mercredi 21 novembre 2012

Cocteau et l'édition Morihien de Querelle


Rappelons que le livre était vendu par souscription et porté à domicile par coursier vélocipédiste.



Deux exemples de dédicaces "personnelles" rédigées par Genet.


Dédicace de Querelle par Cocteau  ("je ne sais pas de qui sont ces dessins mais je vous les dédicace tout de même ") et dessin autographe



Idée sans doute de Paul Morihien pour contrer les éventuels réveils de la censure, les illustrations de Cocteau étaient distribuées de 10 pages en 10 pages  de façon à pouvoir éventuellement les enlever sans perte de texte, ce qui explique que circulent encore certains exemplaires non illustrés de ce tirage original.


Le manuscrit de travail et sa description dans le catalogue de Drouot

Voici les 29 dessins imprimés, qu'on donne dans leur ordre originel suivi d'un commentaire lorsqu'il y a lieu
1
 
 Ce premier dessin, pratiquement jamais commenté est l'un des plus intrigants de la série, car on ne connaît actuellement qu'un seul dessin préparatoire qui s'y rattache, très semblable, sinon que le regard est tourné vers l'avant et le sexe beaucoup plus détaillé.


La présentation en face de la page intérieure de titre, hors-texte, suggère qu'il ne représente pas un personnage du livre (d'autres dessins s'éloignent aussi de l'illustration directe, s'attachant plus à l'esprit qu'à la lettre, mais on y reconnaît des caractères de l'histoire), mais se substituant à un portrait de l'auteur, son premier lecteur. La pose familière, serviette nouée à la taille, parait évoquer une image intime de la vie quotidienne.
Dessin de la collection Kinsey
 
inédit



 

Pendant l'occupation, Cocteau vit à Paris avec Jean Marais et son (leur) amant Paul Mohirien, promu éditeur pour permettre la sortie de Querelle de Brest, puis de divers écrits de Genet (qu'un contrat lie à Mohirien pour les droits de cinq pièces de théâtre dont certaines seront détruites ou refondues).

Portrait de Paul Mohirien en 1942
 
 Ce profil de Paul Morihien présente une certaine ressemblance avec celui de notre n°1. Hypothèse personnelle, n°1 est un portrait de Jean Marais, que Cocteau par ailleurs n'a jamais représenté nu et très rarement en pied.
Dessin de la succession Marais, "le vagabond" insiste sur la pilosité des jambes

Huile de Cocteau, Jean Marais à son chevalet 1952

 Autoportrait de Jean Marais

 
Quelques têtes de Marais, dont la première "pour la marquise" évoque n°1. L'indication d'une parenté se situerait surtout dans la façon stylisée de représenter la chevelure.



 

 
 Tapuscrit de La machine infernale, représentant le messager de Corinthe qui marque dans l'esprit de Cocteau le passage de relais entre Marcel Khill et Jean Marais

2
 

 On a rapproché ce dessin du tableau du Tintoret Suzanne et les vieillards


diverses versions connues, dont celle-ci qui ressemble à un faux de Caillaux

 
 La fenêtre, plus droite s'orne dans cette dernière d'un soleil enfantin dont les rayons se retrouvent dans les poils pubiens du dessin final

La pose et particulièrement la présence du bracelet de force évoque cette reprise sans doute plus tardive
 dans un style de personnages qui s'apparentent à la 2è série du Livre Blanc
 


Faut-il croire à l'authenticité du Marin sur plage, reprise un peu grossière, de mémoire du dessin 2 avec un rehaut de gouache pour le pompon rouge?



3

 Le croquis d'origine est plus explicite
 à rapprocher du "milicien". La pose semble suggérer une allusion à la prostitution, ces personnages font le trottoir.


4

  pas d'autre version connue, que la reprise, encore plus soft et moins velue pour le Livre Blanc
 

5
 reprise du n°3, la casquette désigne dans ce personnage Robert le frère de Querelle. Les hésitations sont nombreuses. Sexe en érection ou non, ceinture ou non, maillot ou non, marin ou civil:

 croquis préparatoire passé en vente publique


On note que la version finale, avec l'impudique mouchoir, retrouve la fenêtre, autre allusion probable au bordel, les dames du demi-monde qui redoutaient de se compromettre dans la rue "faisaient la fenêtre" au lieu du trottoir, comme en témoigne ce calligramme de Louise de Vilmorin (in L'Alphabet des Aveux)


A sa fenêtre la perverse
Qui porte un peignoir de Surah
Envoya son amant en Perse
Acheter un chien angora.
Et c'est pour patienter peut-être,
Mais ce n'est pas pour l'air du soir
Qu'elle se tient à sa fenêtre
Les yeux baissés sur le trottoir.


 6


divers dessins inédits (ventes publiques) laissent à penser que le personnage attendait autre chose:





7
 Le souvenir de Radiguet et Desbordes anime ce dessin.


 Il y aura également quelques Jean Marais endormis




8

parmi les plus osés, ce dessin dissimule habilement dans les taches noires, l'éjaculation et le sodomie. Le partenaire disparaît ainsi presque totalement
Esquisse

 version non censurée

Lithographie, signée comme il se doit au crayon à papier

Thème identique que le visage rapproche de cette série (vente publique)


plus direct encore, ce dessin n'a pas trouvé son chemin jusqu'à l'impression



 9


10
 Cette innocente représentation est selon les versions un marin qui bande
ou un marin qui pisse



11
Ici encore, le partenaire a disparu 
S'agit-il de la scène du meurtre de Vic, ou d'une version du combat des deux frères qu'on est tenté de rapprocher de ces scènes de "lutte"?





12
13

14
15
auquel on trouvera une parenté avec



16
Le tissu ne masque presque plus rien, un verre a remplacé la cigarette
 version ultérieure


peut-être en rapport (les visages encore, le sexe voilé/dévoilé) avec le dessin final, ces figures doubles



ou, vu d'un autre angle qui rappelle le dessin 5
 

17
 La version imprimée du deuxième Livre Blanc rend au marin ses rayures et sa cigarette

18
19
 La fameux dessin de Marcel Khill: version plus imberbe avec l'ombre du visage


20
21
 Le réseau veineux est passé de la queue à la main, façon de traduire la tension cachée


 inversion du motif



22

Rappel: la cigarette sur l'oreille réapparait dans certaines situations où elle n'est pas forcément nécessaire

23
 où l'on retrouve la fenêtre
 certaines couleurs et l'ancre tatouée

24



25
 

26
Seul dessin retenu pour évoquer une scène de fellation, encore que la version censurée puisse être trompeuse, le personnage pouvant évoquer un félin qui lècherait sa patte blessée... il correspond à un original sans ambiguïté

 

à mi-chemin entre les deux versions, cet inédit:

de nombreux autre dessins de cette époque sont parfaitement clairs:



 

 



Il existe une passivité mâle (au point que la virilité pourrait se caractériser par la négligence, par l’indifférence aux hommages, par l’attente détachée du corps, qu’on lui offre le plaisir ou qu’on l’obtienne de lui) faisant de celui qui se laisse sucer un être moins actif que celui qui suce, comme à son tour ce dernier devient passif quand on le baise. (p 102)

...au réveil (...)le corps incurvé par le hamac, enivré par le sommeil, la chaleur et l’ardeur de la nuit, les matelots se retournent à demi, comme des carpes sur la vase, laissant retomber le buste ou les jambes comme les carpes battent le sol ou l’eau de la queue, et comme elles baillant d’une bouche ronde où ne demande qu’une bite de copain à s’engouffrer pour l’arrondir encore et la remplir aussi exactement et si profondément que le ferait une colonne de vent. (p 119)









27
28
27 et 28 rappellent 19: on les comparera avec les trois dessins du Soldat aux lettres d'amour.

29

On a beaucoup parlé à propos de ce dessin du raccourci du Christ Mort de Mantegna:
 C'est peut-être le linge qui fait ça... On aurait pu aussi invoquer Annibale Carraci
 ou la photo de Marconi imitant cette pose

Beaucoup l'on fait, et Cocteau lui-même dans ce célèbre dessin d'Opium, où contrairement aux tableaux classiques, le personnage ouvre déjà les cuisses, donnant accès au sexe, point focal de la composition:




Version de la collection Kinsey, avec les deux bras levés


On remarquera que dans la "première pensée" le marin avait conservé le béret qui l'identifie, et la bague à l'annulaire, l'auteur insistant, comme dans le dessin préparatoire du 15 sur l'anus, qui est bel et bien le thème principal du livre.


Georges Platt-Lynes, Mark Pagano 1943


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