Notes d'audience du 13 juin 1915 devant
le CG permanent de la 2è division à Ferrières: Guellec déclare ne
se souvenir de rien étant ivre au moment du crime. Témoins (...) Le
2è canonnier Le Dû : « c'est le second coup tiré qui a
atteint Landel » Le témoin n'avait pas remarqué que Landel et
Guellec étaient mal ensemble. Un troisième témoin qui n'avait rien
remarqué non plus ajoute qu'on « supposait à la batterie que
Guellec était jaloux de l'avancement obtenu par Landel ».
Le 6 juin 1915, le 1er Rgt d'Art Col
éttant cantonné à Bussy le château. Le brigadier Landel de la
première batterie se trouvait, vers 19 heures , depuis environ une
dizaine de minutes dans la grange de son cantonnement avec les 3
canonniers Tinquier, Ledû et Pontenay. Landel se tenait debout, il
lisait une lettre qui venait de lui être remise. Tout à coup entra
dans cette grange le canonnier Guellec qui s'adressant au brigadier
Landel lui dit. "Est-ce que tu m'as appelé?" Landel
répondit : "Pourquoi veux-tu que je t"appelle". Au
même instant Guellec dégagea de sous son bourgeron son revolver
d'ordonnance et tira 5 balles de revolver sur le brigadier Landel qui
est mort quelques instants après.
A l'instruction ses déclarations
peuvent se résumer ainsi: « Le brigadier Landel m'en voulait,
il m'a mouchardé aux officiers de mon groupe. J'étais ivre quand
j'ai tiré sur Landel, je ne me rappelle de rien, le brigadier Landel
ne m'a jamais puni, il avait dit de moi au mois de février que
j'étais un fumiste, je ne me souviens pas que le brigadier ait
commis vis-à-vis de moi d'autres faits qui puissent m'ennuyer. »
(...) Guellec sert actuellement comme rengagé, il a près de 7 ans
et 8 mois de service. Il a encouru 57 jours de punition, 22 de salle
de police, 28 de prison et 7 de cellule Il a été noté comme bon
conducteur et bon soldat".
Condamné à mort avec dégradation
militaire, le jugement est exécutoire comme le stipule la mention
marginale : « l'officier d'artillerie greffier soussigné
certifie que le condamné a été fusillé le 15 juin 1915 à
Ferrières . »
Le même jour au même endroit « angle
nord-est du parc du château de Ferrière », à 5 heures est
exécuté
Charles Nony, né le 18 janvier
1882 à Sainte-Sévère dans l'Indre, terrassier, célibataire
(1,63m, cheveux châtains, front couvert), 4è RI.C. condamné pour
voies de faits envers un supérieur pendant le service.
Un jugement antérieur du 13 mai (5 ans
de travaux forcés) pour outrages, paroles, gestes et menaces envers
un supérieur avait été suspendu par décision du général de
division.
Extraits du rapport: « Le 5 juin
1915 à Vedenay (Marne), Le soldat Nony discutait vers 22h30 avec
plusieurs de ses camarades. Le chef d'escouade, un caporal, invita
Nony à faire silence et à se coucher. Nony répondit par des
paroles injurieuses à l'adresse du caporal [selon Nony, il aurait
simplement dit au caporal Gardin « Ne gueule pas ainsi, nous ne
gueulons pas! »] et sortit de la grange. L'adjudant-chef Autin
ayant entendu les paroles prononcées [selon lui « le caporal
nous fait chier, s'il a fini de gueuler, allons nous promener »]
ordonna à ce soldat de rentrer dans son cantonnement. Cette
intervention eut la conséquence de déplaire à Nony et de le rendre
furieux. Il répondit à l'adjudant « Non, je n'irai pas ».
L'adjudant-chef commanda deux hommes pour conduire Nony au poste de
police. Nony, de plus en plus furieux dit à l'adjudant-chef Autin :
« Attends un peu sale vache je vais te faire la peau »".
Joignant le geste à la parole, Nony alla chercher son fusil au fond
de la grange et revint vers l'adjudant-chef, ramena le bouton
quadrillé de son fusil à la position arrière, manœuvra la culasse
comme pour charger et mit en joue l'adjudant qui se précipita sur
Nony. Après une lutte qui a duré d'une minute à une minute et
demie il parvint à le désarmer aidé par 2 hommes. Ces deux hommes
voulant conduire Nony au poste de police, il leur échappa pour se
précipiter à nouveau sur l'adjudant-chef Autin qu'il saisit à la
gorge, appuya son pouce de toutes ses forces sur le larynx et plaça
ses doigts sur la bouche en lui disant: « je vais te faire la
peau, je vais t'étrangler. » Plusieurs hommes, intervinrent et
réussirent à faire lâcher prise à Nony qui continua à vociférer,
à frapper des pieds, de la tête. Complètement ligoté, Nony fut
conduit sur une brouette au poste de police. Nony n'était pas en
état d'ivresse, il avait bu un peu mais pas à l'excès.
Au cours de l'instruction, Nony a
déclaré qu'il avait éprouvé une vive contrariété [qui] l'a fait
entrer dans un état de fureur extrême, il ne se souvient de rien de
ce qu'il a pu faire, il a agi sous l'empire de la folie, il regrette
sa conduite.
Son capitaine s'exprime sur le compte de
Nony de la façon suivante: « Nony est un individu extrêmement
dangereux, le type de la brute chez laquelle n'existe plus aucun bon
sentiment. Il est incapable de racheter son passé ainsi qu'il l'a
demandé lors de sa dernière condamnation. Il est incapable de
s'empêcher de boire. Il nourrit contre les gradés une véritable
haine qui se traduit par une volonté très nette de tuer. Cette
volonté est parfaitement consciente. Nony sait très habilement
éviter les circonstances aggravantes et profite de tous les
incidents qui peuvent atténuer sa faute. La manière de servir de
Nony depuis qu'il est à la compagnie a été assez bonne. Pendant
les séjours aux tranchées, je n'ai eu aucun reproche à lui
adresser. Pendant les séjours de repos à Hans au contraire, sa
conduite a passablement laissé à désirer. »
« Engagé volontaire pour 4 ans le
17 février 1903 dans une bataillon d'infanterie légère
d'Afrique... A la suite d'une condamnation [CG de la division
d'occupation de Tunisie le 22 décembre 193 à la peine de 10 ans de
réclusion, la dégradation militaire et à vingt ans d'interdiction
de séjour, coupable de coups mortels (circonstances atténuantes
admises)]... il a reçu l'autorisation de contracter un engagement
volontaire pour la durée de la guerre... »
Lors de l'interrogatoire du CG, il lui
est également reproché d'avoir crié « vous êtes des
assassins, je sais que c'est douze balles qui m'attendent mais je
m'en fous, vive l'anarchie. » Battesti, l'un des témoins
chargé de le maîtriser rapporte qu'il les aurait traités de
lâches. L'adjudant-chef Autin reconnaît qu'il savait pertinemment
que le fusil n'était pas chargé (mais suppose curieusement que Nony
pensait le contraire alors que toutes les armes de la section étaient
vidées) et que Nony n'a pas eu le temps d'abattre le chien avant
qu'il lui arrache l'arme. Il ajoute : « Pendant le temps que
les hommes le maîtrisaient, il disait: « bande d'assassins,
capitaine Hardy, vous restez dans votre trou pendant qu'on se fait
tuer. » Le « Vive l'anarchie" attesté » par
le commandant Hardy dans son premier rapport n'apparaît pas dans les
déclarations d'Autin.
François-Marie Giudicelli, né
le 20 juin 1894 à Santa Reparata di Bologna où il exerçait le
métier de pêcheur.
jeudi 4 octobre 2012, Journal
de la Corse : Le squelette de ce soldat corse du 140e régiment
français, a été retrouvé dans sa tombe les mains encore liées
dans le dos et enterré à même la terre, sans cercueil, sans nom,
sans plaque. Il a été exhumé vendredi du cimetière de Caix pour
être inhumé dans son village natal.
François Guidicelli n'était pas un «
soldat inconnu », comme le mentionnait un vieux registre du
cimetière de Caix où son nom, jusque là dûment notifié, avait
été ensuite effacé, intentionnellement sans doute.
Il a été de tous les combats à partir
de septembre 1914, date de son arrivée au front jusqu'au 8 juin
1915. Ce jour-là, il est retrouvé sans connaissance sur le champ de
bataille par un brancardier dont le témoignage figure dans son
dossier militaire. Un papier daté du 12 juin 1915 et signé du
sergent Gouron était ainsi rédigé :
« Je reconnais avoir relevé le
soldat Guidicelli dans la nuit du 7 au 8 juin vers 1 heure du matin.
Ce militaire est resté sans connaissance pendant plus d’une
heure. »
Le 9 juin au Poste de Secours on lui
prodigue quelques soins avant de lui ordonner de rejoindre son
régiment. Il s'effondre en chemin, vraisemblablement victime du
syndrome de Shell-Shock. Cela explique la disparition temporaire de
Guidicelli, qui se présente de lui-même à son Commandement le 17
juin, dès qu'il a repris quelque peu ses esprits. Il est déféré
le surlendemain devant un Conseil de Guerre spécial, et fusillé à
Caix dans la Somme le lendemain, le 20 juin, jour anniversaire de ses
21 ans.
22 juin 1915
La décimation du 2è régiment de marche du 2è régiment étranger (Légionnaires russes)
Les événements :
Afin de comprendre la
situation, il faut se reporter à une lettre du colonel Ignatieff,
attaché militaire russe à Paris, qui, le 23 février 1915 se fait
écho des plaintes de ses compatriotes -enfin de certains d'entre
eux, car, en bon aristocrate, il répartit les volontaires en deux
catégories distinctes auxquelles les autorités françaises ne
cesseront de se référer :
J'ai l'honneur de porter à la connaissance des autorités françaises compétentes, ce qui suit:les nombreuses lettres et réclamations qui parviennent à l'ambassade de Russie de la part des volontaires Russes et de leurs parents démontrent d'une façon certaine que la situation des engagés volontaires russes, combattant dans les rangs des régiments étrangers, laisse à désirer et crée un sentiment de mécontentement de la part des chefs français d'un côté et des volontaires mêmes de l'autre, mécontentement qui, malheureusement, ne fait que grandir.
Ayant étudié cette question, j'ai pu déterminer d'une façon exacte les raisons de cet ordre de choses, mais avant de les analyser, il est absolument indispensable que je signale l'énorme différence qui existe entre les deux catégories bien distinctes de volontaires russes : la première comprend les Russes qui dès les premiers jours de la mobilisation sont accourus spontanément pour offrir leurs services à la France amie et alliée et combattre l'ennemi commun. Cette catégorie comprend outre un grand nombre de gens instruits et cultivés : étudiants, artistes, ingénieurs, avocats, hommes de lettres, etc... une certaine quantité d'anciens soldats, réservistes et territoriaux, que la guerre a surpris à l'étranger et qui, quoique non appelés sous les armes en Russie, en raison de l'absence ou de la difficulté de communications, ont néanmoins tenu à remplir leur devoir et sont venus se ranger sous les drapeaux de la France. Toute cette catégorie de ce qu'on peut appeler les volontaires « convaincus » est tout à fait digne d'intérêt, car, étant animés d'un idéal patriotique et pleine d'ardeur et de bonne volonté, elle ne demande qu'à se battre.
Quant à la seconde catégorie de volontaires Russes qui, malheureusement, est fort nombreuse, elle est composée en majeure partie de juifs polonais, émigrés de Russie, qui, jusqu'ici, vivaient sordidement à Paris avec leurs très nombreuses familles et gagnaient péniblement leur vie, exerçant différents métiers, tels que tailleurs, casquettiers, cordonniers, savetiers, etc... La, guerre ayant jeté tout ce monde-là littéralement sur le pavé, ils ont préféré s'engager pour ne pas mourir de faim et assurer le pain à leurs familles. À ceux-ci il faut ajouter un certain nombre de déserteurs, d'insoumis, de criminels évadés et de gens sans aveu qui ont quitté la Russie sans esprit de retour, espérant par le fait de leur engagement se soustraire à la surveillance de la police, et acquérir le droit à la naturalisation. (...)
Leur situation peut se résumer en quelques mots. Les volontaires russes souffrent et se plaignent du fait d'être forcés de vivre et de combattre à côté d'étrangers de différentes nationalités, de leurs propres compatriotes de moralité très douteuse et de cadres de légionnaires envoyés d'Afrique. Ces derniers en particulier, ont apporté dans les régiments étrangers nouvellement formés une mentalité et des mœurs tout à fait spéciales et de nature à choquer et à révolter les volontaires russes qui ne demandent qu'une seule chose, c'est d'être réunis dans des formations commandées par des gradés et des officiers russes ou français parlant le russe. (...)
JMO du bataillon F du 2è
RM-RE
« 20 juin 1915 – à Prouilly. Départ à 18h15 pour Merfy et Saint Thierry; Au moment du départ, 44 légionnaires refusent de s'équiper et de suivre le bataillon, déclarant ne plus vouloir servir à la Légion Etrangère et voulant passer dans des corps français. Au dernier moment, 17 légionnaires russes se ravisent et rejoignent leur compagnie. 27 légionnaires russes et arméniens persistant dans leur refus d'obéissance sont remis entre les mains de la force publique, prévenue dans l'après-midi (les légionnaires arméniens demandaient à être envoyés dans un camp de concentration, étant sujets ottomans).
21 juin 1915 –(…) Dans sa séance du 21 juin, le Conseil de Guerre spécial réuni à Pévy par ordre n°4759 du général commandant le corps d'armée pour juger les 27 légionnaires du bataillon coupable de révolte et refus d'obéissance sur territoire en état de guerre condamne ceux-ci :
1. à la peine de cinq ans de travaux publics (7 légionnaires)
2. à la peine de dix ans de travaux publics (11 légionnaires)
3. à la peine de mort (9 légionnaires)
22 juin 1915 – Conformément aux prescriptions de l'article 151 du Code Civil, les neuf légionnaires ci-dessus désignés, condamnés à la peine de mort par le conseil de guerre spécial du régiment, ont été passés par les armes le 22 juin à 15 heures à Pévy.
Rien d'autre à signaler.
23, 24, 25 juin 1915 – Rien à signaler."
Extraits des notes
d'audience manuscrites du CG spécial réuni à Pévy qui dure du 21
avril, 15 heures au 22 avril à 2 heures (rédacteur inconnu) :
- Mauvais esprit se manifeste chez certains engagés dès le commencement de février.
- Vers le 10 avril, cinq volontaires russes du bataillon Berecki (1ère catégorie) quittent sans permission les Blancs Sablons et vont à Maizy réclamer au général commandant la 36è Division contre les mauvais traitements dont ils étaient l'objet de la, part de leurs sous-officiers.
Ordre du général commandant la 36è Division de renvoyer dans leur compagnie, sans punition et sans non lieu, les cinq hommes objets de la plainte.
Fâcheux effet.
Mai – dans le courant de mai, les cinq mêmes hommes, punis de prison, refusent de faire le peloton de punition.
Plainte en conseil de guerre est établie contre eux mais par suite de changements de secteur (...) l'ordre d'écrou ne les a pas touchés à la date du 20 juin.
11 juin – Onze légionnaires du bataillon Rozet, en cantonnement à Oeuilly, refusent de se rendre aux tranchées (ils se décident à obéir mais après s'être rendus coupables de refus d'obéissance).
Conseil de guerre = 17 juin. 5 ans de travaux publics. Sans suspension de peine.
18 juin – Courlandon = 4 volontaires russes du bataillon Berecki s'enivrent, font du scandale (on doit les ligoter) et le 19 au matin refusent de partir. Ils rejoignent pourtant le bataillon peu après son départ.
20 juin – Dès l'arrivée à Prouilly le 19 les gradés de la compagnie Jacquesson rendent compte à leur capitaine que la section russe de la compagnie avait décidé de refuser de marcher le lendemain.
Au départ 20 juin à 18h30 :
1) 17 hommes de la section russe de la compagnie Jacquesson refusent de partir. Intervention du capitaine de gendarmerie qui réussit à les décider à marcher.
2) 12 hommes qui avaient couché au poste de police (4 préventionnaires des Blancs Sablons – 4 préventionnaires à la suite de Courlandon – 4 hommes punis de prison) refusent de partir. Intervention vaine de la gendarmerie qui la prend en charge.
3) 7 arméniens et 8 russes de la 3è compagnie (lieutenant Sandret) refusent également de partir.
- Fâcheuse impression produite par les accusés en séance: tous ont crâné; cynisme.
Presque tous parlaient très couramment français et appartenaient à la 1ère catégorie (gens instruits et cultivés).
Défense: les Russes voudraient servir dans un régiment français et non au 2è Etranger où ils sont maltraités et mal nourris.
Rapport du Général Guérin, 9 juillet
1915 :
Dans l’après
midi, quatre légionnaires, ivres, ( Kononoff, Kask, Kircew, Elfant.)
quittent leur cantonnement, bardés de bidon afin de les faire
remplir de vin au débit de boisson.
Un sergent
(Barras) veut les en empêcher mais l’excitation des hommes est
telle que des renforts doivent intervenir.
Amenés dans le
poste de police, ils brisent le poêle, des vitres, un banc.... A
l’extérieur, ils descellent une porte, détruisent une boite aux
lettres....
Un homme de la
section de renfort, ivre lui aussi, se joint aux émeutiers et « les
dépasse en violence » (Adamcheftski)
Dans la rue, hommes, femmes, enfants,
d’autres militaires assistent, ébahis à la scène...
Le calme renaît
à l’arrivée du chef de bataillon. Il ordonne au sergent de
bâillonner et ligoter les soûlards si l’esclandre reprend. A
peine a-t-il disparu que les cris reprennent. Les 5 légionnaires
menacent « de passer aux Boches » puis se remettent à
casser tout ce qui se trouve à leur portée. Des cordes et des
baillons sont apportés. Les coups de pieds et de poings volent de
toute part. Un caporal est mordu si fortement que sa capote et sa
chemise sont coupées. 4 hommes sont nécessaires pour maîtriser
chacun des pochards !!
« Cette
opération ne se fait pas sans de grandes difficultés et sans une
vigoureuse résistance des légionnaires. Dans leurs soubresauts,
plusieurs se frappent et se meurtrissent la tête. Certains ont de la
terre, d’autres, dont Adamcheftski, du sang sur le visage, ou sont
égratignés. »
A 20 heures 30,
le calme définitivement revenu, les légionnaires sont lavés,
nourris et renvoyés dans leurs chambrées.
« .... Une
bagarre ordinaire comme il s’en produit souvent lorsque des hommes
de garde emmènent au poste des hommes ivres. Cette bagarre n’a
pris un caractère de gravité qu’à l’arrivée d’Elfant,
engagé de nationalité russe qui, recevant beaucoup d’argent,
exerçait une grande influence sur ses compatriotes en leur offrant à
boire et les poussait à la rébellion. »
le 22 juin 1915
Le général commandant le 1er CA au général commandant la Vème Armée à Jonchery sur Vesle
Il m'a été rendu compte en outre que l'attitude de tous les coupables au cours de l'audience a été celle de révoltés. Dans ces conditions, j'estime qu'un exemple s'impose.
En conséquence, j'ai donné l'ordre que l'exécution des neufs condamnés à mort aurait lieu aujourd'hui dans l'après-midi près de Pévy, où se trouvent les coupables.
Condamnés
à 10 ans de Travaux forcés
Kouonoff
Vladimir (/ Wladimir), 1/06/1883, Izvolsk, Russie, étudiant,1m61
Kolodine
Jean (/ Michel), 22/11/1894, Kastroma, Russie, tailleur,
Kotchikian
Joseph, 19/03/1889, Constantinople, Turquie, employé de
commerce, 1m60
Arcous
Jacob, 22 mars 1893, Dwimsk, Russie, bijoutier, 1m60
Khédidjian
Agof, 1886, Constantinople, Turquie, tailleur, 1m67
Yadjian
(/ Yagdjian) Grégoire, 16/05/1891, Brousse, Turquie, tailleur,
1m72
Elmassian
Armagnac (/ Aram), 8/01/1888, Rouskouk, Bulgarie, 1m80
Kenskenvitch
(/ Kenskewitch) Sobislav (/ Sobielaw), 11/10/1894, Varsovie,
P., modeleur, 1m65
Pembedjian
Hmayak (/ Helma / Hemaïak), 24/06/1891, Van, Turquie,
photographe, 1m75
Zaraderian
(/Sarayderian) Agof, 1887, Constantinople, Turquie, maréchal,
1m70
Lifchitz
(Liwchitz) Grégoire, 19/04/1887, Simferopol, Crimée, avocat,
1m72
Condamnés à 5 ans
Condamnés à 5 ans
Kasq
(/ Kask) Joseph (/ Stanislas), 21/02/1881, Karmenka Beergoura,
Russie, chauffeur,
Kirieff
Paul, 16/01/1888, Bohatok, Russie, chauffeur,
Joffé
Bention, 12/05/1891, Hauchky, , boulanger, 1m58
Levinshon
Nochim, 14/07/1890, Mariempol, Russie, étudiant,
Gulbinkian
Garabed (/ Gulbenkian), 15/11/1884, Talasse en Césarée, fondé
de pouvoir, 1m70
Portner
Nordko (/ Mordko),
15/03/1886, Moraka, Russie, tourneur, 1m72 Zabrono
Bernard,
22/01/1887, Kouniv, Russie, vernisseur, 1m65
Les condamnés à
mort sont (Nota : 3 d'entre eux étaient juifs)
Jean Pallo,
Палле, né le 10 octobre 1890, Tallin, Finlande russe (Estonie),
étudiant, 1m70 ou 1m71
- relevé de
punitions : 20 à partir du 3 janvier, s'esquive pour couper aux
travaux. Il s'en explique le 9 avril : il veut être renvoyé
de la Légion. Il porte le pantalon rouge au lieu du bleu, il cache
ses brodequins pour ne pas être de corvée de punis.
État
signalétique : domicilié à Helsingfors blond aux yeux bleus.
Max Dickmann,
Дыкман, 9 septembre 1892 ou 90, Moscou, Russie, boxeur, 1m90
4 punitions les 25
et 27 mars pour avoir répondu « tu me fais chier »
à son caporal lui demandant de rapporter le pain et s'esquive d'une
corvée.
Jean (/Jan)
Brudeck, Брудек, 18 avril 1886, Bogorias, Pologne
russe, journalier,
relevé de
punitions : 5 juin pour avoir "été rencontré 3 fois
dans la même journée dans une compagnie voisine", puis le
20 juin pour avoir "perdu sa pelle pioche"
Georges Albert
Elfand, Элефант, 8 mai 1891, Odessa, Russie, 1m90 :
considéré, on l‘a vu, comme le meneur de la rébellion.
-punitions : 6
à partir du 15 mars, surtout pour ses propos.
De son adjudant,
alors qu'il fait des difficultés pour aller en corvée : « Ah !
je le connais l'adjudant, il était sergent major à la 4e, ce n'est
pas le Pérou ».
En sentinelle, à
son chef de poste qui le réprimande : « Après tout je
ne veux pas me laisser chier sur la tête par un caporal ».
Lors d'un exercice
des punis, il les interpelle en leur « faisant des
singeries ». réprimandé par le sergent il rétorque :
« vous ne m'avez encore donné l'ordre qu'une fois, j'ai
encore le temps de partir. Il faut que je refuse 3 fois pour passer
en conseil de guerre ».
État signalétique
(yeux gris, cheveux noirs).
Grégoire
Artomachin (/Artomachim) Артамошин 27août1887,
Méchaing, Russie, mécanicien,
- relevé de
punition : 19 juin, jetant ses armes, ses effets, refusant de se
mettre en tenue.
Nicolas
Nicolaeff (/Nicolaieff), Николаев, 27 juillet 1889,
Nijni Novgorod, Russie, étudiant,
- relevé de
punition : 7 avril 1915, « insulte envers ses
camarades ».
Jean Petroff,
Петров, 17 octobre 1880, Yvano Dombrosvk, Russie, tourneur,
punitions ; néant
Simon
Chapiro, Шапиро, 12 juin 1888, Saint Petersbourg,
Russie, rentier, 1m64
Tigran Timaksian, Тимокошан,
4 mai 1878, Mouch, Turquie, 1m59
Ils sont exécutés le 22 juin à 15
heures. Avant la fusillade les volontaires russes ont crié : "
Vive l'alliance, La France et la Russie ! A bas la Légion ! "
Nouvelle revue socialiste, 1925
Emile Grossenrieder, né
le 1er avril 1894 à Nancy, monteur à Paris, célibataire, soldat au
169è R.I. 7è Cie,
condamné par le CG de la place de Toul
le 20 mars 1915 à deux ans de prison (peine suspendue) pour abandon
de poste sur un territoire en état de guerre, Grossenrieder n’était
arrivé au 169è que depuis trois semaines. « Grossenrieder est
un habitué du dépôt des éclopés. Il y est venu du 23 au 24
décembre ; il y est revenu du 11 au 25 janvier. Il s’y
trouvait une 3è fois le 27 janvier, sans que le médecin-chef ait pu
déterminer comment il s’y trouvait… Pour essyer de prolonger son
séjour aux Eclopés et afin d’éviter le départ, l’inculpé
s’absenta jusqu’au 31 janvier, pensant ainsi échapper à son
retour sur le front. Il sauta le mur le 29 janvier après l’appel…
Il a passé à Nancy les journées des 29, 30 et 31 janvier…
déclare aujourd’hui qu’il a passé son temps dans sa famille,
tandis qu’il avait déclaré tout d’abord qu’il avait passé
son temps à Toul avec sa femme. »
« Dans le combat du 31 mars au 1er
avril, pour l’obliger à tirer sur les allemands, ses supérieurs
auraient dû lui répéter six ordres successifs et même le menacer
du revolver ».
CG des Etapes et services de la IVè
armée, 22 juin 1915 :
Mes camarades me faisaient des misères.
Ils m’appelaient « tête carrée » parce que mes
parents étaient alsaciens. (Mon lieutenant M. Bouzoux et mes
camarades… me disaient que ma place n’était pas avec eux mais
avec les allemands). Lorsque ma Cie a été aux tranchées, je suis
resté au poste de police de Montauville. Pour justifier ma présence
à Montauville, j’ai déclaré au sergent que j’étais exempt de
service, 2 jours. Le sergent Faujaud m’a ordonné de monter aux
tranchées lorsqu’il s’est aperçu que je lui avais dit un
mensonge, je n’ai pas obéi… Je lui ai dis que je savais bien que
si je n’y remontais pas, on me fusillerait, mais Carlier le
militaire avec lequel j’ai déserté était là, m’a excité à
ne pas obéir et à déserter avec lui. Cependant le soir je suis
allé jusqu’auprès des tranchées, mais il faisait nuit et je n’ai
pas retrouvé ma Cie. Je suis revenu à Montauville. »
Grossenrieder avoue avoir refusé
d’obéir le 12 avril 1915. Il nie avoir dit « je connais le
code, j’aime mieux avoir 12 balles dans la peau que de remonter aux
tranchées ». Le 13 il déserte ; son but aurait été de
se rendre à Paris voir sa maîtresse et son enfant malade.
Grossenrieder et Carlier sont arrêtés
le 17 avril par les gendarmes de la prévôté de la IVè armée à
Jalons les Vignes (Marne), n’ayant aucun écusson sur leur uniforme
et errant dans le cantonnement du 11è régiment de Dragons. Ce qu’il
advint de Carlier reste un mystère. Grossenrieder est fusillé à
Châlons en Champagne le 23 juin 1915, 4h.
Julien Pierre
Mons, né
le 6 juillet 1891 à Torreilles (Pyrénées orientales), célibataire,
tonnelier,
soldat au 52è R.I. 3è Cie,
traduit
devant un CG spécial
du 52è R.I. au motif de
« tentative de meurtre avec préméditation et guet-apens »
Sergent
Gabriel Rigal : « J’ai prévenu vers 12 heures les
soldats Mons et Couder de se préparer pour assister à l’exercice
des punis. Ils ont commencé à se mettre en tenue et à monter leur
sac ; puis, à l’indication de ne pas avoir à prendre leurs
armes pour cet exercice ont déposé leur sac, et refusé
catégoriquement de marcher. Je suis allé en prévenir immédiatement
le capitaine Marchal qui vint lui-même s’assurer du fait. Le
capitaine Marchal donna l’ordre lui-même aux soldats Mons et
Couder d’assister à l’exercice. Sur leur refus, il les prévint
qu’il les traduirait en conseil de guerre pour refus d’obéissance,
leur donna l’ordre de quitter leur équipement et qu’il les
ferait conduire en prison au poste de police. C’est à ce moment
que le soldat Mons prit son fusil, l’arma au moyen du magasin qui
était approvisionné, mit en joue et fit feu sur le capitaine qui se
trouvait à l’entrée de la grange. Au même instant, le
sergent Bertrand se précipitait sur le soldat Mons pour le désarmer.
Il reçut la première balle dans le bras. Le soldat Mons rechargeait
à nouveau son fusil et tirait une deuxième balle, encore sur le
capitaine, rechargeait une troisième fois lorsqu’il fut mis dans
l’impossibilité de tirer par des soldats témoins. Le soldat Mons
fut mis dasn l’impossibilité de nuire immédiatement et conduit
dans un local fermé au poste de police. »
Mons :
« Vous venez de m’apprendre que le sergent Bertrans était
grièvement blessé et qu’on venait de
lui couper le bras ; je l’estimais beaucoup, je ne sais
comment je me suis laissé aller à un acte pareil. .. Je n’ai
jamais rien eu avec le capitaine Marchal et n’ai pas à me plaindre
de lui… J’étais
incorporé au 80è R.I. à Narbonne. J’ai déserté après 9 mois
de service ; j’ai fait une absence illégale de cinq mois, et
ait été de ce fait condamné à deux ans de prison ». Le
prévenu a eu connaissance de sa déposition, mais ayant les mains
enchaînées, n’a pu signer. »
« Il est à remarquer que l’inspection des armes, des fusils
de toute la section avait été passée pour la dernière fois vers
10 heures et que par conséquent le soldat Mons avait réapprovisionné
son fusil malgré la défense faite. »
Mons est fusillé le 25
juin 1915 à Vauvillers, à 21 heures.
Marcel Pierret,
né le 3 juin 1893 à Saint-Pierre-et-Miquelon, employé de commerce
à Paris, célibataire, 2è classe au 265è R.I., jamais condamné
« Engagé
volontaire pour cinq ans en 1911, Pierret partit en août avec le
65è. Evacué au début de septembre pour fatigue générale, il
rejoignit le 265è au début d’octobre… Tout le monde le
connaissait comme très peureux, cherchant sans cesse à s’abriter
dès qu’il y avait du danger ».
CG de la 61è DI (26
juin 1915) : prévenu d’avoir, 1°- Le 15 juin 1915, dans un boyau
formant tranchée de départ, refusé d’obéir à l’ordre de se
porter en avant, ordre de service à lui donné par son chef, le
sous-lieutenant Peugeline, 2°-le même jour et au même lieu,
abandonné son poste en présence de l’ennemi, Pierret s’est
dissimulé dans un redan au moment où, vers 3 h du matin a été
donné l’ordre de charger à la baïonnette les allemands qui
s’enfuyaient. Revenu en arrière et rencontrant dans le boyau de
sergent Bernard il se cacha dans une sape. Vers 5h30 voyant sa
section revenir à sa hauteur il se joignit à elle, lorsqu’elle
fut prise sous un feu d’artillerie. Pierret, renversé par le vent
d’un obus et couvert de terre, alla alors se cacher dans une sape
russe où il demeura 24 heures. Il passa ensuite par deux postes de
secours, se plaignant d’une blessure à la main qu’on jugea une
simple égratignure, et le 17 au matin fut arrêté dans le parc
d’Offémont par le sergent Henry qui s’y trouvait avec la 21è
Cie revenue à son bivouac.
Pierret est fusillé
le 27 juin 1915 à Saint-Léger-aux-Bois (Oise) : « Le
cadavre du soldat Pierret, passé par les armes à 4h30, a été
examiné par nous, docteur Chastel à 4h45. Il a été trouvé
atteint de onze balles. Tous les coups avaient été tirés dans
l’hémithorax gauche. Le coup de grâce a été donné, le
supplicié respirant faiblement, après le coup de salve, mais sans
connaissance… Il a été possible de reconstituer huit orifices de
sortie, plusieurs se confondent. Toute la masse musculaire de
l’épaule droite en arrière était dilacérée sur une étendue
large comme deux fois la paume de la main. Le bras droit était
fracturé à sa partie médiane et la masse musculaire du bras
largement déchirée ».
Keita Fodé, né en 1884 à
Sigril, cultivateur, tirailleur au 7è RICM, deux cicatrices
allongées sur le front.
CG de la 2è division du Corps
expéditionnaire d'Orient.
Rapport du capitaine Devoyon : « le
19 juin 1915, vers 22h30, l’adjudant Bouvier vint me prévenir que
le tirailleur Fodé Keita venait de se blesser volontairement en se
tirant un coup de fusil dans le pied droit. Je donnai aussitôt
l’ordre de le transporter au poste de secours du régiment afin de
le faire panser… Dans la soirée… il avait prononcé devant ses
camarades ces paroles : « je vais me débrouiller
pour aller à l’hôpital ». Au moment de le conduire au poste
de secours, il opposa la force d’inertie, craignant sans doute que
le médecin ne s’aperçût que sa blessure était volontaire.
Malgré la canonnade qui était très intense, les voisins de Fodé
Keita ont entendu une détonation près d’eux, précédent les
plaintes de ce dernier.(…) Fodé Keita est un sujet très médiocre
que l’on doit constamment surveiller dans tous les détails du
service, mou, paresseux, fainéant et sans aucune valeur. Dans la
tranchée de première ligne, il s’est fait surtout remarquer par
ses chefs par son habitude à se terrer au fond de la tranchée.
Petit rappel :
des révoltes contre l’enrôlement (s'apparentant au
début aux techniques de rapt des traites négrières)
ont éclaté loin des grandes villes d’Afrique, dont la première
chez les Bambaras du Mali, près de Bamako, qui a duré environ 6
mois, du printemps à novembre 1915, annonçant d’autres révoltes
plus importantes. Certaines sont très durement réprimées en juin
1916 par la France, qui fait tirer à l'artillerie sur une dizaine de
villages récalcitrants, tuant plusieurs milliers de civils.
Fodé est fusillé à la pointe de la
baie de Morteau le 28 juin 1915 à 5h.
Joseph Charvet né le 6 décembre
1887 à Neuville-sur-Saône, soldat au 36è R.I.C., et, appartenant
au même régiment Pierre Ravel, né le 30 septembre 1887 à
Saint-Etienne sont « passé par les armes » et
« fusillé » le 28 juin 1915 à Lunéville
(Meurthe-et-Moselle) où le régiment ne parait pas stationné, sans
trace de jugement. Ce même 28 juin le 36è RIC qui s'était illustré
au sein de la 74è DI, la quitte pour entrer dans la 16è DIC et
former en partie la 31è brigade.
Claude Marie Duclos, né le 22
février 1888 à Saint-Maurice-le-Châteauneuf, célibataire, maçon
à Meylieu-Montrond, soldat au 68è R.I., 2è Cie
CG de la 17è DI
(audience du 27 juin 1915) : « Le 15 juin 1915 au soir, ma
Cie a quitté Capelle Fermont pour se rendre aux tranchées. Au cours
de la route, ayant été pris de coliques, je me suis arrêté en
prévenant mes camarades Loiseau et Gaultier. Quand j’ai eu
satisfait mes besoins, j’ai continué ma route pour rattraper la
Cie. Je ne l’ai plus retrouvée. Il faisait nuit, en cherchant, je
me suis égaré dans les boyaux. Le 16 au matin je me suis retrouvé
près d’Ecoines, sachant que les hommes de corvée viendraient là
le soir chercher la soupe, j’ai décidé de les attendre et
rejoindre ma Cie avec eux. En attendant je me suis déséquipé, puis
comme j’avais beaucoup de temps encore, je suis allé me promener
sans direction. Je me suis reposé dans un champ de seigle où j’ai
été trouvé par un maréchal des logis d’artillerie qui m’a
fait arrêter. Je n’ai jamais voulu désobéir à l’ordre qui
m’avait été donné et mon intention était de rejoindre ma Cie le
soir-meme. Je n’avais pas d’écusson, le seul qu’on nous avait
laissé était tombé la veille en brossant ma capote… D’ailleurs
j’ai tout de suite dit au maréchal des logis que j’étais du 68è
et que je ne demandais qu’à rejoindre mon régiment. Je n’ai
jamais cherché à me dissimuler. »
Georges Louis,
lieutenant : « Duclos est arrivé à ma Cie les premiers
jours de l’année 1914. Employé comme tailleur, il était bon
serviteur. Après la mobilisation il a fait campagne avec moi dans le
rang jusqu’au 12 septembre. Il a participé à tous les combats en
faisant son devoir ».
Pierre Loiseau : « C’était
un très bon soldat et un très bon camarade ».
Les rapports à charge des officiers,
craignant une contagion, interprètent tous les éléments pour
obtenir une condamnation certaine. Le motif retenu de « refus
d’obéissance pour marcher à l’ennemi » ne correspond à
l’évidence pas à la faute. Il n’y a pourtant qu’une seule
voix discordante parmi les juges et Duclos est fusillé le 28 juin
1915 à Savy-Berlette (Pas-de-Calais).
Fait exceptionnel, le JMO du 68è R.I.
relate l’événement et reprend quasiment mot à mot l’intégralité
de l’ordre de parade :
Mathieu Léon Gasparoux, né le
1er octobre 1886 à Meymac (Corrèze), maçon, célibataire, 2è
classe à la 21è Cie du 300è R.I.
Le 21 avril, Gasparoux part acheter du
vin à Martincourt ; on lui prête en effet « un penchant
marqué pour l’ivrognerie ». Le 17 avril, il avait été puni
de 8 jours de prison pour être resté irrégulièrement 36 heures au
poste de secours du régiment. Il est retrouvé (sous l’identité
déclarée de Chastanet Léonard) à Gézoncourt le 1er
juin en état d’ivresse et ramené à Saint-Jean à 7h30 le 2 juin,
où il s’évade du poste de police par une trappe. Il est vite
retrouvé à Martincourt, causant paisiblement avec un soldat du 63è.
Par jugement du 22 juin 1915, le CG de
la 23è DI ordonne un supplément d’informer afin de vérifier les
dires de Gasparoux qui prétend avoir fait le service de tranchées
avec le 50è R.I. à Régnéville du 21 avril au 1er juin,
période où il est accusé d’avoir abandonné son poste et déserté
à Remenauville (Meurthe et Moselle). Seuls deux soldats de la 9è
Cie se souviennent avoir bu avec lui une fois à leur cantonnement de
Gezoncourt.
Il est en revanche avéré qu’au mois
de septembre 1914, Gasparoux, ayant perdu son régiment s’était
joint au 50è R.I. où l’avait affecté le commandant de la 3è Cie
de ce régiment. « Pendant le temps qu’il est resté avec
nous, il s’est très bien conduit. Il nous a rendu des services en
exécutant des corvées dangereuses et il est souvent parti en
patrouille comme volontaire. »(témoignage Pachier) Il aurait
alors été blessé au bras en allant en corvée de vin par une
sentinelle française en avant des tranchées de Prosnes, puis évacué
sur l’hôpital de Châlons avant d’être renvoyé au 300è.
Aucune pièce officielle ne confirme cet incident. Caporal Vergnaud
50è R.I. 3è Cie : « Je ne l’ai revu que six mois après
environ en traversant un village au cours d’une étape que nous
faisions de Mesnil-la-Tour à Villers en Haye. Dans ce village
cantonnait un régiment du 325è je crois ou du 300è. En passant le
soldat Gasparoux est venu me dire bonjour et m’a suivi pendant
environ 50m. Il m’a dit qu’il avait été soigné à
Mourmelon-le-Grand ou à Châlons. Je l’ai revu une deuxième fois
à Rogéville du 27 ou 30 mai dans la rue. Il n’avait ni armes ni
équipement et venait chercher probablement du vin puisqu’il
portait deux bidons. Je lui ai dit alors « que fais-tu là ».
Il m’a répondu : « Je suis affecté au 108è... »
Il m’a raconté que s’il avait été changé de régiment, c’est
parce qu’il;avait comparu devant le CG de Toul et y avait été
condamné à un an de prison. Comme sil s’est mis à pleurer et
formait des projets de suicide, je ne lui ai pas demandé
d’explications et je suis parti ». Gasparoux donne
l’impression d’être une de ces franc-tireurs qui ont voulu mener
leur guerre sans être commandés, à leur guise.
« Condamné à mort pour abandon
de poste devant l’ennemi par le CG de la 23è DI dans sa séance du
29 juin 1915, je viens solliciter de votre haute clémence un dernier
examen de mon dossier. Peut-être vous permettra-t-il de reconnaître
que je ne suis pas un criminel. Je ne crois pas non plus avoir
abandonné mon poste devant l’ennemi. Certes, je me suis absenté
illégalement alors que nous étions dans un cantonnement de repos,
aux 4 Vaux, loin des tranchées de première ligne, mais je ne me
serais jamais absenté en présence de l’ennemi, surtout si j’avais
été chargé, ce qui n’était pas le cas d’un ordre, d’une
mission ou d’une consigne. »
Gasparoux est fusillé dans le ravin
entre Talma et Villers-Bocage (Somme) le 30 juin 1915, à 8 heures du
matin.
Mathieu Léon Gasparoux, né le
1er octobre 1886 à Meymac (Corrèze), maçon, célibataire, 2è
classe à la 21è Cie du 300è R.I.
Le 21 avril, Gasparoux part acheter du
vin à Martincourt ; on lui prête en effet « un penchant
marqué pour l’ivrognerie ». Le 17 avril, il avait été puni
de 8 jours de prison pour être resté irrégulièrement 36 heures au
poste de secours du régiment. Il est retrouvé (sous l’identité
déclarée de Chastanet Léonard) à Gézoncourt le 1er
juin en état d’ivresse et ramené à Saint-Jean à 7h30 le 2 juin,
où il s’évade du poste de police par une trappe. Il est vite
retrouvé à Martincourt, causant paisiblement avec un soldat du 63è.
Par jugement du 22 juin 1915, le CG de
la 23è DI ordonne un supplément d’informer afin de vérifier les
dires de Gasparoux qui prétend avoir fait le service de tranchées
avec le 50è R.I. à Régnéville du 21 avril au 1er juin,
période où il est accusé d’avoir abandonné son poste et déserté
à Remenauville (Meurthe et Moselle). Seuls deux soldats de la 9è
Cie se souviennent avoir bu avec lui une fois à leur cantonnement de
Gezoncourt.
Il est en revanche avéré qu’au mois
de septembre 1914, Gasparoux, ayant perdu son régiment s’était
joint au 50è R.I. où l’avait affecté le commandant de la 3è Cie
de ce régiment. « Pendant le temps qu’il est resté avec
nous, il s’est très bien conduit. Il nous a rendu des services en
exécutant des corvées dangereuses et il est souvent parti en
patrouille comme volontaire. »(témoignage Pachier) Il aurait
alors été blessé au bras en allant en corvée de vin par une
sentinelle française en avant des tranchées de Prosnes, puis évacué
sur l’hôpital de Châlons avant d’être renvoyé au 300è.
Aucune pièce officielle ne confirme cet incident. Caporal Vergnaud
50è R.I. 3è Cie : « Je ne l’ai revu que six mois après
environ en traversant un village au cours d’une étape que nous
faisions de Mesnil-la-Tour à Villers en Haye. Dans ce village
cantonnait un régiment du 325è je crois ou du 300è. En passant le
soldat Gasparoux est venu me dire bonjour et m’a suivi pendant
environ 50m. Il m’a dit qu’il avait été soigné à
Mourmelon-le-Grand ou à Châlons. Je l’ai revu une deuxième fois
à Rogéville du 27 ou 30 mai dans la rue. Il n’avait ni armes ni
équipement et venait chercher probablement du vin puisqu’il
portait deux bidons. Je lui ai dit alors « que fais-tu là ».
Il m’a répondu : « Je suis affecté au 108è... »
Il m’a raconté que s’il avait été changé de régiment, c’est
parce qu’il;avait comparu devant le CG de Toul et y avait été
condamné à un an de prison. Comme sil s’est mis à pleurer et
formait des projets de suicide, je ne lui ai pas demandé
d’explications et je suis parti ». Gasparoux donne
l’impression d’être une de ces franc-tireurs qui ont voulu mener
leur guerre sans être commandés, à leur guise.
« Condamné à mort pour abandon
de poste devant l’ennemi par le CG de la 23è DI dans sa séance du
29 juin 1915, je viens solliciter de votre haute clémence un dernier
examen de mon dossier. Peut-être vous permettra-t-il de reconnaître
que je ne suis pas un criminel. Je ne crois pas non plus avoir
abandonné mon poste devant l’ennemi. Certes, je me suis absenté
illégalement alors que nous étions dans un cantonnement de repos,
aux 4 Vaux, loin des tranchées de première ligne, mais je ne me
serais jamais absenté en présence de l’ennemi, surtout si j’avais
été chargé, ce qui n’était pas le cas d’un ordre, d’une
mission ou d’une consigne. »
Gasparoux est fusillé dans le ravin
entre Talma et Villers-Bocage (Somme) le 30 juin 1915, à 8 heures du
matin.
Quelques civils :
Le 7 janvier,
Marcel Jules Pépin, est condamné par le CG de la 15è D.I.
et fusillé à Meuil-aux-Bois (55).
Carl Ficke (3
mai 1862, Brême, négociant à Casablanca, marié) et Richard
Grundler (17 mars 1870 Seehof, directeur de la succursale Ficke
à Mazagan, marié 2 enfants) sont condamnés par le CG des troupes
d'occupation du Maroc occidental et fusillés le 28 janvier 1915 à
7h à Casablanca.
Dès le 5 août
1914, la colonie allemande de la zone autreois neutre de Tanger est
pourchassée par les autorités françaises qui font pression sur le
sultan pour émettre des édits expulsant toutes les autorités.
Beaucoup d’Allemands et d’autrichiens sont déportés vers
l’Algérie. Les plus influents sont gardés en prison à Casablanca
afin de les faire juger par des Conseils de Guerre sous l’inculpation
d’intelligence avec l’ennemi (et en ce qui concerne Ficke de
contrebande d’armes)
Jean-Luc Delaunay in
Aux vents des puissances :
« Le 13 janvier 1915,
Carl Ficke et Richard Gründler sont condamnés à mort. Leur
coïnculpé, Nehrkorn, est condamné aux travaux forcés à
perpétuité. Carl Ficke, arrivé à Casablanca au début des années
1880, à la tête d’une des plus importantes firmes du Maroc, est
une des personnalités les plus actives et les plus riches de la
colonie allemande. Son rôle dans les missions allemandes envoyées à
la cour chérifienne et dans différentes affaires comme celle des
déserteurs de Casablanca en 1908, sa grande connaissance du Maroc et
des marocains, son prestige auprès de ceux-ci -il parle parfaitement
l’arabe- avaient fait de lui une des « bêtes noires »
des autorités françaises, qui l’accusaient, à la veille et lors
du déclenchement de la guerre, d’intrigues antifrançaises et
d’espionnage. Son sort était donc scellé, avant même le procès
devant le conseil de guerre. Quant à Richard Gründler, qui
dirigeait depuis 1893 la firme Carl Ficke Mazagan, son principal
crime est d’être le bras droit de Carl Ficke. »
Willy
Sattler, né le 31 juilley 1880 à Quelinburg (Allemagne), soldat
du 19è R.I. allemande, condamné par le CG de la 18è région de
corps d'Armée.
Le sous-officier Sattler ayant déjà séjourné en France en
1910 , comme en fait foi son expulsion pour vagabondage en 1910,
s’était introduit hardiment en France à l’automne 1914, suivant
depuis Paris les événements avant de poursuivre son renseignement
dans la ville devenue capitale provisoire de la France : Bordeaux. Il
y avait été arrêté alors qu’il se trouvait au sein des locaux
de l’état-major de l’Armée. L’espionnage était patent.
Arrêté en octobre 1914, il n’a été jugé que le 7 janvier 1915.
Il a ensuite attendu la décision du Conseil de révision, possible
puisque jugé par un Conseil de Guerre de l’arrière, et puis la
réponse à la demande de grâce. Son rejet le 15 janvier, entraînait
le 17 février son exécution à Mérignac (camp de Luchey-Halde).
Mohamed Ben Abdelkrim El Hadj, des Aït sidi Abdel Aziz, date
et lieu de naissance inconnus, et idem Ben El Habib Abderrahman
des sidi Larbi sont jugés avec 8 autres par le CG des troupes
d'occupation du Maroc oriental, aux motifs d’association de
malfaiteurs, vol qualifié, tentative de vol au préjudice de l’état
et de militaires (chevaux juin 1914 et 25 septembre 1914, une montre,
dix burnous, une sangle d’ordonnance en octobre 1914), meurtre (2
août à Aït Lias sur la personne d’un militaire avec vol d’un
fusil lebel modèle 1886), tentative de meurtre (nuit du 12 au 13
octobre sur la personne du cavakier Rouilly, planton du général
Henrys) et meurtre avec préméditation et guet-apens. Ils sont
fusillés le 25 février 1915 à Meknès (au nord du camp Poublan).
Otillie Voss, née
le15 novembre 1880 à Schonnebeck (Allemagne)
Ottilie Voss, institutrice allemande,
originaire de Rhénanie, professeur de langues, s'exprimant très
bien en français, arrive à Bourges (Cher) le 27 février 1915. À
la déclaration de guerre, elle vivait à Agen depuis sept ans. Elle
y gagnait honorablement sa vie, donnant des leçons particulières au
lycée, dans les écoles, et même aux jeunes filles de l'Inspecteur
primaire et à divers enfants d'officiers.
Les bruits de guerre se rapprochant, le
31 juillet 1914 elle part en Angleterre pour, dit-elle, pour «
parfaire son instruction dans cette langue ». Visiblement surveillée
comme suspecte, elle revient en France, mais pour retourner dans son
pays. Elle y trouve une annonce dans un journal de Francfort «
demandant hommes ou femmes connaissant plusieurs langues ». Munie
de faux papiers d'identité au nom de Jeanne Bouvier, résidente
belge, elle se rend en Suisse, en Italie et arrive en France début
février 1915. Marseille, Lyon où elle étudie la gare militaire,
Nice, Montpellier reçoivent la visite de l'espionne qui se mêle à
la population, va au cinéma, se rend au théâtre, bref observe les
navires de guerre, les mouvements des troupes, le recrutement et le
service de la garde des voies de communications. Un séjour en
Allemagne pour rendre compte et la voilà à nouveau missionnée pour
le centre de la France – Nevers, Bourges et Orléans – avec une
enveloppe de 500 francs (or).
À Bourges, où elle arrive le 26
février, elle s'installe, toujours sous le nom de Jeanne Bouvier, à
l'hôtel Terminus, près de la gare. Ses visites s'orientent tout de
suite vers la caserne Condé, le polygone de tir, la fonderie de
canons, la rue Moyenne. Les services de renseignements, alertés,
découvrent dans ses bagages des cartes de chemin de fer. Les
annotations ne laissent aucun doute sur son activité.Elle est
arrêtée par le commissaire central Portal, écrouée à la prison
du Bordiot et traduite devant le conseil de guerre du 8è corps
d'armée, présidé par le commandant Brizard, commissaire du
gouvernement. Son procès a lieu le 9 avril 1915 devant une salle
comble.
L'accusation demande au conseil de
guerre « de faire son devoir, tout son devoir afin de donner un
exemple salutaire aux misérables qui seraient tentés d'imiter la
fille Voss ».
Toutefois, dans une minute du ministère
de la Justice datée du 30 avril 1915, le rapporteur « incline à
penser que la condamnée n'a pas pu fournir aux autorités allemandes
des renseignements importants, et qu'en lui infligeant le châtiment
suprême, le conseil de guerre a surtout entendu faire un exemple […]
et qu'il n'y a pas lieu d'entraver le cours de la justice ». Son
recours en grâce du 27 avril auprès du président de la République
Raymond Poincaré est rejeté le 16 mai. Elle est exécutée le
lendemain, 17 mai à Bourges.
Jaime Puigventos,
né le 24 mai 1892 à Palleja (Espagne), célibataire, voyageur de
commerce. CG du QG de la IVè armée (18 mai 1915)
Lettre
anonyme : « Près de chez lui à Palleja un allemand
de barcelone allait passer les jours de fête et allait chasser dans
une propriété. Ces renseignements ont-ils quelque rapport avec
l’espion en question et l’allemand l’aurait-il soudoyé ?
C’est ce que j’ignore, mais c’est bien probable ».
D’après une
lettre en allemand adressée au commissaire du gouvernement,
Puigventos apparaît moins comme un espion classique que comme un
inventeur farfelu, cherchant à mettre au point des obus « à
ressort » :
« Excusez-moi
si je n’écris pas correctement. Je ne suis pas Allemand et ce que
j’en sais, je l’ai appris par moi-même par désir de
m’instruire. Après une vie de malheurs et de désespoir, il faut
que je me voie, quoique innocent, conduit en prison pour avoir voulu
gagner de l’argent afin de pouvoir aider mes pauvres parents… Je
ne sais si vous comprendrez ce que j’écris. Mon principal désir
est que cela vous aide à remporter une grande victoire qui terminera
cette malheureuse guerre et me rendra ma liberté. »
Après
sa condamnation, Puigventos écrit par deux fois au roi d’Espagne
dans l’espoir d’obtenir son intervention ; il offre aussi
ses services à la France pour se venger des Allemands qu’il pense
l’avoir trahi ; il se propose de communiquer les plans d’un
aéroplane automatique de son invention. »
A ses
parents : « Au commencement de mars, un monsieur Allemand
m’a promis beaucoup d’argent si je lui donnais des renseignements
sur les Français. Sans penser à ce qui pourrait arriver j’ai
accepté de le faire, et il en résulte pour moi que je vais
mourir... » Toute l’action de Puigventos a consisté à
s’assurer de la présence de trois régiments dans les places de
Lyon, Dijon et Mâcon. Il est arrêté à Troyes, sans bagages,
porteur de plus de 450 francs.
Puigeventos est
fusillé le jour du rejet de son recours en grâce, 24 mai 1915 au
champ de tir de la garnison de Châlons en Champagne, 4h10.
Georges Foudrain,
43 ans (13 avril 1871, La Ferté sous Jouarre) jugé à
l'arrière par le CG de la Vè région à Orléans pour des faits
remontant à l'année précédente, "pillage en bande avec les
allemands, recel d'espion"
Journal du Loiret du vendredi 21 avril
1915
fusillé au stand des
Groues à Orléans le 15 juin 1915.
Le 29 mai 1915 à Meknès au Maroc,
condamnés par le CG des troupes d'occupation du Maroc occidental :
Ben Belgacem
Gharbaoui Allal, né en 1869 à Gharb (Maroc), journalier, marié,
père de
Ben Belkacem Ben
Allal Bou Selham,
présumé né en1896
à Gharb, journalier
Ben El Hocin
Haddou, présumé né en
1896 à Gharb, moissonneur
Le 19 avril 1915, Haddou ben Hocine,
Allal ben Belgacem et son fils Bou Selham ben Allal se rendirent au
souk où ils avaient repéré un marchand qui leur semblait bien
pourvu d'argent . Lui proposant de les accompagner à Meknès, ils
avaient résolu de le tuer et de le dévaliser en route. Au premier
campement ils s'endorment ; à leur réveil, ils constatent que
le marchand, sans doute méfiant, a quitté les lieux. Ils veulent se
mettre à sa poursuite quand ils croisent sur la route Messaoud ben
Isri, un juif qui revient aussi du souk, sa mule chargée de
marchandises. Allal ben Belgacem l'entretient quelque temps, puis dit
à ses compagnons « Ne manquons pas cette occasion, nous n'en
aurons pas de semblable avant notre arrivée à Meknès ».
Arrivé à l'oued Allal saisit une pierre et frappe Messaoud à la
nuque. S'élançant à cheval il cria à Haddou « achevez-le,
je m'occupe de la mule. » Haddou se jette sur Messaoud, le
maintenant à terre et Bou Selham lui plonge un poignard dans la
gorge. Ils fouillent la sacoche qui ne contenait que quelques réaux
et s'en vont rejoindre Allal, entre temps arrêté, précédé de la
mule volée.
« Haddou a servi au 7è zouave,
Bou selham aux tirailleurs marocains ; ils sont d'ailleurs tous
deux… dangereux, voleurs de profession, assassins à l'occasion.. »
Allal,
Selham, Haddou sont fusillés le 7 juin 1915 à six heures.
Heinrich Ehrich (alias
Hauschke), né
à Alsleben sur Saale le 11 septembre 1891
CG
du QG du 14è corps d’armée,
fusillé le 21 juin 1915, minutes du jugement inaccessibles.
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