1916- deuxième semestre
Comme on a fait le choix de retracer chronologiquement le sort des fusillés, il ne faut pas s’attendre à ce que leur histoire suive, sans décalage, le déroulement des faits de guerre, ce décalage étant rendu plus important encore par les atermoiements des autorités militaires et politiques qui hésitent à endosser la responsabilité de la sauvagerie de leurs décisions et tentent souvent à contre-temps d’endiguer le mécontentement.
Ainsi
la loi du 27 avril 1916 qui supprime les CG Spéciaux, disposition
tombée dans les faits en désuétude, autorise à présenter des
circonstances atténuantes à décharge des prévenus. Le décret du
8 juin autorise
le droit, suspendu en début de guerre du pourvoi en révision, mais
celui-ci ne concerne que l’annulation pour vice de forme qui
renvoie les condamnées devant une nouvelle juridiction. Ces
décisions ne changent rien au fond, elles ne font qu’ajouter
quelques délais. Il faudra plus d’un mois et six sessions de CG
pour liquider les prévenus potentiellement passibles de la peine
capitale, notamment à la suite des mouvements de résistances
passives consécutifs à la désastreuse stratégie de reprise en
main de Nivelle et Mangin, pour assurer la reconquête des forts de
Douaumont et de Vaux, et à celle de Pétain promu qui a rompu le
principe d’égalité en accordant des permissions aux seuls soldats
jugés méritants. En témoignent les notes du Lt-Colonel de
Barescut, chef d’état-major de Nivelle : « Nos
troupes s’usent de plus en plus. Nous recevons de nouvelles troupes
que nous engageons dans la fournaise où elles flambent comme des
fétus de paille. Aussi, à peine engagées, il faut les
remplacer.(12
mai) Leconte est découragé et ses troupes aussi.Ses
hommes sont montés au front en rechignant ; quelques-uns avaient
manifesté leur mauvais moral en hurlant l’Internationale. Ils
avaient même tiré un coup de fusil sur un gendarme. Il n’a pas
pris de sanction immédiate et voilà le résultat.(28 mai) »
Quelques
jours après, le 27 mai, le général Nollet qui est dans le même
secteur met en garde de Barescut disant « que ses troupes en avaient
assez, qu’elles étaient décimées, qu’elles se rendaient en
faisant camarade, qu’on ne pouvait plus compter sur elles, qu’il
était de son devoir de rendre compte. » (cité
par Prisme
1418)
Juillet
Jean
Léonard Hughes Bougenot, né le 26 novembre 1886 à Marcheseuil
(Côte-d’Or), 2è classe au 170è R.I. Ne reste que la fiche de
décès assez éclairante : « tué
par une sentinelle (étant en état d’ivresse, tentait de violer
une consigne) » Décédé
à Cumières le 2 juillet 1916.
François
Xavier Louis Barikosky, né le 23 février 1887 à Lyon 3è,
ouvrier tôlier à Paris, célibataire,chasseur de 2è classe au 31è
BCP, 1ère Cie, 1,55m chatain foncé, yeux bruns, nez relevé,
bpouche grande, menton rond, tatoué « un trèfle à 4
feuilles », initiales L.B. sur l’avant-bras droit ;
entourage d’une pensée sur l’avant-bras gauche ; un cercle
sur l’épaule gauche.
jugé
par le CG de la 43è DI, audience du 8 juin 1916, en compagnie de
Paul Jacques Hipollyte Pinet du même régiment, lequel condamné à
dix ans de travaux n’est pas recommandé pour bénéficier d’une
mesure de clémence en 1917 en raison de ses antécédents
judiciaires.
Notes
d’audience : « le 1er avril 1916 mon
bataillon était au tunnel de Tavannes. Nous avons été coupés au
Ravin de la Mort du reste de notre bataillon. Nous nous sommes mis à
l’abri. Nous étions très nombreux, il y avait même avec nous un
nouveau sous-lieutenant… Personne n’a pu nous indiquer notre
direction ; c’était la première fois que je venais dans
cette région. Puis j’ai soigné, le lendemain, un camarade blessé.
Le 2 avril j’ai volulu rejoindre ma compagnie ; je n’ai fait
que 20 ou 25 mètres dans le boyau car j’ai été enterré par un
obus. J’ai rencontré peu après 4 hommes du 226è… ils m’ont
montré le chemin du tunnel de Tavannes. J’y suis allé ; là
je me suis reposé 3 jours car j’avais mal à la jambe. En rentrant
à la Cie, mon commandant m’a fait porter malade [Malheureusement,
celui-ci dément, affirmant que Baikosky s’est fait porter malade
de son propre chef.] … Je reconnais mes condamnations. Mais si j’ai
fait des fautes dans le civil, je suis brave au feu, jamais je ne me
suis sauvé. »
Pinet
et Barikosky n’ont rejoint leur compagnie que six jours après son
engagement sur village de Vaux. Le premier parti en corvée d’eau
vers 20h30, n’a pu rejoindre, la corvée de ravitaillement étant
arrêtée pendant trois jours par les bombardements. Vers le 4è jour
il va au poste de secours. Il lui sera reconnu des circonstances
atténuantes peut-être à cause de la maladie anasarque dont il
souffre bien qu’il ne soit évacué que postérieurement (ses
condamnations civiles sont insignifiantes, celles de Barikosky ne
sont guère plus grave, infraction aux chemin de fer, mendicité,
vagabondage, la dernière remontant à 1908).
Rejet
du recours en grâce le 8 juillet 1916. Barikosky est fusillé à
Saint-Jean-sur-Tourbe (51) le 10 juillet à 4h30.
Les
4 de Commercy
On
imagine que les autorités ont voulu écraser dans l’œuf ce qui
prenait les allures d’une révolte larvée, ou de refus
d’obéissance collectif. Ils ont toutefois pris grand soin de ne
pas les faire comparaître simultanément.
Henri-Joseph
Herbaux, né le 3 décembre 1893 à Mons-en-Baroeil, terrassier à
Crouy (Aisne), 2è classe au 154è R.I . 2è Cie.
Alors
que sa compagnie est cantonnée à Fains, Herbaux la quitte et prend
le train pour Paris, il est arrêté le 12 à Pontoise avant
l’expiration du délai légal autorisant à le déclarer déserteur
et ramené le 16 mai. Le 24 mai, alors que sa compagnie doit prendre
position aux tranchées de Mort-Homme, il l’abandonne dans la
traversée des bois Bourrus. Il ne la rejoindra que le 1er
juin, après la relève. Il aggrave son cas en refusant -à cause
d’un bombardement survenu lo- de suivre le caporal fourrier
Bernardeau, malencontreusement rencontré aux cuisines roulantes du
Bois Boucher où il est venu en corvée de ravitaillement. Il
l’aggrave encore en refusant de répondre aux questions de
l’officier instructeur, qui l’accuse de vouloir ainsi protéger
son existence ! Il n’y parviendra pas devant le CG des la 40è
DI qui le condamne à l’unanimité pour désertion en présence de
l’ennemi. Son pourvoi en révision est rejeté le 26 juin 1916, et
Herbaux fusillé au terrain de manœuvres de Commercy (Meuse) le 10
juillet 1916 à 14 h,
avec (circonstances identiques) Marcel Henri Paul Sabatry, né
le 22 mai 1894 à Châlons-en-Champagne (Marne), charretier, 2è
classe au 154è R.I., 12è Cie, aucune punition, casier vierge. Il
déclare devant le conseil ; « Je reconnais les faits. Je
ne voulais pas remonter en ligne parce que l’on ne m’avait pas
donné de permission. Ayant rencontré des camarades qui ne
remontaient pas, je ne suis pas remonté non plus. J’avais dit
précédemment et publiquement que je ne remonterai pas. » Ce
culot qui équivaut à un camouflet, lui est évidemment fatal. Son
courage ne s’arrête pas à cela, puisqu’il refusera de livrer
les noms des camarades du 154è qui l’ont encouragé à désobéir,
prétendant qu’il ne les connaissait pas.
Trois
autres dossiers sont néanmoins réunis, l’autorité militaire
entendant cette fois démontrer qu’il y a eu complot (en langage
militaire un complot est une entente illicite entre plus de deux
militaires ; ça tombe bien, ils en tenaient trois!), ce que
nient tous les prévenus, admettant seulement qu’ils sont remontés
vers l’arrière et retrouvés par hasard sous un pommier aux
environs de Bois-Bourru, où un territorial leur avait donne de
l’alcool. Arrivés à Germonville le 25 mai, il abandonnent leurs
armes et équipement. « Punis pour punis, autant partir »
aurait dit Kervégant. Ils s’en vont à pied droit devant eu sans
destination précise. Ils arrivent ainsi à Fleury où ils
rencontrent un quatrième compagnon (Teuchandeau du 150è) , puis à
Laimont, où les gendarmes, qu’ils avaient vu venir, les retrouvent
couchés dans un ravin.
François
Kervegant, né le 8 septembre 1890 à Malguénac
(Morbihan), poseur sur bois à L'Echantillon, caporal au 154è, 3è
Cie. Casier vide, très peu de punitions, blessé deux fois.
« Les
circonstances de la cause (?) et son grade de caporal en font
incontestablement le chef du complot qui a abouti à la désertion
collective de 3 militaires… Le caporal Kervegant, très coléreux
est signalé comme étant d’un vilain exemple pour ses camarades.
Il a cependant toujours été très courageux. »
Interrogatoire
de Kervegant : « j’avais peur de monter au
Mort-Homme...C’est Luce et Dorange qui m’ont dissuadé de
monter : puisqu’ils m’ont vendu je veux les vendre aussi…
Personnellement j’aurais voulu resté dans le Bois Bourru. Il y a
d’ailleurs un tiers des soldats de la Cie qui y sont restés et qui
n’ont pas été poursuivis."
Antoine
Maximilien Luce, né
le 22 juin 1885 à Paris
13è, plombier-gazier,
marié, un enfant, est
signalé comme un « entraîneur d’hommes ». Il
avait clamé haut et fort qu’il ne remonterait pas sans avoir eu de
permission au préalable, dans la chambrée « propos qui
étaient de nature à provoquer la désertion de ses camarades. »
Il aurait le premier émis l’idée de revenir vers l’arrière,
disant : « puisque nous ne voulons pas remonter, ce n’est
pas la peine de rester là. »
Henri
Antoine Georges Dorange,
22 juin 18893, Graville,
charpentier « assez
bon soldat, faible d’esprit, se laissant facilement entraîner »
dit avoir été influencé par Kervegant et l’ivresse. La
peine de mort prononcée contre lui est commuée en 20 ans de prison
avant remise complète en vertu du décret du 2 juin 1917. Réhabilité
le 24 avril 1917
Pierre
Le Mével né le 26 janvier 1888 à Ferrière-en-Bray, serrurier,
mécanicien à Rennes, 1,64m, châtain aux yeux bleus, tatouages sur
le visage, et sur tout le corps, zouave au 2è RMA (sans matricule)
Condamné
continuellement depuis 1907 (coups et blessures, outrages à
plusieurs officiers hors service, évasion par bris de prison) Le
Mével a passé son temps entre sections disciplinaires, ateliers de
travaux publics, prison d’Alberville et d’Orléanville. Ecroué
au pénitencier de Douéra le 27 janvier 1915, il passe à la prison
d’Alger. Le sursus provisoire pour l’exécution de sa peine
l’amène le 16 mars 1916 au 3è Régiment de Zouaves.
Sergent-Major
Febvay Marcel : « Le 6 juin, le zouave Le Mével devait
partir pour le front par mesure disciplinaire. Ce zouave, qui était
en prison, fut conduit à la tente qui servait de magasin à la Cie
pour compléter son habillement et son équipement… Le Mével
faisait preuve de mauvaise volonté et je lui dis de se dépêcher.
Il me répondit textuellement « Je ne partirai pas aujourd’hui.
Si j’avais voulu aller au front, j’y serais depuis longtemps.
J’ai manqué deux fois le bateau volontairement ».
Goezlan
Gaston, zouave : « J’étais commandé par l’adjudant
de Cie pour accompagner à la gare, avec un homme d’escorte et le
caporal-fourrier Dansi, le zouave Le Mével, désigné pour partir au
front et qui faisait des difficultés pour quitter le camp. Le Mével
quitta le camp et marcha jusqu’au poste de l’essence. Arrivé à
cet endroit-là, Le Mével jeta son sac… Malgré toutes les
objurgations du Caporal fourrier, Le Mével s’obstina à refuser à
marcher. Nous rentrâmes au camp et Le Mével fut reconduit en
prison. »
Le
Mével : « Je n’ai rien à dire, je ne parlerai que
devant le conseil de guerre. » On en sait pas s’il eut
l’occasion de le faire. Le Mével fut condamné à mort par le CG
de la base et des camps de Salonique, en ayant réussi l’exploit de
ne jamais se trouver confronté au feu pendant 9 années
consécutives, depuis la campagne d’algérie en 1907. Son recours
en révision rejeté le 10 juillet 1916, il est exécuté le 11
juillet 1916 à 4 h à Salonique (« camp de Zeitenlik »,Grèce)
Augustin Lacroix du 53e RI, né le 20 septembre 1882 à Viala-du-Tarn, près de Millau (Aveyron) cultivateur, soldat au 53è R.I.
Le 22 mai 1916, la Compagnie à laquelle appartient le soldat Augustin Lacroix reçoit l’ordre de quitter le tunnel de Tavannes pour monter en première ligne. Il refuse de s’y rendre en se cachant. Au lieutenant Pélissier qui commande la Compagnie, il explique : "Je n’ai pas eu le courage de partir
avec vous autres ; si tout le monde faisait comme moi, la guerre serait vite finie" puis "si je suis fusillé j’en descendrai d’autres avant".
Plus tard, il confirme être resté au tunnel "parce qu’il avait peur du bombardement".
Incarcéré, il est relâché le 31 mai, "une heure avant le départ de la Compagnie pour les tranchées, afin qu’il s’équipât. Au moment du rassemblement, il avait disparu". Il n ’est ramené que le 9 mai par la gendarmerie après avoir été arrêté. Interrogé par les gendarmes, il répond qu’il a déserté "pour ne pas remonter aux tranchées de première ligne." Il niera ensuite avoir fait cette réponse et déclarera être parti "parce qu’il n’avait pas la tête à lui".
L’homme est considéré comme une forte tête, un "mauvais soldat" : "il a été condamné le 23 février 1916 par le Conseil de guerre de la Division à 5 ans de travaux publics pour "outrages envers des supérieurs et ivresse".
"J'ai accompli mon acte dans un moment d'égarement pendant la bataille de Verdun et je m'engage à le racheter. Je demande à repartir dans les régiments les plus exposé (sic) et où la discipline sera la plus dure".
Il est fusillé le 15 juillet 1916, à La Neuville (Marne), pour abandon de poste face à l'ennemi.
Ben
Mohamed Amar, né en 1896 à Bou-Saâda (département d’Alger),
cultivateur à Aïn Melah, tirailleur de 2è classe au 1er
RM de tirailleurs algériens.
Dans
la nuit du 11 au 12 juin Amar reçoit dans la tranchée du Chamois
(au N.E. de Badonviller) un coup de fusil au poignet droit. Il jure
qu’il a été atteint par une balle ennemie. Son fusil est retrouvé
dépourvu de baïonnette une douille vide dans le canon. Le
tirailleur Chaouche affirme que la balle a été tirée de la
tranchée française et qu’il a même réprimandé Amar pour avoir
tiré. Le Médecin-major expert Paître décrit la blessure,
constate qu’elle n’est pas grave, qu’elle a probablement été
causée par un tir à courte distance quoiqu’il n’y ait pas de
traces de poudre dans les tissus et refuse de s’engager plus loin.
En
dépit d’un relevé de punition vide le CG de la 45è DI le 4
juillet 1916 condamne à mort Amar, pour abandon de poste en présence
de l’ennemi par mutilation volontaire, son pourvoi en révision
étant rejeté le 17 juillet il est exécuté à Neufmaisons, route
du champ de tir, au four crématoire, (54) le 20 juillet 1916 à 5
heures en présence de trois détachements de trois régiments
différents.
François Jules Vaucel est né le 7 avril 1888 à Saint-Aignan-sur-Erre dans l’Orne. En 1898 sa mère, domestique âgée de 46 ans, décède. Quelques années plus tard, en mai 1905, son père, ouvrier en chaussures, décède à l’hôpital de Dreux.
En mars 1905 François Jules est condamné par le tribunal correctionnel de Dreux à trois mois de prison pour vol, l’année suivante à un mois de prison par le tribunal de Mortagne, également pour vol.
Il est recruté au bureau de Dreux en 1908, sous le numéro matricule 724. Il est alors domicilié à Vernouillet et exerce la profession d’ouvrier agricole.
Il incorpore le 6e régiment de hussards en octobre 1909 et est réformé temporairement en 1911 pour « imminence de tuberculose ».
Il obtient un certificat de bonne conduite. Il passe dans la réserve de l’armée active en 1911 et est reconnu apte au service auxiliaire en 1912. Le 22 novembre 1911 il épouse à la mairie de Dreux une domestique de 29 ans, Joséphine Eugénie Louise Landier.
Il est rappelé à l’activité en 1915 et classé dans le service armé. Il est officiellement porté disparu le 11 janvier 1916, à Massiges. Mais au mois de juin suivant, il est arrêté par les gendarmes de Nogent-le-Roi, au Boullay-Thierry.
Le 10 janvier 1916, le 317e Régiment d’Infanterie se trouve à Maison-de-Champagne. Il subit les attaques des allemands qui projettent des liquides enflammés. Après 24 heures de combat, le caporal demande à deux soldats, dont Vaucel, de ravitailler le régiment en eau. Les deux soldats sont pris sous un bombardement et se séparent. Vaucel est alors porté disparu. En fait, il a été projeté dans la boue. Il marche, "étourdi", puis monte dans une voiture de ravitaillement qui se dirige vers Valmy. Là, Vaucel monte dans un train de permissionnaires et rentre à Dreux. Il cache ses effets militaires sous le hangar d’un bourrelier, rue Saint-Denis. Il travaille dans des fermes, dans l’Eure et l’Eure-et-Loir, jusqu’à son arrestation. Le 29 mai, deux gendarmes à la recherche de déserteurs et d’insoumis l’interpellent au Boullay-Thierry. Vaucel donne une fausse identité, affirme être en congé de convalescence et travailler dans une ferme où il propose de se rendre pour récupérer ses papiers ;
Vaucel est jugé le 26 juin 1916 par le conseil de guerre de la 8e division d’infanterie. Lors de son procès son défenseur souligne que Vaucel n’est pas un déserteur mais que, à cause du bombardement, il "avait eu un véritable moment d’égarement, conséquence d’une violente commotion". Par conséquent il "n’avait pas eu conscience de la gravité de sa faute". Auparavant, il "avait, en toutes circonstances, accompli vaillamment et courageusement son devoir".
Vaucel est déclaré coupable d’abandon de poste en présence de l’ennemi et de s’être soustrait au devoir militaire jusqu’à son arrestation. Il est condamné à mort. Le 4 juillet le recours en révision formé par Vaucel est examiné. Des témoignages lui sont favorables mais le commandant de la compagnie le considère comme un "soldat moyen au feu et au cantonnement, sa manière de servir était passable". Le pourvoi est rejeté. Son recours en grâce est rejeté le 22 juillet. Vaucel est exécuté le 23, à Nixéville dans la Meuse.
Son acte de décès est transcrit dans le registre d’état civil de Dreux le 24 juillet. Son nom est inscrit sur le monument aux morts.
Mathieu
Vocanson,
né
le 25 novembre 1886 à
Lapte en Haute-Loire, soldat
au 11è BCA, 3è Cie, abattu
froidement par son commandant le 23 juillet 1916 à
Curlu dans la Somme (« passé par les armes » sur sa
fiche de décès qui n’orthographie même pas correctement son nom)
Le témoignage de Louis Bobier est pourtant sans équivoque puisqu’il
rapporte que le commandant du bataillon Pichot-Duclos
tuaVocanson, accusé de vol, sans jugement.
Son acte de décès a été transcrit à la mairie de Saint-Etienne
et son nom figure sur le monument aux morts de Côte Chaude.
Gabriel Louis
Bonnet, né le 21 février 1889 à Paris 20è, 2è classe au 4è
RIC
décédé le 24 juillet 1916 à Oresmeaux dans la Somme : « tué d’un coup de fusil par le caporal de garde au poste de police appelé pour rétablir l’ordre au cours d’une rixe provoquée par le solda[×× Il se peut que la mention, mordant sur la page suivante déchirée, soit incomplète]
Exécutions
sommaires
Les
exécutions sommaires n’apparaissent souvent pas dans les
rapports officiels et sont donc très difficiles à dénombrer.
Celles-ci sont relatées dans les carnets de guerre des soldats.
Ainsi les Mémoires d’un troupier d’Honoré Coudray du 11e
bataillon de chasseurs alpins raconte une exécution sommaire à laquelle il dit avoir assisté :
-
En juillet 1916, un chasseur est accusé de dévaliser les morts ;
blessé par les artilleurs, il est abattu par son commandant. Coudray
commente « le taré P.... a trouvé un moyen rapide de suppléer au
conseil de guerre,....aucun interrogatoire, aucune enquête ». Pour
masquer son crime, le commandant inscrit la victime dans la liste des
morts au champ d’honneur.
Louis
Mironet né le 22 avril 1888 à Angers , journalier, 2è classe
au 92è R.I.portait des tatouages au bras et à la poitrine.
Le
8 mai 1916 à 3 heures, près d’Esnes la 1ère Cie reçoit l’ordre
de se reporter en arrière et de creuser une nouvelle tranchée. Le
lieutenant Jamet désigne à Mironet un emplacement où faire un
trou. Celui-ci frappe avec violence la crosse de son fusil sur le sol
en déclarant : C’est malheureux de se voir mener ainsi et de
se faire massacrer ! J’aime mieux me rendre que de rester
ici ! » Puis il s’enfuit à 500 mètres en arrière,
passant la journée du 9 à l’abri d’un chemin creux. Le 10 aux
cuisines roulantes il rencontre deux soldats de sa Cie qui ont reçu
l’ordre de le ramener s’ils le croisaient. Il les suit pendant 2
km puis déclare qu’il ne peut aller plus loin, son bandage
herniaire ayant craqué. Le 10 dans la matinée, il se présente à
la visite médicale, où l’on reconnaît que son bandage est brisé
mais que cela n’aurait pas provoqué son remplacement si sa Cie
n’avait été entre temps relevée. Rapport : « L’inculpé
est un très mauvais soldat qui s’adonne à la boisson et est d’un
fâcheux exemple pour la Cie. Il a été condamné 2 fois pour coups
et blessures en 1906 et en 1909... » en 1910 pour outrage à
supérieurs, et de nouveau en 1915 pour outrage envers ses supérieurs
et violence sur une sentinelle (ivresse publique ajouté entre
parenthèses par une autre main).
Mironet :
« Je ne suis pas le seul à avoir quitté cette position qui
était intenable, en raison de sa situation découverte à proximité
de l’ennemi. Nous sommes partis peut-être une trentaine dans la
Cie, je ne sais pas ce que les autres soldats sont devenus. »
Ce
qui reste surprenant dans cette affaire c’est l’impression que
tous, témoins comme inculpé, du 2è classe au général, font
preuve d’une remarquable mauvaise foi. Dans ces conditions que
valaient la parole d’un repris de justice ivrogne contre celle de
bienveillants et incompétents officiers . Condamné à mort par
le CG de la 18è DI pour "abandon de poste en présence de
l’ennemi" Mironet est exécuté à Suippes (Marnes) le 26
juillet 1916.
Ben Touati
Ahmed, né en 1885 à Oulad Laouar, cercle de Djelfa, berger,
marié, un enfant, accusé
CG de la division
territoriale d’Alger (recours en révision rejeté le 31 mars 1916,
pourvoi en cassation rejeté le 25 avril 1916) accusé d’assassinat
sur la personne de deux mokhazni (supplétifs militaires), agents de
l’autorité dans l’exercice de leur fonction -tous meurtrier et
victime appartenant à la même tribu des Oulad Laouar. Cette affaire
est « militaire » car elle provient d’une réquisition
de chameaux ordonnée par l’armée française. Le 13 octobre 1915,
prévenu au marché de Messad où il est allé vendre son grain de la
réquisition de 20 chameaux, Touati rentre au campement mettre le
troupeau à l’abri. Apercevant 2 mokhazni, il vole un fusil à
double détente qui sera saisi sur lui lors de son arrestation ;
il est aperçu par la femme de son propriétaire Ben-Alia. Il tente
de rejoindre le troupeau caché à une demi-heure de là dans
l’intention de le pousser plus loin, mais il est rattrapé par les
deux « gendarmes » indigènes qu’il tente de soudoyer
avant de tirer sur le premier qui s’était jeté sur lui avec un
bâton, puis sur le deuxième lancé à sa poursuite. Cette affaire
ayant eu un grand retentissement, aux dires des autorités
françaises, elle risque de compromettre de futures réquisitions et
d’encourager à l’insoumission. Il convient donc de réprimer, et
sur place : c’est ce qu’ils font au champ de tir de Djelfa
(Algérie) le 28 juillet : le condamné a déclaré ce jour « Je
ne demande rien que la grâce de Dieu » ; les juges et
officiels requis comme témoins de l’exécution durent effectuer
individuellement le trajet en raison des difficultés et dangers de
circuler au-delà de Bogdhari, alors que dans le même temps le
condamné était transporté en automobile d’Alger à Djelfa !
Le PV d’exécution sort du modèle officiel ordinaire mentionnant
que « le coup de grâce a été donné par un sergent du 5è
bataillon territorial de zouaves »
Août
Paul Auguste
Lebrech, né le 8 janvier 1885 à Poncé-sur-le-Loir (Sarthe),
papetier à La Chapelle-Gaugain, 2è classe au 161è R.I.,1ère Cie
Condamné pour coups
et violences et viol en 1905, trois fois pour vol en 1910.
Le 22 mai au matin,
alors que sa compagnie doit remonter au secteur de Mort-Homme,
Lebrech a quitté dans la nuit son cantonnement d’Haironville. Ne
pouvant passer à cause de la surveillance de la zone par la
gendarmerie, il se rend à Vitry-le-François, le 25 accompagné d’un
nommé Delonghai appartenant à la 2è Cie, raison pour laquelle il
insistera devant le conseil sur le fait qu’il a agit seul, poussé
par le désir de se rendre au chevet de ses enfants malades. Il est
ramené à sa Cie le 31 mai à 16 heures et conduit aux tranchées le
soir-même avec la corvée d’ordinaire. Profitant de l’obscurité
il S‘esquiva de nouveau et redescendit à Froméréville où il
rencontre Delonghai. Ils restèrent là, vivant inaperçus parmi des
territoriaux jusqu’au 6 juin, tentant de se mêler à leurs
compagnies alors qu’elles redescendaient. Son commandant fait
remarquer qu’en dépit de ses punitions antérieures (ivresse,
qurelleur, très mauvais soldat etc) il a tenté de se racheter
depuis le 7 juin par son empressement à exécuter les ordres et les
corvées.
Le CG de la 40è DI
condame Lebrech à mort pour abandon de poste et désertion en
présence de l’ennemi et signent un recours en grâce « ...les
juges, considérant que Lebrech est père de trois enfants en
bas-âge, qu’il a de plus tant au Maroc que pendan 19 mois de
guerre fait tout son devoir, estiment qu’il y a lieu de recommander
ledit Lebrech à la clémence de Monsieur de Président de la
République » apparemment sans suite.Le pourvoi en révisio
nétant rejeté le 30 juillet 1916, Lebrech est exécuté au terrain
de manœuvres de Commercy (Meuse) le 2 août 1916 à 7 h
Félix
Clery-Quillot, né de père inconnu le 31 janvier 1885 à Lyon,
teinturier (jugé « laborieux et sérieux par son employeur »),
marié sans enfant , 2è classe au 17è R.I.
Faute de détenir
les pièces matricules et le relevé de punition, tout le monde peut
y aller de ses « impressions » :
Adjudant Luneau :
« C’était un mauvais soldat que je surveillais particulièrement... »
Soldat Chevalier (il
y a toujours des premiers de la classe!) : « il faisait à
peu près son service sans y mettre beaucoup de bonne volonté…
Nous n’avions pas beaucoup d’estime pour lui… Il buvait assez
souvent quand il revevait de l’argent. »
Le 12
mars 1916, la Cie de Clery-Quillot par pour fort de Vaux (bois du
Chapitre). Il porte une caisse de grenades qu’il passa à un
camarade, prétextant être fatigué. La colonne ayant subi un
violent bombardement, il est porté disparu quand elle arrive à
destination. Clery-Quillot est arrêté à Souilly cinq mois plus
tard, porteur d’une somme de 686, 40 francs, qu’il aurait gagné
en faisant commerce dans la zone de Verdun, Souilly et Senoncourt, en
faisant commerce de journaux, briquets, papier à lettres, etc.
Service
de sûreté de la Iiè armée : « Cléry Quillot répond
à nos observations au sujet de la faute qu’il a commise : «
J’ai fait ma part, que d’autres fassent la leur ». Il nous
est impossible d’en tirer la moindre parole de repentir, et Cléry
nous donne l’impression d’être un individu sournois, ayant pris
l’armée en grippe, une mauvaise tête enfin. » [en
jargon militaire, sournois signifie suffisamment intelligent pour
déjouer les manœuvres grossières de la hiérarchie.] Le 5 juillet,
le gendarme Paysant réclame que sa prime de capture lui soit
allouée…
Cléry-Quillot :
« J’ai déserté parce que j’en avais assez, mais ni le
rigueurs du service ni les traitements de mes chefs et de mes
camarades ne m’y avaient poussé. » Une
main bienveillante a noté en rouge et souligné « Dangereux »
sur son ordre de conduite de Souilly à Bar-le-Duc.
CG de la 13è DI,
recours en révision rejeté le 5 août 1916, exécuté à Cluvigny
(Marne) le 7 août 1916.
Mort pour la France,
sa fiche de décès portant la mention « tué à l’ennemi ».
Claude Émile
Aristide Coudert, né le 18 juillet 1874 à
Dampierre-sur-le-Doubs (25), soldat au 49è R.I.T., fusillé le 10
août 1916 à Fricamps (Somme). En l’absence d’autres documents
que sa fiche de décès, tous autres renseignements doivent être
considérés comme suspects.
Ben Tidjani Ben
Salem Moktar, né en 10883 à Tual el Fedhoual (Tunisie),
étudiant en arabe à Lala, tirailleur de 2è classe au 3è RMT
algériens, 8è Cie (teint basané, oreilles ourlées, lobes collés,
cicatrice verticale et tatouage au milieu du front)
« Je n’ai
jamais voulu tuer Babaî avec qui je suis comme un frère depuis des
années. J’avais confié à Ould Ali toute ma prime que j’avais
touchée aux tranchées, parce que c’éatit mon ami. Il m’avait
dit que je dépensais trop vite mon argent mais que si je le lui
donnais il me le garderait et me le rendrait au repos. - Un jour dans
le bois, j’ai vu Ould Ali se faisant embrasser par Lakdar. Or je
n’ai pu supporter que mon ami à qui j’avais donné mon argent se
fît embrasser devant tout le monde. Je lui ai réclamé mon argent.
Il m’a dit « Va te faire raser la moustache » et puis
chaque fois que tu viendras avec moi je te donnerai dix sous et ainsi
tu rentreras dans ton argent. Lakdar m ‘a dit à ce moment que
c’était lui qui avait l’argent et qu’il ajouterait deux sous
aux dix que me promettait Ould Ali. C’était la suprême injure
qu’il pouvait me faire. L’expression « Va te faire raser la
moustache » signifiait « va te déguiser en putain ».
- alors j’ai perdu la tête et je me suis dit « je ne puis
que le tuer… Cela se passait avant la soupe, puis je me suis fait
raser les moustaches devant tout le monde ; je n’avais plus ma
tête à moi. Ould Ali m’a traité comme le dernier des hommes en
m’offrant des « relations » avec lui, avec mon propre
argent… Les paroles d’Ould Ali ont été plus excitantes pour moi
que du vin. Je ne sais pas comment j’ai pu atteindre Babaï… J’ai
bien voulu tuer Ould Ali et Lakdar, mais je n’avais plus ma
raison. »
Ould Ali : « Il
n’est jamais venu en mes mains un sou de la part de Moktar ;
d’ailleurs s’il m’en avai donné toute la section l’aurait su
et surtout les gradés. Noue étions autrefois à la même Cie et
nous étions parfaitement amis. Il me poursuivai de ses assiduités
et j’ai demandé à changer de Cie. On me l’a accordé et depuis
ce moment il m’en voulait à mort. Ce qui est vrai c’est qu’un
jour je lavais mes chemises en compagnie d’un autre tirailleur ;
Moktar est arrivé en état d’ivresse, ayant encore son bidon en
bandoulière et il m’a dit des injures, je lui ai répondu sur le
même ton et ça a été tout. Quand je l’ai vu arriver dans la
tranchée avec son fusil, j’ai dit qu’il allait me tuer parce que
je le savais ivre depuis quelques temps et qu’il m’en voulait. »
Le commissaire
rapporteur à Ould Ali Hamou : « Moktar a-t-il eu avec
vous des relations contre nature ?
Réponse : - Je
ne sais pas
CG de la 37è DI :
Le 18 juin 1916, Moktar se rend au bivouac de la 5è compagnie. Ould
Ali qui travaille à la tranchée, le voyant approcher fusil à la
bretelle, s’enfuit et se cache derrière une barraque. A peine
Moktar a-t-il tirer sur lui sans l’atteindre qu’il se retourne et
« poursuit un tirailleur qui se sauve et qu’il prend pour
Lakdar. Il le blesse mortellement d’une balle en pleine poitrine.
On le désarme. Son fusil était encore approvisionné à 6
cartouches. En fait de regrets il n’a manifesté que celui d’avoir
donné la mort à un camarade à l’égard duquel il n’avait aucun
sujet de haine. Le mobile de ce double crime est d’origine immonde…
Moktar est un ivrogne et un pédéraste invétéré. Son titre
d’étudiant démontre que plus qu’un autre il a pu se rendre
compte de la portée de son acte… A l’unanimité les juges ont
refusé de signer un recours en grâce en sa faveur. Le commissaire
Rapporteur soussigné s’associe entièrement à l’avis exprimé
par les juges. La vie humaine a trop de prix, surtout en temps de
guerre, pour servir d’enjeu à d’immondes passions. »
Pourvoi en révision
rejeté le 24 juillet 1916.
Bouzid Ouasdi,
né en 1876 à Ouled Marsa (département de Constantine, Algérie),
cultivateur, tirailleur de 2è classe au 2è RMTA
On comprend mal le
raisonnement qui a poussé les autorités à réunir ces deux
affaires dans la même session de CG, si ce n’est pour se
débarrasser d’un même coup de deux « crimes » commis
par des africains du nord.
Extraits du rapport
final : « Le tirailleur Ouazdi Bouzid a été condamné,
à l’unanimité des vois , le 17 juin 1916, pour abandon de poste
en présence de l’ennemi, à la peine de mort. Cet homme condamné
le 13 décembre 1915 par le CG de Constantine pour désertion à
l’intérieur en temps de guerre… avait été envoyé au front
pour racheter sa faute. Il a été affecté le 12 février au 2è
RMTA. Quelques jours après, alors que son régiment marchait au
canon dans la direction de Verdun, il fallait employer la force pour
l’obliger à suivre ses camarades. Le 23 février, le 2è
tirailleur étant engagé dans la zone nord-est de Verdun, Ouasdi se
fit porter malade. Il avait des furoncles et il est permis de se
demander s’il n’avait pas volontairement aggravé cette éruption…
Ouasdi profit de ce qu’on le conduisait à la caserne Marceau…
pour s’esquiber. Il prit, on ne sait comment un train qui le
conduisit à Langres… Au dépôt d’éclopés de Chaumont, il
obtint une permission de six jours, avec prolongation de même durée
pour l’Algérie. Ceci paraît très naturel quand on connaît l’art
de dissimulation de certains tirailleurs indigènes qui sont l’objet
d’égards tout particulier de la part de ceux qui ne comprennent
pas leur langue…
Rentré de
permission le 24 avril, moins de 10 jour après, le 5 mai, il s’est
esquivé en direction de l’arrière ; son sergent a réussi à
le ramener sur les rangs et, comme il était désigné pour la corvée
de soupe, il refusa d’obéir ; il aurait même menacé son
caporal de son arme, puis il se sauva encore une fois dans la
direction de l’arrière… [ramené deux fois en première ligne il
réussit encore à filer dans le boyau] Le lendemain, 7 mai le
caporal d’ordinaire de sa Cie le rencontra couché dans l’herbe
et fumant tranquillement une cigarette à la lisière du bois
d’Avocourt. [Il réusiit à tromper encore la surveillance, tente
de se faire porter malade à Récicourt, où le Caporal parti à sa
recherche le retrouve terré dans u n grenier. Sous la menace de son
arme, il parvient à le conduire aux locaux disciplinaires]… Le
Commissaire rapporteur soussigné, considérant qu’il convient de
déjouer les infâmes calculs d’un lâche qui par la fuite, a tenté
de sauver sa vie ; qu’une mesure de clémence serait mal
comprise de nos troupes, spécialement de nos troupes indigènes qui
versent si généreusement leur sang pour la France ; que cette
mesure est susceptible de porter atteinte à la valeur combative de
l’armée et, qu’au surplus, le châtiment suprême est seul en
rapport avec l’énormité du crime commis… [etc, etc, etc.].
Pourvoi en révision rejeté le 3 juillet 1916.
Ben Tidjani ben
Salem Moktar et Bouzid Ouasdi sont exécutés à
Saint-Lumier-La-Populeuse (Marne), le 11 août 1916 à 15 h.
Gustave Dieudonné
Helstroffer, né le 28 décembre 1888 à Reims (51),
verrier, marié, trois fils, soldat au 132è R.I., 6è Cie
Le 6 octobre 1915,
dans le secteur de Souain, la 6è Cie du 132è trçoit l’ordre de
se porter en avant. A l’appel dans le boyau d’Essling,
Hellstrffer est absent et porté disparu. Le 9 octobre à 22h il
arrive à Troyes par un train sanitaire ; en raison d’une
plaie légère à la main gauche, il est envoyé au dépôt d’éclopés
de Songis, d’où il s’enfuit le 25 octobre. Déclaré déserteur,
il se constitue prisonnier le 12 novembre. Dirigé sur son corps, il
est remis au poste de police de Mourmelon-le-petit dont il s’évade
dans la nuit du 15 au 16 novembre. Le 25 novembre, les gendarmes
d’Etapes prévenus qu’un soldat rôde dans les environs du
cimetière de Troyes, trouvent Helstroffer couché entre deux meules
de paille. Tandis qu’il est ramené à son corps sous escorte, il
profite du désordre que cause le grand nombre de permissionnaires en
gare de Châlons pour s’évader à nouveau le 23 vers minuit. Cette
fois les gendarmes ne le retrouvent que le 15 mai 1916 dans le Jura,
au village des Rouges Truites. Il s’évade du camp Berthelot dans
la nuit du 29 au 30 mai. Arrêté le 4 juin par la gendarmerie
d’Ecollemont dans la Marne, il est conduit le 12 juin à la prison
militaire du QG de la 12è division.
Il parvient encore
en compagnie de trois co-détenus à s’évader en passant à
travers les barreaux d’une fenêtre de la pièce où il est détenu/
Arrêté par le garde-champêtre de Pagny-le-Chateau (Côte d’Or)
il est ramené à la prison du QG.
Les explications
d’Helstroffer, (maladie de sa femme et de ses enfants, blessure au
pied) sont à la mesure du ridicule que met l’autorité à les
démonter : « Au témoignage de son Commandement de Cie,
« son égoïsme et sa lâcheté sont connus de tous ses chefs
qui le tiennent en suspicion et aussi de ses camarades qui le
méprisent ». A voir ! S’il avait mis plus de
détermination à s’éloigner de sa famille, femme, sœur et mère,
au lieu de narguer ses supérieurs, Helstroffer serait peut-être
arrivé à échapper aux filets dans lesquels il n’a cessé de se
faire reprendre.
CG de la 12è DI,
recours en révision rejeté le 8 août 1916 ; fusillé à
Ville-En-Tardenois (Marne) le 11 août 1916 à 5h30.
Joseph Marius
Annuel, né le 11 octobre 1891 à Chalon-sur-Saône
(Haute-Saône), 99è R.I. 4è Cie
Le 7 mai 1916, il
s’agit pour la 4è Cie du 99è R.I. de se préparer à reprendre
« ce qui restait de nos premières lignes » c’est-à-dire
de s’inscrire dans la stratégie suicidaire d’offensive à
outrance adoptée par le commandement. Dans la matinée du 10, Annuel
se fait porter malade pour une plaie au pied. Le médecin le renvoie
à son poste après l’avoir badigeonné de teinture d’iode.
Annuel disparaît alors pour ne reparaître que le 14 à son unité
étant « resté caché deux jours et trois nuits dans la
redoute du matériel pendant que ses camarades faisaient leur
devoir. »
CG de la 28è DI, 22
juin 1916, (jugement annulé en raison de la complexité des
questions posées aux juges) CG de la 154è DI 13 juillet 1916, peine
de mort prononcée à 3 voix contre deux, recours en révision rejeté
le 8 août. Le plus intéressant dans cette affaire reste les
contorsions des juges militaires pour parvenir à leurs fin et
contrer la défense habile du sergent Barnier, lequel soulève des
points de nullité dont il devient difficile de ne pas tenir compte,
le fait entre autre que le Capitaine Prat s’est présenté pour
faire une déclaration spontanée le 2 juillet tout en prévenant que
ses obligations de services ne lui permettraient pas d’assister au
conseil et qui n’avait valeur que d’information (on invente pour
s’en tirer une saisine du CG antidatée au 30 juin), celui que deux
au moins des pièces n’ont pas été lues à l’inculpé (dont la
déposition de Prat, constituan, dans les mots du défenseur « plus
un véritable réquisitoire qu’un témoignage ») . Hélas le
sergent Marcel Barnier est blessé et évacué le 7 août, et ne
pourra paraître devant le conseil de révision, au probable grand
soulagement des rapporteurs. Ajoutons à cela afin que le tableau de
cette amputation soit complet que tous les documents afférents au CG
de la 154è DI ont disparu par « faits de guerre »
réunissant en une « liasse unique » les soldats
réhabilités (Rappold, Leroux, Blanchet, Brun, Monier, Toffin ,
Staut, Shaguene, Schweitzer etc.), quand et bien même ils n’auraient
pas bénéficié des mesures d’amnistie de 1919, voire de 19121 :
en date de 1950 à 1957, c’est-à-dire bien après que leurs
familles puissent bénéficier financièrement de ces mesures ;
le procédé est si grossier qu’on s’étonne qu’il ait pu
demeurer quelques traces du plus énorme naufrage de la justice
militaire depuis 1914 ! Ainsi, sans qu’on puisse en savoir
quoi que ce soit de plus, confondus par l’incompétence et la
stupidité des tribunaux militaires faut-il constater que le soldat
Annuel fut fusillé à Ancemont (Meuse) le 12 août 1916. Le dossier
existant aux archives montre à quel point il est vain de rechercher
à établir des statistiques sur cette période, tant d’autres
disparus ou morts à l’ennemi n’apparaissant pas dans les
documents conservés.
Lucien Ernst,
né le 14 janvier 1887 à Paris 13è, maçon à Arcueil, zouave de 2è
classe au 4è RMTZ
CG de la 38è DI,(29
juillet 1916) recours en révision rejeté le 8 août 1916 :
L’accès aux
pièces d’instruction ne laisse pas de rendre cette affaire des
plus suspectes, le procès ayant encore été mené, sur déposition,
en l’absence de témoins capitaux, avec une légèreté qui prouve
que le résultat des débats était acquis d’avance. Les raisons en
seraient à rechercher dans le contexte et la volonté, dans la
panique, de continuer à exercer la terreur.
Le 9 juin 1916, le
caporal Brochet ordonne aux zouaves Ernst et Doussin, responsables de
la corvée de soupe, de rester à garder l’équipement et les
vivres en leur disant qu’on viendrait les chercher quand la
compagnie se serait portée en avant de la cote 304. Au bout de 3/4
d’heure, des hommes se présentent effectivement. Ernst s’apprête
à les suivre quand il s’aperçoit qu’il n’a plus son fusil ni
sa musette à grenades. Il va les chercher mais ne retrouve pas ses
camarades à son retour. Il essaye de les rejoindre mais il fait
nuit, et au moment où il sort du boyau un obus éclate près de lui.
Il se croit blessé, souffrant aux reins. Il se dirige alors vers le
poste de secours du 412è où il passe la nuit puis la journée du
lendemain. Doussin vient ce même jour au poste avec un billet du
major qui lui a permis de se reposer. Ils devaient repartir ensemble
mais Doussin s’en retourne sans qu’Ernst s’en soit aperçu. Le
16 il apprend par des soldats qui passent que son bataillon avait été
relevé. En essayant de les rejoindre il est arrêté par un
bombardement, il échoue aux cuisines du 1er tirailleur
puis au bois St Pierre au 4è mixte et retrouve sa compagnie le 19
juin à Beurey. Doussin confirme qu’on l’a attendu un quart
d’heure le 9 (5 minutes dit le zouave Esnault), et que ne l’ayant
pas retrouvé le 12, il est reparti seul, par un autre chemin que
celui qu’il avait emprunté à l’aller, pensant qu’Ernst
pouvait rejoindre de lui-même, quoi que celui-ci lui ait
effectivement demandé de l’accompagner. « L’accusé est
mal noté, il a subi plusieurs punitions » (En réalité 3
seulement depuis janvier 1916, les deux autres remontant à 1910 et
1911 ; une condamnation au civil pour tentative de vol qui
provoqua, en échange, son incorporation aux bataillons d’Afrique).
Son insoumission du 13 octobre 1913 au 2 août 1914, a-t-elle joué
dans la prévention du Rapporteur à son encontre qui souligne, qu’en
son absence sa Cie a subi de nombreuses pertes ?
Le
Commissaire-rapporteur au Général de la 38è DI « Le 4è
Mixte étant en ligne, il me paraît difficile de procéder en ce
moment à cette exécution. Il y aurait lieu d’en référer à
l’armée pour être autorisé à attendre le moment où l’exécution
sera possible. Cette exécution -si elle doit avoir lieu, ne peut
être utile, au point de vue de l’exemple, que si elle est faite en
présence du corps auquel appartient le condamné -. Vous apprécierez
s’il y a lieu de faire descendre une Cie du 4è Mixte pour procéder
à l’exécution ou s’il y a lieu d’attendre. Vous avez seul le
droit de transmettre un recours en grâce au Président de la
République si vous le jugez utile… Vous avez le droit d’ordonner
l’exécution sans en référer à l’autorité supérieure, le CG
n’ayant pas signé de recours en grâce. »
Ernst est fusillé à
Souhesmes (Meuse) le 12 août 1916.
« Je
soussigné, Docteur en médecine, aide-major de 1ère classe au 4è
Rgt de marche de zouaves, certifie que le zouave Ernst Lucien a
succombé le 12 août 1916 à 5h45 du matin, aux blessures produites
par 12 balles layant atteint en pleine poitrine, à la face et aux
mains. »
Victor Fortuné Roy Ferrero, né à Aubagne le 5 janvier 1892, terrassier au civil, soldat au 55è R.I.
Le
régiment est alors engagé dans la bataille de Verdun (sous commandement
de Nivelle) dans le secteur d'Esne.Le 13 mai 1916, le soldat Ferrero
reste au camp au lieu de monter en ligne à la cote 304 avec ses
camarades. Il est condamné à 5 ans de travaux forcés pour "abandon de
poste". Mais comme on a besoin de chair à canon on lui laisse une chance
de se réhabiliter. Dans la nuit du 29 au 30 juin, sa Cie se rend de la
tranchée de Garoupe à la tranchée Champigneul, cote 304. Sur un moment
de panique, il quitte son poste. Le 30, après réflexion, il se rend à la
gendarmerie de Jubécourt.. Lors de son jugement, il déclare qu'étant en
prévention de conseil de guerre il n'aurait pas dû monter en ligne, et
qu'il avait agi sur un coup de folie. Malgré un témoignage élogieux sur
ses qualités de soldat, il est condamné à mort pour "abandon de poste en
présence de l'ennemi" le 25 juillet et fusillé 18 jours après sa
condamnation, le 12 août 1916 à Jubécourt (aujourd'hui Clermont en
Argonne). Son nom ne figure sur aucun monument aux morts.
Adrien
Desnoyer né le 17 mars 1896 à La Coquille (Dordogne),
boulanger, soldat au 12è R.I. passé par mesure disciplinaire (10
ans de détention pour deux désertions différentes en présence de
l’ennemi, peine suspendue) au 6è R.I. 1ère Cie, accusé d’avoir
aux tranchées près d’Esnes, abandonné son poste en présence de
l’ennemi, condamné par le CG de la 123è DI, le 20 juillet 1916
fut fusillé pour l’exemple à l’âge de 20 ans le 15 août 1916,
à Wally dans la Meuse. Le rapport joint aux minutes du conseil de
révision (qui prit une décision batarde, n’annulant que la
disposition de contrainte par corps pour éviter la cassation du
jugement) nous apprend que Denoyer se porta vers l’arrière,
s’étant enfui vers 4 heures du matin, le 21 mai 1916 de la
tranchée de soutien alors que sa compagnie montait en 1ère ligne.
Il prit le train à Bar-le-Duc et parvint jusqu’à Maintenon où il
fut arrêté le 25 mai et conduit à la Place de Paris.
Armand Aimé Mercier, né le 19 septembre 1886 à Apremont, de parents journaliers, célibataire, lui-même domestique de ferme depuis ses 13 ans. son service militaire au sein des 150ème et 137ème R.I., ne se passe pas sa,s incidents ; un caporal lui inflige deux jours de consigne, qui sont doublés par le capitaine, pour avoir caché ses chaussettes sales dans sa paillasse. Le 3 avril 1908, il est réformé pour rhumatisme chronique, mais l’Armée le rattrape le 17 février 1909 et le renvoie au 137e RI, puis au 93e RI. Cela va aller de mal en pis jusqu’à sa libération le 25 septembre 1910. Il ne reçoit pas moins de neuf punitions et va écoper de 93 jours de salle de police pour différents motifs : retard au retour de permission, matériel cassé, paquetage sale, refus de marcher, etc. Il est affecté soldat de 2ème classe au corps du 93ème R.I . le 5 août 1914, il prend part aux premiers combats.
À l’appel du 10 et à celui du 11 décembre 1915, il est absent. C’est sa première désertion. Il ne reparaît à la compagnie que le 25 janvier 1916. Qu’a-t-il fait durant plus d’un mois ? Depuis le 14 décembre 1915, il était soigné dans une ambulance. De retour au régiment, il est mis emprisonné et condamné à 4 ans de travaux publics, par un premier conseil de guerre réuni le 10 avril 1916, pour "désertion à l’intérieur, en temps de guerre, sur un territoire en état de siège ou de guerre ."
Condamné aux travaux publics, Armand Mercier y aurait été à l’abri du danger, mais l’Armée a besoin de lui. Renvoyé au 137e R.I., il ne se presse pas : devant intégrer le corps le 18 avril 1916, il arrive le 22 pour la soupe ! Nouveau conseil de guerre, le 26 mai 1916, il est condamné cette fois à 5 ans de travaux publics. Toutefois le général commandant la 21e division suspend la peine et renvoie Armand Mercier au 93e RI ! Il combat sur le front de Verdun mais il manque à l’appel le 11 juin 1916 et donc, porté déserteur. Armand Mercier rejoint sa famille en Vendée et ne reparaît au dépôt de La Roche-sur-Yon que le 23 juin, revêtu d’une capote portant les galons de caporal !
Le 30 juin, Armand Mercier interrogé par le rapporteur près du conseil de guerre déclare : "Je reconnais avoir abandonné la compagnie et ce par peur. Je suis parti à peine arrivé au Bois des Vignes […] Je suis rentré sur Verdun, où j’ai trouvé une automobile qui m’a conduit à Bar-le-Duc. J’ai pris de là le train des permissionnaires […] et suis arrivé chez moi en descendant à la gare de La Roche-sur-Yon. […] Je suis allé chez ma mère qui habite Apremont. Je suis resté 8 jours avec elle, puis je suis allé au dépôt pour demander une feuille pour rejoindre." Il ajoute avoir reçu la capote au moment où son groupe montait sur Verdun et qu’il ignorait ne pas avoir le droit de la porter. Mais la suite est contradictoire, lorsqu’on lui rappelle : "Interrogé au corps, vous paraissez avoir déclaré que cette capote vous avait été remise à une ambulance où vous avez été soigné après avoir été commotionné par un obus à la Côte du Poivre. Tout cela n’est évidemment pas la vérité puisque vous avez reconnu qu’en quittant la compagnie en présence de l’ennemi, vous étiez parti directement dans votre famille." Il déclare : "Je n’ai jamais dit tout cela " . Déféré le 4 juillet 1916 devant le conseil de guerre de la 21ème DI, il est chargé par son lieutenant Crignon qui le traite de "mauvais soldat, mauvais Français et de lâche" et demande "que la condamnation qui le frappera soit impitoyable et serve d’exemple". Le jugement du 1er août qui le condamne à mort pour "abandon de poste et désertion en présence de l’ennemi" est exécutoire, le recours en grâce rejeté.
Le général Dauvin, commandant la 21e division d’infanterie, ordonne que l’exécution ait lieu le 20 août 1916 à 6 heures du matin, à Dieue (Meuse), dans les carrières situées au nord de la route de Sommedieue, et que le peloton d’exécution soit fourni par le bataillon du 93e R.I.
Bonamy, greffier du conseil de guerre, rédige le procès-verbal de l’exécution et le médecin aide-major constate la mort : "Le piquet ayant fait feu sur le condamné, je me suis approché et ai constaté qu’il était tombé mort, la majeure partie des balles ayant pénétré dans le cœur et la région du cœur, le coup de grâce donné derrière l’oreille ayant traversé le cerveau ."
Pierre Marie
François Mathurin Lagrée, né le 20 novembre 1896 à
Quesnoy (Côtes-du-Nord), chauffeur d’automobile à Arcade, canton
de New-York USA, célibataire, 2è classe au 1er R.I.C.,
registre de punition vide.
CG de la 10è région
de corps d’armée, 25 juillet 1916
Crimes du Quessoy et
de Fermanville et prison militaire de Rennes (4 assassinats et vols
qualifiés, violences à sentinelle et tentative d’assassinat),
recours en grâce rejeté le 21 août
« Le 2
décembre 1915, un jeune soldat du 1er colonial, le nommé
Bitel, connu pour sa conduite exemplaire, disparaissait du
cantonnement de sa Cie à Fermanville, près de Cherbourg. Deux jours
après, il était découvert dans vie dans un champs. A l’évidence,
il avait péri de mort violente et avait été dépouillé des
modestes valeurs qu’il avait coutume de porter sur lui. Il fallait,
suivant l’usage procéder à la reconnaissance et à
l’identification du corps. Cette triste mission était confiée à
un jeune soldat nommé Pierre Lagrée désigné comme ayant été le
camarade et l’ami de la victime. L’information s’ouvre… on
apprend que le soir du jour où Bitel a disparu, celui-ci devait
dîner avec Lagrée. Rendez-vous avait été pris dans un cabaret
situé à quelques mètres de l’endroit où la dépouille de la
victime avait été découverte… Lagrée manifeste une grande
affliction, et se fait l’actif collaborateur de l’information. Au
moment des funérailles, Lagrée est en première place, c’est à
lui qu’est échu l’honneur de porter la couronne offerte par le
détachement. C’est lui qui se fait auprès de la famille Bitel,
l’organe des regrets laissés par leur fils et console sa peine en
l’assurant que le meurtrier sera découvert et châtié. Il s’offre
à renouer avec les parents les liens d’affection ayant existé
avec leurs fils, l’échange de photographies devra être le signe
et le gage de ces sentiments.
Un mois après, un
village des Côtes du Nord, Quessoy, était le théâtre d’une
émouvante tragédie : Trois personnes y étaient trouvées
égorgées et leurs cadavres étaient essaimés par les champs .
C’étaient ceux d’une dame Mouvieux, femme d’un cultivateur
alors mobilisé et absent, ainsi que ses deux enfants âgés de huit
et quatre ans. Le vol paraît avoir précédé ou suivi l’assassinat…
Au nombre des assistants à la veillée funèbre, on remarque un
jeune soldat venu en permission au pays pour les fêtes du premier de
l’an. C’est ce même Lagrée qui déjà s’était trouvé mêlé
à la mort tragique de son camarade Bitel. C’est lui qui, cette
fois encore, assume les fonctions de maître des cérémonies et
règle la marche des obsèques.
Pierre Lagrée est
né à Quessoy le 20 novembre 1896, il n’a donc pas encore vingt
ans. Il est issu d’une modeste famille qui comporte, outre lui,
deux autres enfants encore vivants dont il est l’aîné. Son père
est fréquemment malade [enquête de gendarmerie : « son
père est malade depuis sa sortie du régiment. Il est épileptique.
Quelqufois il court les routes sans savoir où il va. S’il
rencontrait quelqu’ub qu’il n’aime pas, il pourrait le frapper
sans motif. »] et c’est surtout à sa mère qu’incombe le
soin de son éducation. Dès sa plus tendre enfance, il fait montre
d’une très grande intelligence, d’une exceptionnelle aptitude à
apprendre. Bien que n’ayant fréquenté l’école que jusqu’à
l’âge de 11 ans, il possède une culture relativement surprenante,
usant d’un langage correct et précis, ayant une attitude et des
manières pouvant permettre de lui prêter une origine sensiblement
plus relevée… Mais tout aussitôt que son intelligence, se révèle
son caractère, ses goûts d’indépendance et de vie facile et
l’impossibilité de se plier à une règle… Son ancien maître
l’a toujours considéré comme sournois et enclin au vol… il
déserte fréquemment l’école, préfère pour employer une
expression trouvée sur les lèvres des témoins, « faire le
renard », aller courir la campagne, se livrer à de petites
rapines, et victimiser les autres enfants… Il est mis en place dans
des fermes dans des régions où des relations de famille lui
promettent un appui ; mais de suite il décourage les meilleures
volontés : il ne se trouve bien dans aucune place et quitte à
chaque instant… une vie plus libre ne tarde pas à le séduire ;
il attend ses quinze ans pour entrer dans la marine. Le 1er
janvier 1912, il se fait mettre, à Dinan, dans les rôles de
l’inscription maritime. Le 21 mars suivant, il part pour la grande
pèche à Terre-Neuve s’étant engagé comme mousse sur le voilier
La Georgette… A bord la vie n’est pas telle qu’il l’avait
rêvée, irrité, prétend-il, par les brimades qu’il aurait eu à
subir, et se libère, suivant sa méthode, par la fuite. Le 18 août
1812, dans un port de Nouvelle Ecosse, il déserte son bord et
réussit à profiter d’un autre bateau pour passer au Canada (…)
Entré comme garçon d’hôtel à Buffalo, il se hausse jusqu’aux
fonctions de conducteur d’automobiles… Des correspondances
suivies après son retour en France avec des relations laissées aux
Etats-Unis démontrent qu’il avait su se lier avec des personnes
d’un milieu fort supérieur à sa propre condition. Ses lettres
font par ailleurs foi de ses invincibles tendances au mensonge. Il y
parle de sa présence aux armées et ne manque pas de faire allusion
à la rude vie des tranchées qu’il n’a jamais connue.(…) Le 13
avril 1915, il est incorporé au 1er Rgt d’infanterie
coloniale dont le dépôt est à Cherbourg… Son intelligence le
fait distinguer pour le peloton des élèves caporaux… son relevé
de punitions porte la mention « néant » … Auprès de
ses chefs, il passe plutôt pour bon soldat. Ses camarades n’ont
pas plus à se plaindre de lui. A leurs yeux il se trouve dans une
position aisée, dépensant largement. »
A Frémanville,
alors qu’ils sont brièvement voisins de chambrée, Lagrée réussit
à obtenir de Bitel quelques confidences, entre autre qu’il est
assez richement entretenu par sa famille, et que son père,
bijoutier, lui a confectionné un « porte-or », constitué
de deux médailles saintes accolées qu’il porte dans une pochette
intérieure de son gilet, l’objet permettant de dissimuler (en
prévention d’une possible captivité) cinq louis de 10 francs-or.
Edouard Bitel n’était sans doute pas d’un naturel méfiant
puisqu’au moins un de ses camarades du cantonnement témoignerait
qu’il connaissait le dispositif du porte-or et ce qu’il
contenait.
Le 1er
décembre, revenant de permission, Lagrée doit remettre ses
camarades un colis à un soldat originaire de la même région que
lui, Victor Auffray, avec lequel il se rend dans un débit de
boisson, chez la veuve Haineville où il trouve par hasard Bitel en
train de réparer une horloge. Il l’entend dire qu’il reviendra
vérifier le mécanisme. Selon Auffray, Bitel et Lagrée ne se sont
pas parlé, pas plus qu’il n’a spécifié être ami avec Bitel.
Tout juste lui a-t-il dit que Bitel lui avait réparé une montre qui
ne marchait pas mieux depuis.
Le lendemain,
avisant Bitel sur le terrain d’exercice, Lagrée lui propose de
dîner avec lui à la cantine de la dame Bertrand. Quand Bitel vient
le rejoindre dans sa chambrée vers 17h, Lagrée lui dit qu’il est
en train d’écrire une lettre et désirerait finir ; Bitel dit
qu’il va profiter de ce délai pour visiter l’horloge du café
Haineville qui se trouve à deux pas. Mme Haineville se souvient que
tout allant bien elle a fixé les yeux sur l’horloge au départ de
Bitel. Il était 17h15. C’est décembre, il fait nuit, il pleut.
Lagrée a suivi Bitel qu’il retrouve devant le café, lequel est
séparé de la cantine Bertrand où ils doivent dîner par un chemin
creux passant à travers champs et landes, sans une habitation, et
bordé de haies. C’est là que Lagrée fait à Bitel une demande
d’argent que celui-ci refuse ; une discussion s’engage, et
ils parviennent « à une distance d’environ 40 mètres du
débit Bertrand, à hauteur d’un champs dit « la châsse de
l’Eglise ». Lagrée frappe Bitel d’un vigoureux coup de
poing à la tempe, lui lance en même temps un coup de pied dans
l’abdomen, la victime tombe et va donner de la tête sur les
pierres qui sont sur la banquette du chemin. L’agresseur s’acharne
sur lui, et pour employer une expression en usage dans le monde de la
criminalité, le « sonne » en lui frappant la tête sur
les pierres voisines. La victime crie et exhale sa plainte. Il faut
de suite l’achever. Saisissant un caillou, Lagrée frappe à la
tête l’infortuné Bitel ; il faut aussi mettre sa dépouille
à l’abri et procéder en dehors des regards à la fouille de ses
vêtements. Bitel respire encore. Le meurtrier avise un mouchoir qui
dépasse de la poche de la victime et s’en sert pour l’étrangler.
Tandis que Bitel donne encore des signes de vie, Lagrée le prend
dans ses bras, et passant par une brèche du champ voisin, le
transporte jusqu’à une haie séparative de deux propriétés, dans
un endroit dissimulé par des ajoncs. Il visite les vêtements,
s’empare des objets de quelque valeur, va droit au porte-or placé
dans la pochette de la chemise, ainsi qu’au portefeuille qu’il
connaît bien, mais il ne lui suffit pas d’avoir recueilli le
butin, et il lui faut organiser une mise en scène qu’il suppose
devoir donner le change et faire croire à un suicide ou à une
rixe… » Lagrée se rend alors -aux environs de dix-huit
heures- à la cantine Berttrand, pour conforter son alibi, où il se
fait servir deux consommations coup sur coup, donnant le spectacle de
son inquiétude aux soldat Le Goff et Legall (qui ne l’avaient
jamais vu parmi les habitués de cet établissement) avant de s’en
aller, inquiet, à la recherche de son camarade avec qui il avait
rendes-vous. « Le cadavre est découvert, seulement deux jours
après le crime par le propriétaire du champ. »
Les soupçons ne se
portent sur Lagrée qu’après l’affaire du Quessoy, et l’on se
souvient qu’il a donné en paiement en décembre une pièce de 10
francs or, monnaie devenue rare. Quatre soldats du 1er
colonial -dont Auffrzy- se souviennent avoir vu Lagrée débarquer le
soir du 2 décembre dans le débit de boisson Guerrand (voisin de la
maison Haineville) « et avaient remarqué qu’il étalait sur
la table un portefeuille, qui, prétendait-il, venait de lui être
restitué après une disparition de quelques jours. »
Témoignage de Bitel
père : « Le lieutenant Pition et le sergent-major nous
informèrent qu’Edouard avait un ami du nom de Lagrée et nous
tenions à le voir… mais nous ne pûmes le voir dans la journée du
lundi 6 décembre, mais seulement le jour des obsèques. Il était
venu peu avant la lebvée du corps et il portait la couronne. Il vint
nous trouver avec un autre soldat. Il me souvient qu’il avait un
tremblement que nous avons alors attribué à l’émotion… On a
remarqué (mon autre fils) que pendant le service religieux Lagrée
souriait. »
Lettre de Lagrée à
Edouard Bitel père, le 7 décembre 1915 (orthographe conservée) :
Malgré tous les
ennuis D’aujourd’hui je m’empresse de vous faire ces quelques
mots, en vous envoyant cette photographie, qui n’est pas très
bien. Mais si toutfois celle-là ne vous plais pas vous me direz et
quand je me ferai rephotographier je vous en envoyerais une autre car
je sais que celle-là n’est pas bien ma figure. J’ai bien des
photographies en civils mais je sais que ce n’est pas cela que vous
Désireriez comme Souvenir. Celà me fait du chagrin à moi-même
qu’il a fallut que cela arrive comme ça ? Enfin Cher Monsieur
Bitel Celà est bien ennuyant mais prenez toujours bien Du courage et
Pourtant je sais que cela est Dure pour vous, et je vous assure que
cela en est bien ainsi pour moi, var je me voit encore une fois De
plus isolé au régiment que De Dire que depuis 8 mois que je
connaissais Edouard que jamais nous n’avions eu seulement un mot de
dispute Ensemble. Et maintenant à qui m’adressé pour avoire un
camarade toujours trouvé des mauvaises rencontres Des Soulards et
des Arsouilles. Oui je peut franchement vous le dire que cela me fait
de la peine. Si toutefois Mr Bitel bous désiriez connaître quelques
renseignements Et que je pourrai vous les faires N’ayez aucune
crainte de me demander. Je vous serais toujours bien Reconnaissant
sur toutes choses que vous voudrez et j’espère bien Mr Bitel vous
souhaiter une Meilleurs chance que vous n’avez eu jusqu’ici. Je
vous quitte En vous serrant Cordialement La main
D’un ami tout
dévoué P. Lagrée
Extraits de la
lettre du 18 décembre :
… hier vendredi
je me suis fait exanter de service pour aller me renseigner sur
toutes les choses que vous me demandiez… Et pour le nom du petit
camarade dont vous me demandiez C’est Chartier Paul mais lui pour
le moment il est partit au front depuis deux ou trois jours. Et je
croit que moi aussi mon tour approche nous devont partire en
Permission de 4 jours et je croit bien que cesseras la dernière pour
peut être d’ici longtemps. Enfin personne ne sai encore.
Recevez Monsieur
Bitel mes Sincères Salutations et je vous remercie a nouveau pour ce
petit portrait Un ami tout dévoué Lagrée Pierre
Tandis qu’il
cherche encore à se disculper de l’assassinait de Bitel, Lagrée
écrit plusieurs lettres au commissaire-rapporteur, forgeant une
invraisemblable histoire de deux soldats qui auraient commis le crime
et l’auraient menacé s’il révélait quoi que ce soit, le payant
même pour son silence. Quoiqu’il les représente comme masqués,
il prétend pouvoir identifier l’un des deux si on le transfère à
Cherbourg. Ces lettres sont paraphées en guise de formule de
politesse « Truly Yours ».
Crime du Quessoy :
Langrée n’arrive
au Quessoy en permission que le 2 janvier, après s’être arrêté
en plusieurs endroits. Le lendemain 3 janvier est le jour fixé par
le percepteur de Moncontour pour le paiement des allocations aux
femmes des mobilisés du canton. Lagrée le sait puisqu’une voisine
de sa mère, la dame Mouvieux est venue offrir à celle-ci de faire
de compagnie la route. La dame Mouvieux part finalement seule, très
tôt le 3. « Ce même jour Lagrée s’est mis en route de
bonne heure (6h et demi), il doit aller faire viser sa permission à
la gendarmerie du chef-lieu de canton. » Vers 18h après une
visite chez des parents dans une localité assez éloignée, il
rentre chez ses parents vers 18h, « prend un repas sommaire
qu’il se prépare lui-même, et ressort au bout d’une demi-heure
pour ne rentrer que deux heures environ après ». Les premières
constatations du parquet de Saint-Brieuc, le 4 janvier établissent
que les environs de la maisonnette Mouvieux sont jalonnés des traces
du massacre, flaques de sang, morceaux de cuir chevelu, une
pelle-pioche portant des touffes de cheveux collés, des empreintes
de chaussure sans clou sont relevées dans la venelle où les enfants
ont été poursuivis. L’autopsie établit que la mère a sans doute
été frappée à l’intérieur avant de s’enfuir, le meurtrier
(car on remarque que c’est la même main qui a égorgé les trois
victimes, de droite à gauche, assez ferme pour trancher larynx et
trachée d’un seul mouvement) ne s’est pas attardé à fouiller
les lieux, n’emportant que l’allocation de 50 francs versée le
matin puisqu’on trouve entre des piles de draps 400 francs cachés,
en billets de banque. Contrairement à ses concitoyens, Lagrée évite
de se rendre sur les lieux des meurtres, filant à bicyclette
chercher les traces d’une caisse égarée à son arrivée à la
gare voisine. Il accepte néanmoins à son retour de participer à la
veillée funèbre ; il y fait même une apparition éminemment
théâtrale, vêtu d’un pourpoint rouge et armé d’un sabre-épée
dont il prétend pourfendre les meurtriers s’ils revenaient. Il
prend en main l’organisation de l’enterrement, désignant à
chacun son rôle. Certains remarquent tout de même qu’il a le coup
et le bas du visage couverts d’égratignures assez fraîches, qu’il
attribuera bien sûr avant qu’on lui en fasse la demande à une
chute de vélo dans un buisson de ronces. Il se rend même chez le
charpentier afin d’accélérer le travail de confection des
cercueils, soulignant qu’il doit reprendre le train le dans
l’après-midi du lendemain. Il fait partie des porteurs du cercueil
de Mme Mouvieux et se rend au café pour le pot d’enterrement et
reprend effectivement le train en direction de Cherbourg, non sans
avoir acheté les journaux où il découpe les articles relatifs aux
crimes -on les retrouvera dans ses affaires plus tard- afin de se
renseigner sur les indices découverts.
A ses camarades qui le
questionnent sur le drame auquel il a assisté, il répond
négligemment que c’est l’œuvre d’un fou qu’il va jusqu’à
désigner nommément. Il ignore cependant que les langues vont se
délier et que des voisins révèlent avoir vu sa mère laver des
pièces d’uniforme le 4, en pleurant, et qu’une perquisition chez
elle va bientôt permettre de découvrir les bottines sans clous
qu’elle avait cachées, et qu’il avait revêtu afin de ne pas
laisser de traces de ses godillots militaires. Lagrée est arrêté
le 11 janvier, interrogé pour la première fois le 15. Dans le
rapport du commissaire on ne peut s’empêcher de relever une
certaine admiration pour le système de défense, et la dialectique
longtemps imparable élaboré par le suspect : « A part
quelques défaillances de détail, le système de dénégation adopté
reste parfaitement cohérent ». Le 16, la maîtrise de soi et
les parfaites apparences de sincérité commencent à se lézarder
lorsqu’on lui révèle les résultats de la perquisition et
l’identification des chaussures. Il avoue alors, non sans avoir
dans un premier mouvement assuré « c’est elle qui m’a
donné un coup de poing ».
« Les premiers
coups ont été portés à la dame Mouvieux en se servant de la
pelle-bêche ; pour l’achever il lui a tranché la gorge de
façon à faire cesser ses appels et ses cris. Pour se faire il a
employé le couteau qu’il porte habituellement et qu’il a
conservé jusqu’au jour de son arrestation, c’est un coteau dit
de l’Armée Suisse, qui s’est vulgarisé surtout depuis la
guerre. Une fois son premier crime commis, il s’est mis à la
poursuite des deux enfants qui, témoins des premiers sévices
exercés sur leur mère se sont enfuis, effrayés à travers champs.
Il les gagne de vitesse et les rejoint au moment où la fillette
atteint le café Boulaire vers lequel elle s’est instinctivement
dirigée pour demander du secours. Lagrée interpelle l’enfant, lui
enjoint de venir vers lui, obtient qu’elle renonce à sa tentative
d’entrée dans le café. Elle reprend sa course qui l’amène à
l’entrée du chemin creux où son petit frère a dû lui-même
s’arrêter. La fillette s’engage dans la venelle en proférant
des cris qui peuvent être entendus des maisons voisines. Il faut
agir vite : Lagrée s’empare du garçonnet qu’il ne veut pas
laisser derrière lui, le prend sous son bras et se met sur les pas
de la jeune Marie qu’il rejoint à 40 mètres de là. Il se
débarrasse de son fardeau, jette le garçon sur le rebord du talus
et va au plus pressé, la fillette… Il la renverse, la bâillonne
d’une main, lui serrant le cou, et tirant son couteau de sa poche,
lui tranche net la gorge. Il reprend le jeune Joseph, le transporte
quelques mètres plus loin et lui fait subir le même sort. Les
cadavres sont, qui jeté, qui transporté, près des haies qui
doivent les dissimuler… Il peut revenir à loisir vers la maison de
sa victime et réaliser le but de son expédition. Il lave ses ùains
sanglantes dans la marmite qui contient les restes du bouillon qui a
servi à tremper la soupe de la famille et procède à la visite de
l’armoire. Le billet de 50 francs reçu le matin du percepteur est
encore dans le tiroir, Lagrée s’en empare et… ç’aurait été
là son seul butin. » Rentré chez lui il se serait, aux dires
de sa mère, paisiblement endormi. « Il a d’abord soutenu que
sa victime l’aurait attiré chez elle dans un but galant qui se
serait réalisé. La dame Mouvieux aurait ensuite voulu lui fiare
payer ses faveurs et c’était… cette exigence qui aurait amené
une rixe dans laquelle il n’aurait fait que se défendre.
On voit que le
rapporteur, quoiqu’il dénonce au passage l’influence pernicieuse
des romans policiers, ne résiste pas à la tentation d’en écrire
un lui-même, et cela dans le style le plus fleuri que lui permette
les circonstances d’un rapport d’enquête. Lagrée serait-il l’un
de premiers serial-killers à l’américaine du 20è siècle (« ses
agissements en Amérique restent inconnus »), fascinant son
auditoire par son intelligence et sa froideur de psychopathe, sans
cesse tenté, pour exercer son sentiment de toute-puissance, de jouer
avec enquêteurs et proches de ses victimes, souhaitant jusqu’à
son arrestation afin de faire les premières pages des journaux,
voire son exécution comme seul moyen de mettre un terme à sa folie
meurtrière ?
L’affaire Lagrée
ne s’arrête pas tout à fait là, les faits suivant prouvant que
la cupidité n’était peut-être pas le seul motif de ses crimes
antérieurs comme on l’a trop vite déclaré :
« Le 14
juillet vers 13 h il [Lagrée] est extrait de sa cellule pour être
conduit dans une cour intérieure de la prison afin d’y jouir d’une
demi-heure de préau à l’air libre, conformément au règlement.
Vers 13h30 le maréchal des logis Le Bourdonnec invitait le détenu à
le suivre pour réintégrer sa cellule, et ne rencontrait aucune
opposition ; aussi bien, dans la demi-heure qui venait de
s’écouler rien d’anormal ne s’était produit et Lagrée
s’était montré très calme selon son habitude… Au moment où le
maréchal des logisest venu ouvrir la porte du préau pour en faire
sortir le détenu la sentinelle a dû s’effacer, laisser passer le
sous-officier, puis Lagrée, et fermer lui-même la marche, de façon
à encadrer le détenu. Le factionnaire, le soldat Redon est de
petite taille, d’aspect plutôt chétif et débonnaire. Au cours de
la séance de préau Lagrée était parvenu à engager la
conversation avec lui ; et avait pu se rendre compte qu’il
était de faible intelligence et incapable d’une sérieuse
résistance. Profitant que le sous-officier qui précède le cortège
est hors de vue, ayant dû tourner à gauche dans le couloir des
cellules, Lagrée se jette sur Redon, lui assène sur le crâne un
vigoureux coup de poing de la main droite pendant que de la gauche il
s’empare du fusil de l’homme de garde et parvient à le lui
arracher… Le coup qui a visé Redon à la tête n’est pas un
simple coup de poing ; ce coup a, en effet, entaillé le cuir
chevelu… [Lagrée] avoue avoir réussi à dissimuler une cuillère
aiguisée dont il se servait pour couper son pain… Redon a été
plus ou moins abasourdi par ce coup… il a cependant lâché un cri
qui a été entendu du maréchal des logis qui se retourne pour
revenir sur ses pas à travers les détours du couloir, mais son pied
glisse sur le sol, qui, devant le lavabo est humide. Lagrée le
rejoint avant que le Bourdonnec ait eu le temps de se relever. Le
sous officier est bien porteur d’un revolver mais l’étui se
trouve sous lui, et avant qu’il ait pu le dégager, Lagrée armé
du fusil… qui a la baïonnette au canon, pointe cette baïonnette
sur le corps du maréchal des logis et lui en porte notamment des
coups qui l’atteignent à l’abdomen dans les régions droite et
gauche. Le Bourdonnec est gisant, seul , et sans défense. Une fois
atteint et désarmé, Redon a plus ou moins perdu la tête et a
instinctivement franchi la porte qui fait communiquer le lavabo avec
la cour de la cuisine où il va chercher du secours.
Providentiellement, le sergent-major Level, qui n’est point de
service, survient à cette même porte et aperçoit son collègue que
Lagrée est en train de larder de la baïonnette. Il se jette sur le
détenu et engage, non sans éprouver une vive résistance, une lutte
pour le désarmer. C’est à cette intervention fortuite que Le
Bourdonnec a dû d’avoir la vie sauve. » Level appelle à
l’aide, et c’est un détenu qui travaille à la lampisterie qui
vient porter main-forte, permettant de désarmer et maîtriser
Lagrée. « Ce n’est qu’alors que, se rendant compte de son
impuissance, il se laisse conduire à sa cellule. Durant quelques
instants, son gardien l’entend prononcer des mots incohérents,
comme s’il craignait l’arrivée d’un agresseur. Les assistants
ont l’impression qu’il n’y a là qu’une simulation [NB :
la schizophrénie n’est identifiée, et confidentiellement, que
depuis 1911 par le psychiatre zurichois Eugen Bleuler, mais peut-être
faut-il croire les experts et ne voir dans cette « crise »
qu’une nouvelle tentative de manipulation en vue d’une tentative
d’évasion] D’ailleurs Lagrée revient tout aussitôt à son état
normal, et quand les actes qu’il vient de commettre lui sont
reprochés, il dit ne s’en point souvenir… L’inculpé prétend
que déjà, au cours de sa détention, il aurait été en proie à
des troubles lui enlevant la possession et la conscience de
soi-même. »
Pierre Lagrée est
fusillé à Rennes Terrain du Polygone, le 21 août 1916 à 6h.
Jean (John) Lestage,
né le 12 mai 1880 à Bordeaux, matelot, gabier breveté des
Equipages de la Flotte à bord de la « Gascogne »,
précédemment pêcheur (à la dynamite) mineur de charbon (avec
compétences d’artificier) à Glace Bay, Nouvelle Ecosse, Canada,
marié, père de deux enfants.
CG de la Base et des
Camps de Salonique, le 19 août 1916, jugé pour trahison (désertion
et espionnage), avec les civils Schabati, Nahoun, Pelekanakis.
Cette affaire
concerne-t-elle des civils, un ou des militaires ? Difficile de
trancher, le principal protagoniste, dont la nationalité réelle
paraît compliquée à établir étant malgré tout employé par
l’armée française, dans une zone neutre ; sur un territoire
en guerre… Le nombre de personnages qu’elle implique ne facilite
pas sa compréhension. Lestage était-il un anarchiste rusé,
anti-militariste radical comme on tente de le faire croire ou un
opportuniste fantasque jouant avec le feu ?
Le 6 janvier 1916,
le matelot Lestage déserte, quittant la rade de Salonique pour se
rendre au Pirtée où il rentre en relations avec le consul allemand,
puis à Athènes où il se met au service de l’attaché naval
allemand de Grancy, chargé du service des renseignements. Il leur
transmet des informations sur le déplacement des troupes l’armement,
certains recueilli par ses complices. Schabati, lui rendant visite
dans la chambre (sous louée par Nahoun) où il se cachait a pris
pour lui le billet à bord du vapeur « Delfini » en
partance pour le Pirée, favorisant sa désertion. Les deux auraient
formé le projet de partir pour l’Amérique, où Lestage pensait
faire fortune en exerçant son métier de contremaître aux mines de
charbon. Les deux hommes se sont rencontrés à de nombreuses
reprises, Lestage se montrant toujours très généreux, même quand
Shabati n’avait rien à lui apprendre. Au travers de leurs lettres
codées, Lestage propose également à son ami de vendre du « savon »
(de l’opium qui lui aurait été fourni par un cuisinier
-Pélékanakis ; naturalisé américain demeurant en Crête- à
bord d’un navire grec).
« C’est le
besoin d’argent qui m’a poussé à faire ce que l’on me
reproche. Mais j’ai toujours donné des renseignements imaginaires…
J’ai été torturé sur l’ordre de l’attaché naval d’Athènes ;
on m’a mis des œufs bouillants sous les aisselles et l’on ne
s’est arrêter de me flageller que sur les protestations de
l’équipage. Le médecin de la Gascogne m’a bien soigné mais les
plaies sont encore à vif. »
Lettre manuscrite
(crayon) de Lestage au consul américain, interceptées par Le
commissaire à la sûreté de l’armée d’Orient Vignolles comme
adressées frauduleusement au consul. Dans la version anglaise
Lestage proteste qu’il est citoyen américain et entend le rester,
qu’il est tenu au secret dans la zone neutre et que ses
tortionnaires le savent : « suis été enlevé du quai au Pirée
, Grèce, le 14 juin après avoir été drogué par deux marins qui
me fréquentaient depuis huit jours. J’ai été menacé, maltraité
continuellement, puis le 15 juillet on me transporta à bord du
« Goéland ». le détaché naval de l’ambassade
française est venu avec quatre aides et commencerent par me torturer
à coups de cordes pour répondre à des questions que je ne
connaissais pas. Puis me chatiairent avec des œufs bouillants,
qu’ils me mirent sous les aisselles à plusieurs fois ils me
laissèrent comme mort le chatiment commença à 10h du soir et
termina à 2h20 du matin ceci se passait en rade su Phalère. J’étais
pourtant satisfait de répondre à leurs questions. Le 16 au soir
menaces puis suis transporté par un autre chalutier le « Cordouan »
qui me ramena sur l’Henri IV ou le docteur me soigna les brulures
puis sur la Gascogne a Salonique se fut pareil. Please treat me
well »
André Noël
Humilier, né le 6 septembre 1882 à Boisemont (Meurthe et Moselle),
mécanicien à Longwy, soldat au 51è R.I., 1,72m chatain aux yeux
bleus, tatouages : lutteur au bras gauche, ancre à la main
droite.
Déclaration de
l’adjudant Edouard Delamare :
« Etant au
repos dans les tranchées au Nord Ouest de Dampierre, le 4 août 1916
vers 18h15, j’entends plusieurs coups de revolver. Je me porte du
côté d’où viennent les coups, et ayant fait une cenatine de
mètres, je vois le soldat Humilier se précipiter vers moi, me
menaçant de son revolver, et criant : « Toi, cette
fois-ci je t’aurai, tu ne m’échapperas pas ». Je saute
dans la tranchée pour lui échapper, et à ce moment, le
sous-lieutenant Debeugny, qui se trouvait derrière le soldat
Humilier, se précipite sur lui, et le maîtrise. J’aide le
sous-lieutenant Debeugny à le ligoter et pendant ce temps, il
m’injurie, me traitant de « Vache, Fumier etc. » Puis
il me dit : « si j’avais encore mon pétard, je te
brûlerais, mais tu ne pers rien pour attendre, tu ne verras pas
l’année 1917, je t’aurai avant ». Puis il invective
grosiièrement le capitaine Henry, le traitant de « lâche,
vache etc. » et profitant de ce qu’on venait de lui détacher
les pieds, il frappe le capitaine Henry de plusieurs coups de pieds.
Je n’avais eu que très peu de rapport avec le soldat Humilier, ne
l’ayant jamais eu dans ma section. Je le connaissais cependant pour
un soldat vindicatif et sournois, très craint de ses camarades. »
Sous-lieutenant Paul
Picard, qui s’empare du revolver : « Lorsque le soldat
Humilier me reconnut, il m’insulta et me traita de « vache,
vendu, fainéant » et me fit cette menace : « je
connais ton adresse à Paris, si je ne peux t’avoir maintenant, je
saurais te retrouver, pour t’étriper » ; Ce soldat
était dans ma section depuis décembre 1915, il avait très mauvais
caractère, très rancunier, et peu ami de ses camarades, avec
lesquels il se disputait constamment. »
Sous-lieutenant Omer
Debeugny : « je me dirige immédiatement vers cette
tranchée, quand Humilier, tête basse, revolver au poing, apparaît
devant moi. Brandissant son revolver, il change de direction pour se
mettre à la poursuite de l’adjudant Delamare. Tou en courant, il
criait : « Ah ! La vache ! Ah le juteux, je
l’aurai ta paillasse » Votant l’adjudant en danger avec un
tel individu, je saute au cou d’Humilier, et lui tenant les bras,
j’attends l’arrivée du sous-lieutenant Picard… pour le
désarmer. J’apprends alors qu’il venait de tirer sur le
capitaine. A l’arrivée du Capitaine Henry, le soldat Humilier crie
bien haut : « Je t’ai raté, mais je t’aurai. Tiens,
si je l’avais encore mon pistolet, comme je te la ferais sauter !
Lâche ».
Interrogatoire du
soldat Emile Picard :
D : - Avez-vous
entendu le soldat Humilier dire en parlant de son capitaine :
« J’ai eu cinq ans de réclusion, ce n’est pas pour des
prunes, je n’ai pas peur de mes os ; s’il vient je le
démolis. Ce n’est pas un capitaine de 26 ans qui viendra ma faire
chier » ?
R : – Oui, il
a dit cela avant que le capitaine n’arrive.
D : - Le soldat
Humilier était-il ivre ?
R : - Non. Il
était simplement un peu surexcité.
Extraits du rapport
du capitaine Henry : « Le 4 août 1916, le soldat
Humilier, fusilier mitrailleur à ma 11è Cie, s’étant pris de
querelleavec le soldat Gouel, son acamarade, je me portai vers eux
pour les inviter au calme et appelai le soldat Humilier qui, à ce
moment, était porteur de son pistolet automatique. Humilier s’avança
vers moi très calme, d’une vingtaine de pas, son arme à la main
dirigée vers le sol. Arrivé sur moi, sans un mot il braqua son
revolver contre moi et tira six coups à bout portant. Etant sans
arme je m’abritai dans un boyau. Humilier me poursuivit le long du
parapet en criant : « Je t’aurai » […] Un moment
après, alors que je lui déliais les pieds pour le faire mener sous
escorte au poste du Colonel, Humilier m’envoya de toutes ses forces
deux coups de pied qui m’atteignirent aux jambes alors qu’il me
visait aux parties. » (devant le CG « en me disant « gare
à tes couilles ! »
Remarquons seulement
qu’avant le conseil, aucun soldat du rang n’a vu Humilier tirer.
En admettant qu’il n’était pas ivre, aurait-il raté sa cible à
bout portant à six reprises ?
Notes d’audience
CG de la 3è DI :
L’inculpé :
Il m’est impossible de me rappeler les faits. Je n’étais
pourtant pas pris de boisson… Je n’ai jamais eu mon revolver
dessus et je ne m’explique pas comment il était en ma possession.
Je ne m’explique absolument rien, ni dispute avec mes camarades, ni
coups de revolver, ni coups de pied au Capitaine, ni injures aux
officiers.
Le président :
Aviez-vous des raisons particulières d’en vouloir à votre
Capitaine ?
L’inculpé :
Absolument aucune, et depuis que je suis à la 11ç Cie, je n’ai
jamais eu de punition.
- Vous avez été
condamné à cinq ans de travaux publics ?
- Oui, pour outrages
à un Caporal avec qui j’avais bu et j’ai demandé à racheter ma
faute en demandant à partir volontairement sur le front. Je ne
m’explique pas mon acte, je suis très nerveux et j’ai dû subir
un accès de folie passagère.
Recours en révision
rejeté le 23 août 1916, le défenseur nommé d’office in extremis
en remplacement du précédent « indiposé » n’ayant
présenté aucun « moyen », Humilier est fusillé àVarmaise, commune de
Bonvillers (60) le 25 août 1916, 5h.
Julien Arthur
Gastien Brillant, né le 18 décembre 1880 à Bonnétable (Sarthe),
magasinier d’épicerie à Paris, soldat au 362è R.I.
Condamné en 1913 et
juillet 1914 pour vagabondage et mendicité en réunion.
Le 15 juillet 1916,
au bois Désiré près Biaches, la 20è section qui équipait un
boyau reçoit l’ordre de s’équiper pour se porter en avant en
vue d’une contre-attaque. Contrairement aux mensonges du rapport
officiel, les témoignages prouvent que Brillant s’équipa comme
les autres après une remarque de son supérieur direct. Dès que la
section arrive en terrain découvert, les sous-officiers
s’aperçoivent de l’absence de Brillant. Le lendemain il est
aperçu près du poste de commandement, le sergent Triplet lui
ordonne de rejoindre avec les brancardiers qui montent en première
ligne. Il dit n’avoir pas été réveillé pour partir ses
camarades. Après avoir suivi Triplet, il disparaît.
Le 21 le sergent
sapeur Vuiche ayant constaté la présence d’un homme du 362è
parmi ses hommes au 365è l’interroge. Il se dit malade, va à la
visite et disparaît de nouveau. Il est ramené le 24 au soir au Lt
Colonel commandant le 365è par un soldat qui lui dit : « Cet
homme meurt de faim et de soif, voilà trois jours qu’il est dans
un trou, on le voyait bien en passant dans le boyau. » Le Lt
colonel répond : « Comme homme, je vous fais la charité
d’un verre d’eau et d’un morceau de pain, comme soldat, vous
êtes un saligaud que je ne veux plus voir, votre place est à votre
régiment. L’adjudant Castelan lui indiqua où était le 362è,
mais la nuit venue, les coloniaux nous ayant relevés, Brillant était
encore là à notre départ ».
Du 3 au 5 mai 1916,
Brillant avait déjà fait l’étape moitié seul puis avec un autre
bataillon que le sien. Le 29 juin il est puni pour avoir mangé ses
vivres de réserve sans en avoir reçu l’ordre.
Hormis
sa rencontre avec les hommes du 365èl s’avère incapable
d’expliquer ce qu’il a fait entre le 16 et le 28 juillet. Il
répète obstinément qu’il n’a jamais quitté le front, se
touvant en proie à des étourdissements et à la colique dans la
tranchée à proximité de son unité.
Capitaine Villars à
l’audience du CG de la 72è DI du 14 août: « Brillant s’est
rendu coupable plusieurs fois d’absence illégale. Il est
intelligent bien qu’il semble s’ingénier à faire croire le
contraire. » Un cas aussi évident d’abandon de poste en
présence de l’ennemi ne justifie pas à l’évidence qu’on s’y
attarde… Nulle pièce ne fait état d’un défenseur devant le CG
Le 19 août 1916, la
prévôté de Mondidier télégraphie au Commissaire rapporteur pour
certifier que le père et le frère de Brillant ont été internés
dans un asile d’aliénés, depuis 1912 pour le premier et novembre
1914 pour le plus jeune.
Le recours en
révision rejeté le 23 août, défendu par le nommé Fontange qui ne
présente ni mémoire ni moyens. On constate que l’ordre
d’exécution n’a pas été conservé.
Brillant est exécuté
àConchy-Les-Pots (Oise) le 26 août 1916 à 7 heures.
Le
docteur Destemberg dispose d’une série de trois clichés pris par
un artilleur du 53è R.I. qui concerneraient, ainsi que Denis Rolland
a pu l’établir par recoupements, l’exécution de Brillant Trois
instantanés qui illustrent trois moments (La mise au
poteau/L’exécution/Le défilé) du rituel de l’exécution
capitale par fusillade. Le premier a été reproduit par le général
Bach (détail)
Jules Albert
Bellot, né le 21 janvier 1892 à Ville-sur-Arce (Aube),
domestique de culture, célibataire, 2è classe au 20è BCP
CG de la 13è DI, le
2 août 1916 : « Au début de juin 1915… J’ai été
chargé de porter deux seaux de vin. En remontant je suis tombé sur
les deux récipients. Alors je suis reparti à La Forestière, où je
suis resté jusqu’à ce que la Cie descende des tranchées. J’ai
été mis en prison. Le Capitaine me dit qu’une plainte en CG
allait être établie contre moi, et pourtant il me fit remonter aux
tranchées en me disant que je pouvais me racheter. En remontant avec
ma Cie, j’ai profité de l’obscurité et je suis parti. Je
reconnais que je suis resté un an absent et que j’ai été arrêté
près d’Amiens. Pendant toute mon absence j’ai travaillé. »
Sergent Roulhac,
seul témoin survivant des faits : « c’était une vraie
plaie pour ses camarades. »
Fusillé à La
Faloise (Somme) le 29 août 1916.
René Jean Le
Roux, né le 29 janvier 1894 à Vélizy, maçon à Chaville, 2è
classe au 155è R.I. 7è Cie, cheveux et sourcils roux, taches de
rousseur sur la figure.
Présomption
suffisamment établie d’avoir
1-A Vesigneul
(Marne) déserté à l’intérieur en temps de guerre pour s’être
absenté de son régiment en cantonnement audit lieu du 2 février
1916, jour de son absence constatée, au 6 février 1916, jour de sa
présentation volontaire à la gendarmerie de Chartres. « il
n’était resté que 8 jours à cette unité à laquelle il avait
été affecté le 29 janvier, à la suite d’une condamnation pour
désertion » était allé voir sa mère à Chaville
2-à Sivy-la-Perche
(Meuse) le 13 mars 1916, abandonné son poste et déserté en
présence de l’ennemi « disparu jusqu’au 23 mars, date à
laquelle il fut arrêté à Ville sur Cousance » pas levé,
malade, a probablement abandonné dans le rang , étant parti
avec ses camarades
3- dans les environs
de Froméréville (Meuse) le 28 avril, abandonné son poste en
présence de l’ennemi et déserté « alors que son régiment
montait aux tranchées dans le secteur de Mort-Homme, Le Roux
abandonna à nouveau son unité, sous prétexte de satisfaire un
besoin naturel, et disparut jusqu’au 7 mai 1916, date de son
arrestation à Paris » aurait réussi en se faisant transporter
à Bar-le-Duc par un automobiliste civill, à se faite évacuer sur
les dépots d’éclopés de Vandeuvre sur Barse et Sézanne.
4-aux baraquements
de Blescourt (Meuse) le 30 avril 1916, refusé au sergent-major
Glorian, son chef qui le commandait pour marcher à l’ennemi en lui
donnant l’ordre de remonter aux tranchées. « Je n’ai pas
dit que je ne remonterai pas mais je ne suis pas remonté, j’étais
malade, je ne pouvais me traîner et quand j’ai vu que personne ne
voulait s’occuper de moi, je suis parti à Bar me faire soigner.
5-aux même lieux et
temps d’avoir, abandonné son poste et déserté en présence de
l’ennemi
Quelques témoins :
soldats ; « il récriminait continuellement », un
autre « il paraissait bon garçon, je ne l’ai jamais entendu
tenir de mauvais propos », officier ;« n’ayant
jamais manifesté par aucun de ses actes l’intention de se
réhabiliter , bien qu’il en eût faussement exprimé le
désir », « a laissé à ses camarades l’impression
d’un mauvais sujet, dangereux. » « passé au 155è, n’a
laissé pendant le temps qu’il a été à la Cie, que de mauvais
souvenirs : indiscipliné, buveur, etc. puni pour ces motifs, il
s’évada deux fois des locaux disciplinaires. »
Les gendarmes
Dauzion et Baunis, en poste à la gare du Nord à Paris, chargé de
surveiller les « militaires dont la tenue malpropre attirait
l’attention » auraient recueilli cette déclaration :
« Je me suis fait porter malade à Romillly sur Seine, quoique
ne l’étant pas, pour tromper la confiance de mon chef de
détachement et pouvoir faire la noce à Paris… Je suis allé à
Saint-Brieuc pour y rejoindre mon détachement, et ayant appris qu’il
était reparti, je suis venu faire la noce à Paris où je suis
arrivé le 26 mai courant à 5 heures ». Personne ne s’occupe
des parjures clichéiques des assermentés qui veulent toucher la
prime ?
Jugement de la 40è
DI annulé le 16 juillet (vice de forme), renvoyé devant le CG de la
77è DI (audience du 26 juillet), à nouveau condamné à mort,
recours en révision rejeté le 4 août ; Le Roux est fusillé à
Maricourt (Somme) le 29 août 1916, 7h.
été 1916 dans la Somme : des soldats allemands creusent, devant les français les tombes destinées à abriter ceux qui seront tués dans l'offensive suivante.
Septembre
Joseph
Constant Mougenot, né le 11 décembre 1877 à Rignoville
(Haute-Saône), journalier à Grand Montrouge, soldat au 230è R.I. Jugé
coupable de tentative de désertion en date du 24 juillet, parCG de
la 74è DI en sa séance du 1er septembre, Mougenot n’a
que le temps de signer un pourvoi en révision avant d’être exécuté
à Haudaunville (55) le 1er septembre 1916, lequel pourvoi
est rejeté le 9 septembre 1916 -il était grand temps !- Le
dossier de procédure n’est pas connu.
Luigi Virgo est né le 18 mars 1885 dans un petit village de Castagniccia en Corse à Casabianca. Veuf avant la guerre et père de deux enfants il est tout de même mobilisé dans le 173e R.I. en seconde ligne. Du début de la guerre jusqu'au printemps 1916, il a combattu sans relâche.
A partir de février 1916, il est entré dans un nouveau cercle de l'enfer, la bataille de Verdun. Après plusieurs mois dans cette apocalypse, Luigi peut souffler quelques jours. Il est au repos en retrait des 1ère lignes. Mais il se présente en retard à son régiment après de copieuses libations. Il est rapidement appréhendé mais comme il n'était justement pas en 1ère ligne, l'incident est clos, sans autre forme de procès. Cet épisode va toutefois peser lourd par la suite.
Luigi a repris entre temps son poste dans les tranchées de Verdun. Plusieurs témoins évoqueront son courage, en ces jours sanglants. Le 27 juin 1916 il est porté absent, mais cette fois en 1ère ligne.
Il n'a pas abandonné son poste, mais a disparu lors des assauts très meurtriers. Il est retrouvé quelques heures plus tard au milieu de ses camarades. Il est inculpé d'abandon de poste en présence de l'ennemi et de désertion à "l'intérieur" en référence à sa première affaire.
Son conseil de guerre s'ouvre le 27 juillet. Il ne sait ni lire, ni écrire et parle mal le français. Il est condamné à mort, mais il peut faire appel et demander la grâce présidentielle, qui sera rejettée le 28 août 1916.
La sentence tombe le 2 septembre : c'est la mort. Il est fusillé le lendemain à 6h du matin à Jubécourt.
Paradoxalement le seul fusillé corse qui a une sépulture militaire dans la Meuse (cimetière militaire de Cousances) ne figure pas sur le monument aux morts de son propre village. Notre arrière grand mère était sa sœur, qui s'est battu sans relâche, se rendant à pied, au tribunal de guerre se trouvant dans la ville de Corté à plusieurs kilomètres de son village, pour sauver son frère, en vain.
En mémoire de Virgo, pour son honneur mais aussi celle de son fils que les gens ont rejeté toute sa vie (mais que notre arrière grand mère a élevé comme son propre fils), pour notre arrière grand mère, pour sa petite fille décédée à l'âge de douze ans notre association va œuvrer pour sa réhabilitation, et pour tous les fusillés de la grande guerre. (récit Virginia Baccarelli)
Pierre-Marie
Guégan, né le 22 avril 1886 à Trémargat, soldat du 2è R.I.
n’est connu que par sa fiche de décès, laquelle porte la mention
« fusillé » à Méharicourt (80) le 3 septembre 1916
La cave du presbytère de Verderonne
Justin Louis Lorho,
né le 12 Juillet 1892 à St Pierre Quiberon, incorporé le 29 juillet
1914 au 3è RAC (artillerie de campagne) à Coëtquidan. Participe aux
combats à Neufchateau (Belgique) et à la bataille de la Marne.
Célibataire, 24 ans, il
avait été accusé de vol de chemise et d’une paire de brodequins le 1er
novembre 1914 à Valmy. Cette accusation, dont il fut acquitté, joua
certainement en
sa défaveur lorsqu’il comparut de nouveau le 30 juin 1916 devant un
conseil de guerre pour désertion. Soldat rengagé, il avait
deux ans et dix mois de service.
Déféré devant le conseil de guerre de la 2è DIC le 17 août 1916, il
est condamné à mort pour abandon de poste et désertion en présence de
l'ennemi (en réalité baignade collective pendant une accalmie).
Louis François Mathurin Chevestrier, né dans les Côtes-d’Armor le 25 janvier 1880 à Saint-Juvat (Calorguen), marin de profession,
terre-neuvas et fils de terre-neuvas, fait partie, comme Marchetti et
Lançon, du 8ème RIC. Le Conseil de guerre le
condamna à mort le 24 mai 1916, également pour désertion. Le
8ème RIC avait déjà eu à faire face à un mouvement d’insubordination, le
5 mai 1916. Un conseil de guerre avait condamné cinq
soldats à la peine de mort le 17 mai 1916, pour désertion face à
l’ennemi. Quatre furent graciés.
Jean-Michel Suraud, né le 27 mai 1882 à Nantes (Loire Inférieure) marié, 34 ans, du 24ème RIC, est père de deux
enfants. Il a une longue expérience militaire. Engagé volontaire depuis
1903, au 6ème RIC, il a fait une campagne au Tonkin
de 1905 à 1909 et la Cochinchine de 1911 à 1912. Depuis le 2 août 1914, il est engagé dans le première guerre mondiale.
D’un caractère bien trempé, il écope en 1912 d’une condamnation militaire pour bris de clôture, voies de fait et outrages par paroles sur un supérieur. Ce passé et ce caractère feront de lui un coupable tout désigné pour servir d’exemple devant le conseil de guerre de la 2ème DIC, le 17 août 1916…
D’un caractère bien trempé, il écope en 1912 d’une condamnation militaire pour bris de clôture, voies de fait et outrages par paroles sur un supérieur. Ce passé et ce caractère feront de lui un coupable tout désigné pour servir d’exemple devant le conseil de guerre de la 2ème DIC, le 17 août 1916…
Emprisonnés dans la cave du presbytère, les trois sont bientôt rejoints par seize soldats du 8è R.I.C. (Isnard Charles, Hardy Ernest, Vevia Pierre, Giorgi Michel Ange, Istria Jean-Baptiste, Bazon Léon, Lançon Julien, Jouault François, Lafont Georges et Strobel Eugène) plus les caporaux Marchietti Sylvestre, Boudet Auguste, Ostruc Félix, Pérard Gaston, Savignac Eugène, Dominici Jean (accusé de complicité d’abandon de poste) et quatre soldats du 4è R.I.C., (Jourdain Auguste, Vallier Basile, Bouchaut Fontenelle, Casiez Edmond).
Les 23 hommes partagent les quelques mètres carrés qui leur servent de
prison. Le 7 septembre, un peloton en armes vient chercher Suraud, Lorho
et Chevestrier dès potron-minet. Ils n’ont qu’à
traverser la route, la rue de l’Eglise pour se retrouver face à
la troupe. Moins de 200 mètres séparent la prison du lieu d’exécution.
La troupe forme les trois côtés d’un carré, dans un champ à l’entrée du village de Verderonne. Face à eux, le peloton d’exécution attend l’ordre de tirer. A 6 heures du matin, les détonations résonnent entre les vieilles pierres de la bâtisse qui fut le lieu de vie d’un prêtre. Elles parviennent aux oreilles des prisonniers. Puis ils distinguent trois coups séparés signifiant les coups de grâce.
La troupe forme les trois côtés d’un carré, dans un champ à l’entrée du village de Verderonne. Face à eux, le peloton d’exécution attend l’ordre de tirer. A 6 heures du matin, les détonations résonnent entre les vieilles pierres de la bâtisse qui fut le lieu de vie d’un prêtre. Elles parviennent aux oreilles des prisonniers. Puis ils distinguent trois coups séparés signifiant les coups de grâce.
Les hommes entendent jouer la musique du régiment qui accompagne le
défilé des troupes devant les corps en interprétant le "Chant du départ".
Sylvestre
Marchetti (qui sera exécuté avec Julien Lançon le 19 octobre suivant,
les autres voyant leur peine commuée) prend un objet pointu métallique,
il grave sur le
mur : « 7 septembre – Marchetti Sylvestre –condamné à mort – Nous étions
23 hommes dont 3 fusiliers ».
A Verderonne, en 1916, les corps des fusillés furent déposés dans le
coin le plus éloigné du cimetière. Jusqu’en 1934, les tombes étaient
signalées. Elles portaient des emblèmes
religieux et la mention "mort pour la France". C’est
durant cette année 1934 qu’une circulaire parvint au maire spécifiant de
retirer ces emblèmes et de supprimer cette mention.
C’est probablement à cette époque que fut planté un buis
qui, au fil des ans, devint un buisson de forte taille recouvrant en
totalité ce lieu. Rien ne permettant de supposer que
trois corps reposaient à cet emplacement.
Le 8 juillet 2011 le buis fut supprimé et un gravillon étalé sur le sol. Une plaque fixée sur le mur blanchi rappelle désormais que trois hommes reposent dans ce coin du cimetière.
Pierre Eugène Le
Gruiec, né le 1er mars 1890 à Saint-Servan (Ille et
Vilaine), 2è classe au 120è R.I. 6è Cie n’est connu que par sa
fiche de décès, qui porte les mentions Mort pour la France et Tué
à l’ennemi, signature probable d’une exécution sommaire. Décédé
à Estrées-Deniécourt (Somme) le 10 septembre 1916. Il en va de
même pour Lucien Rosano, né le 19 juin 1893 à Asnières,
mort pour la France aux mêmes lieu et date. Forte tête
condamnée à 5 ans de prison (peine suspendue) le 06 juin 1916 ;
dans la nuit du 10 au 11 septembre alors qu'ils montent avec d'autres
hommes pour réaliser un abri dans la tranchée Houzelle (bois Bulow)
ils se rebellent et sortent des grenades de leurs poches. Ils sont
abattus par leurs supérieurs - inhumé initialement près du bois
Bulow, au nord d'Estrées.
Louis Charoux,
né le 21 avril 1887 à Beaufort-en-Vallée (Maine et Loire), 2è
classe au 3è BMILA
Edouard Louis
Gustave Maillot, né le 8 juin 1893 à Verquin (62) 2è
classe au 1er BMILA
Jean Mathurin
Thomazo, né le 26 juin 1892 à Mériadec (Morbihan), 2è classe
au 1er BMILA
sonr décédés à
Maurepas (Somme) le 10 septembre 1916.
1er BILA - JMO P 138
- 10/09/1916 : "Les chasseurs Thomazo, Maillot du 1er BILA et
Charroux du 3e BILA qui avaient été surpris essayant de quitter le
champs de bataille après avoir dévalisé des cadavres Allemands
sont passés par les armes à 21 H 30 par ordre du Gal commandant la
45e DI Algérienne (Gal. Quinquandon)" Thomazo est « passé
par les armes selon sa fiche de décès, mais Maillot et Charoux sont
tués à l’ennemi et donc Morts pour la France. (Source)
Le motif invoqué
par un document aussi officiel reste suspect, surtout devant
l’abondance de cas similaires en ce début septembre 1916.
Montel,
soldat, (prénom, date de naissance et tout autre renseignement
inconnu) est décédé à Remiremont dans les Vosges le 10 septembre
1916
François
Alexandre Fromenteau, né le 28 avril 1894 à Bourdonné
(Seine et Oise, aujourd’hui Yvelines), 2è classe au 168è R.I.,
11è Cie
Le 2 juillet 1916,
parti de Verdun avec sa compagnie pour gagner les lignes, Fromenteau
est absent à l’appel. Il ne reparaît que le 9 pour redescendre
avec sa Cie à Verdun. Le 11 juillet vers 10h du matin comme sa Cie
remonte en ligne, Fromenteau disparaît de sa section pendant la
route. Il la rejoint le 15 juillet quand elle est positionnée en
deuxième ligne. Le 16, en avant des casernes Marceau, dans une
position assez exposée, Fromentin s’absente à nouveau pour se
mettre à l’abri au fond desdites casernes. Il nie le 3è fait,
prétendant avoir quitté sa Cie pour se rendre aux cabinets.
Le dossier
d’instruction ayant disparu, et jusqu’à l’ordre d’exécution
on ne peut se baser que sur le résumé très bref qui est fait de
l’affaire devant le conseil de révision.
Dans son mémoire en
révision le défenseur de Fromenteau expose « qu’à
l’audience du 29 août, Le CG de la 128è DI, avait à connaître
de diverses affaires d’abandon de poste en présence de l’ennemi,
qu’au cours d’une première affaire concernant un nommé
Vialatte, le soldat Fromenteau a été représenté à la barre de
l’accusation, comme étant moralement responsable de l’abandon de
poste reproché au soldat Vialatte, que sa défense a été gênée
par la suite, la religion des juges du Conseil ayant été éclairée
d’une façon défavorable à son client et la responsabilité de
celui-ci ayant été étendue hors de l’affaire le concernant. »
Le recours en
révision est rejeté le 8 septembre 1916
Fromenteau est
exécuté à Commercy (55) le 11 septembre 1916.
Georges Eugène
Panel, né le 18 juin 1880 à Rouen, journalier, soldat
territorial au 224è R.I., 19è Cie
Le 1er
juillet vers midi, - la cantonnement étant consigné- pendant la
corvée de patates, le soldat Ethori demanda à l’adjudant Rondo la
permission d’aller chercher du vin Elle lui fut refusée. Panel
prit alors fait et cause pour Ethori qui ne lui avait rien demandé,
prononçant à plusieurs reprises des phrases comme « Je le
planterai bien, cette espèce d’enculé », « cette
espèce d’enculé, on va lui en mettre plein la gueule, « J’ira
bien chercher du vin, moi, ce n’est pas un enculé comme toi
qui m’en empêchera », etc. Comme il s’avançait vers son
chef dans l’intention de le frapper, il fut retenu par Ethori qui
dut le saisir à bras le corps [ Interrogatoire Ethori : « Je
ne l’ai pas entendu, je n’ai pas fait attention. C’était un
peu une habitude de Panel de traiter tout le monde d’enculé] Rondo
n’avait rien répondu, défendant seulement à Panel de sortir du
cantonnement, ce qu’il fait aussitôt après. Vers 14h tandis que
Rondo jouait aux cartes, d’autres soldats faisant cercle autour
d’eux, Panel se plaça devant l’adjudant et dit : « Dis
donc, adjudant de mes couilles, est-ce que tu vas maintenir la
punition ? » L’adjudant lui demanda de le laisser
tranquille. Panel lui prit le bras, fit le simulacre de lui arracher
ses galons, disant « les gradés, je les encule ». Puis,
brutalement il le frappa au visage en disant « Comme cela, tu
auras un motif à me porter ». L’adjudant se leva aussitôt
pour se défendre, Panel se précipita sur lui, le saisit à la
gorge, et les deux hommes roulèrent à terre. Panel continjait à
frapper l’adjudant à coups de pied, cherchant à l’atteindre aux
parties. Les témoins eurent quelque mal à les séparer.
Panel déclare qu’il
ne se souvient plus de rien et qu’il était complètement ivre, ce
que démentent les témoins des deux scènes. Selon eux, Panel
voulait commettre un délit quelconque, car il savait que sa
compagnie allait être appelée d’une minute à l’autre à
marcher contre l’ennemi, il voulait être arrêté et détenu en
prévention de CG. Il n’avait d’ailleurs aucun motif d’animosité
contre l’adjudant Rondo qui s’était toujours montré très
bienveillant à son égard, et ne l’avait jamais puni.
Que Panel ait
volontairement multiplié les fautes paraît certain. Rapport du
Lieutenant Rand, commandant la 17è Cie : « Le 1er
juillet 1916, vers 20 heures, le soldat Eude avait suspendu un bidon
plein de vin près de l’équipement du caporal Dufour, pour ce
dernier qui était absent du cantonnement… Lorsque le caporal
Dufour est rentré, son bidon avait disparu et Panel n’était plus
dans le cantonnement. Interrogé par moi, Panel a reconnu avoir pris
et consommé le vin du caporal Dufour ; en outre il n’a pas
rendu le bidon vide et déclare ne plus se souvenir de ce qu’il en
a fait. »
[interrogatoire du
sergent Arthur Gregh, en réponse à la question d’évaluer la
valeur de Panel comme soldat : « C’est tout ce qu’il
y a de plus crapule »] « Il n’est pas inutile de
rappeler que si jusqu’à présent Panel n’a pas été traduit en
CG, il n’en a pas moins subi dix condamnations prononcées par la
juridiction civile pour vol, violences, vagabondage. »
Ce dernier incident
n’est pas pris en compte par le CG de la 53è DI, lors de son
audience du 8 août 1916 ; le recours en révision est rejeté
le 15 août, recours en grâce rejeté le 10 septembre.
Panel est fusillé
en présence de trois délégations de régiments différents au bois
de Cuise de Trosly-Breuil (Oise) le 12 septembre 1916 à 8h.
Léon Stopin,
né le 20 juillet 1892 à Pont-à-Vendin (62), marinier à
Sallaumines, marié, sans enfant, 2è classe au 115è R.I. 9è Cie
D : -
Qu’avez-vous fait le 16 juillet, en montant aux tranchées ?
R : - Je suis
tombé en route, et les brancardiers m’ont transporté au poste de
secours.
D : - Pourquoi
êtes-vous tombé sur la route ?
R : - Parce que
j’avais mangé du pain chaud et que j’étais barré sur la
poitrine par le chargement et que je suis tombé par la fatigue et
faiblesse… Il paraît, d’après ce que m’ont dit les
brancardiers le lendemain que j’ai été déposé dans une
ambulance à Belleville, où je repris connaissance vers 24
heures.
Georges Bonnet,
sergent-fourrier : « Stopin a rejoint le ravitaillement le
17. il est remonté et est redescendu sans ordres… Le 18, il est au
ravitaillement sans ordre. Le Capitaine m’a demandé après Stopin.
Je lui ai répondu qu’il était remonté la veille au soir. Il me
dit qu’il n’était pas en lignes et qu’il fallait lui donner
l’ordre de revenir. »
Constant Girard,
caporal : « Stopin est remonté dans la nuit du 18 au 19.
Il est resté avec nous. Il est resté trois jours aux lignes avec
nous, jusqu’au 22 au soir. Il a bien fait son service. J’étais
placé à trois mètres de lui. Nous avons eu des projectiles mais
ils tombaient à une vingtaine de mètres. Vers neuf heures du soir
il m’a averti qu’il partait parce qu’il était commotionné et
qu’il descendait à la visite. Il n’était pas plus malade que
moi. »
Capitaine Puget :
« Il a fait des apparitions à la compagnie, a demandé
l’autorisation à son chef de section d’aller à la visite, vers
le 22 qui lui a été refusée. Il s’est néanmoins échappé.
Stopin est un menteur, effronté, indiscipliné, tapageur, absent à
tous les appels, très souvent pris de vin.
Stopin : - J’ai
toujours été présent à l’appel. »
Antoine
Pierre Turc, né le 29 janvier 1892 à Paris 20è, mécanicien,
2è classe au 115è R.I. 5è Cie
Le 29 juillet 1916,
la 5è Cie du 115è est en réserve à l’ouvrage Saint Wast sous
Verdun où elle a été copieusement « marmité ». Elle
doit monter en ligne vers 20h30. A vingt heures, le lieutenant
Tamisier commandant la Cie aperçoit Turc qui se dirige vers le poste
de secours. Questionné il répond que son équipement a été
détruit par le bombardement et va en chercher un autre. Bien que,
par suite des nombreux manquants blessés, la Cie ne parte qu’avec
une heure de retard, Turc n’est toujours pas revenu à 21h30. Turc
ne réapparaît que le 30, après la relève, muni d’un billet
attestant qu’il avait été pris en subsistance par le dépôt des
isomés de la Citadelle de Verdun. Turc reste les 27 et 28 juillet
aux environs du poste de secours des Carrières, n’ayant dit-il u
voir un médecin. Le 27, il rencontre un soldat de sa Cie, puis un
sergent qui l’engagent tous deux à remonter, mais, sans refuser,
il ne les suit pas.
Lieutenant Tamisier
à l’audience du 26 août : « Turc n’avait rien du
tout comme blessure. Je lui ai demandé pourquoi il n’était pas
rentré à la Cie, je lui ai dit que je l’inculpais de désertion.
Il m’a répondu que je n’avais pas de cœur. »
Rapport médico-légal
(major Duplan) : « quatre balles ont pénétré au niveau
de la région thoracique droite, quatre balles à la région
cardiaque, une à la région épigastrique, quatre balles à la tête
avec éclatement de la boîte crânienne. La mort a été immédiate »
CG de la 8è DI,
pourvois rejetés le 8 septembre, Stopin et Turc, inconnus l’un de
l’autre se rencontrent à Camp Allègre à 2 km de
Saint-Jean-Sur-Tourbe (Marne) le 13 septembre à 6h où ils sont
exécutés.
Benoît André
Forest, décédé à Chaulnes (Somme) le 13 septembre 1916
Dix jours sans
exécution recensée, un tel délai cache forcément quelque chose...
ben
Mohamed Tahar Mohamed, né en 1892 à Tunis,
tirailleur au 4è RMTZ, 21è Cie, déjà condamné à six ans de TP
pour abandon de poste en présence de l’ennemi le 20 mai 1916
CG de la 38è DI,
audience du 13 septembre 1916 :
Sous-lieunant
Guirard : « L’incumpé lui a été ramené une première
fois par des gendarmes au Bois Saint-Pierre le 11 juillet [parti la
veille au soir avec la corvée de soupe, disparu]. Il dit avoir
conduit un blessé à l’ambulance. Le témoin a confié l’inculpé
au caporal Chollet pour le faire conduire au bois de Béthélainville.
Le caporal Chollet lui a rendu compte que l’inculpé s’était
échappé… L’inculpé lui a été ramené une deuxième fois par
les gendarmes le 15 juillet et il l’a renvoyé à sa Cie.
L’inculpé déclare
qu’ayant été confié au caporal Chollet … le caporal l’a
abandonné au bois de Béthélainville et qu’il s’est égaré.
L’inculpé a donc par sa fuite du 15 juillet évité trois jours de
tranchée en première ligne. Il déclare que le 8 août il était
bien avec sa Cie à la citadelle de Verdun : comme il lui
manquait divers objets d’équipement, il est allé trouvé un
sous-lieutnant qu’il ne peut désigner et qui l’a menacé de son
revolver.. Il s’est enfui ayant peur d’être tué. Il croit que
cet officier avait été aux Spahis. Le lieutenant Ricard déclare
qu’un officier de sa Cie venait des Saphis, il a été tué depuis,
mais il ne croit pas que Mohamed ait été menacé.
ben Diaf Ali,
né en 1887 à Djem (Tunisie), cultivateur, tirailleur au 8è RMT,
condamné en 1915 à 5 ans de TP pour désertion.
Commandé pour la
corvée de soupe dans la nuit du 10 au 11 juillet par un chemin
dangereux entre Esnes et Montzéville ( passant par le « Ravin
de la Mort »), Ali disparaît au retour après la distribution
de vivres. Il dit avoir été abasourdi par l’explosion d’un obus
et avoir gagné l’arrière. Arrêté le 14 juillet par les
gendarmes il ne peut, ne parlant pas français leur dire qu’il
aurait obtenu un avis de permission. Reconduit à son corps le 17
juillet, il disparâit de nouveau au Bois saint-Pierre en se mêlant
aux hommes de la corvée de vivre. Arrêté le 7 août après 20
jours d’absence à Verray sur Salmaise (Côte d’Or). Ramené le
25 août, il a évité tous les combats devant Verdun sur la rive
droite de la Meuse.
Pourvoi en révision
rejeté le 20 septembre 1916
Gaston Émile
Delamarre, né le 19 août 1893 à Percy (Manche),
pâtissier à Saint-Hilaire du Hercouët ; soldat au 4è RMTZ,
condamné à 2 ans de TP le 29 octobre 1915 pour désertion à
l’intérieur en temps de guerre.
Toutes les notes
d’audience (partiellement citées) sont rédigées au style
indirect, artifice utile à souligner la dépersonnalisation des
« inculpés » :
« L’inculpé
reconnaît qu’il s’est esquivé deux fois et que c’est la peur
qui lui a fait commettre les abandons de poste. c’est la seule
raison. C’est lui-même qui a fabriqué le billet d’exemption qui
lui a permis de pouvoir rester à Verdun, après son premier
abandon. »
Absent du 8 au 20
août, rencontré par le sergent Hydreau en 3è ligne à cette date.
Pourvoi en révision
rejeté le 20 septembre 1916, pas de recours en grâce signé par le
CG de la 38è DI (séance du 9 septembre)
Les trois sont
exécutés à Tannois (Meuse) le 22 septembre 8h.
«Depuis le 26
septembre 1916, les soldats français ont le droit de se raser leur
moustache. À vrai dire, beaucoup l'avaient pris sans attendre
l'autorisation du Journal Officiel… Mais ils s'exposaient à
autant de jours de salle de police que voulait bien leur en donner
l'adjudant.» écrit Le Figaro du 26 septembre 1916.
Gaston Godenir, né
le 12 juin 1892 à Maxéville (Meurthe et Moselle), 2è classe au
169è R.I., 10è Cie, déjà condamné à 6 mois avec sursit le 24
mai 1916 pour désertion à l’intérieur
CG de la 128è DI
(audience du 22 aoùt 1916). Extrait du rapport en révision.
Octobre
Anatole Etienne
Tixier, né le 13 avril 1879 à Muizon (Marne), domestique
de culture, célibataire, 2è classe au 103è R.I. Douze condamnation
dont : outrages et rébellion (6 fois aucivil, le dernière le 2
juillet 1915), 5 ans de TP (CG du 31 mai 1916, Le Mans) pour
désertion avec emport d’effets et fabrication de fausse
permission.
CG de la 7è DI (5
août 1916) : Le 29 juin, après 8 jours au front, à peine
arrivé au bivouac Kellermann, à sa nouvelle affectation, Tixier
quitte la 5è Cie qui est dirigée le lendemain vers le Ravin des
Pins. Les hommes savaient qu’un départ était prévu, sans en
connaître la destination. Il est arrêté à Paris le 1er
juillet dans la soirée place Mazas, avant que les délais impartis
par la loi pour le délit de désertion soient écoulés.
Une lettre à ses
parents écrite en prison et passée en fraude par un soldat anonyme,
est saisie chez sa mère, dans laquelle on lit : «
Vivement la fuite de ce triste métier, car il y en a beaucoup qui se
sauveraient bien mais ils n’osent pas et préfèrent se faire tuer
comme des lapins, et pour quel honneur ! Je n’en sais rien !
-Ce sont des gens qui vous ont fait du mal. Maintenant, si jamais je
viens à me débiner, ce n’est plus Paris qui me verra, car il y a
trop de fainéants et trop de lâches dans ce pays-là… Quant à
moi, je m’en tirerai, car un de ces quatre je vais être soit en
Amérique, soit en Espagne, car je ne serai pas gêné de vivre aussi
bien qu’en France. Voilà mon seul désir -ne pas m’écrire. »
Pourvoi en révision rejeté le 11 août 1916.
Arrêté près de la
gare de Brinay (arrdt deChateau-Chinon), le 1er septembre 1916, en
flagrant-délit de vagabondage, Tixier déclare: « Si j’ai
pris le faux état-civil de Clenneverc, c’est parce que, condamné
à mort pour désertion, j’ai vu mon pourvoi rejeté. Effrayé et
craignant de ne pas être gracié par le président de la République
pour une faute cependant légère (absence de trente heures pour
aller voir ma mère malade à Paris [reconnu exact]) j’ai
déserté. »
Le recours en grâce
signé par 2 juges sur 5, est effectivement rejeté le 29 septembre,
Tixize est exécuté
à Vroil (Marne), Rive sur de la Chée, à 300m sud-ouest de la route
de Vrancourt, en présence du 3è Bataillon et de la musique du 102è
R.I. le 2 octobre 1916 à 6h
Émile Houtmann,
né le 22 mai 1893 à Raon-l’Etape (Vosges), maçon, 2è classe au
21è R.I.
Jugé par le CG de
la XXIè région de corps d’armées (17 août 1916 à
Chaumont) en compagnie de Joseph Anatole Petetot, 98 R.I. et Lucien
Dutilleux, 5è BCP (cité à l’ordre du bataillon, croix de
guerre), sous l’inculpation de tentatives d’homicide et vol
qualifié (les deux derniers condamné à perpétuité) sur la
personne du soldat Gabriel Richard. Celui-ci présente une plaie au
creux épigastrique. Une laparotomie pratiquée en urgence révèle
une plaie de deux centimètres à l’estomac. Après 24h surviennent
des phénomènes de péritonite avec fièvre, le blessé meurt moins
de 48h après son admission à l’hôpital.
Relevé de punition
du soldat Houtmann : 16 janvier 1915, condamné par le CG de la
13è DI ç deux ans de prison (peine suspendue) pour outrages par
paroles, gestes, menaces envers un supérieur en dehors du service et
rébellion envers la force armée. Le 23 octobre 1915, six mois pour
abandon de poste en cas d’alerte, 25 novembre, outrage à un
caporal ; 11 janvier 1916 ; retard de trois jours à
l’expiration d’une permission, le 8 juin, scandale et complicité
de bris d’objets dans un café
Le 24 juin, les
soldats Petetot et Ramlot, échappés de l’hôpital de Chaumont
sont arrêtés ivres dans un café de la ville, par la gendarmerie.
Rapport : « Le
14 juillet 1916 vers 21 heures, les soldats Houtmann, Pétetot et
Dutilleux quittaient sans autorisation l’hôpital de Chaumont où
ils étaient en traitement, Houtmann, en franchissant le mur, les
deux autres, si on les en coit, par la porte restée entrebaillée,
plus probablement par escalade comme leur camarade. Ils portaient la
tenue d’hôpital avec le képi de leurs corps respectifs auquel
Pétetot avait seulement substitué pour sa part la chéchia d’un
zouave nouvellement hospitalisé. Ils se rendaient d’abord au café
Jacob, et s’y faisaient servir deux litres de vin, du pain et du
fromage.Ils quittaient l’établissement au bout d’un certain
temps sans être, au témoignage du propriétaire aucunement en état
d’ivresse. Vers 23h, ils passèrent ruelle Lardière et voyant au
rez-de-chaussée une chambre éclairée, frappaient au volet et à la
porte voisine. Comme ils ne recevaient pas de réponse, Houtmann
frappait de nouveau à coups de pied puis à coups de couteau comme
en témoignent les marques relevées… Ils réussissaient ainsi à
ouvrir le volet. Le soldat Péronnet, du service automobile, qui se
trouvait dans la chambre, ouvrait alors lui-même la fenêtre et
parlementait un moment avec les trois hommes, répondant à leur
demande de vin qu’il n’en avait pas. Puis ceux-ci enjambant la
fenêtre, dont l’appui n’est qu’à un mètre du sol,
pénétraient dans la chambre ; Houtmann cassait à coups de
couteau plusieurs carreaux et traversait même les brise-bise. Le
soldat Péronnet, qui avait avisé à ce moment une canne de tranchée
à portée de sa main, jugeant toute défense inutile, se préparait
à la reposer quand Pétetot lui arrachait des mains. Songeant alors
de se débarrasser des intrus par la douceur, Péronnet leur offrait
des cigarettes qu’ils accpetaient. Ils s’en allaient au bout de
quelques minutes, non sans emporter, Pétetot la canne de
tranchée….,et l’étui qui contenait les cigarettes, Dutilleux,
une bourse en argent avec chaîne et médaille… En quittant la
ruelle Lardière, ils tournaient dans la direction de l’hôtel de
ville… un peu avant l’immeuble de la Sécurité générale, ils
s’arrêtaient et s’asseyaient sur les marches d’un magasin…
Quelques minutes après, arrivaient à leur hauteur trois autres
soldats suivant la rue dans le même sens et se rendant à la gare,
les artilleurs Rémy Andriot et Gabriel Richard, du 59è
d’artillerie, retournant au front à l’expiration d’une
permission, et le soldat Arthur Richard, du 159è d’infanterie,
frère du précédent, en congé de convalescence, qui les
accompagnait au train. Pétetot traitait alors les 3 soldats
d’embusqués : les épithètes de bandes de vaches et de cons
leur étaient également adressés. Entre temps, sans s’arrêter,
Gabriel Richard avait répondu à peu près ceci : » Nous
ne sommes pas embusqués du tout, nous allons à la gare prendre le
train pour retourner au front ; si vous voulez venri avec nous,
vous profiterez de la voiture ». Pétetot s’élançait alors
avec ses camarades sur le groupe qui les avait dépassés. Ils
portaient à Arthur Richard un violent coup de bâton sur la mâchoire
et un autre coup au poignet gauche, puis frappaient également
Andriot. Le premier coup atteignait celui-ci à l’arcade
sourcilière droite, y déterminant une plaie, mais sans fracture
d’os. Andriot tombait, sans perdre connaissance, se relevait, se
rasseyait sur le trottoir sn se sentant très faible, puis au bout
d’un instant, se relevait de nouveau pour aller au secours de ses
camarades. Pétetot, le voyant revenir vers lui, s’écriait :
« Il n’est pas encore crevé, celui-là ! » et le
frappait d’un second coup de bâton à l’avant-bras. Enre temps,
Houtmann, tirant son couteau, s’était précipité sur Gabriel
Richard et l’avait frappé au ventre d’un coup qui avait provoqué
la chute de la victime, puis, se retournant vers Andriot, l’avait
frappé d’un autre coup à l’épaule gauche. Il semble enfin que
le même Andriot ait été frappé d’un coup de couteau au côté
gauche : telle est du moins l’explication vraisemblable d’une
déchirure linéaire qui se trouve au côté gauche de la veste… et
il est probable que le coup a été arrêté par un bloc-note à
couverture de métal placé dans [la] poche… Quant à Dutilleux
qui, lui, semble ne pas avoir eu d’arme, il aurait participé à la
lutte en portant à l’un des trois permissionnaires un violent coup
de poing ou plutôt encore de pied… Au cri de : « au
secours ! » finalement poussé par Andriot, les coupables
s’enfuyaient. Gabriel Richard, transporté après avoir été
relevé par des voisins qu’avait éveillés la scène, à l’hôpital
mixte et immédiatement opéré, mourait le 17 juillet des suites de
ses blessures. Andriot devait être également hospitalisé, mais
pouvait être considéré comme guéri à la date du 3 août. Des
soins sommaires suffisaient pour Arthur Richard… Un dernier point
reste à signaler. Les permissionnaires étaient porteurs de six
colis qu’ils emportaient soit our leur usage, soit pour les
remettre à des camarades. Un seul a été laissé sur le lieu de
l’agression. Les boites, débris et enveloppes qui paraissent avoir
constitué les cinq autres, ont été retrouvés dans le jardin de
l’hôpital en partie enterrés, en même temps que des victuailles
en provenant étaient saisies dans une des chambres. Il est donc
incontestable que les iculpés ont ramassé les colis et les ont
emporté dans leur fuite… Tous d’ailleurs reconnaissent avoir
mangé le contenu des colis, notamment du poulet qui se trouvait dans
le colis d’Andriot. »
Pétetot (titulaire
de 43 condamnations civiles, la plupart pour braconnage, infraction
au chemin de fer, vagabondage aurait dû passer en février 1916 dans
une Cie disciplinaire, s’il n’avait été évacué pour maladie),
qui s’est évadé du bagne de Cayenne depuis le 31 mai 1923,
bénéficie de la loi d’amnistie, les recherches s’arrêtent le
21 juin 1947. Dutilleux voit sa peine suspendue le 15 février 1917,
sous condition qu’il contracte un engagement au 1er
BMILA ; il est réhabilité le 14 janvier 1921.
Le recours en
révision est rejeté le 29 août 1916 : Houtmann est fusillé à
La Vendue (Aube) le 3 septembre 1916 à 6h.
Charles Paul
Billette, né lé 11 janvier 1887 à Wagnon (Ardennes),
débardeur à Paris, 2è classe au 1208è R.I.
CG de la 7è DI (28
août), notes d’audience : « Le 16 juillet, après
l’appel du soir , je me suis rendu à Dommartin sous Hans pour y
acheter du vin ; n’en ayant pas trouvé, je me suis couché
dans un hangar. Le lendemain matin, le sergent Devaux m’attendait
au retour à Courtémont, pour me faire conduire en prison mais j’ai
refusé de l’accompagner. A 19h j’ai été conduit près du
Capitaine. Cet officier a voulu me faire conduire aux locaux
disciplinaires, mais je n’ai pas bougé, car je ne pouvais
comprendre qu’on me mît en prison pour une pareille vétille.. Le
capiaine m’ayant menacé d’aller chercher les gendarmes pour me
faire obéir, j’ai alors suivi les deux sergents et je me suis
rendu en prison. Pris de cafard pendant la nuit, je me suis évadé
et arrivé à Paris j’ai travaillé comme débardeur jusqu’au
jour de mon arrestation. (25 juillet 1916)
Capitaine
Vallebella ; Au cours de la scène il [Billette] a eu une
attitude déplorable et m’a dit « qu’il en avait assez de
servir dans un régiment de demi-mondains. » Billette est un
très mauvais soldat qui cherche à entraîner ses camarades dans la
voie de la lâcheté. Il m’a fait perdre ainsi le soldat Allély et
le caporal Gratière (?).
Billette :J’ai
été plusieurs jours aux petits postes, et mon Capitaine n’en sait
rien : il n’y vient jamais. »
On entrevoit combien
cette affaire au motif effectivement insignifiant (avant l’évasion)
devient un règlement de compte personnel entre Billette et ses
supérieurs. D’ailleurs, on lit encore au rapport ces allégations
sans fondement :
« Billette
n’était au 102è R.I. que depuis le 1er juillet 1916,
il venait de l’atelier de travaux publics d’Orléansville
[Alger]. Il est évident que cet homme a agi de propos délibéré,
avec l’intention d’être dirigé vers un établissement de
travaux publics, et d’échapper ainsi aux dangers de la guerre.
Billette est un malfaiteur déterminé et d’espèce
particulièrement redoutable. Il a subi 10 condamnations dont 4 pour
vols. Il a été déjà passible de la peine accessoire de la
relégation et a été frappé par le tribunal de la Seine de la
peine d’interdiction de séjour. » On voit poindre ici une
critique à l’égard de la politique de grâce (id est de
suspension de peine) qui ramène vers les régiments métropolitains
nombre d’individus dangereux considérés comme impossibles à
commander par leurs supérieurs dépités qui n’ont d’autre
solution pour s’en débarrasser que de grossir tout manquement et
s’arrêter à des futilités afin d’éradiquer les ferments de
contre-pouvoir sur lesquels ils n’ont aucune autre prise.
Le pourvoi en
révision rejeté le 8 septembre 1916, Billette est fusillé à Vroil
(Marne) le 3 octobre à 6h, en prsence d’un bataillon et de la
musique du 102è.
Henri Pluet,
né le 28 décembre 1892 à Saint-Jouan-des- Guêrets (Ille et
Vilaine), voiturier à St-Servay, soldat au 2è R.I., 1ère Cie de
mitrailleuses
Le 4 septembre 1916,
vers 14h15, le soldat Pluet saute dans la sape 9 , alors que sa
compagnie attend le départ de la tranchée Brussilof vers les
premières lignes. Il a remis son trépied d’affût et les casiers
de cartouches qu’il transportait à un camarade. Il reste près du
poste de secours, jusqu’au moment où il se joint à une délégation
du 28è territorial qui escorte des prisonniers allemands descendant
vers le par du train de combat de Vrély. C’est là, que le
lendemain le sous-lieutenant Pillet le rencontre vers 9h30,
l’engageant à se présenter à la visite quand Pluet lui dit avoir
été enseveli dans des éboulements d’obus la veille. Le 6, Pluet
est effectivement exempté de service pour la jounée par le
médecin-major du cantonnement. Dans la soirée Pillet lui donne
l’ordre de rejoindre sa Cie avec la corvée d’eau qui part vers
19h30. Pluet s’y refuse, disant qu’il est exempté et qu’il
préfère être fusillé que de remonter. Pillet le fait conduire au
poste de police où il passe la nuit. Le lendemain matin, Pillet
revient à la charge et devant son nouveau refus, le fait encadrer
par deud hommes baïonnette au canon. Après une centaine de mètres
Pluet s’assit et se coucha par terre. Pillet, qui le suivait du
regard s’approche et l’admoneste en lui disant qu’il n’est
pas Français, ce à quoi Pluet se braque et répond que puisqu’il
n’est pas français, il n’a pas à aller se battre. Il réintègre
la prison.
La hiérarchie pense
que toutes les excuses de Pluet sont mensongères. Même s’il est
considéré comme un joyeux drille par ses camarades qui l’ont
surnommé Pinder, parce qu’il a été clown, que personne n’a eu
a se plaindre de son service jusqu’à ces incidents, que son casier
est vierge, et qu’il a été blessé au cours de la campagne, et
que les « aveux » partiels qu’il fait lui ont été
soustraits sous la pression, le CG de la 20è DI (23 septembre 1916)
le condamne à mort pour abandon de poste et refus d’obéissance.
Le recours en révision rejeté le 29 septembre 1916, Pluet est
fusillé au Plessier-Rozainvilliers (Somme) le 4 octobreç 11h. Sa
fiche de décès porte comme seule cause de la mort la mention :
« ce militaire n’est pas mort à l’ennemi. »
Baptiste
Veysseire, né le 30 décembre 1895 à Saint-Privat
d’Allier (Haute-Loire), soldat au 210è R.I. « Tué par une
sentinelle française alors qu’il désertait à l’ennemi »
à La Fontenelle (Vosges) le 10 octobre 1916
René Deduytsche,
né le 7 juillet 1896 à Levallois-Perret, cocher-livreur à
Genevilliers, 2è classe au 130è R.I., 5è Cie, 1,65m blond aux yeux
bleus, 20 ans
Condamné le 27
septembre 1915 à 2 ans de détention pour désertion (ramené le 20
août par la gendarmerie de Paris après une absence illégale de
cinq jours) et le 6 janvier 1916 à 5 ans pour fabrication de fausse
permission.
Le 17 juin, les
soldat Darche et Deduytsche, étant de corvée de travail dans le
boyau d’Ubermark, rentrent au bivouac sans autorisation, n’ayant
pas trouvé l’adjudant du génie supposé leur distribuer leur
tâche. Le 18 juin, on tente de le charger de tentative de meurtre :
« Leperlier m’a donné un coup de poing derrière la tête
parce que j’étais sur son passage et pour me faire déranger. Mon
képi en est tombé. Nous nous sommes diputés, puis il est parti. …
j’ai tiré un coup de fusil à blanc dans un bidon.
Selon le rapport du
lieutenant Prenant, lequle fait montre d’un acharnement des plus
suspects contre la « source d’indiscipline » que
constitue Deduytsche, le 25 juillet 1916, pendant qu’elle se
rendait aux lignes, la 5è Cie fut prise sous un violent tir de
barrage. Deduytsche s’égara à ce moment. Il ne rejoignit qu’après
la relève et le retour à Verdun le 3 août. Il dit être resté
dans un trou d’obus pendant 8 jour et avoir recherché sa Cie
toutes les nuits. « Il est à remarquer qu’il connaissait
déjà le terrain… Il est étonnant aussi que ni à la 10è Cie, ni
au 117è R.I., qui touchait à sa droite la 5è Cie, on n’ait pu
lui donner de renseignement… C’est le plus mauvais soldat de la
Cie et il avait été prévenu spécialement de l’importance qu’une
belle conduite aurait pour lui. Il ne mérite aucune indulgence. »
On tente de plus de le charger de tentative de meurtre, mais « la
preuve n’étant pas faite que Deduytsche ait visé son camarade
Leperlin, il n’est poursuivi que pour abandon de poste devant le CG
de la 8è DI (12 septembre 1916), ce qui suffit pourtant à le faire
condamner à mort.
Pourvoi en révision
rejeté le 12 septembre, recours en grâce rejeté le 13 octobre
1916, Deduytsche est exécuté
àSaint-Jean-Sur-Tourbe (Marne), le 14 octobre 1916, 7h. Le rapport
médico-légal semble constater qu’il a été nécessaire de donner
le coup de grâce : « Douze plaies par balles, dont deux à
la face, deux au cou, trois à la région thoriacique, cinq à la
région abdominale. En outre, fracture du crâne par balle, région
pariétale droite. »
Hippolyte Victor
Gustave Debonne, né le 3 novembre 1888 à Dieppe (76),
charretier à Rouen, chasseur de 2è classe au 1er BMILA
Prévenus de révolte
à main armée et outrages à supérieur par paroles, gestes et
menaces en compagnie de
Baptistin
Auguste Antoine Gastaudo, né à Marseille le 26 février 1890,
chaudronnier, soldat de 2è classe au 1er BMILA,
Albert Boussange (8
ans de TP, 3 ans de remise de peine en 1921), Paul Albergueci (6 ans,
six mois de remise de peine le 13 avril 1920 puis grâce définitive
le 23 mars 1921)
Notes d’audience
du CG de la 45è DI, le 23 août 1916
Debonne : Je
suis innocent ; j’étais allé chercher un bidon de café ;
je causais avec un de mes camarades sous la voûte quand le sergent
Charrier m’a donné un coup de tête. Le sergent Bobin qui avait un
bâton à la main m’a frappé, puis il m’a dit « Excusez-moi !
Je me suis trompé » Je me suis volontairement réfugié au
poste de police pour éviter de nouveaux coups. De là, je suis allé
me coucher.
Gastaudo : Le
11 au soir, l’adjudant et le sergent Bruneau m’ont frappé sur la
blessure que je porte à la tête.
D : - Vous avez
crié « Aux armes, c’est le moment ». Vous avez dit
« <gemain celui qui marche est un faux-frère » ?
R : - Non. Ce
n’est pas vrai ! […]
D : - Avez-vous
crié « aux armes. Il faut tuer ces buveurs de sang. Etes-vous
sorti aux armes avec vos camarades en marchant sur les
sous-officiers ?
R : -- Non.
C’est moi qui ai été roué de coups.
D : - Mais vous
avez pris votre fusil ?
R : - Non ;
mais mon fusil se trouvait devant la porte du cantonnement. C’est
là que je l’avais mis. Une grande partie des armes se trouvait
dehors parce que nous venions d’arriver. C’est le sergent Bobin
qui a pris mon fusil contre la muraille. Les sous-officiers m’ont
frappé à coups de poing sur la tête. C’était la seconde fois
que l’on me frappait.
Boussange :
J’étais couché. Vers 21h30 j’ai entendu un camarade rentrer en
disant : « j’ai reçu des coups sur la figure. Je suis
plein de sang ! » La preuve que je suis innocent, c’est
que le lendemain j’ai marché avec la colonne.(…) Le 10 j’ai
été frappé par les sergent quand je reconduisais un camarade. Je
me suis couché à l’appel de 9 h de telle sorte que je n’ai rien
vu.
Albergucci :
C’est très simple. Dans la soirée du 10 je n’ai rien vu. Le 11
au soir vers 10h et demi ou 11h, j’ai vu un groupe de
sous-officiers qui frappaient Gastaudo. j’allais rentrer quand
Bobin m’a frappé d’un coup de poing sur la tête. J’ai saigné
du nez, tellement que j’ai dû changer de linge.(…) Dorival qui
était sur la porte a vu le sergent Bobin me frapper. Je n’avais
pas provoqué ce sous-officier. Ces sergents ont l’habitude de
frapper les hommes, mais c’était la première fois qu’ils me
frappaient. Ils ont saisi brutalement Dorival et l’ont mené au
poste. Il n’avait cependant rien fait.
D (du défenseur)
aux 4 accusés : Est-ce que les sous-officiers vous en
voulaient ?
Debonne : Non,
j’étais depuis peu à la Cie.
Gastaudo : Non.
Je venais d’arriver au bataillon.
Boussange : Je
l’ignore. Beaucoup d’hommes sont brutalisés. Quand la Cie se
déplace, je dois me sauver des coups.
Albergucci : Je
l’ignore. On s’est rué sur moi sans provocation. C’est
d’ailleurs l’habitude de frapper les hommes trouvés après
l’appel.
Sergent-major
Lugan : Le 11 vers 21h, quand je lui [à Debonne] dis de
rentrer au cantonnement, il a crié « Aux armes, les amis, il
faut tuer toius ces buveurs de sang, il faut en finir, le
sergent-major est une vache et un enculé ». Les trois autres
étaient en arrière. Debonne sortit alors de la grange avec les
trois autres ayant leurs fusils… Ils se dispersèrent étant
arrivés à 5 ou 6m de nous… Voyant que la révolte ne se calmait
pas j’ai appelé les sergents. Albergucci fondit sur moi en
disant : « Il faut mettre à mort cette bande de vaches,
d’enculés, etc.[Quelle imagination foisonnante!] Les sergents
couchaient tout habillés par précaution. Ils sont arrivés très
vite.
D : - Quels
sont les hommes qui ont pris les armes ?
R : - Je ne
sais. La nuit ne me permit pas de les reconnaître.
Sergent Charrier :
le 11 août je fus demandé par Lugan pour porter main forte. Debonne
avec un fusil s’avança sur nous en manoeuvrant la culasse. Ils
étaient tous les quatre et criaient « C’est le moment de
foncer dessus... J’ai conduit Debonne au poste de police après
l’avoir désarmé. Il ne fit d’ailleurs aucune difficulté…
Puis j’ai conduit avec le sergent-major Bobin Albergucci et
Gastauso au poste de police.
Quant au sergent
Bobin, il a vu 15 hommes, certains en armes criant « à mort
Lugan, à mort Bobin », ùais conytairement à son complice
Lugan, il a vu des baronnettes aux fusil…
Sergent Bregnaux :
Le 11 vers 22h j’ai été attiré pae des cris et j’ai désarmé
le chasseur Gastaudo, lequel, armé de son fusil marchait au pas de
charge sur les sous-officiers. Il criait en même temps : « Il
faut les crever, ces enculés, cette bande de vaches ». Il
s’arma d’un couteau dont il menaça l’adjudant Mathieu [il
tenait donc deux armes en même temps ? Comment alors manœuvrer
son fusil?]… Gastaudo n’avait pas baïonnette au canon. La
veille, les accusés et Dorival étaient saouls. Ils ont donné une
séance avec des bougies. On les a fait enlever. Alors ils ont menacé
les sous-officiers. Les hommes étaient sous la terreur de ces 4
meneurs. [Dorival} suivait ses camarades. C’est un mauvais sujet,
il est en prévention de conseil. Gastaudo avait l’attitude du pas
de charge, mais très menaçant. Les yeux lui sortaient de la tête.
Coletta, chasseur de
2è classe (cité par la défense) : Le 11 août vers 9h et demi
ou dix heures, je me trouvais à trente mètre d’eux. J’étais
dehors en train de causer avec Legrand et Hugueville quand j’ai vu
passer le sergent Charrier et le sergent Bobin. Bobin frappait
Debonne ety Boussange. J’étais à 30m d’eux. On pouvait
suffisamment voir. Mes deux camarades causaient tranquillement et
personne ne menaçait les sous-officiers. Quand j’ai vu cette
scène, je suis allé me coucher. J’ai vu Albergucci avec du sang à
la figure.
Hugueville, chasseur
de 2è classe : J’étais avec Coletta hors du cantonnement. Il
y avait un groupe dans lequel se trouvait le segent Bobin qui a
frappé Debonne, lequel a saigné du nez et de la bouche. C’était
le deuxième jour de notre descente des tranchées. Le lendemain on a
enfermé tous les accusés. Cela devait donc être le 12 août…
Debonne nous encourageait toujours aux tranchées. Quand il fallait
aller poser des réseaux de fil de fer, il était toujours
volontaire.
Legrand : Le
soir où c’est arrivé, j’ai entendu un cri à 30 mètres. Je
vois Debonne qui avait été frappé par un sergent. Je suis rentré.
Boussange est rentré avec nous. Le sergent a frappé à coups de
pieds et de poing. L’homme saignait un peu. Dorivalétait couché.
Je ne sais pas si des chasseurs ont pris leur fusil car je me suis
endormi.
Parmi les autres
chasseurs cités à comparaître, Delaporte et Lecomte sont en
permission, Colomet en traitement à l’infirmerie, Mercur est
déserteur, Bouilland accomplit un stage au fusil mitrailleur, comme
le télégraphie l’Etat Major.
On plaint ces
témoins qui ont dû vivre l’enfer sous le commandement de brutes
vindicatives. A l’évidence, aucun des sous-officiers, qui ne
faisaient que leur devoir en tentant de rétablir l’ordre ne fut
inquiété. Rétrospectivement, ils n’ont eu pour tort que de ne
pas achever les perturbateurs (lesquels n’ont même pas tenté de
tirer une seule balle, si toutefois ils ont saisi leurs fusils ce
qu’aucun homme du rang n’affirme avoir vu), laissant ainsi des
traces de leurs exactions aux archives du CG, apparaissant désormais
-mais tout le monde a oublié- comme les véritables provocateurs et
meneurs d’un complot -aux termes mêmes de la justice militaire,
puisqu’il y avait entente préméditée entre plus de deux
militaires – coupables de violence en réunion en position
d’autorité. On plaint le commandement qui s’est entêter à
donner aux hommes de troupes de nouveaux motifs de révolte. On
plaint le pouvoir politique qui par lâcheté a couvert ces crimes et
ces parjures.
Les dés sont pipés
dès le départ, puisque selon le Rapport de mise en jugement : »Le
11 août vers 21h30 après l’appel du soir, le sergent major Lugan
de la 1èere Cie du er bataillon d’Afrique constate une certaine
effervescence dans le cantonnement et il aperçut notamment un groupe
de quatre à cinq chasseurs réunis autour de bougies allumées et
chantant des chansons arabes. » Mais, raté ! Cette
histoire de bougies remonte au 10 au soir, et les événements du 11
ont eu lieu hors du cantonnement ! Le reste étant à l’avenant,
on peut se dispenser de reproduire ce tissu de mensonges !
Le pourvoi en
révision de Debonne rejeté le 5 septembre 1916, recours en grâce
rejeté.
Mort pour la France,
puisque mention « tué à l’ennenemi (sic) » sur sa
fiche de décès.
Gastaudo
est condamné à mort par trois voix contre deux pour "révolte
à main armée et outrage envers ses supérieurs". Son recours
en grâce étant rejeté le 8 octobre 1916, Gastaudo est fusillé à
Coxyde-Bains (Belgique) le 17 octobre à 5h45, en compagnie du soldat
Debonne.
Son
nom ne figure sur aucun monument.
Maurice
Pajadon,né le 10 novembre 1886 à Ollainville (ex Seine et Oise),
célibataire, cordonnier à Paris, soldat au 2è RMZ, 43è Cie
Le
capitaine Coigner, adjudant de garnison. au colonel Major de
Garnison : « J’ai l’honneur de vous rendre compte que
le soldat Pajadon… s’est rendu aujourd’hui 9 juin 1916 au poste
de garde du quartier Excelmans et qu’il a déclaré être déserteur
(…) avoir quitté sa formation le mercredi 7 entre 19 et 20 heures
alors qu’elle était en repos à Haudainville ; être venu à
pied d’Haudaunville à Evize-la-Grande, et en camion
d’Evize-la-Grande à Bar-le-Duc où il est arrivé le jeudi (8
juin) vers 20 heures ; avoir couché en plein-air aux environs
de la prison de Bar-le-duc;… prétendre que ses chefs lui en
voulaient et l’ennuyaient dans le service ; être parti avec
l’idée de se rendre à la première place afin d’attirer
l’attention sur lui et déclare être prêt à repartir au front
s’il est reversé à son ancien régiment, le 115è d’infanterie
où il était au début de la guerre et où il a déjà été blessé
2 fois. »
Déclaration
manuscrite du zouave Pajadon : « Etant Blessée le 20 Mai
au tranchée par fils Barbelée. Etant au repos. J’ai été reconnu
par Monsieur le Major. Jusqu’au Jour où nous reçumes l’ordre
de monter au tranchée. ayant demandé à passer la Visite lon ma
répondu qu’il y avait pas. qu’and 2 heur avant le départ je fus
désignée pour rester au Cantonnement par Mon Adjudant. 1/2 heures
avant de partir, je reçois l’ordre de partir. Mais comme ma main
me faisais mal j’ai resté en atrrièrre et de la je suis parti par
Camion à Bar-le-dux ou je me rendi après un absense de 41 heure.
Aussitôt rendu j’ai passée la Visite pour ma main Et je fus
reconnue jusqu’au 17 juin jour ou que Monsieur le Major me delivra
un certificat de soin que je lui est demandé je suis reste en prison
au quartiers Exelmant jusqu’au 11 juillet »
Déposition
du tambour Sagnard (Benoit) : Au mois de juillet affaire de
Fleury) les préventionnaires ont refusé de marcher « parce
qu’ils n’avaient pas d’armes ni de nourriture. »
Sur
le fait de désertion à l’intérieur : « J’étais en
subsistance au 3è bataillon quinne m’a pas nourri car chaque Cie
prenait la garde. Ce n’est que le quatrième jour que j’ai été
nourri. C’est moi-même qui me suis constitué prisonnier à Paris
-après 15 jours depuis mon arrivée. Mais ce n’est pas parce que
je n’ai pas été nourri que je suis parti ; c’était bien
pour voir ma famille et régler une question avec ma maîtresse qui
touchait l’allocation. »
Rapport :
Le 2 août, Pajadon s’évada des locaux disciplinaires, se rendit à
Paris, et ce n’est que 15 jours après qu’il se présenta à la
caserne de Reuilly. Pour expliquer cette troisième faute contre le
devoir militaire, il invoque « le cafard » et le désir
de s’assurer par lui-même des démarches qu’il a faites en vue
de la suppression de l’allocation à sa maîtresse.
Le
CG de la 37è DI (7 octobre 1916) condamne Pajadon à mort à
l’unanimité. Le pourvoi en révision est rejeté le 17 octobre
1916.
Général
commandant la 37è Division : « Bien que Pajadon ait
essayé depuis ses fautes graves de sauver un artilleur qui se
noyait, je ne puis appuyer son recours en grâce. Il a en effet deux
fois esquivé son devoir de soldat, une fois par abandon de poste,
une seconde fois par refus de marcher à l’ennemi. En outre, étant
en prévention de conseil de guerre, il a déserté. Enfin, ses
antécédents civils -sept condamnations-, sont déplorables. »
Pajardon
est fusillé à Trémont-sur-Saulx (55) le 20 septembre 1916 à 10h
avec grande parade, Cavalerie, 2 Cie du génie, 2 compagnies de
zouaves, clairons tambours et défilé.
Le caporal Sylvestre Marchetti, 22 ans, de Tagliu Isulacciu (Corse) et le soldat Julien Lançon,24 ans, tous deux du 8e RIC sont fusillés le 22 octobre à 6h30 au lieu-dit La Cavé d'Hayon à Sarcus dans l'Oise, devant le cimetière de Sarcus où ils seront rapidement enterrés, comme des parias Fusillés pour l'exemple pour avoir pris part à deux mutineries au cœur des tranchées de la bataille de la Somme, en août 1916. Leur tombe y est toujours visible.
Le 1er juillet, 19 240 soldats sont tués. Membres de la 2e Division d'infanterie coloniale, les 4e et 8e RIC, considérés comme des corps d'élite, sont de tous les combats. Après plus d'une semaine d'assauts, les officiers accordent un repos bien mérité à leurs troupes. Nous sommes le 9 août. Mais à peine redescendus de première ligne, contre-ordre : il faut déjà remonter au feu. Malades, éreintés, ils sont 300 soldats à refuser. Ce repos promis et repris, les gars se l'accordent eux-mêmes. Il n'y a ni injure ni coup, juste des hommes qui posent à terre leur barda de fatigue, de terreur et d'armes. Certains se cachent dans les tranchées ; d'autres filent se baigner dans la rivière qui coule non loin.
D'abord qualifiée "d'enfantillage", leur escapade fera grand bruit. "Il y a lieu de réprimer les fautes commises, même par les fatigués, les égarés, les demi-conscients", lit-on dans les rapports militaires. Cinquante-sept hommes sont traduits devant le conseil de guerre pour "désertion et refus d'obéissance", dix-neuf condamnés à mort. Si dix-sept voient leur peine commuée en travaux forcés, deux, "considérés comme meneurs", Julien et Sylvestre, sont passés par les armes. "Il faut faire un exemple, marquer les esprits."
Julien Lançon en 1913. petit cultivateur, Julien Lançon, né le 11 février 1893 à la Bastide-des-Jourdains (Vaucluse), fils de Marius Lançon, de Mollégès et Marie-Louise Figuière.
Lucien Joseph
Valnet, né le 22 juin 1894 à Baccarat
(Meurthe-et-Moselle), soldat au 43è R.I.C. 18è Cie, fiche de décès
uniquement, mention « fusillé » à Mailly (Aube) le 24
octobre 1916
Joseph Porcher,
né le 26 février 1880 à Saint-Nazaire (44), marin, SDF, tirailleur
de 2è classe au 2è RMTA, 23è Cie, ne sait ni lire ni écrire.
Dans la soirée du
14 juillet, alors que la Cie, au bivouac se disposait à marcher à
l’ennemi, le zouave Porcher fut trouvé ivre-mort. Il avait absorbé
un certain nombre de rations d’eau de vie distribuées à titre de
vivres de réserve et il se trouvait dans l’impossibilité de se
placer dans le rang.
(déposition
Lamorlette, sergent major 23è Cie : « on avait distribué
des vivres de réserve et de l’alcool ; on savait donc qu’on
allait au feu en première ligne. Porcher était ivre, on le laissa
dans une baraque » Porcher : « au moment de partir
j’étais pris de boisson d’eau de vie, rations des français,
(environ deux quarts) et je suis tombé, je n’ai pas pu marcher »)
Il dit s’être présenté à la visite le lendemain, avoir été
éconduit et ne trouvant pas de renseignements sur l’emplacement de
son régiment s’être joint à l’attaque avec la 19è compagnie
du 3è Zouave, dans une section commandée par le sergent Riondet et
sous le commandement du lieutenant Casanova. Il produit une
attestation non signée qu’il dit écrite par ces deux
sous-officiers. Le lieutenant Casanova ayant été évacué le jour
où Porcher prétend avoir rejoint, on lui tend un piège :
Riondet en personne lui fait croire que le sergent Riondet était
mort. Il dit regretter, le connaissant très bien quand Riondet se
présente et le confond. Porcher sombre alors dans un mutisme absolu
et refuse de répondre à toute question concernant cet épisode.
Devant le CG de la 37è DI (audience du 23 septembre 1916), il
avoue :
D : - Sur
l’attestation demandée aux gradés de la 19è Cie, vous avez
demandé à un camarade de vous l’écrire ?
R : - C’est
un soldat du 2è zouave que je ne connaissais pas du tout.
D : - Pourquoi
avez-vous dit que vous connaissiez le sergent Riondet ?
R : -
(silence.)
Le 27 juillet étant
aux locaux disciplinaires, il reçut du caporal de jour, l’ordre de
se préparer pour le peloton de punition.
Houssmann, caporal,
20 ans : « J’étais caporal de jour pour faire faire
« le bal » aux punis de prison. Porcher a dit que « ce
n’était pas un caporal français qui le ferait obéîr. Il était
alors pris de boisson. »
Porcher s’esquiva
des locaux disciplinaires, quitta le cantonnement, et fut ramené le
lendemain par la gendarmerie. Les gendarmes avaient été prévenus
par M. Rebesquiec, éclusier à Brusson, qu’un soldat du 2è RMTA
« cherche à se jeter dans le canal de la Marne qui passe
devant chez moi.
Déclaration
rapportée par le gendarme Caillet : « Si je retourne à
la2è Cie du 2è Rgt de tirailleurs algériens et que l’on me fait
faire le bal -c’est-à-dire le peloton de manœuvre des punis de
prison, je refuserai catégoriquement et si l’on m’embête je
mettrai des cartouches dans mon fusil pour abattre tous les gradés,
aussi bien le lieutenant comme les autres ».
Entre temps il
s’était porté un coup de couteau au mollet. (Lamorlette :
« je lui ai demandé à voir sa blessure. Il m’avoua alors
« qu’il s’était blessé volontairement, pour ne pas rester
à la Cie ». Porcher : « je n’ai rien à dire »)
Recours en grâce
rejeté le 22 octobre : Porcher est fusillé au champ de tir de
Trémont-Sur-Saulx (55) le 24 octobre 1916 à 10h.
Gaston Alfred
François Beauvisage, né le 20 novembre 1893 à Paris
17è, 2è classe au 82è R.I.
« Genre de
mort : au cours d’une tentative d’évasion » à Saïda
(Algérie) le 27 octobre
Pierre Paul
Joseph Chazottier, né le 16 décembre 1888 à Ezérouée
(Isère), charpentier à Bordeaux, célibataire, chasseur de 2è
classe au 2è BMILA, condamné 2 fois au civil pour coups et
blessures volontaires, port d’arme prohibé, puis comme militaire
pour coups volontaires (sur un camarade qu’il frappe d’un coup de
crosse à la tête), bris de clôture (dit en cassant les carreaux du
corps de garde à un adjudant du 23è R.I. « Je t’aurais la
peau, je te ferai tourner au bout de ma baïonnette »),
outrages envers un supérieur (menace le capitaine du 133è R.I. de
le « découdre »), puis passant à une forme d’insolence
moins directe, punis à de nombreuses reprises pour avoir répondu
ironiquement à divers gradés (à un caporal en octobre 1915 « si
vous étiez 2è classe, vous verriez comment sa se passerait ;
voulez-vous un bout de papier pour faire votre punition, je vous le
donnerai »)
Le 21 juillet 1916,
l’adjudant chef Bart et l’adjudant François aperçoivent
Chazottier de garde au poste de police d’Ain Leuh, qui se dirige en
titubant vers les toilettes. Ils demandent au sergent de garde de le
faire reconduire à sa Cie. Comme Bart s’éloigne, Chazottier,
brandissant sa baïonnette,se précipite sur lui dans son dos en
criant « Je vais te faire voir si je suis saoul ». Se
retournant brusquement, Bart saisit à deux mains la baïonnette,
mais violemment heurté par Chazottier, il roule à terre, tandis que
l’agresseur tente de dégager son arme pour l’en frapper.
Maîtrisé par les sergents François et Manives, Chazottier est
ramené au poste de police et ordre est donné de l’attacher. Comme
les deux chasseurs commandés pour ce faire y mettent une évidente
mauvaise volonté, le lieutenant présent au poste donne au sergent
Manives l’ordre de terminer le travail. Chazottier le prend par la
barbe et le fait rouler sur lui, pendant que le sergent crie
« Donnez-moi des ciseaux, que l’un me coupe la barbe »
Chazottier finit par lâcher prise en jetant à la ronde des
« Enculé » Calmé il adit au sergent qui le détache
« Vous avez de la chance que j’ai un père qui a 88 ans, sans
cela vous n’auriez pas pour cinq minutes d’existence ». va
à sa tente et saisit son fusil chargé, en menaçant le sergent
Lethuaire accouru à sa poursuite. Celui-ci appelle à la rescousse
l’adjudant Hontarrède, de la Cie de Chazottier. Le voyant arriver
Chazottier prend la position du tireur à genou et met en joue son
adjudant en disant : « si tu avances, je te tue comme un
chien » Dans la version de Chazottier, il aurait simplement
dit : « si vous voulez me frapper, je vous tire dessus, si
vous ne voulez pas me frapper, vous pouvez approcher »,
ajoutant, (selon le Rapporteur cette fois) : Mon adjudant, je
suis foutu, il faut que j’en tue un, je préfère avoir douze
balles dans la peau que d’aller courir les pénitenciers. J’ai
déjà trop souffert et d’ailleurs je l’ai juré sur la mémoire
de ma mère ».. L’adjudant Hontarrède finit par réussir à
calmer Chazottier, à le désarmer et à l’emmener au bureau de la
Cie.
CG des troupes
d’occupation du Maroc occidental (9 septembre 1916)
recours en révision
rejeté le 20 septembre 1916, recours en grâce rejeté le 31 octobre
Fusillé
à Meknès (Maroc), le 30 octobre 1916.
Jean-Baptiste Le Garff, né le 21 Novembre 1887 à Kérentrech, Lorient, charpentier, 11è groupe spécial, 4è bataillon d'infanterie légère d'Afrique. Engagé volontaire en 1907(2eme régiment d'infanterie coloniale jusqu'en 1912 au Tonkin).
Condamné par le 1er conseil de guerre de l'amalat d'Oujda (Maroc) du 12 septembre 1916 à la peine de mort pour voies de fait envers un supérieur, le caporal Denoual, (faits commis le 14 juillet 1916, à Debdou au Maroc), son pourvoi en révision étant rejeté le 20 septembre 1916, fusillé le 30 octobre 1916 à Oujda au Maroc. Il avait 29 ans
Le soldat Louis Xavier Le Dû, né le 21 juin 1890 à Pais 15è, fumiste à Paris, canonnier au 34è R.A.C. exécuté pour rébellion le 31 octobre 1916 à Moreuil dans la Somme. Condamné à mort pour "voies de fait et outrages envers un supérieur, rébellion en réunion avec armes et instigation" par le CG du quartier général de la Xè armée. On me sure à la fois le mépris, l'affolement et l'imbécillité de la hiérarchie ne parcourant le PV d'instruction.
Cité par Offenstadt Les fusillés :
Au cantonnement de canonniers de La Hérelle, dans l'Oise, en septembre 1916, un refus de ce type conduit à une petite rebellion. Le commissaire-rapporteur écrit ; "sans cesse en révolte contre l'autorité [...] ces canonniers ont formé une sorte de bande [...] tout à coupe Le Dû (arrêté) cria " A moi les amis", c'est alors que se produisit une scène telle qu'il s'en passe dans le monde des appaches (sic) sur les boulevards extérieurs de Paris." Le prisonnier est en effet délivré par ses acolytes. Le rapport du chef d'escadron précise ; " La plupart de ces canonniers n'ont aucune valeur au feu, notamment Le Dû et Mons se sont fait porté malades au cours des dernières actions pour ne pas aller aux tranchées. Pa contre, par leur menaces du couteau ou du revolver, ils sont la terreur des cantonnements."
Le Dû, seul, est condamné à mort. Dans ce dernier cas la résistance à la discipline semble plus organisée mais son expression est la même que les actes individuels [...] : tout est parti de l'injure lancée par Le Dû au lieutenant qui lui avait collé huit jours de prison pour absence à une revue d'armes.
- En octobre 1916, un jeune chasseur de la classe 1915, paniqué, fuit le front pendant un bombardement. Le commandant le convoque, lui dit : "monte sur le parapet", et le tue d’une balle dans la tête.
parade d'exécution au Maroc
Novembre
Maurice Jules
Bultjauw, né le 30 juin 1897 à Paris 19è ;
camionneur (19 ans) chasseur de 2è classe au 18è BCP, 3è Cie
mars 1916 :
condamné par le Cg de la XIè région (Nantes) à 4 ans de TP pour
désertion à l’intérieur
21 juillet. Absence
illégale de 23h, ramené par la gendarmerie
10 août :
étant puni de prison s’est esquivé du camp de la soupe du matin à
la soupe du soir
Rapport (expéditif)
du capitaine Hurel : « le 15 septembre 1916 à 9heure, à
la tranché de Tijpe, près Berny en Santerre, le chasseur Bultjauw
est allé, avec mon autorisation, se présenter à la visite au Poste
de secours du Médecin-chef du 18è BCP, qui l’a renvoyé aussitôt
à sa Cie comme non malade. Malgré l’ordre reçu, ce chasseur
s’est esquivé , sachant que son bataillon devait attaquer dans
l’après-midi du même jour, est allé se cacher à 3 km des
lignes, dans un abri dont il n’est sorti que le 17 septembre alors
qu’il savait la seconde attaque du Bataillon terminée. »
Les notes d’audience
sont pour le moins succintes :
Bultjauw : « Si
je n’avais pas été renversé par un obus, je n’aurais pas
quitté mon poste. Je n’ai pas compris ce que m’a dit le Major.
Dès qu’on m’a dit de remonter, j’ai remonté. J’étais resté
dans un boyau près du poste de secours, dans une sape avec le 87è
de ligne. »
Capitaine Maurice
Hurel, 35 ans : « Bultjauw est un mauvais chasseur,
fourbe,. Au cantonnement, déplorable, états d’ivresse fréquents,
professionnel de l’absence illégale. Sujet peu intéressant. J’ai
reçu un papier du Major disant que Bultjauw allait rejoindre la Cie
immédiatement. Bultjauw n ‘a pas participé à l’attaque du
13. [comptrenez du 16, le greffier aura mal entendu]» le
médecin major Péré, en permission de longue durée ne pourra se
rendre à l’audience.
Marcel Louis
Gustave Godfroy, né le 24 juillet 1893 à Paris 12è,
imprimé à Paris, chasseur de 2è classe au 9è BCP, 2è Cie
Marques
particulières : blessure au pouce doit (9 mars 1916), à la
cuisse droite, bras gauche cassé’3 septembre 1914, éclats
d’obus).
« Le 23 août
1916, vers 2 heures, le chasseur Godfroy quitte son corps cantonné à
Courcelles en Santerre, se rend à Paris, est arrêté le 30 août
par la police et ramené à son corps le 6 septembre. Son bataillon
remonte aux tranchées pour y faire une attaque. Au moment où il se
trouve en réserve à la tranchée Saintoyant, prêt à se porter en
1ère ligne, Godfroy abandonne son poste, entraînant avec lui le
chasseur François de la même Cie. Tous deux ont comparu au Conseil
de Guerre et il a été établi que François sur lequel les
meilleurs renseignements sont fournis, a été entraîné pat
Godfroy ; François a été consamné à 5 ans de TP avec
sursis. Godfroy au contraire a été condamné à la peine de mort.
Son défenseur a introduit une demande de commutation de peine à
laquelle le président du conseil et 1 membre ont adhéré. Nous
refusons de nous y associer pour les raisons suivantes. Les plus
mauvais renseignement ont été fournis à l’audience par le
Capitaine Petit sur Godfroy ; dans son rapport, il écrit :
« c’est le type du mauvais soldat [d’une mentalité
déplorable, dont la place serait aux bataillons d’Afrique] ».
Condamné deux fois par les tribunaux civils pour vol avant son
incorporation, Godfroy, depuis qu’il est militaire, s’est
toujours mal conduit. En outre le 29 décembre 1914 il a été
condamné de nouveau pour vol à 1 an de prison, par un Conseil de
Guerre, et le 24 février 1915 à 5 ans de TP pour refus d’obéissance
sur territoire en état de guerre. Par mesure de faveur, cette peine
fut suspendue pour lui permettre une dernière fois de se racheter.
Malgré tout son passé, malgré tous les avertissements, malgré ses
condamnations antérieures qu’il avait l’occasion de racheter au
feu, Godfroy a déserté et, ramené à son corps, abandonné son
poste au moment du combat, entraînant un camarade dans sa faute. Il
a commis de propos délibéré et en pleine conscience la suprême
lâcheté, le Conseil de Guerre, en le condamnant à la peine de mort
a fait bonne justice. Il est nécessaire pour l’exemple que la
peine de Godfroy soit exécutée. C’est pourquoi nous concluons au
rejet de la demande introduite par Me Teirinet au nom de Godfroy. »
Interrogatoire de
Eugène François, 23 ans, précédemment maçon à Monchy au Bois :
[Le 13 septembre] la
section descendant de la première ligne, mon meilleur camarade
Mustin venait d’être tué et j’en étais très ému. Vers 16
heures, me trouvant dans le même gourbi que Godfroy, un obus tomba
sur ce gourbi, nous couvrant de terre. Je n’avais pas de mal, mais
j’étais complètement abruti et je suis parti avec Godfroy sans
savoir ce que je faisais… Godfoy ne m’a pas le moins du monde
entraîné.
Tous deux sont
interpellé à Proyart le 17 septembre.
Lettre de la Veuve
Godfroy, le 5 septembre : « Mon Capitaine, je vous
remercie d’avoir bien voulu accorder à mon fils Marcel Godfroy la
permission de venir m’embrasser lors de votre dernier passage au
Bourget. Aujourd’jui je suis très inquiète, depuis son départ,
je suis sans nouvelles de lui, soit 15 jours »...
CG de la 4è DI.
Recours en grâce rejeté le 28 octobre 1916.
L’ordre
d’exécution prescrit que la parade aura lieu en présence d’une
demi-compagnie du 9è BCP et d’une demi compagnie du 18è :
« les deux exécutions seront simultanées »
Bultjauw et Godfroy
sont fusillés à 400m au sud-est de l’église de Proyart (Somme)
le 3 novembre à 6h.
Gabriel Joseph
Daudirac, né le 21 octobre 1878 à Ilats (Gironde),
soldat à la 18è section métropolitaine d’exclus, détaché aux
Chantiers de la Gironde.
Daudirac, semble
avoir été une figure -mineure- du milieu criminel bordelais.
Soupçonné de complicité dans le crime
de Langon (affaire Branchery) mais acquitté, il a été condamné
pour complicité de vol de coffre-fort avec la bande de Garal à 5
ans de réclusion, raison de son exclusion de l’armée. Libéré
conditionnel en 1911, il a été soumis à la mobilisation au régime
spécial des exclus en temps de guerre avec résidence au quartier
Labattière. Quoique marié et père d’une fillette de 12 ans,
Daudirac, à Bordeaux avait pris comme maîtresse Alice Matthieu,
marchande ambulante, dont le concubin avait été mobilisé, et qui
s’était constitué un pécule d’environ 335 francs, qu’elle
avait eu l’imprudence de remettre à son amant. Apprenant par
commérages son passé, elle dit alors à Daudirac qu’elle voulait
rompre. Daudirac, pensant qu’elle allait lui réclamer son argent
qu’il n’avait plus, fut pris d’une violente fureur et accusa
Mme Thomas, logeuse de Mme Matthieu d’avoir commis l’indiscrétion.
Il se précipita chez elle, enfonça la porte de l’épaule et
commença à rouer de coups Mme Thomas qui tomba évanouie au moment
Mlle Dubas, qui l’avait vu monter l’escalier , et son père se
précipitaient au secours de Mme Thomas. Daudirac parvint à garder
quelques temps sa maîtresse, mais devant sa détermination à le
quitter, il finit par proférer des menaces de mort et acheta un
revolver. Quinze jours plus tard, le 21 août Daudirac n’alla pas à
son atelier, et passa l’après-midi à se disputer avec sa
maîtresse en présence de sa fille. Pour les amadouer, il les
conduisit au restaurant, mais en rentrant, Mme Matthieu s’étant
rendue à l’écurie pour saigner son cheval, Daudirac la rejoignit
et se jeta à ses genoux. Comme elle se montrait toujours inflexible
et jurait qu’elle irait dormir le soir-même dans la chambre de sa
fille, il la prit aux poignets en criant « non, tu ne me
quitteras pas ». Comme elle résistait encore, il sortit son
revolver chargé et répétant « eh bien, que tout soit fini !
» lui tira presque à bout portant une balle dans la tempe gauche.
Elle tomba à terre, il tira à nouveau au-dessus de la pommette
droite. Puis retournant l’arme contre lui, il tira une troisième
fois, s’égratignant le front, prenant bien soin de ne pas vider le
barillet des deux dernières cartouches. Daudirac tenta de fuir par
l’étage supérieur où logeait Mme Garrigues, mais celle-ci
s’étant barricadée et ayant ameuté les passants, il sorti
précipitamment par l’écurie et se heurta à un jeune espagnol
qui réussit à le désarmer. Des voisins accourus avec des cordes
l’attachèrent pour l’empêcher de se sauver pendant qu’on
prévenait la police qui l’emmena.
Eva Dubas, 19 ans :
« a 10h et demi, nous étions couchés lorsqu’on est venu
frapper à notre domicile. C’était Mme Guarrigues qui venait
prévenir mon père que Daudirac avait tué Alice. Nous nous sommes
levés en toute hâte et nous avons couru rue des Pontets. Je ne
pouvais pas croire encore à la réalité de ce drame. En arrivant,
j’ai trouvé la femme Matthieu étendue sur le sol/ Je l’ai
touchée ; elle était encore chaude mais elle en respirait
plus. En nous voyant, Daudirac s’est mis à ricaner. Il ne
paraissait pas manifester de repentir de son crime. Sur une question
directe qui lui a été posée, il a même déclaré qu’il n’avait
aucun regret. A ce moment il était déjà ligotté. »
Devant le CG de la
XVIIIè région, comprenant qu’il ne pouvait, devant tous les
témoignages contraires plaider le crime passionnel et la jalousie,
se contentera de dire qu’il ne trouvait pas de mobile à son crime.
Condamné à mort pour assassinat, il fut exécuté à Mérignac
Luchey-Halde (33) le 20 novembre 1916.
Léon Pierre
Louis Rossignol, né le 9 décembre 1895 à Vias
(Hérault), serrurier, célibataire, 20 ans 2è classe au 17è R.I.,
jugé par le CG de la 13è DI avec Jean-Baptiste Eustache Ageron (21
juin 1894 St Chamond) tous deux sans condamnation antérieures,
accusé de refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi et de
désertion à l’intérieur. Les faits ont eu lieu à Chuignes le 19
septembre 1916, les inculpés ayant été arrêtés le 9 octobre dans
le Tarn, Ageron à Venis, Rossignol à Lombers. Des circonstances
atténuantes ayant été admises pour Ageron, il est condamné
(quatre voix contre une) à 20 ans de travaux forcés (peine
suspendue puis grâce présidentielle le 21 décembre 1918), les deux
condamnés solidairement aux dépens pour la somme de 75,60 francs.
Rossignol est condamné à mort (une voix ayant prononcé une peine
moindre). Une fois le recours en révision rejeté ‘le 12 novembre
1916) Rossignol est exécuté à Harbonnières (Somme) le 20
novembre à 7h.
Justin Marius Jean Follis ,
né à Gardanne le 1er juillet 1896 (le dossier de révision de son procès
donne 1897), boulanger. Condamné pour délit de droit commun, il fut
comme le soldat Botte envoyé au bagne d'Aniane du 11 décembre 1913
jusqu'à sa mobilisation le 10 avril 1915, pour avoir, en compagnie de
deux autres jeunes gens agressé un étranger de passage à Gardanne afin
de le voler.
Le
14 mars 1916, après avoir terminé son service de soldat au dépôt du 24è
BCA à Villefranche sur Mer, il s'introduit au domicile d'un civil
italien, l'abat d'un coup de revolver et lui dérobe son argent. Le
dossier de révision mentionne "vol commis le 14 mars 1916 sur la
personne d'un marchand d'œufs." Un des rapports relatant les faits donne
une version légèrement différente de "l'introduction au domicile"
puisqu'on y lit :
Le soldat Follis n'avait pas agi seul ; joint à la procédure un certain Justin Marius Félix Gilly, 20 ans, est jugé pour complicité. Un certain Marius Gleize de 19 ans est également soupçonné de complicité (mais obtient le non lieu, n'ayant connu le crime que par le récit de Gilly. Lors de la révision Gilly n'est plus prévenu que de recel, n'ayant fait que prêter puis cacher le revolver qu'il avait prêté à Follis, et quoiqu'il ait partagé avec lui le butin du vol (aucun argent retrouvé, du vin et des oeufs)."Le 13 mars 1916, un crime était commis sur la personne d'un nommé Parodi par le soldat Follis... celui-ci avait fait depuis trois semaines environ la connaissance de Parodi, connu pour être un pédéraste et avait eu plusieurs fois avec lui des relations contre nature. Le jour du crime, après s'être livré une fois de plus à son acte anormal, Follis tira sur Parodi plusieurs coups d'un revolver dont il avait eu soin de se munir, puis l'acheva en l'étranglant. Enfin il s'empara de son portefeuille et d'une cassette qu'il fut obligé de fracturer..."
Gilly est finalement condamné à 10 ans de travaux forcés (peine commuée en 1920 en détention simple) et détenu à la maison centrale de Melun. Un avis défavorable à la mise en liberté conditionnelle de Gilly sera rendu le 6 mars 1924.
L'arrêt de condamnation prononcé le 20 juillet 1916 par le CG de Marseille fut annulé par le conseil de révision de Lyon le 14 août 1916. Le CG de Lyon condamna néanmoins (à huit clos, l'affaire étant unanimement qualifiée de "dangereuse pour les mœurs") Follis à la peine capitale le 10 octobre 1916 pour "assassinat suivi de vol qualifié" et rejeta le recours en grâce le 14 novembre 1916. En conséquence, Justin Follis 20 ans, fut fusillé au camp de La Doua, à Villeurbanne, le 21 novembre 1916. Sa fiche de décès est assez unique ; "corps déposé à l'hopital, genre de mort : justice militaire" Plus
Pierre Arsène
Marie Autret, né le 25 juin 1886 à Audierne (Finistère),
ajusteur (monteur) à Brest, marié, 2 enfants, 2è classe au 19è
R.I., condamné trois fois au civil pour coups et blessures, neuf
fois pour ivresse publique, une foispour tentative de vol.
Jugement rendu par
le CG de la 22è DI, cassé et annulé en révision, les question
posées au jury ne correspondant pas à l’ordre de mise en
accusation, Autret est renvoyé devant le CG de la 9è DI, deux de
ses co-accusés ayant obtenu un non lieu. En l’absence de dossier
d’instruction, ne demeurent que les minutes du Conseil de révision
qui ne juge pas au fond, mais rappellent succinctement les faits :
Les questions
suivantes ont été posées :
1ère question :
Est-il constant que le 23 septembre 1916, à Gland (Aisne) il s’est
produit une résistance avec violence et voies de fait commise par
des militaires envers un poste de police, commandé par le sergent
Keryvin du 62è R.I. agissant pour assurer l’exécution d’une
consigne de l’autorité militaire ?
2è question :
La rébellion ci-dessus spécifiée a-t-elle été commise par plus
de deux militaires ?
3è question :
Parmi les militaires qui ont pris part à cette rebellion, huit au
moins portaient-ils des armes ostensibles ?
4è question :
A-t-il été fait usage de ces armes ?
5è question :
Le soldat Autret est-il coupable de la rébellion ci-dessus
spécifiée ?
Ces questions ont
été résolues contre l’accusé à l’unanimité, sauf la 4è qui
l’a été à la majorité de 3 voix contre 2.
Le 23 septembre
1916, vers 15h30, un groupe de traînards du 19è R.I. traversait en
désordre le village de Gland. Ces hommes s’assirent sur le bord de
la route. L’un d’eux se détacha du groupe et se plaça au milieu
de la route pour arrêter la voiture du Général Bouyssou qui se
dirigeait sur Brasles. Le général descendit, adressa des
observations au soldat et appela le sergent de garde Keryvin, auquel
il donna l’ordre de conduire au poste l’homme qui avait troublé
la marche de l’automobile. Cet ordre fut exécuté puis le général
enjoignit au sergent de prendre les noms des militaires dont certains
lui adressèrent des outrages grossiers.. Quand la voiture du général
eut disparu, les hommes marchèrent sur le poste réclamant la
liberté de leur camarade Autret, menaçant au besoin de faire usage
de leurs armes. Ce soldat, en les voyant arriver, se répandit en
menaces de mort contre les gradés et les hommes de garde. A ce
moment, le sergent Keryvin disposa ses hommes de manière à défendre
l’accès de son poste et fit croiser la baïonnette contre le
groupe qui s’avançait et par le geste et par la parole. Les
assaillants commencèrent alors à mettre ces menaces à exécution.
L’un d’eux qui fut reconnu pour être Autret [Ah ? Il y a là
une ellipse qui rend le propos incohérent : Autret se serait
deux fois esquivé et ses camarades l’auraient aidé à se
ré-équiper, d’autres l’engageant à s’enfuir] arma son fusil
et mit en joue le sergent Keryvin alors que ce dernier faisait tous
ses efforts pour rétablir l’ordre et faire respecter ses
consignes. Il y eut une mêlée ; un camarade d’Autret releva
son arme et lalui arracha des mains. La bande se dissipa alors en
deux. Un groupe tint sous la menace de ses armes une partie des
hommes de garde pendant qu’un autre groupe se mettait en demeure
d’arracher leur camarade des mains du reste des militaires du poste
de police. Le poste fut un instant assailli et submergé. Le sergent
Kéryvin fit un dernier effort pour maintenir le soldat détenu, mais
celui-ci se débattant le frappa d’un coup de pied au ventre et fut
emmené par trois de ses camarades pendant que les autres serraient
de près et menaçaient de leurs armes les hommes de garde.(...)
Les moyens à
l’appui su pourvoi sont qu’Autret aurait été à tort déclaré
coupable de rébellion alors qu’il a été non l’auteur mais le
bénéficiaire d’un acte collectif préparé et commis sans
provocation de sa part. Qu’au cours de l’instruction 4 militaires
avaient bénéficié d’un non lieu tandis que deux autres prévenus
étaient acquittés à l’audience. Que le conseil n’aurait pas
prouvé que les 3 militaires restant avaient fait usage de leurs
armes, ne démontrant ni qu’elles étaient chargées, ni munies de
baïonnettes ; ni qu’aucun s’en soit servi pour frapper les
hommes du poste de police.
En réalité, comme
le souligne -en vain puisque ce n’est pas un moyen de cassation- le
défenseur, aucun coup de feu ne fut tiré, pour la bonne raison que
les hommes de la 4è section n’avaient pu toucher de cartouches en
redescendant, en raison de la pénurie de munitions aux tranchées,
et au surplus personne ne put affirmer que le coup de pied d’Autret
au sergent fût volontaire.
Les membres du CG
n’ayant signé aucun recours en grâce, le défenseur en
introduisit une, rejetée par le président de la république.
Autret est fusillé
à Belleray (55) le 25 novembre 1916 à 7h30.
Henri Désiré
Brière, né le 29 décembre 1876 à St-Germain-de-la-Grange
(78), charretier (maids plutôt chiffonnier, se livrant avec sa
compagne à la recherche de chiffons dans les poubelles), 2è classe
au 104è R.I.
L’histoire de
Brière est d’une confondante simplicité. Le 2 septembre, en
quittant Bois-la-Ville, le soldat Berdon qui fait office de chef
d’escouade s’aperçoit qu’après une marche de 400m Brière
quitte les rangs pour s’asseoir au bord du talus. Aucune menace ne
parvenant à le faire bouger, Berdon abandonne, et Brière retourne
au bivouac où il passe la nuit, abandonne son équipement et part
vers l’intérieur. Arrêté par les gendarmes de Claye-Souilly le 9
septembre, il est reconduit à son corps le 15. Brière dit qu’il
souffrait des jambes et des lombes, et ne pouvait marcher, ce que
s’efforcent de contredire les médecins experts, sans considérer
d’autres causes qu’un examen superficiel. De là à dire que
Brière a été désigné au hasard, de façon à se débarrasser de
ce sujet vieillissant et réputé ivrogne, il est seulement à
considérer le rappel de sa condamnation en juin 1916 à 10 ans de TP
pour abandon de poste. On rajoute le refus d’obéissance et la
dissipation d’effets militaires, et le tour est joué !
puisqu’il reconnaît sans difficulté ses fautes.
Télégramme de
Neuville sur Yonne du LT colonel du 104è « Le soldat Brière
Henri, déserteur au 2 septembre n’a rejoint la Cie que le 18
septembre alors qu’elle se trouvait en réserve après les
attaques. La Cie n’étant restée que 48h en ligne la seconde fois
et n’ayant pas reçu l’ordre d’attaquer, le capitaine
commandant la Cie ne peut émettre aucune appréciation sur la
conduite au feu du soldat Brière. »
Le commandant de la
7è Cie : « Le soldat Brière est un très mauvais soldat
qui n’a jamais donné aucune satisfaction à ses cjefs. Son
attitude au feu a toujours été déplorable. C’est un sujet
dangereux qui d’après ses dires, passe pour la troisième fois en
CG. Le soldat Brière n’est digne d’aucune bienveillance. »
CG de la 7è DI
(audience du 14 octobre 1916) pourvoi en révision rejeté le 31
octobre 1916. Un recours en grâce signé part 1 juge sur 5 a été
adressé au président de la république le 15 octobre (rejet 28
novembre).
La succession du
soldat Brière est constituée, outre son livret militaire, d’un
porte-monnaie contenant 6, 40 francs.
Brière est exécuté,
au « terrain d’exécution » de Nixéville en présence
du 1er bataillon et de la musique du 108è le 27 novembre
1916 à 7h.
Le début d’une solution à
l’oppression : l’affaire Legendre
Louis-Marie
Legendre, né le 10 juin 1883 à Fégréac (Loire inférieure),
cultivateur puis manœuvre à Nantes, marié, deux enfants, caporal
au 225è R.I., 13è Cie
Le
31 août 1916 au Camp Allègre la Cie se rassemble pour monter en
première ligne. Le sergent Bailleul ordonne au caporal Legendre de
quitter la 2è section, pour prendre le commandement de la 4èune. Il
dit « je suis donc le caporal voltigeur ! » On lui
enjoint de faire l’appel, il se dirige vers la 4è escouade en
disant « où sont mes poilus ? » il rapporte que
tous ses homme sont présents, sans s’en être assuré .. Le
sergent Sapin intervient alors lui disant qu’il allait lui
apprendre à faire son métier, ce à quoi il répond « vache
pour vache ». Un témoin l’entend dire, bas « Aussi
bien en face tout le monde, comme tout seul ». Quand Bailleul
s’approche à nouveau, à cinq mètre, Legendre lui dit : «
Toi, tu n’as pas été à la boucherie, moi j’y ai été avec un
couteau de chaque côté de moi », manœuvre la culasse de son
fusil, une cartouche tombe à terre, il la remet dans le canon et,
sans épauler, tire, ajoutant : « Tiens ! ».
« Le sergent Bailleul s’affaissa comme une masse. »
Legendre est désarmé par le sergent Avet sans opposer la moindre
résistance. Il dit: « Faites de moi ce que vous voudrez.
Maintenant vous pouvez me mettre au mur et m’en faire autant. »
Aux reproches du sergent Avet qui l’emmène (« vous n’avez
pas de cœur et vous n’avez donc pas de famille ») il
répond : « Si, j’ai une femme et j’attends même un
enfant dans deux ou trois jours. J’ai un frère qui a été tué à
Verdun. Qu’on me fusille. » Au capitaine Paoletti qui n’en
revient pas, il déclare : « Je l’ai fait exprès, il
m’emmerdait depuis ce matin ». Et comme on murmure « c’est
un mitrailleur » (son poste en effet à la sortie du dépôt),
il ajoute : « Nous ne sommes pas des mitrailleurs, nous
sommes venus comme mitrailleurs ; nous sommes de la chair à
canon ; voilà ce que nous sommes ! » Les témoins de
la scène rapportent qu’il n’était ni ivre, ni agité, qu’il
paraissait même extrêmement calme, et qu’il n’avait aucune
raison d’en vouloir au sergent Bailleul avec qui il n’avait
jamais eu la moindre dispute.
Le
1er septembre, aux locaux disciplinaires de Camp Allègre,
Legendre tente de se blesser à la tête. Au sergent qui le découvre
saignant à le temps il dit en guise d’explication : « Toute
la journée on a été après moi ; je les ai vus avec des
couteaux ; ils passaient et voulaient me tuer. Que voulez-vous ?
Je suis pour y passer ».Au soldat qui vient le panser il répète
seulement : « Faites de moi ce que vous voudrez, je sais
que je suis coupable. » Le 2 il s’échappe, ( « J’étais
dans une cabane, il y avait tout plein de types qui la démolissaient.
Il y avait tout autour des baïonnettes eon me disai de mn alle. Je
suis pari »)mais il est rattrapé après quelques centaines de
mètres. On l’attache.
Casier
judiciaire vierge, une seule punition de 8 jours en 1906. Très
curieusement, il est prévenu de voix de faits envers un supérieur
et non d’assassinat devant le CG de la 60è DI, audience du 3
novembre 1916.
Expertise
médicale (extrait) : « En prison, il se souvient qu’il
était anxieux, qu’il avait peur ; il lui semblait qu’on
creusait sa tombe, que ses camarades venaient avec des grenades et
des baïonnettes ; il croyait qu’il allait mourir. Il se
souvient d’une façon imprécise qu’il s’est blessé sans
savoir pourquoi, qu’il s’est sauvé droit devant lui, qu’il a
été ramené. » Le reste est une logorrhée amphigourique qui
cherche à démontrer -contre tous les témoignages des béotiens-
que Legendre était bien en état d’ivresse au moment du drame.
D :
- Pourquoi avez-vous tiré sur le sergent Bailleul ?
R :
- Je ne sais pas, il ne m’avait jamais rien dit, ni rien fait. Je
ne le connaissais même pas.
Legendre
ne se pourvoie pas en révision, son recours en grâce est rejeté
par la présidence le 28 novembre. Il est exécuté le 29 novembre
1916 à 9h30 à Somme-Suippes devant la butte de tir du camp I en
présence des troupes d’infanterie cantonnés au camp A et I, y
compris les tambours et clairons. Frais:12,40 francs.
Legendre
a répondu à un système absurde par le seul moyen qui pouvait
l’atteindre, un acte gratuit, imprévisible et radical. Il a tué à
son tour, pour l’exemple. Si d’autres avaient su l’imiter,
bientôt il n’y aurait plus eu de commandement. Parfois se lève un
héros, et son isolement en fait un martyr.
Paul
Hannemann, né le 20 avril 1880 à Lekenwald (Allemagne),
précédemment menuisier à Sidi-Bel-Abbès, célibataire,
légionnaire de 1ère classe au 23è RIC
En
mai 1913, Hanneman, alors réformé de la légion tente de favoriser
la désertion de deux compatriotes, l’un, Zundel, en l’accostant
dans la rue, l’autre Litzinger, pendant qu’il chante à la
bubette du théâtre avec des légionnaires de nationalité allemande
des chanson anti-française. Conduit au tribunal, il est acquitté le
31 juillet 1913. A la mobilisation, Hanneman est conduit devant le
commandant d’armes pour avoir tenu des propos anti-français. Pour
éviter d’être interné, il contracte un nouvel engagement au 1er
étranger pour la durée de la guerre. Il retrouve là Litzinger,
qu’il évite, le considérant désormais comme un mouchard et fait
la connaissance de Tachner. C’est à lui que Hannemann fit les
premières ouvertures relatives à la désertion. Ayant appris que
Tachner était de garde le soir-même, il lui demanda de le laisser
passer avec un groupe de déserteurs par lui recrutés, libre à lui
de se joindre à eux ; il s’agissait de passer chez les
Riattas, puis chez Abdel-Malek où « vous trouverez des
officiers allemands qui vous donneront le choix ou bien de rester
chez les Riattas, ou bien de passer en Allemagne ». Tachner
reste indécis, et rien ne se passe. Sur ces entrefaits, Hanneman
entre à l’hôpital où il doit rester jusqu’au 11 juillet. Il y
rencontre le caporal Goebel, de Hanovre. Il lui parle des Riattas,
d’un soulèvement possible des Haouras, de l’éventuelle prise de
Taza, et d’un marocain qui se chargeait de conduire les déserteurs
en zone espagnole. Mais quoiqu’il lui ait fait miroiter une prime
de 25000 , Goebel refusa de se laisser détourner. Le 14 juillet,
alors qu Hannemann, Tachner et le légionnaire Fûlmann se trouvaient
ensemble au bord de l’oued, Hannemann tint aux autres le discours
suivant : « Aujourd’hui on ne s’occupe pas de nous, les
officiers boivent, il n’y aura pas de pareouille ; ce serait
vraiment le moment de déserter ». Ce qu’ils entreprennent le
soir vers 20h, ne menant pas leur projet à bout. Hannemann leur fit
promettre de dire qu’ils avaient été au camp mobile et s’étaient
enivrés, motif de leur absence. Le capitaine ne les crut pas ;
ils avouèrent alors qu’Hannemann faisait office d’agent de
désertion. Devant le CG des troupes d’occupation du Maroc
occidental, (audience du 3 novembre 1916) Hannemann est inculpé de
« tentative d’embauchage pour l’ennemi ou les rebelles
armés » ; Hannemann le 14 août 1916 : « Je
suis victime d’un complot monté contre moi. »
Le
recours en révision est rejeté le 18 novembre 1916 et Hannemann est
exécuté à 800m du cimetière de Bab-Segma (Maroc) le 29 novembre
1916.
Décembre
Le cas Claude Victor Magnouloux, 4 décembre 1916.
Claude Victor Magnouloux naît le 1er février 1883 au village de Souvignet situé sur le territoire de la commune de Saint-Julien-Molhesabate.
Son frère jumeau prénommé Joseph Marius ne participe pas à la Grande Guerre en raison de problèmes de santé .
Claude Magnouloux présente également des problèmes de constitution physique puisqu’il est ajourné dès 1904 pour se retrouver classé « service auxiliaire » en 1908, ce qui lui évite la conscription et le service militaire obligatoire.
En 1914, célibataire, il habite à Saint-Etienne et c’est à cette période que l’armée, qui a besoin d’hommes, le convoque devant la Commission Spéciale de Réforme du département de la Loire le 1er décembre de la même année.
En novembre 1915, il écope de 8 jours de prison pour "être arrivé à la compagnie avec 24 heures de retard sur le détachement dont il faisait partie et ayant perdu son képi, sa musette et les vivres de réserve". Le 6 janvier 1916, il s’esquive après la douche et rentre en retard au cantonnement.
Le 13 avril 1916, il est muté au 20è Bataillon de Chasseurs à Pied et c’est dans ce régiment, à 33 ans, qu’il va mettre être confronté à la réalité de la guerre.
Le 17 juin 1916, au retour d’une permission de 6 jours, il écope de 4 jours de prison pour 24 heures de retard. Le 26 août suivant, au cours d’une discussion au cours d’un repas, il blesse involontairement un camarade ce qui lui vaut 4 jours de prison. En septembre 1916, Magnouloux accumule une trentaine de jours de prison.
L'après-midi du 22 septembre 1916, à l’initiative du Sous-lieutenant Verdier une revue de la compagnie est mise en place à laquelle Magnouloux se soustrait. Il est apostrophé vers les 16 heures par le Sous-lieutenant qui lui inflige 4 jours de prison pour cette absence momentanée. Dans ses premières déclarations le chasseur Magnouloux avoue avoir consommé au moins trois litres de vin.
Dans une des ses poches Magnouloux conserve un revolver chargé trouvé quelques jours auparavant dans une tranchée conquise aux allemands. Ce pistolet dira-t-il, est un souvenir qu’il tient à rapporter chez lui. Magnouloux ne connaît pas le Sous-lieutenant. A l’interpellation de l’officier, il murmure quelques mots, sort son arme et fait feu en sa direction. L’officier fuit, poursuivi par Magnouloux qui l’atteint encore deux fois.
Des témoins maîtrisent l’agresseur, dont l’un est légèrement blessé tandis que l’officier est pris en charge par les médecins. Dans son rapport le médecin-major précise que le soldat Lerousseau René est blessé par un projectile, et qu’après une prescription d’une dizaine de journées de repos, les blessures "n’auront aucune conséquence grave".
Le Sous-lieutenant Verdier dont les organes vitaux ont été touchés décède le 23 septembre à 9 heures du matin dans l’ambulance de Cayeux en Santerre
officiellement " des suites de blessures de guerre". Il inhumé au cimetière de la localité le lendemain. Cette mention du motif de décès mensonger est-il un indice de la peur qui règne d'ébruiter les faits ?
A l'inverse de la volonté de la hiérarchie de maintenir le secret, les officiers les plus directement concernés s'empressent de monter un dossier à charge le plus rapidement possible : le 24 septembre, le sergent responsable de la section déclare : "c’était un homme violent qui cherchait souvent des discussions avec ses camarades et même avec ses gradés."
L’audience du Conseil de Guerre se tient le 27 septembre à Harbonnières. Le défenseur de Magnouloux présente une requête visant à ce qu’il soit procédé à la
nomination d’expert pour examiner l’accusé "du point de vue mental" (sans
suite). Aucun des témoins cités n’est présent à l’audience, Magnouloux est
condamné à la peine de mort à l’unanimité du jury.
On s’empresse de désigner le membre du Conseil de Guerre qui sera présent à
son exécution.
Le 28 septembre 1916 : Magnouloux, par la voix de son défenseur se pourvoit en révision contre le jugement.
Le 8 octobre 1916 : Le Conseil de Révision de la 10 Armée examine le recours et "casse et annule à l’unanimité" le jugement du 27 septembre 1916 pour défaut de procédure. Le destin de Magnouloux va être confié au Conseil de Guerre
de la 120è Division d’Infanterie, qui siège le 26 octobre. A l’unanimité des membres du jury, Magnouloux est condamné à la peine de mort et dispose d’un délai de 24 heures pour se pourvoir en "Conseil de Révision"(rejeté le 4 novembre).
Dans un document classé « SECRET » l’état-major de la 120è Division, diffusé le 3 décembre 1916, on apprend que l’exécution aura lieu à Châtenois dans le département des Vosges le 4 décembre 1916. La "parade d’exécution" sera commandée par le commandant du 38e R.I, le peloton d’exécution sera fourni par ce même régiment. Assisteront à l’exécution et seront en place pour 6 h 45 : deux compagnies du 38è R.I., deux compagnies du 408è R.I avec un Chef de Bataillon, le 3è Escadron du 3è Régiment de Chasseurs à cheval, une section commandée par un officier de chacune des compagnies 26/3 et 26/56 du Génie, une demi-batterie du groupe Baudica. Seront également présents un capitaine du 3è Régiment de Chasseurs à cheval comme juge désigné par le Président du Conseil de Guerre, le Médecin Aide-Major du 3è Régiment de Chasseurs à cheval, un abbé.
Une voiture avec quatre brancardiers sera rendue à la prison à 6 heures, elle sera escortée par un peloton du 3è Régiment de Chasseurs à cheval et accompagnera le condamné à proximité du lieu d’exécution et transportera "le corps du supplicié" au cimetière.L’exécution terminée, les troupes défileront devant le corps et regagneront leurs cantonnements.
L’exécution a lieu au sud de la sortie de Châtenois en direction de Mirecourt , à l’ouest de la voie ferrée. Le procès-verbal mentionne :
"Un piquet de chasseurs à cheval composé conformément aux prescriptions réglementaires, s’est approché et a fait feu sur le condamné, qui est tombé mort". Dans son rapport, le médecin témoin de l’exécution écrit : "la mort résulte de huit balles qui ont touché le corps, sept dans la région du cœur et une dans la tête. Il n’a pas été nécessaire de donner le coup de grâce."
Contrairement à l'extravagante publicité du cérémonial observé, le document ministériel mentionne curieusement comme "motif de la mort" : "tué à l'ennemi" ce qui permettra de taire la réalité des faits pendant environ une centaine d'année. Pourquoi cette accumulation de mensonges et de contradictions dans une affaire criminelle qui n'aurait pas dû prêter à polémique au détriment des autorités ?
Gaston Émile
Joseph Morin, né le 4 septembre 1892 à Chamblac (Eure),
commis voyageur, Bernay, célibataire, (Charron à Gaillon mentionne
le « PV d’Exécution capitale ») 2è canonnier
conducteur au 4è R.A., précédemment condamné pour vol en 1908
(acquitté) et vol militaire (30 janvier 1914).
Ne sont conservées
que les minutes du jugement et le court dossier de révision.
Le 17 novembre 1916,
Morin est condamné à mort par le CG de la 132è DI ; les
questions suivantes ont été posées :
1-… le 10 octobre
1916, est-il coupable d’avoir au Hamel, commune de Contoire (Somme)
volontairement commis un homicide sur la personne du trompette Lobry
du 57è R.A. ?
2-… avec
préméditation ?
3-… dans les mêmes
circonstances,au même lieu et temps, commis une tentative
d‘homicide volontaire sur la personne du canonnier Creacheadec, du
57è d’Artillerie (coup de couteau ayant creusé une plaie profonde
dans la région sous-claviculaire)
4-… ladite
tentative a-t-elle suivi le crime d’homicide ci-dessus spécifité ?
La peine de mort a
été prononcée à la majorité de 3 viux contre deux., aucune
circonstance atténuante n’a été admise.
Des circonstances et
mobiles nous ne saurons rien ; on croit deviner qu’une partie
des faits se seraient déroulés devant ou dans un café...
Recours en révision
rejeté le 24 novembre 1916 ; Morin est fusillé à Davenescourt
le 5 décembre, 7h.
Fernand Adrien
Ferrand, né le 25 janvier 1880 à Scorbé-Clairvaux
(86), soldat au 100è R.I.
à
Charmontois-L’abbé (51) 7 décembre 1916 : « menaçant avec
une baïonnette un sergent, a été tué par celui-ci ».
Lucien Victor
Morda, né le 3 avril 1885 à Paris 11è, charretier, 2è
classe au 369è R.I., 22è Cie
CG de la 73è DI (4
septembre 1916), notes d’audience.
Morda : «
J’ai été blessé, je me suis replié sur la batterie de
l’hôpital. J’ai bien aperçu le médecin, mais je ne me suis pas
présenté à lui. Je suis resté à la batterie de l’hôpital du
26 août au 1er septembre. Ce jour-là je suis descendu à
Haudainville où je croyais se trouver le bataillon au repos. Je suis
remonté à la batterie de l’hôpital. J’y suis resté jusqu’au
4 septembre, date à laquelle je suis redescendu à Haudainville.
J’ai mangé mes vivres de réserve. Je n’ai touché aucune vivre
du service de santé. »
Camille Nouviau,
médecin-major : « Il n’est pas possible que Morda ait
pu rester quatre ou cinq jours sans que je m’aperçoive de sa
présence. »
Gaston Blander,
sergent major/ « Le 26 août, la Cie attaquait dans le secteur
de Verdun. A la suite de cette attaque, j’ai reçu à La Falouze un
état des pertes sur lequel figurait Morda. Le 1er
septembre un de mes hommes me rendit compte qu’il avait rencontré
Morda. Le 4, j’ai moi-même vu Morda. Morda a été rencontré près
de l’endroit où se trouvait à Haudainville les ordonnances des
chevaux d’officiers. »
Déjà condamné par
le CG de la 73è DI à 3 ans de prison pour abandon de poste : »Il
est d’un caractère sournois, dit son capitaine, d’une moralité
plus que douteuse, d’un mauvais exemple pour ses camarades ».
Pourvoi en révision
rejeté le 13 novembre, recours en grâce rejeté le 11 décembre :
Morda est exécuté au champ de tir de la forêt de Mondon (54) le
13 décembre à 7h.
Alexandre
Gaston Simon, né le 19 août 1889 à Amiens, profession
successivement de mineur et de débardeur, célibataire, soldat au 8e
R.I.
Jugé
et condamné le 4 novembre 1916 pour " abandon de poste et
désertion en présence de l'ennemi et dissipation d'armes et
d'effets militaires à lui remis pour le service" par le conseil
de guerre de la 1ère D.I. Jugement cassé et annulé, pour un
résultat identique à l’audience du 21 novembre. L’élément qui
a sans doute emporté la condamnation finale, est une première
condamnation par le CG de la 2è DI le 21 avril 1915 à cinq ans de
détention pour désertion en présence de l’ennemi aux tranchées
devant Mesnil-les-Hurlus, le 26 février 1915. Simon a été détenu
de ce chef à la maison centrale de Clairvaux pendant plus d’un an
avant d’être versé le 16 juin 1916 au 110è R.I. Le 30 août
1916, alors que le régiment est cantonné près d’Amiens, Simon
déserte à nouveau, parce qu’on lui a refusé une permission. Sa
peine est suspendue une nouvelle fois. Il passe au 8è R.I.
Simon :
(le 21)Je n’occupais pas un poste commandé… ma compagnie était
en soutien, placée entre Maurepas et Le Forest. J’avais pris la
faction contre les gaz. Quand j’eus terminé ma faction, qui dura
40 minutes, mon caporal me libéra. Je n’ai pas été commandé
pour la corvée d’eau. Je suis parti cette nui-là, j’ai été
arrêté entre Longueau et Amiens. Je suis parti parce qu’on me
jetait la pierre depuis ma comparution au Conseil de Guerre. (le 4)
Il y a de l’exagération dans les faits qui me sont reprochés. Il
y a eu une récrimination à la Cie et le Lieutenant et le Colonel
sachant que je venais du Conseil de Guerre ont cru qu’elle émanait
de moi. Il m’a fait des menaces et c’est pourquoi je suis parti.
Je n’ai pas peur des marmites. Le lieutenant m’avait dit « Si
tu n’es pas content, tu n’a qu’à aller chez les boches »
Je me suis rendu volontairement et j’ai laissé mes armes à
Maurepas. Le procès-verbal de la gendarmerie mentionne inexactement
que j’ai été arrêté. Je connais Amine comme ma poche et je me
rendais dans cette ville où j’ai des belle-sœurs. Comme je sais
que l’on veut ma tête, je vous la donne !.. Si je n’ai pas
parlé des menaces de mon Lieutenant au cours des interrogatoires,
c’est que j’ai voulu garder cette raison jusque maintenant. J’ai
bien été menacé comme ayant été considéré à faux comme un
« rouspéteur » et menacé d’être tué par lui,
là-haut. ». La culpabilité morale du salopard (le lieutenant
Desforges sans doute, qui se fait d’une discrétion fantomatique
après sa première demande de mise en accusation de Simon, mais
peut-être -on l’espère- est-il mort à la date des procès)
encourageant à la désertion -d’autres sont morts pour moins que
ça- n’est évidemment pas examinée. Il est très net, que les
raisonnements spécieux du Capitaine Angeli, commissaire-rapporteur,
sont marqués par une vindicte inexplicable et une volonté affirmée
d’aggraver les fautes, par une interprétation toute personnelle
des textes.
Le
recours en grâce (pourtant signé par quatre des cinq juges) est
rejeté le 8 décembre 1916, fusillé à Courtissols Saint-Memmie
(51) le 16 décembre 1916 à 8h en présence du 1er
bataillon du 1er R.I.
« Le
soldat Simon n’a fait aucune difficulté pour se laisser conduire,
pour se mettre à genou, pour se faire bander les yeux et attacher au
poteau. En passant devant la troupe sa démarche était ferme. Il a
dit à deux reprises « Visez-bien, les camarades » et il
a encore répété cette phrase dès qu’il eut les yeux bandés…
En résumé le soldat Simon est mort bravement. Son exécution n’a
donné lieu à aucun incident. L’impression sur la troupe a paru
très salutaire. »
« 1
balle dans la joue droite, 2 balles dans la région sous-claviculaire
gauche, 1 balle dans la région sous-claviculaire droite, 1 balle
dans la région précordiale à la hauteur du mamelon gauche, 1 balle
à la partie moyenne du sternum, 1 balle au creux épigastrique, 1
balle dans région carotidienne droite, 1 balle à la partie moyenne
de la face antérieure du bras droit, ayant entraîné la fracture de
ce membre, 1 balle dans la région axillaire gauche… Après le feu
du peloton d’exécution, le corps du supplicié est tombé sur le
côté droit… Comme je constatais que le soldat Simon respirait
encore, j’ai invité le sergent placé à mon côté à donner le
coup de grâce. Ce sous-officier a tiré un coup de revolver au
milieu de la région mastoïdienne droite : la balle est
ressortie au niveau de la région pariétale gauche.
Lakhar Ben Rabah
Wasrour, né en 1884 à Sétif (département de
Constatntine, Algérie), caporal au 2è RMZT, engagé volontaire
depuis le 10 mars 1906
Le 26 avril 1916, au
cours d’un mouvement de la 9è Cie pour se rendre du Faubourg Pavé
au Fort de Souville, éclate un violent bombardement. Se croyant
blessé à la poitrine, Wasrour retourne au Faubourg Pavé. Le
lendemain, aperçu par le lieutenant Belvo, il donne pour raison de
sa présence faire partie de la corvée de ravitaillement, ce que
dément le sergent Belkacem qui la commande. Ordre lui est donné de
rejoindre avec la corvée qui doit partir à 21h. A cette heure, il
se présente effectivement aux cuisines, mais la corvée est déjà
partie. Il part dans sa direction mais rapporte s’être perdu. Il
est aperçu par le caporal Perron dans le Faubourg Pavé, le 5 mai.
On lui ordonne de remonter le lendemain. Il suit la corvée jusqu’au
Fort de Souville, mais y reste, voulant attendre que le bombardement
se ralentisse. On envoie le caporal Durand le rechercher, mais
celui-ci est blessé à la tête en chemin, non sans avoir prévenu
le médecin-chef du poste de secours de sa mission. Le sergent
brancardier Métereau donne alors l’ordre à Wasrour de suivre une
équipe de brancardiers qui devavaient le ramener à sa Cie. Il part,
mais disparaît et ne se manifeste que six jours plus tard, le 12
mai, à Verdun où il est resté avec les hommes de la CHR. Il est
arrêté le 16 mai. Mis en liberté provisoire, il est ramené le 16
septembre à son régiment, en ligne dans la Somme et affecté à la
11è Cie. Le 12, cette compagnie stationnée à la ferme de Monacu,
reçoit l’ordre de monter en première ligne. Wasrour suit jusqu’à
un boyau que les hommes doivent nettoyer. Il demande la permission
d’aller chercher un outil, ce qui lui est accordé, mais ne
reparaît plus. Il dit s’être perdu en revenant d’une carrière
située à 800m de là et avoir erré pendant quatre jours avant de
se rendre à la gendarmerie.
Le CG de la 48è DI
le condamne pour refus d’obéissance et double désertion. Le
recours en révision rejeté le 16 décembre 1916 et Wasrour fusillé
au Pont De Harromoué le 18 décembre.
Armand Désiré
Gontier, né le 15 octobre 1882 à Evreux (Eure), journalier, non marié, trois enfants, 2è classe au 75è R.I., 7è Cie
Gontier disparaît le 4 avril 1916, au moment où sa Cie doit monter aux tranchées du Cgênois devant Verdun. Il est arrêté à Rouen le 15 septembre. Ramené le 21 septembre à sa Cie et enfermés aux locaux disciplinaires, il s’en évade, est arrêté de nouveau à Varrèdes (Seine et Marne) le surlendemain, sur dénonciation d’un patron de ferme à qui il demandait un hébergement. Il reconnaît la matérialité des faits et dit qu’il a voulu aller rejoindre sa maîtresse, mère de ses trois enfants, à Rouen qu’il savait malade et dans le besoin parce qu’elle ne touchait pas l’indemnité. Ses antécédents le perdent. Trois fois condamné au civil pour vol, il a déjà été convaincu d’outrages à supérieurs et coups et blessures (2 ans de prison le 1er juillet 1915) abandon de poste (4 mois) et à nouveau abandon de poste en présence de l’ennemi (5 ans de TP le 27 juin), Le capitaine Pierlot dans la mise accusation trouve l’occasion de se plaindre que les cas de récidive sont de plus en plus fréquents, trouvant par là un moyen d’encourager les juges à prononcer la peine la plus sévère, pour l’exemple. Gontier est condamné à mort par le CG de la 27è DI. Ni pourvoi en révision, ni demande de grâce. Il est fusillé à Châlons-Le-Vergeur par Bouvancourt (51) le 20 décembre à 8h.
Gontier disparaît le 4 avril 1916, au moment où sa Cie doit monter aux tranchées du Cgênois devant Verdun. Il est arrêté à Rouen le 15 septembre. Ramené le 21 septembre à sa Cie et enfermés aux locaux disciplinaires, il s’en évade, est arrêté de nouveau à Varrèdes (Seine et Marne) le surlendemain, sur dénonciation d’un patron de ferme à qui il demandait un hébergement. Il reconnaît la matérialité des faits et dit qu’il a voulu aller rejoindre sa maîtresse, mère de ses trois enfants, à Rouen qu’il savait malade et dans le besoin parce qu’elle ne touchait pas l’indemnité. Ses antécédents le perdent. Trois fois condamné au civil pour vol, il a déjà été convaincu d’outrages à supérieurs et coups et blessures (2 ans de prison le 1er juillet 1915) abandon de poste (4 mois) et à nouveau abandon de poste en présence de l’ennemi (5 ans de TP le 27 juin), Le capitaine Pierlot dans la mise accusation trouve l’occasion de se plaindre que les cas de récidive sont de plus en plus fréquents, trouvant par là un moyen d’encourager les juges à prononcer la peine la plus sévère, pour l’exemple. Gontier est condamné à mort par le CG de la 27è DI. Ni pourvoi en révision, ni demande de grâce. Il est fusillé à Châlons-Le-Vergeur par Bouvancourt (51) le 20 décembre à 8h.
Civils
Ben Mohammed
Abdelhafid (alias Gharziz) né en 1888 aux Ouled
Bou-Jahia, marié (à l’hôpital jusqu’en mars 1916 d’où le
renvoi sans date du procès initialement fixé au 20 janvier)
Ben Khelifa Ben
Ahmed Belkacem , né en 1885 (même lieu)
Ben Saïfi
Hanachi,1880, célibataire (même lieu)
deux autres prévenus
sont décédés entre temps à l’hôpital
civils
(« indigènes non naturalisés »), accusés d’avoir
dans la nuit su 3 au 4 mars 1915 au douar Taberdga commis un homicide
sue la personne de Brahim ben Athmane, et tenté d’en commettre
deux autres sur Mousselem Ben Athmane et Fathma ben Belkacem
(lesquels furent grièvement blessés à coups de bâton), et
frauduleusement soustrait 300 francs, des bijoux en argent, des
vêtements, du blé, de la farine, de la viande, du beurre, 28
moutons et 36 chèvres. Les trois, condamnés par le CG de la
Division militaire de Constantine le 13 avril pour meurtre,
tentatives de meurtre, vol qualifié concomitant,( recours en
révision rejeté le 26 mai 1916, rejet en cassation en juin, recours
en grâce rejeté le 27 juillet) sont finalement exécutés au Champ
de tir de Batna (Algérie) le 28 juillet à 4 h.
Abdelkader Ben
Aïssaoui Farah, né en 1871 à Ouled Oughat, cultivateur,
matié, 4 enfants
Il s’agir encore
d’un vol de deux brebis. Le 13 octobre 1915 Farah, son neveu et un
troisième complice ayant dérobé deux brebis à Zebroun Ahmed ben
Ziba, réveillèrent le propriétaire sa femme et son fils en
trébuchant sur un bidon de pétrole. Zebroun rattrapa le moins
aguerri des voleurs ; celui-ci appela son oncle à la rescousse,
lequel lui duit de se baisser et logea une balle dans la tête du
propriétaire. Puis les trois s’enfuirent abandonnant leur butin.
L’affaire fut
jugée par le CG d’Alger (révision rejetée le 26 mai, grâce
rejetée le 8 juillet), et
Abdelkader Ben
Aïssaoui Farah exécuté le 1er août 1916 à Affreville
à 6 heures. Rarement parade d’exécution n’aura été ordonnée
avec autant de détail depuis 1914, chaque détail du rituel étant
organisé, comme s’il n’existait pas d’exemplaire du code de
procédure dans ces contrées reculées. Déclaration ddu condamné
le jour de l’exécution : « Je suis innocent, je demande
à voir le hakéas (?) de L’Arba ».
Félicie Pfaadt, née
le 4 juin 1890 à Nancy, modiste à Marseille, célibataire, de
nationalité allemande (mère alsacienne) ou française, ce sera
partie des controverses afférant au jugement rendu par le CG de la
15è région.
Félicie Pfaadt est arrêtée le 15 décembre 1915.
Elle a été recrutée en mai 1915 par l’espionnage allemand, qui
lui a confié une première mission à Paris dont elle est venue
rendre compte en personne à Lörrach. Devant quitter la capitale sur
ordre de la préfecture, elle se transporte à Marseille, où elle
réside à la pension Benz fréquentée par des militaires, des
marins et un fonctionnaire du service frigorigène dont elle devient
la maîtresse. Elle peut ainsi renseigner l’Allemagne sur
l’appréciation par des gradés haut-placés sur la situation dans
les Dardanelles, la communauté grecque de Marseille, les relations
avec la Roumanie, l’envoi de troupes russes en Serbie, anglaises
vers les balkans, les mouvements du port -départ vers Salonique du
« Mossoul », armement des navires, conséquences du
torpillage du « Calvados »-, rapports pour lesquels elle
aurait reçu des sommes de plus de 8800 francs en six mois. Elle est
confondue par un agent-double appartenant au contre-espionnage
français qu’elle pense être membre de son réseau et à qui elle
confie un rapport rédigé en clair et des notes au crayon préparées
pour le suivant.
Tous les recours
épuisées, Félicie Pfaadt est exécutée à Marseille terrain de
manœuvres du Pharo le 22 août 1916, 5h30.
Aïssa Ben Bakhti
Sahri, né en 1881 à Douar Dehimat (département
d’Alger), jounalier, marié, sans enfant,
CG de la division
territoriale d’Alger (31 mai 1916), recours en révision rejeté le
7 juillet, pourvoi en cassation rejeté le 10 Août, jugé avec
Lassaoni ben Said Aouissi (gracié par le général Lartigue
commandant la division militaire d’Alger, 20 ans de prison) et
Zohra bent Mohammed Ghizali, deux ans de prison (inculpés
d’assassinat et vols qualifié, Mohammed Bouguera (condamné à
mort par contumace) ainsi que quatre autres indigènes prévenus du
recel des objets volés.
« Le 24
novembre 1915 un comporteur Kabyle Lokad rabah était assassiné et
dévalisé au Douar Boughzoul. On procédait immédiatement à
l’arrestatio n des assassins présumés qui firent des aveux
partiels. La plupart des objets dérobés étaient retrouvés dans le
gourbi de la femme Ghezali Zohra, Bouguera réussissant peu après à
s’enfuir. »
Seul
Sahri est exécuté à Boghari (Algérie) le 21 septembre 1916 à 17h
Félix Louis
Malherbe, né le 22 novembre 1875 à Cheverney (Suisse), charpentier
et électricien à Grand-Vaud
Prisme 1418 :Arrêté
par un commissaire spécial en gare de Troyes, le
4 mai 1915, Malherbe a
choisi très vite de tout avouer. Ayant avant son arrestation,
effectué 3 voyages en France, il a inondé le commissaire rapporteur
de ses confessions, détaillant comment il avait été enrôlé en
Allemagne et donnant des comptes rendus fouillés, heure par heure,
de chacune de ses activités en France, indiquant les personnes qu’on
lui avait prescrit de rencontrer pour leur remettre des instructions.
Chacune de ces révélations distillées dans le temps a entraîné
des filatures minutieuses et des enquêtes pour tenter de retrouver
les informateurs dénoncés, en pure perte d’ailleurs. Son dossier
est composé de 400 pages. Tant que le Bureau de Centralisation des
Renseignements a eu l’espoir de lui soutirer des informations de
qualité, il l’a protégé du jugement qui n’a eu lieu que le 12
mai 1916, un an après. L’annulation du jugement le 2 juin a été
suivi d’un deuxième procès concluant à nouveau à la mort. »
CG de la XXè région
(12 mai 1916 à huis-clos. Rejet en révision le 2 juin 1916, en
cassation le 13 juillet)
Fusillé àTroyes
(Aube) le 7 octobre 1916, 5h35 : dernière déclaration
consignée à 5h : « J’affirme de la façon la plus
absolue, que je reconnais, sans hésitation, le capitaine Montfront
pour être celui à qui j’ai remis un pli à Honfleur. Je jure
qu’il est coupable. »
Alexandre Armand
Pierre Rodeck (alias Proctor Charles Archibald; Perkins
Charles Williams), né le 27 décembre 1916 à Hambourg (Allemagne)
De cette affaire
d’espionnage complexe, Prisme
1418 a suffisamment rendu compte. On se fie à leur récit :
« Alexandre
Rodeck, arrêté le 15 janvier 1915 à Pontarlier,
sur indication de l’attaché militaire français en Suisse qui
l’avait détecté douteux, n’est jugé que 15 juin 1916.
A ce moment, il portait sur lui un passeport au nom d’un Anglais,
Sir Proctor, alors interné en Allemagne. Ce passeport n’avait pu
qu’être récupéré par les services allemands pour servir de
couverture à un de leurs agents. En dépit de cette preuve, Rodeck,
citoyen en réalité allemand, ne cessera, pendant des mois
d’inventer des fables, pour noyer le poisson. Ayant réellement
vécu à Valparaiso, mais aussi à Sao Paulo et en Grande Bretagne et
dans d’autres pays, ses dires successifs ont impliqué de lancer
des investigations chronophages dans ses divers pays. Quant à son
jugement, il reposait essentiellement sur la possession du passeport
anglais, mais, n’ayant effectué, depuis la Suisse qu’un voyage
éclair en France avant son arrestation, on ne put trouver sur lui la
preuve d’espionnage réel. Il faut ajouter que sa condamnation à
mort du 26 juin n’a entraîné son exécution que le 27 décembre,
quasiment 6 mois après. En effet son avocat civil a introduit un
pourvoi en révision qui a abouti à l’annulation du jugement du
Conseil de Guerre de Grenoble. Celui de Chaumont (21e Région),
chargé de le rejuger l’a à nouveau condamné à mort le 7 août.
Ce dernier a été de nouveau annulé le 29 du même mois. Le 3ème
jugement a eu lieu à Lyon le 26 septembre et cette fois, en révision
(10 octobre) et en cassation (16 novembre) il n’y a pas eu
d’annulation. La décision du Président de la République de «
laisser la justice suivre son cours » le 21 décembre, a déclenché
son exécution le 27 » à
Villeurbanne, butte de
tir de la Doua
le 27 décembre, 7h
De l’humanité – L’autre guerre :
Raymond Billiard -Bois en Y, 29 décembre 1916 :
« Ma propre
chronique est aussi pauvre que possible. Quand je t’aurai dit qu’au
froid a succédé une pluie tenace, ininterrompue ; qu’on se
promène des journées entières dans la boue liquide des tranchées
; qu’on travaille ferme, et qu’en fin de compte, notre vie suit
son petit cours tranquille, j’aurai épuisé tout mon stock de
nouvelles à sensations. A midi, au fond de ces forêts si denses, on
n’y voit goutte, et il faut avoir la lampe allumée. C’est un
petit inconvénient que nous leur devons ; mais je le leurpardonne,
tant elles embellissent notre secteur, qui est vraiment fort beau.
Ajoute, pour ta quiétude, qu’il est tout à fait calme. Ce n’est
pas qu’en certains points nous ne soyons fort près des Boches,
notamment au poste du Cerisier où nos réseaux et les leurs sont
enchevêtrés d’une façon assez incompréhensible ; mais le mot
d’ordre est : « pas d’histoires ! » Je n’en veux pour preuve
que la conversation qu’un de nos camarades, capitaine dans un
bataillon actif voisin, a surprise au microphone : c’étaient des
recommandations adressées aux mitrailleurs allemands :
« surtout ne soyez
pas agressifs ; n’ouvrez jamais le feu les premiers ! »
Comme, de notre
côté, les instructions ne diffèrent pas sensiblement de celles-ci,
tu vois que nous pouvons rester ainsi longtemps à nous regarder en
chiens de faïence ! »
Au Violu, septembre
– décembre 1916 : Gabriel Chevallier
« Plus tard, je
fais ma ronde. Ce ne sont partout que mamelons de terre molle. Tout
le monde travaille à découvert. La tranchée, à peu près nivelée,
est jalonnée par une ligne de terrassiers, qui ont posé à côté
d’eux leur fusil. A vingt mètres de nous tintent d’autres
pelles, et l’on distingue très bien des ombres penchées sur le
sol. Les Allemands travaillent de leur côté, cette partie du front
n’est qu’un chantier. Autant par curiosité que par bravade, avec
un sergent nous dépassons nos travailleurs de plusieurs mètres. Une
ombre allemande se met à tousser avec insistance, pour nous indiquer
que nous trichons, que nous allons franchir les limites de la
neutralité. Nous toussons aussi
pour rassurer ce
vigilant gardien, et nous revenonsvers les nôtres. Ces ennemis
qu’aucun retranchement ne sépare, auxquels il suffirait de bondir
pour surprendre leurs adversaires, respectent la trêve. C’est
loyauté ? N’est-ce pas plutôt égal désir, dans les deux camps,
de ne pas tuer davantage ? »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire