1918
Un soldat et son chien blessés par le même obus
Mohamed Asadef,
1er RZT, aucun renseignement connu. R.I.P.
Janvier
Né en 1893, Henri Camus est étudiant en médecine à Bordeaux en1914. Il est mobilisé comme caporal au 65èRI jusqu’en 1918. Il réalise des
centaines de croquis sur deux carnets aujourd’hui conservés à la BDIC. "Le Fou" réalisé en 1918 montre un soldat français équipé mais sans armes avancer en titubant, les yeux exorbités, la bouche grande ouverte et le visage apparemment couvert de sang. Faute de décor, la scène a tout aussi bien pu se dérouler dans un poste de secours à l’arrière, dans une position fraîchement bombardée ou sur le champ de bataille lui-même. En quelques traits et en quelques aplats d’aquarelle, Henri Camus parvient à saisir l’accès de folie qui guette les combattants confrontés à une violence extrême.
4 janvier 1918 : exécutions sommaires déguisées
Charles Victor Robert né à Parnans dans la Drôme, cultivateur, célibataire à Romans (26) du 131e RI n'a pas été fusillé le 4 janvier 1918 à Bouconville-Vauclair dans l'Aisne quoiqu'il soit inhumé au cimetière de Pontaver. Il n'a pas eu le temps d'être déféré devant un conseil de guerre.
Pas plus que son "complice" Pierre Keraudren né le 20 décembre 1896 à Brest n'a été fusillé à Craonne.
A la décharge des sous-officiers qui leur ont réglé leur compte, on peut conclure qu'ils ont agi en état de légitime défense. Si toutefois l'état de guerre peut être considéré -en soi- comme légitime. Voici l'exemple de ce qui ne manque pas d'advenir lorsqu'on met légalement entre les mains des hommes des armes létales et qu'on les dresse à tuer !
Le rapport du substitut du commissaire-rapporteur indique :Le 3 janvier 1918 vers 21h30, le caporal Pingat, du cadre de la section spéciale, sommait le disciplinaire Keraudren, sorti de son abri, d’y rentrer. Au lieu d’obéir, Keraudren lança 2 grenades offensives sur le caporal Pingat, qui éclatèrent sans le blesser. Keraudren gagna alors un dépôt de grenades voisin, et commença à arroser les abris des caporaux et des sous-officiers. Alertés par le bruit, Keraudren fut rejoint par Dapoigny, Colard, Portier et Lenepveu. Après quelques instants d’accalmie, le tir de grenades repris de plus bel sur l’abri des gradés qui se trouvaient ainsi assiégés. Les autres gradés, l’adjudant Ombredane, les caporaux Pingat, Biteur, Vernède tentèrent à plusieurs reprises de les cerner par le sud, le sud-est et l’ouest du dépôt. Mais les mutins ne furent pas surpris et leur envoyèrent des grenades à 3 reprises, qui obligèrent ces sous-officiers à battre en retraite. Les mutins furent ensuite abordés, par le nord du dépôt, par les gradés renforcés par d’autres, ce qui obligea les mutins à regagner leurs abris où ils restèrent calmes, non sans que Keraudren ait essayé de donner un coup de couteau au caporal Pingat. Le tir a duré une vingtaine de minutes. Une centaine de grenades ont été lancées. Trente environ n’ont pas éclaté, on les retrouvera le lendemain matin armées aux abords des abris G et F et du dépôt H.
Le 4 janvier, malgré la surveillance mise en place, en démolissant l’arrière de leurs abris, les 6 disciplinaires ont pu quitter le camp après la soupe du matin en 2 groupes : Colard, Portier, Dapoigny et Keraudren, Robert, Lenepveu.
Ces hommes ont erré, à la recherche de vin, aux environs des coopératives de Tabarin et de Craonnelle. Vers 15h, Dapoigny se laissait arrêter sans difficulté. Colard et Portier regagnaient volontairement leurs abris vers 18heures.
La route de Craonnelle étant barrée par les hommes du génie, le 131e reçut l’ordre d’envoyer une forte patrouille de Craonne vers La Hutte. De leur côté, les gradés s’étaient lancés à leur poursuite. Vers 11h45, la patrouille de la section de discipline a rejoint les 3 disciplinaires aux environs du relais des coureurs et non loin du PC Fillot. Les témoins sont unanimes à affirmer que l’attitude de ces 3 hommes était menaçante et qu’ils paraissaient prêts à tout sauf à se rendre. Isolés en tête de la patrouille, les caporaux Pingat et Bileur ont sommé les 3 hommes de se rendre par 3 fois. Ceux-ci, au lieu d’obéir, ont continué à avancer sur eux, à la fois menaçants et gouailleurs. La scène se précipite, 4 coups de feu partent ; Robert tombe mort, Keraudren mortellement blessé fait quelques pas puis succombe, Lenepveu blessé est à terre et demande grâce.
Ces 3 militaires étaient responsables de l’incendie d’un dépôt de récupération situé sur la route de Craonnelle à Pontavert, à 200 mètres environ à l’ouest de son intersection avec la piste de Monaco, contenant 3 à 4 caisses de fusée éclairantes, 6000 cartouches et environ 700 grenades.
La fiche de N-MPLF de Keraudren est plus précise que celle de Robert : « tué au cours d’une mutinerie le 4 janvier à Craonne ».
Les faits sont maintenant établis. Les soldats Keraudren et Robert sont des "exécutés sommaires". Ils ont été tués par le caporal Pingat. Les événements du 3 janvier ont certainement « pesé » dans le comportement des 2 caporaux, et sans porter de jugement de valeur sur l’article 121, ces 2 caporaux ont, comme le préconisait le colonel de l’Infanterie Divisionnaire 125, agi dans le cadre de ce règlement. Les circonstances générales sont établies. Bien évidemment, les témoignages divergent sur les moments les plus cruciaux des événements du 4 janvier.
Février
Un crime "terroriste"
Philibert Margottin est fusillé le 18 février 1918 à Vincennes.
A 22 ans Philibert Margottin, était un soldat particulièrement rebelle.
Déserteur à quatre reprises, il parvient lors d'une tentative
d'arrestation le 18 mai 1917 à frapper le gendarme qui l'a attrapé, et à
s'enfuir. Rebelote le 6 juin : il assomme d'un coup de bouteille
l'agent venu l'appréhender.
Evadé de prison en compagnie d'un autre déserteur, Camille Pygmalion, 18 ans, ils se rendent le 5 juillet dans un café de Bobigny. Leur allure suscite les soupçons de deux gendarmes qui leur demandent leurs papiers... Margottin, sous des allures dociles, accepte de suivre les policiers, puis sort un pistolet et tire deux balles dans le visage du gendarme Ramade.
Le commissariat de Pantin lance une chasse à l'homme dans les rues de la ville : le brigadier Billon est abattu d'une balle dans le ventre, et le gendarme Boussedayac de deux balles dans la tête. Cinq autres représentants de l'ordre sont plus ou moins gravement blessés.
Tous deux sont condamnés à mort par le deuxième conseil de guerre, le 4 décembre 1917.
Pygmalion voit sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité en raison de son âge (mineur).
Evadé de prison en compagnie d'un autre déserteur, Camille Pygmalion, 18 ans, ils se rendent le 5 juillet dans un café de Bobigny. Leur allure suscite les soupçons de deux gendarmes qui leur demandent leurs papiers... Margottin, sous des allures dociles, accepte de suivre les policiers, puis sort un pistolet et tire deux balles dans le visage du gendarme Ramade.
Le commissariat de Pantin lance une chasse à l'homme dans les rues de la ville : le brigadier Billon est abattu d'une balle dans le ventre, et le gendarme Boussedayac de deux balles dans la tête. Cinq autres représentants de l'ordre sont plus ou moins gravement blessés.
Tous deux sont condamnés à mort par le deuxième conseil de guerre, le 4 décembre 1917.
Pygmalion voit sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité en raison de son âge (mineur).
photos de l'Identité Judiciaire annotée "Pygmalion Camille"
Antoine Manat,
né le 13 janvier 1896 à Saint-Vincent de Salers (Cantal), soldat au
45è R.I.
Décédé le 18
janvier à Vaulmier (Cantal) : « Déserteur suite blessure
produite par balle de revolver par un gendarme ».
Jules Eugène Camille Hurier, soldat au 2e B.M.I.L.A.,né le 9 novembre 1898. Décédé à l'infirmerie ambulance de Beni Mellal (Maroc) le 24 février 1918 à la suite de plusieurs coups de feu tirés par une sentinelle après trois sommations avec tentative de désertion.
François
Kerevel, né le 22 octobre 1893 à Audierne (Finistère),
demeurant à Brest, sans profession, 2è classe au 2è RIC, 4è Cie.
Condamnations antérieures : « au pénitencier d’Eysses
à Villeneuve sur Lot depuis l’âge de 12 ans pour vol, et condamné
à un an de prison pour avoir outragé un sergent. Problème, le 20
janvier 1915, parvient un avis d’ordre général stipulant que
Kerevel a été cité à l’ordre de l’armée : « Le 29
novembre, sous un feu très violent, s’est porté au secours d’un
sergent du 87è R.I. qui venait d’être grièvement blessé, l’a
rapporté dans la tranchée, a ensuite aidé à mettre à l’abri un
de ses camarades blessé. »
Le PV d’exécution
à mort était déjà préparé en blanc, mais Kerevel n’a pas été
fusillé. Quand le commandant du 2è R.I. s’inquiète de connaître
son sort, on lui adresse dix pièces qui constituent tout ce qui
reste du dossier :
Il n’y avait guère
d’espoir pour le soldat Kerevel : le 20 février 1915 devant
un CG spécial du 2è RIC, on l’accuse d’avoir abandonné son
poste aux tranchées du bois de Gruerie et d’avoir refusé d’obéir
à l’ordre de l’adjudant Toul-Lapalisse ; pour le premier
chef d’inculpation il était passible de la peine de mort sans
dégradation militaire, pour le second de mort avec dégradation
militaire, différence dont il y a lieu de croire qu’il se fichait
éperdument. Etrangement, il est acquitté. On relève alors contre
lui un nouveau délit, prétexte à le maintenir en détention :
il se serait rendu coupable aux abris de Saint-Thomas le 5 février
1915 d’avoir outragé par paroles et menaces le sergent Le Roncé
en disant à deux mètres de lui: « Si jamais je le retrouve
dans la vie civile, je lui ferai son affaire, et si je suis tué j’ai
donné son signalement à des copains qui lui feront son affaire. »
Pour ce motif le CG de la 40è DI condamne Kerevel le 13 mars 1915 à
cinq ans de TP.
Mais, alors qu’il
avait été mis en prison préventive le 15 février 1915, Kerevel
est mis en liberté provisoire le 15 mars 1915. Sur le jugement
reporté se trouve la mention « la faculté de révision a été
suspendue par décret du 17 avril. » Selon sa fiche matricule
Kerevel retrouve sa place au 2è RIC, mais à l’issu d’un nouveau
procès il est condamné à 10 ans de TP toujours pour outrage Il est
écroué à l’atelier de Bougie (déporté en Algérie) le 22
septembre 1917. Il meurt à l’hôpital le 28 février 1918.
Mars
rue principale de Mac-Mahon
L’affaire
du bordj administratif de Mac-Mahon :
Cet épisode marque le début
de la révolte des Aurès, commencée le 11 novembre 1916
Mohammed
Ben Noui Benali, né
en 1881 à Douar Tilatou (depat de Constantine)
CG de la division
militaire de Constantine : plus de 3000 pages de procédure, 34
prévenus, association de malfaiteurs, pillage en bande, incendies
volontaires, assassinat et tentatives.
Le village
d’Aïn-Touta, Mac-Mahon pour les français est en 116 une bourgade
d’une trentaine d’habitations le long de la route de Batna à
Biskra. Au sud se trouve le campement de l’infirmerie indigène,
au nord le bordj administratif, sorte de ferme fortifiée regroupant
autour d’une cour fermée par un porche charretier les appartements
du médecin, de l’administrateur, M.Marseille (sa femme, sa fille
et ses petites filles) et ses hôtes éventuels, le 12 novembre, le
sous-préfet de Batna, M Cassinelli sous la garde de deux cavaliers
de jour (et de planton déïras - « en tant qu’indigènes
peu soucieux de précision et d’ailleurs médiocrement
intelligents » précise le commissaire-rapporteur). Tout ce
beau monde est venu avec le commandant de Boërio qui loge accompagné
de deux gendarmes à l’hôtel Tacon, à l’occasion du conseil de
révision annuel. Comme le bruit court que la population indigène
accueille assez mal les réquisitions sans cess croissante des jeunes
hommes, ils se sont fait accompagner de 25 zouaves cantonnés dans
l’infirmerie.,
« Personne ne
peut dire exactement comment commença l’attaque » :
600 à 1000 indigènes auraient tenté de forcer la porte cochère et
finirent par y parvenir, les plantons s’enfuyant sous les tirs,
l’un d’eux allant prévenir les zouaves qui n’avaient rien
entendu tandis que l’autre était abandonné dépouillé de tout en
pleine campagne. L’administrateur se réveilla au bruit qui se
produisait sous sa fenêtre. « Les coups de feu qui éclatèrent
presque aussitôt, les you you des femmes venues pour piller et qui
attendaient à petite distance, le bris des portes qui craquaient et
s’effondraient de toute part l’instruisirent suffisamment que le
bordj était l’objet d’une attaque de vive force… Les indigènes
se révoltaient. M. Marseille court chercher le sous-préfet au rez-de-chaussée et récolte une balle dans la jambe. Ils remontent
fermant les portes derrière eux, mais tandis que Mme Marseille panse
son mari, un incendie se déclare au-dehors. Les assiégés
remettent sous la menace, une cassette contenant 1599 francs, des
effets personnels, tandis que les assaillants brûlent tous les
papiers qu’ils trouvent pour s’éclairer. Le feu redouble. Tout
le monde s’enfuit, Marseille et Cassinelli les derniers, qui ont
la mauvaise idée de se séparer en arrivant à la route. Personne ne
voit tomber le sous-préfet : l’autopsie seule déterminera
qu’il serait mort d’une fracture du crâne et de plaies à la
face. M. Marseille, lui, tomba à sortie du bordj d’une balle dans
la nuque sous les yeux de sa femme et de sa fille, laquelle reçut
deux balles perdues, une au ventre, l’autre à la cuisse, tirées
par les assaillants qui criblaient de coups de feu et de coups de
bâton le cadavre de son père. Melle Marseille avait malgré sa
terreur reconnu parmi les agresseurs le marchand de légume du
village et un ancien deïra révoqué. Ces deux hommes arrêtés peu
d’heures après mourront un peu plus tard en prison.
Fendant la foule,
survient le marabout Sarahoui qui prend les femmes sous sa
protection, non sans être interpelé par le chef des insurgés,
Benali. Pendant ce temps de l’autre côté du Bordj le docteur
Briquerra et sa femme tentent également de fuir en se dirigeant vers
l’appartement des Marseille, puis rebroussent chemin en comprenant
qu’ils se jettent dans ila gueule du loup. Par chance, leur
domestique musulman Mehira proteste contre l’envahissement et
réussit à faire reculer les assaillants qu’il a tous reconnus,
Benali, Brahim Kheal, trois frères Azzouzi et certains acteurs de
l’affaire des Tamarins (voir Octobre 1918). Trois autres ont égaré
leurs papiers dans les décombres, un co-détenu dénonce une dizaine
de personnes supplémentaires, identifiant le commanditaire que les
autorités décident de laisser en liberté pour le rattraper plus
tard et ne pas retarder l’action judiciaire.
recours en révision
rejeté le 5 décembre 1917, pourvoi en cassation rejeté le 25 janvier 1918
Mac-Mahon (Algérie)
le 6 mars 1918
Eugène Hippolyte
Henri Lecompte, né le 21 juin 1886 à Tourcoing, 2è
classe au 23è RIC (189è R.I. selon sa fiche de décès)
Décédé au camp
des détenus disciplinaires d’El Kléaa (Algérie) le 12 mars 1918
« tué d’un coup de feu en s’évadant.
Avril
Fernand Grave,
né le 16 avril 1898 à Béthune, manœuvre à la compagnie de
tramways puis mécanicien ajusteur à Aubervilliers, célibataire,
soldat au 9è bataillon du 87è R.I. jamais condamné
CG du QG de la IIè
armée (21 février 1918) : co-inculpés Maurice Eugène Goulas
(condamné à mort, paine commuée en 20 ans de prison le 29 mars
1918, amnistié par décret du 26 avril 1922)) et René Benoît
Sarroul dit « La Gazette » (5 ans de prison) ;
outrages envers des supérieurs dans le service, violences et voies
de fait envers des supérieurs, rébellion envers la force armée par
plus de deux militaires avec armes., et pour Sarroul en outre
ivresse manifeste et publique.
« Le 27
janvier 1918, vers 18h30 à Eurville, centre d’instruction, se
produisirent des faits d’indiscipline particulièrement graves,
dont la responsabilité incombe aux soldats Goulas, Grave et Sarroul
du même bataillon. Tous trois sont de la classe 18, mal notés,
ayant des antécédents judiciaires [faux], ils ont donné la mesure
de leur mauvais esprit ; ils se sont révoltés contre
l’autorité de leurs chefs et l’exemple donné à leurs jeunes
camarades a été des plus fâcheux. »
Les faits se sont
passés dans la grande rue d’Eurville, très fréquentée à cette
heure-là. Le lieutenant Hutin, képi rouge galonné d’or, remarque
trois hommes qui chantent fort et causent du scandale. Il s’approche
pour les faire taire, et est accueilli par une bordée d’injures :
« qu’est-ce qu’il nous emmerde cette espèce de con, bande
de feignants, fumier, tes deux ficelles on les aura. » Grave et
Goulas bousculent l’officier, ne laissant que Sarroul qui roule à
terre, ivre mort. Comme le lieutenant veut le conduire au poste, il
crie et se débat et ses camara des, revenant en arriètr
apostrophent de nouveau l’officier : « tu vas le lâcher,
fainéant, j’aurai ta peau après la guerre, on zigouillera tes
deux ficelles, bandes de vaches. » Un attroupement se forme
mais personne, ni civil, ni militaire n’ose intervenir, Tandis que
Hutin part chercher la garde. Au retour de la patrouille les trois
soldats ont vidé les lieux, se dirigeant vers le cantonnement
Bastien (débit nommé à partir de son propriétaire, un vieillard
de 72 ans, accompagné de son fils, 32 ans, qui, au bruit des tables
renversées est descendu dans son magasin une lampe à la main.. Le
fils Bastien qui tente de maîtriser Grave et Goulas est pris à
partie, Grave, à terre crie « prends n’importe quel fusil »
au ratelier « tue-le c’est un civil ». Goulas armée
d’un fusil avec sa baïonnette tente de viser le fils Bastien à la
gorge. Son père détourne le coup. Grave, armé à son tour, jette
le père à terre qu’il tente d’étrangler. Puis il larde de
coups de baïonnette le tas de fagots derrière lequel s’est
réfugié Bastien fils, l’atteignant finalement d’un coup de
crosse dans les reins. Mme Bastien va chercher du secours à une
popote de sous-officiers voisine. Les trois adjudants et le sergent
qui la suivent ont été devancés par l’adjudant Degave que Grave,
tirant de sa poche son couteau injurie en ces termes : « tes
galons on les aura, on aura ta peau ». Goulas, voyant
l’adjudant viser revolver en main tente de l’assomer avec la
crosse de son fusil. L’adjudant Frérard lui donne un coup sur le
bras qui détourne le coup, tandis qu’arrive la patrouille du poste
de police. Seul Sarroul, affalé au coin d’une cave, n’a pas pris
part aux violences du cantonnement Bastien, ce qui lui vaudra une
condamnation beaucoup plus faible. La scène s’étant déroulée
dans une semi obscurité, Grave et Goulas cherchant à éteindre les
lampes des intervenants, les deux hommes sont identifiés par les
témoins comme « le petit » (Grave) et « le plus
grand ».
Ramenés au poste de
police, les trois hommes continuent à montrer une attitude
menaçante, mettant la main à la poche comme pour en tirer une arme.
Grave tente de donner un coup de pied à Frérard en disant :
« bande de vaches, c’est parce que vous avez des galons. Je
t’en fous un coup dans la panse ! » A l’arrivée du
lieutenant Hutin, Grave se jette sur lui criant « c’est toi
qu’il me faut, j’aurais ta peau ». Etrangement la plupart
des témoins ne se souviennent dans les injures proférées que de
« bande de vaches » à répétition, les phrases citées
par le rapport étant issues des dépositions des seules « victimes »
directes.
« Le local
disciplinaire du 87è R.I. étant trop petit, et déjà au complet,
les soldats Sarroul, Goulas et Grave n’ont été incarcérés que
le 28 janvier vers 10 heures. »
Compte tenu des
menaces à répétition, il est assez aisé de confondre les trois
jeunes soldats, surtout Goulas qui présente un casier judiciaire
déjà chargé (vol 5 fois et placement dans une colonie
pénitentiaire jusqu’à majorité) et de multiples punitions. Les
faits de rebellion ne sont pas considérés, et seuls le outrages
contre Hutin retenus dans le cas de Sarroul.
Interrogatoire
Goulas : « Du reste, de tout ce qu’on nous reproche et
qu’on nous met sur le dos, il n’y a rien de vrai. Je ne sais pour
quel motif on nous cherche ces histoires. Le Lieutenant Hutin, que
nous avons recontré est venu et nous a mal parlé. Puis, deux autres
soldats, que je ne connais pas, nous ont tapé dessus. Il se peut que
j’ai injurié le Lt sans que je me rappelle les paroles que j’ai
prononcées. Ce que je sais, c’est qu’il a appelé deux soldats
qui ont commencé à nous taper dessus, alors on s’est rebiffé ».
Devant le conseil :
Grave : « quand
l’adjudant Frérard est arrivé, il m’a donné un coup de poing
pour m’étourdir, et on m’a emmené au poste.
Adjudant Frérard :
«Grave ayant voulu me donner un coup de pied, je l’ai paré en lui
donnant un coup de poing.
Grave : Vous
m’avez donné le coup de poing avant. »
recours en révision
le 1er mars 1918, grâce rejetée le 3 avril 1918
Le petit Grave est fusillé àHeippes (55) le 4
avril 1918 à 6 heures devant une Cie du 9è bataillon.
Mai
Le 23 mai 1918, Eugène Simonnet, né le 11 septembre 1878, à Paslières,
près de Chateldon. Ses parents sont allés s'installer en Haute-Loire, à
Allègre ; il fit son service militaire dans ce département ; il
mesurait alors 1,59 m (matricule 406 – classe 1898).
Avant la guerre, il était célibataire et vivait dans le département du
Rhône, à Grigny, comme chef de terrassement. Le 12 mai 1918, au camp de Basse-Chevrie, sur la commune de La Chalade
(Meuse), lors d'une revue de détail, Eugène a été ramené dans son
cantonnement à la demande de son capitaine de compagnie car il avait une
mauvaise tenue en raison de son état d'ébriété (il avait déjà été puni
quelques fois pour cela) ; dix minutes après, il revint sur la place,
arma son fusil et tira en direction du capitaine d'Aubigny du 305e RI,
25 ans, sans l'atteindre ; mais il blessa mortellement le caporal
Manhaudier, 33 ans et il toucha au thorax le soldat Villard ; après son
geste, les hommes de la compagnie ont failli lyncher Eugène Simonnet ;
lors de l'instruction, on découvrit un carnet sur lequel Eugène avait
noté en avril 1917 : « je veux régler le capitaine ; pour moi, il en aura aussi »
Il est tout de même curieux que la phrase en question (écrite au crayon sur la dernière page du carnet) soit la plus lisible de tout l'ensemble. Certes Simmonet avait-il l'air affecté d'une maladie de persécution, mais la possibilité demeure que ses explications embrouillées ne soient pas toutes le produit d'une imagination dérangée.
Le Conseil de guerre de la 63è
division, suite à la demande de la défense, refusa un examen mental
de l'accusé avant le début du procès ; les témoignages notés
pendant l'enquête signalent qu'il vivait à l'écart de ses
camarades. Le 14 mai, après avoir entendu trois témoins, les 5
juges militaires le déclarèrent coupable à l'unanimité sans
circonstances atténuantes, de voies de fait envers un supérieur
avec préméditation ; selon l'article 221 du Code de justice
militaire, un tel verdict entraîne la peine de mort avec
dégradation.
Simmonet devant le conseil :
« Voilà, mon lieutenant-Colonel, je me suis tourné en face de
la compagnie, c’est ma seule faute. L’auget a manoeuvré seul,
c’est pas de ma faute… Trois fois le capitaine m’a puni pour
« Sobriété », je n’étais pas saoul. Mais je n’ai
pas toujours ma tête à moi. Je ne suis pas maboul ; je n’étais
pas saoul le jour où l’accident est arrivé. Je reconnais avoir
écrit sur mon carnet « Je veux régler le capitaine, pour moi
il en aura aussi. C’est le carnet fait aux tranchées. Il est
difficile à lire. L’écriture est peut-être contrefaite. La
phrase que vous dites je ne sais pas si c’est moi qui l’ai écrite
« Je veux régler le compte du capitaine ». C’était le
23 avril que j’ai fait cette écriture. Je ne sais plus à quoi
cela a trait. Je ne voulais peut-être pas le tuer encore le
Capitaine. Du reste c’est pas de ma signature le carnet : il
faut qu’elle soir légalisée pour compter. Tout cela c’est des
bêtises écrites pour moi. Y a peut-être aussi dans mon carnet des
mots allmands que j’ai copiés sans comprendre. Au Caporal qui me
reconduisait à l’abri, j’ai dit le Capitaine m’en veut
peut-être. C’est-y cela qu’il faut dire mon
lieutenant-Colonel ?.. Faut pas dire que j’ai mis en joue, je
refuse. En graissant, j’étais presque dans la position de joue,
mais pas à genoux ; je n’ai pas vu le capitaine. Je mentirais
de dire que je l’ai cu. Les camarades m’ont reçu à coup de pied
dans le cul et coups de poing sur la tête. J’en ai encore mal…
Je n’ai rien compris à ce qui s’est passé… qu’est-ce que
vous voulez ! »
Le 15 mai, le condamné s'est pourvu en
révision, en vain ; il fit alors une demande de grâce auprès
du Président de la République : elle fut refusée par message
chiffré reçu le 22 mai.
Eugène Simonnet a été fusillé le 23
mai, à 7 h du matin, à Lachalade, à l'emplacement même où
il avait commis son crime, au camp de la Basse Chevrie, devant
presque tout le régiment ; le peloton d'exécution placé à six
mètres du condamné, était composé de 4 soldats, de 4 caporaux et
de 4 sergents du 305e R.I.
Un tour de plus en Belgique
De nombreux soldats français ont été exécutés en Belgique. L'armée et le gouvernement belges se sont-ils montrés aussi indifférents et cyniques face aux pauvres gens qui se battaient pour défendre leurs intérêts financiers?
Il n'y a eu de 1914 à 1918 "que" 13 soldats belges exécutés.
1. Honoré Doyen renvoyé dans ses foyers comme inapte au service, arrêté le 10 septembre 1914 pour comportement suspect, convaincu d'espionnage par une cour martiale ; réhabilité, l'erreur judiciaire ayant été reconnue.
2, 3, 4. Trois soldats Elie-Jean De Leeuw, Jean Raes, Alphonse Verdickt furent exécutés le 21 septembre 1914, pour s'être trouvés absent à l'appel.
5, 6, 7, 8. Quatre soldats, Leopold Noel, Alphons Gielen, Louis De Vos, et Victor-François Remy ont été exécutés pour faits de dé désobéissance, accusés de désertion devant l'ennemi lors de la bataille de l'Yser.
9, 10. Paul Vanden Bosch, Henri Reyns, absents durant deux jours par "peur de monter en 1ère ligne"
11, 12, 13. Exécutés pour meurtre : François-Alphonse Van Herreweghe lancier qui tira sur son lieutenant, le blessant à mort. Aloïs Wulput, engagé volontaire. Emile Verfaille, quartier-maître, reconnu coupable du meurtre de sa fiancée fut, lui, guillotiné.
Un certain nombre de civils furent fusillés également pour faits d'espionnage dont Orphal Simon, magasinier et agent d'assurance, pourtant agent du Service de Renseignement français Bénazet ,cité à l'Ordre de l'Armée française et décoré de la Croix de Chevalier de l'Ordre de Léopold (militaire) avec étoile d'or et palme de vermeil; Croix de guerre avec lion de vermeil et palme de bronze; Croix civique de 1ère classe avec rayures d'or; Médaille du prisonnier politique ; Croix de Chevalier de la Légion d'honneur; Croix de guerre française avec étoile et palme de bronze; Médaille de la Ville de Liège; Médaille de la Ville de Verviers.
Fusillé le 18 octobre 1915 à 06h00 à La Chartreuse à Liège.
Juin
Paul Léon Gillet, né le 5
octobre 1895 à Paris 13è, caporal au 150è R.I.
Le soldat Gillet
aurait été
condamné à mort par le CG de la 40è D.I. pour un motif inconnu
puisque sa fiche de décès seule parvenue mentionne « tué à
l’ennemi » au bois de la Cohette (Cuchery). Il est en
conséquence déclaré Mort pour la France.
C'est en réalité un pur mensonge dont on comprend mal que le ministère des armées se fasse encore aujourd'hui l'écho.
La presse de 1924 mentionne que M. Gillet père avait reçu quelques temps après l'annonce de la nouvelle une lettre signée d'"un groupe de camarades" l'informant que Gillet avait été exécuté sommairement par son chef de compagnie, le sous-lieutenant Dutheil.
Voici le texte de cette lettre, dont les
auteurs ont naturellement punis pour avoir parlé :
(Date du cachet de la poste 12 juillet
1918) « Monsieur et Madame, Nous avons le pénible devoir de
vous écrire au sujet de la mort de votre cher fils et notre
malheureux compagnon d’armes. Vous avez sans doute reçu l’Officiel
mais vous ne vous doutez pas comment il est mort. Ce n’est pas par
les Boches qu’il a été tué, c’est par un lâche
un assassin, par un
officier Français indigne de son grade. C’est honteux pour
l’Armée. Je vous donne son nom : Dutheil 10è Compagnie.
Nous, ses camarades, ne souhaitons que la vengeance de ce pauvre Léon
qui est MORT en HÉROS à sa place de combat. Vous pouvez demander
des renseignements sur sa mort à la 4è section de la 10è
Compagnie. Tous ses camarades sont témoins de son assassinat.
Surtout ne laissez pas tomber cette affaire, vous pouvez faire faire
une enquête dans tout le régiment, ce crime est connu de tous.
Surtout n’écrivez pas à la Compagnie c’est ce lâche qui la
commande et il pourrait faire disparaître les lettres… Après la
guerre je vous donnerai notre nom si nous avons la chance de sortir
de là mais, nous avons l’espoir que vous ne laisserez pas sa mort
impunie. Un groupe de ses camarades ».
Extrait
de la 2è lettre du 29 juillet 1918 :
« Votre
fils, cher Monsieur, est mort à deux mètres de la tranchée atteint
d’une balle de revolver à la tête, tué lâchement par notre
sous-lieutenant commandant la 4è section de la 10è compagnie. Nous
l’avons vu un moment après, étendu son sac encore attaché sur
ses épaules, ses yeux regardant le ciel comme pour demander secours…
Caporal Chevalier. »
Extrait
de la 3è lettre, le 31 août 1918 : ‘J’ajouterai
que rien au monde ne justifiait semblable crime
attendu que votre fils n’abandonnait pas son poste ainsi que le
lâche a osé le prétendre mais au contraire se portait en avant
pour se garantir d’une caisse de grenades ayant explosée à
proximité. Pour Pelet, caporal Pujols, 9è Compagnie ».
4è lettre, 17 septembre 1918 :
« Je pense que je ne vois pas grand amateur pour servir de
témoin de votre petit fils, pour le moment il n’en reste pas
beaucoup. J’ai demandé à plusieurs ils m’ont répondu qu’ils
ne voulaient pas se mettre dans de pareilles affaires, ils ont bien
vu mais ils ne veulent rien dire de ce pareil crime qu’un lâche a
commis. Il y en a déjà deux qui sont passé le conseil pour cette
chose, on nous a interrogé tous sur cette question, un jour ils
disent d’une manière un jour d’une autre, il y en a un qui va au
P.P.S. et l’autre 5 ans de prison avec suspension de peine. Voilà
pourquoi les autres ne veulent pas servir de témoins… Le caporal
Pujols a 4 de prison pour vous à rendre réponse. Pelet »
Lettre n°5 (non datée) :
« Suivant les témoignages recueillis je crois pouvoir citer
celui du soldat Georges Soldatier, présent au moment même où le
sous-lieutenant Dutheil exalté ivre du carnage, bondissant sur le
premier homme qu’il vit à sa portée s ‘écria « Encore
un homme qui se sauve » et à bout portant lui tira une balle
en pleine tête. Le crime commis il ajouta « Voici le premier
mais ça ne sera pas le dernier » Malgré certaines
appréhensions relatives aux mesures disciplinaires qui pourraient
être prises contre nous les soldat Soldatier Georges et Rouger René…
consentent à signer avec la conviction certaine de faire leur devoir
et approuvent justement les allégations apposées ci-dessus… »
Signé de plus du caporal L. Chevalier et du soldat Brault Armand.
D’après les témoignages recueillis
dans les années 20, le sous-lieutenant Dutheil s’était attiré le
matin du 2 juin des remontrances d’un commandant de tirailleurs
sénégalais ; Brault le décrit comme n’ayant aucune autorité
sur ses hommes et comme un froussard.
Tous les supérieurs de Dutheil dans
diverses notes confidentielles approuvent son acte : « Il
a agi dans la crainte d’une réprimande de ses supérieurs, si la
ligne dont il avait le commandement fléchissait »
La Ligue des droits de
l'Homme va soutenir le père du soldat Gillet pour obtenir en vain sa
réhabilitation. En août 1920, le soldat exécuté recevra seulement une
décoration militaire à titre posthume, de façon à mieux étouffer l'affaire.
Juillet
juillet 1918, Aisne
Émile Joseph
François Cochet, né le 30 mars 1888 à
Saint-Jean-d’Arvey, 2è classe au 118è R.I.,
décédé à
l’hôpital de Chambéry le 27 juillet 1918 : « blessure
(déserteur du front blessé grièvement au moment de son
arrestation) ».
Boti Saya, né
en 1890 à Diefouré (Côte d’Ivoire), 2è classe au 98è BTS,
décédé à Skra di Legen (Grèce) « tué en rébellion et
faisant usage de ses armes ».
François Jean
Henri Ernest Peyre, né le 16 décembre 1879 à Mane
(Haute-Garonne), soldat au 7è R.I., 17è Groupe spécial. Décédé
à Sidi Abdel Jellil (Maroc) le 28 juillet 1918, inhumé à Matmata
« tué par sous-officier pour empêcher continuation
d’assassinats ».
Ernest Malgouyard, né le 13 juin 1880 à à Souillaguet (Lot), mort le 28 juillet 1918 à Fez (Maroc) d’un "coup de feu tiré par un chasseur (assassinat) en service commandé", Sergent, 7e Régiment d’infanterie, 17e Groupe spécial.
Août
Jean-Baptiste
Bourda, né le 27 mai 1895 à Escublazet (Saint-Haon,
Haute Loire), ouvrier agricole à Saint-Gilles (Gard), 2è classe au
8è RIC (précédemment incorporé au 133è R.I.)
« Le 20
décembre 1917, la gendarmerie de Lanarce (Ardèche) était informée
par le maire de Lespéron qu'un incendie venait de détruire la
maison d'habitation de la veuve Rouvier domicilié au hameau de
Malesveille et que ladite dame avait péri dans les flammes. Au cours
de leur enquête des 21 et 22 décembre, les gendarmes acquirent la
certitude qu'il s'agissait d'un assassinat dont le vol avait été le
mobile, la maison ayant été incendiée pour dissimuler les traces
du crime. En outre, la rumeur publique désignait comme coupable
présumé le soldat Jean-Baptiste
Bourda du 6è Colonial en garnison au camp de la Valbonne, petit-fils
de la victime. Dans les premiers jours du mois de décembre, ce
soldat avait écrit à sa grand-mère, lui demandant 200 francs par
mandant télégraphique, expliquant qu'il avait été condamné à 6
ans de travaux forcés à la suite d'un retard de 2 jours à sa
rentrée de permission et que moyennant le versement de cette somme
une personne qui s'intéressait à lui se chargeait de le faire
gracier. M. Armand, épicier à Langogne, à qui la veuve Rouvier
demanda conseil répondit qu'il s'agissait d'une farce et qu'il ne
fallait pas envoyer d'argent. Il écrivit lui-même dans ce sens à
Bourda qui, quelques jours plus tard, adressa à sa grand-mère une
nouvelle lettre dans laquelle il marquait son dépit en disant que
c'était la dernière fois qu'il lui écrivait et en signant :
« Votre petit-fils à l'abandon, Bourda ». L'existence de
cette correspondance qui a été déchirée a été révélée par
Mlle Julie Bouragay à qui la veuve Rouvier sa voisine et confidente
en avait donné connaissance.
Bourda
perdit son père à l'âge de 5 ans ; sa mère travaillant dans
une soierie à Voiron ne pouvait s'occuper de lui. Il fut recueilli
et élevé à Malesveille par sa grand-mère maternelle, la veuve
Rouvier. Pendant son service militaire, c'est chez elle qu'il venait
passer ses permissions. Il était revenu à Malesveille dans la
première quinzaine de novembre, et d'après les dires de sa tante,
Mlle Aurélie Rouvier… sa grand-mère ne l'avait pas laissé partir
sans argent. »
Arrêté le 25 décembre, Bourda avoue devant le commissaire, le juge
d'instruction et Rapporteur.
« Le
27 septembre,à l »expiration d'un congé de convalescence
obtenu après son évacuation pour maladie de l'Armée
d'Orient, Bourda rejoint le dépôt de son régiment au fort
Saint-Irénée à Lyon… puis
est versé dans une compagnie d'entraînement au camp de la Valbonne.
Là il fait connaissance au café Teillet d'une servante nommée
Félicie Mallière avec qui il a des relations intimes… Le café
Teillet ayant été consigné à la troupe, Félicie Mallière quitte
la Valbonne pour aller s'installer à Lyon. Quelques jours avant son
départ, elle revoit Bourda et lui demande de l'argent. Celui-ci qui
a essayé sans succès d'obtenir une somme de 200 francs de sa
grand-mère a déjà fait le projet de se rendre chez son aïeule et
d'obtenir d'elle l'argent dont il a besoin pour satisfaire sa
maîtresse. Mais comme pour
pouvoir mettre son projet à exécution, il a besoin d'une permission
exceptionnelle, Félicie Mallière consent dès son arrivée à Lyon
à expédier à Bourda un télégramme lui annonçant une maladie
grave de sa mère. Au moyen de ce télégramme mensonger, Bourda
obtient une permission de 48 heures. Il quitte la Valbonne le 18
décembre à 18 heures… et arrive à 21 heures à Langogne. Après
s'être restauré dans un hôtel voisin de la gare, Bourda se met en
route de façon à n'arriver à Malesveille qu'à minuit. En arrivant
chez sa grand-mère Bourda frappe à deux reprises. La veuve Rouvier
qui était couchée se lève et reconnaissant la voix de son
petit-fils le fait entrer dans la cuisine, puis elle lui demande le
but de sa visite à une pareille heure. Bourda répond qu'il vient
chercher de l'argent. Comme la grand-mère déclare qu'elle n'en a
pas et ne peut lui en donner, Bourda insiste… A ce moment la
grand-mère se fâche et veut chasser son petit-fils. »Comme
j(étais décidé, dit Bourda, à trouver de l'argent coûte que
coûte, j'ai saisi un bâton que je trouvai dans la cheminée et
tandis que ma grand-mère se dirigeait vers la porte de la cave qui
se trouve au même niveau que la cuisine, je la frappai par derrière
la tête. Elle tomba sur le sol de la cave sans pousser un cri et ne
bougea plus. Prenant la bougie qu'elle avait allumée pour venir
m'ouvrir je montai dans sa chambre et fouillai
dans l'armoire où je pensais qu'elle serrait ses économies.Je n'ai
trouvé qu'un billet de banque dissimulé dans du linge et un collier
en or. Je n'ai pas fouillé autre part. Après être redescendu dans
la cuisine et dans la cave et avoir constaté que ma grand-mère dont
le haut du corps reposait étendu sur un tas de pommes de terre
n'avait pas bougé, j'ai eu l'impression qu'elle était morte. Dans
le but de cacher mon acte et d'échapper aux recherches j'ai eu alors
l'idée de mettre le feu à la maison. Deux fagots de bois se
trouvaient dans la cuisine près du feu ; j'ai mis le feu à ces
fagots et me suis rendu compte avant de m'éloigner que la flamme
produite par le foyer que j'allumais ainsi pouvait atteindre le
plancher assez bas de la cuisine et communiquer ensuite le feu au
bois qui se trouvait sur ce plancher. En me rendant à la gare de
Langogne je me suis rendu compte que la maison brûlait et ai
nettement distingué la lueur de l'incendie. J'ai quitté Langogne à
5 heures du matin et suis arrivé le lendemain 21 décembre à Lyon
Perrache où j'ai retrouvé à 7 heures Félicie Mallière à qui
j'avais donné rendez-vous. Je suis resté en sa compagnie jusqu'à
trois heures de l'après-midi. Après avoir bu ensemble dans divers
cafés nous avons déjeuné cours Lafayette et avant de la quitter,
je lui ai remis une trentaine de francs et, le collier en or et
quelques menus objets achetés à son intention (gants,
flacon de parfumerie). Il y
avait longtemps qu'elle me demandait de l'argent. En lui donnant le
collier je lui ai expliqué que je l'avais reçu en cadeau de ma
grand-mère ; cette femme ne m'a jamais poussé à tuer ni voler
et elle ignore entièrement le crime dont je me suis rendu coupable
pour la satisfaire ».
Borda
ajoute
qu'il n'était pas allé chez sa grand-mère pour la tuer ou li faire
du mal et qu'il voulait simplement obtenir d'elle de l'argent. »
Selon
ses proches la veuve Rouvier devait avoir chez elle environ 1500
francs d'économie (Bourda dit n'en avoir trouvé que 50) et en plus
du sautoir une chaîne de montre et des boucles d'oreilles. Bourda
n'avait pas d'antécédent judiciaires. Blessé aux Dardanelles le 30
juin 1915, il était considéré comme un bon soldat, son relevé de
punitions était vierge.Comment
à la suite d'un congé de convalescence est-il devenu parricide et
pyromane ? Par amour d'une femme de peu qui cherchait à
l'exploiter ? Son ex-employeur à Saint-Gilles, Mazel se
souvient de lui en ces termes : « Ce jeune homme était
d'un naturel timide ; il ne fréquentait personne et n'est
certainement pas allé deux fois à Saint-Gilles pour son plaisir
pendant le laps de temps que je l'ai eu à mon service. Il a
travaillé pour mon compte trois moi et demi environ, j'ai été très
satisfait de lui tant pour son travail que pour sa probité et n'ai
jamais eu un seul reproche à lui adresser. »
Mallière
Félicie : « Il y
a cinq semaines environ, j'ai fait la connaissance… du soldat
Bourda Baptiste ; je me trouvais à cette époque au café
Tillier sur la route de la Valbonne à Montluet et c'est là qu'il
venait me voir ; il
passait quelquefois la nuit avec moi dans cet établissement ;
chaque fois il me donnait cinq francs. Cependant je n'ai jamais
remarqué qu'il eût beaucoup d'argent...en dernier lieu il se
trouvait même dans la gêne. Vers le 15 courant, lui ayant dit que
je voulais quitter la Valbonne pour retourner à Lyon où j'espérais
trouver du travail il m'a fait part de son intention de se rendre
chez sa grand-mère. »
Félicie
dit que le prétexte à cette visite n'était pas d'obtenir de
l'argent mais de régler un problème de famille entre un de ses
oncles et sa grand-mère ; Elle a bien envoyé de Lyon un
télégramme signé Marius (le frère de Bourda). A son retour elle a
remarqué que pour payer le petit-déjeuner, 2 francs, Bourda avait
changé un billet de 50, que les gants avaient coûté dix francs, le
parfum 6, qu'il lui avait remis 25, puis 5 francs supplémentaire, ce
qui s'ajoute aux pris des repas et des consommations au café. S'il
n'avait volé que 50 francs, il est donc reparti les poches vides.
Comme toujours avec les
rapports de la justice militaire, une fois les aveux passés, on ne
s'attarde jamais sur les détails qui détonnent : ainsi pour
les premiers témoins, Bourda serait arrivé à Malesveille non pas
vers minuit mais vers 20h30, après son départ, la porte d'entrée
était fermée de l'intérieur, Bourda serait donc ressorti par
l'étable communiquant avec la chambre, à l'aide d'une lampe et non
d'une bougie ; les restes carbonisés auraient été retrouvée
non près de la porte de la cave mais contre le mur du fond, preuve
que Mme Rouvier se serait relevée après le premier coup… Bourda
ne connaît Félicie que sous le nom de Verdier et non Mallières,
etc.
Mallière
Félicie, deuxième interrogatoire : « Hier
matin, avec ma patronne Mme Chevallier, en lisant le journal, j'ai
appris que Bourda avait assassiné sa grand-mère et mis le feu à la
maison, car jusqu'à là les inspecteurs m'avaient bien fait entendre
qu'il avait fait quelque chose de grave, mais ne m'avaient pas mis au
courant de ce qui s'était passé. Ma patronne et moi nous avons été
assez tourmentées et nous avons été d'accord pour venir vous
apporter un sautoir en or, paraissant ancien, que Bourda m'avait
donné le 21 décembre en revenant de chez sa grand-mère… Il
m'a dit que la grand-mère lui avait fait cadeau dudit collier. Je
n'ai pas remis ce collier tout de suite au Commissaire qui est venu
chez moi faire une perquisition, parce que je n'attachais à ce bijou
aucune importance, ne le croyant pas en or.
La carte postale que vous me représentez et sur laquelle se trouve
la photographie de Bourda m'a été remise par ce dernier avec le
sautoir, le vingt et un décembre au retour de son voyage à
Lesperon. J'ai rapporté cette carte et l'ai remise à l'Inspecteur
en même temps que le sautoir, d'abord parce que je ne tenais pas à
conserver la photographie de Bourda et puis parce que cette carte
adressée à la grand-mère a peut être été reprise chez elle,
sans doute au moment du crime. Auparavant Bourda ne m'avait jamais
donné une carte semblable. »
(au
dos)Valdahon 7 janvier 1915,
chère
grand-mère et tante Je vous en vois ma fotos grafie…
CG de la XVè
région, Marseille (6 juin 1918),recours en révision rejeté le 27
juin 1918
Bourda est fusillé
le 21 août 1918 à 5h30 (Le message téléphoné de 1923 qui
remplace le PV d'exécution absent ne mentionne pas le lieu
d'exécution.)
Arthur Malfait,
né le 7 novembre 1892 à Tourcoing (ou Roubaix), soldat au 43è R.I.
Décédé à
Saint-Chamas (13) le 31 août 1918, « tué d'une balle de
revolver au cours d'une lutte à la gendarmerie de Saint-Thomas ».
Une plaque commémorative existerait dans une église de Roubaix.
Ben Abdallah
Ahmed, né en 1897 à Aït Bayoud (Maroc), cultivateur à
Haha, 2è classe au 1er Rgt de tirailleurs marocains, 26è
Cie
Interrogatoire au
corps : « … d'autres tirailleurs sont arrivés ?
J'ai eu peu ; j'ai remis mon pantalon et je me suis sauvé. Ils
se sont mis à ma poursuite et m'ont rejoint. Je leur ai dit de me
pardonner, que c'était une chose qui était écrite pour moi et je
les ai priés de ne rien dire. Ils m'ont arrêté, m'ont frappé et
m'ont conduit devant mon commandant de compagnie. »
CG de la 153è DI:5
août 1918, inculpé d'attentat à la pudeur avec violences et
meurtre, pièce de conviction, un bâton mesurant 1,10m de long.
Victime Sophie Froidure, veuve Bouverie, 84 ans, 1,47m. Date du crime
1er août 1918.
Lieu à cent mètre
du cantonnement , dans le bois situé à la sortie est du village de
Gouy-les-groseillers.
D : -
Qu'avez-vous à dire pour votre défense ?
R : - Je
demande à rester militaire le restant de ma vie.
D : - Est-ce
vous qui avez frappé cette femme ?
R : - Oui c'est
moi. Dans la soirée j'étais allé me promener dans un champ de blé.
J'étais porteur d'un bâton. Dans le champ de blé j'ai aperçu une
femme assise. Je me suis approché et lui ai donné un coup de bâton.
Elle s'est affaissée. Je l'ai saisie par les pieds et l'ai traînée
dans le bois. Je me suis déculotté et j'étais sur le point de la
violer quand des tirailleurs ont accouru et m'en ont empêché.
D : - Ne lui
avez-vous pas donné plusieurs coups de bâton ?
R : - Je ne
sais pas si je lui en ai donné un ou deux.
D : - Vous
êtes-vous aperçu que la femme était morte quand vous l'avez
traînée dans le bois ?
R : - Non, je
n'ai su que le femme était morte qu'en arrivant au bureau. J'ai été
poussé par le démon et c'est pourquoi j'ai frappé.
Témoin Hassou :
- Quand Amhed a été arrêté il nous a dit, pardonnez-moi je suis
un musulman comme vous. C'est ce que Dieu m'a destiné… Oui, la
femme avait les jupes relevées.
Témoin
Abderrahman : - Quand nous avons arrêté Ahmed, il nous a
répondu, je suis un musulman comme vous, allez-vous en.
Pourvoi en révision
rejeté le 10 août 1918, rejet en grâce le 28 août
Ahmed est fusillé à
Chars (Yvelines ex Seine et Oise) le 31 août 1918 à 6h30 « en
présence des troupes marocaines cantonnées audit lieu »
Septembre
Laboué Diop
Samba, né le 5 mai 1885 à Saint-Louis du Sénégal, mort le 9
septembre 1918 à Belrupt-En-Verdunois
Au 53e RIC, le 9 septembre 1918 JMO P 100 : “ Le soldat musicien Lagriffoul Maurice ( déclaré MPF suites blessures de guerre) est tué par le soldat Diop Samba de la 2e Cie” . Sa fiche N-MPF indique : “En état de rébellion armée après s’être rendu coupable de meurtre d’un de ses camarades à Belrupt (Meuse). L'exécution quasi consécutive au meurtre laisse a penser qu'il n'y a pas eu de jugement …
Georges
Eugène Lefolle, né le 10 mars 1894 à Montérolier
(Seine maritime, autrefois
inférieure), mécanicien à
Paris, célibataire, 2è
classe au 103è BTS, 13è Cie
(section de discipline de la 69è DI) ; condamné le 10 avril
1915 pour refus d’obéissance à 7 ans de TP et
le 19 septembre 1915 à deux ans de prison pour bris de clôture et
abandon de poste.
Rapport :
« C’est un soldat peu recommandable, qui, depuis son arrivée
à la section spéciale n’a rien fait pour racheter son passé au
contraire, il a toujours suivi l’exemple des mauvais sujets. D’un
caractère hautain, il n’admet aucune observation ; il répond
toujours de façon très insolente. Quoique très jeune, il a déjà
des idées très antimilitaristes : c’est un troupier qui ne
mérite aucune bienveillance, et seul (sic)
les peines prévues par le
code de justice militaires
sont appliquables (sic) aux gestes de lâchetés qu’il a commis. La
France ayant toujours assez de troupiers de cette valeur pour la
défendre. »
CG
de la 69è DI (13 juillet 1918) : « J’ai
abandonné ma Cie parce que je n’avais ni plaque ni livret. Je suis
allé voir mon frère. » Aux gendarmes de Creil le 11 juin
1918 : « J’ai quitté ma section à la ferme des Chênes
située au dessus de Compiègne, le 10 juin 1918 à 2 heures du
matin ; le seul motif c’est de monter en ligne sans arme. Je
suis parti d’un coup de tête, sans savoir où j’allais, mais mon
intention était de me rendre. J’ai marché toute la journée et
cette nuit j’ai couché à Creil. » Interrogatoire au corps :
« J’ai eu peur de me faire tuer ? (le ? figure dans
la transcription originale). J’ai abandonné dans le bois Le Chêne,
mon fusil, mon équipement et mes munitions pour partir plus
aisément. »
Lefolle
est fusillé à la sortie
nord-est du village d’Ivors (Oise) à 6 heures.
Pari Tatti, né en
1893 à Toma (Burkina, ex Haute-Volta), cultivateur, tirailleur au
53è bataillon de tirailleurs sénégalais
Le 4 février 1918,
à Barika, dans l’après-midi une dispute éclata entre le
tirailleur Tatti-Pari et le tirailleur Gouros Pazari, tous deux du
53è Bataillon. Le premier avait déjà emprunté 5 francs au second
et celui-ci se refusait à renouveler ses largesses car il n’avait
pas été remboursé de son prêt. La discussion amena les injures et
Gouros Pazari, aux dires de l’inculpé aurait proféré des
outrages à l’adresse de ses parents. Tatti-Pari résolut de tirer
vengeance de ces outrages ».
Tel est le motif
futile de l’assassinat, la préméditation étant démontrée par
le fait que Pari se munit de son coupe-coupe vers 19 heure et
entraîna Pazari se promener dans la campagne avoisinante. Pourquoi,
au regard de la dispute, ce dernier le suivit-il ? Arrivés à
l’angle des routes de N’Gaous et de Mac-Mahon, ils s’asseyent
sur un mur servant d’enclos à un jardin planté d’oliviers.
Tatti prétexte un besoin naturel pour s’éloigner et tirer son
coupe-coupe et, revenu à l’improviste se jette sur Pazari Gouros,
lui fendant le nez et les deux joues ; il porte un second coup
au front. Une fois Pazari à terre, il s’acharne et le frappe à
l’arrière de la tête, puis s’enfuit le croyant mort. Il jette
l’arme et rentre au cantonnement comme si de rien n’était.
Pazari a appelé à l’aide et ses cris sont entendus par un agent
de police « indigène » qui va prévenir les gradés.
Conduit à l’infirmerie de Barika, il a la force de raconter la
scène ; il est confronté à son assassin qui nie mais passera
le lendemain des aveux complets, tandis que sa victime trépanée à
l’hôpital de Batna meurt pendant l’opération qui révèle une
blessure si profonde qu’elle a entamé le lobe cérébral droit.
« L’inculpé
est noté sujet médiocre et joueur. Il fut condamné le 22 juin 1917
à 3 ans de prion pour vol militaire. »
Selon les premières
déclaration à l’instruction de Tatti, les insultes auraient été
prononcés non pas après le refus du prêt, mais pendant la
promenade fatale : « j’emmerde ton père et le con
de ta mère », ce qui fait que nul n’en a été témoin mais
rend le mobile suspect puisqu’en se munissant de son arme avant
leur départ du camp, Tatti avait manifestement l’intention de tuer
Gouros. A l’infirmerie de Barika, Gouros nie avoir insulté le père
de Tatti. Malgré l’emploi du conditionnel, le premier rapport
formule la succession des faits d’une façon encore plus étrange :
« Une discussion aurait éclaté entre les deux hommes au cours
de laquelle Gouros Pazari aurait insulté le père de Tatti Pari.
Sous l’empire de la colère, ce dernier aurait proposé à son
camarade d’aller ensemble satisfaire un besoin , et arrivés près
d’un mur... »
CG de la division
militaire de Constantine (27 mai 1918)
Rejet en révision
le 20 juin 1918, recours en grâce rejeté le 2 août 1918.
Tatti est fusillé à El Kantara au
lever du jour. Le 11 septembre 1918 le jour s'est levé
à 6 heures.
Ouattara Sambou,
né en 1892 à Doulo (Haut Sénégal, Niger), brigadier à la 4è
batterie d'Artillerie coloniale
Le 17 janvier 1918 à
Ouled Zem, vers 20 heures, le maréchal des logis chef Magère,
sortant de la popote des officiers s’apprête à quitter le camp.On
le retrouve gisant devant un marabout en face des baraques
« Adrian », frappé de deux balles. Le 18 janvier au
matin le brigadier Sambou Ouattara se présente au rassemblement avec
un mousqueton qu'il s'est fait donner la veille au garde-magasin,
bien que n'étant pas de service. Il reconnaît avoir tiré sur le
maréchal des logis, parce que celui-ci l'avait traité de « sale
nègre » et brutalisé. Il a obtenu son mousqueton en
prétendant qu'il était de garde et est allé attendre le chef pour
lui faire rétracter ses paroles. Celui-ci, refusant l'aurait frappé
de nouveau, s'enfuyant en voyant Sambou sortir son arme de sous sa
pèlerine. Mais le maréchal fourrier Dubuquoy affirme qu'il n'a pas
quitté le chef ce jour-là et Sambou ment. Et, en effet, au cours de
l'instruction ce dernier se rétracte, expliquant qu'ayant comme
maîtresse une nommée Raba Couloubaly (épouse d'un autre soldat du
même régiment également cantonné à Ouled Zem), qui avait eu deux
fois (5 et 7 avril) l'autorisation de communiquer avec Sambou lorsque
celui-ci se trouvait en prison, prétendant être sa sœur et
apportant à son intention du tabac et des noix de Kola. Mais Sambou
l'ayant vu causer avec le maréchal-chef Magère lui avait dit qu'il
la tuerait ou Magère s'il l'a voyait de nouveau causer avec ce
sous-officier, ce qu'il fit de sang froid (sous l'emprise dit-il
d'une forte colère, dit-il) le 17 janvier. Selon Moussa Cissoko,
canonnier à la 4è batterie (qui témoigne avec difficulté) Raba
aurait demandé ce jour-là de l'argent à Magère qui aurait répondu
« je n'ai pas de monnaie, viens au souk ce soir, après souper,
je te donnerai de l'argent », ce qui aurait provoqué la colère
de Sambou, qui, comme lui, l'avait entendu.
Sambou :
« J'avais défendu à Raba de marcher avec personne autre, je
lui avais dit « marche avec ton mari et avec moi ».Tout
le monde à Oued Zem savait que j'avais des relations avec Raba. Son
mari lui-même le savait… Le jour où j'ai tué le chef, j'ai
cherché Raba et je ne l'ai pas trouvée. Raba se cachait parce
qu'elle avait peur de moi. Si j'avais trouvé Raba ce soir-là je
l'aurais tuée.
1er CG
des troupes d'occupation du Maroc occidental (31 mai 1918)
recours en révision
rejeté le 21 juin 1918, recours en grâce rejeté le 18 septembre
1918
Ouattara Sambou est
fusillé à Aïn Diab près Casablanca le 20 septembre 1918 à 6
heures.
Alfred Eugène
Moulun, né le 31 janvier 1890 à Champigneulles (Meirthe
et Moselle), métallurgiste, 46è RIT, 4è Cie
CG de la direction
des Etapes du Groupe des armées du Centre (5 août)
Moulun : On m’a
poussé à bout ; j’ai eu la fièvre typhoïde ; j’ai
reçu un coups de revolver sans la tête et j’ai été trépané.
Lorsqu’on m’ennuie je ne suis plus maître de moi. Je ne me
rappelle pas avoir parlé au soldat Trébuchon la veille du jour où
j’ai tué l’adjudant. Le 20 mai j’étais ivre. Je ne voulais
pas faire la corvée pour laquelle j’avais été commandé parce
qu’il fallait faire cinq km et ma jambe me fait souffrir et il
m’était impossible de faire le chemin. Je reconnais avoir acheté
à la coopérative le couteau à cran d’arrêt avec l’intention
de me tuer lorsque j’aurais fait un mauvais coup ; j’avais
pris les cartouches avec l’intention de m’en servir. Lorsque j’ai
tué l’adjudant je n’avais pas prémédité mon acte.
Trébuchon : Le
20 mars 1918, j’étais dans la chambre de Moulun, ce dernier me
dit : « on veut me déménager du 46è RIT, mais moi je
déménagerai le capitaine, le major et l’adjudant. » Je dis
à Moulun, « tu es fou, j’irai voir l’adjudant, fais pas de
bêtises »… L’adjudant me répondit : « Ce que
dit Moulun n’est pas parole de foi, il se vante, allez lui dire
qu’il ne se saoule pas et que demain il irait voir le docteur et le
commissaire régulateur et qu’il se présente bien ». Le 21
mai 1918, j’étais là lorsque Moulun ayant son fusil causait avec
l’adjudant qui voulait le faire conduire en prison. Ils étaient
dans le jardin. Moulun disait : « Mon adjudant, je n’irai
pas en prison ». L’adjudant lui répondit : « Allez
ne vous mettez pas dans le cas d’un refus d’obéissance, ce que
vous me dites entre par une oreille et sort par l’autre ».
Tous deux parlaient doucement : ils paraissaient calmes. Ils
sont rentrés dans le réfectoire ; je les suivis. Au moment où
l’adjudant allait partir croyant que Moulun obéirait, ce dernier
lui tira un coup de fusil à bout portant, l’adjudant tomba
foudroyé. J’ai couru de suite à l’infirmerie. En route j’ai
rencontré le capitaine et je lui dis de ne pas se rendre sur les
lieux caar Moulun le tuerait aussi ».
Anglès : Le
21, je l’ai vu lorsqu’il revenait du commissaire régulateur, il
me dit la larme à l’oeil : « Ce commissaire régulateur
est un brave homme, il m’a bien parlé mais je sais ce qui
m’attend. Le conseil de guerre et le Conseil de réforme ».
J’étais dans la chambre en train de changer de linge lorsque le
caporal Bouquet est venu chercher Moulun pour le conduire en prison.
Ce dernier a dit au caporal, attendez moi je descends un moment… Un
instant après j’entendis un coup de feu. Moulun remonta dans la
chambre, se mit le torse nu, il était excité, il avait un couteau à
la main et dit : »qu’ils y viennent, ils ne m’auront
pas vivant ». Puis il roula une cigarette, je lui donnai du
feu… A ce moment il me dit aussi « voilà ma veste et mon
porte-monnaie, tu les donneras au petit Louis ». Je descendis
aussi et j’appris l’acte commis par Moulun que les gendarmes
venaient arrêter.
Sallot : le 21
mai 1918, ayant été avisé qu’un soldat venait de tuer son
adjudant, je me suis rendu sur les lieux avec des gendarmes. Moulun
était très surexcité, un couteau à la main il disait qu’on ne
l’aurait pas vivant. J’ai fini par le calmer, il a jeté son
couteau et je l’ai mis en état d’arrestation. Il sortit alors
trois cartouches de sa poche, et il me dit : « s’ils
étaient venus, j’en avais d’autres ». J’ai compris que
ces menaces ne s’adressaient pas à nous.
Extrait du rapport :
« Le coup de fusil avait été tiré de si près que presque
toute la partie gauche de la face de l’adjudant Viron fut comme
tatouée par les grains de poudre. La balle était entrée près de
l’aile gauche du nez, juste à un moment où l’adjudant baissait
légèrement la tête. Elle avait traversé la masse cranienne en la
faisant éclater, et en produisant une véritable bouillie cérébrale.
D plus, l’adjudant Viron avait été certainement surpris par le
coup de feu en un instant où il ne faisait pas le moindre geste, car
il avait encore la main dans sa poche !
L’assassin… est
le type du mauvais soldat dans toute l’acception du terme [cette
phrase devient un cliché sous la plume des rapporteurs]. Huit fois
condamné dans la vie civile, ayant encouru au corps 202 jours de
punition, « il était d’un exeple déplorable, vis à vis de
ses camarades qu’il terrorisait. Mauvais esprit, systématiquement
haineux envers les gradés et les chefs, c’était un individu
dangereux, contre lequel avaient dû être mis en garde les caporaux
et les sergents ». Et son capitaine a pu dire de lui :
« Pour vous dire nettement ma pensée, c’est un être
nuisible à la société et qui ne mérite aucune pitié ».
Il semblerait en
l’occurrence que Moulun ait voulu « punir » ces gradés
qui espéraient le renvoyer au front, sans prendre en compte ses
souffrances psychologiques et physiques. Lors de son arrestation,
après avoir jeté son couteau et de se laisser saisir par les
gendarmes, il clama : « Comme j’aurai douze balles dans
la peau, ça n’en fera pas plus ».
pourvoi en révision
rejeté le 12 août 1918
Moulun est fusilé à
Romilly-Sur-Seine (Aube) le 23 septembre 1918 à 6h30.
Charles Bergdoll,
né le 3 février 1884 à Argenteuil, 2è classe au 227è R.I.
« s’étant
rendu coupable d’assassinat sur la personne d’un de se camarades
a été fusillé »
Kabalavci
(Macédoine) le 25 septembre 1918
Octobre
Hyacinthe Augustin Heranval, né le 11 juillet 1883 à Saint-Lubin-des-Joncherets, dans le canton de Brezolles, il est le fils d’un couple de tisseurs, installé au hameau des Caves puis au hameau de La Leu et travaillant à la manufacture Waddington. Après la naissance de leur 8e enfant, la famille quitte Saint-Lubin-des-Joncherets.
A l’âge de 20 ans Hyacinthe Augustin, qui exerce la profession de journalier, réside à Désnestanville dans la Seine-Maritime. Il est recruté en 1903 à Rouen, et incorporé comme chasseur de 2e classe, dans le 5e bataillon d’infanterie légère d’Afrique, en Tunisie. Lorsqu’il est libéré du service en août 1907 il obtient un certificat de bonne conduite. En 1911 il est condamné à deux reprises à 3 mois de prison pour vol et passe au 3e groupe spécial. En 1912, d’après sa fiche matricule, il réside à Saint-Lubin-des-Joncherets. L’année suivante il réside au Petit-Quévilly puis à Rouen.
Il est mobilisé en août 1914. Son frère Eugène-Hyppolyte, né à Saint-Lubin-des-Joncherets le 19 octobre 1887, également mobilisé, meurt le 28 août à Guise dans l’Aisne.
Hyacinthe Augustin est incorporé au 116 puis au 319e régiment d’infanterie. Il est déclaré déserteur le 23 septembre 1917. En décembre, il est condamné par le conseil de guerre de la 53e division d’infanterie à 4 ans et 6 mois de travaux publics. Il est à nouveau déclaré déserteur le 30 mars 1918. Il décède le 1er octobre 1918 à La Roche-en-Brenil, dans le département de la Côte-d’Or, où il est détenu. Il aurait été abattu par une sentinelle alors qu’il tentait de s’évader.
Georges Louis
Gaillagot, né
le 24 juillet 1895 à Paris 18è, instituteur
à Paris, célibataire, 2è
classe au 49è R.I., blessé
(par éboulement) le 6 mars 1916 à Douaumont, une seule punition
pour retard de 24 heures à l’issue d’une permission.
Alors
qu’il appartient au 18è R.I., le CG
de la 36è DI condamne 18
mars 1918 à une peine de 2 ans de TP (avec
sursis)
le soldat Gaillagot pour désertion à l’intérieur. Par mesure
disciplinaire il est alors versé à la 11è Cie du 49è R.I. Comme
il n’est pas connu dans ce régiment, le commissaire rapporteur de
sa deuxième affaire se réfère au jugement porté par le commandant
de la Cie de mitrailleuses du 18è :
« Ce
soldat était considéré à la Cie comme un individu dangereux, ses
relations avec des militaires suspects, d’opinion anti-militariste,
le fit classer dans cette catégorie. [Il est donc à supposer qu’on
tient des listes d’individus
dangereux et, en tant
qu’instituteur, Gaillagot est forcément suspect de dérive
gauchisante et anti-cléricale.] Sa conduite au feu confirma cette
opinion en y ajoutant la note plus précise du manque d’honneur
militaire et de son accomplissement du devoir ». Au 11è on
juge qu’ »il s’est montré mauvais soldat, faisant preuve
de mauvais esprit et opposant la force d’inertie à ses gradés.
Autant dire qu’avec ce genre de réputation, il était promis
d’avance au poteau.
Le
28 mars 1918, cette 11è Cie est transporté en camions automobiles
et arrive au village de Tricot dans l’Oise vers 6 heures du matin,
destinée à monter en ligne. Afin de permettre aux hommes de se
reposer on les loge au cantonnement d’alerte, avec l’ordre formel
de ne pas s’éloigner. Au lieu de se reposer avec ses camarades,
Gaillagot rôde autour des faisceaux, des sacs et lorsque deux heures
plus tard la Cie est rassemblée pour se porter en avant et aller
occuper le village de de Royaucourt, Gaillagot manque à l’appel.
Il est arrêté à Paris le
26 mai 1918.
D :
- Qu’avez-vous fait à
Paris ?
R : - J’ai loué une chambre que j’ai occupée pendant toute
la durée de mon séjour et j’ai cherché du travail aussitôt. Je
demeurais 126 rue d’Aboukir et travaillais comme comptable dans une
maison de messageries, 43 rue du Caire. Lorsque je me suis présenté
pour me faire embaucher, j’ai dit que j’étais en instance de
réforme, et je n’ai présenté aucune pièce à l’appui.
Le
7 août 1918 le
CG de la 36è DI le condamne à mort pour cet abandon de poste en
présence de l’ennemi.
Abel
Gaillagot, le 7 juillet 1918 : « Mon Général, vous
m’excuserez si je viens vous distraire de vos occupations. C’est
un père, mon Général, qui vous adresse une prière en faveur de
son fils, Gaillagot Georges, soldat au 49è R.I. qui a commis une
faute grave et que maintenant il regrette beaucoup et m’a juré
qu’il ferait tout ce qu’il est possible de faire pour la réparer.
Il était au è R.I. et depuis le mois d’août 1917 jusqu’au 20
mai dernier je suis resté sans nouvelles de lui. Ayant déserté du
18è, il a été arrêté et condamné (sans que j’en aie rien su)
avec application de la loi de sursis et versé au 49è. Il
n’a pas osé m’écrire et se voyant méprisé et abandonné qu’il
s’est cru, il a perdu la tête. Il est parti de nouveau. Cette
fois-ci, il m’a écrit, et mon Général malgré la peine et la
honte qu’il m’a fait, je crois de mon devoir de venir vous
implorer pour que vous lui accordiez la suspension de peine, et de
l’aider à se réhabiliter. Quand j’ai appris ce qu’il avait
fait le ciel me serait tombé sur la tête je n’aurais pas été
plus assomé que je l’ai été vu que je n’avais jamais eu à me
plaindre de lui, que c’était un très bon sujet. Je suis
sous-brigadier de Gardiens de la Paix à Paris, j’ai 26 ans
d’administration, trois années de service militaire. Croyez, mon
Général, que si vous pouviez m’accorder l’indulgence que je
vous demande, vous rendrez heureux un vieux serviteur. Recevez, mon
général, avec mon plus profond respect ma plus sincère
reconnaissance. »
Cette
lettre servile n’y pourra rien changer : le recours
en grâce est
rejeté le 12 août 1918 malgré
la recommandation des juges. La
justice militaire a-t-elle évolué dans le sens de l’apaisement en
1918 ? Elle ignore toujours la compassion et cultive la paranoïa
et le mensonge. Il n’y a pas encore assez de morts !
Gaillagot est fusillé le 3 octobre 1918
au Ravin d’ Allemant (Aisne) à 6h30
Joseph Bourdier,
né le 19 février 1889 à Terrenoire (Loire), mineur, marié, deux
enfants, 2è classe au 38è R.I., 11è Cie
Le 30 mai 1918, la
section à laquelle appartenait Bourdier se trouvait en réserve à
Jonquery (Marne). Vers 21 heures, elle recevait l'ordre de
contre-attaquer, sur le bois Bonval. La section se mettait en route,
et Bourdier suivait ses camarades jusqu'aux emplacements de combat.
Pendant que son chef de section reconnaissait le terrain, Bourdier
partit vers l'arrière. Il fut arrêté à Damery le 1er
juin. Au cours de l'instruction il reconnut les faits mettant sa
défaillance sur le compte de la peur. « J'ai peur des
obus ».Déjà condamné le 19 décembre 1916 par le CG de la
division à cinq ans de détention pour avoir déserté en présence
de l'ennemi à Vauvillers dans la Somme le 22 octobre 1916 à la
veille d'une attaque. Il était très mal noté par ses chefs.
Avis du général
commandant la 10è DI : « Bourdier est un récidiviste de
la désertion en présence de l'ennemi. Les juges qui l'ont condamné
viennent de prendre part coup sur coup à deux grandes batailles et
ont vu tomber auteur d'eux les meilleurs et les plus brâvrs de leurs
soldats. C'est à eux que va leur pitié. Ils ont voulu que la
lâcheté ne préserve pas de la mort. Leur verdict est juste, je
demande que la sentence soit exécutée. »
CG de la 120è DI
(14 août 1918)
recours en révision
rejeté le 21 août 1918
Le s/Lieutenant
Bienaimé, défenseur du soldat Bourdier à M. le Président de la
Répubique :
« Pour mesurer
la responsabilité de Bourdier, il importe avant tout de connaître
son passé qui est celui d'un déshérité. Bourdier a été placé
par ses parents comme berger et domestique de ferme à partir de
l'âge de 12 ans, il devient mineur pue de temps avant d'entrer au
Régiment ; ensuite et jusqu'en 1914, il est cantonnier à la
voirie de Saint-Etienne. Depuis son enfance il n'a cessé de mener la
vie d'un mercenaire : jamais personne ne lui a parlé de
conscience, de devoir, ou d'honneur. Il sait à peine signer son nom
-depuis son service militaire-. Malgré tout, Bourdier a toujours
vécu honnêtement, travaillant pour nourrir sa femme et ses enfants.
C'est au nom de ce passé de travail humble et honnête, c'est au nom
de ses deux enfants, un fils et une fille de 16 et 17 ans, que
Bourdier sollicite un peu de pitié. »
Bouedier est fusillé
à Gratreuil- à 300m du PC de la DI- (Marne) le 6 octobre 1918 à
5h.
Daouadji Mohamed
Ould Djilali Kinane, né en 1883 à Tiaret (Dpt d'Oran),
cultivateur, tirailleur de 2è classe au 2è RMTA, casier vierge,
avait été condamné à mort pour abandon de poste en présence de
l'ennemi par un CG spécial le 6 octobre 1914. Il réussit à
s'évader quelques heures avant l'exécution et à passer dans les
lignes allemandes.
Note du capitaine
Laurent au général commandant les troupes françaises d'Afrique du
Nord, le 7 juin 1917 :
« Je lis dans
le journaux de ce jour (7 juin), que 17 prisonniers de guerre
mussulmans, incorporés de force dans l'armée turque après un
séjour au camp spécial de Zossen (Allemagne) ont pu rejoindre les
lignes russes lors de la prise de Bagdad. Ces 17 hommes ont été
félicités à Petrograd où ils sont parvenus. Tous ont été
décorés de la croix de guerre et quatre d'entre eux ont reçu la
médaille militaire. Il est probable que le gouvernement français a
dû s'entourer de renseignements sérieux avant d'agir ainsi
vis-à-vis de ces militaires. Dans le cas contraire, il y aurait lieu
d'attirer l'attention du gouvernement sur les inconvénients graves
que pourraient occasionner des récompenses ou félicitation
accordées trop rapidement. En effet, je suis chargé de procéder
aux interrogatoires de tous les indigènes musulmans de l'Afrique du
Nord qui ont pu s'échapper de l'armée turque soit en Mésopotamie,
soit en Syrie. Or, j'ai pu démasquer déjo deux traîtres passés
jadis à l'ennemi… Il serait donc regrettable que parmi les
militaires récompensés à Petrograd puissent s'être glissés
certains suspects que je serais appelé à signaler lorsqu’ils
seront parvenus à Alger et que j'aurai procédé à leur
interrogatoire. »
L'attaché militaire
français à Petrograd certifie ce même 7 juin 1917 que le
tirailleur Kinan Daoudzi Mohammed a été payé 20,75 frs pour retard
de solde. Le même fait l'objet d'une proposition de citation à
l'ordre de l'armée (« fait prisonnier par les Allemands sur le
front français dans les premiers mois de la guerre, blessé, enrôlé
de force dans l'Armée Ottomane et envoyé sur le front de Perse, a
mis à profit la première occasion pour s'évader et rejoindre les
troupes d'une puissance alliée. A fait preuve en la circonstance
d'une fidélité exemplaire et d'un haut sentiment du devoir
militaire. »)
Extrait du rapport
du capitaine Laurent le 29 août 1917 :
« Dans la nuit
du 6 au 7 octobre quelques heures avant son exécution, à
Tracy-le-Mont, [Kinane] s'évade, grâce à la complaisance,
semble-t-il, de ses gardiens (5è Tirailleurs). Il nous a déclaré
que le lendemain il avait été arrêté par une patrouille de
dragons. Il avait raconté, pour dérouter les soupçons qu'il
appartenait au 3è Tirailleurs lorsqu'il est parvenu à s'enfuir au
cours de la nuit (grâce encore à la connivence de ses gardiens...).
Il prétend que pensant fuir vers l'arrière, il est allé donner en
plein dans les lignes allemandes !! En réalité, il a déserté
à l'ennemi pour éviter une exécution capitale. Kinan a reçu de
Petrograd la croix de guerre avec palme et la médaille de
St-Georges. Il y a lieu de lui enlever immédiatement les décorations
et de l'expédier d'urgence sur le 2è Rgt de Marchr du è
Tirailleurs où il a été condamné à mort. Kinan paraît croire
que le temps a fait son œuvre et qu'ayant échappé à l'exécution,
il est désormais sain et sauf. Engagé comme ordonnance d'un
officier allemand à Hamadan, il est resté dans cette ville lors de
la retraite turque et s'est présenté, dit-il aux Russes. Kinan en
dehors de sa condamnation à mort, toujours exécutoire, est passible
d'une nouvelle condamnation à mort pour désertion à l'ennemi. Il y
a donc lieu de l'expédier en France dans le plus bref délai. »
Même si l’on a
déjà compris les tenants et aboutissants du premier procès et de
l’évasion , le témoignage de Kinane se révèle tellement
édifiant sur les pratiques et la confusion des militaires français
humiliés par la déconfiture de septembre 1914 qu’il faut y
consacrer quelque attention :
[Après la retraite
de Charleroi où le régiment décimé a dû être refondu] « nous
sommes arrivés dans un village de la région de Paris dont je ne me
rappelle pas le nom - nous avons reçu l’ordre d’attaquer les
Allemands. Nous les avons repoussés, les Allemands ont reculé. Le
17 septembre nous nous sommes battus à Choisy, dans la région de
l’Oise. Nous n’avons pas pu progresser davantage et nous avons
creusé des tranchées. Nous sommes restés là quelques jours et le
bataillon a été ramené à l’arrière au repos. C’était fin
septembre. Nous y sommes restés 4 jours et nous sommes revenus en
première ligne, à Choisy. A cet endroit j’ai été envoyé avec
un petit groupe occuper un petit poste, à savoir ; le sergent
Daoud de la 1ère Cie, un caporal arabe… 10 hommes, dont moi. C’est
le 24 ou le 27 septembre que nous avons occupé le petit poste en
question. En notre présence et avant notre départ, un lieutenant
français qui venait de prendre le commandement de la Cie a dit au
sergent Daoud que si l’un de nous venait à fuir ou à commettre
une faute grave il n’avait qu’à l’exécuter sur le champ. Nous
sommes arrivés au petit poste à environ 300 pas en avant de la Cie,
qui, elle, occupait les tranchées en arrière. Le sergent a placé
immédiatement 2 sentinelles à droite et 2 à gauche d’un petit
bois qui se trouvait là et le reste du poste était à la lisière
de ce bois en arrière. Il y avait une heure… que ces dispositions
étaient prises quand les Allemands sont arrivés. A ce moment l’une
des sentinelles a dit au sergent Saoud qu’il voyait une patrouille
allemande, le sergent lui répondit de ne pas tirer sans ordre et fit
replier les 4 sentinelles sur le peti poste. Les Allemands s’étaient
approchés, le sergent a crié « Halte-là ! » et
les Allemands ont répondu par des coups de fusil. Nous avons riposté
par 5 ou 6 coups de feu chacun et nous nous sommes repliés sur les
tranchées par la 18è Cie à 150 pas environ à notre gauche.
Personne n’avait été tué ni blessé au cours de ce repli.
L’adjudant de la 18è Cie a demandé au sergent pourquoi il venait
dans son secteur, il répondit que c’était parce qu’il avait été
attaqué. L ‘adjudant dit alors au sergent que s’il ne
revenait pas à son petit poste il en rendrait compte et le ferait
casser de son grade. Nous sommes retournés au petit poste en suivant
un autre chemin. A ce moment, dans ce détour, notre Cie, la 1ère,
nous prenant pour des Allemands, nous a tiré dessus. (C’était
Minuit). Voyant que nous recevions des coups de fusil de notre Cie,
le sergent Daoud nous fit replier de nouveau sur les tranchées de la
18è Cie. L’adjudant, furieux, voulait même frapper le sergent
Daoud et lui donna l’ordre de rejoindre l’emplacement primitif du
petit poste. Arrivés au petit poste, les Allemands avaient évacué
le petit bois. J’étais sentinelle à droite avec un autre
tirailleur… Au bout d’une heure une patrouille de la 1ère Cie
est venue par la droite et le sergent m’a donné l’ordre de
l’arrêter. Je l’ai arrêtée. Il ne s’est plus rien passé et
au matin nous sommes rentrés dans notre Cie où le sergent Daoud a
rendu compte de ce qui s’était passé ; Le lieutenant
commandant mla Cie a infligé 8 jours de prison à tous les hommes
faisant partie du petit poste, pour avoir abandonné le point que
nous devions garder. Le lendemain on nous a fait passer 7 (dont moi)
devant le CG… A la suite des débats moi et Ben Rafa Mohamed [ben
Abdelkader Berrafaa] nous avons été condamnée à mort, sur les
déclarations du sergent qui avait dit que c’était nous deux qui
avions abandonné notre poste les premiers et que en ce qui
concernait Ben Rafa, ce dernier, au moment où notre Cie avait tiré
sur nous par erreur, avait riposté et tiré sur la Cie. Ceci se
passait le 27 ou 28 septembre 1914. Les 5 autres tirailleurs ont été
acquittés. Ben Rafa et moi avons été conduits dans un château au
milieu des bois (Tracy-le-Haut, je crois). On nous a placés sous la
surveillance de sentinelles appartenant au 5è Tirailleurs. Le poste
se composait d’un sergent, d’un caporal et de 25 hommes. Nous
avons été libres de nos mouvements jusqu’au soir où on nous a
attaché les pieds et les mains avec des cordes. Nous ne doutions pas
que nous devions être fusillés le lendemain matin. Je suis resté
ainsi attaché jusque vers 2 heures du matin et à ce moment j’ai
pu me débarrasser de tous mes liens. J’étais au pied d’un mur
et j’ai pu le sauter et disparaître dans le bois qui était
derrière. Les sentinelles ont crié « Aux armes ! »
mais n’ont pas pu tirer sur moi. Ben Rafa était resté à 3 ou 4
pas de moi, mais je n’ai pas osé le détacherà cause de la
présence des sentinelles. Mon intention était de me rendre auprès
du Commandant en chef des troupes qui m’avait condamné
injustement. J’ai marché sous bois jusqu’au lever du jour(…) »
Le 7 octobre Berraffaa fût exécuté, le 28 octobre 1914, le sergent
Ben Naka fut condamné par le CG de la 37è DI à un an de prison
pour avoir facilité par négligence l’évasion de Kinane.
C’est alors qu’il
erre dans les bois dans la nuit du 6 au 7 octobre 1914 que Kinane
rencontre les dragons, et que, ramené à l’unité à laquelle il
prétend faussement appartenir, il est à nouveau menacé de passer
en CG sous l’inculpation de désertion.
« On m’a
placé sous la surveillance de sentinelles pour m’empêcher de fuir
et le soir on m’a attaché les mains et les pieds. Après m’avoir
attaché, la Cie du 3è Tirailleurs a reçu l’ordre de se porter en
première ligne. Le Lieutenant m’a emmené avec la Cie. Nous avions
à peine fait 1km qu’il donna l’ordre à la 4è section de me
ramener à l’emplacement que nous venions de quitter, de façon à
ce que je puisse être traduit le lendemain devant le CG. Arrivé à
cet emplacement au lieu de m’attacher, le sergent qui commandait
cette section me fit placer au milieu des hommes, une sentinelle
veillait sur moi. Vers 10 heures du soir profitant de l’obscurité
j’ai feint d’aller uriner, la sentinelle ne m’a pas vu. (Dieu
est avec celui qui sait surmonter tous les dangers et vivre
longtemps!) J’ai fait je crois 5 ou 6km ne sachant où j’allais,
je n’avais pas mangé, et tout à coup je me trouvais au milieu des
Allemands. En partant, j’ai suivi un chemin qui, je le croyais, me
conduisait à l’arrière. Soudain, je me suis trouvé nez à nez
avec une sentinelle allemande qui m’a barré la route et je me suis
rendu. Ceci se passait près de St-Léger à côté de Choisy. On m’a
conduit à un capitaine allemand qui m’a demandé pouruqoi je
corculais sans armes et je lui ai raconté que je m’étais perdu.
J’ai été envoyé d’abord à Goestrof puis à Altendam et de là
à Zohssen. J’ai d’abord été affecté à la 2è Cie, 2è
section. Puis, au moment de partir avec le bataillon pour l’armée
turque j’ai été versé à la section Déserteurs, au 1er
Bataillon. Peu de temps avant notre départ de Zohssen, j’ai été
nouveau caporal et j’ai été cassé à Selaya, avant d’arriver à
Alep. Braïka qui commandait la Cie m’a fait enlever à cet endroit
mes galons. A Alep je suis entré à l’hôpital pour maladie. Je
suis resté 4 jours à l’hôpital, et en sortant j’ai trouvé un
officier allemand, trésorier-payeur, qui m’a pris comme
interprète. Il s’appelait Törcen. J’ai été très bien traité
par lui. (…) Les Russes se portaient en avant, les Turcs battaient
en retraite, je me suis caché dans une maison pour attendre
l’arrivée des Russes. Le consul d’Angleterre se trouvait avec
eux à leur arrivée. Là, au bout d’une quinzaine de jour le
caporal Bouccabouya[...déchirure] est arrivé avec des tirailleurs
qui s’étaient rendus aux Russes. J’ai obtenu l’autorisation de
me rendre isolément à Tiflis… et de là je suis parti avec lui à
Pétrograd. »
CG de la 37è DI (17
août 1918) : Recours en révision rejeté le 24 août 1918,
Kinane : « Si
j’ai revêtu l’uniforme allemand c’est qu’on m’y a obligé.
Si j’avais été un « aéroplane, je serai revenu tout de
suite chez les Français. Je ne suis pas un « marabout ».
On est « marabout » de père en fils. Ce n’est pas mon
cas. Je demande qu’on fasse venir ici ceux qui disent que je suis
« marabout ». D’ailleurs je n’aurais rien gagné à
me faire passer pour marabout. Encore une fois, je le dis : je
n’ai pas voulu déserter. »
Lieutenant Josse, 2è
Rgt de Tirailleurs : ... « J’ai fait des reproches
au sergent qui comandait le poste. Il m’a répondu qu’il n’était
pas maître de ses hommes qui obéissaient à un de leur camarade qui
était « marabout ». J’ai fait venir cet homme et je
l’ai menacé de lui brûler la cervelle. (…) Kinane, condamné à
mort, s’est enfui. Les tirailleurs disaient qu’il ne devait pas
mourir car il était « marabout ».
Kinane :
« Quand les tirailleurs disent que l’un d’eux est marabout,
cela veut dire qu’il réussit ce qu’il fait. Je n’ai pas voulu
déserter car toute ma famille a servi la France… Je vous demande
de ne pas faire pleurer mes parents. »
Rejet en grâce
signifié le 4 octobre 1918.
Même si une partie
des européens paraît croire naïvement que ce titre de prestige a
facilité les différentes évasions de Kinane, il n’était
probablement pas marabout puisqu’il est exécuté à Longueau- ST
Martin (Oise) le 6 octobre 1918.
Ben Abdesselem
Lhassen, né en 1899 à Sale, soldat au 1er
escadron du Rgt de Marche de Spahis Marocains, noté « fusillé »
sur sa fiche de décès, aucune trace de procédure, aucun indice sur
les causes du décès à Kugazevac (Serbie) le 19 octobre 1918
ben Allal
Aomar, né en 1895 à Aït Ichi (Maroc), soldat au 3è escadron
du Rgt de Marche de Spahis Marocains
Ould Ben Ali
Mohamed, né en 1889 à Sidi-bel-Abbès (dpt d’Oran) 2è
classe au 5è régiment de Spahis
« fusillé »,
et « passé par les armes » à Zajecar (Serbie) le 20
octobre 1918
« Au cimetière
militaire français de Zaječar, s’est déroulée une cérémonie
en l’honneur des soldats français de la brigade de cavalerie du
général Jouinot-Gambetta, tombés lors de la libération de la
ville le 19 octobre 1918. Cet hommage a été suivi par un dépôt de
gerbes au pied du monument à la mémoire des combattants serbes de
la région du Timok, situé au centre de Zaječar. ». Il y a
donc eu d’autres sacrifiés à Zajecar. La date de l’exécution
au lendemain de la libération de la ville suggère une condamnation
rapide pour abandon de poste.
Pierre Joseph
Creton, né le 6 février 1887 à Grand-Fort-Philippe
(Nord), mineur, demeurant à Bully-Grenay, soldat du service
auxiliaire du 8è R.I., en sursis d’appel aux mines de Béthune.,
casier judiciaire vierge.
Le 28 avril 1918,
meurt à Aix-Noulette, Pierre Creton, âgé de 4 ans, fils de Pierre
Joseph.
Interrogatoire du 17
juin 1918 :
D : - Par suite
des évacuations de la plus grande partie de la population, il n’a
pas été possible de retrouver et d’entendre la plupart des
personnes auraient pu donner des renseignements sur vous. On ne sait
pas non plus ce qu’est devenue votre femme.
R : - Moi non
plus, je n’en ai jamais eu de nouvelles.
D ; - M. le
maire de Bully à qui vous m’aviez déclaré être allé demander
s’il n’y avait pas moyen d’évacuer votre enfant a répondu
qu’il n’avait aucune souvenance de votre visite, ni de la réponse
qu’il vous aurait faite.
R : Cependant,
j’y suis bien allé, trois ou quatre jours avant le crime un matin
vers 10 heures.
D : - Je vous
donne connaissance du rapport de M. le Médecin-major Houdeville qui
déclare que votre responsabilité, sans être tout-à-fait entière,
existe cependant.
R : - Je
comprends ; il est vrai que je ne suis pas bien intelligent,
mais je sais bien ce que je fais ; je n’ai surtout pas
beaucoup de mémoire.
D : - En ce qui
concerne le meurtre de votre enfant, vous l’avez cependant bien
combiné et prémédité ; pendant combien de jour y avez-vous
pensé à l’avance ?
R : - Durant
deux ou trois jours, mais c’est surtout depuis la veille que j’y
étais bien décidé, après que Madame Bastien ayant refusé de
conserver mon enfant, j’avais demandé au cabaret « A
Solférino » s’il n’y avait pas moyen de le remettre en
pension quelque part.(…) C’est pendant mon service actif que j’ai
été blessé d’un coup de hache à la main gauche, ce qui m’a
fait verser dans le service auxiliaire. Quand j’ai été mobilisé
à la fin de mars 1915, je suis parti au 8è d’Infanterie puis ai
été envoyé en sursis aux mines de Béthune. Je n’avais en effet
que huit jours de prison au régiment pour ivresse.
Le 4 mai : « Ma
femme avait pris des pensionnaires et s’est mal conduite avec eux.
Aussi il y a environ un an je l’avais quittée, la laissant avec
nos deux enfants, cité Caranda n°3 à Bully. Je suis allé moi-même
en pension chez Mme Teihoux à un km de là. Quelques temps après
j’ai appris qu’elle était partie à Paris emmenant l’un des
enfants, Roger, âgé de six ans. »
Le maire de Bully :
« La rumeur publique accuse la femme de légèreté, elle
vivait séparée de son mari ; ce dernier s’adonnait de temps
en temps à la boisson. »
interrogatoire, le
30 mai :
D : - Je vous
donne connaissance du rapport et des constatations de M. le Dr
Bréhon, qui a examiné le cadavre de votre enfant. Celui-ci avait
bien été enterré vivant, la face contre terre et sa mort qui a dû
être horrible dans ces conditions est due à une asphyxie lente.
N’avez-vous pas pensé à la cruauté terrible d’une semblable
mort ?
R : - Je n’y
ai pas pensé… Ainsi que je vous l’ai dit… au cabaret « A
Solférino », j’ai demabdé à la cabaretière et sa sœur si
elle connaissait quelqu’un qui puisse se charger de l’enfant dont
je paierais la pension mais elles ont répondu qu’il n’y avait
presque plus personne dans le pays et que ce serait bien difficile.
Je n’ai pas cherché ailleurs et c’est alors que j’ai eu l’idée
de me débarrasser de l’enfant. J’ai pensé tout de suite à le
faire plutôt disparaître en l’enterrant et ai cherché un endroit
où ce serait commode. En revenant à Bully par Aix-Noulette, j’ai
vu sur le côté de la route, à une cinquantaine de mètres une
ancienne briqueterie, j’y suis allé, tenant toujours l’enfant
par la main, et en ai fait le tour et ai remarqué vers le four et
derrière un grand tas de briques, un trou qui m’a paru faire
l’affaire… Cependant, je n’ai rien fait sur le moment et je
suis revenu chez moi avec l’enfant… L’après-midi, je suis
resté chez moi avec l’enfant qui était resté à jouer dans la
cour tout seul. Quatre ou cinq fois je suis allé prendre une chope
ou une verre de vin à un cabaret voisin, et avais pris l’enfant
avec moi. Il était assis sur une chaise et bien sage. Le soir, après
avoir soupé, j’ai mis coucher l’enfan vers neuf heures et me
suis couché moi-même… Le lendemain, vers sept heures, j’ai
donné à manger à l’enfant une tartine et du café comme
d’habitude ; je l’ai habillé, puis lui ai dit de venir avec
moi. Je m’étais réveillé vers cinq heures, j’ai repensé tout
de suite à ce que j’avais résolu, et pour me donner du courage,
je suis allé au café voisin où j’étais tout seul et où j’ai
bu une bouteille de vin blanc et deux bouteilles de stout. C’est
alors que je suis rentré et ai fait lever l’enfant. Quand il eût
mangé je luis dis de venir promener et je l’emmenai… ce doit
être vers onze heures qu’il a été enterré.
D : -
Qu’avez-vous pu faire entre sept heures et onze heures ?
R : - Je suis
encore allé au café de la fosse n°10 et suis entré encore deux ou
trois fois dans un cabaret. Je pensais toujours à mon projet mais ne
pouvais m’y résoudre. Enfin, étant bien décidé, je suis parti
vers la briqueterie.
D : - Dans
toutes ces promenades, l’enfant n’était-il pas fatigué et que
disait-il ?
R : - Il ne
parlait pas ; plusieurs fois il a dit qu’il était fatigué et
je l’avais pris sur mon dos.
D : -
Avez-voue, en arrivant à la briqueterie, cherché le fil
téléphonique ?
R : - Je suis
allé au trou que j’avais vu la veille ; j’ai bien regardé
s’il n’y avait personne aux alentours et comme tout paraissait
propice à mon dessein, j’ai dit à l’enfant de m’attendre un
instant : c’est à une dizaine de mètres de là que j’ai
trouvé le bout de fil téléphonique… Je suis revenu alors à
l’enfant à qui j’ai fait allonger les bras le long du corps et à
qui j’ai dit/ « Ne bouge pas, je vais t’amarrer ». A
ce moment, je crois qu’il n’a rien dit.
D : - Vous avez
dû le serrer fortement car on a constaté des sillons aux bras à
l’endroit où ils étaient accrochés contre le corps ?
R : - Cependant
je n’avais pas serré fort ; c’est sans doute en se
débattent qu’il a ainsi été serré.
D : - -Quand
vous l’avez alors déposé, couché la face contre terre, vous avez
reconnu qu’il s’était mis à pleurer et à se débattre en
disant : « Non, papa,non papa ». Cela ne vous a donc
pas ému. ?
R : - Si, un
peu.
D :- Cependant
vous continuiez à ramener la terre sur lui, en le maintenant et en
empêchant les mouvements. S’est-il débattu et plaint longtemps ?
R : - Il s’est
débattu pendant une couple de minutes, jusqu’à ce que je l’ai
recouvert de terre ; alors j’ai jeté au-dessus des briques
qui étaient à proximité, puis ai recouvert le tout de terre avec
une pelle que j’ai trouvée là.
D : - Ne
l’avez-vous pas encore entendu crier jusqu’au moment où vous
êtes parti ?
R : - Oui,
c’est vrai, j’entendais encore comme s’il criait et pleurait,
mais très faiblement.
D : - Cependant
vous êtes retourné tranquillement chez vous et vous êtes mis à
dîner comme d’habitude ?
R : - Oui, mais
je n’ai presque rien mangé… [Les nuits suivantes] je n’ai pas
dormi je crois plus d’une heure par nuit. Je pensais tout le temps
à ce que javais fait et croyais encore entendre le petit crier… Je
ne sais pas pourquoi j’ai fait cela. Je l’aimais bien. J’allais
le voir le dimanche chez Mme Bastien où il était en pension. Je
payais cinquante cinq francs par moi pour sa pension.
D : -
Qu’est-devenue votre femme ?
R : - Je n’en
sais rien. Il y a un an environ elles est partie avec mon autre
enfant qui a maintenant huit ans, mais je n’ai plus jamais eu de
ses nouvelles et je ne sais pas où elle réside ni ce qu’elle a pu
devenir. Je n’ai jamais rien envoyé pour cet enfant pas plus
qu’elle ne s’est préoccupée du petit Pierre depuis son
départ.(…)
D : - Vous
aviez, dans les quelques mois qui ont précédé ce crime, commis
plusieurs vols : aviez- vous la crainte d’être poursuivi ou
arrêté pour ces vols, et de ne pouvoir subvenir aux besoins de
votre enfant ?..
R : - Non ;
pour les vols je n’avais pas été pris jusqu’alors et espérais
bien certainement à ne pas l’être. C’est surtout la question
d’évacuation qui m’a poussé à cela.
Rapport du
médecin-major Houdeville : « A première vue, Creton
donne l’impression d’un dégénéré à faible développement
intellectuel. Atteint d’un bégaiement très accusé rendant
difficile une conversation, et de tic de la face consistant en un
clignotement continu des paupières… Comme antécédents
personnels, Creton a eu à 10 ans une maladie qu’il ne peut
spécifier qui a duré 40 jours… L’esprit borné de Creton ne
permet d’obtenir aucun éclaircissement sur ce point… Creton
répond aux questions, mais de lui-même ne développe aucune idée,
ne commente aucun fait… Comme autre stigmate de dégénérescence,
à noter des tatouages représentant des femmes nues à chaque bras.
Creton est complètement illettré, il ne sait pas signer son nom, et
n’a jamais été à l’école, même quelques jours. »
« En ce qui
concerne le vol Forestier, je reconnais l’avoir commis dans la
soirée du 27 avril, quand Forestier m’a demandé d’aller jusque
chez lui pour surveiller son feu ; j’y suis allé avec la clef
qu’il m’avait confiée. Après avoir arrangé le feu, j’ai
regardé dans le veston accroché derrière la porte… J’ai trouvé
le portefeuille et j’ai pris tout l’argent que j’y ai trouvé…
Ce n’est pas 90 francs que j’ai pris là mais seulement 60…
En ce qui concerne
le vol Marquis Arsène, je reconnais l’avoir commis… dans le
courant de février, un matin pendant qu’on se reposait après
avoir mangé, j’ai regardé dans le veston de Marquis qui
travaillait au même quartier que moi, je pensais d’abord y trouver
et y prendre du tabac : j’y ai trouvé un portefeuille avec
beaucoup de billets, j’en ai pris un paquet, soit cinq de 50
francs.
En ce qui concerne
le vol vasseur, c’est moi également qui ai pris son portefeuille
contenant 600 francs. Vasseur avait retiré son veston, et en le
déposant sur une chaise il a laissé tomber à terre le portefeuille
en cuir jaune qui était dans sa poche. Je l’ai vu par terre près
du comptoir et ai profité de ce qu’on ne faisait pas attention de
ce côté pour le ramasser et le mettre dans ma poche sans être vu.
J’ai dépensé tout cet argent à boire.
En ce qui concerne
le vol Becquet, c’est moi également qui ai pris les cinquante
francs qui avaient disparu de son portefeuille le 8 octobre. Je
couchais dans sa chambre et avais vu qu’il mettait son portefeuille
dans son paquetage. En rentrant dans la courant de la journée, je me
suis trouvé seul un moment dans la chambre et en ai profité pour
regarder dans la paquetage de Becquet. Il y avait peut-être trois
cent francs en billets et j’en ai pris un de 50 francs. C’est le
premier vol que je commettais. »
CG de la région du
Nord
Creton est fusillé
à Le Portel (Pas-de-Calais) le 25 octobre 1918 : pas de PV
d’exécution annexé au dossier.
Charles Joseph
Marius Meyrand, né le 24 juillet 1882 à Fontaine
(Isère), palissonneur à Grenoble, célibataire, mais également
chauffeur avant guerre, soldat au 61è R.I.
1er CG
permanent du gouvernement militaire de Lyon :
« Rapport sur
l’affaire des soldats Meyrand (Charles Joseph marius, 61è R.I.,
Vagnon (Joseph) 340è R.I., Porraza (Pierre Jean) 156è R.I., Bez (
Adolphe Eugène) 140è R.I. détaché à l’usine Brondel à
Villeurbanne, Sahi (Charles Isidore) 14è section d’infirmiers,
Bonnefoi (Xavier Pierre) 86è R.I. détaché aux usines Séguin à
Lyon, Bez (Maurice Auguste, cousin du précédent) 14è R.I., Terrat
(Jean) 75è R.I. (Extraits du rapport rédigé en 1925 à l’occasion
de la demande en révision de son procès par Vagnon)
Dans le courant des
mois d’août et de septembre 1917, des rapports détaillés de M.
l’inspecteur Riou de la 10è brigade de police mobile, signalaient
à M. le Gouverneur Militaire de Lyon les agissements d’une équipe
de déserteurs français parmi lesquels se faisaient remarquer tout
particulièrement les nommés Meyrand et Ortollad Joseph. Ces
déserteurs faisaient des voyages entre la France, la Suisse et
l’Allemagne, et, au cours de ces voyages, ils conduisaient aux
agents allemand des déserteurs français qu’ils avaient réussis à
racoler, et ils recevaient en échange des sommes d’argent
importantes. Le 28 septembre 1917, le déserteur Meyrand fut arrêté
par la 10è brigade de police mobile, avenue Berthelot à Lyon. Deux
mois auparavant, le 31 juillet 1917, Meyrand avait franchi la
frontière suisse à Ville-la-Grand en compagnie des déserteurs,
Vagnon et Bez Maurice, ils avaient été interpellés par les
gardes-frontières. (…) Le sergent Carrère
soupçonnant la
fausseté des titres qui lui étaient présentés envoya chercher le
brigadier de gendarmerie. Meyrand donna alors une poussée violente
au sergent Carrère qui essayait de le retenir et le fit tomber sur
la table du poste. Vagnon frappa d’un coup de poing le
garde-frontière Cambon et tous deux se sauvèrent en Suisse. Maurice
Bez essaya de les suivre mais il fut rejoint. Ayant déclaré à ce
moment-là qu’il voulait regagner son dépôt, il fut relâché et
gagna Lyon.(…)
Les renseignements
alors recueillis ayant établi que Meyrand avait couché pendant les
deux dernières nuit (26 au 27 septembre et 27 au 28) chez un nommé
Adolphe Bez, mobilisé à l’usine Brondel à Villeurbanne… une
perquisition fut faite. Elle amena la découverte d’une somme de
372 francs , de nombreuses lettres et de permissions en blanc dont
certaines étaient signées et tamponnées. Dans la chambre de Bez,
la police découvrit une malle appartenant à Meyrand, renfermant des
effets militaires, une paire de chaussures neuves provenant de Genève
et de nombreux papiers. La situation de déserteur de Meyrand étant
connue de Bez Adolphe, ce dernier fut arrêté et écroué le 29
septembre 1917. Un rapport de la police ayant signalé qu’il
existait à Lyon, au n°138 de la rue Garibaldi, un comptoir connu
sous le nom de Comptoir Anatole
et qui constituait en
réalité une véritable officine où l’on fabriquait de faux
titres de permission, une perquisition fut ordonnée. Cette
perquisition eut lieu le 30 septembre 1917 ; elle amena,
notamment , la découverte d’un certain nombre de faux titres
(certificats de réforme ou congés de convalescence) ainsi que de
nombreuses marchandises. Invité à s’expliquer sur sa véritable
identité, le tenancier de ce comptoir fut obligé de reconnaître
qu’il s’appelait en réalité Corazza Pierre-Jean, qu’il se
cachait sous le noù d’Anatole, qui était celui du mari légitime
de sa maîtresse et qu’il était déserteur. Corazza fut mis en
état d’arrestation le 1er
octobre 1917.5suivent les arrestations de Sary chez Anatole et de
Vagnon près de Veurey, Isère]…. Le 12 janvier 1918, le nommé Bez
Marucie Auguste, déserteur du 140è R.I. fut arrêté à son tour
par la mairie de Bellegarde au moment où il présentait au visa une
permission de sept jours au nom de Galot Marius… Le 29 janvier
1918, le nommé Bonnefoi Xavier Pierre qui logeait au-dessus du
comptoir tenu par Corazza, et avait
donné l’hospitalité à Meyrand à plusieurs reprises, au cours de
sa désertion, fut à son tour arrêté par la police. Enfin, le
nommé Terrat Jean, déserteur du 76è R.I. fut renvoyé devant le CG
du Gvt Militaire de Lyon.
A-
En ce qui concerne le prévenu Meyrand : qui se trouvait à
Salon, dans un détachement de mitrailleurs du 61è R.I., en instance
d’être envoyé sur le front, quitta,
sans autorisation vers la fin de décembre 1916, ce détachement. Il
se rendit, dit-il à Valence, où il passa quatre ou cinq jours, puis
à Vienne,où il essaya de trouver un livret individuel qui pût lui
servir de pièce d’identité. Il rencontra dans cette ville le
nommé Pato Daniel Paul Antoine qui était à peu près de son âge
et réformé. Meyrand l’enivra et en profita pour lui dérober son
livret militaire… A partir de ce moment-là (janvier 1917), Meyrand
se fit appeler Patot Paul. C’est sous ce nom qu’il aurait
travaillé, à plusieurs reprises, dans des usines soit à Lyon, soit
à Clermont-Ferrand. Vers fin juin 1917, Meyrand abandonna, dit-il,
tout travail et se livra au métier de contrebandier qu’il
pratiquait avant la guerre. Pour s’approvisionner, prétend-il en
marchandise (pierres à briquet, saccharine, etc;) Meyrand reconnaît
s’être rendu plusieurs fois en Suisse, une première fois
au début de Juillet 1917… Au cours de ce voyage qui dura quatre
ou cinq jours, il se rencontra à Genève avec le déserteur
Ortoland… Le 31 juillet, en compagnie des déserteurs Vagnon et Bez
Maurice… il prenait à la gare des Brotteaux le train pour
Annemasse. Arrivés à Annemasse, Meyrand, Vagnon et Bez quittent
leurs vêtements militaires qu’ils laissent dans un café, revêtent
des vêtements civils. Ils se rendent ensuite au poste frontière de
Ville-la-Grand. C’est à ce moment-là que se passe l’incident
dont il a été parlé ci-dessus. Meyrand et Vagnon réussirent à se
sauver en Suisse. Ils demeurèrent à Genève, disent-ils une
quinzaine de jours. Meyrand prétend s’être alors occupé de ses
affaires de contrebande, mais la fille Gaidet, bonne du café
Christina, que fréquentaient Meyrand et Vagnon, a révélé, dans sa
déposititon, que Meyrand et Vagnon faisaient passer des déserteurs
de France en Suisse et qu’ils étaient en rapport avec l’espionnage
allemand.(…)
Meyrand a reconnu que c’était lui qui avait mis dans la malle de
Bez Adolphe les permissions en blanc qui y avaient été trouvées.
Dans la malle de Meyrand on découvrit un faux congé de
convalescence de 60 jours… au nom de Ernest Grand ( Ortoland)…
Meyrand a été blessé le 27 juin 1916 à Thiaumont. [Son] casier
judiciaire révèle qu’il a encouru cinq condamnations.
B-
En ce qui concerne le prévenu Corazza : il résulte de [ses]
explications qu’après avoir déserté, il se rendit d’abord à
Savières et Grange l’Evèque… où il exerça le métier de
colporteur. En avril 1917, il vint se fixer à Lyon et il fut rejoint
quelques jours après apr sa maîtresse, Louise Eugénie Poirecuite,
femme Anatole. Ils prirent
alors la gérance d’un comptoir sous le nom de la femme Anatole.
Sous ce nom d’Anatole, Corazza se plaça comme livreur à la maison
de Tréfilerie Lyon-Allemand, vers le moi de mai 1917. Au moment de
son arrestation, on trouva au domicile de Corazza, de nombreuses
marchandises qu’il avait détourné au préjudice de la maison
Lyon-Allemand [pour une valeur de 994, 90 francs, notamment des
feuilles d’or]. »
Pourvoi en cassation
rejeté le 19 septembre 1918
Est condamné
solidairement aux TF à perpétuité (commuée en 20 ans en 1924,
avec remise de 2 ans en 1930, alors détenu à la Guyane) un nommé
Georges Dain né à Saint Pierre et Miquelon,.
Coraza, peine de dix
ans de réclusion et vingt ans d’interdiction de séjour commuée
en 5 ans (+1) en 1923. Malgré trois désertions et trois évasions,
Corazza a bénéficié d’une certaine indulgence, peut-être en
raison des lettres de recommandation décrivant ses exploits au feu
au début de la guerre (2 blessures, citation, deux demandes de croix
de guerre).
Vagnon est condamné
à la déportation dans une enceinte fortifiée (à perpétuité).
Son recours en grâce est rejeté à nouveau en 1922. Peine commuée
en 10 ans de déportation en 1933, remise de l’interdiction de
séjour en avril 1945 !
Sur les
faits d’espionnages, lesquels sont un peu occultés dans les
rapports ultérieurs, on apprend que Patot-Meyrand étaient en
relation suivies avec le déserteur français Charreyron Léon,
précédemment condamné par la cour fédérale (Suisse) le 3 mai
1917 pour espionnage contre la France. Outre le trafic de déserteur
auquel ils se livraient, Meyrand et Ortoland « cherchaient à
se procurer une carte du front français pour la livrer aux
allemands, ainsi qu’un imprimé des nouvelles permissions du
front. » Selon l’inspecteur Riou, Meyrand et ses acolytes
étaient connus à Genève sous l’appellation de « Bande à
Rhem : « Rhem, de nationalié allemande, exploitait à
Genève, rue Kleberg 10, un café, où se réunissaient journellmemnt
des sujets allemands avec des déserteurs français. Dans son
établissement, les Allemands donnaient aux Français des
instructions pour faire racoler en France et emmener en Suisse, des
permissionnaires venant du front. .. Là, le permissionnaire
racontait à l’Allemand tout ce qu’il avait pu remarquer sur le
Front, emplacement des régiments, moral des troupes, etc. Il
recevait pour ses renseignement une somme qui variait selon leur
importance » (400 à 800 francs). Les agissements d’Ortoland
et Meyrand sont confirmés non seulement par le témoignage (sujet à
caution) de la serveuse Gaidet Sylvanie mais par Le soldat
Poux-Berthe, du 3è Rgt mixte de Zouaves et Tirailleurs, qui, en
permission à Lyon, s’étant laissé payé sa chambre d’hôtel et
soudoyé, subit les interrogatoires des deux comparses sur le
situation de son régiment et l’emplacement des troupes dans son
secteur, mais trouvant louche les proposition d’argent à collecter
en Suisse, refusa de déserter, se faisant insulter au passage par
Meyrand. Ils tentèrent également de détourner le soldat Porte qui
les entendit dire à Poux-Berthe « qu’il était un imbécile
de retourner au front et d’aller se faire trouer la peau. Un
certain Charles Colleau qui assista à ces séances de questions
rapporte qu’il entendit Meyrand prononcer des menaces de mort
contre celui qui le dénoncerait à la police. Ils eurent un peu plus
de chance avec Ferrat, mais ce dernier répondit à leurs
sollicitations de questionner ses camarades permissionnaires que s’il
était déserteur « il n’était pas marchand de patrie ».
Meyrand est fusillé
à Villeurbanne, Camp de la Doua, le 25 octobre 1918 à 6 heures.
La
guerre du sud-tunisien 1915-1917
Le poste d'Oum Souigh en 1916
Ben Amor Ben Ali
Et Tir Mohamed, né vers 1894 à Tatahouine (Tunisie)
cultivateur, soldat au 4è Régiment de Tirailleurs Tunisiens
CG du détachement
du sud tunisien : jugé avec sept indigènes civils de la tribu
des Ouderna, (sans condamnations antérieures) A.A. Et Tir Mohamed
est inculpé de désertion à l’étranger en temps de guerre d’un
territoire en état de siège, rébellion par plus de vingt personnes
armées, assassinats accompagnés d’autres crimes, participation à
des pillages commis en bande et à force ouverte, port et usage
d’arme dans un mouvement insurrectionnel.
Un mouvement
insurrectionnel a éclaté dans le sud tunisien à la frontière
entre Tatahouine et la Tripolitaine dans le courant de l’été
1915, réprimé et contenu par l’occupation des troupes françaises
dans ladite région. Les 25 et 26 septembre 1915, 17 soldats français
sont tués par les rebelles, 15 blessés. Du 2 au 8 octobre 1915, à
Oum-Souigh, les français se trouvent à nouveau attaqués, comptent
25 tués et 94 blessés. Le 20 avril 1916, à Garat-Djaouach, les
rebelles pillent le campement des Touazines, occasionnant la perte de
350 chameaux. En mai et juin 1916 (et particulièrement le 26 juin),
les troupes françaises sont attaquées à Ramada, et aux environs de
Déhibat, subissant des pertes de 55 tués et 21 blessés. Le 30
juin à Bir Moghri, les pertes sont de 7 tués et 53 blessés. Le 25
septembre 1917, dans les Ouled Chehida, un nouveau pillage provoque
la mort de 5 chameaux appartenant à Belgacem ben Ahmed Chibani. Le
12 octobre 1917, à Gatfa, les Douiret perdent 327 chèvres. Le 1er
décembre 1917 à Aïn Messaïda, les Djelibat et Ouled Soltane
oerdent 18 chameaux. Le 24 et le 25 décembre 1917, un groupe plus
réduit (plus de 3 personnes) résiste violemment aux troupes
françaises dans dans la région de Tamelest. Il semble que cette
guérilla prenne fin avec l’arrestation par le chef des Ouled
Chehida de A.A.T. Mohamed, porteur d’une arme de guerre, déserteur
depuis le 1er septembre 1917, n’ayant pas rejoint son
corps en garnison à Sousse à l’expiration d’une permission
passée à Tamelest. (d’après les questions posées aux juges). 4
des inculpés sont à l’unanimité condamnés à mort, les autres à
2 et cinq ans de prison
Recours en révision
(de quatre condamnés à mort) rejeté le 8 juillet 1918.
Ben Amor Ben Ali Et
Tir Mohamed, et les civils ben el Aref Zoungah (né à
Tamelest vers 1893), ben Mansour ben Abdallah Chetih Mohamed,
(né ver 1895 à Tamelest), ben Ali ben Reboudi Reboudi (né
vers 1898) sont fusillés conjointement à Médenine (Tunisie) le 30
octobre 1917, 6h « à la parade ».
Après Novembre
Gustave Paul Joseph Roy, né le 3 février 1894 aux Magnils-Reigniers, domestique
cultivateur, soutien de famille incorporé au 137è R.I., soldat de 2è classe arrivé au corps le 8 septembre 1914 est condamné par le conseil de guerre de la 21è DI le 20 mai 1916 à 10 ans de travaux publics. Pour s’être absenté de son corps sans autorisation, la condamnation pour désertion à l’intérieur en temps de guerre estlourde. Arrêté, sa peine est suspendue et Gustave Roy est affecté au 93è RI fin mai 1916. En 1916 le 93è et le 137è sont à Verdun et là encore, les pertes sont énormes. Le 4 juillet 1916, le conseil de guerre le condamne à la peine de mort pour abandon de poste en présence de l’ennemi et désertion en présence de l’ennemi mais la peine est commuée en 20 ans de prison le 24 juillet et suspendue en août. Il passe au 137è RI, en section disciplinaire. Blessé le 18 avril 1917 à Troyon dans l’Aisne par des éclats de grenade avec des plaies multiples, il est à nouveau condamné à 5 ans de travaux le 18 décembre 1917 par le conseil de guerre permanent de la XIè région militaire (de Nantes) pour désertion, le jugement est exécutoire le 29 décembre 1917. Gustave Roy est écroué à la maison d’arrêt de Fontenay le 25 avril 1918 puis définitivement à Montrevault le 3 octobre 1918. Il y meurt le 14 décembre.
René Désiré Saumureau, soldat né le 24 novembre 1887 à Saint Lambert des Levées.fut jugé le 11 janvier 1917. Sa fiche militaire décrit qu’il portait des « cicatrices à quatre travées de doigts dans le tibia droit, côté externe, côté droit du métatarse au pied droit » : précision, cet homme boitait. A noter aussi qu’il portait des tatouages représentant une femme nue et un papillon sur l’avant bras droit. Au 166è régiment d’infanterie, il commit insultes et surtout une tentative d’assassinat et voies de faits pendant le service ; du 10 août 1907 au 7 juin 1918 diverses condamnations lui furent signifiés. Les actes de son jugement et de son recours rejeté (31 octobre 1919) sont arrivés jusqu’à nous. Le plus grave est qu’il avait tiré deux coups de pistolet automatique occasionnant une blessure grave sur le Sergent Sarda. Enfin, pour résumer, le recours rejeté, il mourut le 3 janvier 1920. Le coût sur ses biens présents ou à venir se montait à 327 francs 40.
Civils
Marie-Antoinette
Awico (alias Régina Diana),
née le 27 juillet 1885 à Genève (Suisse), « se disant
italienne », artiste lyrique, célibataire (une fille naturelle
d’un nommé Cherix, garagiste)
Fille de
blanchisseuse, son père italien disparaît peu après sa naissance.
Elle travaille avec sa mère jusqu’à l’âge de 16 ans puis se
fait un nom d’artiste dans les cabarets genevois, celui de Regina
Diana. Selon les agents du consulat chargés plus tard de sa
surveillance, Marie-Antoinette aurait tiré ses revenus des largesses
de ses amants et de la prostitution. Avec les premières années de
guerre, les affaires de son amant périclitent. Son garage genevois
fait faillite, il compense en faisant de la contrebande de caoutchouc
avec les Allemands. Poursuivi, il s’enfuit avec leur fille, qui
sera déposée dans un orphelinat protestant dans la Drôme.
En septembre 1916, Regina Diana
s’apprête à partir pour Paris, bien décidée à «y trouver un
engagement». C’est là qu’elle accepte de rendre à l’occasion
un petit service pour un certain «Louis», patron de «Charles»,
ami zurichois d’un autre de ses amants genevois, dit «Weil»… Il
s’agit de faire quelques observations sur les dernières modes
vestimentaires des Parisiennes, voire de noter au passage les numéros
de régiments qui sont inscrits sur les cols des soldats de la place.
Elle se méfie. On lui promet 5000 francs et un faux passeport.
Fauchée, elle accepte.
photo du passeport
A son retour, ces espions notoires
semblent déçus: distraite, Marie-Antoinette a oublié son carnet
avec les numéros. Qu’importe, ils l’incitent à s’installer
quelques jours à Marseille. Cette fois-ci, il faut compter les
aéroplanes, voir si on construit des casernes, savoir si les soldats
portugais ont débarqué.
Regina Diana s’en tire mieux. Elle dit
à qui veut l’entendre qu’elle vient soigner son mal de gorge
dans le Midi, se produire dans les casinos, gagner de quoi ouvrir une
maison de «rendez-vous» à Lyon ou encore soigner sa mère malade.
Dès janvier 1916, au moins seize personnes se laisseront approcher,
sans livrer toutefois d’informations essentielles. Grâce à ses
charmes, l’espionne réussit tout de même à promener plusieurs
soldats, et sous-officiers bien placés.
Parmi les trois principaux figurent
Albert qui écrit de Bordj-Menaïel Mary et son camarade Peysson dont
elle aurait pu retirer quelques informations sur les mouvements en
Somme, mais leur passage en permission semble court même si les
cartes d’Albert évoquent un flirt. Une correspondance plus
importante prend place avec Armand Benyounès du 68è BCA, en
convalescence à Alger, qui était peut-être plus qu’une relation
intéressée : il note au dos de ses photos : « A ma
gosse chérie, son gosse, Armand » (2 février 1916)
Marie Antoinette est arrêtée le 16
mars, sur le chemin de la gare alors qu’elle s’apprête à
quitter Marseille. En prison, Regina Diana répète ses sentiments
francophiles, balance ses commanditaires: ils jouent aux cartes
chaque lundi à L’Aiglon, à Genève. Rien n’y fait. Pendant
qu’elle vend ses bijoux pour payer un avocat, sa co-détenue
l’accable, prétendant qu’elle aurait manifesté des sentiments
« francophobes exacerbés ». Sa mère tente également de
contacter le consul d’Allemagne à Genève. Les malles de sa fille
lui seront rendues mais les causes du décès soigneusement
dissimulées.
CG de la XVè
région : 20 septembre 1917. Les questions posées au procès de
Marie-Antoinette Awico suggèrent que la plupart des tentatives qu’on
lui prête, consistant en la rédaction de nombreuses cartes postales
aux services d’espionnage allemand, auraient lamentablement échoué
à part celle de s’être « introduite dans la place de guerre
de Paris » en novembre 1916. Ces autres actions concerneraient
à Marseille en janvier 1917 l’embarquement de troupes anglaises
pour Salonique, le 28 janvier renseignements fournis sur l’enrôlement
des jeunes soldats, le moral des civils et des permissionnaires, la
crise du sucre et du charbons, le 5 février 1917, de nouveau le
départ de deux navires chargés de troupes anglaises, à partir du 4
mars le nombre de permissionnaires à Marseille et la préparation
des offensives dans la Somme pour la 2è quinzaine de ce même mois
(ainsi que les positions anglaises sur ce front). Les pièces de
conviction se résument à deux seules cartes postales qui ne
parviendront jamais à leur destinataire.
Texte secret révélé
de la 2è carte (à Mlle Fevarotto le 26 janvier 1917 à Zurich) :
« Aujourd’hui
cortège de conscrits de 350 à 400. Le peuple murmure. Tous les
jours bataille dans le commissariat où on délivre les cartes de
sucre. Presque plus de charbon. Le moral est très atteint même chez
les permissionnaires. On craint la Révolution. »
Recours en révision
rejeté le 22 octobre 1917, grâce rejetée le 4 janvier
Marie Antoinette
Avvico (orthographe de l’acte de décès) est fusillée au terrain
de manœuvres du Pharo à Marseille le 5 janvier 1917 à 6h30.
Mohammed Ben
Mohammed Laïd (alias Mohammed ben Abdesselam), né en
1886 à Ouled Abdallah (douar, commune de Ténès)
Ouali Ben Yahia
Mamou, présumé né en 1878 à l’Oued Abdallah
Abdelkader (alias
Serir) ben Heddi Nourine, né vers 1892 au
douar Ouled Abdallah, résidant douar Baîch
Condamné le 29
ocotbre 1916 aux TF à perpétuité (commuée en 2O ans, réduction
de peine de 2 ans) pout tentative de meurtre sur le chef Pons et le
gendarme Duveau, le é_ août 1917 par le CG d’Allger à la peine
de mort, le 16 janvier 1918 à 20 ans de TF, jugements par contumace.
Nourine a été tué à coups de marteau dans la nuit du 29 au 30
décembre 1933 par un autre indigène.
« Pendant 2
ans, de fin 1914 à fin 1916, les colons européens et indigènes de
la région de Ténès étaient terrorisés et mis en coupe réglée
par des bandes de malfaiteurs indigènes armés qui parcouraient le
pays, imposant des rançons et commettant des crimes. 129 crimes
(meurtres, tentatives de meurtres, vols qualfiés) furent ainsi
commis dans ces deux années. Le 24 vovembre 1916, un brigadier et
deux gendarmes se rendirent en tournée dans cette région, pour
mettre à exécution différents mandats de justice. Les gendarmes
provédèrent à l’arrestation de 2 indigènes dont l’un s’évada
pendant la nuit. Le 25 novembre au matin, laissant un gendarmepour
garder leprisonnier resttant, le brigadier accompagné du 2è
gendarme, partaient à la recherche de l’évadé. Au cours de leurs
recherches, ils furent attaqués à coup de fusil par la bande de
malfaiteurs dont l’évadé faisait partie. Le gendarme fut tué sur
le coup. Le brigadier blessé fut achevé d’une balle dans la tête
à bout portant... » les victimes ont alors été dépouillées
de leurs armes et effets.
CG de la division
territoriale d’Alger : inculpés d’association de
malfaiteurs, meurtre de deux gendarmes et vol qualifié (avec au
moins 9 autres)
Recours en révision
rejeté le 19 septembre 1917, pourvoi en cassation rejeté le 3
novembre 1917
Les « sont
fusillés à Alger Ténès le 19 février
Ce dossier,
constitué d’au moins trois conseils de guerre successifs est un
peu en vrac, la justice militaire ayant dû le ressortir à plusieurs
reprises : on est contraint d’anticiper quelque peu :
Abdelkader
ben Louaïd Belouaïd, né en 1885 à Douar Ouled Abdalah, 9è
Rgt de tirailleurs
Abdelkader
ben Mohamed Belouaïd, né en 1885 à Ténes
« Le
tirailleur Belouaïd (Abdelkader ben Louaid) a été condamné une
2è fois par contumace le 13 octobre 1917 aux travaux forcés à
perpétuité, pour vols qualifiés et tentatives de meurtres. Il sera
jugé contradictoirement le 6 août prochzin. Il aura ensuite à
répondre devant le Conseil de Guerre d’Oran des faits de désertion
à l’ennemi, et d’avoir porté les armes contre la France au
Maroc. » Qrrêté quelques temps après au Maroc, ramené à
Alger.
Déserteur après
quelques mois d’incorporation, Abdelkader ben Louaïd se réfugie
dans la commune mixte de Tenes. Il rencontre « dans le bled »
deux autres déserteurs du même régiment avec qui ils forment la
bande d’origine. Après l’ « attentat » du 25
novembre 1916, il fallut tout un bataillon de zouaves pour arrêter
les 16 prévenus du procès du 28 aôut 1917 (4 acquittement, 4
peines capitales, dont un décédé avant l’exécution)
recours en révision
rejeté le 25 septembre 1920, fusillés le 26 décembre 1920 à Taza,
Maroc
Chaban
Servet, né en 1897 à Troubhova (Albanie), berger à Poléna
CG de la 76è DI
séance du 21 février 1917 : accusé d’avoir en janvier et
février 1917 (notamment le 15 février) sur le territoire de Kaja,
de Koritza (et à Polena), entretenu des intelligences avec l’ennemi,
et d’avoir porté les armes contre la France. Le dossier avec la
demande de révision est revenu au greffe sans décision. Sont
déférés au cours du même procès Abdul Ali, né en 1867,
maçon à Lavdar, accusé des mêmes faits, et Alil Mustafa (né
en 1872 à Voskop, désigné comme cultivateur) pour avoir de plus
fait des enrôlements pour une puissance en guerre avec la France.
L’ordre et le PV d’exécution sont restés rédigés en blanc,
plus grave, on voit sur le rapport que la mention du rejet de
révision est prévu d’avance, la date exacte étant fixée au ..
mars 1917.
« Alil
Mustafa, autrefois gendarme turc pendant 25 ans, avait reçu des
armes et des munitions de Haïdar Bey par l’intermédiaire de
Cheffert Bey, à Voskop. Il les distribua à des Comitadjis et
notamment aux deux autres accusés qui opérèrent sous sa direction.
Les hommes ainsi armés, devaient protéger les corvées de
ravitaillement autrichiens (sic), et repousser les patrouilles
françaises. Les points à attaquer étaient désignés à Chefket
Bey par sitkowsky, chef du service des renseignements autrichiens,
ancien consul autrichien à Monastir sous la domination turque. »
Abdul Ali a reçu
certaines sommes d’argent d’Alil Mustafa. Il était chargé comme
Servet Chaban d’observer le déplacement des troupes françaises
dans Koritza et ont été arrêtés les armes à la main, comment
membres d’une bande de 8 comitadjis. Selon Servet, il se serait
rendu aux français dès la prise de Poléna.
Comme il s’agit
d’une enquête du capitaine commissaire Benoist, il y a fort à
parier que, même si la promulgation de la république de Koritza
n’avait pas eu lieu, ni la suspension du droit de révision, les 3
accusés ont dû disparaître par les bons soins de l’A.F.O.
Henri Joseph
Espaulella, né le 2 décembre 1865 à Rodez (Aveyron) représentant
de commerce à Perpignan, correspondant de la dépêche de Toulouse à
Espira de l’Agly
C’est sur la
demande du Ministre de la Guerre, qu’Espaulella est arrêté le 9
novembre 1917 par le commissaire Dhubert. Ancien sous-officier de
l’armée française Espaulella a mené une vie hasardeuse depuis
son mariage en 1890 ; tour à tour, caviste puis correspondant
de la dépêche de Toulouse, enfin industriel malheureux à Espira de
l’Agly où il résida 15 ans, il finit par se rendre à Barcelone
dans l’espoir d’y trouver une situation meilleure. Il devient
représentant pour le chocolat « Phoscao », et ne tarde
pas à en vendre pour 10000 francs le secret de fabrication à un
concurrent espagnol, Casamor. Père d’une fille majeure, Espaulella
ne cesse de rechercher de l’argent pour entretenir plusieurs jeunes
maîtresses. En 1916 , il revient tenter sa chance à Paris,
mais faute de réussite, se rabat sur Perpignan, où il vend à
nouveau 7500frs un procédé de fabrication de chocolat en poudre.
Il continue à faire de fréquents voyages à Barcelone. C’est là
qu’il rencontre par Montserrat Alfonsina, des membres du réseau
d’espionnage allemand dirigé par le baron Rolland, et notamment un
commerçant de la rue de Jérusalem, connu pour être un rabatteur
d’espion.
Le 20 octobre 1917,
il fournit à l’espionnage allemand un « Rapport » en
tête duquel pour prouver sa loyauté il se propose de faire sauter
l’usine de Paulilles, fabriquant de la dynamite ou une usine de
production d’électricité des Pyrénées Orientales, après quoi
il entreprendra de mener une campagne pacifiste auprès de relations
qu’il a conservées avec des politiques français, à charge pour
les allemands de lui fournir une avance de 1000 frs avant le 20
novembre. Son arrestation vint contrarier ces projets.
Le 7 décembre 1917,
Espaulella parvint à s’évade de la prison de Montpellier en
compagnie d’un déserteur du 8è R.I., le soldat Rouvet à qui il
révèle qu’il s’est abouché avec un officier allemand en pleine
connaissance de cause, qu’il connaît très bien le baron Rolland.
Il évoque même devant la compagne de ce soldat le prix prévu pour
la destruction de l’usine, 55 000 frs qu’il compte réinvestir
dans une nouvelle entreprise. Sa fuite ne dure pas deux jours avant
que les évadés ne soient repris. Espaulella adopte pour système de
défense qu’il n’ agit que pour « doubler » les
espions allemands, en livrant des informations au Consulat de France
à Barcelone, sur le réseau de la rue de Jérusalem, mais il s’avère
que cette tentative, bien réelle, a eu les résultats les plus
flous, servant à lui faciliter l’obtention d’un passeport.
Le premier jugement
du CG de Montpellier est annulé en révision, et Espaulella renvoyé
devant le Conseil de Toulouse, CG de la XVIIè région (5 mars
1918), qui le condamne à nouveau à mort à l’unanimité.
Espaulella est
fusillé à Toulouse, champ de tir de Pech-David le 16 avril 1918 à
5h40.
Paul Marie Bolo, dit Bolo-Pacha,
est né le 24 septembre 1867 à Marseille. Après avoir abandonné la
profession de dentiste pour se tourner vers le commerce colonial, il
quitte la France sous la pression du fisc et s'installe en Espagne où
il vit d'expédients. On le retrouve en Argentine, sous le nom de
Bolo de Grangeneuve et il se marie à la chanteuse Henriette de
Soumaille, laquelle l’entretient. À la suite d'un vol de bijoux
commis à Valparaíso, il est arrêté mais sa femme verse la
caution. Libéré, Bolo l’abandonne et rentre en France en 1904,
s’installe à Paris et épouse une certaine me Muller
née Pauline Moiriat, ex-chanteuse de music-hall, veuve d’un riche
négociant en vins de bordeaux, Fernand Muller. Ignorant sa bigamie,
la veuve Muller devenue me Bolo lui signe une procuration
sur sa fortune : Paul Bolo est désormais riche, il mène grand
train, jongle avec les millions, voyage à travers le monde et reçoit
fastueusement, en particulier à Biarritz.
Durant dix ans, il se lance alors dans
de nombreuses entreprises commerciales, bancaires, philanthropiques.
Il fonde la Confédération générale agricole, puis la Société
universelle de la Croix-Blanche (Genève) en 1907. Il se lie à
d'importants hommes politiques dont le ministre Joseph Caillaux avec
lequel il échange une correspondance. En 1914, il devient le
conseiller financier d'Abbas II Hilmi, khédive d'Égypte, et reçoit
de ce dernier le titre de pacha.
Le 18 décembre 1914, le khédive,
nationaliste et considéré comme trop proche de l'Allemagne, est
déposé par les autorités britanniques et doit s'enfuir en Suisse.
Bolo demeure son conseiller en exil et, sans doute grâce à son
intermédiaire, entre en contact avec des banques allemandes et
étrangères dans le but de contrôler des quotidiens français et
d'en faire des organes d'influence pro-pacifistes (Le Journal ;
Le Bonnet rouge).
En janvier 1917, Aristide Briand mais
aussi Clemenceau ordonnent une enquête. Les services secrets
français durant l'année 1917 établissent un lien direct entre Bolo
et une banque américaine sise à New York : divers comptes en
France au nom de Bolo ont été crédités d'un total de 11 millions
de marks émis par la Deutsche Bank via la banque américaine.
Bolo est arrêté à Fresnes en
septembre 1917. En février 1918, Bolo est déféré devant le
Conseil de guerre de Paris.Durant le procès, Bolo nie les faits. Son
avocat est maître Albert Salle.
Bolo est condamné à
mort le 14 février et le président Raymond Poincaré refuse de
signer sa grâce.
Il est exécuté le
17 avril 1918 au fort de Vincennes.
Le confédéré, 30 janvier 1918
Joséphine
Augustine Manuela Alvarez (dite Beaumont, dite Colombine,
dite Simon), née le 4 juin 1877 à Cognac
Victorine Faucher
(dite Beaumont, dite Lolotte, dite Lucienne Alvarez), née le 6
octobre 1892 à Périgueux
Le 26 janvier 1918,
nous apprend « le Phare », le quotidien nantais de
l’époque, « le Conseil de Guerre de la 11° Région vient de
connaître une grave affaire d’espionnage dont l’instruction,
très laborieuse, n’a pas duré moins d’une année. »
L’affaire concernait deux femmes, qui se disaient artistes
lyriques, ainsi que deux hommes, le soldat Paul Pelissier, 27 ans,
et le marin Gustave Gitton, 25 ans. Les trois premiers furent
condamnés à mort, le quatrième à 5 ans de travaux forcés,
réhabilité en 1919.
Victorine Faucher
Elles étaient
anarchistes, militantes de la paix, et homosexuelles. Autant de
motifs qui suffisent, en temps de guerre, pour les enlaidir sur les
photos de la police judiciaire, les accuser de prostitution,
d’espionnage et de trahison, et enfin les assassiner au petit matin
d’une belle journée de printemps.
On nous les présente comme des
prostituées
vivant de « galanterie »…
Manuela
Alvarez aurait même été « sous-maîtresse
d’une maison de tolérance »… Leurs accusateurs voyaient
dans ces affirmations non renseignées et fantaisistes, ainsi que
d’autres, déshonorantes du même acabit, la preuve du vice et de
la duplicité des prévenues. D’autant, constatèrent-ils, qu’elles
circulaient sous de multiples identités, dont des sobriquets
d’alcôve, comme « Lolotte » et « Colombine »
alors qu’en réalité, rien n’attestait que les malheureuses s’en
revendiquaient ! Pour tout dire, ce qui leur était précisément
reproché était assez obscur.
On en serait resté là, si un rapport
d’un certain Desoches,
commissaire du Gouvernement près le Conseil de guerre de la 11è
région militaire, établi au printemps 1926 à la suite de
l’arrestation à Tanger de Paul Xavier Pélissier, condamné à
mort par contumace en 1918. et de son transfèrement sur Nantes,
complice présumé des jeunes femmes n’avait apporté quelques
éclaircissements sur les véritables motivations de la « justice »
militaire…
A cette occasion, Desoches estima
nécessaire de rappeler l’historique de cette affaire. Bien
qu’exclusivement accusateur, le rapport aborde, malgré tout et
pour la première fois, le cœur du dossier, et permet, autant
par ses silences que par ses affirmations, de mieux comprendre les
griefs exprimées à l’encontre des deux femmes…
Le zélé commissaire situe le début de
l’affaire au 22 janvier 1916, date à laquelle celles qu’il
qualifie « d’aventurières associées depuis deux ans par
leurs mœurs spéciales ainsi que par leur vie de prostitution et
d’expédients » passent la frontière espagnole à Cerbère
sans passeport et sans le sou, dans le dessein de se rendre à
Barcelone.
A propos de la plus âgée Manuela
Alvarez, il précise qu’elle a vécu jusqu’à son
arrestation de « galanterie, de vol, spécialement
d’entôlages
et d’escroqueries » et surtout qu’elle a fréquenté à une
certaine époque « les milieux anarchiques et libertaires »
par l’intermédiaire de l’un de ses amants, un nommé Moricet
affilié à la bande à Bonnot…
S’agissant de Victorine
Faucher,
il allègue qu’elle vivait aussi de « galanterie et
d’entôlages » et qu’elle était connue des milieux
anarchistes et libertaires, où elle avait été introduite
avant-guerre par un nommé André Valet de la bande des « Bandits
tragiques ». Intelligente et énergique, Victorine serait une amie
d’une des grandes figures féministes du mouvement libertaire et
anarchiste, Rirette
Maîtrejean (1887-1968) (alias Anna Henriette
Estorges).
Rirette
En outre, selon le commissaire Desoches,
Victorine passait pour une militante prête à tout. Il souligne à
cet égard qu’en 1914, elle avait collaboré au Journal d’extrême
gauche Le Bonnet Rouge ,
publication systématiquement accusée de défaitisme par l’Action
française… Il dit détenir la preuve de ce travail au
travers d’un certificat élogieux établi par Eugène Bonaventure
Jean-Baptiste Vigo (1883-1917) fondateur du journal et militant
anarcho-syndicaliste et socialiste, mort « bêtement suicidé »
dans sa cellule de la prison de Fresnes en 1917….On comprend
qu’avec un tel pedigree, qui met délibérément l’accent sur
leur fréquentation de longue date des milieux anarchistes,
libertaires et pacifistes, bêtes noires des pouvoirs en place, le
destin des deux demoiselles était scellé avant même le début
d’une quelconque instruction.
Dès leur arrivée à Barcelone, Manuela
Alvarez et Victorine Faucher s’étaient
présentées dans un établissement bancaire pour y négocier un
paquet de titres, malheureusement frappés d’opposition, au motif –
dit-on – qu’ils auraient été volés à Paris …
Cette mésaventure entraîna leur
incarcération, durant quatre mois en Catalogne. La presse espagnole,
étrangement bien informée, en fit ses grands titres, en présentant
les deux femmes comme des receleuses anarchistes, aguerries et
familières de la bande à Bonnot…C’est cette publicité
tapageuse qui, selon le commissaire Desoches, aurait attiré
l’attention des services secrets allemands « à l’affût
d’individus de cette espèce ». Ils auraient alors chargé un
de leurs indicateurs, Paul Pélissier, déserteur de l’armée
française et anarchiste « notoire », réfugié en
Espagne depuis janvier 1914 de les contacter pour les enrôler au
service de l’Allemagne…
Sans d’ailleurs étayer ses dires
d’éléments factuels indiscutables, le commissaire Desoches décrit
Pélissier, originaire de Salon-de-Provence et ancien étudiant en
pharmacie, comme la plaque tournante de l’espionnage allemand en
Espagne. Agitateur professionnel et vénal, il aurait même été
condamné par la suite (en mars 1917) par la justice espagnole
à cinq ans de travaux forcés pour détention illégale d’explosifs
destinés à saborder des navires alliés mouillant dans le port de
Barcelone.
En dépit des dénégations de
l’intéressé, le commissaire soutient que Pélissier aurait visité
les deux femmes en prison, en s’efforçant de « développer
en elles les mauvais instincts qu’elles nourrissaient en tant que
libertaires à l’égard de leur patrie ». Il y serait parvenu
sans peine, en les assurant de l’intérêt des allemands à leur
sort, et en laissant entendre qu’ils pourraient empêcher leur
extradition et abréger leur détention.
De fait, elles ne furent pas extradées
vers la France, et furent libérées le 19 juin 1916. Personne en
revanche ne sait si cette relative clémence est imputable au
contre-espionnage allemand ou, plus prosaïquement, à la stricte
application du droit pénal espagnol pour le délit relativement
mineur reproché aux deux femmes. Pas plus que d’autre, le
commissaire du conseil de guerre n’est en mesure d’apporter de
réponse. Néanmoins, cela ne l’empêche pas de se faire l’écho
d’un ragot non confirmé, selon lequel les frais de justice
auraient été pris en charge par la banque transatlantique
allemande…
C’est au domicile de Pélissier, que
Manuella Alvarez et Victorine Faucher se seraient installées après
leur libération, et c’est là que l’un des chefs des services
d’espionnage allemand les aurait recrutées, en leur remettant de
l’argent pour prix de leur trahison. Elles auraient même, par la
suite, régulièrement fréquenté les bureaux du contre-espionnage
qui se trouvaient à cette époque, Ronda de San Pedro à Barcelone…
C’est dans ces bureaux, selon
Desoches qu’on leur indiqua ce qu’on attendait d’elles :
Se mêler dès leur entrée en France (…) aux milieux anarchistes, s’efforcer d’y créer une atmosphère d’agitation, y stimuler les ferments de révoltes de manière à développer dans l’opinion publique le mécontentement que pouvait provoquer la longueur de la guerre, les sacrifices, les difficultés de la vie; arriver à l’éclosion de mouvements révolutionnaires susceptibles d’influer dans le sens de la paix.
Participer à une énergique propagande anti-anglaise et, dans ce but, chercher le moyen de faire imprimer à Paris par un journal anarchiste une brochure destinée à créer un mouvement d’opinion hostile à l’Angleterre; ce dans le dessein d’arriver ultérieurement a une paix séparée avec la France.
Recueillir et transmettre en Espagne tous les renseignements intéressants la guerre qu’elles pourraient se procurer au cours de leurs déplacements (…) en particulier sur les mouvements de navires, notamment au Havre, sur les stocks de charbon et sur les usines de munitions….
En contrepartie, elles auraient reçu de
l’argent et des consignes sur la façon de faire parvenir des
informations à leurs commanditaires…Pélissier, jouant le rôle du
« vaguemestre »…
De retour en France, Manuella et
Victorine s’installèrent dans un petit village près des Sables
d’Olonne, au lieu-dit la Pironnière « chez les époux
Gitton ». L’accusation soutient qu’à partir de cette
planque discrète, elles adressèrent une quinzaine de lettres en
Espagne. Pour faire bonne mesure, l’accusation affirma –
également sans preuve – que les deux femmes « rayonnèrent
au cours des mois suivants à Nantes, St Nazaire, Lorient, Quimper et
Brest, se faisant remarquer çà et là par « leurs sentiments
anarchistes et leurs propos subversifs »… et qu’elles
tentèrent, en usant de leurs charmes de suborner le fils de la
maison, alors matelot dans la Royale et de l’inciter à déserter…
Finalement, les deux femmes furent
arrêtées le 19 mars 1917
en provenance des Sables d’Olonne, en gare de la Roche-sur-Yon.
Les deux condamnées, réveillées avant
l’aube dans leur cellule de la maison d’arrêt, connurent un
court moment de détresse puis de révolte, lorsqu’elles apprirent
le refus par le Président de la République de leur recours en grâce
et que la sentence allait être exécutée dans l’heure…
Mais Victorine reprit très vite de
l’assurance, allant jusqu’à toiser le lieutenant substitut du
rapporteur du Conseil de Guerre qui « tentait » de lui
prodiguer quelques paroles de réconfort. Après avoir répondu à
l’officier qu’elle n’avait rien à lui déclarer, elle
s’adressa à lui en le regardant fixement: « Si je
meurs, c’est grâce a vous, monsieur, car vous avez altéré la
vérité. Au moment de paraître devant Dieu je vous maudis »
Victorine,
la plus jeune, avait refusé toute aide à la sortie du fourgon
cellulaire, et c’est presque en sautillant qu’elle avait franchi
élégamment le fossé qui la séparait du poteau. Elle s’était
placée d’elle-même face au peloton. Et en passant devant ses
juges ainsi que les officiers commis pour assister à sa mise à
mort, elle leur avait même adressé un geste d’ultime défi. Comme
pour montrer à ses assassins galonnés tout le mépris qu’ils lui
inspiraient! Manuela,
très pâle suivait sa compagne d’infortune sans mot dire.
Jusqu’au dernier moment elles avaient
cru qu’elles échapperaient à la sentence et qu’elles seraient
graciées par le Président Poincaré. Naïvement, elles avaient en
effet de bonnes raisons d’espérer. Non seulement, elles n’avaient
pas de sang sur les mains, mais leur procès totalement à charge,
ainsi que l’appel qu’elles avaient formé devant le Conseil de
guerre, s’étaient déroulés dans des conditions iniques, bafouant
délibérément les droits de la défense
Sans opposer la moindre résistance,
elles se laissèrent lier les mains, « après avoir remis leurs
manteaux à l’abbé Spitalier », l’aumônier de la maison
d’arrêi.
Lorsqu’un sous-officier se présenta
devant Victorine pour lui bander les yeux, elle refusa tout net. « Je
n’ai pas peur » lui
cria-t-elle ! Mais, même si l’institution judiciaire flirtait
avec l’infamie,on se faisait un devoir de respecter à la lettre,
la procédure « pénale » : aussi passa-t’on outre
cette dernière volonté, et on lui banda les yeux!
Victorine et Manuella s’écroulèrent
! Si la cadette fut tuée sur le coup, Manuella, agonisante,
transpercée de toutes parts, continuait en revanche de s’agiter!
Son corps ensanglanté était affecté de violents spasmes…
Agissant encore selon le règlement en
vigueur, le sous-officier qui avait ordonné le tir, s’approcha
pour lui donner un coup de grâce dans la nuque. Ce qu’il fit
maladroitement, car troublé par le meurtre qu’on lui faisait
commettre, il visa mal, et le corps de Manuella persista à se tordre
dans d’intolérables convulsions et souffrances. De telle sorte,
que l’assistance blêmit et, horrifiée, se prenait soudainement
de pitié pour la suppliciée, en manifestant bruyamment son
indignation. La situation aurait pu s’envenimer, si un officier,
juge du Conseil de Guerre, se substituant au pauvre juteux désemparé,
n’avait finalement placé une balle dans l’oreille de la
condamnée, mettant enfin un terme à son martyr.
Nantes Maison
d’Arrêt, place Lafayette
Le Phare, 6 mai
1918 :
« Les
espionnes ont expié – Les deux espionnes, Joséphine Alvarez et
Victorine Faucher, condamnées à mort le 25 janvier 1918 par le
Conseil de Guerre de la 11° Région pour intelligence avec l’ennemi,
ont été fusillées simultanément, lundi matin à 6 heures, dans la
partie extérieure nord du stand de la Porterie, situé aux environs
immédiats de la ville de Nantes. »
Ahmed Ben Ammar
Mellah, né en 1882 à Ouled Kalla
Lakhar Ben Moussa
Allag, né le 4 juin 1894 à Tablat
Des bandes de
malfaiteurs sévissaient au sud-est d’Alger dans la région de
Tablat. Toujours plus audacieuses, les actions de ces bandits
détroussaient en plein jour les maisons des habitants de la région,
tuant certaines de leurs victimes. Les autorités organisèrent des
recherches et finirent par tuer, le 18 mars 1917, un membre de la
bande d’Allag Lakhdar Ben Moussa, déserteur du 9e régiment de
tirailleur et capturèrent, le 23 avril 1917, une partie de la bande
dont Allag Lakhdar et Mellah Ahmed. Le 20 mars 1917, Mellah Ahmed est
directement impliqué dans la tentative d’assassinat sur le caïd
Oudia Moussa et dans l’assassinat d’Oudia Mohammed, déjà
blessé, que Mellah a achevé de 2 coups de fusil. Le 30 janvier
1918, le Conseil de Guerre de la division territoriale d’Alger fut
appelé à juger les survivants pour association de malfaiteurs, pour
vol qualifié, pour l’assassinat des 2 personnes et la tentative
d’assassinat sur une 3e. Confondus par le survivant de la tentative
d’assassinat et le garde-champêtre indigène qui avait assisté à
la scène, le tirailleur/déserteur Allag Lakhdar fut condamné à
l’unanimité à la peine de mort, le tirailleur/déserteur
Chetouain Ali Ben Ahmed fut condamné aux travaux forcés à
perpétuité, Mellah Ahmed Ben Amar fut condamné à l’unanimité à
la peine de mort. Les 2 condamnés s’étaient pourvus en révision
puis en cassation. Le 13 février, le Conseil de Révision d’Alger
a rejeté les pourvois. Le 28 mars, la cour de cassation a également
rejeté les pourvois.
Le 10 mai 1918 à 6
heures à Tablat (Algérie), le médecin aide-major de 1ère classe
Ardouin, commis à cet effet, a constaté le décès des 2 condamnés.
Ben Ahmed Ben El
Hadj El Arabi El Mahmoudi Hammou, né en 1893 au Douar
m’Hamda, cultivateur, célibataire
1er CG
des troupes d’occupation du Maroc occidental
Le
nommé Hammou… est-il coupable d’avoir, le 16 janvier 1918, à la
ferme Vernay, sur le territoire des Ouled-Liane, tenté de commettre
un homicide sur la personne de Madame Durand, épouse Joseph Vernay ?
A-t-il agi avec préméditation ?
Recours
en révision rejeté le 30 mars 1918. Pourvoi en cassation rejeté le
10 mai 1918
Hammou est fusillé
au lieu dit Aïn Diab près Casablanca le 10 juin 1918 à 5h4
Émile Joseph
Duval, né le 27 septembre 1864 à Paris 14è, fusillé à Vincennes le 17 juillet 1918 (voir Le bonnet rouge)
Théodore
Nicolaus Otten (alias Steiner), né le 3 mars 1880 à
Rotterdam, demeurant à Hambourg, négociant en céréales
CG de la XIVè
région de corps d’armée : après annulation en révision du
jugement du26 février 1918 à Lyon) 17 avril 1918
co-accusé Léon
Gustave Mermet du 2è Dragons, inculpé de vol militaire et trahison
par intelligence avec l’ennemi, condamné en jugement de renvoi
aux TF à perpétuité.
L’affaire
Otten-Mermet prend un tour politique dès que l’Action Française
reproduit un aticle du journal La Liberté critiquant l’enquête
dans le but d’obtenir une information judiciaire contre
l’ex-Ministre de l’Intérieur Malvy. Le suspect Mermet aurait été
mis -on le sous-entend, sur ordre- en liberté avant d’être
rattrapé in extremis pas la justice militaire. Le fait en soi n’a
pas grans intérêt sinon qu’il provoque diverses réaction du
commissaire Dhubert, lequel s’adressant au Chef de la Sûreté
clame qu’il ne pouvait pas maintenir Mermet en détention, celui-ci
n’étant incriminé que par des déclarations anonymes et des
on-dit qui ne constituaient pas de preuves tangibles, d’autant plus
que les interrogatoires indépendants des époux Mermet paraissaient
démontrer que les chefs d’inculpation ne tenaient pas, et
qu’aucune preuve d’espionnage n’avait été mise en lumière
lors des perquisitions de leurs domiciles en France les deux étant
citoyens Suisse, résidant avant la guerre à Plainpalais). Dhubert,
qui a obtenu la condamnation de nombreux espions sans manifester le
moindre remords même quand l’enquête était quelque peu
manipulée, constatant la sentence de mort rendue contre Mermet lors
du jugement de Lyon, ne « veut pas faire l’insulte »
aux juges militaires d’avoir forgé leur conviction à partir de
racontars.
Le mémoire de
l’avocat de Theo Otten montre parallèlement que ce dernier, a été
attiré sur le territoire français par ruse, son chauffeur (Pochon,
agent sous-marin de l’espionnage français) ayant été soudoyé
pour simuler une panne juste de l’autre côté de la frontière, et
qu’il s’agit donc d’un enlèvement dont l’auteur principal
s’était de plus opportunément évadé de son lieu de détention
en Suisse. Dans de telles conditions, et quoi qu’ils choisissent de
les ignorer, les tribunaux français n’étaient pas compétents
pour le juger.
Et en effet, les
rapports, tout au conditionnel, sont confondant d’imprécisions,
évoquant des rencontre à Genève « dont on ne peut affirmer
qu’elles aient eu lieu » et plus à charge pour d’autres
individus dont Mermet aurait été l’informateur. Tout juste
arrive-ton à affirmer qu’Otten aurait reçu pour mission du chef
du S.R. allemand Simonsohn, sous l’alias Colonel Steiner de tenter
de recruter directement Mermet pour s’assurer de la sincérité
d’autres espions rémunérés par les agents allemands. On reproche
toutefois avec certitude à Mermet un vol d’avoine et de son au
préjudice de l’armée française, de deux capotes, 4 ou 5 chemises
et 2 paires de brodequins, charges qu’on consent à laisser de côté
vu l’importance des suspicions d’espionnage qui pèseraient sur
lui.
Bref ! On nage
en pleine confusion ! Certaines notes provenant « de
source italienne » tendent à dénoncer Mermet comme rédacteur
occulte (par l’intermédiaire des anarchistes déserteurs Ledrapier
et autres membres du groupe « Entre nous » de Genève) de
la revue « Les tablettes »…
Et pourtant, c’est
Otten, dont il n’est que vaguement question qui est condamné à
mort. Le bruit court même dès novembre 1917 qu’il a été
exécuté, provoquant une question au ministère des affaires
étrangères français (qui le prend encore pour un sujet allemand)
en provenance de la légation suisse !
Otten (4 décembre
1917) : « J’affirme que Simonsohn m’a à plusieurs
reprises parlé de Mermet, de renseignements qu’il procurait et de
l’intérêt que présentaient ces derniers, mais je le répète, je
n’ai jamais été en relaion avec Mermet au cours de mon séjour à
Genève. » Qui croire ?
Recours en révision
rejeté le 2 mai 1918. Pourvoi en cassation rejeté le 13 juin 1918
Otten est fusillé
au champ de tir de Comboire (sur le territoire de la commune
d’Echirolles) le 12 août 1918, à 5h20.
Koli-Ben Ameur
Saouchi, né en 1888 à M’sila (dpt de Constantine),
cultivateur à Tebessa, travailleur colonial du groupement de Brest
Le 7 janvier 1918
vers 20h30, trois passants découvrent dans une ruelle déserte de
Brest, la venelle Kérébecam, un « travailleur colonial »
qui râle agonisant dans la neige. A côté de lui se trouve une
matraque brisée tachée de sang. Le blessé est aussitôt transporté
en voiture à l’Infirmerie de la Place de la Liberté, puis à
l’hôpital où on le reconnaît comme Abdelkader ben SaÏd Bennour,
Il a la tête défoncée par 5 plaies et le crops lardé de coups de
couteau, à la gorge, à l’abdomen, au bras, 18 plaies au total,
dont 7 mortelles. Malgré son état d’extrême faiblesse il est
ramené à la lucidité par des piqûres de caféine qui lui
permettent de désigner l’un de ses assassin Mekki qu’il désigne
à plusieurs reprises, et de décrire suffisamment ses deux
complices pour qu’on les reconnaisse en Madaoui et Saouchi, deux
autres travailleurs « indigènes ». Il révèle aussi
qu’il était porteur d’une somme d’environ 300 francs, et meurt
de ses blessures le 8 janvier à 7h55. Mekki et Saouchi furent
arrêtés dans la nuit quand il reparurent séparément au camp,
Madaoui, le 8 au matin. C’est Mekki qui est désigné comme
l’instigateur probable du crime, mais il fait des aveux partiels.
Les infirmiers arabes ont entendu Bennour confier avant de mourir
qu’il avait fait un dépôt d’argent auprès de Mekki, réclamé
le matin-même. Saouchi nie tout en bloc, Madaoui collabore et permet
aux enquêteurs de reconstituer les faits. Vers 18h le 7 anvier,
Mekki entraîne Bennour, pourtant économe et tempérant, dans un
café de la rue de Paris. Saouchi et Madaoui sont déjà là, attablé
avec une jeune fille européenne qu’ils quittent pour les suivre à
distance quand Mekki et Bennour s’éloignent. Sous prétexte
d’aller chercher du tabac, Mekki entraîne Bennour dans un dédale
de rues sombres. Arrivé dans la venelle Kérébecam, il s’éloigne
pour uriner contre le mur. Ses deux complices se précipitèrent en
courant, Mekki les excitant en leur disant : « Voilà
l’homme que vous cherchez et qu’il faut abattre », alors
que les deux le connaissaient très bien. Saouchi tira une énorme
matraque de ses vêtements en en assénant de violents coups à
Bennour, puis il la passa à Madaoui pour qu’il en fasse autant.
Comme la victime ne tombait toujours pas, Mekki se saisit de son
coteau et l’acheva méthodiquement. Dès qu’il le crut mort il
s’empara de ses deux porte-monnaies, un grand contenant 10 francs,
un petit contenant toutes ses économies. Le temps pressant ils se
séparèrent et s’enfuirent. Le produit du vol ne fut pas retrouvé.
Incarcérés séparément les trois hommes ignoraient que les
autorités avaient fait placer dans une cellule vide des interprètes
arabes, et c’est ainsi qu’ils entendirent Mekki dire ; »C’est
moi qui ait entraîné Bennour et c’est vous qui l’avez tué ».
Saouchi traita à plusieurs reprises ses complices de « femmes »
et de lâches pour avoir passé des aveux et l’avoir mis en cause.
CG de la XIè région
Recours en révision
rejeté le 26 avril 1918. Pourvoi en cassation rejeté le 30 mai
1918. Les peines capitales prononcées contre Mekki ben Lakdar
Mekersa et Lazazi ben Ahmed Madaoui sont commuées en TF à
perpétuité.
Koli-ben Ameur
Saouchi est fusillé à la prison militaire de la rue des Rochettes à
Nantes le 13 août 1918 à 4h15.
Ben Djilali Ben
Aïssa Aïssa, né vers 1887 à Géryville – Oulad Sidi
(Algérie), cultivateur, marié, 3 filles
Le 24
janvier 1918 dans l’Oued Zergoun, quatre indigènes dont Aïssa ben
Djillali exécutaient un Djich de 107 chameaux ; ils tuaient le
gardien [ben Mohammed Amar, douar Derakba] et volaient à la victime
et au frère de la victime deux fusils. Voleur redouté, dangereux,
attitude correcte à l’audience mais niant contre toute évidence.
Ben El Hadj Ahmed
Ben Bouamama Bouhafs, né aux Oulad Sidi Kaddern vers
1885, marié, cultivateur (même exposé sommaire des faits.)
Leur co-accusé
Djelloul ben Mohammed est condamné à 10 ans de TF pour complicité
de vol qualifié et d’homicide volontaire. Pour les mêmes faits
Mohammed ben Cheik ben Zeidour est puni de 15 ans de TF.
Le rapport précise
qu’après avoir emmené le frère de la victime et un des gardiens
ligoté, quatre bandits armés firent à un km du lieu de l’attaque
le tri, choisissant d’emporter 21 chameaux et laissant à leur
prisonnier le soin de rapporter les 86 autres. Ces 21 chameaux furent
abandonnés par la suite (et revinrent seuls à leur point de départ)
tandis que les voleurs regagnaient leur douar avec les deux fusils.
L’enquête fut rapidement menée par le Caïd des Oulad Sidi Hamza.
Deux d’entre eux (bien qu’il eussent le visage à demi voilé)
sont identifiés formellement par les deux témoins survivants au
milieu d’une foule d’une vingtaine d’indigènes.
CG de la division
militaire d’Oran (29 juin 1918), Recours en révision
rejeté le 1er août 1918
Aïssa et Bouhafs sont fusillés à Oran (plateau du
petit Santon) le 24 septembre 1918 à 6h30
Ben Brahim Ben
M'Hamed Ali, né vers 1892 à Oum-El-Hallouf
(Tripolitaine), indigène civil de la tribu des Allalga, berger,
marié sans enfant, jamais condamné
CG du détachement
du sud tunisien (Minutes seules) 9 juillet 1918 :Inculpé de
rébellion par plus de trois personnes armées, meurtre accompagné
d’un autre crime, tentative de meurtre, port et usage d’arme dans
un mouvement insurrectionnel
dates du crime ou du
délit : 9 mars 1918 : « Est-il constant qu’un
mouvement insurrectionnel a éclaté dans le sud tunisien, région
située entre la frontière tripolitaine et Tatahouine dans le
courant de l’année 1915, qu’il n’a été réprimé et n’est
encore contenu que grâce à la présence des Troupes Françaises
dans ladite région ? »
« Le nommé
Ali ben Bahim ben M’Hamed, est-il coupable d’avoir, sur un
territoire en état de siège, le 9 mars 1918, à Aïn-Makla (sud
tunisien) fait rébellion en attaquant avec violence les cavaliers et
goumiers représentant la force publique et agissant pour l’exécution
des ordres de l’autorité publique ? Le même est-il coupable
d’avoir, aux mêmes dates et lieu, commis un homicide volontaire
sur la personne du cavalier Amor ben Kabéir du Maghzès de
Ben-Gardane ? d’avoir tenté de commettre un homicide
volontaire sur la personne de goumier Amor el Ferdjani ? »
Le jury répondant à l’unanimité oui aux dix questions posées,
Ali est condamné à mort. Recours en révision rejeté le 17 juillet
1918,
Ali est fusillé à
Médénine (Tunisie) le 25 septembre 1918 à 5h45.
Cette condamnation
isolée est la première tentative de répression officielle d’un
soulèvement qui constitue une guerre coloniale dans la guerre
mondiale, reflétant l’influence des ottomans et des allemands sur
une région dont l’administration est convoitée par les Français
et les Anglais.
Naoum Yoan,
né en 1863 à Dihovo (Grèce), gréco-albanais (macédonien), marié,
4 enfants, mouktar de Rahovo, cultivateur-épicier
Jugé avec Théodori
Dimitri, condamné à mort, peine commuée en 20 ans de TF (dirigé
sur l’Atelier Bilinska) par le CG de la 57è DI (19 juillet 1918),
Stefan Risto (père) et Stavros Dimitri.
Le 24 janvier 1918,
un soldat du 52è R.I. Bulgare, Ilias Giorgi est capturé au cours
du’une opération de guerre sur la rive de l’île Velika Grad.
Originaire de Nivica et employé au bureau des renseignements,
bulgaro-allemands de Resna, il donne des renseignements détaillés
sur différentes incursions d’espions bulgares dans la presqu’île
de Suha-Gora, et révèle que le 21 ou le 22 janvier un canot à
moteur allemand avait débarqué dans la presqu’île 3 agents de
renseignements originaires de la région de Rahovo chargés de
recueillir des informations auprès de leurs parents. Au cour de leur
séjour ils rencontrèrent le berger Theodori Dimitri, travaillant
pour le compte du mktar de Rahovo, Naoum Yoan. Théodori fut chargé
par ces trois agents, venus une nuit costumés en militaire et
portant des armes dans sa cabane de berger de prévenir Stefan Risto
de la présence de son fils Stefan parmi eux. Il leur donna tous les
renseignements qu’il connaissait sur les postes serbes de la
presqu’île. Le lendemain il alla prévenir Naoum de la présence
des 3 bulgares, lequel lui répondit qu’il le savait et l’invita
à s’occuper de ses affaires. Les agents revinrent le visiter trois
jours plus tard se faisant remettre des provisions et emportant son
pain. Risto et Dimitri prennent soin de ne pas avertir le lieutenant
Babounsky qui commande les forces serbes et réside pourtant dans la
même maison que le moktar. Naoum, relativement aisé et jouissant
d’une grand prestige sur la population nie absolument avoir eu
connaissance de ces fait. Mais, à deux reprises des fusils,
pistolets Mauser et munitions ont été trouvés chez lui (en dépit
de l’interdiction des Français d’en conserver), de même que
chez le comitadji Stefan Risto (père de deux agents d’espionnage,
Stéfan et Foté), beau-frère de Naoum,
Recours en révision
rejeté le 10 juin 1918, recours en grâce rejeté le 7 octobre 1918
Naoum est fusillé à
Monastir (Serbie) le 25 octobre 1918 à 6 heures.
1919
Ben Salem Ben
M'Hamed Ben Madkour Ali, né vers 1875 à La Galéa des
Ouleds Chehida (Tunisie), cultivateur marié.
Conséquence de la
guerre du Sud tunisien, ce procès est la copie conforme de celui de
Ben Brahim Ben M'Hamed Ali ;
comme pour ce dernier,
seules les minutes existent, comme
lui encore on reproche à l’inculpé d’avoir commis des actes de
guerre, sur un territoire occupé par la France.
CG du Sud tunisien :
Le nommé Ben Salem Ben M'Hamed Ben Madkour Ez Zoug Ali, civil de la
tribue des Ouderna, est-timl coupable d’avoir, du 2 au 9 octobre
1915 à Oum Souigh (sud tunisien) fait rébellion en attaquant avec
violences les troupes françaises représentant la force publique ?
Cette rébellion a-t-elle été commise par plus de vingt personnes ?
Armées ? Le même est-il coupable aux mêmes dates et lieu
d’avoir paricipé volontairement en qualité de co-auteur, au
meurtre commis sur la personne des soldats français (84 tués) ?
Le même est-il coupable d’avoir, le 5 mai 1916 aux environs de
Gaar el Harmana participé au pillage commis en réunion, en bande,
et à force ouverte sur la propriété mobilière de l’indigène
civil Ali ben Maatoug ? Le 26 juin 1916 à Remada fait rébellion
en attaquant avec violences les troupes françaises, participant
comme co-auteur aux meurtres commis avec préméditation sur le
personne de soldats français (51 tués) ? Le même est-il
coupable d’avoir au printemps 1917, aux environs de Chaabet
Messelem, participé au pillage en bande et en réunion sur la
propriété mobilière de la tribu des Deojaghria ? Dans le
courant de juillet 1917, d’avoir, aux environs de Gaar el Mezoued,
participé au pillage commis en bande et en réunion sur la propriété
mobilière de la tribu des Ouleds Chéhida ? d’avoir, aux
mêmes dates et lieu fait rébellion en attaquant avec violences, les
cavaliers du morghzen représentant la force publique ? Le même
est-il coupable d’avoir, le 25 février 1918, à Remada été
trouvé porteur d’une arme et de munitions de guerre dans un
mouvement insurrectionnel ?
Pourvoi en révision
rejeté le 16 novembre 1918 ; en cassation rejeté le 26
décembre 1918
Ali ben Salem est
fusillé au Champ de manœuvres de Médenine (Tunisie) le 23 février
1919 à 6h30.
Benoît Paul
Victor Boudarel, né le 27 décembre 1887 à
Saint-Etienne, graveur sur métal, célibataire, 1,66m, chatain, yeux
châtain, tatoué au bras gauche d’une ancre et d’une étoile,
chasseur au 13è Groupe Spécial, condamné 5 fois pour vol (le plus
lourdement le 30 juin 1914 à 3 ans de prison) coups et blessures,
port d’arme prohibée, infraction à interdiction de séjour.
Soldat au 52è R.I., Boudarel s’absente assez régulièrement selon
son inspiration. Par me sure disciplinaire il est versé au 17è R.I.
en 1909. Passé au 4è BMILA, avant d’être versé dans la réserve
en 1910, il rejoint à partir de 1913 le 13è G.S. à Siddi-Abdallah
Le matin du 15 août
1917, trois militaires dont Boudarel avait été appelé en
témoignage au centre de la compagnie, alors qu’ils occupaient le
3è poste de surveillance sur l’Innaouen aux environs de Bab
Merzouka. En revenant au poste vers 17h, Boudarel constata que le
soupe avait été mangée et le vin distribué, ce qui l’ mit en
fureur. Le caporal Hugon, chef de ce détachement était à ce moment
au premier étage du blockhaus : Boudarel y monta, invectiva son
chef et lui demanda, sur un ton comminatoire, de lui faire donner à
manger et principalement à boire. Hugon lui fit remarquer que si le
cuisiner peut encore trouver du rab, il lui est impossible de
distraire un quart de vin, celui-ci ayant été délivré à tous les
rationnaires, mais qu’il en ferait le rappel dès qu’il pourrait.
Boudarel insiste sans obtenir satisfaction. Alors, sans hésitation,
il descend l’échelle, prend son fusil, et avant que son chef l’ai
rejoint, tire sur lui de bas en haut. Atteint seulement à une main,
le Caporal tente en vain de désarmer Boudarel ; il est obligé
de se sauver hors du blockhaus, à l’intérieur du réseau de fil
de fer, poursuivi par Boudarel qui l’ajuste à nouveau. Deux coups
de feu partent dont le second blesse mortellement Hugon qui s’affale
sur le bord du fossé. Tandis qu’on évacue Hugon qui mourra au
cours de son transport à l’hôpital, Boudarel rentre
tranquillement au poste, dépose son arme, se met à pleurer, et
demande qu’on le conduise à Merzouka : il se joint de
lui-même à un détachement de passage qui s’y rendait.
Envoyé le lendemain
aux locaux disciplinaires de Taza, Boudarel décide d’éviter les
conséquences de son acte. Le 27 août, au cours d’une visite
médicale, il s’échappe après avoir donné rendez-vous à un
ouvrier espagnol devant quitter le Maroc avec qui il accomplit la
route jusqu’en Espagne. Il se rendit aux autorités locales en
décembre 1917.
Le 24 décembre,
prison de La Linéa, Espagne, Boudarel écrit à (Jean-) François
Trémeaux (remettre en cas d’ absence à George Pabion) : « Je
ne c’est pas encore si je serait extradé moi je le croit mais
c’est pas bien sur. Enfin je donne connaissance que je ne me fait
pas trop de mauvais sang mais je langui de savoir la décision qui
sera prise enver moi. Les prisons d’espagne ne sont pas comme les
notres. Il faut te subvenir à tous toi même mais l’on a été
assez gentil pour moi, l’on ma fait donner deuc couverture est je
touche une double ration de légume le matin est le soir. De la
caserne c’est le chef policier qui ma fait obtenire à mangé. Je
t’assure qu’il a été très gentil pour moi l’on ma
photographiez trois fois est le chef de police ma dit qu’il m’en
donnerait une avant mon départ. Je n’en est guère besoin
maintenant. Aussi si je la reçois je vous l’envéré. J’ai
tellement de chose à te dire qu’il me faudrait une journée de
correspondance pour tous te raconté. Pour cette fois je vais cessé
de t’écrire en poignant une amical poigné de main à Dussin
lefaure chaunnier laroze Godot, les deus Delorme Dagoult Néel Merlin
est tous les pays est ami que tu leur adressera de ma part.
…
P.S. Je vous
souhaite à tous une bonne année car je l’ai oubliez sur l’autre
correspondance. Qu’and à moi je crois qu’el sera triste pour
moi. Je vous souhaite que cette guerre finisse Et qu’il ne vous
arrive pas malheur avant la fin de cette guerre. À vous tous Paul
Boudarel . »
Le Gouvernement
espagnol autorise l’extradition du Chasseur Boudarel réfugié su
son sol, le 24 janvier 1918. L’arrestation a eu lieu sur la
frontière à Linéa.
Ecroué à la prison
d’Oujda le 29 août 1918, et ayant appris la désertion de Laroze,
Boudarel change sa version des faits : « J’ai tiré,
dit-il en substance, sur le caporal Hugon le premier coup, mais c’est
Laroze qui a fait partir les deux autres et blessé à mort le
caporal. Je m’étais chargé de tout le mal par pure convention, et
pour rendre service à un ami, mais puisqu’il est en fuite, je dis
la vérité ».
Fin du rapport de
mise en accusation : « Selon nous, cet homme, sous des
dehors modestes et indifférents est un impulsif dont l’irritabilité
a pu être soudainement déclenchée, en l’espèce, par le bsoin de
boire, si non par le désir de vengeance vis-à-vis d’un gradé
qui, aux dires de ses chefs, n’était pas toujours commode avec ses
subordonnés ».
Le 1er CG
d’Oujda, le 20 décembre 1918, ne prendra pas soin de rechercher ni
les faits de préméditation, ni l’éventuel complot.
Même l’ami
Trémeaux, lors de sa déposition confirme qu’à son avis les trois
coups de feu on été tirés par Boudarel. Il raconte pourtant que le
15 août 1917, il était lui-même posté en sentinelle sur la voie
de chemin de fer, et, que, s’y étant endormi, Hugon avait saisi
son fusil avant de lui adresser de sérieuses remontrances.
Comme Trémeaux, le
chasseur Pierre Bouche n’a vu Boudarel tirer que le premier coup,
mais il ne comprend qui d’autre auraient pu tirer les suivants.
Le caporal Baptiste
Alexandre Ramain a, lui, une autre version des motifs du crime :
« Lorsque le caporal Hugon fut évacué sur l’hôpital de
Taza, je fus désigné pour remplcer le caporal Hugon au commandement
du blockhaus de l’Innaouen. Je me promenais devant la porte et le
hasard a voulu que des ouvriers travaillant à la voie me parlent de
ce qui était arrivé. L’un d’eux me dit que vers 16 heures le
caporal Hugon avait surpris une sentinelle endormie, qu’il lui
avait même pris son fusil et l’avait emporté au poste. Je fis la
supposition que si le caporal n’avait pas été tué, le chasseur
trouvé endormi aurait très probablement été traduit devant un
conseil de guerre. J’en conclus que Boudarel avait voulu empêcher
son camarade d’encourir une peine sévère. » Le témoignage
est d’autant plus intéressant que, malgré ses recherches Ramain
n’a pu identifier cette sentinelle, dont on sait par son propre
témoignage qu’il s’agissait de Trémeaux.
Selon le témoignage
de Boudarel, il n’avait jamais eu affaire à Hugon. Celui-ci après
l’avoir envoyé paître deux fois en termes peu aimables l’aurait
menacé de son revolver, raison pour laquelle il aurait tiré une
balle sur Hugon quand il descendait l’échelle pour le poursuivre :
« Je regagnai
ma place et déposai mon arme. A ce moment, Laroze, un chasseur du
poste, et mon pays, avec qui j’étais très lié et mon voisin de
lit, prit son arme et son équipement en me disant : « ce
que tu n’as pas fait, moi je vais le faire ». Il sortit en
effet aussitôt sur les pas du caporal… Je fis savoir alors à tous
mes camarades que puisqu’il fallait un coupable et que j’avais
commencé, on dise que c’ était moi et il fut ainsi
convenu.(…) Je ne sais si le caporal a eu une discussion avec une
sentinelle, mais à ma rentrée, j’appris qu’il s’était
disputé avec Trémeaux et qu’il l’avait même menacé de son
revolver. J’affirme que le caporal Hugon était pris de boisson ;
moi je ne l’étais pas ! »
Auguste Vial,
brigadier-poseur au chemin de fer Marnia-Taourirt, qui travaillait à
côté des soldats du 13è groupe fait cette déposition pour le
moins bizarre : « … Dix minutes après, le caporal a
réveillé la sentinelle qui dormait toujours [rappelons que son arme
avait été transportée au blockhaus par les soins d’Hugon
lui-même] et l’a ramenée au blockhaus distant d’une
cinquantaine de mètres. Une discussion s’en est suivie, le caporal
prétendant punir la sentinelle en lui supprimant le quart de vin.
Cette discussion s’est poursuivie à l’intérieur du blockhaus où
ils étaient entrés. Puis j’ai entendu un coup de fusil et j’ai
vu le caporal sortir plein de sang et les bras en l’air en criant
« à l’assassin, à l’assassin. Le caporal est sorti par la
porte Ouest, personne n’est allé à son secours, il s’est sauvé
pour se mettre rapidement à l’abri de la face sud du blockhaus, il
s’est dissimulé dans la tranchée au moment où l’assassin lui
tirait un second coup de fusil, il ne l’a pas atteint. Le caporal a
alors continué à marcher dans la tranchée de la face Est. Arrivé
vers le premier tiers de la tranchée de la face Nord il est tombé
et l’assassin ayant rechargé son fusil pour la troisième fois
s’est écrié : « Entends un peu, je vais t’en donner
de l’assassin » et il a fait feu à environ cinq mètres. Le
caporal est resté sur place, on l’a entendu se plaindre et
gémir ».
Lieutenant Quintin
Paul, ex-commandant du 13è Groupe :
« Le caporal
Hugon était un gradé médiocre à qui j’avais fait de nombreuses
observations pour son intempérance. Il n’avait pas toujours envers
ses subordonné la correction de langage d’un supérieur… Je n’ai
jamais eu d’observation à faire à Boudarel qui n’était
d’ailleurs au groupe que depuis peu de temps ; j’ai été
surpris de son acte. »
Ramain :
« Le lieutenant Rouveyre nous réunit, moi et les hommes
d’escorte pour nous faire part du crime qui venait d’être commis
sur la personne du caporal Hugon… Il nous dit que si les hommes du
poste essayaient de se révolter on ne devait pas hésiter à tirer
dessus. »
Le
Capitaine Commandant le 13è Groupe Spécial : « Dans le
courant de Mai, la Cie du groupe que je commandais campait à Souk el
Kléta où elle faisait partie d’un Bataillon de Marches des G.S. e
28 mai je procédais à l’interrogatoire du chasseur Zimmer pour
lequel j’avais reçu une commission rogatoire, concernant l’affaire
Boudarel. Le soir-même Laroze désertait en compagnie du chasseur
Bordes en prévention de CG pour refus d’obéissance. Rien ne
laissait prévoir la désertion de ce chasseur, qui n’avait eu à
la Cie de Marche, que quelques punitions sans gravité. Y a-t-il eu
une relation entre l’affaire Boudarel et la désertion de Laroze.
Tout le ferait supposer, mais l’enquête n’a pu pu rien fixer à
ce sujet. Laroze faisait partie du détachement de Boudarel ;
tous les témoignages accusent seul Boudarel d’avoir tué le
caporal Hugon. Y aurait-il eu la trame d’un complot dont Boudarel
fut l’exécuteur ? Cette désertion surprenante le laisserait
croire mais je n’ai jamais pu le préciser. »
Réponse
du Commissaire du gouvernement (16 mars 1918): « Résultat
confrontation avec Laroze ne peut qu’aggraver cas Boudarel. En
conséquence laissez justice suivre son cours. Adressez-moi
télégraphiquement compte rendu exécution et PV constat dès que
possible.
Et si
Boudarel, assumant comme il le dit les conséquences de son acte
avait sauvé deux de ses amis les plus chers, prévenant des
exécutions sommaires qu’un officier (violent puisque affecté au
commandement d’un Groupe spécial) arrivé le matin même au poste
aurait pu envisager pour asseoir par la terreur son autorité ?
Et si Boudarel n’avait même pas tiré le premier coup de feu, le
premier l’oeuvre de Trémeaux, le coup fatal tiré par Laroze
attendant Hugon en embuscade dans le fossé ? Ce scénario
expliquerait la volonté de faire exécuter Boudarel sans connaître
la vérité, trop accablante pour la mémoire de la victime.
Rejet
en grâce signifié par télégramme le 14 mars 1919.
Sa fiche de décès
porte : « suite de maladie ? Inconnue » mais
Boudarel a été fusillé à Oujda le 18 mars 1919, le PV ne
mentionne pas l’heure.
Diabaté Mamadou,
né en 1898 à Bonou (Haut Sénégal), cultivateur à Bouaté,
célibataire, illettré tirailleur de 2è classe au 3è RTS
Conseil de guerre
des armées de la Côte d’ivoire :
Mamadou diabaté
faisait partie d’un détachement de la 12è Cie envoyé en
reconnaissance en pays Porto-Novo, dans la soirée du 10 janvier
1918 ; probablement pris de boisson, il se bat avec un de ses
camarades. Ils sont séparés par le sergent Zan Coulibaly ;
Mamadou oppose de la résistance, on lui attache les mains derrière
le dos et on l’enferme aux locaux disciplinaires, un simple abri
sans clôture. Dans la nuit Mamadou réussit à se détacher. Il
s’enfuit avec son équipement, son fusil et 120 cartouches ; il
quitte le camp en ayant prévenu la sentinelle qui ne l’arrête pas
ayant pour seule consigne de ne pas laisser entrer les cochons et les
chiens. A 23 heures, hors du village d’Homé Gbon, il tire
quelques coups de feu sans résultat sur un indigène nommé Oundévé.
Vers minuit, il arrive au village d’Omé Oumé où il tire sur deux
cases sans blesser personne. S’approchant de celle d’Ouhiémé,
il le tue d’une balle derrière la tête, et blesse d’un coup de
feu dans le dos sa femme Betiho (qui mourut quelques jours après à
l’hôpital de Cotonou). Il aperçoit ensuite le nommé Ahonon qui
se prépare à monter en pirogue et lui tire à quelques mètres un
coup mortel. Longeant la rivière il croise à 150m de là deux
hommes. Le premier, Tévou, s’avance vers lui et reçoit une balle
au côté droit. Regagnant la route, Mamadou travers sur une planche
un ruisseau large de deux mètres ; au coin d’une case il voit
le nommé Dassi, et lui tire un coup de feu qui l’atteint à
l’aine, le tuant net d’une deuxième balle en pleine poitrine. Il
met le feu à la case, l’incendie calcinant une partie du cadavre
de sa victime et se propageant à cinq autres habitations qui furent
entièrement détruites avec tout ce qu’elles contenaient. Mamadou
Diabaté passa ensuite l’Ouémé en pirogue et gagna Porto Novo où
il se constitua volontairement prisonnier au bureau du gouverneur
militaire du Dahomey le 11 janvier 1918 à 14h30. Le système de
défense de Mamadou consiste à répéter qu’il a cru que les
Dahoméens armés de coupe coupe avançaient vers lui pour
l’attaquer. Il nie l’incendie et la tentative d’assassinat sur
la femme. Les véritables mobiles de ces crimes répétés resteront
mystérieux. Dans les termes du commissaire rapporteur : « Il
est difficile de sonder l’âme indigène. Les faits seuls
restent. »
Rejet en révision
le 10 décembre 1918. Le dossier de recours en grâce semble s’être
égaré dans les méandres administratifs.
Mamadou est fusillé
à Abidjan (Côte-d'Ivoire) le 29 mars 1919 à 16h
Barka (ben
Mohamed Hajaouar), né vers 1878 au Soudan, de la fraction des
Oulad Bakli, cercle de Djeffa, marié, 1 enfant
Le 31 mai 1918, El
Hadj Bakir ben El Hadj Youssef ne rentra pas à son domicile de la
ville de Beni-Isguen. Son corps fut retrouvé, avec une large
blessure au cou le 1er juin dans une maison inhabitée lui
appartenant dans l’oasis. Près du corps se trouvait un rasoir et
un poignard arabe ensanglanté tandis que dans la courette de la
maison séchait une corde tachée de sang.
Le vendredi 31 Barka
avait été surpris dans sa fuite, tandis qu’il volait des
citrouilles dans l’oasis : ses vêtements étaient tachés de
sang. Dès le lendemain le Caïd accusa Barka d’avoir commis le
crime. Barka déclara alors qu’il avait vu le vendredi près de la
maison du crime la victime se disputer avec un autre Soudanais, Barka
dit « Charouni » et un Mozabite, Mohamed ben Abdallah.
Chez ce dernier durent découvertes des chaussures dont les semelles
étaient imprégnées de sang. Il se décida alors à faire le récit
du crime auquel il avait assisté : Mohamed ben Abdallah savait
que Barka, serviteur
d’El Hadj Omar voulait tuer El Hadj Bakir, parce que ce dernier
menaçait de le dénoncer aux autorités pour vol de bois, mais,
ayant été menacé de mort s’il parlait, il n’en dit rien. Le
vendredi, jour du crime, alors qu’il liai des fagots de bois dans
l’oasis, Mohamed ben Abdallah vit se diriger vers la maison Barka,
portant une corde, accompagné de Barka « Charouni ».
Quelques instants après, El Hadj Bakir se dirigea vers la maison, se
lava les mains à une mare voisine et entra dans la maison en
disant : « je vais faire une prière ! » La
porte de la maison étant restée ouverte, Mohamed vit El Hadj Bakir,
dans la courette de la maison commencer sa prière en levant les
bras. Surgirent alors les 2 Barka, qui, ayant passé la corde
par-dessus une poutre, lièrent la victime par les poignets. Tandis
que Charouni lui tenait les épaules, Barka lui ouvrit la gorge. Ils
le disposèrent ensuite dans la chambre donnant sur la courette. Le
coup fait les soudanais partirent chacun de leur côté et Mohamed
rentra chez lui, plus que jamais décidé à garder le silence.
Barka « Charouni »
dit ne pas connaître la victime, et n’avoir aucune relation avec
l’autre Barka, s’étant brouillés à propos de l’usage d’un
puits. Barka, serviteur d’El Hadj Omar prétend ne plus exercer le
métier de coiffeur alors que l’enquête démontre qu’il a dans
les jours précédant le crime rasé deux clients, l’un au rasoir,
l’autre avec un couteau arabe. Mohamed enfin, avait selon les deux
autres diverses raisons d’en vouloir à El Hadj Bakir, lequel
l’avait à plusieurs reprises morigéné à cause de relations
« indignes » qu’il entretenait avec des prostituées.
Il est au minimum soupçonné d’avoir fait le guet, mais ne put
expliquer autrement ses semelles tachées de sang que parce qu’il
avait marché dans la mare consécutive à l’égorgement d’un
mouton.
CG de la division
territoriale d’Alger : Barka « Charouni » est
condamné aux TF à perpétuité. En raison de son âge, 61 ans, une
peine de 15 ans de réclusion est prononcée contre Mohamed ben
Abdallah.
Rejet du pourvoi en
révision le 6 mars 1919, pourvoi en cassation rejeté le 5 avril
1919.
« Je vous
confirme les termes de mon télégramme du 25 juin 1919… Le
Président de la République a reconnu la nécessité de laisser la
Justice suivre son cours à l’égard du Nègre soudanais Barka,
serviteur d’El Hadj Dakir, que le CG permanent de la DIT d’Alger
a condamné le 15 février 1919 à la peine de mort pour meurtre avec
préméditation et guet-apens. »
Déclaration
transcrite le 3 juillet 1919 avant l’exécution : « Je
demande que l’on écrive à ma femme Fatma et à mon patron, Hadj
Omar ben Haiz Saïd domiciliés aux Béni-Isguen pour leur
transmettre mon suprême adieu. Je proteste devant Dieu de mon
innocence, je n’ai pas commis de crime je n’en avais pas
seulement connaissance ; j’ai fait des aveux -que l’on me
demandait et que l’on m’a arrachés en me nattant et suppliciant
– pour qu’on me laisse tranquille. Je demande à revêtir mes
effets et fais don aux camarades de mes objets divers. Je demande du
café. »
Barka
est fusillé le 3 juillet 1919 à Alger, Fort l’Empereur, à 6h30 à
la parade, avec service d’ordre pour barrer les rues donnant accès
à la prison militaire, convoi au pas par la porte du Sahel.
Ould Moktar
Boumediene, né en 1892 à Taforalt (Maroc), cultivateur,
célibataire, 6è Rgt de Tirailleurs indigènes
Le Maire de la ville
de Saïda à Monsieur le Ministre de la Guerre, le 6 septembre 1919 :
« Le 29
juillet 1918, M. Pardies Pierre, agriculteur, ferme Carrafang à
Bou-rached, commune d’Ain-el-Hadjar, était grièvement blessé par
le tirailleur Boumedine (sic), affecté à la garde des prisonniers
russes détachés à cette ferme en main d’œuvre agricole ;
Boumedine blessait en même temps mortellement Pardies François,
frère de Pardies Pierre, et a été par ces faits condamné à mort
le 19 mars 1919… et exécuté le 25 juillet suivant. La blessure
dont a été victime M. Pardies Pierre a diminué sensiblement la
capacité de travail de ce dernier et lui cause par suite un
préjudice considérable dont il demande réparation par voie de
pétition ci-jointe. »
Le 14 juillet 1918,
un contrat dénommé « Marché » est signé entre M.
Traverse représentant la succession Carrafang et le Lt Colonel
Kreider, délégué par le général commandant la division, au terme
duquel « Sur la demande expresse de M. Traverse l’autorité
militaire met à sa disposition ciquante et un travailleurs russes
accompagnés de un caporal et sept tirailleurs pour leur surveillance
et leur garde. »
Le cahier des
charges joint au dossier sur le « mode d’emploi des
travailleurs russes » est assez effarant, mais on se doute de
la bienveillance avec laquelle les forces d’occupation traitent les
animaux. C’est ce qu’il est advenu à une partie des survivants
de la Courtine, passés de la tyrannie à l’état de serf des
forces d’occupation françaises.
Le 29 juillet 1918,
Ould Moktar Boumediene avait passé l’après-midi à Aïn-el-Hadjar
et était de retour à la ferme Carrafang vers 16 heures. Il
ramenait un Russe qu’il avait rencontré au village, et qui était
momentanément exempt de travail. Boumediene frappa le Russe à coups
de pied et à coups de poing. D’après le témoin Berratta,
Boumediene était complètement ivre. Il aurait devant lui chargé
son arme en disant : « Tu vois, chacune de ces balles va
tuer un homme ce soir ! Puis aurait paradé, l’arme à la
bretelle, l’air furieux. Vers 17h30, après avoir mis sa baïonnette
au canon, Boumediene alla trouver son camarade Aïssa ould Larbi,
préposé avec lui à la surveillance des Russes, et lui dit qu’il
entendait commander, qu’il était le chef, qu’il ne voulait pas
que le russes s’éloignent de la ferme. « Je lui dis alors,
répond Aïssa, que, leur travail terminé, les Russes étaient
libres, comme ils l’avaient toujours été ; que ses
observations allaient nous tourner en ridicule ». Boumediene
reprocha alors à Aïssa de prendre fait et cause pour les Russes,
et, le menaçant de sa baïonnette, ajouta qu’il le tuerait au
risque de passer en Conseil de guerre. La dispute entre les
tirailleurs attira bientôt le personnel de la ferme, en particulier
Pierre Pardies qui tenta de faire déposer son arme à Boumediene en
lui faisant honte de menacer ainsi son camarade. Il finit par le
menacer de le dénoncer à son commandant, tandis que son frère
François Pardies, arrivé entre temps commentait : « Il
nous prend pour des boches ! » Boumediene s’éloigna
alors en disant « ça va bien » et se dirigea vers sa
chambre, feignant de vouloir y déposer son équipement. Mais il
n’avait pas fait trente mètres qu’il fit volte face et chargea
son fusil. Pierre Pardies cria : « Attention, il va
peut-être nous tirer dessus » et reçut aussitôt une balle en
plaine poitrine. Une deuxième cartouche atteignit François Pardies.
Blessé mortellement, celui-ci décéda dans la nuit du 1er
au 2 août.
Après avoir tiré
sur les patrons de la ferme, Boumediene fi le tour de la ferme pour
tenter de régler leur compte au reste du personnel, dit Aïssa,
notamment avec le garde particulier des Pardies qu’il soupçonnait
depuis longtemps de rapporter ses faits et gestes et qu’il avait
déjà envisagé de mettre en difficulté en incendiant des meules.
Les quatre coups supplémentaires qu’il tira n’atteignirent
personne, tandis qu’Aïssa ripostait dans la direction d’où
venaient les coups.
Laveillan Antoine,
48 ans, jardinier d’une ferme voisine en banlieue d’Aïn-el-Hadjar :
« Le 29 juille 1918, vers 22 heures et demie, un tirailleur
armé d’un fusil et d’une baïonnette s’est présenté chez moi
et m’a demandé si je pouvais lui donner à manger, qu’il était
à la recherche d’un russe qui s’était évadé le matin, qu’il
était fatigué et qu’il n’avait pas mangé de la journée.
Croyant à la sincérité de ce militaire, je l’ai fait dîner et
ensuite coucher dans une chambre de la ferme. Le lendemain matin, à
la pointe du jour, je me suis rendu à mon travail, laissant le
tirailleur chez moi… J’ignorais [que les frères Pardies avaient
été blessés à leur ferme] et je ne l’ai appris que le lendemain
30 juillet dans l’après-midi. J’en ai alors conclu que le
tirailleur que j’avais hébergé la veille était vraisemblablement
l’auteur de cette double tentative d’homicide et vous ai fait
prévenir aussitôt. »
Boumediene est
arrêté à Sidi bel Abbès le 2 août 1918
CG de la division
militaire d’Oran (19 mars 1919), recours en révision rejeté le 30
avril 1919.
Boumediene est
fusillé à Oran, plateau du petit Santon le 25 juillet 1919 à 5h30.
Lucien Henri
Bourdeau, né au Havre le 29 janvier 1885, journalier à
Rouen, chasseur au 2è bataillon d’infanterie légère d’Afrique
Le 28 juin 1918, le
convoi régulier en provenance de Sidi-Lamine accompagné d’un
détachement du 2è Btn d’Afrique arrivait à Boujad et campait en
dehors du camp. Le caporal Blanc qui assurait la relève des
sentinelles avait dans son détachement le chasseur Bourdeau, qui,
malade, avait vômi pendant l’étape. Fatigués les hommes se
couchèrent sans monter les tentes. Bien que les faisceaus furent
formés, certains gardèrent leur fusil près d’eux. Vers 2h30 du
matin, le cuisinier Cazdevant qui avait fait le café réveilla les
hommes pour le leur distribuer. Le caporal Blanc fit remarquer au
cuisinier qu’il s’était trompé d’heure et qu’il était trop
tôt et les hommes se rendormirent. Bourdeau, bien réveillé
cherchait sa musette, et manipulait celle du caporal Blanc quand
celui-ci s’éveillant l’aperçut. La nuit était claire, et la
clarté augmentée des reflets du feu de la cuisine placée à
quelques mètres. Blanc crut que Bourdeau voulait lui voler sa
musette et donna une bourrade d’un ou deux coups de poing à
Bourdeau qui retourna s’asseoir à sa place sur deux sacs tandis
que le caporal se remettait sous sa couverture. Selon une partie des
témoins la discussion continua quelques temps entre eux. A un mot
plus vif, Bourdeau saisit son fusil, s’assit sur les sac, arma et
tira sur le caporal Blanc, si rapidement qu’une partie des hommes
crut que la sentinelle avait fait feu. Le voisin de Blanc,
l’entendant gémir, se pencha sur lui et le découvrit couvert de
sang. Transporté au poste le caporal Blanc mourut d’hémorragie
quelques minutes plus tard. Bourdeau qui avait quitté les lieux
revint se constituer prisonnier. Interrogé par le sergent Faller et
le lieutenant Renard, il refusa de répondre en leur disant « Vous
n’êtes pas juges d’instruction », et déclara à un
camarade : « Ne t’en fais pas pour moi ».
Après l’exposé
des faits, le commissaire-rapporteur fait l’éloge funèbre du
caporal Blanc, « intelligent, de bonne mine, aimé de tous ses
chasseurs, plein de tact » et dénigre Bourdeau, insoumis puis
réformé en 1910, rappelé à l’activité en mars 1918 : « De
mars à Juin, il a seulement 8 jours de prison, mais il passe
pourtant pour un des plus mauvais chasseurs de la Cie, fourbe,
sournois, pédéraste et capable de tout, jouissant dans ce milieu
particulier du prestige de « malabar » à cause de ses
condamnations. Bourdeau en effet a été condamné 9 fois, dont trois
fois pour vol et 4 pour coup coups et blessures.C’est un hypocrite
et un violent. »
Contrairement à ce
que stipule le rapport, cherchant visiblement à minimiser les
inconséquences du caporal Blanc, plusieurs témoins évoquent une
dispute qui aurait eu lieu à mi-étape entre Blanc et Bourdeau,
lequel aurait dit : « tu m’en veux depuis Sidi-Lamine,
tu voulais m’empêcher de mettre ma musette sur le mulet ».
Tenaud Jules :
« A un moment je me suis arrêté pour satisfaire un besoin.
J’ai vu venant derrière moi, un de chaque côté de la route, le
caporal Blanc et Bourdeau. J’ai eu l’impression qu’ils
s’étaient fâchés et qu’ils venaient de se battre, en effet il
y avait un peu de sang sur la veste kaki du caporal et Bourdeau avait
un peu d’érosion sur le nez. Les deux hommes avaient dû rester en
arrière et sur le côté de la route pour vider un différend. Un
peu plus tard on s’est arrêté un peu avant d’El Graar. Bourdeau
a demandé à nouveau sa musette au caporal qui lui a dit d’aller
voir près du muletier. J’ai entendu dire, sans pouvoir préciser,
que le muletier avait répondu à Bourdeau que le caporal avait jeté
la musette de Bourdeau en route ». A l’arrivée au camp,
Tenaud aurait également vu Blanc frapper Bourdeau, bien avant les
autres coups puisqu’il précise qu’il était17 heures et que le
crime eut lieu vers 4h30. Mais Bourdeau, plus tard confronté avec
Tenaud soutient que « le témoin ne sait pas ce qu’il dit ».
Appelé à préciser
son premier témoignage le cuisinier Cazdevant recoupe la version de
Bourdeau et dit avoir vu le caporal Blanc à genoux, se relever comme
s’il avait voulu sauter à la gorge de Bourdeau, avant que ce
dernier ne tire. Quant à la « simple bourrade » François
Frapet a vu le caporal se lever pour donner des coups de poings à
Bourdeau, et assure l’avoir entendu menacer en maugréant « tu
vas voir !.. » juste avant d’être touché par le coup
de feu. » Louis Wigander, lui a entendu des menaces, même si
le bruit des discussions ne lui ont pas permis de tout comprendre, il
rapporte que le caporal Blanc a dit après avoir frappé Bourdeau:
« Si je ne craignais pas qu’il aille au bureau, je lui
ferais... » et juste avant le coup de feu cette réplique :
« Je vais te refiler quelque chose pour te montrer si j’y
vais plus souvent que toi » [cette remarque répondant à celle
de Bourdeau disant qu’il n’avait pas l’habitude d’aller au
bureau, et que Blanc y allait plus souvent que lui]. Après avoir
tiré, Bourdeau dit à Wigander : « Je suis malade,
il a voulu remettre ça, je ne peux pas me défendre » puis il
lui a remis son fusil en lui demandant la direction du poste pour
aller se rendre.
Andry Alexandre :
« Le caporal se leva et frappa Bourdeau. Bourdeau s’est
écrié : « Tu parles d’une bander de niers, ils
frappent les hommes quand ils sont malades ». Le caporal a
répondu : »Je vais te faire voir ce que c’est qu’un
nier »… Je ne peux pas préciser quels sont les coups qui ont
été portés à Bourdeau par le caporal, mais je me souviens que ce
dernier l’a frappé plusieurs fois car moi-même j’ai dit au
caporal : « Il y en a assez ».
Louvry Adolphe :
« Je ne connaissais pas du tout Bourdeau, je l’avais vu
pendant les étapes et j’avais entendu des camarades l’appeler
« Papillon » à cause du tatouage qu’il porte sur le
front, mais j’ignorais même son nom ».
Il faut noter que
contrairement au panégyrique des officiers supérieurs, absolument
aucun des chasseurs interrogés ne manifeste d’affection ou de
compassion envers la victime.
Rapport du capitaine
Monier -qui se prend pour un grand écrivain réaliste- commandant la
3è Cie du 2è bataillon (le 30 juin 1918) :
« Dès
l’abord, Bourdeau donne l’impression du repris de justice
dangereux, rebut physique et moral de lasociété pour lequel la vie
de prison est absolument normale. Voyez-le, avec son étoile tatouée
sur le front ! Son regard de révolté et les petits moyens
physiques mis à sa disposition par la nature ! Il a
immédiatement la réputation de s’adonner à un vice spécial,
hélas trop courant parmiles repris de justice, la pédérastie ;
mais, très malin, il ne se laisse jamais surprendre. A la Compagnie,
il est dans la coulisse, ne faisant jamais parler de lui, mais
agissant en dessous, se taillant un domaine, une autorité que l’on
pourrait qualifier d’immorale dans le petit troupeau d’admirateurs
qu’un soi disant « malabar » traîne à sa suite.
Bourdeau est capable de tous les crimes car de nature extrêmement
nerveuse, exaltée et alcoolique… »
CG des troupes
d’occupation du Maroc occidental
recours en révision
rejeté le 25 mars 1919, grâce présidentielle rejetée le 29 août
1919
Bourdeau est fusillé
à Aïn-Diab (Casablanca) le 30 août 1919 à 5h20.
Henri Boudet,
né le 8 septembre 1899 à Decazeville (Aveyron), peintre,
célibataire, tatouages au visage et au bras gauche. Prévenu de
meurtre sur la personne d’un agent de la force publique dans
l’exercice de ses fonction (Finance Ernest, chef de la sûreté
générale du département d’Oran)
Abel François
Castillo, né le 5 août 1899 à Oran, maçon, célibataire.
Tatouages, point d’interrogation à la poitrine, 5 et 3 points
entre pouce et index, domino (3/5) à l’avant bras droit, coeur
percé d’une flèche, initiales A.C., 1 à 13 cernés de 3 points
au bras gauche.
René Auguste
Heidelberger, né le 27 décembre 1900 à Oran, chauffeur
d’automobiles. Tatouages, 1 point sur la narine gauche, un point
sur le lobe de l’oreille droite, 1 point d’interrogations sur la
poitrine, un point à côté de chaque téton, cinq points entre
pouce et index au bras droit, un domino (3/5) sous cubital, un cœur
autour d’un M, un cœur étoilé à l’avant-bras gauche, un
carreau de carte à jouer et divers pointillés.
CG de la division
militaire d’Oran
L’écho d’Alger,
journal républicain du matin :
« Oran, 25 mars. — Comme nous
l'avons annoncé hier, les affaires d'assassinats dans lesquelles
sont impliqués Boudet. Quessada et Martinez, les meurtriers de M.
Finance, Heidelberger et Castillo, les assassins de Mlle Chaffanel,
sont venues aujourd'hui devant le Conseil de guerre d'Oran, présidé
par le colonel Cosman, major de la garnison. On prévoit que les
débats dureront cinq jours.
Un public nombreux assiste aux deux
premières audiences. Celle de ce matin a été consacrée à
l'interrogatoire d'identité des inculpés… L'interrogatoire nous
apprend que le plus âgé des inculpés n'a pas vingt ans. Puis le
sergent major Ben Soussan donne lecture de l'ordre de mise en
jugement, et du rapport. Ce rapport est très volumineux ; sa lecture
sera interrompue à 11 heures et reprise à 14 heures, pour être
terminée à 15 h. 30 ; il conclut à la culpabilité complète des
inculpés et établit que les deux crimes ont été commis avec
préméditation. Il retient, en outre, contre les cinq bandits
l'inculpation d'association de malfaiteurs, et à l'égard
d'Heidelberger et de Castillo. celle de vol qualifié commis chez la
grand'mère de ce dernier.
L'Interrogatoire des inculpés :A
15 h. 30 commence l'interrogatoire des accusés, mais le colonel
Cosman donne au nréalable des renseignements sur la moralité de
chacun. Ces renseignements sont des plus mauvais. Boudet ne reconnaît
pas avoir commis le crime qui lui est reproché. A l'entendre, il
était ivre le soir du 3 janvier 1918,
et c'est accidentellement que son deuxième coup de revolver est
parti, au moment où M. Finance, qu'il n'avait pas reconnu, voulait
l'aborder. Martinez et Quessada lui donnent un démenti formel. Ils
affirment que Boudet avait toute sa raison et qu'il avait reconnu M.
Finance à la lueur de la lampe électrique. Boudet nie et prétend
que ses deux co-inculpés sont d'accord pour le perdre. Il soulève
des incidents qui tournent à. sa
confusion. Martinez et Quessada disent que s'ils n'ont pas dénoncé
de suite le meurtrier, c'est parce que ce dernier les a menacés de
leur faire la peau s'ils parlaient. Ils l'ont suivi, le soir du
crime, pour aller faire la cour à des cigarières.
Heidelberger et Castillo. les assassins
de Mlle Chaffanel, rejettent l'un sur l'autre la responsabilité du
forfait. Heidelberger, interrogé le premier, dit que Castillo lui
avait proposé de tuer la mercière. Castilo le traite de menteur et
affirme que c'est Heidelberger qui a eu le premier l'idée de cet
assassinat, car il avait travaillé pour Mlle Chaffanel et il savait
qu'elle avait d'importantes économies. Heidelberger reconnaît que
c’est lui qui a étranglé la vieille femme et qu'il a fouillé
l'appartement et le magasin. Avec l'aide de Castillo, il a porté le
cadavre derrière le comptoir, où il a été découvert plus tard.
Sur une question du président, Castillo dit que c'est encore sur les
conseils d'Heidelberger qu'il a volé à sa grand-mère 700 francs,
avec lesquels ils ont fait un voyage à Mostaganem et à Alger.
La bande du
Domino-Noir :
Oran, 30 mars. —
Boudet, IHeidelberger et Castillo, condamnés à mort hier par le
Conseil de guerre, ont reçu ce matin la visite de leurs avocats et
ils ont signé leur pourvoi en révision. Baudet est toujours très
abattu. Il a été placé seul dans une cellule et Heidelberger et
Castillo, ensemble, dans une autre. Les trois condamnés ont mis leur
dernier espoir dans le pourvoi. »
Pourvoi en révision
rejeté le 3 mai 1919
Boudet,
IHeidelberger et Castillo sont fusillés au petit Santon à Oran le 4
octobre 1919 à 7 heures.
Jacob
Johannes, sujet allemand, né le 20 novembre 1877 à
Sarrebrück, serrurier
CG de la 127è DI,
(8 octobre 1919) : port d’arme prohibée et tentative de
meurtre sur un détachement du 25è BCP venant de rétablir l’ordre
troublé par une bande de pillards à Burbach.
Dans la nuit du 7 au
8 octobre 1919, un coup de feu fut tiré sur le détachement devant
le café Scheikmehl ; immédiatement cerné, le café se trouva
renfermer six individus dont l’un Jacob Joannes était porteur d’un
pistolet Mauser, modèle réglementaire de l’armée allemande. Il
portait dans la main gauche deux chargeurs, dont l’un encore plein.
On peut dire que les
choses n’ont pas traîné !
Johannes est fusillé
àSarrebrück le 20 octobre 1919 à 16h30
Vincent le survivant
source évadé pour l'exemple
le caporal Vincent Moulia
Nous avons laissé Vincent Moulia, à l’aube du 12 juin 1917, tapi aux abords du canal de l’Aisne, tandis qu’il entend au loin les salves des pelotons d’exécution qui assassinent ses camarades à Maizy, Casimir Canel, Alphonse Didier et Jean-Louis Lasplacettes, désignés avec lui comme les meneurs de la révolte de Villers-sur-Fère.
Commença alors une aventure qui allait sceller sa légende, une folle cavale où son ingéniosité et sa bravoure lui sauvèrent plus d’une fois la mise.
Pieds nus, avec en poche les sept francs qu’on laisse aux condamnés à mort, il erra d’abord dans le vacarme des combats. Ici il trouva un uniforme. Là il vola un fusil. Ailleurs, il dénicha une carte de la région. Son but : gagner Paris. Une tante y habitait, elle l’aiderait. Sautant à l’arrière des camions qui rentraient du front, arpentant de nuit les bois et les champs, déjouant d’innombrables dangers, Vincent parvint à la capitale en une quinzaine de jours. Il toqua au 17, avenue de Breteuil. Une femme ouvrit, qu’il ne connaissait pas.
« – Mme Moulia n’habite plus ici », lui répondit-elle en claquant la porte. Bien plus tard, sa tante avouera à Vincent qu’elle était cachée derrière la porte, qu’elle savait qu’il avait fait « une bêtise » et qu’elle avait appelé sa voisine pour l’éconduire.
Moulia reprit alors son vagabondage dans cette grande ville qu’il ne connaissait pas. La capitale foisonnait de soldats en permission mais celui-ci, avec son fusil en bandoulière et son uniforme en haillons, ne passait pas inaperçu. Au détour d’une rue, un garde républicain l’apostropha :
« – Hé le militaire, ne sais-tu donc pas qu’il est interdit de se promener en ville avec son fusil ?
– Ce que je sais, c’est qu’un soldat doit se présenter à l’appel avec son équipement », répondit-il sans ciller.
Le coup était passé près. Moulia abandonna son fusil peu après dans les toilettes d’une gare. En tendant l’oreille, il saisit alors quelques mots de gascon. Sûrement des soldats qui rentraient au pays. Le groupe monta dans un train, Moulia leur emboîta le pas, l’air de rien. Après de longues heures d’angoisse, le paysage devint familier. La Garonne, les longues étendues de pins : la gare de Dax n’était plus très loin. Mais il s’y savait attendu. Il sauta du train à Laluque et termina à pied. A Dax, il patienta jusqu’à la tombée de la nuit et se rendit chez le père de Berthe. Requis par l’armée, celui-ci travaillait et logeait dans le quartier du Sablar. Mais là encore, la porte resta close.
« – Les gendarmes sont venus. Tu vas tous nous faire prendre ! » Le fantassin Moulia reprit alors sa marche clandestine jusqu’à la seule porte qu’il savait devoir s’ouvrir : celle de sa mère à Nassiet.
Marie Moulia manqua défaillir lorsqu’elle entendit gratter à son volet au beau milieu de la nuit. Puis la peur fit place à la joie la plus intense. Son fils était de retour. Et vivant. Elle lui aménagea une cache dans le vieux four à pain. Elle aussi avait déjà reçu la visite des gendarmes d’Amou. Ils allaient revenir, c’était certain. Vincent passa l’été 1917 dans sa cache. Mais la tentation de revoir Berthe était trop grande. Il prit des risques et certains, à Nassiet, finirent par remarquer cette silhouette qui s’évanouissait dans les rues du village à la tombée de la nuit. Le manège ne pouvait plus durer.
Vincent connaissait un roncier impénétrable dans un bosquet en contrebas de la ferme des parents de Berthe, au lieu-dit « Landré ». Il y creusa un tunnel de verdure et dégagea une clairière au milieu. Là, il se construisit un véritable fortin : une cabane en bois au toit de chaume équipée d’une couche, d’une table, d’un fauteuil et même d’une cheminée pour réchauffer sa soupe. Autour, il aménagea un petit potager et entoura l’ensemble d’une puissante clôture derrière laquelle il guettait les intrus son fusil à la main. Débutée à l’automne 1917, sa vie de Robinson se prolongea jusqu’au printemps 1918. Pendant cette période, quelques poulets, légumes et miches de pain disparaissaient mystérieusement dans les fermes alentours. Et fatalement, la rumeur enfla à Nassiet.
Un matin, Vincent Moulia distingua une silhouette qui tournait autour de son roncier. La nuit suivante, alors qu’il revenait de son marché nocturne, il s’approcha prudemment du bistrot du village pour y écouter les conversations. C’était bien de lui qu’on parlait :
« – Il faut le dénoncer, dit une voix. Demain je préviens les gendarmes d’Amou. »
Vincent était anéanti. « J’ai cru entendre à nouveau les salves du peloton d’exécution », dira-t-il plus tard. Pour la première fois, il songea à siffler la fin de la partie. Mais à sa manière : toutes ses balles pour les gendarmes, et la dernière pour lui. Berthe, inquiète, mit l’abbé Verdier dans le secret. Le curé de Nassiet promit de les aider. Mais d’abord, il fallait fuir à nouveau.
Quelques jours plus tard, lorsque la compagnie de gendarmerie d’Amou encercla le roncier du Landré, Vincent Moulia était déjà loin. Sa cavale reprit de plus belle : le jour il se terrait dans les bois, la nuit il avalait les kilomètres de son pas de fantassin. Il traversa le Pays basque, franchit les Pyrénées et passa la frontière en mai 1918, plus d’un an après sa condamnation à mort. A Saint-Sébastien, l’attendait une connaissance de l’abbé Verdier. Enfin en sécurité, il reprit le cours de sa vie. Berthe le rejoignit quelques mois plus tard. Ils se marièrent le 19 octobre 1919, devant l’abbé Verdier qui s’était déplacé pour l’occasion. Vincent travaillait comme charpentier, Berthe devint couturière dans un pensionnat de jeunes filles. Leur premier fils Robert naquit en 1923, Hélène deux ans plus tard.
Mais l’Histoire attendait encore Vincent Moulia au tournant. En 1936, la guerre civile éclata en Espagne et Vincent, qui soutenait les Républicains, fut extradé en France. La justice militaire ne l’avait pas oublié : il fut cueilli à son arrivée au port de Bordeaux et emprisonné au fort du Hâ. Deux semaines d’angoisse plus tard, il était libre de rentrer à Nassiet. Cette fois en héros.
Depuis cette date, de nombreuses initiatives ont été lancées pour la réhabilitation de l’ancien poilu. L’historien montois André Curculosse fut le premier à recueillir son récit en 1968. Pierre Durand, journaliste à L’Humanité, lui consacra un livre en 1978 (1). L’année suivante, Alain Decaux diffusa à la télévision un documentaire d’une heure à sa gloire qui lui offrit une notoriété nationale. Les témoignages d’anciens compagnons affluèrent, les actions en sa faveur se multiplièrent, Moulia fit la une de France-Soir du 13 juillet 1979 sous le titre : « Rendez sa croix de guerre à ce héros de 14-18 ». Michel Rocard, alors député, interpella le ministre des Armées à son sujet dans l’Assemblée. Mais rien n’y fit. Jamais l’institution militaire ne se déjugea sur le cas de Vincent Moulia.
Le 11 novembre 1979, devant le monument aux morts de Nassiet où sont gravés les noms des 26 enfants du village tombés dans les tranchées de 14-18, la croix de guerre de Vincent Moulia, celle qu’il avait obtenue à Craonne, fut finalement agraphée à son veston. Mais c’est Alain Decaux qui lui avait offert la breloque et, à défaut de ministre, c’est M. Artaud, le poilu le plus décoré de France, qui la lui remit devant sa famille et tout le village de Nassiet au cours d’une cérémonie informelle.
Cinq ans plus tard, en 1984, Vincent Moulia s’éteignit auprès des siens à l’âge de 96 ans. Sur les 600 mutins de 14-18 condamnés à mort, il demeure le seul à avoir échappé au peloton d’exécution. Lui que l’institution avait condamné pour l’exemple, est finalement devenu le symbole de la résistance à l’arbitraire. Ajoutant à son défi contre l‘institution, comme un dernier pied de nez à ceux qui voulaient sa peau, une extraordinaire longévité.
Vincent Moulia demeure un exemple. Son extraordinaire destinée montre qu'avec beaucoup de patience, de chance, et des convictions inébranlables dans la justice face aux oppresseurs, il persiste un espoir de résister au fascisme, pas seulement celui des bellicistes de 1914, ni à celui des franquistes et des guestapistes, mais à celui qui nous piétine au quotidien, 35 ans après sa disparition. Lui, le dernier mutin est le symbole-même, que quand toute lutte sociale ou politique semble condamnée, la solution persiste de faire un doigt d'honneur à l'histoire, d'être le grain de sable qui enraye la machine, le va-nu-pied qui survit aux chiens de l'enfer en leur répétant, même d'outre tombe "je vous emmerde !"
A Riom, dans le département du Puy-de-Dôme, est dédié un monument aux morts à la mémoire des poilus fusillés pour l'exemple. C'est aux six martyrs de Vingré et à ceux de Flirey, Fleury, Fontenoy, Montauville et Souain
qu'est dédié le monument de Riom. Situé à proximité du carré militaire
au sein du cimetière des Charmettes, il est inauguré le 11 novembre
1922. Il est inscrit sur le monument : « Aux victimes innocentes des
conseils de guerre 1914 - 1918 et à celles de la Milice et de la Gestapo
1939 - 1944 ». Cette dernière dédicace fut ajouté
en 1944, en souvenir des violentes critiques de la Légion des
Combattants (pétainiste) qui tenta de le faire abattre en 1941.
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