1916
Conseil de guerre en séance : Argonne 1916
Janvier
Auguste Oudet, né le 13 février 1888 à Dijon, manœuvre (corroyeur), célibataire) 1,66 châtain yeux marrons, nez fort, menton à fossette, soldat au 27è R.I., campagne contre la Tunisie 1909-11, relevé de punitions très fourni durant cette période, particulièrement particulièrement pour la malpropreté de ses effets, l'usage de chique et de tabac pendant le service, diverses plaisanteries, et seulement 3 courtes absences illégales, plus rien après la mobilisation ; cité à l'ordre de la brigade le 5 avril 1915, croix de guerre avec étoile de bronze.
Le 4 août 1915, jour où expire sa permission le soldat Oudent ne retourne pas à son corps où il sera ramené le 4 octobre par la gendarmerie de Couchey (Côte d'Or). Il quitte de nouveau son corps -en soutien de première ligne au bois du Caméléon- le 16 octobre, est ramené le 20 par la gendarmerie de Foulain (Haute Marne), s'éclipse de nouveau de Tahure du 3 au 24 novembre, où il est arrêté à Dijon. Quitte de nouveau sa compagnie devant le barrage dont il avait la garde et s'absente du 28 novembre au 13 décembre, arrêté à Châlons sur Saône. Il semble qu'Oudet était obsédé par l'idée de rentrer chez lui, et assez habile à chaque tentative puisqu'il réussit à rejoindre sa région d'origine.
Devant le CG de la 15è DI il est inculpé d'abandon de poste en présence de l'ennemi et désertion à l'intérieur en temps de guerre. La mauvaise foi des autorités militaires va jusqu’à rappeler deux condamnation pour vol datant de 1908 (des pommes? du pain?). Le caporal Tussier sous la garde duquel il avait été remis en novembre, a été cassé de son grade pour l'avoir laissé échapper. Oudet reconnaît sans aucune difficulté tous ses abandons de postes successifs, on ne s'intéresse pas à ses motivation. Pour le dernier il proteste qu'il n'était pas traité en combattant mais en prisonnier. Il est vrai qu'Oudet est arrivé au barrage sans arme (qu'on lui a remis un fusil tardivement) et que ses camarades avaient ordre de lui tirer dessus s'il le voyaient tenter de s'enfuir). Un témoin fait état de ce que sa fuite était préparée, car il aurait montré à ses camarades qu'il portait une tenue civile sous ses effets militaires, ce qui montre une belle inconscience, ou un complet je-m'en-foutisme assez conforme à ce qu'on peut imaginer de son caractère provocateur "vantard et menteur" tel que le décrit sa mère qui le pense dérangé depuis l'Afrique. Oudet, se présentant à chaque arrestation sous des identités différentes et prétendant appartenir à d'autres régiment que le sien, s'invente ainsi une maîtresse à Dijon (il dit aux gendarmes qu'il vit maritalement avec une demoiselle Borgne... dont il aurait deux enfants âgés de 2 et 3 ans. "Cet individu qui connaît tous les "bandits" de la région est certainement capable de tout. Il loge dans une espèce d cabane de sa fabrication dans une pépinière au bord de la Seine" constate le rapport de la police de Châlons). En fait ce n'est pas la gravité des faits qui lui sont reprochés qui condamnent Oudet, mais le ressentiment des officiers supérieurs qui préjugent tous de l'application de la peine capitale, mais comme l'exprime sans détour le chef de Bataillon Javel, le fait que "Les mauvais sujets estiment que leur camarade est un homme habile dont ils ne sauraient trop chercher à imiter les exploits." Oudet est fusillé à Villotte devant St Mihiel, 8h30 (55) le 8 janvier 1916, devant les deux Cies de mitrailleuses de la Brigade et un détachement du QG.
Dernier tour de passe-passe post mortem du soldat Oudet, qui l'eût sans doute fait bien rire, sa fiche de décès portant la mention "tué à l'ennemi", il est déclaré Mort pour la France.
Ben Tallah El Abasli Youcef Ben Ali, né à Bou Azam (Caïdat De Beja) (Tunisie) en 1887, soldat au 3ème B.M.Z.T. tué par une sentinelle le 12 janvier 1916 à Téteghem (59)
Jean Baptiste Chevalier, né le 27 novembre 1886 à Noyelles-Godault (62), mineur à Hénin-Liétard, soldat au 58ème B.C.P. passé devant le CG de la 122è DI le 12 juillet, est fusillé pour abandon de poste devant l'ennemi et refus d'obéissance à 7h du matin à la butte de Topci (Grèce) le 15 janvier 1916. Alors que sa Cie combat les Bulgares, Chevalier se réfugie dans un profond ravin. Retrouvé par deux supérieurs qui lui intiment l'ordre de remonter vers la crête qu'il était censé occupé, il gagne au contraire le village voisin où il est retrouvé le soir vers 19h.
Louis Papp, né le 15 août 1887 à Dunavecse (Hongrie), légionnaire au 1er rgt de marche du 1er étranger,
Le 28 septembre 1915, le légionnaire Papp se rend à la visite sans attendre l'appel de son nom, se précipite, excédé de n'avoir obtenu que deux jours d'exemption après la vaccination anti-typhoïdique sur le médecin aide-major Heurtel et lui crache par deux fois au visage -voilà pour les "voies de fait"- en s'écriant : "Tiens, saligaud, voilà pour les non-malades."(Les témoins ont entendu, toi saligaud, moi malade pourquoi mettre toujours non malade" Papp dément avoir dit "saligaud")
Condamné par le 1er CG de l'Amalat d'Oujda pour outrages par paroles envers un supérieur et voies de fait envers ce même supérieur pendant le service, Papp est fusillé à Oujda (Maroc) le 24 janvier.
Février
Fernand Marius Brun, né à Orange (Vaucluse) le 20 février 1895. Célibataire exerçant la profession de cultivateur à Arles (Bouches-du-Rhône).Incorporé le 17 décembre 1914 dans le 27ème B.C.A., il quitte le dépôt de Menton (Alpes- Maritimes) en avril 1915 et combat dans les secteurs vosgiens du Vieil-Armand, de Metzeral, du Linge. Son courage au feu vaut à Fernand Brun de recevoir la croix de guerre et d'être cité à l'ordre du bataillon le 5 juillet 1915: "A fait preuve d'un beau courage pendant les combats du 15 au 22 juin 1915 ; sans cesse aux créneaux, a mis hors de combat de nombreux ennemis. »
Mais le 18 décembre 1915, il est évacué du front pour un problème au genou. Trois jours plus tard, sous la pression des médecins, Fernand Brun reconnaît s'être injecté de l'essence de térébenthine sous la peau dans le but de se faire porter malade. Il est déféré le 1er février 1916 devant un conseil de guerre spécial du 27me B.C.A.
Interrogé, Fernand Brun ne peut que reconnaître les faits :
- Qu'est-ce que vous avez à dire pour votre défense ?
- Je regrette avoir commis cet acte d'indiscipline.
- Lorsque vous vous êtes piqué, saviez-vous que le bâtaillon devait participer prochainement à une attaque ?
- Non, on m'avait même dit que la compagnie devait redescendre à Thann.
- Quand vous êtes-vous piqué ?
- Je me suis piqué le 14 décembre au moment où la compagnie était remontée au camp des Dames.
- Comment vous êtes-vous procuré l'essence de térébenthine ?
- Je me suis servi de l'essence de mon briquet que j'avais rapporté de permission.
- Saviez-vous pendant combien de temps cette piqûre vous rendrait indisponible?
- J’ignorais pendant combien de temps durerait l'effet de cette piqûre.
- Depuis combien de temps connaissiez-vous le nommé Julien ?
- Je ne le connaissais que depuis deux ou trois jours lorsqu'il me donna la seringue.
- Est-ce tout ce que vous avez à dire ?
- Je regrette mon acte et demande à faire mon devoir comme par le passé.
Malgré de bons états de service, Fernand Brun est condamné à mort pour "abandon de poste en présence de l'ennemi par provocation de maladie ".
Il est fusillé le jour même du jugement, à 13 heures 30, dans une carrière située à cent mètres à l'ouest des anciennes usines Scheurer de Bitschwiller-lès-Thann (Haut-Rhin) ce 1er février 1916, âgé de 20 ans.
Aujourd'hui inhumé dans le carré militaire du cimetière de Bitschwiller-lès-Thann tombe N° 1, son nom ne figure sur aucun monument aux morts.
Eugène Durand, né le 6 novembre1890 à Saint-Denis, metteur en couleur, piqueur à la machine (1,63m, blond yeux bleu clair, visage long) soldat au 68e Régiment d'Infanterie, caporal à partir du 25 mai, cassé le 20 septembre. Cumulant un grand nombre de punitions -en diminution à partir de 1914- pour absences illégales en général de moins de 24 heures, ou divers motifs plus ou moins futiles, Durand jouit d'une très mauvaise réputation auprès de ses supérieurs qui le chargent en signalant que tous ses actes visaient à montrer qu'il se moquait de la discipline.
Le 22 janvier 1916 vers 14 heures, lors d'une matinée récréative destinée aux homme de son bataillon, Durand, puni, qui se trouvait dans le poste de police contigu (dont il s'était déjà absenté le matin à l'occasion d'une corvée pour aller boire), pénètre dans la salle de spectacle un gourdin à la main, se fraye un passage parmi les nombreux soldats et assène deux coups de bâton, l'un au bras, l'autre à la tête, sans mot dire au capitaine Terrier. Deux hommes saisissent Bonneau, ils sortent.
déclaration terrier (Louis Henri 25 ans, capitaine) : "Durand a demandé à me parler, les hommes qui le tenaient l'ont lâché, il est venu alors vers moi et m'a porté un coup de poing en maugréant des paroles que je n'ai pas comprises. La veille comme capitaine de de jour j'avais signalé l'absence de Durand qui était puni de prison au chef de bataillon. Il y a quelques temps j'avais déjà fait punir Durand" Il aurait dit au capitaine Terrier "tu m'a fait une crasse, tu vas me la payer" (déclaration Bonneau). La version du rapport est "crapule, je t'aurai". Durand est saisi par l'adjudant Bonneau qu'il traite de "vache" et de "propre à rien" avant d'être emmené, ligoté. Durand invoque la boisson comme excuse (mais les témoins le décrivent comme très légèrement ivre et conscient de ses actes) et ne se souvient pas des paroles quoiqu'il reconnaisse avoir porté les coups. Les recherches pour déterminer où et quand Durand s'est procuré le gourdin demeureront vaines.
De la correspondance et d'une déclaration ultérieure, on apprend que Durand se disait lui-même très déprimé depuis septembre 1915, ayant appris coup sur coup la mort de son frère et celle de la petite fille qu'il avait de sa concubine.
Accusé de voies de fait envers un supérieur à l'occasion du service et outrages par paroles et menaces envers deux supérieurs à l'occasion du service, Durand est condamné à l'unanimité à la peine de Mort par le CG de la 17è DI. Il est fusillé le 13 février 1916 à7 heures à Hersin-Coupigny (Pas-de-Calais)
Eugène Joseph Albaud, né le 26 août 1880 à Keryado (Morbihan), terrassier à Etampes, soldat au 315è R.I.
A La Neuville au Pont, le 20 janvier 1916, vers minuit, le caporal Vilain, dans la cave où cantonne sa section, est réveillé par le bruit de conversations entre les soldats Diard et Albaud. ("J'ai aperçu Albaud à genoux auprès de Diard et ce dernier avait allumé sa bougie. Je ne sais pas ce qu'ils faisaient tous les deux; je crois qu'Albaud apprenait à Diard à parler Breton") Selon le témoignage de Diard, ils partageaient un pâté qu'il avait reçu d'un colis le matin-même et en accompagnement duquel Albaud avait fourni un litre de vin en sa possession. Le caporal leur dit d'aller se coucher. Diard (à ses dires, contredit par le témoignage de Vilain) obtempère, mais au lieu d'observer l'ordre, Albaud réveille Beausire, et lui demande s'il veut boire un coup. Ce dernier acceptant, Albaud monte aux cuisines et en rapporte quelques tranches de beefsteak cru, le couteau de cuisine qui a servi à les découper et deux bidons de vin qu'il offre bruyamment, réveillant toute la demi-section. Le sergent Bléchet, chef de chambrée lui dit : "Je vous prie de vous taire, vous empêchez vos camarades de dormit". Albaud, saisissant le bidon de deux litres de Beausire qu'il brandit à main droite, saute à califourchon sur le sergent Bléchet, l'empoigne à la poitrine, le secoue violemment en disant : "Sacré coquin! Je veux que tu me tutoies. Je ne te lâcherai que lorsque tu m'auras tutoyé.. Je veux aussi que tu me demandes pardon!.. que tu me serres la main. Et de bon cœur encore!" Le gradé, effrayé, obtempère. Devant la stupéfaction des soldats qui n'ont pas bougé, le caporal Vilain essaye, sans y parvenir de dégager son chef. Dès qu'Albaud le lâche, espérant que la scène est finie, il lui ordonne d'éteindre la bougie. Albaud s'approche de lui, dit "Vous, vous n'êtes pas assez malin pour éteindre la bougie!", lui arrache ses couvertures et engage la même scène de lutte que précédemment, sauf que cette fois, le sous-officier saisit Albaud à la gorge, et passant par dessus son agresseur, réussit à le dominer un instant. L'altercation ne devait pas être si violente puisque c'est à ce moment-là que Diard sort uriner. Il croise dans l'escalier en revenant le caporal Vilain qui lui dit "Je n'en puis plus, allez le tenir un moment"... Diard découvre Albaud accroché aux jambes du sergent Bléchet qu'il tente de renverser et d'immobiliser au sol ("Albaud revint à son tour sur moi et me rejeta par terre sans me faire trop de mal".)
Diard et Beausire permettent au sergent de s'enfuir. Ils rapportent aux cuisines la viande "empruntée" par Albaud et le couteau. Resté seul dans la cave avec trois hommes couchés qui souffrent des suites d'une vaccination récente, Albaud saisit un fusil, le charge, manipule la culasse et déclare qu'il tirera sur le premier gradé qui franchira le seuil. Comme personne ne se présente, Albaud passe sa colère sur les affaires des gradés. Il vide leurs sacs, casse les cadres en bois, fouille les capotes, remplit de ce qu'il y trouve les brodequins neufs touchés la veille par le caporal Vilain et sort les jeter dans un puits. Albaud est arrêté vers la fin de la nuit, sur ordre du lieutenant commandant la compagnie que Bléchet est allé prévenir.
C'est l'occasion de se débarrasser de la terreur de tout le 315è, comme le sous-entend le rapporteur, rappelant que le 25 septembre, le Lt Polinière avait supplié son commandement de changer Albaud de compagnie, afin de ne pas l'avoir dans la tranchée au moment de l'attaque, craignant un coup de fusil dans le dos. (Rapport Polinière, après qu'Albaud s'en soit pris violemment à un soldat de son ancienne escouade "si je ne m'en souviens pas c'est que je suis abruti ; du reste je suis tellement malmené à la compagnie que ce n'est pas étonnant" "Qui vous malmène?" "Vous, mon Lieutenant, et je crois que vous êtes en train d'abrutir la Compagnie") Il recense aussi les condamnations, au civil pour rébellion, vol, et celle militaire la plus récente pour abandon de poste.
Albaud est fusillé le 14 février 1916 à Chaudefontaine (Marne) à 8 heures, noté : suicide.
Suicide singulièrement assisté alors :
Alfred Mathieu, mineur à Monceau-les-Mines, cannonier servant du 114è Rt d'artillerie lourde, né le 21 mars 1879 à Saint-Symphorien-des-Bois. Quelles que fussent les motivations de Mathieu, avec lui, la terreur change de camp.
Le 17 octobre 1915 le soldat Mathieu, alors canonnier à la 12e batterie du 1er Régiment d’artillerie de campagne, a refusé d’écouter le maréchal des logis Flamand qui voulait lui interdire de continuer à boire et l’a insulté. Convoqué chez le capitaine pour entendre ses explications il arriva " excité, débraillé, malpropre, déboutonné et les 2 mains dans les poches ". Mathieu répondit avec insolence aux remarques du capitaine déclarant : "je veux bien travailler mais je veux pas qu’on m’emmerde". Il refusa violemment de suivre les 2 sous-officiers chargés de le conduire en prison en disant : "je m’en fous, j’ai faim, je ne veux pas qu’on me laisse crever". Maîtrise par plusieurs soldats, il se laissa conduire mais en proférant des menaces. Pour ces faits, le soldat a été inculpé d’outrages par paroles, gestes et menaces à l’occasion du service et de refus d’obéissance sur un territoire en état de guerre et traduit devant le Conseil de Guerre le 25 novembre 1915 qui l'acquitte. On le change de régiment, mais la punition n'est pas levée pour autant.
Le 4 décembre 1915, le lieutenant Bernardot qui commandait sa section lui signifie que la punition attendue est arrivée et qu’elle est de 60 jours de prison dont 15 de cellule. Le lieutenant lui a indiqué qu’il avait jusqu’à 13h00 pour entrer en prison. Le lieu de détention prévu par le lieutenant était une baraque en toile dans un bois mais comme le disait Mathieu : "cela me privera de vin et de tabac". Peu avant 13h00, le maréchal des logis Bouchoux alla chercher le soldat Mathieu dans son cantonnement, celui-ci lui demanda de parler au lieutenant Bernardot. Bouchoux acquiesça, partit chercher le lieutenant qui revint avec deux autres officiers. Soudain, une détonation retentit, le lieutenant Bernardot s’effondra comme foudroyé. Mathieu menaça de mort quiconque s’approcherait en particulier l’adjudant de la section. Puis Mathieu s’enfuit voyant les soldats s’approcher tout autour. Poursuivi, Mathieu tira sur les soldats qui l’encerclaient, tenta sans beaucoup de succès de se suicider en se tirant une balle dans la mâchoire et se rendit. Sa blessure retarda la procédure de quelques semaines.
Dans sa déposition, le maréchal des logis Bouchoux confirma les événements. "Je suis allé chercher Mathieu qui m’a dit vouloir parler au lieutenant, j’ai répercuté à l’adjudant qui m’a dit d’aller rendre compte au lieutenant". J’ai trouvé ce dernier avec 2 officiers qui m’a dit : "ça va bien, je le verrai". Arrivés sur place avec les 3 officiers, j’ai entendu un coup de feu et vu le lieutenant s’effondrer. A ce moment, j’ai aperçu Mathieu qui rechargeait son arme, je me suis avancé en lui disant : "vous êtes fou"et celui-ci répliqua : "il y en a pour tous, sauve-toi parce que si tu avances, il y en a une pour toi". Sur ce, je suis allé prévenir la garde de police". Mathieu a reconnu avoir voulu tuer le lieutenant Bernardot pour se venger des sanctions prises contre lui.
CG du QG du 14è Corps d'Armée : Le 19 février 1916 à 6h30 du matin, le soldat Mathieu a été fusillé pour assassinat à Champagney dans la Haute Saône.
Jean Dulaurans, d’Arbanats, né le 13 novembre 1895 à Virelade (33), soldat au 126ème R.I. a été exécuté parce qu’il était peu actif à son retour de permission, le 18 janvier 1916. Au lieu de rejoindre directement les tranchées, avec deux de ses camarades, il a traîné deux jours à Hermaville (Pas-de-Calais). Accusés d’avoir désobéi, les trois hommes ont été traduits devant le conseil de guerre qui les a condamnés à mort pour "refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi"
"Si j’ai refusé d’obéir c’est parce que j’étais fatigué et me sentais incapable de monter aux tranchées. Je regrette la faute que j’ai commise, je ne pensais pas que c’était grave. Il a été fusillé le 22 février 1916 à Hermaville (62). Il avait 20 ans. Pour la législation de l'époque, il n'était pas majeur.
Jean Faucher, né le 1er juin 1889 à Limoges (87) Soldat au 126ème R.I. Conseil de guerre : 24ème D.I. Fusillé le même 22 février à Tilloy-Lès-Hermaville (62). Le rapport d'autopsie signale que pour aucun des deux le coup de grâce n'a été nécessaire. Le 3è homme, Henri Smaghe n'a été condamné qu'à 6 ans de travaux publics, sans doute parce que, quoique considéré comme passif, il rendait service en tant que guetteur et creuseur aux tranchées.
René Auguste Erman, né le 8 novembre 1888, ébéniste de son état.
Fusillé à Chaudefontaine, (51) âgé de 27 ans au motif de refus d'obéissance en présence de l'ennemi. (grâce refusée)
Déjà puni de 7 ans de travaux publics, peine suspendue, il traîne une mauvaise réputation : bagarreur, hygiène déplorable ; son chef le capitaine de Grossouvre, cité comme témoin, insiste sur le fait qu'Erman était ivre "gesticulait et faisait du tapage, suivait très mal la compagnie... et même la quitta.
Le lieutenant prévenu donna à Erman l'ordre formel de suivre. Il refusa catégoriquement en disant : "Jaime mieux qu'on ne flanque une balle dans la peau".
La justice militaire exauce son vœu le 23 février 1916.
Invoquer l'ivrognerie comme explication aux actes délictueux est une pure hypocrisie : le commandement faisait en sorte que le vin ("le saint Pinard" disait-on) soit copieusement fourni aux soldats afin de les encourager à monter en première ligne. L'eau manqua, parfois la nourriture (l'état major laissait pourrir le blé dans les fermes), le vin jamais. Les débordements liés à sa consommation sont le revers d'une addiction entretenue par les chefs. Ne désignait-on pas déjà au 19è siècle les populations laborieuses comme un ramassis de criminels et d'ivrognes?
distribution de vin 1915
Mars
Maximilien Roux, né le 9 janvier 1893, cultivateur,23 ans, fusillé à Wanquetin, (62) le 2 mars 1916 pour "pillage commis en armes, en bande, à force ouverte"Le pillage jugé le 1er mars 1916 (motif rarement sanctionné en conseil de guerre) de 6 sapeurs du génie, à l'initiative de Maximen Roux et Antoine Fabre qui avaient découvert dans un café d'Arras (leur cantonnement) fermé et barricadé, une cave où se trouvaient empilées un grand nombre de bouteilles de vin et d’apéritif. A la nuit tombée le 16 février, ils se retrouvaient à proximité du café, l’un deux, à la surprise des autres, était venu avec son arme. Très rapidement, on se mettait à l’œuvre pour déclouer les planches qui empêchaient d’entrer dans les lieux. Un chien s’étant mis à aboyer, le porteur de son arme tirait et le tuait. Entre temps, protégé par deux hommes de guet, les 3 autres descendaient dans la cave et entreprenaient de remplir les sacs qu’ils avaient apportés pour emporter les précieux liquides. En plein travail, ils étaient prévenus par les guetteurs d’arrêter et de se cacher car une patrouille de gendarmes arrivait. Les guetteurs s’enfuyaient alors et rentraient à leur caserne par un trou reconnu dans le mur d’enceinte, causé par un obus. Conscient d’avoir laissés leurs camarades dans de sales draps s’ils étaient découverts, ils décidaient, réflexion faite, de revenir sur place, une fois les gendarmes passés et prenaient au passage leurs carabines.
Mais une fois revenus sur place, surpris par l’arrivée d’une autre patrouille, ils protégeaient la fuite de ceux sortis de la cave en tirant sur les gendarmes d’après le compte-rendu de ces derniers. A l’instruction, on se rendit compte qu’on avait affaire à des hommes jamais condamnés, très appréciés de leurs supérieurs. Encore à cette époque de la guerre, le recrutement régional se faisait sentir. Les 6 avaient pour lieu de naissance Castelsarrasin, Figeac, Rocamadour, Marmande, St Gaudens, Villemur près de Toulouse, cultivateurs et pour l’un facteur de village.
Seul parmi les 6, Roux, convaincu d'avoir tiré n'obtint aucune circonstance atténuante. Fabre écopait des travaux forcés à perpétuité (sa peine réduite il sera renvoyé au front sur la demande de sa femme), Maupomé de 10 ans de travaux forcés. Les comparses sans armes Lafitte, David, Canal, étaient frappés respectivement de 2 ans, 2 ans et 5 ans de réclusion.
Malheureusement pour Roux, les juges refusèrent globalement de signer le recours. La présence parmi les juges du capitaine de gendarmerie prévôt de la 34e DI, a-t-elle pu jouer pour réclamer la fermeté suite à une agression caractérisée contre des gendarmes ? Dès le lendemain du jugement, le 2 mars, Roux était fusillé. Les 5 autres, dont Fabre et Maupomé, après la parade de la dégradation militaire, étaient dirigés vers leurs lieux d’emprisonnement.
Paul Émile Lebrun, né le 25 septembre 1881 à Aubervilliers, terrassier à Paris, soldat au 347è R.I. On ne possède malheureusement que les minutes du jugement devant le CG de la 52è DI : inculpé d'ivresse publique et manifeste, d'absence de poste en temps de guerre aux armée en état d'ébriété, double abandon de poste, outrages à supérieur (caporal Wilde), outrage à l'armée (atteinte à l'honneur et à la considération de l'armée française et de ses chefs) refus d'obéissance et de rébellion envers la force armée, commis le 9 janvier 1916. Jugé coupable à l'unanimité sur les 13 questions posées au jury . Fusillé au carrefour de Bouzy Bouzy (51) à 6 h du matin) le 3 mars 1916 (frais 12,80 francs)
On en sait encore moins de Aït Ben Ahmed Abdallah, 15è compagnie de tirailleurs marocains, dont il ne reste que la fiche de décès à Verdun, Bois de Sartelles (55) le 3 mars. Sur la ligne genre de mort est indiquée la mention suspecte "par coup de feu", au-dessus de laquelle une autre main a ajouté "FUSILLE pour meurtre".
De même pour Jean Marie Prébet, né le 15 juillet 1888 à La Ricamarie (42), appartenant au 23è R.I. Saint-Dié des Vosges (88) fusillé le 14 mars, selon sa fiche de décès "fusillé pour abandon de poste devant l'ennemi"
Albert Croizé, né à Canny-sur-Thérain le 22 avril 1879, domestique à Compiègne, soldat au 103è R.I. Pour l'époque avec ses 1,81m ce brun aux yeux bleus est un géant. Il porte sur l'abdomen des cicatrices de blessures faites par arme à feu, et au bras droit un tatouage de fleur et la mention Campagne d'Afrique.
Les choses se présentent mal pour le soldat territorial Croizé, ex-légionnaire (connu dans ce corps sous le sobriquet de Van Dyck).
Le 29 septembre 1914, Croizé, sorti du quartier après l'appel du soir est intercepté " en état complet d'ivresse" à la gare de Saïda causant du scandale par un officier qui lui ordonne de suivre la patrouille, au lieu de quoi il s'enfuit. Rrpris quelques instants plus tard il s'écrie : "Les chefs, je les emmerde tous, depuis le colonel jusqu'au plus bas ; ce sont tous des tous des saligauds, des propres à rien et des vaches... Il vaudrait cent fois mieux servir dans une armée étrangère que dans cette sale armée française!" Et en tentant de frapper le chef de patrouille : "je vous connais bien, nous nous retrouverons plus tard". Devant sa résistance les hommes l'emmènent de force. Il est condamné par le CG d'Oran à un an de prison, peine suspendue, muté à Compiègne en mars 1915.
Lors de son arrestation, il lui est reproché d'avoir porté illégalement la Croix de Guerre et deux médailles coloniales, Maroc et Madagascar, qu'il dit avoir reçues en 1914 et 1908 mais sous le nom de Van Dyck. Dans le même interrogatoire (officieux) il avoue que ce n'était qu'une plaisanterie, et qu'il n'a jamais été décoré. Croizé est d'ailleurs titulaire d'un relevé de punition très chargé, plusieurs vols, nombreux coups et blessures à civils et militaires du rang, destruction et dissipation d'effets militaires, ivresse (31 fois), immoralité (21 avril 1905 "a fait à un jeune soldat des propositions en vu de pratiquer des relations homosexuelles"), au total 1136 jours de prison, 259 de cellule. En dehors de quoi le dossier d'instruction se révèle très incomplet, se résumant à quelques notes d'audience lors de son passage devant le CG de la 7è DI.
On l'accuse d'avoir déserté du 7 au 19 janvier, puis du 18 au 22 janvier (les deux fois à l'intérieur, mais en temps de guerre) et d'avoir porté quand il est arrêté pour ivresse et tapage à la Gare de l'est à Paris une capote parée des insignes de sous-lieutenant qu'il dit tenir d'un soldat rencontré à Nancy. Quant aux désertions, il cherchait à rejoindre la Légion, seul corps où ils veuille servir.
Fusillé, devant des délégation réduites de 3 régiments le 3 mars 1916 à l’âge de 26 ans à 8h Chaudefontaine (Marne).
Pierre Marie Serre, né le 9 avril 1887 à Saint Christo en Jarez (Loire) chasseur 11è Bataillon de Chasseurs alpins.
CG spécial du 11è BCA, rapport a posteriori: "Le 15 mars 1916 le chasseur Serre Pierre Marie qui était légèrement pris de boisspn se prenait de querelle avec ses camarades d'escouade qu'il frappait à coups de couteau, ainsi qu'un sieur Grandclaude qui voulut intervenir. Le caporal Corneloup son chef d'escouade essaya de le calmer et voulut le rappeler à l'ordre. A ce moment le chasseur Serre se précipita sur lui et lui porta au bras gauche un coup de couteau. Les Chasseurs Cotte et Bardoneuf furent également blessés à l'épaule, l'autre à la lèvre et sieur Granclaude à la [illisible] au genou et à la main. Le chasseur Serre est un maubais sujet qui s'adonne à la boisson, violent, brutal avec ses camarades, indiscipliné a été traduit devant le conseil de guerre spécial du Rgt qui l'a condamné à la peine de mort."
A l'envers sur la même feuille, la fin des notes d'audience :
« L’accusé n’est pas totalement responsable, il a agi à l’influence de la boisson. - il était à jeun, le repas est consommé à 7h du soir, il n’a eu qu’un quart de café- après il a trinqué avec ses camarades et il a eu une crise ----- 16 mois de front. 1 blessure"
Rédigées à la va-vite elles font état d'un incendie (aucune preuve) et de coups de couteau que Serre aurait porté à son frère (il dément). Des notes plus complètes semblent avoir été rédigées également à postériori, on y apprend que Serre a été condamné à mort pour éthylisme incurable, qu'il a probablement mis le feu au baraquement du lieutenant André
Témoignage d'Honoré Coudray dans "Mémoire d'un troupier" : "15 mars. L’après midi devait être marqué d’une sale histoire. Voilà qu’un chasseur d’une Compagnie nommé S(erre) ayant bu plus que de raison cherchait querelle à ses camarades et en a blessé plusieurs, oh légèrement, à coups de couteau. Le commandant vient à passer et veut mettre de l’ordre, mais S(erre), aveuglé par la boisson, le bouscule. Immédiatement, réunissant quelques officiers, il appelle cela une cour martiale, pérore un instant, sort l’article X du code militaire et, juge unique et inique, s’appuyant sur sa seule autorité branlante, il condamne gracieusement S(erre) à mort…Qu’a fait cet homme ? Ivre, donc en partie irresponsable, il a frappé ses camarades et heurté le commandant. Il méritait une sévère punition, mais n’ayant tué personne, il est difficile de trouver la raison de ce châtiment. - 16 mars. Ce matin à la pointe du jour, le peloton d’exécution a fait passer le malheureux S(erre) de vie à trépas, et l’on n’a pas oublié l’odieux coup de grâce dans la tête de cet infortuné".
Ordre: "les hommes punis de prison assisteront à cette exécution." Fusillé à Anould, (88) au carrefour du Calvaire le 16 mars (28 ans).
Edmond Paul Faviez, né le 20 février 1885 à Lille, forain (imprimeur?),1,62m cheveux et sourcils roux clairs, yeux bleus, soldat 2è classe au 73è R.I.
CG de la 2è DI, audience du 18 mars 1916, condamné par 3 voix contre 2!
Notes d'audience : "Le 25 février 1916, déjà, j'étais malade en descendant des camions-autos qui nous avaient emmenés à Verdun. On nous conduisit d'abord à la caserne Belleville ; nous n'y restâmes pas longtemps. Bientôt le bataillon partait pour la caserne Marceau où on disait qu'il allait cantonner. Je me suis traîné à la suite de ma Cie, jusqu'au moment où je suis tombé sur le bord de la route, exténué. La fièvre que j'avais m'a immobilisé toute la nuit. Au jour, je n'ai plus retrouvé mon bataillon. Comme j'avais perdu mon équipement lorsque je l'avais déposé pour me soulzger, au moment du bombardement, je n'ai pas osé rentrer à mon Corps, et j'ai erré 15 jours.
Fleury, soldat du 73è: (...) Je savais que Faviez n'était pas valide, mais je n'ai rien remarqué dans son état ce jour-là.
Sergent Dubar : J'avais Faviez sous mes ordres depuis trois mois ; c'était un bon soldat."
Cessons là pour ne pas accabler les hypocrites qui réclamèrent l'exemple.
Passé par les armes à Rosnes (55) -et non Resnes comme on le trouve sur les documents du Ministère, à se demander si les dossiers sont vraiment lus...- le 19 mars 1916, 7h.
Jean Baptiste Gustave Hordé né le 8 février 1885, maçon. Soldat au 108e R.I. - 8e Cie. Abandon de poste en présence de l'ennemi (désertion en temps de guerre). Fusillé à 5h15 au Bois du Gard à Breteuil (60) le 22 mars 1916
Charles Francis Fournerie né le 4 novembre 1889. Fusillé à Breteuil (60) à l'âge de 26 ans le 22 mars 1916
Condamné une première fois le 10 mars 1915 à cinq ans de travaux publics pour désertion à l'intérieur.
Le 28 janvier 1916, profitant de l’obscurité, Fournerie, montant avec sa compagnie en première ligne, se dissimulait et partait pour l’arrière. Deux jours plus tard, le dépôt de son régiment, le 126e RI, à Brive signalait qu’il venait d’arriver et de se constituait prisonnier. (Les 4 autres qui ont abandonné leur poste ont eux aussi, dans les jours qui ont suivi, ont rejoint leur corps volontairement.)
Rapport du lieutenant Seurin : "Ramené au front par la gendarmerie, le Soldat Fournerie explique ainsi son geste: "J'ai peur du canon, j'ai beau faire tous mes efforts pour surmonter cette peur, je ne puis y parvenir. Le 28 janvier, j'avais d'autant plus peur que nous allions occuper un secteur qui avait été attaqué par les bombes quelques jours auparavant. Je n'ai pas eu le courage de suivre la Compagnie." Le rapport préconise que le soldat soit jugé pour "abandon de poste sur un territoire en état de guerre, dissipation d'armes, munitions, et autres effets remis pour le service. La requalification par le Colonel dirigeant le CG en désertion "en présence de l'ennemi" vaut au soldat Fournerie la condamnation à mort.
Henri Sevré, né le 15 février 1885 à Paris 19è, camionneur, 1,65m, châtain aux yeux gris, visage long, 2è classe au 17è R.I.
Condamnations antérieures : 1er octobre 1904, 3 mois de prison avec sursis pour vol ; 1er avril 1906 18 mois de prison et 5 ans d’interdiction de séjour pour complicité de vol ; 31 mai 1911 6 mois de prison pour outrages, rébellion et infraction à l’interdiction ; 7 février 1912, 6 mois pour infraction à l’interdiction (Reims) : 5 janvier 1914 15 jours de prison pour port d’arme prohibée : 13 mars 1914 6 mois de prison pour vol ; 9 décembre 1915, CG de la 13è DI, 3 ans de prison pour abandon de poste sur un territoire en état de guerre.
Le 21 février 1916, vers 15 heures, le soldat Sevré pris de boisson aperçut le caporal Antoine Gaudy dans une rue du cantonnement à Yvrencheux. Se dirigeant vers lui il demanda « Payes-tu un litre ? », et sur le refus de ce dernier le gifla. Tirant une baïonnette qu’il tenait cachée sous sa capote il en porta un coup au caporal qui, ayant le réflexe de reculer ne fut que très légèrement blessé au ventre. Sevré essaya de frapper une seconde fois mais le caporal s’enfuit et fut poursuivi sur une trentaine de mètres. Il est conduit en prison. Le 23 février, vers 20h30 au poste de police de Frévillers, un réduit aménagé dans un grenier, il récidive sur la personne du sergent Gilbert. Après être parvenu à s’esquiver à l’occasion du changement de garde, ayant été rattrapé dans un débit de boisson où il avait été signalé, Sevré apparaît au bas de l’escalier, devant Masson qui lit, auprès de Barbolozi et du sergent Gilbert qui se réchauffent près de la cheminée, et demande : « Qui est-ce qui s’appelle Gilbert ? » en saisissant un fusil armé de sa baïonnette qui reposait contre le mur. Gilbert crie « Aux armes », allonge un coup de poing pour se défendre. Les deux autres, aidés de quelques renforts le maîtrisent. Sevré se laissa sagement reconduire dans son alcôve et dort jusqu’au lendemain. Il prétendra ensuite ne se souvenir de rien, et n’avoir connaissance des événements que par ce qu’on lui en a raconté. Il exprime des regrets. Aucun des trois témoins ne dit avoir constaté qu’il avait bu. Selon le sergent Gilbert, l’incident serait survenu après que Sevré lui ai demandé de lui accorder la permission de sortir en ville, ce qu’il ne pouvait faire.
La gendarmerie de la 13è DI rapporte que 12 mars « une rixe s’est engagée à la prison du QG entre les détenus Philippe et Sevré… Ces deux détenus se frappaient réciproquement à coups de pied et de poing… De l’enquête faite pour connaître les causes de cette rixe, il résulte que le soldat sevré, entré à la prison dans la soirée du même jour, a cherché dès son arrivé à jeter le trouble parmi les autres détenus et c’est en traitant le soldat Philippe de gourmand [?] que cette rixe s’est engagée. Le soldat Sevré a été provisoirement enchaîné pour éviter le retour de semblables faits. »
Lors du CG de la 13è DI, séance du 4 mars, les témoins Alexandre Gilbert (sergent) Gaston Masson et Barbolozi Jean-Baptiste n’ont pu être entendus les deux premiers ayant été tués les 8 et 9 mars, le dernier, blessé le 8 mars ayant été évacué.
Sevré est fusillé à Naives-Devant-Bar (55) le 25 mars à 6h avec parade, en présence de plusieurs bataillons des 20è et 21è BCP
Albert
Louis Lucien Breton, né le 22 mars 1885 à Vendôme
(Loir-et-Cher), 2è classe au 3è Régiment de zouaves, tué à Soukh
Ahras (Algérie), le 25 mars n’est connu que par sa fiche de
décès :
Avril
Jacques Gauthier, né le 5 août 1877 à Peyrilhac (Haute-Vienne), cultivateur, peigneur de chanvre à Château Ponsac, 2è classe au 327è R.I.
Arrivé eJacques Gauthier,n renfort provenant du dépôt de Guéret, à la 23è Cie du 327è le 13 janvier 1916, Gauthier se présente à la visite le 16, se plaignant du pied (il a déjà été évacué une première fois pour entorse du poignet provoquant des gonflements du bras au moindre effort. Le lendemain il revient se plaignant du genou, effectivement « rouge, tuméfié, globuleux, dune température anormale ». Evacué sur l’hopital n°6 au motif d’ « Arthrite ? » il est incisé par les docteurs Alison et Moran qui remarquent a forte odeur de pétrole s’échappant du pus et du sang.
Jusque devant le CG de la 51è DI, Gauthier s’en tient à sa version peu vraisemblable. Un jour qu’il étendait du linge, au repos à Vadelincourt, à 14 km de Verdun, il aurait rencontré un civil qui, le voyant boiter lui propose un moyen infaillible de soulager son rhumatisme, par une injection de pétrole. « Si j’ai dit d’abord que je ne m’étais fait aucune injection et que je m’étais frotté avec du pétrole pour chasser les poux, c’est que j’avais honte de penser, qu’en voulant me faire du bien et me guérir, j’avais réussi à me faire du mal et à risquer de me faire crever.
Témoins cités : néant. »
Auguste Ghys, né le 29 mars 1896 à Paris 6è, blanchisseur à Paris 15è, 1,50m, châtain aux yeux gris front incliné, visage long, cavalier au 11è Rgt de hussards
Extrait de la réponse (négative) à la demande de réhabilitation présentée devant le tribunal d’Orléans le 20 mai 1938 : « Le 19 janvier 1916, Ghys se fait porter malade. Il se plaint d’un gonflement subit du genou. Admis à l’infirmerie, il est évacué, le 20 sur l’H.O.E.6 : le médecin aide major de 1ère classe Alison, constate, après incision, qu’il sort du genou du malade, du pus à odeur de pétrole et envoie Ghys à l’hôpital militaire de Verdun. Ghys est opéré aussitôt à cet hôpital ; les mêmes constatations sont faites par les chirurgiens ; il les confirme par ses aveux. L’injection de pétrole aurait été pratiquée avec l’assistance d’un de ses camarades, le chasseur Campet… Malgré une information approfondie, la complicité de Campet n’a pu être établie. Il paraît bien certain aussi que Ghys était tombé dans un clan de militaires cherchant les moyens de se rendre indisponibles : un certain brigadier Toureau [Edward, au civil coiffeur] a joué, dans l’affaire, un rôle assez peu reluisant ; mais l’information ...a permis au Commissaire-Rapporteur d’écrire, en ce qui concerne Toureau : « qu’à aucun moment il n’a essayé d’en prévenir l’exécution, et qu’il s’est volontairement abstenu de donner à Ghys, plus jeune que lui, un avertissement ou un conseil affectueux de nature à le détourner de sa détermination criminelle : mais cette complicité passive est une complicité morale qui ne tombe pas sous le coup de la loi pénale. » [Aurait-on sous un prétexte spécieux évité de condamner un gradé?]
Reste le mobile qui a pu prédisposer Ghys à l’action. Ghys revenait de permission. Il a d’abord déclaré avoir agi après un « coup de cafard ». Cependant un témoin a reçu ses confidences… Ghys avait eu, au cours de sa permission , des relations intimes avec une jeune femme alliée de sa famille [sa belle-sœur] … Ghys a lu une lettre qu’il avait reçue, toute pleine d’expressions témoignant du désir de cette femme de le revoir. C’est là peut-être qu’il faut chercher le secret de ce « cafard terrible », de cette tentation, de cette volonté, enfin, de se mutiler pour rejoindre sa maîtresse. »
Dans cette affaire encore, il semble que les véritables instigateurs s’en soient tiré sans tomber sous le coup de la justice.
Extraits des Notes d’audience : « C’est à Argé que j’ai eu les premières conversations avec [Marius] Campet ; il m’a indiqué plusieurs moyens pour se faire évacuer ; »
« Il accusait, toutefois, avec une énergie extrême, avec une véhémence frémissante, le cavalier Campet, qui fait fonction de cordonnier au 9è escadron, d’avoir été son complice.C’est Campet qui, dès le mois d’octobre 1915, alors que le 11è hussard cantonnait à Argé, dans la Marne, lui avait donné les moyens de se mutiler, pour se faire évacuer : il lui avait parlé d’application de linges mouillé, sur la poitrine, pour provoquer une bronchite, d’absorbtion de feuilles de papier à cigarette pour imiter le bruit des râles dans les poumons. »
« Il m’ a indiqué dès cette époque le coup de la seringue. Je n’en avais pas et ne pouvais m’en procurer (…) Je suis allé en permission à Paris en janvier, je n’ai pas pensé à cela, pendant ce temps. En revenant, j’avais le cafard, je l’ai dit à Lepan : j’ai dit que j’avais un truc pour me faire évacuer. Campet est venu, on a continué à parler de cela. Quelques jours après, Campet m’a dit : « Va acheter une seringue » J’y suis allé avec Bastien chez un herboriste. J’ai dit que j’étais infirmier. Je l’ai payée 3,50 francs. J’ai cassé la première : le 18/ j’en ai racheté une. Dans la première il y avait de la quinine. Le 18 au soir je suis allé dans la boutique [l’atelier de cordonnerie du régiment] de Campet où se trouvaient Auran et Michel. Campet est sorti pour conduire Michel chez le blanchisseur ; il est revenu en passant par la fenêtre. Il est entré, j’avais la seringue : j’avais trouvé du pétrole dans un placard. Campet a mis du pétrole dans une boîte à clous, il en a mis dans la seringue. J’ai abaissé mon pantalon ; j’ai enfilé l’aiguille, selon ses conseils, il a placé la seringue et l’a poussée. J’ai jeté ma seringue le lendemain. Je suis allé à la visite le lendemain parce que je souffrais trop… Le major qui m’a vu et à qui j’avais dit que j’étais tombé de cheval m’a dit que j’étais un menteur. Quand on m’a incisé le genou, j’ai tout avoué, aux médecins et à l’infirmière. »
Dumas, capitaine du 11è hussard : « Ghys n’était pas un mauvais soldat : il s’est bien acquitté de toutes les missions qui lui ont été confiées. Il était dur à la douleur. Un jour, étant blessé par un éclat de grenade, il a voulu continuer à assister aux exercices ».
Pourquoi le capitaine Dumas a-t-il radicalement changé d’avis devant le CG puisqu’il déclarait le 28 mars au Rapporteur : « Je n’ai rien à dire de très particulier au sujet de Ghys. C’était un flemmard doublé d’un hâbleur, comme le sont souvent des parisiens mêlés à des méridionaux. En ce qui concerne son attitude au feu, Ghys n’a jamais eu l’occasion de se distinguer. C’est un soldat quelconque dont on ne peut dire ni du bien ni du mal. (…) Ce que je trouve de moins vraisemblable, c’est que Ghys accuse Campet. Campet en effet ne faisait pas partie de ce clan ; c’est un modeste ouvrier peu intelligent, un « bouïf », et je ne vois pas très bien ni pourquoi ni comment c’est à la collaboration de celui-ci que Ghys aurait eu recours. »
On se demande aussi la raison de cette insistance à disculper Campet, à l’époque des faits fraîchement arrivé du dépôt, en le décrivant comme un brave imbécile alors qu’il est au contraire d’une intelligence quasi-machiavélique puisqu’il réussit à se faire passer pour innocent en refusant de répondre au Rapporteur sur la question de la responsabilité morale, mais qu’il parvient tout en se tenant apparemment à l’écart du groupe des « écacués potentiels » à leur faire tester différents moyens de se faire porter malade, pour en observer le résultat avant de choisir lequel peut se révéler le moins voyant.
Ghys : « Le lendemain matin, il [Toureau] m’a demandé la seringue pour se faire une injection sous le bras.
Toureau : « c’était pour la remettre au capitaine. »
Jusque devant le CG de la 51è DI, Gauthier s’en tient à sa version peu vraisemblable. Un jour qu’il étendait du linge, au repos à Vadelincourt, à 14 km de Verdun, il aurait rencontré un civil qui, le voyant boiter lui propose un moyen infaillible de soulager son rhumatisme, par une injection de pétrole. « Si j’ai dit d’abord que je ne m’étais fait aucune injection et que je m’étais frotté avec du pétrole pour chasser les poux, c’est que j’avais honte de penser, qu’en voulant me faire du bien et me guérir, j’avais réussi à me faire du mal et à risquer de me faire crever.
Témoins cités : néant. »
Auguste Ghys, né le 29 mars 1896 à Paris 6è, blanchisseur à Paris 15è, 1,50m, châtain aux yeux gris front incliné, visage long, cavalier au 11è Rgt de hussards
Extrait de la réponse (négative) à la demande de réhabilitation présentée devant le tribunal d’Orléans le 20 mai 1938 : « Le 19 janvier 1916, Ghys se fait porter malade. Il se plaint d’un gonflement subit du genou. Admis à l’infirmerie, il est évacué, le 20 sur l’H.O.E.6 : le médecin aide major de 1ère classe Alison, constate, après incision, qu’il sort du genou du malade, du pus à odeur de pétrole et envoie Ghys à l’hôpital militaire de Verdun. Ghys est opéré aussitôt à cet hôpital ; les mêmes constatations sont faites par les chirurgiens ; il les confirme par ses aveux. L’injection de pétrole aurait été pratiquée avec l’assistance d’un de ses camarades, le chasseur Campet… Malgré une information approfondie, la complicité de Campet n’a pu être établie. Il paraît bien certain aussi que Ghys était tombé dans un clan de militaires cherchant les moyens de se rendre indisponibles : un certain brigadier Toureau [Edward, au civil coiffeur] a joué, dans l’affaire, un rôle assez peu reluisant ; mais l’information ...a permis au Commissaire-Rapporteur d’écrire, en ce qui concerne Toureau : « qu’à aucun moment il n’a essayé d’en prévenir l’exécution, et qu’il s’est volontairement abstenu de donner à Ghys, plus jeune que lui, un avertissement ou un conseil affectueux de nature à le détourner de sa détermination criminelle : mais cette complicité passive est une complicité morale qui ne tombe pas sous le coup de la loi pénale. » [Aurait-on sous un prétexte spécieux évité de condamner un gradé?]
Reste le mobile qui a pu prédisposer Ghys à l’action. Ghys revenait de permission. Il a d’abord déclaré avoir agi après un « coup de cafard ». Cependant un témoin a reçu ses confidences… Ghys avait eu, au cours de sa permission , des relations intimes avec une jeune femme alliée de sa famille [sa belle-sœur] … Ghys a lu une lettre qu’il avait reçue, toute pleine d’expressions témoignant du désir de cette femme de le revoir. C’est là peut-être qu’il faut chercher le secret de ce « cafard terrible », de cette tentation, de cette volonté, enfin, de se mutiler pour rejoindre sa maîtresse. »
Dans cette affaire encore, il semble que les véritables instigateurs s’en soient tiré sans tomber sous le coup de la justice.
Extraits des Notes d’audience : « C’est à Argé que j’ai eu les premières conversations avec [Marius] Campet ; il m’a indiqué plusieurs moyens pour se faire évacuer ; »
« Il accusait, toutefois, avec une énergie extrême, avec une véhémence frémissante, le cavalier Campet, qui fait fonction de cordonnier au 9è escadron, d’avoir été son complice.C’est Campet qui, dès le mois d’octobre 1915, alors que le 11è hussard cantonnait à Argé, dans la Marne, lui avait donné les moyens de se mutiler, pour se faire évacuer : il lui avait parlé d’application de linges mouillé, sur la poitrine, pour provoquer une bronchite, d’absorbtion de feuilles de papier à cigarette pour imiter le bruit des râles dans les poumons. »
« Il m’ a indiqué dès cette époque le coup de la seringue. Je n’en avais pas et ne pouvais m’en procurer (…) Je suis allé en permission à Paris en janvier, je n’ai pas pensé à cela, pendant ce temps. En revenant, j’avais le cafard, je l’ai dit à Lepan : j’ai dit que j’avais un truc pour me faire évacuer. Campet est venu, on a continué à parler de cela. Quelques jours après, Campet m’a dit : « Va acheter une seringue » J’y suis allé avec Bastien chez un herboriste. J’ai dit que j’étais infirmier. Je l’ai payée 3,50 francs. J’ai cassé la première : le 18/ j’en ai racheté une. Dans la première il y avait de la quinine. Le 18 au soir je suis allé dans la boutique [l’atelier de cordonnerie du régiment] de Campet où se trouvaient Auran et Michel. Campet est sorti pour conduire Michel chez le blanchisseur ; il est revenu en passant par la fenêtre. Il est entré, j’avais la seringue : j’avais trouvé du pétrole dans un placard. Campet a mis du pétrole dans une boîte à clous, il en a mis dans la seringue. J’ai abaissé mon pantalon ; j’ai enfilé l’aiguille, selon ses conseils, il a placé la seringue et l’a poussée. J’ai jeté ma seringue le lendemain. Je suis allé à la visite le lendemain parce que je souffrais trop… Le major qui m’a vu et à qui j’avais dit que j’étais tombé de cheval m’a dit que j’étais un menteur. Quand on m’a incisé le genou, j’ai tout avoué, aux médecins et à l’infirmière. »
Dumas, capitaine du 11è hussard : « Ghys n’était pas un mauvais soldat : il s’est bien acquitté de toutes les missions qui lui ont été confiées. Il était dur à la douleur. Un jour, étant blessé par un éclat de grenade, il a voulu continuer à assister aux exercices ».
Pourquoi le capitaine Dumas a-t-il radicalement changé d’avis devant le CG puisqu’il déclarait le 28 mars au Rapporteur : « Je n’ai rien à dire de très particulier au sujet de Ghys. C’était un flemmard doublé d’un hâbleur, comme le sont souvent des parisiens mêlés à des méridionaux. En ce qui concerne son attitude au feu, Ghys n’a jamais eu l’occasion de se distinguer. C’est un soldat quelconque dont on ne peut dire ni du bien ni du mal. (…) Ce que je trouve de moins vraisemblable, c’est que Ghys accuse Campet. Campet en effet ne faisait pas partie de ce clan ; c’est un modeste ouvrier peu intelligent, un « bouïf », et je ne vois pas très bien ni pourquoi ni comment c’est à la collaboration de celui-ci que Ghys aurait eu recours. »
On se demande aussi la raison de cette insistance à disculper Campet, à l’époque des faits fraîchement arrivé du dépôt, en le décrivant comme un brave imbécile alors qu’il est au contraire d’une intelligence quasi-machiavélique puisqu’il réussit à se faire passer pour innocent en refusant de répondre au Rapporteur sur la question de la responsabilité morale, mais qu’il parvient tout en se tenant apparemment à l’écart du groupe des « écacués potentiels » à leur faire tester différents moyens de se faire porter malade, pour en observer le résultat avant de choisir lequel peut se révéler le moins voyant.
Ghys : « Le lendemain matin, il [Toureau] m’a demandé la seringue pour se faire une injection sous le bras.
Toureau : « c’était pour la remettre au capitaine. »
Pour ne pas reproduire les erreurs du passé, on prend soin de guérir les inculpés avant de les condamner ; le 17 février ; le médecin Major de l’hôpital de Verdun avertit que « parmi les quatre Phlegmons-pétrole provoqués en traitement à l’Hôpital militaire, trois peuvent dès aujourd’hui être mis à disposition de la justice militaire. Ils n’ont plus besoin que de soins insignifiantes. Ce sont :
Gauthier Jacques du 327è d’Inf, 23è Cie
Ghys Auguste, 11è hussard 3è escadron
Holtzkener Abraham, 128è d’Inf, 6è Cie »
Il prie même qu’on les prenne assez vite car il a besoins de la place pour de nouveaux blessés.
Le 4è soldat hospitalisé est Henri Bohéry, 6è section des COA., disparu lors de l’évacuation de l ‘Hôpital. Le dossier ne nous renseigne pas sur ce qui est advenu d’Holtzkener.
Lors de l’interrogatoire du 25 mars, Ghys désemparé évoque cette épisode : « Gauthier, lui n’a pas eu la même franchise que moi… Maais comme nous lui faisions remarquer qu’il se moquait de nous, et comme nous venions de raconter tous les trois la manière dont nous avions fait notre injection, il a fini par nous raconter comment il avait procédé lui-même… Il a ajouté « Moi je ne ferai pas comme vous trois, et je nierai jusqu’au bout ». De fait, il n’a ajamis voulu avouer aux médecins, bien que ceux-ci lui aient fait observer que ses dénégations étaient ridicules. La dame de la Croix-Rouge qui nous soignait lui demanda des explications et Gauthier lui avoua sa faute comme il l’avait fait à nous trois ».
« Le Médecin chef de l’Hôpital militaire de Verdun signale que Ghys, et un autre militaire, Gauthier, en traitement pour le même motif, se conduisirent très bien pendant les journées de bombardement du 21 au 24 février de Verdun ; le 21 ils aidèrent à descendre rapidement les blessés dans les caves de l’Hôpital militaire. »
Gauthier et Ghys sont tous deux condamnés pour abandon de poste par mutilation volontaire et fusillés le 7 avril à Boron, Territoire de Belfort, à l’heure inhabituelle de 16h.
Paul Lucien Tisserand, né le 27 août 1895 à Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne), ouvrier agricole à Leuchey, chasseur de 2è classe au 10è BCP, 3è Cie.
Le 11 mars 1916, alors que sa Cie est en réserve aux abords du fort de Souville, Paul Tisserand, part, abandonnant son sac et son fusil, sans demander une quelconque autorisation chercher un bidon d’eau au fort. Là, surpris par un violent bombardement, il ne peut en ressortir que 17 heures plus tard (l’alerte s’achevant vers 1 heure du matin). Il ne retrouve pas sa compagnie partie entre temps pour Fleury (comme le lui révèle un sous officier rencontré dans les bois), mais au lieu de chercher à la rejoindre, Tisserand gagne Haudainville où il savait se trouver les cuisines roulantes de son bataillon. Le 12 mars, le sergent-major Chavarot l’y retrouve et lui donne l’ordre de rejoindre avec la cuisine roulante. Parti avec la corvée, Tisserand s’échappe à nouveau aux alentours de Verdun et retourne à Haudainville où il se cache dans le cantonnement d’un peloton de mitrailleuses du bataillon. Il y reste jusqu’au 17 mars, tant que ses camarades sont en première ligne, jour où, poussé par la faim, il se rend à nouveau aux cuisines. Le 18 mars, il rejoint sa compagnie lorsqu’elle est relevée.
« Les renseignements fournis sur Tisserand sont très mauvais : « sale, vicieux, d’un mauvais exemple, se faisant constamment porter malade pour se soustraire à son service ». Son relevé de punition n’est pourtant pas très chargé. » (2 seulement, Ivresse et tapage dans la chambre le 9 janvier et le 15 avril : »étant aux bains-douches, s’est esquivé sans prendre de douches ».) Sous la plume du Capitaine Barré, commandant la 3è compagnie : « Le chasseur Tisserand… est un vicieux qui s’est donné pour mission de causer le trouble dans sa compagnie et de laisser faire tout le travail par ses camarades ; d’être d’une saleté repoussante à tel point qu’il faut le conduire de force sous les douches pour être sûr qu’il se lave ; d’ennuyer le médecin-chef de service… et d’être à tel point exécrable pour ses camarades et ses gradés que ceux-ci ne veulent ni le sentir ni le voir ».
En quelque sorte, l’abandon de poste est une façon pratique de se débarrasser d’un gêneur qui pue.
Le CG de la 43è DI, prévu le 2 avril est reporté « en raison des opérations » à une date ultérieure. Il a lieu le 13. Tisserand est fusillé le lendemain 14 avril à Montplonne (55), sans grande parade.
Antoine Royère né le 21 février 1890 (26 ans) à Saint-André-d’Allas (Dordogne) où il était cultivateur, 1,62m, cheveux noirs, yeux marron clair, lèvres épaisses teint pâle, bouche petite, yeux saillants. 2è classe au 3è BMILA, où il est affecté après avoir été reconnu coupable de vol militaire (commutation de la peine d’un an de prison) ; nommé caporal au Maroc le 1er février 1915, il arrive au front le 28 mai. Cassé de son grade (pour avoir entre autres été surpris jouant aux cartes pendant la garde et s’être enivré en gardant les punis) , il a encouru pourtant peu de punitions.
Prévenu de voies de fait et outrages à supérieur à l’occasion du service, refus d’obéissance sur un territoire en état de guerre, commis les 1er, 2 et 3 avril 1916.
Au caporal Chillou (2 avril): « Tu es un petit con, un petit cul, cette nuit je t’emmancherai et on te tordra le cou, en le frappant de deux gifles alors qu’il était couché, d’une autre alors qu’il était debout. Au sergent Jodelais : « Ton ordre, je l’ai au cul, tu es un petit con ». Refus d’obéir à l’ordre du sergent Lesieur qui lui intimait de se taire et de se rendre aux locaux disciplinaires.
Ferdinand Saive, 36 ans, chaudronnier, rétameur ambulant, né en Belgique : 11 condamnations, noté de « déplorable mentalité », dit au caporal Quennéhervé « Nous nous nous coucherons quand ça nous fera plaisir. Les caporaux et les ordres nous les avons au cul . » L’imagination des supérieurs apparaît comme limitée, les même propos étant reprochés à Courbon. Il est peu probable qu’il les aient tenus en chœur… Au chasseur de 1ère classe Pagnier son supérieur : « Tu me fais chier, eu es un gros lard, un enculé, un charognard ! » (le 7 août 1915, 8 jours de prison au motif « a été trouvé porteur d’un lapin qui a été volé dans une ferme environnante »)
Joseph Courbon, 27 ans maçon à Bourg -Argental, blond aux yeux bleu, nez pointu 1,60m : condamné le 5 novembre 1914 à cinq ans de travaux forcés par le CG de Clermont-Ferrand pour complicité de cols qualifiés (peine suspendue) en plus de la phrase précitée adressé à Quennéhervé, au chasseur Pagnier, la variante : « Tu nous fais chier, on se couchera quand on voudra. Au caporal Chillon : « Espèce d’enculé, tu ne nous mèneras pas par le bout du nez. Nous ferons ce qu’il nous plaira de faire. On t’emmerde ! » A Pagnier encore (ou à Quennéhervé le 2 avril) « Aussi vrai que mon frère est mort, je le jure sur sa tombe, c’est la mort certaine pour l’un de nous deux. Je retournerai d’où je viens mais pas pour rien ». Au sergent Jodelais : « Tu vois pas ; il vient de faire cinq ans de travaux publics et il veut me balancer l’ordre. Quelle crapule ! Quel salaud ! Quels voyou ! » [Quelques scribes reproduisent de rapport en rapport le leçon « quel vagin ! »]
Louis Voinchet, 34 ans, serrurier à Paris: « sujet dangereux et indiscipliné », son relevé de punition est interminable, allant d’absences pour s’enivrer, prêt de son casque pour permettre la fuite de punis, fourniture de pains et de vin à des camarades en prison, sachant surtout manier le sarcasme de façon à saper l’autorité des gradés en faisant rire à leurs dépends (« Lorsque le sous-officier est rentré dans le local de la prison, s’est écrié du plus fort de sa voix : »Portez-moi malade, j’ai des ampoules aux yeux », n’a cessé de tourner en ridicule les observations que lui faisait le gradé, provoquant ainsi l’hilarité de ses co-détenus. Tenant sa verge dans la main s’écrie « Tout ce que j’ai là dans la main est pour vous » à la suite de quoi il est envoyé à la compagnie disciplinaire). Le 2 avril, menace le caporal Chillou ; « si tu le frappes, (Royère) c’est à moi que tu auras affaire, espèce d’enculé », refusant le avril de se taire et de se rendre aux locaux disciplinaires.
Georges Duval, 36 ans, terrassier à Honfleur: 15 condamnations civiles,condamné par le CG de la 3è région à 10 ans de travaux publics, pour outrages, voies de fait et refus d’obéissance (peine suspendue), 374 jours de prison par punition (absences illégales nombreuses, aussi ironique que Voinchet, s’était fait une spécialité d’ouvrir les portes des locaux disciplinaires avec de fausses clés) est prévenu d’avoir par provocation incité au meurtre en disant « Vous n’avez qu’à prendre les flingues et à taper dans le tas ».
Au vu de cet ordre de mise en jugement, le déroulement des faits reste confus. Les différents témoignages ne donnent pas tous la même version des injures proférées. Remettons les choses d’aplomb : le 1er avril après l’appel du soir, Saive et plusieurs de ses camarades discutaient dans le local servant de dortoir quand le caporal Chillou intervint afin de les faire taire et leur donne l’ordre d’aller se coucher, ce que tous firent à l’exception de Saive et Courbon, qui engagèrent alors une conversation sur les gradés en disant que les caporaux les emmerdaient. C’est alors qu’Intervenant à son tour le caporal Quennéhervé s’attire la réponse « nous nous coucherons quand cela nous fera plaisir etc. » Même chose à Pagnier qui veut s’en mêler et à l’intention de qui Saive ajoute « tu es un gros lard, un enculé, un charognard ». Pagnier réplique « Cela va bien pour le moment, couchez-vous, nous règlerons tout cela demain ». C’est alors que Courbon s’approchant du caporal Chillou lui dit : « Espèce d’enculé, tu ne nous mèneras pas par le bout du nez, nous ferons ce qui nous plaira, on t’emmerde. » Survient le sergent Jodelais qui réussit à rétablir le calme.
Le lendemain vers 21h30 comme Royère et Voinchet ne se couchaient pas, buvaient et faisaient du bruit, Chillon leur donne l’ordre de se coucher. Royère s’avance vers lui et lui dit « tu es un petit con, un petit cul, cette nuit je t’emmancherai et on te tordra le cou. » Il retourne boire un verre de vin avec Voinchet, puis revenant vers Chillou toujours couché lui allonge une gifle, et comme il persiste à lui donner l’ordre d’aller se coucher, une 2è. Chillou se lève et saisit Royère, provoquant l’intervention de Voinquet qui dit « Si tu le frappes, c’est à moi que tu auras affaire, espèce d’enculé. » Quennéhervé intervient, Royère promet de se calmer, mais à peine Chillou l’a-t-il lâché que Royère lui retrourne une 3è gifle en criant : « Tu voudrais bien que je te marquerais (sic) mais je ne suis pas assez con pour cela ; j’en ai marre et je me fous d’attrapper 5 ans, c’est ce que je cherche. Il se rapprocha de Voinquet et l’un des deux dit (sans doute pas Royère car il avait un très fort accent du sud) : « Cette nuit on s’en débarrassera, on lui coupera le cou quand la lumière sera éteinte ». Quennéhervé et Pagnier étant allé rapporter aux supérieurs ce qui se passait, Courbon les suivit et dit : » aussi vrai que mon frère est mort, je le jure sur sa tombe, c’est la mort certaine pour l’un de vous deux ; je retournerai d’où je viens (des travaux forcés) mais pas pour rien. Le sergent Jodelais survient, et armé de son pistolet menace Courbon de lui brûler la cervelle s’il ne se couche pas. Royère persiste à refuser de se coucher et dit à Jodelais : « ton ordre, je l’ai au cul, tu es un petit con, et finit par obtempérer en ajoutant : « Je m’en fous ». Jodelais en tournant les talons entend alors Courbon dire à l’un de ses camarades : « Tu vois pas, il vient de faire cin qans et il veut me balancer l’ordre, quelle crapule, quel salaud, quelle voyou ! » Ce à quoi le chasseur Duval ajoute s’adressant à ses camarades/ « Vous n’avez qu’à prendre les flingues et taper dans le tas. »
Le lendemain, 3 avril dans la matinée, Voinchet et Royère quittent le cantonnement et rentrent vers 20 heures en état d’ivresse. Comme on les conduit au poste de police, Royère apercevant Chillou l’apostrophe : « C’est pour toi que je m’en vais, tu es un enculé, un con, et je t’aurai un jour ». Ils profèrent encore diverses injures contre les gradés, et refusent de bouger quand le sergent de garde Lesieur leur intime de gagner les locaux disciplinaires, finissant toutefois par obéir à l’adjudant.
Selon les termes-mêmes du rapport : « Ces fait revêtent par leur nature et leur multiplicité ainsi que par l’extrême audace de leurs auteurs un caractère particulier de gravité, qui, en raison des circonstances, nécessite une répression rigoureuse. Il convient par des sanctions sévères et appropriées de mettre un terme à un état d’insubordination, qui, s’il se généralisait, ne manquerait pas, en faisant grief à l’autorité des gradés, dé dégénérer en une véritable révolte. » On ne peut nier la clairvoyance de ce pré-jugé, même si la rébellion revêt un caractère spontané.
Le rapport Vigouroux, du 5 avril 1916, précise encore : « Il est du reste à remarquer que la tâche des gradés des Bataillons d’Afrique de marche devient de plus en plus ingrate en raison des éléments nouveaux qui composent les derniers détachements de renfort : réservistes des groupes spéciaux, condamnés peine suspendue provenant soit des travaux publics, des maisons de réclusion et même des dépôts de forçats. Ayant la plupart eu maille à partir non seulement avec la justice civile mais aussi avec la justice militaire au cours de leur service actif, ces mauvais sujets, souvent anciens disciplinaires, remplissent le rôle de meneurs, provoquant le désordre et l’indiscipline parmi les éléments jeunes des bataillons d’Afrique et rendent le rôle des gradés souvent presque impossible. »
Ce même rapport feint de trouver des circonstances atténuantes à Royère pour mieux charger les plus » endurcis »: « il est à prévoir que les fautes qu’il vient de commettre sont dues aux mauvais conseils d’un camarade, le chasseur Courbon, arrivé à la compagnie le 22 mars dernier [en provenance du dépôt de forçats de l’Ile de Ré] qu’il a connu en prison militaire. (…) est le sujet le plus dangereux qui puisse exister. Ayant une sorte de prestige du mal sur ses camarades qu’il méduse, en quelque sorte, par le récit de ses actes d’indiscipline d’autrefois, de crimes même qu’il aurait commis, vantardise peut-être, mais combien dangereuse dans le milieu où il est. Jouissant de ce prestige, il en profite pour donner à ses camarades trop enclins à l’écouter malheureusement, des idées d’indiscipline et les pousse au mal et même au crime... »
Le 16 avril, le caporal Chillou est évacué pour une affection intestinale « sans gravité et sans rapport avec les violences dont il a été victime … Ce caporal a paru au médecin chef manquer d’énergie... mais il est impossible d’affirmer à quoi est due cette dépression psychique ».
Royère : « C’est le caporal [Chillou] qui m’a saisi à la gorge, je l’ai repoussé en le bousculant, mais je ne l’ai pas giflé… » Il reconnaît avoir « outragé le sergent Jodelais, mais uniquement parce que celui-ci menaçait Courbon de son revolver.
Saive : « Je reconnais avoir tenu ces propos mais en réponse aux provocations et aux menaces du chasseur Pagnier. Comme il trouvait que je ne me taisais pas assez vite, il m’a menacé de me taper sur la figure. J’ai répondu : « sortons derrière les feuillages, nous irons nous expliquer. »… Pagnier se levait et mon camarade Courbon s’est mis devant lui pour ne pas qu’il vienne sur moi. Pagnier dit alors qu’il m’aurait bien et qu’il m’arrangerait ça le lendemain. Je lui répondis : » ce n’est pas la peine d’attendre à demain, viens tout de suite, gros lard, emmanché ».
Courbon : « Je nie les faits. Je suis intervenu à l’occasion d’une discussion qui avait lieu entre les chasseurs Pagnier et Saive et j'ai essayé de les séparer. Comme je réussissais Pagnier m’a dit : « tu prend ses cross ». Je lui ai répondu que je en prenais pas plus les cross de l’un ni de l’autre. C’est tout ce que j’ai fait et dit.(…) J(ai dit seulement au sergent Jodelais que ce n’était pas bien de sa part de me reconduire revolver au poing. »
Voinchet : « J’ai eu simplement une discussion avec le caporal Chillou à propos de chasse et je lui ai dit : « Tu me barbes en prenant mes collets ».
Duval : « C’est Royère qui en voyant le segent Jodelais armé a dit : « Il mériterait qu’on le sorte ».
Par le témoignage du sergent Lesieur, lequel reçut aux locaux disciplinaires les chasseurs Royère, Vaucel, et Voinchet ivres, le 3 avril vers 21h, on apprend que la rancune envers Jodelais avait une raison plus ancienne, et indirectement que la phrase prononcée en cette occasion a été déplacée de son contexte : « Royère tenait les propos suivants à Voinchet : « Le sergent Jodelais a fait 5 ans de travaux publics, je le dirai au colonel du conseil de guerre. Il a fait condamner Maître à faux. C’est un enculé ». Voinchet répondit qu’il se chargeait « d’aplatir comme une galetteé le gradé qui témoignerait contre lui.
Le CG de la 45è DI condamne Duval à deux an demi de travaux, tous les autres prennent 10 ans, seul Antoine Royère, le plus jeune, est condamné à mort, sans doute parce qu’il a effectivement frappé et s’est vanté par deux fois de n’attendre que de retourner en prison. Il est fusillé le 18 avril 1916 à Méry-Prémecy dans la Marne à 6h
Joseph Fortuné Mouriès, né le 27 novembre 1889 à La Destrousse (Bouches-du-Rhône), pupille de l'assistance, jardinier à Montlaux (Basses Alpes), soldat de 2è classe au 163è R.I.
Le 9 avril 1916, son régiment combat dans la tranchée de Rieux devant Avocourt. Les allemands attaquent à midi après un bombardemet intensif de cinq heures. La section est en grande partie faite prisonnière. Joseph Mouriès se réfugie dans une tranchée tenue par une autre compagnie, y passe la nuit et la journée du lendemain puis rentre à sa compagnie.
Déféré le 28 avril devant le CG permanent de la 76è D.I. il est condamné à mort pour "abandon de poste en présence de l'ennemi" et fusillé à Naives-devant-Bar (Meuse) le 29 avril 1916. Son nom figure sur le monument aux morts de La Destrousse.
Fernand Charles Denis, né le 27 février 1891 à Paris 5è, ajusteur-mécanicien à Levallois-Perret, célibataire, 2è classe au 159è R.I.,
Inculpé d'abandon de poste et désertion en présence de l'ennemi, dissipation d'armes, objets d'habillement et d'équipement, désertion à l'intérieur en temps de guerre après désertion antérieure, ayant donné lieu à une peine de trois ans de prison prononcée par le CG de la 5è DI.
Plainte (rapport) du capitaine Carteroy commandant la 9è compagnie : « Etant en prison sous le coup d’une plainte en CG pour désertion en présence de l’ennemi, gardé dans le poste de police composé de 4 hommes commandés par le sergent Noalhec et non dans un local surveillé par un poste de discipline, a profité le 20 mars 1916, au lever du jour, d’un relâchement de surveillance de la garde de police pour s’enfuir par une porte dérobée du local où il était enfermé ; s’est rendu à Ailly/Noye où la gendarmerie l’a arrêté le 27 mars 1916 et ramené au 129è R.I. le 12 avril 1916 . Tous les effets militaires emportés par cet homme ont été représentés… La fuite du local non gardé … qui a entraîné la cassation du sergent chef de la garde de police ne fait qu’aggraver sa faute. »
L’interrogatoire de Denis le 21 avril, révèle pour la première fois officiellement l’existence de réseaux organisés permettant de faciliter la fuite des insoumis : « Sachant le motif qui m’amenait au CG et que des camarades m’avaient dit très grave, j’ai été effrayé et j’ai cherché à me sauver. Je suis allé À Ailly sur Noye chez une femme où je comptais faire venir ma mère et après l’avoir vue je me serais rendu à la gendarmerie. […] En passant à Bar-le-Duc j’ai appris par des prisonniers que j’avais eu tort de ne pas aller dans certaines maisons de Paris, Châlons ou Marseille où on procure aux déserteurs les moyens de gagner l’étranger. Je n’ai pas envisagé cette désertion parce que mon intention était de revenir, mais je tiens à signaler ces maisons à l’autorité. »
Déclaration de la Vve Denis le 12 avril aux gendarmes de la Légion de Paris : « Je n’ai pas de nouvelles de mon fils Charles depuis le mois de février dernier, mois au cours duquel il se trouvait probablement en position d’absence chez Mme Vésuve, à Jumel par Ailly-sur-Noye, pour des raisons que j’ignore. Il n’est pas venu ici et c’est tout ce que je sais sur sa situation. Monfils, qui ne doit pas posséder toutes ses idées, n’a pas d’autres parents chez qui il a pu se réfugier ».
Gendarmerie de la Somme le 27 mars 1916 : « … nous nous sommes rendus au domicile de la femme Chantrelle. A notre arrivée cette femme est venue ouvrir la porte qui était fermée intérieurement. Lui demandant où se trouvait le militaire qui devait se trouver chez elle, cette femme s’est troublée et tn’a su quoi répondre. Au même instant nous avons vu un militaire qui fuyait en traversant la cour. Poursuivi et rejoint dans un hangar, nous avons vu que c’était le soldat Denis… que nous avions déjà arrêté pour désertion le 5 mars et également au domicile de la femme Chantrelle dont le mari est mobilisé. »
Déposition du caporal Joseph Louis Béchet (ce même jour) : « C’est à moi qu’à Frise [Denis] avait demandé à faire la corvée d’outils après laquelle il a disparu. Déjà à Villers-Bretonneux, il;avait fait une absence illégale de 3 jours pour laquelle il avait été puni de 15 jours de prison dont 8 de cellule. Denis n’était pas mauvais camarade mais cependant il n’était pas aimé à la Cie. »
Notes d’audiences du CG de la 5è DI le 29 avril 1916 , témoignage du sergent Philippe : « Denis a quitté la section le 29 janvier dans la matinée. Il avait pris part à la contre-attaque ; s’est ensuite montré bon guetteur ; a pris part aux corvées ; est allé aux carrières chercher les outils. Là il a fait dire par ses camarades qu’il allait chercher son fusil. Il a fait son devoir comme tous les autres , du 28 au 29. Il s’est même offert pour poser des fils de fer à 300m en avant de la ligne ennemie… Il a accompagné une patrouille en avant des lignes.
Condamné à mort à l’unanimité des voix, Denis est fusille à Lavincourt (55) le 30 avril 1915 à 7h.
Mai
Les survivants de la Légion Garibaldienne
On appelle Légion garibaldienne le 4è régiment de marche de la Légion étrangère. Officiellement créé le 5 novembre 1914, presque exclusivement composés d'Italiens, à l'instigation d'un groupe d'émigrés qui se réunissait au café du Globe à Paris, il réunit trois bataillons, les 1er et 2è créés à Montélimar, le 3è au camps de Nîmes Garrigues. Ils sont placés sous le commandement de Peppino (Giuseppe) Garibaldi, petit fils du grand Garibaldi, qui a emmené avec lui ses cinq frères, Costante, Ezio, Sante, Riciotti et Bruno.
Ils
demandent à porter la chemise rouge, emblème des garibaldiens, ce qui
leur sera accordé, mais sous l'uniforme français. Avant son départ pour
l'Argonne, la Légion garibaldienne compte 57 officiers, 2114 hommes de
troupe, 184 chevaux et mulets. Montés au front la nuit de Noël 1914, ils
attaquent au Bois de Bolante aux cris de "Viva Italia, Vive la France".
ils perdent 161 hommes. Du 5au 10 janvier 1915, ils combattent au Four
de Paris, au ravin des Meurissons et à la Pierre Croisée. Leurs action
désordonnées sont saluées comme héroïques, car, sans gagner de terrain
,ils ont contribué à couper la route de Paris aux Allemands.
La
légion garibaldienne est dissoute le 5 mai 1915 (après avoir perdu 566
hommes) précédant l'entrée en guerre de l'Italie de Victor-Emmanuel
(jusqu'alors neutre), qui intervient le 23 mai 1915. La France dégage
les garibaldiens de leur engagement ; une partie de ceux qui refusent de
rentrer son reconduits entre deux gendarmes (c'est ce qui arriva à
Lazare Ponticelli,
le "dernier poilu français", mort en 2008 à l'age de 110 ans : “Moi, je voulais rester un soldat français. J’ai essayé de
m’échapper, mais j’ai été emmené de force jusqu’à Turin par deux
gendarmes qui m’ont laissé en me souhaitant bonne chance.” Il avait
quelques mérites à le vouloir, puisqu'il avait déjà risqué le peloton
pour avoir blessé en faction un général qui eut l'honnêteté de
reconnaître que son chauffeur avait "oublié" le mot de passe). La
plupart d'entre-eux iront se faire tuer dans les montagnes du Tyrol,
face aux autrichiens. 127 sont autorisés à rester en France. Ils sont
versé essentiellement dans le 2è régiment de marche du 1er étranger. Ils
fusionneront avec le 2è RM du 2è étranger le 11 novembre 1915 pour
créer le RMLE.
Envoyés
en repos à partir du 11 janvier 1915, ils quittent Clermont-en-Argonne
pour Bar-sur-Aube et cantonnent à Avignon à partir de fin février 1915.
Ces
recompositions diverses expliquent la relative liberté dont ils
jouissent, tant en ce qui concerne le versement des primes, que la
possibilité de se faire engager ailleurs, voire de quitter le service
sur simple demande, qu'ils aient passé l'âge ou qu'on ait plus besoin de
leurs services. C'est sans doute aussi la raison pour laquelle ce
moment à l'arrière a permis à certains des survivants de ce corps de
mener une vie de bâton-de-chaise.
détail
du Monument aux garibaldiens, inauguré au Père-Lachaise le 21 avril
1932, une heure après qu'Ange Frascoya, membre d'une ligue fasciste ait
fait explosé une bombe au même endroit
C'est
à Avignon, en mai 1916 qu'eut lieu le drame qui nous occupe. On dira
qu'il ne s'agit que d'une banale histoire criminelle. A voir comment
elle occupa les tribunaux militaires, ce n'est peut-être pas tout à fait
que cela.
Giovanni
Antonio Casetta, né le 24 septembre 1893 à Canale (Italie),
boucher (comprenez assistant son père dans l’élevage des bœufs)
et coureur cycliste, 1m69, Cheveux châtain foncé, yeux verts, nez
rectiligne, visage rond, soldat de 2è classe au 1er
Régiment de marche étranger (Légion garibaldienne)
Le Lieutenant Arizio à cheval : on ignore qui tient la bride
Selon
le rapport du CG de la XVè division :
Le
7 mai 1915, le commissaire de police Bonnefoy du canton sud de la
ville d’Avignon était averti par plusieurs officiers du premier
régiment étranger, que leur camarade, le lieutenant Angelo-Mario
Arizio n’avait plus été aperçu depuis trois ou quatre jours, que
la porte de sa chambre d’où s’exhalait une très mauvaise odeur
était fermée à clé. Le commissaire Bonnefoy se rendit aussitôt à
l’hôtel du Louvre (où résidait l’officier) pour faire ouvrir
la chambre. N’ayant pu trouver la clé de la chambre du Lieutenant
Arizio, il se servit de la clef de la chambre n°16 qui ouvrit la
chambre n°8 occupée par l’officier. M. Bonnefoy pénétra avec le
sous-lieutenant Rama dans la pièce dont l’unique fenêtre
s’ouvrant sur un couloir était fermée dans l’intérieur avec
l’espagnolette. [Le volet de cette fenêtre est bloqué par un
cordon et couteau dont personne ne parviendra à expliquer la
provenance]. Sur le lit placé à gauche en entrant, le commissaire
de police aperçut une masse informe, recouverte par des couvertures.
Le sous-lieutenant Rama enleva une couverture et les assistants
purent voir le corps d’un homme non habillé [uniquement vêtu
d’une chemise et d’un gilet confirmera le légiste], attaché
dans un drap de lit ; ses genoux étaient repliés sur le
ventre, la tête était noirâtre, le crâne portait de multiples
contusions. La position du cadavre était la suivante : sur le
dos, la tête inclinée à droite, les bras repliés, le droit sur la
cuisse droite et le gauche sur la partie antérieure de la poitrine,
les jambes étaient fléchies sur les cuisses et les cuisses sur le
bassin. Il était maintenu dans cette position par une pèlerine en
tissu large et un drap de lit liés tous deux à leurs extrémités
par des lacets de soulier. Le corps était complètement recouvert
outre il disparaissait sous les oreillers. Une cordelette, assez
volumineuse, d’une longueur d’un mètre cinquante centimètres
environ, formant nœud coulant enfermait le cou de la victime. Le lit
était souillé de sang ; la tapisserie, principalement à la
tête du lit avait été aspergée de gouttelettes de sang (…)
D’après les conclusions du médecin expert, la mort (…) avait
été déterminée par des coups violents portés sur le crâne avec
un marteau ou une barre de fer. Le lieutenant Arizio, malgré les
apparences n’avait pas été étranglé. Il est possible que la
cordelette fut passée au cou de la victime après la mort. Il n’y
eut pas de lutte ; l’officier dut être frappé pendant son
sommeil ou tout du moins dans son lit.(…) La mort devait remonter à
quatre ou cinq jours (…) L’examen du crime fit découvrir au
médecin légiste sur les parties latérales du crâne les quatre
plaies suivantes :
-
Une plaie mesurant cinq à six centimètres à l’union du pariétal
et du temporal droit.
-
Une plaie de même dimension , à l’union du pariétal et de
l’occipital droit
-
Une plaie semblable à l’union du frontal et du pariétal gauche
-
Une plaie également de même dimension dans la région de
l’occipital et du pariétal gauche.
Les
os du crâne étaient brisés et présentaient des fractures
multiples rayonnant en divers sens. La substance cérébrale
s’échappait librement de ces plaies.
Quelques
jours après, on découvrait placés sur la commode de la chambre du
lieutenant Arizio deux morceaux de fer de 0,40m qui avaient pris
l’aspect de la rouille. L’information a établi par les aveux du
meurtrier que c’était là l’instrument du crime [point
litigieux, puisque seule la barre la plus lourde, ramassée dans la
cheminée désaffectée a servi à frapper, et qu’on ignorera à
combien de reprises]. Le 7 mai 1915, le juge d’instruction
d’Avignon lançait un mandat d’arrêt contre l’ordonnance du
lieutenant Arizio, le nommé Casetta Giovanni, soldat du 4è régiment
de marche du premier étranger, qui avait disparu depuis quelques
jours et dont on avait perdu la trace. On ne tardait pas à apprendre
que Casetta avait fait sa demande de libération le 4 mai 1915 vers
10 heures et qu’il avait reçu une feuille de transport gratuit
pour le Hâvre. Casetta était arrêté à Saint-Denis sur
l’indication fournie à la police par le nommé Salembéni,
ex-sergent de la Légion garibaldienne qui le rencontra au marché de
Saint-Denis. Casetta donna lors de son premier interrogatoire un faux
état-civil ; il prétendait se nommer Punzo ; puis il se
décida à avouer son véritable état-civil et à reconnaître le
crime qui lui était reproché. Une perquisition ordonnée de sa
chambre à Saint-Denis [assura?] la découverte d’un certain nombre
d’objets dérobés au lieutenant Arizio. (…)
L’instruction
a reconstitué l’emploi du temps du lieutenant Arizio, le jour où
il fut assassiné, le
lundi 3 mai 1915. Il se trouvait ce jour-là à Sorgues, en compagnie
d’un de ses amis intimes, le capitaine Bruera de la légion
garibaldienne, d’une dame [laquelle?] lorsque le sous-lieutenant
Rama, le capitaine Defner, le sous-lieutenant Massa
vinrent le rejoindre. Ils dînèrent ensemble et au cours du repas,
le lieutenant Arizio parut très gai. Ils revinrent dans la soirée à
Avignon et se rendirent vers 8 heures et demi à la gare pour saluer
une dernière fois le lieutenant Lecomte, qui rejoignait son corps à
Brest.(…) Vers les dix heures et demi du soir, le lieutenant Arizio
regagnait la chambre n°8 de l’Hôtel du Louvre qu’il occupait
depuis son arrivée à Avignon. C’est là qu’il devait périr
quelques instants après sous les coups de son ordonnance, le soldat
Casetta.(…)
Pour Adolphe
Lemaire, né le 26 octobre 1885 à Lille, chasseur au 1er
BMILA, on ne connaît pas le détail de la procédure. Les minutes du
jugement devant le CG permanent de la 45è DI le présentent comme
domestique, 1,62m, tatoué sur le front et le corps, accusé de
violences et outrages à supérieur à l’occasion du service :
le 20 avril à Boulensa [?] menace l’adjudant Alexandre en lui
disant : « Viens un peu ici si tu es un homme » et
le frappe de deux coups de poings à la poitrine. Puis il dit au
sergent Léo : « Bande de vaches ! Toi aussi tu en
auras » en lui portant un coup de tête à la poitrine. Il est
condamné à mort à l’unanimité des voies et aux dépens pour la
somme de 12 francs ; fusillé à Foucaucourt(55)
le 2 mai 1916.
Joseph
Eissenhuth, né le 9 mars 1885 à Büsbach (Allemagne), forgeron
à Dieuze, légionnaire de 2è classe au 2è régiment étranger.
Signalement :
1,68m, cheveux châtain, yeux marron foncé, front heaut, nez cave
bout relevé, visage long, teint coloré, lèvres épaisses, bouche
grande, menton fuyant, cicatrice de coupure sur le front au-dessus de
la racine du nez, nevus au-dessus de la fesse gauche. Tatouages :
une étoile à 8 branches sur la poitrine, un carré sur le téton
gauche, une femme couchée sur l’abdomen, un oiseau sur la verge,
un buste de lutteur soulevant un poids dans une guirlande de
feuillages sur la face externe du biceps droit et sur la face interne
J.E. 1903 dans une guirlande de feuillage. Un as de pique et un
rectangle avec les quatre as au 4 coins sur la face externe de
l’avant-bras droit, une ancre à la racine du pouce droit, une
bague à l’annulaire droit, un homme et une femme sembrassant
au-dessus d’une banderole avec l’inscription « Ewig Dein »
sur la face interne de l’avant-bras gauche et sur la face externe,
un cheval et une étoile à huit branches, un bracelet sur la face
externe du poignet gauche avec initiales J.E. Initiales F.M. sur le
dos de la main gauche, cinq points à la racine du pouce.
Le
19 janvier 1916, à M’rirt, Eissenhut, muletier à la 24è Cie du
2è étranger, est présent à l’appel du matin, à 5h30. Il dit
être allé boire le café après avoir bâté son mulet pour prendre
sa place dans la colonne qui devait monter vers Kéniffra. Sa
disparition ainsi que celle de son mulet matricule 132, nommé
Grille, est constatée un quart d’heure plus tard. Il racontera
qu’étant parti chercher de l’eau à l’oued tout proche il
s’est lancé à la poursuite de son mulet qui s’était détaché
tout seul, et avait été enlevé, avec sa bête, par une troupe de
rebelles jaillie des sommets environnants. On ne tarde toutefois pas
à s’apercevoir de la disparition de son fusil modèle 1886, d’un
équipement complet : ceinturon, épée, baïonnette, 3
cartouchières avec 120 cartouches et d’une supplémentaire de 40
cartouches appartenant au légionnaire Jacquemotte : ainsi que
d’une couverture de cheval, 2 cordes de bât, une bâche, un
surfait, une courroie de charge. Il est officiellement porté
déserteur le 23 janvier.
Eissenhut
avait accompli plus de dix années de service à la légion
(campagnes d’Algérie, du Sahara, du Tonkin, du Maroc). Quoiqu’il
ait encouru une condamnation pour vol devant le CG de Meknès et ait
subi de nombreuses punitions, son commandant de Cie le présentait
en ces termes : « Eissenhut était un assez bon soldat, un
peu faible de caractère, qui a dû se laisser entraîner par le
légionnaire Gross de la 21è Cie. ». il a été vu, causant
en sa compagnie le 18 janvier au soir.
Relevé
de punitions, 4 janvier 1907 : « Etant très fortement
soupçonné de se laisser faire violence par d’autres légionnaires
a faussement fait courir le bruit qu’un caporal de la Compagnie lui
avait fait des propositions. » Le 2 avril 1907 : Etant en
état d’ivresse et sortant du réfectoire, a saisi un caporal qui
passait près de lui par la capote et s’est essuyé les mains
graisseuses après cet effet. » Indiscipline (2) négligence
(4) manquement (12) infraction (12), ivresse, scandale, trafic
d’insignes militaires, tous ces motifs lui ont valu 604 jours de
salle de police, prison et cellule.
Le
15 mars 1916, envoyé voler des fusils à Ito, il se perd, se fait
voler son burnous, et dans le seul costume d’une chemise en loques,
se confie à des indigènes qu’il prend pour des insoumis et qui le
ramènent au poste de la légion à Lias, qu’il n’identifie pas
assez tôt à cause du brouillard. Quand il l’aperçoit enfin, il
fond en larmes. Incarcéré, il nie toujours avoir voulu déserter
mais selon le rapport de l’officier interprète en date du 15 mars
(Eissenhut parle l’allemand, le français, et en partie l’arabe)
il « avoue aux prisonniers indigènes qu’il avait été pris
bien malgré lui et qu’il savait fort bien qu’on allait le
diriger sur Meknès où il serait fusillé, mais qu’il serait brave
et qu’ au poteau il rirait et moquerait ceux qui seraient chargés
de l’exécuter. Il a également dit à ses compagnons de geôle que
les Français considéraient et traitaient les Marocains comme des
chiens ».(« Oui, parce qu’on était mal dans le
marabout. Et j’ai dit aux Marocains que je m’en foutais, qu’on
crève une fois et non deux ! ») Les officiers français
supposent, sans la moindre preuve, que cette histoire de vol de fusil
aurait été destinée à faciliter son passage en zone Espagnole,
dans le but final de regagner l’Allemagne.
Lors
de l’interrogatoire supplémentaire du 22 avril, Eissenhuth craque
à nouveau et avoue, livrant pour tenter de se dédouaner une série
de révélations sur ce qu’il a réellement entrevu pendant sa
fuite ratée :
« A
ce moment l’inculpé éclate en sanglots et dit : « Pendant
dix ans et demi, à part de rares fautes, j’ai servi la France avec
loyauté et courage. Je me plaisais à la légion, où les chefs sont
bienveillants et bons, ils m’estimaient et je les aimais. Aucun ne
m’a jamais fait de mal. Lorsque déserteur de l’armée allemande
je suis venu à la légion, je n’y ai jamais été malheureux. Je
suis un soldat et je ne veux pas vous mentir. Un matin j’ai eu le
cafard que j’avais d’ailleurs depuis quelques temps. Au réveil,
j’ai trouvé mon mulet blessé et sans que je puisse m’expliquer
pourquoi, je suis parti droit devant moi (…) Malheureusement j’ai
rencontré un parti de dissidents à 3 km de M’Rirt. Ils m’ont
désarmé et ne m’ont pas tué parce que je leur ai dit que j’étais
allemand . (…) Ils m’ont emmené dans les environ de Kéniffra, à
6 ou 7 km de cette casbah parmi les hommes de Mou-ou-Hamou. Là j’ai
vu les légionnaires déserteurs Khune et Schultz de la 22è Cie et
un joyeux dont j’ignore le nom, mais qui a le pouce et l’index
d’une main arrachés. »
Il
s’avérera que cet autre déserteur, devenu l’un des hommes de
confiance du Caïd, s’était auto-mutilé involontairement en
s’essayant à tirer un obus au canon de 75, ce qui prouve que
l’adversaire possédait au moins une de ces armes et les munitions
pour la charger.
« Les
Zaïans ont un fusil pour trois hommes, chaque homme m’a paru avoir
une vingtaine de cartouches qu’ils achètent au souk, le caïd n’en
distribuant pas. J’ai entendu dire par Khune qu’il avait vu la
tête d’un sergent-major légionnaire qui avait une dent en or. Il
m’a dit également que deux soldats avaient été brûlés vivants.
Un mohabi tunisien est depuis quatorze ou quinze mois l’ordonnance
de Mou-ou-Hamou. »
Rien
ne change jamais dans les guerres
coloniales…
Le
CG des troupes d’occupation du Maroc occidental, en sa séance du
28 avril 1916, condamne Eissenhut à la peine de mort. Le 29 avril,
date de sa demande de grâce, le commissaire-rapporteur produit un
dernier réquisitoire qui s’engage sur la voie de la supposition
gratuite appuyée sur la seule intime conviction : « Il
est certain qu’Eisenhut [tiens, l’orthographe correcte est enfin
rétablie?] est passé à l’ennemi avec ses armes et ses munitions.
Il a contribué ainsi à augmenter les moyens d’action de nos
adversaires. Il est probable, en outre, qu’il n’est pas resté
étranger aux vols d’armes commis à M’rirt à la fin du mois de
janvier. Etant donné qu’il importe que le crime dont s’est rendu
coupable le légionnaire Eisenhut, le plus grand qu’un soldat
puisse commettre contre le devoir militaire, soit réprimé avec la
dernière rigueur ; étant donné, d’autrepart qu’il est
nécessaire de faire un exemple qjui impressionne tous ceux qui
seraient tentés de l’imiter, je suis d’avis que la justice doit
suivre son cours et la condamnation exécutée telle qu’elle a été
prononcée par les juges ».
Josef
Eisenhut est, comme il l’avait prévu, fusillé à Meknès (Maroc)
le 10 mai 1916.
Gustave
Joseph Henri Dewintre, né le 25 mai 1893 à Dunkerque, marchand
de poissons à Rosendahl, 2è classe au 110è R.I.
Evacué
du front le 17 novembre 1915 à la suite de brûlures aux mains,
Dewintre, à sa sortie de l’hôpital de Lagny doit être reconduit
à son corps le 11 décembre par la gare de Noisy-le-sec. Il réussit
à s’esquiver de la gare au moment de prendre le train et gagne
Paris à pied. Là, il vit pendant plus d’un mois à la caserne de
Reuilly parmi les réfugiés des territoires occupés. Il fait la
connaissance d’une femme qui l’héberge une quinzaine de jours,
et prend le train le 4 février 1916 à destination de Rosendahl où
demeure sa famille. Comme ses parents refusent de le recevoir, il
trouve un emploi de débardeur au port de Dunkerque où il est arrêté
le 13 février par la gendarmerie. Le 19 février il est remis à son
corps, et une plainte en CG pour désertion à l’intérieur en
temps de guerre est établie contre lui le 23. Le 25 février le 110è
est conduit à Verdun en camion automobiles et cantonne à la Caserne
Marceau. Le 26 son unité est prise sous un violent bombardement dans
le ravin de Fleury. Dewintre réussit à passer dans le ravin de
Thiaumont où son commandant lui donne l’ordre de prendre
l’équipement et le fusil d’un soldat tué et l’encourage à
racheter sa faute par un acte de bravoure. A dix-huit heures la
Compagnie marche sur Douaumont. Le lendemain 27 février, Dewintre
manque à l’appel du matin. Il est arrêté à Paris le 3 avril
1916, sur dénonciation de la même femme qui l’avait hébergé fin
janvier.
« Dewintre
n’a pas d’antécédents judiciaires, son relevé de punitions ne
porte pas de punitions graves. Il s’était bien acquitté de ses
devoirs militaires jusqu’au jour où il déserta ». Le
Rapporteur préfère passer sous silence le 2è voyage vers Paris et
ce que raconte Dewinre d’un « bureau » de désertion et
d’espionnage, jugeant peu sincères ses informations, et le fait
qu’il ne puisse nommer l’individu qui a tenté de le recruter. Il
donne pourtant une adresse précise de cette officine dont personne
ne semble avoir songé à vérifier l’existence (à moins qu’elle
ne fût pour le contre-espionnage qu’un secret de Polichinelle
qu’il était préférable de taire ?)
Racontant
son second séjour à la caserne de Reuilly, Dewintre déclare le20
avril : « Je n’ai jamais découché qu’une fois et
c’est qui a amené mon arrestation ; car j’avais trouvé
dans la salle de lecture une laisser-passer au nom de Loeckt Octave.
Je l’ai falsifié … car j’avais besoin de ce laisser-passer
pour coucher en ville, car les hels l’exigent. Le 2 avril, vers 23
h, je me suis présenté avec une femme pour coucher 93 rue de
Charenton ; on m’a demandé mon laisser-passer que j’ai
montré, mais j’ai bien vu tout de suite que la patronne
s’apercevait qu’il était faux. Elle m’a certainement signalé
à la police car le lendemain vers 10 heures, j’ai été arrêté
par un agent de la Sûreté, au coin du Boulevard Diderot. La femme
avec qui j’ai été à l’hôtel s’appelle Legris Antoinette
[lors des interrogatoires consécutifs à sa première désertion, il
donne un patrpnyme différent], je crois qu’elle n’est pas
étrangère à mon arrestation car elle a dû me signaler à la
police sachant que j’étais déserteur. Je l’avais connue lors de
ma première désertion, car elle ne fait que fréquenter les
permissionnaires autour de la caserne Reuilly.
Vers
le 12 mars j’ai été conduit par un civile que je sais être un
déserteur, dans une maison, n°8 Boulevard Montparnasse au 2è
étage. Sur la porte est écrit « Secours aux militaires ».
Une fois entré, le civil qui m’avait conduit m’a laissé seul en
tête-à-tête avec un monsieur qui m’a demandé quel était mon
régiment, mon corps d’armée, combien il pouvait y avoir de corps
d’armées autour de Verdun. Je n’ai pas voulu répondre et je
suis parti, mais je sais que c’est une agence de désertion. »
Interrogatoire
pour le CG de la 2è DI « Le jour où j’ai été arrêté,
j’ai retrouvé à la prison du Cherche-Midi l’individu qui
m’avait conduit dans cette agence de désertion. Je ne me rappelle
pas son nom. (…) Il portait des brodequins de troupe et avait
pendant son séjour au Cherche-Midi une capote d’infanterie bleu
horizon avec écussons du 135è (…) Il faisait beaucoup de
propagande parmi les détenus et les engageaient vivement à déserter
dès qu’ils seraient revenus au front et à se présenter de sa
part dans cette maison n°8 boulevard du Montparnasse ; il
disait avoir une prime de dix francs chaque fois qu’il ramenait un
déserteur. »
Dewintre
est fusillé à Longueval (02) le 11 mai à 6h, en présence de 4
escouades du 110è, 4 escouades du 13è, une du 6è chasseur, 2 du
bataillon du génoe de Longueval.
Louis
Alexandre Lelache, né le 25 octobre 1875 à Vidaillat (Creuse)
2è classe au 3è BMILA, est « pass » par les armes »
à Esnes-en-Argonne (55) le 11 mai 1916, selon sa fiche de décès,
seul document subsistant à son endroit.
On
ne sait rien d’autre non plus de Georges Derieux, né le 17
décembre 1889 à Paris 5è, 2è classe au 168è R.I., condamné par
le CG de la 128è DI, fusillé à Bénaménil (54) le 15 mai1916
Maxime
Depreux, né le 19 mars 1892 à Bapaume (Pas-de-Calais),
mariquinier à Montreuil-sur-Seine, 2è classe au 17è BCP, 3è Cie
Le
18 mars à 20h, la 3è compagnie de chasseurs à pieds du 17è
bataillon quitte le fort de Tavannes pour monter en première ligne
au village de Vaux : « Mais nous étions bien chargés, et
en route, comme je me trouvais fatigué, je me suis arrêté pour me
reposer. » C’est ainsi que Depreux justifie q’être égaré,
ne rentrant à Verdun que le 24 au soir, une fois sa compagnie
relevée. Le 26 mars, alors qu’elle remonte vers Vaux, Depreux
s’arrête à nouveau à la Redoute du projecteur ( des sapeurs du
97è RI) et perd son bataillon. Il rentre à Verdun le 31 mars, sa
Cie étant de nouveau relevée. Lors du CG de la 77è DI, le 22 avril
1916, le capitaine Ameil témoigne qu’on lui aurait rapporté les
paroles de certains camarades de Depreux lors de sa deuxième
esquive : « Voilà encore Depreux parti » il
aurait quitté les rangs en disant « J’en ai marre, je m’en
fous, je me planque, me mouchardera qui voudra ». Le rôle est
dévolu au chasseur Louis Briand qui assure avoir entendu ces
paroles, alors que lors de son précédent interrogatoire il nie
avoir entendu autre chose que « j’en ai marre » alors
qu’on lui suggère par la question les formules qui suivent,
exactement sous la forme qu’il répétera.
D :
- Avez-vous perdu la compagnie.
R :
- Non.
D :
- Pourquoi l’avez-vous quittée ?
R :
- J’ai quitté la compagnie parce que j’ai eu peur.
D :
- De quoi avez-vous eu peur ?
R :
- J’avais des pressentiments, j’avais peur de la mort.
D :
- Où avez-vous quitté la compagnie ?
R :
- Un peu avant d’arriver au ravin de la mort.
S’il est jugé coupable à l’unanimité d’abandon de poste, il est curieusement innocenté des faits de désertion, et fusillé à Maron (54) le 16 mai 1916.
René
Louis Ambroise Cord'homme, né le 13 juin 1895 à
Torigni-sur-Vire (Manche), cultivateur, célibataire, soldat au 25è
R.I., 3è Cie
Le
6 mai 1916, vers 4 heures du matin le lieutenant Lecrioux est prévenu
par le soldat Lecoeur qu’un homme a été aperçu sur la plaine,
dans le no mans land qui sépare la ligne allemande de la tranchée
tenue par la 109è Cie. Il prend ses jumelles et distingue un homme
dans un trou d’obus qui se met à gratter avec ses mains pour
approfondir le trou dans lequel il reste terré pendant deux heures.
Trois allemands tentent de sortir de la tranchée d’en face et sont
contraints d’y rentrer sous le feu français. L’homme sort de son
trou. Le soldat Duchemin se hisse au-dessus du parapet, et fait
comprendre par signe à l’homme qu’il lui faut revenir, sans quoi
il va tirer. L’homme saute la ligne de hérissons en avant de la
tranchée française et vient s’y jeter tandis que les allemands
tirent sur lui à quatre reprises mais le ratent. Affolé, il veut
d’abord donner de l’argent à Duchemin pour l’avoir épargné,
mange deux gamelles de soupe ; interrogé, il reconnaît être
le soldat Cord’homme disparu de la 3è Cie le 3 mai.
« Je
suis parti du Sougnat le 3 mai au soir, pour aller chercher du vin…
à la Maisonnette près de la voie ferrée ; je me suis saoulé ;
je me suis éf=garé et j’ai couché dans le forêt. [Le 4] je suis
retourné faire remplir mon bidon à la Maisonnette de la voie
ferrée, puis j’ai gagné le barricade de Binarville et j’ai
couché dans un abri de mitrailleuse abandonné. J’ai bu mon vin et
je me suis encore saoulé. Je suis resté probablement dans l’abri
toute la journée. Dans la nuit du 5 au 6 je suis allé au travers
du bois et dans les boyaux… j’ai réussi assez difficilement à
franchir les fils de fer et à gagner un trou de marmite ; dans
la soûlographie j’avais eu l’idée de passer de l’autre
côté. »
Voici
ce que les autorités considèrent comme l’aveu décisif. La
défense se base uniquement sur l’état d’ivresse de deux jours
pour expliquer que seul l’alcool est responsable d’une pareille
maladresse. Cord’homme explique qu’il avait eu peu de rentrer et
de subir une punition. L’accusation entend démontrer qu’il a
clairement agit dans le seul but de passer à l’ennemi et que son
retour dans les lignes françaises n’est dû qu’au fait qu’il
n’ait pu franchir une ancienne tranchée remplie de barbelés et de
hérissons, avant d’être repéré rampant vers le trou de marmite
où il s’est en quelque sorte enterré lui-même.
« Il
se dirigea tout droit vers la tranchée allemande. A mis chemin il
fit un à droite et marcha parallèlement à la ligne des tranchées ;
une ancienne tranchée, abandonnée et remplie de chevaux de frise,
hérissons et autres obstacles, lui avait paru infranchissable, et il
la longeait lorsqu’il s’aperçut qu’il était découvert. (…)
Il ajoute que sur la plaine, tandis qu’il exécutait malaisément
son projet, il l’a spontanément abandonné pour rejoindre nos
lignes. Ces allégations rencontrent la contradiction de ceux qui ont
observé sa marche sur la plaine. S’il avait voulu rentrer dans
tranchée française, comme il le prétend, il y serait revenu
directement, ce qu’il n’a point fait. Il a fallu, suivant les
témoins pour le ramener des signes et les menaces dont la portée de
ne lui échappa pas. Cord’homme, qui est un soldat de la classe
1915, n’a fait que huit mois de service, au cours desquels il est
apparu comme un sujet de qualité inférieure. »
Avis de Louis Longrais,
sous-lieutenant au 25è : « J’ai eu Cord’homme sous
mes ordres du 1er octobre1915 au 29 janvier 1916 ; à
cette date il a demandé à partir pour le front. C’était un
soldat médiocre, adonné à la boisson. Sa manière d’être a
présenté certaines particularités qui ont fait que je l’ai
regardé avec attention, d’autant qu’il avait demandé à venir
au front comme volontaire. Il m’a paru peu intelligent, impulsif,
et surtout ivrogne. Il faisait exactement son service. Il le faisait
avec passivité. Il a eu toutefois des punitions à cause de sa
brutalité. Il a eu le mérite de venir volontairement sur le front,
anticipant sur son tour de départ. »
8 octobre 1915 : « a
malgré la défense formelle, jeté des pommes de terre à la tête
de ses camarades, et à l’observation de ce gradé a répondu
insolemment : « Je vous dresserai».
12 novembre : « a
frappé très brutalement au visage un de ses camarades sans aucune
provocation ».
Le
CG de la 20è DI se réunit le 18 mai 1916 à 9 heures et condamne
Cord’homme pour tentative de désertion à l’ennemi. Il est
fusillé le lendemain, 19 mai à Sainte-Ménéhould (51) à 5 h
Maurice
Léon Auguste Émile Robert, né le 8 novembre 1872 à
Croissanville (Calvados), boucher à Brionne, 2è classe au 111è
R.I.T.
Condamné
au civil pour bris de clôture, vol, escroquerie, voies de fait,
chasse (au moins à quatre reprises), chasse à collets, mendicité
en réunion, infraction à la police des chemins de fer, filouterie
d’aliment, insoumission, vagabondage, et le 18 janvier 1915,
désertion à l’intérieur. 542 jours de punition en tant que
militaire.
Le
1er avril à Courtémont, étant aux locaux disciplinaires
(après 15 jours de cellule) -au motif qu’il a eu un retard de
quatre jours à sa rentrée de permission- Robert est sommé par le
sergent Valente de se mettre en tenue pour rejoindre sa compagnie aux
tranchées. Il refuse catégoriquement. Le sergent Valente va
chercher les gendarmes Genest et Pouponneau pour tenter de le forcer.
Malgré les 3 sommations réglementaires et la lecture du code de
justice militaire concernant le refus d’obéissance, il persiste
dans son attitude, déclarant qu’il est assez grand pour savoir ce
qu’il a à faire.
Déclaration
Valente : Robert est un très mauvais soldat, et ni les gradés
ni ses camarades n’arrivaient à avoir sur lui aucune influence.
Devant
le CG de la 7è DI, le 19 mai 1916, Robert déclare qu’il souffrait
de rhumatismes, et qu’il pensait au regard de son âge avoir droit
à un poste moins exposé. Il fait valoir qu’il ne s’agissait pas
de monter en première ligne mais seulement de se rendre au travail
aux tranchées. Le sergent Valente ayant été évacué, c’est le
gendarme Genest qui seul témoigne à charge ;à l’issue de la
séance les juges, sans doute peu fiers du résultat de leur vote,
signent un appel favorable à un recours en grâce. Néanmoins Robert
est fusillé le lendemain 20 mai, 5 h, à La Neuville-Au-Pont (51).
« Les
objets personnels constituant la succession du soldat Robert… sont
les suivants : un porte-monnaie vide, un briquet, un
portefeuille et une pipe. Tous ces objets ont été remis par le
soldat Robert à Monsieur l’aumônier du 26è Rgt d’artillerie,
qui s’est chargé de les faire parvenir à sa famille. » (Le
gardien-chef de la prison militaire, le 21 mai 1916)
Les fusillés de Roucy
22 mai 1916source : http://les-blessures-de-l-ame.over-blog.com/
Émile Lhermenier d'Yvré-l'Evêque, peigneur de chanvre au Mans, et ses trois camarades du 96ème RI, furent exécutés le 22 mai 1916 à Roucy pour un mouvement d'humeur qui datait déjà de quelques semaines et qui ne leur avait valu au départ … que 8 jours d'arrêt de rigueur (ils avaient refusé pendant une heure de remonter en première ligne). Tardivement, le commandement de la division transforme ce banal incident en manquement inexcusable à la discipline militaire et ordonne que les quatre soldats soient déférés devant un conseil de guerre qui les condamna à mort pour "refus d'obéissance en présence de l'ennemi".
Pierre Bellet, adjudant-chef au 96ème R.I. (Journal de guerre, compte d'auteur, pp. 97-98) :
"L'artillerie ennemie ne répondait pas et paraissait inexistante ; tout au plus quelques obus tombèrent sur Pontavert, mais pas un sur Roucy, contrairement à ce que nous attendions. Mais au moment où notre attaque se déclenchait et où nos canons allongeaient le tir pour former barrage, l'artillerie boche déclencha à son tour un formidable tir sur nos premières lignes. Nous apprenions bientôt que le Régt de droite s'était emparé du sud-est du bois et avait fait 200 prisonniers. (...) le Commandement n'était pas du tout satisfait ; il trouva les résultats a peu près nuls pour une si grande dépense de munitions. Il demanda des explications et exigea de connaître les responsables. Tout retomba sur 4 soldats du 96e qui furent exécutés après un jugement qui n'est pas en faveur de la justice militaire. Les victimes appartenaient au 1er Baton. Ce bataillon, relevé de première ligne dans la nuit, était arrivé dans la matinée au repos au camp du Faité, bien en arrière. Comme après chaque relève, on laissait un peu de liberté aux soldats dont beaucoup en profitaient pour se rendre chez le marchand de vin. Mais lorsque le Cdt Riols reçoit l'ordre de remonter en ligne dans la matinée même, le rassemblement fut difficile. Il y eut même des protestations d'abord, puis des cris ensuite et des commencements de désobéissance, car certains avaient du vent dans les voiles. L'intervention des officiers put ramener le calme, et tout le monde monta finalement en ligne. Le Cdt Riols crut devoir signaler les faits au Général de la 55e D.I.. Lorsque le Commandement réclama des responsables, le Général grossit les incidents du 96e. Il ordonna l'arrestation des plus excités, qui furent jugés et exécutés sur le champ, sans même que notre Colonel ait eu le temps d'intervenir. L'affaire eut une répercussion douloureuse dans le Régt. De l'avis même de nos officiers, on avait exagéré, car si une punition exemplaire était nécessaire, la peine de mort était excessive. (...) Un peu plus tard, notre Cdt recevait une lettre d'une pauvre mère demandant des nouvelles de son fils dont elle ne recevait rien depuis quelque temps. Il nous était interdit de donner suite à de telles démarches. C'est ainsi que cette malheureuse devait apprendre la mort de son fils par une affiche collée à la porte de la mairie de son village, proclamant à tous que son fils avait été passé par les armes parce que déserteur. Lorsque nous avons à nouveau rejoint la 31e D.I., le Général Grossetti commandant le 16e C.A. reprit l'affaire en main. Il eut gain de cause contre ceux qui n'avaient pas su gagner la victoire et qui avaient ordonné ce jugement inique. Ils furent limogés, c'est à dire destitués de leur commandement. Notre régiment que l'on avait voulu salir était ainsi réhabilité, mais cela ne changeait malheureusement rien pour ceux qui restaient en terre dans un des jardins de Roucy."
Paul Tuffrau était commandant d'une compagnie du 246ème R.I., régiment en ligne près du 96ème R.I.. Il eut connaissance de cette lamentable affaire car les quatre pelotons d'exécution avaient été choisis dans son régiment. "Concevreux, 30 mai 1916 …Dans les premiers jours de la semaine, il y a eu un matin quatre soldats du 96 fusillés près de Roucy, par le 5ème bataillon de chez nous. La veille, on avait commandé de service une compagnie, cantonnée à Concevreux pour 3 heures du matin ; on n’avait pas dit pourquoi, mais les hommes se doutaient, et les groupes étaient nombreux qui discutaient. Je n’ai pas entendu la salve, mais j’ai su, par Bourgeois et par Geoffroy, qu’on avait emmené les condamnés une heure trop tôt avant les troupes ; qu’un d’eux, un fort gaillard de dix-neuf ans, engagé pour la guerre, vitalité de taureau, hurlait d’une voie profonde et puissante : "Me tuer, moi ? allons donc ! C’est impossible !" Bayon dirigeait l’exécution ; il avait fait préparer quatre poteaux, apporter des cordes car il devinait qu’ils se débattraient ; cela a été vite fait, chacun ayant hâte d’en finir ; aussitôt attachés, les quatre pelotons ont fait en ligne face à gauche, visé, et sans même qu’il y ait eu commandement, le premier coup de feu a entraîné les autres. Après quoi Bayon a infligé huit jours d’arrêt à un maréchal des logis qui devait représenter la Division et qui est arrivé avec quatre minutes de retard : « Vous faites mourir ces hommes deux fois, vous !»."
Le capitaine Tuffrau ajoutera dans son carnet (Sapinière, 3 juin 1916, p. 120) que cette exécution avait beaucoup perturbé certains soldats. Ainsi, dans une compagnie du 246ème R.I., un homme devint pratiquement fou à la suite de ce drame et dut être évacué. Il craignait d'être lui-même fusillé, ayant écrit dans une lettre à sa famille : "Au bout de vingt mois de campagne, il fallait que les chefs soient vraiment cruels pour mettre quatre de nos camarades au poteau " et était persuadé que cette lettre avait été ouverte.
Un soldat du 246ème R.I., Émile Mauny, a aussi été témoin de ce drame (Émile et Léa, lettres d'un couple d'instituteurs bourguignons dans la tourmente de la Grande Guerre, compte d'auteur, 2006, pp. 114-115). Lettre du 23 mai 1916 : « Il s’est passé hier une séance bien peu intéressante. 4 soldats du 96ème ayant été condamnés à mort, les compagnies du 5ème bataillon du 246ème ont été chargées de fournir les 4 pelotons d’exécution. A ma compagnie, il fallait 5 soldats, 4 caporaux, 5 sergents. Par bonheur, je n’ai pas été désigné pour cette horrible besogne. Les camarades nous ont raconté la scène. C’était lugubre, poignant. Tous étaient hébétés d’avoir participé à cette exécution. Peut-être ces 4 malheureux avaient-ils mérité leur sort (je ne sais pas), mais on devrait bien trouver un autre moyen d’exécuter la loi au siècle où nous sommes. L’un d’eux avait paraît-il 18 à 19 ans. Il me semble que moi qui ai l’habitude de vivre avec les enfants et les jeunes gens, je serais devenu fou si on m’avait obligé à participer à ce drame. Je te raconterai ces choses que je n’ai pourtant pas vues mais qui ont hanté mon esprit toute la journée hier. »
Le docteur Veaux, dans son livre Un an sur le Chemin des Dames (Bretagne 14-18, p. 84) évoque ces quatre tombes isolées dans le cimetière de Roucy : « ... le père Simonet me raconte en quelques mots les circonstances de leur mort, car il les connaissait presque tous ; avant de soigner leurs tombes, il les a vus au cantonnement de Roucy, lorsque les régiments descendaient au repos. Puis ceux qui sont tombés à l’offensive d’avril. - Tenez ! Vous voyez ces petites tombes à part ; ce sont quatre hommes qui ont été fusillés. L’un d’eux, de la classe 1917, appelait sa mère au moment où on le conduisait au poteau ! Ah ! Malheur ! Il faut voir ça à notre époque ! Et tout ça à cause de ces cochons de Boches ! "
Il était alors de bonne guerre de rendre les Allemands responsables de ce jugement sans appel. Dans les documents officiels, seul le J.M.O. de la prévôté de la 55ème D.I. relate succinctement ces exécutions : "22 mai : 4 soldats du 96ème R.I. (régiment momentanément mis à la disposition de la division), condamnés à mort, sont fusillés à la Motte aux Grillots (Roucy) à 4 heures. 3 soldats du même régiment subissent la dégradation militaire (refus d'obéissance en présence de l'ennemi)." Les J.M.O. de la 55ème D.I. et des 96ème et 246ème R.I. ne font nullement état de cette pénible affaire (le 22 mai, rien à signaler). Pourquoi un aussi long délai entre la première sanction, bénigne (8 jours d'arrêt vers le 30 avril) et la fatale condamnation (21 mai avec exécution le 22) ? Pourquoi un tel écart de sévérité entre les deux punitions ?
Pourquoi, pour le même motif, quatre soldats condamnés à mort et 3 autres seulement dégradés ? Après le mouvement de grogne de fin avril d'une compagnie harassée par les attaques du Bois des Buttes et du Bois Franco-Allemand du 25 avril et des jours suivants, le 96ème avait connu bien d'autres tourmentes. Elles durèrent de fait jusqu'au 3 mai (les soldats qui rouspétèrent fin avril, ce que retint le conseil de guerre, étaient quand même remontés en ligne et avaient tenu le front) et le régiment enregistra des pertes assez sévères. Alors, pourquoi avoir attendu 3 semaines supplémentaires pour ressortir ce vieil incident contestataire et en prendre prétexte pour emmener au poteau d'exécution quatre pauvres bougres, même considérés comme de fortes têtes ? Nous avons lu qu'il s'agissait d'une « mutinerie ». Bien grand mot pour des protestations de soldats fatigués et peut-être quelque peu éméchés.
Dernier point, juridique cette fois, soulevé par Éric Viot : à l’époque où ces 4 hommes ont été fusillés (le 22 mai 1916) la loi promulguée le 27 avril 1916 (loi supprimant les cours martiales et instaurant les conseils de révision) n’était pas appliquée en totalité car les cours martiales étaient supprimées mais rien n’avait été mis en place par le gouvernement pour créer les conseils de révision (la nouvelle loi stipulait que le condamné pouvait faire appel devant ce conseil de révision).
Le 6 juin 1916 suite à l’intervention des parlementaires sur ce vide juridique, le général Roques consentit à l’interdiction des fusillades en attendant la parution prochaine de son décret instituant ces fameux conseils de révision. Sa circulaire parut le 8 juin 1916. Les 4 soldats de Roucy ont été fusillés le 22 mai, entre le 27 avril 1916, date de la promulgation de la loi, et le 8 juin 1916, date de la parution du décret créant les cours de révision …
Avec Émile Lhermenier, les trois autres fusillés furent :
- Milhau Félix, Louis dont le nom figure sur le monument aux morts de Bessan (Hérault) ; né à Marseillan (Hérault), charretier, résidant à Bessan; A 22 ans, il avait été blessé
- Baleux Lucien qui est inscrit sur le monument aux morts de Burbure (Nord) et sur celui de Loos-en-Gohelle né à Paris né à Paris, résidant à Bully-Grenay, ; cet engagé volontaire de 19 ans, (donc mineur) est ce colosse qui se rebella tant au moment d'être attaché au poteau ;
- Regoudt Paul, Pierre de Dunkerque ; ce journalier célibataire, était l'aîné et le probable soutien d'une famille de 6 enfants ; sa mère était veuve d'un marin péri en mer en 1907 ; Paul Regoudt n'ayant pas reçu la mention de mort pour la France, sa famille ne perçut aucune pension.
Les quatre soldats reposent dans la nécropole de Pontavert, au milieu des autres soldats français morts au combat et y sont présentés comme "Morts pour la France" alors qu'ils n'ont jamais reçu officiellement cette mention.
Louis
François Sainte-Marie, typographe à Paris, né le 12
janvier 1884 à Bourg-de-Péage (Drôme), soldat au 75è R.I.
Le
cas du soldat Sainte-Marie serait digne d’un quiproquo de
Vaudeville si ce n’était un drame : Le 15 mai 1916, vers
20h30 Sainte-Marie monte avec sa section pour relever la première
ligne au ravin de Horgnes. Comme il n’y a pas encore de tranchée,
les hommes se serrent dans des trous d’obus. Sainte-Marie ne
trouvant pas de place est contraint de se porter en avant pour
échapper au bombardement. Là il perd la direction et se déséquipe
de ses armes et paquetage.
Vers
21 heures, les hommes du 144 R.I. qui formaient en face des positions
de la 3è Cie du 75è, une ligne avancée dans un boyau dit
France-Boche sis à 20 mètres du poste des Allemands, voient arriver
devant eux un homme sans armes ni équipement, coiffé d’un bonnet
de police qui lève les bras en criant « Camarades, ne tirez
pas, je me rends ». Cet homme saute dans le boyau France-Boche
en criant : « Vous m’avez sauvé la vie, on me fait
transporter des fils de fer, je n’en puis plus, je suis malade,
j’en ai marre de la guerre, je me rends ». Il décline son
identité devant les deux sous-officiers qui le questionnent, et fait
remarquer qu’ils parlent très bien le français. Ceux-ci lui
révèlent être alors le sergent Gibielle et l’aspirant
Contraires. Sainte-Marie se décompose. Gibielle le fait ligotter en
le traitant de déserteur, tandis que Sainte-Marie dans un accès de
désespoir hurle « Tuez-moi, fusillez-moi ! », ce
qui sera fait pour désertion à l’ennemi dans le ravin sud
d’Haudainville (55) le 23 mai à 19h30, jour-même de la séance du
CG de la 27è DI, le greffier rédigeant a posteriori jusqu’au PV
d’exécution.
Les gradés du 75è sont les premiers
surpris de cette situation. Jean-Baptiste Escoffier, le caporal de
section de Sainte-Marie déclare : « Sainte-Marie était
un bon soldat de mon escouade, il avait bon esprit, il ne m’a
jamais répliqué, discuté mes ordres, récriminé contre son
service et j’en étais satisfait. J’ai été extrêmement surpris
de ce qui est arrivé car Sainte-Marie était le dernier que j’aurais
soupçonné d’avoir déserté. »
René Rionnet, sergent au 75è :
« Je connaissais Sainte-Marie dans le civil, il était prote,
c’est à dire contre-maître dans l’imprimerie Deval à Romans où
j’étais employé de bureau, c’était un très bon ouvrier qui
avait très bon esprit, il n’était ni frondeur, ni syndicaliste
comme beaucoup. »
En réalité on ne saura jamais si
l’intention de déserter était réelle ou seulement le produit de
la méprise de s’être cru tombé chez les allemands, le hommes du
144è ayant également pris Sainte-Marie tout d’abord pour un
déserteur allemand. La précipitation du jeune aspirant de 18 ans, -
ce Contraires qui ne pourra témoigner au CG, ayant été évacué
pour maladie – aura peut-être accentué le malentendu. « Je
me suis déjà perdu à peu près de la même façon. Le 11 mai
j’étais allé chercher des vivres à Fleury et en revenant aux
premières lignes je m’étais trompé et j’étais tombé dans le
10è bataillon de Chasseurs, même que le capitaine m’a conservé
la nuit (…) Je ne suis au front que depuis le 29 janvier 1916 et je
me perds facilement dans la nuit. »
Nguyen
van Cuong, né en 1890 à Nhon Ai , cultivateur et
Nguyen van Qui, né en 1870 à Cham Toi,
canonniers servant au 5è Rgt d’artillerie coloniale, jugés par le
CG de Cochinchine le 27 mai 1916 en compagnie de Nguyen van Ro, et
Phan van Manh (acquittés) au motif de voies de fait sur un supérieur
avec préméditation. Nguyen van Moi obtient un non lieu puisqu’il
est à l’origine des découvertes de l’enquête.
Question
3 : « N’guyen van Qui … est-il coupable de tentative
d’assassinat par complicité… pour avoir dans la nuit du 3 au 4
octobre 1915, au Cap Saint Jacques, par dons et promesses, provoqué
Nguyen van Cuong à assassiner le maréchal des logis [Nguyen van]
Dat, avoir donné des instructions en vue de ce crime et avoir aidé
et assisté Nguyen can Cuong dans les faits qui ont préparé ou
facilité l’action ? »
La
réponse doit se trouver dans ce rapport où s’accumulent des
clichés dignes du Lotus Bleu.
Dans
la nuit du 3 au 4 octobre 1915 vers 1 heure du matin, les canonniers
indigènes de la 9è Batterie casernée au Cap Saint-Jaques furent
réveillés par les cris que poussait le maréchal des logis
Nguyen-van-Dat. La nuit était très noire, il pleuvait à torrents
et aucune lampe n’était allumée, de sorte qu’un assez long
temps s’écoula avant que l’on pût se procurer de la lumière
pour voir ce qui se passait. Après avoir éclairé la chambre, les
indigènes reconnurent que ce maréchal des logis Nguyen van Dart
venait d’être frappé sur son lit pendant son sommeil de plusieurs
coups de couteau à la tête et à la main. (…) Le 21 octobre 1915,
le Magellan embarquait à destination de la France un contingent de
canonniers indigènes… Le surlendemain les langues se délièrent
et quatre cannoniers resté au Cap dénoncèrent comme l’auteur du
crime un nommé Nguyen van Cuong parti par le Magellan. D’autre
part les soupçons se portèrent sur le canonnier Nguen van Qui
véritable instigateur du crime eu sur le cannonier Pham-Van Manh. A
la suite de câblogrammes Cuong et ce dernier furent arrêtés sur le
paquebot qui les amenait en France et ramenés au Cap Saint-Jacques.
(…) Le 3 octobre au matin, Nguyen van Qui eut une très vive
discussion avec ce gradé et proféra à son encontre des menaces de
mort entendues par Nguyen-van-Moi. Après quoi Nguyen van Qui sortit
pou se rendre en ville dans la paillote où habitait sa femme. Il tua
un chien et l’apprêta pour offrir à ses amis et surtout à ses
complices un festin qui eut lieu entre 17 et 19 h. Sous prétxte de
célébrer une cérémonie en l’honneur de la mémoire de son père,
il voulut fêter l’événement qui allait se produire dans la nuit
suivante et qui avait été résolu dans son esprit comme dans celui
de Cuong, Ro et Manh. Après le festin et de copieuses libations Qui,
Roh et Manh rentrèrent pour l’appel du soir à la caserne, vers
22h30 ils franchirent le mur pour retourner chez Thuan manger du
chien et rentrèrent à la caserne vers minuit après avoir passé
une heure à jouer chez Thuan… Les trois complices se réunirent à
Cuong dans les cuisines où ils se mirent à boire de l’alcool et
surtout à en faire boire à Cuong. Vers une heure du matin, Cuong,
très excité par l’alcool frappait avec acharnement le maréchal
des logis Nguyen van Dat et grâce à l’obscurité et à la pluie
qui tombait avec abondance, il avait le temps de jeter le couteau
dans une mare et de se recoucher.(…) Cuong aurait [eu] des motifs
d’animosité personnelles contre Dat qui l’avait sévèrement
réprimandé à propos d’un vol deffets et de son inconduite qui le
poussait à jouer et à introduire des concubines dans les locaux
militaires, notamment à la Batterie des Lotus. (…) Ancien acteur,
connaissant beaucoup de pièces de théâtre et de légendes
chinoises, Nguyen van Qui a ou s’entretenir à mots couverts du
crime imminent, avec Ro qui comprenait son langage symbolique. (…)
Pham-van-Manh a fourni le couteau dont Cuong s’est servi pour
frapper Dat. Il n’est pas dénoncé par l’auteur principal, mais
Ro a reconnu formellement le couteau trouvé dans la mare, comme
étant celui dont il s’était servi chez Manh pour casser des
pinces de crabes. D’autre part le canonnier Nguot a déclaré avoir
aiguisé le couteau pour le compte de Manh et sur son invitation. »
Le
gradé agressé, une fois guéri a encouragé Nguyen van Moi à
parler. Les motivations de la tentative d’assassinat étonnent par
leur faiblesse, comme les raisons pour lesquelles Cuong revint sur
ses aveux pour disculper Ro. Seuls condamnés Qui et Cuong sont
fusillés le 30 mai à 6h30 au Champs de tir dit le PV [probablement
Saïgon].
Léon
François Dalen, né le 22 avril 1895 à Barjac dans le
Gard, mineur, 2è classe au 44è R.I.C., 24è Cie
Du
CG de la 16è DIC, séance du 26 mai 1916, on ne possède que les
minutes. Dalen est jugé coupable à l’unanimité d’avoir le 14
mai, dans la tranchée de première ligne du secteur des Trois
arbres, abandonné son poste en présence de l’ennemi.
La
seule fiche de décès au nom de Dalen, qui indique bien « passé
par les armes » le 27 mai à Rozières, porte les prénoms
Philippe Marius, et reporte la date de naissance au 21 décembre
1896.
Juin
Pare
Boussan était soldat au 5è bataillon de tirailleurs sénégalais.
Aucun document n’existant sur lui, on ignore jusqu’à son année
de naissance. Décédé à Oresmaux le 1er juin dans la
Somme, il est à supposer qu’il a été victime d’une exécution
sommaire.
Emile
Le Pahun, né le 18 janvier 1886 à Saint-Nazaire (Loire Atlantique)
et André Schlosser né le 20 février 1886 à Paris 19è, soldats du
64è R.I. sont passés par les armes le 1er juin à
Aubercy sur Meuse. Leur exécution qui n’a été consécutive à
aucune procédure est évoquée, fait rarissime par le JMO du 64e
R.I. :
Mercredi 31 mai. —Vers 22 heures 30 des coups de feu sont tirés par des militaires du 1er bataillon à Aubercy. On découvre les auteurs : ce sont le Caporal Le Pahun et le soldat Schlosser de la 3e Cie. Jeudi 1er Juin : Le Colonel donne l’ordre d’exécuter le Caporal Le Pahun et le soldat Schlosser. L’opération a lieu sans incident.
C’est le début des émeutes qui vont secouer ce régiment.
Maurice Etienne Sergent, né le 9 mars 1894 à Montigny-sur-Canne, recensé à Aunay-en-Bazois, où il était domestique de ferme, il est soldat au 56è Régiment d'Infanterie lorsqu'il est condamné une première fois par le conseil de guerre de la 15e Division d'Infanterie, lors de la séance du 10 décembre 1915, à un an de prison pour provocation de militaires à la désobéissance. La peine est certainement réduite puisque Maurice Étienne Sergent, qui est revenu au 27e R.I., récidive en mai 1916. Condamné en conseil de guerre le 2 juin, aux motifs de "tentative de désertion à l'ennemi et d'intelligence avec l'ennemi dans le but de favoriser ses entreprises" Sergent n'a pas la possibilité de faire appel. Il est exécuté le 4 juin 1916 à Boncourt (Meuse) "après l'accomplissement des formalités" : la compagnie du condamné à mort est réunie ; il est dépouillé devant ses camarades de tous insignes militaires, puis passe devant la ligne des autres soldats qui ont le fusil à l'épaule ; il est ensuite amené au poteau d'exécution, attaché, ses yeux sont bandés ; face à lui, le peloton se dispose sur deux rangs, il comprend 4 sergents, 4 caporaux et 4 soldats de rang ; un adjudant commande le feu et donne le coup de grâce.
Edouard
Gerbex, né le 30 septembre 1889 à Chène-Bourg, canton de
Genève (Suisse) ; manœuvre à Grenoble, 2è classe au 149è
R.I., 10è Cie
Le
CG de la 43è DI le 2 juin 1916 ne produit aucun témoin. On rappelle
ses condamnations antérieures ; 1911 vol militaire désertion à
l’étranger, 1913 et 1914, filouterie d’alimebts et vagabondage,
1915 5 ans de prion et d’interdiction de séjour prononcé par le
même CG pour abandon de poste sur territoire en état de guerre.
Notes : « A l’audience, il n’a fait aucune
déclaration nouvelle susceptible d’atténuer la gravité de sa
faute ou pouvant plaider en sa faveur. Il a donné l’impression
d’un caractère sans énergie, d’une intelligence au-dessous de
la moyenne. »
Le
8 mars 1916, la 10è Cie du 149è passe la journée dans un bois au
Nord de Verdun, abritée du bombardement. Vers 20 heures elle reçoit
l’ordre de marcher vers l’ennemi. Gerbex reste à l’arrière et
disparaît : « A un moment je me suis abrité au bord du
talus d’une route. Toute la Cie en a fait autant. Je suis resté au
bord du talus quand il a fallu repartir parce que je me trouvais
seul. Soue le bombardement, je suis allé dans un abri trouvé au
bord de la route qui mène au fort de Souville. J’y suis resté la
nuit. A la pointe du jout, j’ai laissé mon sac et mon fusil pour
essayer de retrouver la Ciz où elle avait déposé les sacs ;
mais elle avait changé d’emplacement. (…) Je suis descendu plus
bas que Verdun… je suis allé dans un petit pays qui était brûlé
où il y avait neauoup de baraquements. J’y ai mangé avec des
territoriaux et j’y ai passé quelques jours. Puis j’ai été à
Dieu [sur-Meuse] où j’ai été arrêté par la gendarmerie.
« J’ai
été condamné en avril 1911 pour désertion à l’étranger pour
être allé pendant onze jours, à Genève, parce que ma mère venait
de mourir… J’ai été blessé, le 9 mai 1915, au plateau de
Lorette par cinq éclats d’obus. Je suis resté à L’hôpital
pendant trois mois et demi. »
Avis
du commandement : « Gerbex est le type du mauvais soldat.
Indiscipliné, fainéant, constamment malade, il cherche par tous les
moyens à se soustraire à ses obligations militaires. Sa conduite
dans l’amrée active a été mauvaise et depuis le début de la
campagne il n s’est pas amendé. » L’affaire étant
promptement expédiée, Gerbex est fusillé à Saint Jean sur Tourbe
(51) le 3 juin 4h du matin sans autre prescription de parade.
Citation
à l’ordre de l’armée de la 3è Cie du 149è R.I. portant le nom
de Gerbex pour la participation aux combats de N-D de Lorette le 9
mai 1915
Les "émeutes" du 3è Bataillon du 64è R.I.
(récit repris de Yann LAGADEC )
"Ils ne m’auront pas par les balles ni leurs mamites [sic], j’en ai trop souffert, plus tôt [sic] la mort des 12 balles de chez nous que de recommencer ce martyr". C’est par ces mots que François Hénaff, soldat du 64e RI, originaire de Kerfeunteun, près de Quimper, décrit à Fernande, son épouse, dans un courrier du 1er juin 1916, les faits qui l’ont conduit dans les cellules de la prison militaire de Sainte-Menehould l’avant-veille.
Le 26 mai au soir, le 64è R.I. doit regagner
Saint-Hilaire-au-Temple – où il a déjà été cantonné les 21 et 22 –, pour
y être embarqué au milieu de la nuit dans trois trains en direction de
Sainte-Menehould. Les différents bataillons quittent donc Fagnères, où
ils sont arrivés le 23, après une marche d’une vingtaine de kilomètres
entamée à 3h45 du matin, pour regagner Saint-Hilaire, à nouveau en
pleine nuit : le 2e bataillon et l’état-major du régiment doivent par exemple embarquer à 0h30, le 3e à 3h30, après une nuit de marche donc alors même qu’aucune nécessité
tactique ne l’impose.
C’est au sein de ce 3e
bataillon justement que se produisent les incidents qui vont conduire à
la convocation d’un conseil de guerre : "quelques coups de fusil, 15
environ, ont été tirés en l’air", tandis que "9 soldats manquants au
départ [en gare de Saint-Hilaire] ne sont pas rentrés à 20 heures" le
27 au soir. Six sont finalement arrêtés par la prévôté et conduit à la prison de la division.
"J’ai refusé à mon lieutenant de me mettre à ma place
en sortant [du village]" concède pour sa part le caporal Bertin, l’un
des accusés. Plus précis, Guichard évoque « les compagnies quittant
Fagnères en faisant entendre des bêlements semblables à ceux que
poussent les moutons menés à l’abattoir. Les officiers ne sont pas
écoutés, ni même respectés » poursuit-il. On chante L’Internationale, on fait "du barouf" pour reprendre l’expression du caporal Bertin.
Après le chahut du départ, les tirs en l’air... la protestation change de nature avec les insultes proférées
entre autres à l’égard des officiers, commandant de compagnie ou chefs
de section de la 11e, venus identifier les tireurs après avoir remonté la colonne constituée par le 3e
bataillon. C’est le sous-lieutenant Gautier, principalement, qui se
fait insulter : "gosse, fainéant, enculé" sont les termes que
retiennent les différents procès verbaux, insultes lancées à l’encontre
d’un jeune officier de 21 ans, par des poilus qui, pour certains,
approchent ou ont dépassé la trentaine.
"
On parlait vaguement qu’on allait à Verdun" déclare l’un des
inculpés, le soldat Bernard, avant de préciser qu’ "on s’en doutait mais
on ne savait rien de sûr". A la veille d’une montée en ligne, de tels
actes d’indiscipline,
qualifiés suivant les sources de « révolte » (Guichard) ou de
« mutinerie » (Hénaff), ne peuvent être tolérés par le commandement. Le
30 mai, six soldats sont arrêtés et conduits à Sainte-Menehould pour
être traduits devant le conseil de guerre de la 21e DI jugés pour les faits survenus dans la nuit du
26 au 27.
C’est parce qu’ils sont notés comme étant de « mauvais soldats » qu’ils semblent s’attirer les foudres de leur hiérarchie. Deux des six accusés ont en effet un casier judiciaire... Hénaff, le Finistérien, a déjà été condamné trois fois avant-guerre. Quant à Bernard, il est passé par les "bat. d’Af." avant la guerre, et a été condamné par le conseil de guerre de la 21è DI quelques jours à peine après son arrivée à la division, début 1916. Tous sont décrits non seulement comme de "mauvais sujets", mais aussi comme « fais]nt bande à part », se retrouvant fréquemment alors même qu’ils appartiennent à des sections voire des compagnies différentes, ce qui ne vient qu’ajouter au sentiment que les incidents du 26-27 mai ne sont pas dus au hasard, mais ont été préparés.
Le 5 juin à l’aube le caporal Joseph Bertin, domestique de ferme de Nozay (Loire-Inférieure), les soldats Guillaume Bernard de Pleyben (Finistère), ouvrier riveur à Brest, François Hénaff de Kerfeunteun (Finistère) et Armand Juin de Montoir (Loire-Inférieure), tous deux charpentiers, sont passés par les armes "en réparation du crime de Révolte sous les armes en réunion " à Sainte-Menehould, à 800 m au nord du quartier Valmy, à 6h30 ce 5 juin.
A Roucy, l'exemple du 22 mai n'avait pas suffi :
Théophile Boisseau, journalier, célibataire, né le 15 août 1884 et domicilié à Paris 12e. Soldat de 2e classe au 246e R.I.
Compte rendu de l’interrogatoire sommaire du soldat Boisseaux Théophile :
"Pour quelle raison n’êtes-vous pas sorti de l’abri de bombardement avec vos camarades au moment de l’attaque ?
- J’étais abruti par le bombardement, j’avais peur.
- N’avez-vous pas essayé de réagir contre cette peur ?
- Je ne pouvais pas.
- Déjà en Artois vous n’aviez pas suivi la compagnie lors d’une attaque. Vous m’aviez promis de ne pas recommencer – Silence"
Compte rendu de l’interrogatoire sommaire du soldat Boisseaux Théophile :
"Pour quelle raison n’êtes-vous pas sorti de l’abri de bombardement avec vos camarades au moment de l’attaque ?
- J’étais abruti par le bombardement, j’avais peur.
- N’avez-vous pas essayé de réagir contre cette peur ?
- Je ne pouvais pas.
- Déjà en Artois vous n’aviez pas suivi la compagnie lors d’une attaque. Vous m’aviez promis de ne pas recommencer – Silence"
Condamné à mort le 5 juin 1916, le soldat Boisseau (31 ans) est fusillé le lendemain à l’âge de 31 ans. Le soldat Decombeix jugé avec lui fut condamné aux travaux forcés à perpétuité
et dégradé.
Joseph Alfred Bussat,né le 30 décembre 1884 à Présilly, (Haute-Savoie), cultivateur, 2è classe au 97è R.I.
A défaut du dossier de procédure disparu, les minutes du CG de la 77è DI , en date du 3 mai nous apprennent que Bussat, déjà condamné le 21 septembre 1915 pzr le CG de Grenoble à trois ans de travaux public pour désertion à l’intérieur en temps de guerre, est condamné à mort à la majorité de quatre voix contre une, coupable d’avoir « aux armées » abandonné son poste le 16 mars 1916 et déserté à l’intérieur, n’ayant rejoint son corps que le 12 avril. Il est fusiilé àSanzey (54) le 6 juin.
Jean Michel Suraud, né le 27 mai 1882 à Nantes (44), 2è classe au 24è R.I.C. serait passé devant le CG de la 2è DIC recours en révision rejeté le 29 août 1916. Son nom n’apparaît dans un recueil des minutes qu’au milieu d’une liste mentionnant fautivement son exécution le 7 septembre alors que sa fiche de décès atteste qu’elle eut lieu à Verderonne (60) le 7 juin 1916. Elle nous renseigne approximativement sur le motif « Voies de fait envers un supérieur pendant le service. »
François Antoine Grimaldi,
né à Marseille le 27 août 1893, célibataire, cordonnier. Soldat au 75è
R.I., il est nommé caporal le 15 octobre 1915. Il reçoit sa première
condamnation le 9 mai 1916, 5 ans de travaux forcés pour "outrage par
geste envers son supérieur". Sa peine est suspendue, mais il est
dégradé et muté par mesure disciplinaire au 140è R.I. le 11 mai 1916. Le
14 mai à Haudinville, le régiment ayant reçu l'ordre de s'équiper pour
monter aux tranchées devant Damloup (Verdun), il est constaté l'absence
d'un grand nombre de soldats, dont François Grimaldi qui a quitté sa
compagnie pour se rendre sur une des péniches-bar stationnées sur le
canal de l'Est, dénommée "Ouvre l’œil".
Arrêté, il refuse d'être réintégré dans un bataillon du 140è sous prétexte que celui-ci doit rejoindre le 75è où se trouve le sergent qui l'aurait fait injustement condamner.
Traduit le 20 mai 1916 devant le CG de la 27è D.I., il est condamné à mort à l'unanimité des voix pour "abandon de poste et refus d'obéissance en présence de l'ennemi". Son recours en grâce ayant été rejeté, François Grimaldi est fusillé à Rosnes (Meuse), le 10 juin 1916 à 17 h, devant les 1ère et 2è Cies du 145è R.I.
Arrêté, il refuse d'être réintégré dans un bataillon du 140è sous prétexte que celui-ci doit rejoindre le 75è où se trouve le sergent qui l'aurait fait injustement condamner.
Traduit le 20 mai 1916 devant le CG de la 27è D.I., il est condamné à mort à l'unanimité des voix pour "abandon de poste et refus d'obéissance en présence de l'ennemi". Son recours en grâce ayant été rejeté, François Grimaldi est fusillé à Rosnes (Meuse), le 10 juin 1916 à 17 h, devant les 1ère et 2è Cies du 145è R.I.
Les sous-lieutenants Henri Herduin et Pierre Millant du 347e RI pour s'être repliés sur Verdun alors qu'ils étaient dans l'incapacité de recevoir des renforts et à court de munitions, furent exécutés sans jugement à Fleury-devant-Douaumont le 11 juin 1916.
Le Ministre de guerre Louis Barthou écrit aux familles indiquant qu'ils sont " Morts pour la France" alors qu'ils ne sont pas réhabilités juridiquement. Ils le seront en 1926.
stèle à Herduin et Millant à Fleury-devant Douaumont
Eugène Guégan, né à Caudan le 14 novembre 1888, cultivateur
Engagé volontaire en 1906 sous le 8è RI colonial : au Tonkin (en guerre) jusqu'en 1911, puis Algérie (1912 et 1913), Maroc (1914), Algérie puis armée d'Orient (Dardanelles, retraite de Serbie et Grèce).
Corps expéditionnaire d'Orient comprenant zouaves plus Légion étrangère recrutement de Tunis, Constantine, Philippeville, Sidi Bel Abbès, Oran.
1915 : Malte puis Lemnos, Alexandrie (du 17 au 30 mars) et Dardanelles.
Campagne des Dardanelles du 27 avril au 4 octobre 1915 : violents combats contre les turcs à Krithia et Acha Baba en avril puis du 1er au 2 mai. Du bataillon de la Légion et du 3eme Zouave (1600 hommes) ne restent que 120 valides.
Combats le 6 et 8 mai ; le 30 mai (fortin Le Gouèze), combats le 4, 21 et 27 juin et les 12, 13 juillet et 7 août. Le 1er octobre à Salonique.
Campagne de Serbie : combats le 22 octobre et le 16 novembre. Retraite de Serbie vers Salonique. Combats à Cernika le 8 et 9 décembre 1915 et le 11 décembre. Régiment au cantonnement à Salonique du 16 décembre au 18 mars.
De fin mars à juin à Kalinova : lieux insalubres ; nombreux malades : paludisme et typhus.
Mention fiche matricule: décédé le 23 juin 1916 et passé par les armes le 23 juin 1916 à Kalinova (Grèce).
Mention en marge: renseignements demandés à l'intendance militaire de Vannes le 21.3.1930 (sans doute par la famille) à fin de réhabilitation. Réponse : n'a pas été réhabilit.
Alexis
Prolle, né en 1891, fils de parents inconnus, charretier à
Outreau (62) chasseur de 2è classe qu 1er BMILA
CG
de la 45è DI, 12 juin 1916, notes d’audience : « Le 9
mai [à l’entrée du village d’Esnes] j’ai quitté la Cie je ne
sais pourquoi. On n’était pas encore aux tranchées. Je ne sais ce
qui m’a pris. J’ai dit que j’allais uriner et je suis allé à
l’arrière. J’ai demandé une feuille de transport. J’ai pris
la route de Paris en prenant le chemin de fer à une gare que je ne
connais pas. Auparavant j’avais marché pendant deux jours. C’est
par un train de permissionnaires que je suis arrivé à Paris sans
qu’il m’ait été demandé de pièces. J’ai demandé gare de
l’Est une feuille de transport pour rejoindre disais-je ma Cie.
J’ai pris le train militaire, mais je n’ai pu arriver à
destination, ayant été arrêté en cours de route.
D :
- Où êtes-vous né ?
R :
- Je l’ignore, c’est si vrai que, en raison de cette ignorance,
on m’a établi une pièce spéciale pour me permettre de me marier.
D
(au sergent Capron, témoin): - Etait-il bon soldat ?
Le
témoin : Je n’ai aucun reproche à lui faire. Il était bon
soldat. A vrai dire il avair déjà fait une fugue, avait quitté la
tranchée, mais le lieutenant commandant la Cie étant mort,
l’affaire n’avait pas eu de suite. Il avait fait cette fugue à
la suite d’une amourette. » (En cela le sergent Capron
contredit le rapport du capitaine André qui présente Prolle comme
un lâche, s’étant enfui plusieurs fois du poste de police où il
se trouvait déjà pour absence illégale.)
Arrêté
par la gendarmerie comme zouave en gare d’Amiens, il prétend
s’être rendu d’abord à Boulogne près de sa femme. Et si la
raison des motifs de fuite de Prolle et la dégradation constatée
dans son service étaient à rechercher dans son état signalétique
des services ? « Le 22 avril 1915 a subi l’influence des
gaz asphyxiants lancés ce jour-là par les allemands : de ce
fait il a fait une bronchite avec fièvre. »
Son
recours en révision étant rejeté le 22 juin 1916, Prolle est
fusille à Neufmaisons (54) le 24 juin à 5h.
Henri
Adrien François Berlan, né le 2 février 1885 à Cesseras
(Hérault), cultivateur, cantonnier, soldat au 114è R.I., 10è Cie
Le
8 mai 1916, à nouveau à proximité d’Esnes, Berlan est constaté
absent vers 3 heures du matin. Il prétend avoir demandé à son
camarade Magnan de prévenir le caporal de garde, ce que ce Magnan
nie farouchement. Il dit aussi s’être présenté au poste de
secours, et avoir été refoulé en raison du trop grand nombre de
blessés, ce que les médecins en charges nient également. Il
rejoint sa compagnie au bois de Béthainville, le 11 mai, une fois
que celle-ci est relevée. Le capitaine Millet qui commande la 10è
Cie juge Berlan « très intelligent, mais indiscipliné et
fainéant . »
Condamné
le 28 janvier 1916 pour désertion à l’intérieur en temps de
guerre à deux ans de travaux publics (peine suspendue) Berlan est
renvoyé devant le CG de la 152è DI, audience du 18 juin 1916, qui
le condamne à mort à l’unanimité, peine exécutée à
Saint-Hilaire au Temple (Marne) le 28 juin 1916, à 6h devant les
troupes en armes.
L’histoire
d’Emile Ledoux, né le 19 mars 1894 à Compiègne, couvreur,
2è classe au 114è R.I., fusillé conjointement est quasiment la
même : condamné une première fois pour désertion à
l’intérieur (juillet 1915). Ledoux, lui-même clairon prétend
avoir demandé au clairon Rouvrot -qui nie- de prévenir le capitaine
qu’il restait sur place en raison de son état de fatigue, n’ayant
pas l’habitude de monter en première ligne (où les clairons
furent employés comme brancardier. Il s’est alors terré pendant 4
jours dans un boyau, rejoignant le 114è au bois de Béthainville le
12 mai. Son recours en révision rejeté le 26 juin. Les avis
divergent sur l’attribution de la mention « Mort pour la
France ».
Soldat
étrangers
August
Wiluda, né le 17 octobre 1877 à Rudowken, soldat du 56è RI
allemand, accusé de sềetre dans la nuit du 19 février et la
journée du 20, introduit dans les lignes françaises et les
cantonnements à la faveur d'un déguisement, condamné par le cg de
la 73è DI
Fusillé
le 25 février 1916 à Marbache, près du cimetière
Civils
Pierre
Claude (alias Glaude), né le 28 mars 1858 à Epelding
(Luxembourg), domestique de culture à Damery (Marne), condamné par
contumace en septembre 1914, est accusé de pillage, notamment dans
l'exploitation de son ancien patron qui l'a renvoyé pour ivrognerie
et violences. Accompagnant les Allemands pendant leur quatre jours
d'occupation de Damery, il les conduit dans les maisons bonnes
à piller et fuit, par eux armé, après leur retrait ; repris, le 4
janvier 1916 à Châlons-En-Champagne (51)
Pierre
Gaëtan de Fontenailles, né le 23 octobre 1886 à Bazancourt
(51), précepteur au Pirée, condamné par le CGS de la base et des
camps de Salonique. Insoumis, Fontenailles tente de vendre se vendre
aux services de renseignements français qui lui tendent un piège,
tendant à prouver qu'il travaille en réalité pour le Lt Hoffman,
chef du renseignement allemand à Athènes. Sa seule préoccupation
après son arrestation semble de faire exfiltrer sa femme
poitrinaire. Il est fusillé au camp de Zeitenlik (Grèce) le 21
janvier.
Mahidi-Charef-ould-Kaddour
EL-ARBI, né vers 1893 à Douar, condamné le 16 décembre 1915
par le 1er CG de la division militaire d'Oran pour assassinat commis
au commencement de novembre 1914 sur un européen septuagénaire.
Pourvoi
rejeté le 14 février 1916, fusillé le 15 à Oran
Saïd
Ben Ali Benazouz (alias Taül), né en 1886 à Ouled Smir
(Algérie), veuf bûcheron, et Laroussi Ben Mohammed Laouel
(alias Biskri), journalier condamnés par le CG de la
division territoriale d'Alger, pour homicide et vol qualifié
(assassinat de la veuve Ramos et soustraction d'effets
d'habillement), les deux actions étant concomitantes, recours en
révision rejeté le 21 janvier 1916, fusillés le 25 février à
Fort l'Empereur
Tayeb
Ben Rabab Rabahi, né en 1893 à Blida, journalier, marié, un
enfant homicide volontaire et vol qualifié avec concommitance
(l'accusé à volé un fusil au fils d'un épicier qu'il a assassiné
pour se faire)
Fusillé
à Alger, Fort l'Empereur le 18 mars
Constantin
Condoyannis, né le 4 juin 1878 à Lucade (Grèce),
marchand d’éponges en gros et armateur, est inculpé d’avoir, du
15 août 1914 au 9 décembre 1915 procuré à l’Allemagne des
renseignements notamment sur les emplacements, les effectifs,
l’arrivée dans un de nos ports de bâtiments transporteurs de
troupes, les travaux de défense exécutés sur une place de guerre.
Condoyannis conduit au poteau
Condamné
par le 3è CG de Paris pour espionnage, exécuté à Vincennes le 26
mai 1916 à 5 heures : « le condamné a demandé à ce
qu’on lui enlevât le bandeau, ce qui fut fait aussitôt ».
(frais avant révision 266, 80 francs).
Ould Raho
Bennaceur , né en 1875 à Gerrouan (Maroc)
Inculpé
de meurtre, tentative de meurtre, vol qualifié, pillage en bande et
complicité, faits remontant à 1912, consistant en un vol de
bestiaux avec tentative de meurtre sur leur propriétaire et son
fils, et à l’été 1914 pour le vol de deux fusils à deux autres
indigènes, l’un au moins blessé à l’arme blanche à cette
occasion, est condamné par le CG des troupes d’occupation du Maroc
occidental (audience du 27 mai)/ Il est exécuté à Meknès (Maroc)
le 6 juin 1916.
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