mardi 6 novembre 2018

les fusillés de 1914 (v2)


Fusillés pour l'exemple 

"A deux semaines des commémorations du 11-Novembre, point d’orgue de cette première année du centenaire de la Grande Guerre en France, le ministère de la défense a révélé, lundi 27 octobre [2014], que 953 soldats français avaient été fusillés entre 1914 et 1918, dont 639 pour désobéissance militaire, 140 pour des faits de droit commun, 127 pour espionnage et 47 pour motifs inconnus." Le Monde 27-10-2014

Il faut l'admettre, au point où nous en sommes arrivés, l'histoire est sans importance ; elle ne corrige rien, elle n'apprend rien. Je crois toujours aux entreprises vouées à l'échec, alors voici, humblement, un exposé des faits, conforme à ce qu'en avouent nos gouvernements. Qui ait la patience de lire juge en son âme et conscience.

Parmi les 674 fusillés français (chiffre officiel récemment passé à 1009, sans doute encore sous-estimé), certains sont restés dans les mémoires, soit parce qu’ils ont été réhabilités, soit parce qu’ils sont représentatifs du traitement qu’ont subi leurs compagnons d'armes. Il faut remarquer que les officiers, imbus de leur position dominante ont volontiers donné dans les brimades et les humiliations, rendant la guerre vers l'intérieur souvent plus cruelle qu'envers un ennemi dont ils partageaient les valeurs, relents de morgue impériale et de revanche contre-révolutionnaire se mêlant souvent à une incompétence crasse dont seuls leurs subalternes pouvaient être à leurs yeux tenus pour responsables.


Août
L’idée reçue veut que la première exécution n’ait pas eu lieu avant septembre 1914. C’est une confusion ; le 1er septembre 1914 est la date du premier jugement rendu par un Conseil de Guerre (CG) improvisé pour donner un semblant de légalité aux décisions arbitraires de l’autorité militaire pour qui le conflit sera l’occasion d’une tentative de prise de pouvoir réduisant le politique à une instance secondaire. L’histoire des « supprimés » est le reflet de cette lutte permanente qui dépasse les questions de nationalité, quel que soit le fantasme d’ « union sacrée », mensonge destiné à cacher les enjeux réels, la mise au pas des masses populaires, confortant la position dominante des nantis pour se mettre à l’abri des mouvements révolutionnaires.
De nombreux militaires et civils sont tombés sous les balles de l’armée française dès les premiers jours de la guerre.
Le 5 août 1914, soit 3 jours après la déclaration de guerre de la France à l'Allemagne, et à la date même où est instituée en France la censure de la presse, Alfred Boigegrain, 2e classe, 279e RI, né le 23 mai 1881 à Monthureux-sur-Saône (Vosges), 33 ans, est abattu à Neufchâteau (Vosges) par une sentinelle alors qu'il ne respecte pas une consigne.
Le 6 Août 1914 René Joseph Emile Blanc, né le 16 mai 1887 à Graissessac (Héraut), lieutenant au Rgt d'Artillerie de Campagne, précédemment ingénieur des Mines à Constantine (Algérie) est tué à bord du navire La Medjerda. Cet incident mystérieux trouve son explication dans le Journal de Marche et Opérations (JMO) de la 37è division :
[...] Le 4 août [1914]– A 5 heures du matin, le Goeben (croiseur allemand) bombarde Philippeville (12 coups de canon). A 9 heures, le général Comby préside la commission de défense de Philippeville à la sous-préfecture. 10 tués, 10 blessés. Le 5 août – A 8 heures, enterrement des victimes du bombardement. Discours du général Comby au cimetière. Embarquement à 12 heures à bord de la Medjerda. On passe la nuit dans le port. Le 6 août – Réveil. Arrivée de l’escadre au large de Philippeville. On la rejoint en partant vers 6 h 30. Vers 7 h, on fait route pour la France. L’escadre se compose de : le Diderot ; le Danton ; le Jules-Michelet ; le Vergniaud ; l’Edgar-Quinet ; l’Ernest-Renan ; le Mirabeau. Nuit du 6 au 7 août – Le lieutenant Blanc (de l’État-major de l’artillerie) pris subitement d’un accès de folie tue deux hommes de l’équipage de la Medjerda, blesse grièvement l’officier d’administration Garnier (de l’hôpital militaire de Constantine) et un homme de l’équipage. Le lieutenant Blanc est abattu pour faire cesser le danger. Le 7 août – En mer. Vers 13 h 30, en rade d’Ajaccio. Les cadavres et le lieutenant et l’officier d’administration Garnier sont descendus à Ajaccio. Vers 14 h, départ pour la France.
On ignore le nombre de soldats, et de civils, fusillés furtivement au bord d’un fossé ou dans un pré.
« J’ai tué de ma main douze fuyards, écrit le général Blanc, et ces exemples n’ont pas suffi à faire cesser l’abandon du champ de bataille ».

Dès le 10 août 1914, un décret suspend la possibilité de se pourvoir en révision contre les décisions des Conseils de Guerre.

Cité par Robert Attal et Denis Rolland, (La Justice militaire en 1914 et 1915)
M. Gérard Lachaud nous a communiqué un témoignage portant ce titre « Récit de M. Protin marchand de cycles avenue de Laon à Reims, ancien du tour de France des années 1925. Ancien combattant de la guerre de 1914-1918 demeurant à Chavonne (Aisne) ».
« Gochenée, Belgique, à 8 km de Givet, le 24 août 1914, c’est la retraite dite de Charleroi. Les troupes françaises qui se sont battues sur la position Dinant-Givet battent en retraite en masse compacte. Ce sont surtout des hommes des 43è , 45è et 2è Zouaves qui ont été massacrés surtout à Onhaye, ils étaient commandés par le colonel Pétain. Le général commandant le corps d‘armée était Mangin, tous deux bien connus. Ces deux officiers se trouvaient donc sur les marches, lorsque Mangin me dit : « Va plus loin » ; à ce moment-là une patrouille surgit, amenant un soldat français. Mangin demande : « Qu’est-ce que c’est ? » Le soldat répondit : « C’est un soldat qui se cachait derrière une haie à la sortie du village, sans arme ». Sans poser de question, Mangin dit : « Fusillez-le de suite. » Le soldat voulut parler mais fut emmené derrière la maison et 30 secondes après, une salve. Je suis allé voir le mort, il était couché au pied d’un pommier. Voici donc aussi un crime ; on ne lui a pas demandé son nom, ni posé de questions. (...) Par la suite, Mangin et Pétain sont devenus de hauts personnages. Le même jour vers 18 heures sur la route en direction de Treignes, à 7-8 km de Gochenée, un paysan appuyé sur sa fourche dit à un officier français: « Alors on fout le camp, on a peur des boches." L‘officier lance un ordre: "Sergent prenez 6 hommes et fusillez-moi ce type-là. Le paysan, 50 ans environ, fut fusillé immédiatement."
Christan Bauersachs, Allemand installé comme buffetier en Moselle, franc-tireur arrêté les armes à la main, est condamné devant le conseil de la 11è DI, à Nancy à la peine capitale le 23 août pour intelligence avec l’ennemi, et fusillé le lendemain, 24 août
Joseph (Karl) Hubert Seifarth (né le 5 novembre 1859 à Groshafft, Allemagne), marié, 7 enfants, commerçant à Deutsch-Anicourt ouvre divers commerces dans les zones frontière dont il ne peut expliquer le financement. Inscrit sur la liste B, surveillé par la police spéciale, il reçoit des dépêches de Sarrebruck considérées comme des preuves d’une activité d’espionnage. Condamné par le Conseil de Guerre du QG de la IIè Armée, à la majorité de trois voix contre 2 il est fusillé à Colombey-Les-Belles, gravière des Aubriots (Meurthe et Moselle) le 31 août 1914 à 5h.
Le 31 août 1914, un soldat de Lozère nommé Marcel Paulin Elzière "s'est suicidé de plusieurs balles dans la tète et dans le cœur" (un tel acharnement est-il seulement probable?) à Gerbeviller situé à 4 km de Remenonville lieu d’exécution du Commandant Wolff.


Septembre
Le 1er septembre 1914, une circulaire ministérielle dispose que, dès qu’une condamnation capitale prononcée par un Conseil de Guerre est devenue définitive -donc, dans tous les cas depuis le décret du 10 août- l’officier qui a ordonné la mise en jugement doit prendre immédiatement lesz mesures nécessaires pour assurer l’exécution du jugement, à moins qu’exceptionnellement il n’estime qu’il y a lieu de proposer au Chef de l’État une commutation de peine.
Frédéric Henri Wolffné le 4 juin 1869 à Colmar, chef de bataillon du 36e régiment d'infanterie coloniale, décoré de la Légion d'honneur, médaille du Tonkin, chevalier de l'ordre du dragon de l'Annam. a longtemps considéré officiellement comme le premier fusillé "pour l'exemple " de la Grande Guerre. Il est singulier que ce premier fusillé répertorié soit un officier supérieur. Spécialisé à sa sortie de Saint-Cyr comme « télégraphiste colonial » Wolff a gravi les échelons péniblement en divisant sa hiérachie. Certains décrivent un officier servant avec « mollesse, renfermé et dépressif », d’autres le voient comme un homme « intelligent, sur lequel on peut compter ». Il lui est reproché de « négliger ses obligations militaires » et un supérieur portera sur lui ce jugement qu’il « doit apprendre à commander une compagnie ».


Condamné à mort le 1er septembre 1914 par le CG du QG de la IIè Armée avec dégradation, rayé des cadres de la Légion d'honneur, le commandant Frédéric Henri Wolff est fusillé le jour même du jugement dans le village de Remenonville à 18h30 pour « capitulation en rase campagne et provocation a la fuite en présence de l'ennemi ». Le peloton désigné pour la besogne, et devant lequel il faut le traîner, est fourni par le 36e régiment d'infanterie coloniale. Inhumé sur place, le corps sera exhumé clandestinement quelques mois plus tard, sans doute à l'initiative de son épouse. Wolff ne s'est pas vraiment défendu alors que, sur ce vaste champ de bataille, il n'a pas été le seul à « faiblir ». Dans le même régiment, le capitaine Pêcheur, commandant la 19e compagnie, avait la réputation d'être intransigeant. Il s'est joint au torrent de fuyards et a regroupé trois de ses sections dans le village d'Haigneville, avant de les abandonner au lieu de repartir au combat. Il a été arrêté le lendemain alors qu'il tentait de se procurer des effets civils ; il a été condamné à cinq ans de prison. Livrés à eux-mêmes, certains de ses hommes ont pillé quelques maisons du village de Méhoncourt...
Le 6 janvier 1933, un avocat à la cour d'appel de Paris constitua un dossier pour obtenir la réhabilitation du commandant Wolff. Mais la procédure fut abandonnée.

Le 2 septembre 1914, Brahim Ould Habib Dine, né vers 1892 dans la région d’Oran, du 6è Régiment de Tirailleurs est selon sa fiche de décès, « fusillé »à Sézanne (Marne) sans autre précision.

Le 2 septembre à Belfort est fusillé Conrad Joseph Beck, né le 8 janvier 1880 à Heiterloch (Allemagne) convaincu par le CG du QG de l’armée d’Alsace d’avoir entretenu des intelligences avec l’ennemi en Haute-Alsace au cours du mois d’août 1914. En ce qui concerne les civils fusillés à partir de septembre 1914, on se reportera à la fin du document.

Georges Alexandre Cardon, né à Etricourt-Manancourt (Somme) le 12 février 1892, soldat au 120e R.I. déserteur est fusillé à Authe, Haute-Marne, le 4 septembre 1914.

La plupart des condamnations à partir de cette date concernent non plus les abandons de poste ou désertions fréquentes, mais confondues avec eux, les mutilations volontaires auxquelles l’armée française, avec la complicité de ses médecins-majors promus experts, semble avoir très tôt fait une chasse impitoyable, quitte à commettre les pires erreurs judiciaires.


Les Rouges-Eaux :
Lucien Joseph Royer du 14ème Bataillon de Chasseurs Alpins, né le 1er décembre 1891, à Entre-Deux-Guiers. Garçon meunier à Aix-Les-Bains.
Blessé par balle dans des conditions mal définies en août 1914, dans les Vosges. La présence de traces de poudre autour de la plaie conduit ses supérieurs à le suspecter de mutilation volontaire. Le Médecin-principal Roy rédige un rapport médical à charge. Inculpé d’abandon de poste en présence de l’ennemi (par mutilation volontaire) à La passée du Renard (La Bourgonce), le 4 septembre 1914, par le CG de la 27ème DI. Royer est condamné à mort avec les soldats
Joseph Pascal, né le 14 mars 1890 à Veyrac (Lot), couvreur à St Illide, célibataire, 14è BCP (sait lire et écrire, ne sait pas nager) : « étant données les conditions d’éloignement du combat la blessure à bout portant que porte se militaire ne peut provenir que de mutilation volontaire. »
Edouard Charles Sayer, né le 1er février 1892 à Lyon 3è, maçon, 52è R.I. (même motif, même médecin)
et Jean Pierre Soulier né le 29 novembre 1890 à Saint-Didier la Séauve (Haute-Loire), mineur de profession, chasseur au 14è BCP
Les quatre sont fusillés le 5 septembre 1914, à 8 heures, aux Rouges-Eaux (Vosges).
« Remis par M. le sergent Pellorce à l’officier gestionnaire, la somme de 8,45 francs, succession du soldat Pascal et la somme de 24,20 francs pour la succession du soldat Soulier ainsi que deux porte-monnaie et un portefeuille appartenant à ce dernier. »



Le 6 septembre 1914 Arthur Debout du 91è RI (4è DI - 7è brigade) est fusillé à Heiltz-le-Hutier
Arthur Debout était né à Provin en décembre 1893. Lors de son recensement, il exerçait la profession d'ouvrier mineur. Sa fiche matricule ne mentionne pas qu'il fut fusillé. Seules sont indiquées les dates de son incorporation au 91è R.I. (26 novembre 1913) et de son décès.
Incorporé en novembre 1913, il fut classé " soutien indispensable de famille " un mois plus tard le 24 décembre 1913. La mention du décès fut portée semble-t-il suite à un arrêté ministériel du 25 février 1915. Une mention manuscrite indique qu'une réponse fut faite au Ministre le 6 avril 1919, suite à sa note du 5 avril 1919.
Sa fiche de décès porte la mention " Passé par les armes fusillé pour pillage " et indique que son décès fut transcrit à Provin le 5 août 1919.
Le JMO de la 4è D.I. rapporte :
" A 9h, arrivée d'un message du Général Joffre annonçant que la bataille est prochaine et incitant tout le monde à faire son devoir. Au 2è CA, quelques mesures de répression. Les hommes sont rappelés à la stricte observation de la discipline, et un soldat du 91è est fusillé pour avoir maraudé dans un village pendant que sa compagnie était au feu. [...] "
Arthur Debout avait participé aux combats du 10 août 1914 dans le secteur de Mangiennes, survécu à la journée du 22 août 1914 en Belgique, ainsi qu'au 28 août à Yoncq. Son nom est porté sur le monument aux morts de Provin, il était âgé de 20 ans.


René Emmanuel Blanchard, né le 5 mai 1888 à Vaudry (14), soldat au 5è R.I. est fusillé le 6 septembre 1914,  à Louan, Seine et Marne : quel motif ?



Les fusillés du 327è



Le 7 septembre 1914 à 6h30 du matin aux Essarts, 7 soldats du 327e sont exécutés : ils sont tous originaires du Nord ou du Pas-de-Calais. Cette affaire est sans doute la première à avoir marqué la conscience collective, en raison même de la mascarade à laquelle cette exécution ordonnée sans jugement a donné lieu.
A l’origine officier de troupes coloniales, général de brigade placé par les circonstances à la tête d’une division, René Boutegourd montre, dans la plus parfaite illégalité,une intransigeance inflexible qui relève de l'abus de pouvoir. Malgré l’intervention de plusieurs officiers en faveur des soldats arrêtés, il maintient son ordre d’exécution appliquant l’ordre implicite du maréchal Joffre de passer par les armes les fuyards. Il veut certainement prouver par là sa capacité à commander, sérieusement remise en cause ensuite pendant la guerre. Il est le symbole même de l'aveuglement et de la morgue des officiers supérieurs.Quelques mois plus tard, il se serait sans doute trouvé des assassins pour l'égorger, mais les hommes qu'il commandait avaient hélas plus d'honneur et de sens moral qu'il en possédât jamais. 

François Hilaire Waterlot, né le 23 avril 1887 à Montigny-en-Gohelle, ouvrier d’entretien dans une mine, marié, 1 fils. Mort pour la France.
 François Hilaire Waterlot en 1905

Cher cousin,
J'ai reçu ta lettre et j'ai vu avec plaisir que tu étais en bonne santé, quant à moi, il en est de même. Je vais te raconter le tour qui m'est arrivé il y a 4 mois.C'était le 6 septembre à 8heures du soir. A cette heure-là, nous étions arrivés près d'un bois situé entre Lachie et Les Essarts dans la Marne et l'on s'apprêtait pour y coucher le long du bois. L'on va chercher du foin et des bottes d'avoine qui étaient à proximité puis l'on se couche. En avant de nous, nous avions comme avant-postes le 25è bataillon de chasseurs et le 270è d'Infanterie. Vers 11 heures arrive une auto-canon allemande qui lance une dizaine d'obus et le 270è qui était en avant de nous fout le camp et passe en débandade à côté de nous en criant « sauve qui peut ». Nous nous réveillons en sursaut, nous nous équipons à la hâte et l'on en fait autant. Il y en a qui se sauvèrent à droite, d'autres à gauche. En me sauvant, je me mélangeai avec le 270è qui avait passé à notre droite et quand je vis mon erreur je commençai à chercher après le 327è. En cherchant de groupe en groupe, j'eus la malchance de me foutre dans les mains du général de division avec six autres. Il nous demanda à quel régiment nous appartenions, nous lui dîmes que nous étions du 327è. Il fit appeler un sergent du 3è génie qui nous dit de le suivre. Celui-ci nous emmena dans une grange et nous dit de déposer nos armes dans un coin et de nous coucher sur la paille. Nous fîmes comme il nous dit et aussitôt que nous fûmes couchés il fit enlever nos fusils et fit placer une sentinelle à la porte. Nous nous demandions ce que ça voulait dire. Cinq minutes après arrive l’aumônier militaire qui nous dit de faire nos prières avec lui. Nous lui demandons pourquoi. Il nous dit qu'ayant appris qu'il se trouvait des soldats dans la grange, il était venu pour leur donner la bénédiction et que cela il le faisait partout où il passait. Mais cela ne nous disait pas ce que l'on nous réservait. Le lendemain matin nous partîmes encadrés par 8 hommes du génie baïonnette au canon et l'on nous conduisit au quartier général et un moment après arrivait le colonel du 327è qui avait été appelé par le général. Ils s'expliquèrent ensemble pendant au moins un quart d'heure puis le général ordonna à notre colonel de nous emmener. C'était pour nous fusiller et c'était nous qui allions payer pour le 270è. L'on nous emmena en face d'une meule, l'on nous banda les yeux et l'on plaça une section environ 39 hommes à 12 mètres de nous. J'étais placé à droite et nous nous étions donné la main à l'un l'autre. A la première décharge je me laissai tomber, mais je n'avais rien, puis l'on fit retirer une fraction du peloton sur ceux qui bougeaient encore. Ensuite, l'adjudant qui était là vint pour nous donner le coup de grâce en nous logeant une balle dans la cervelle. Il commença par la gauche et quand il eut tiré sur les deux premiers il dit au capitaine qui commandait qu'il ne pouvait plus continuer, que ça lui faisait trop de peine. Le capitaine lui dit de s'assurer si nous étions bien morts et en passant il nous fit bouger en nous pressant par les épaules, ce n'était pas le moment de bouger. Quand il eut passé d'un bout à l'autre, il dit au capitaine que nous étions tous morts et le capitaine emmena le peloton. Nous étions encore à deux de vivants, un de Saint-Amand qui avait la jambe cassé et moi qui n'avais rien. Je restai encore là au moins deux heures et ensuite je me suis sauvé avec le 233è et le lendemain je retrouvai le 327è vers 11h du matin. En arrivant j'ai cherché après le commandant de notre bataillon et je suis allé le trouver. Je lui racontai ce qui s'était passé et je lui dis que j'étais revenu me mettre à sa disposition et que je demandais à partir en première ligne. Il me dit qu'il allait référer mon cas au colonel et qu'en attendant je pouvais rentrer à ma compagnie. Ensuite il alla trouver le colonel et tous deux ils allèrent trouver le général. Une demi-heure après ils revinrent et me firent appeler ainsi que le lieutenant qui commande notre compagnie. Le colonel me dit que j'étais gracié et qu'il ne fallait plus y penser, qu'il avait fait son possible auprès du général pour empêcher que l'on nous fusille mais que le général voulait un exemple et s'était montré inflexible dans sa décision. Et ce fut de cette manière que l'on nous tua sans nous dire quoi que ce soit et sans faire d'enquête. Depuis j'ai été cité à l'ordre du jour pour avoir demandé à repartir au feu après avoir été blessé au dos le 15 octobre dans une attaque que nous fîmes pour reprendre un pont en avant de Reims entre la Neuvilette et Courchy. Le principal est que je suis toujours en bonne santé. » (Waterlot, le 11 janvier 1915)
Hélas, par pour très longtemps… Celui qui avait dit dès son retour « Je ne suis pas blessé, je n’ai absolument rien, donnez-moi un fusil, je veux me battre car je ne suis pas un lâche. » meurt sur les champs de bataille de la Somme le 10 juin 1915 à Colincamps en Picardie, à une cinquantaine de kilomètres de sa région natale. Il est miraculeux que son témoignage soit préservé puisqu'il ne s'ouvrit jamais à d'autres qu'à ce cousin de son aventure. Pendant plusieurs années sa veuve et son fils, né juste après sa mobilisation, ignorèrent tout de ce qu'il avait subi.
Qui est l'autre survivant dont parle Waterlot ? Sans doute confond-il, le seul natif de Saint-Amand étant Eugène Louis Barbieux, né le 13 juillet 1885 à Saint Amand les Eaux. Mort pour la France.
Selon toutes probabilités, l'homme à la jambe cassée, qui mourra deux jours plus tard était
Palmyr Clément, né le 23 février 1884 à Château-L’Abbaye. Mort pour la France.

« Attendu qu'un acte de décès dressé par Delbecque Auguste officier de détail au 327eRI constate que le soldat Clément Palmyre du 327e RI né le 23/02/1884 à Château l'Abbaye (Nord) (...) est décédé aux Essarts (Marne) le 7/09/1914. (...) Attendu qu'il résulte d'une enquête diligentée par M. le Ministre des Pensions que c'est à tort que cet ex-militaire fut porté décédé le 7/9/1914 aux Essarts. Qu'en réalité ce militaire ne fut que blessé à ces lieu et date ; transporté dans un train sanitaire, décéda en cours de route le 9/09 : son corps déposé à l'hôpital mixte d'Orléans fut inhumé au cimetière de cette ville, tombe 34. (...) Attendu que le soldat Clément était encore vivant quand a été dressé le 7/09 l'acte de décès transcrit à St Amand. Qu'il y a lieu en conséquence de rectifier l'acte de décès ... »

Mais le mystère s'épaissit en ce qui concerne Gaston Jules Dufour, né à Rumegies le 17 février 1884. Soit les soldats désignés pour former le peloton d'exécution étaient très maladroit, soit une bonne partie d'entre eux s'est efforcé de viser à côté, car il y eut un troisième survivant.
 

On ignore en effet ce qu’il est advenu de Gaston Dufour, sinon que blessé il fut transporté dans une ambulance. Dufour est officiellement porté disparu lors des combats de Corfelix entre le 7 et le 10 septembre, donc sur les lieux de l’exécution, ce qui est impossible. La cour de Douai ne percera pas le mystère.
On le sait, deux ont reçu le coup de grâce ; il faut supposer, sinon espérer que deux autres sont instantanément. Il reste, en plus de Barbieux
Désiré Hubert, né le 16 septembre 1885 à Trith Saint Léger, ouvrier des Hauts-fourneaux de Trith-Saint-Léger. Mort pour la France.

Alfred Delsarte, né le 2 avril 1884 à Fresnes-sur-Escaut. Mort pour la France

et Gabriel Georges Aimé Caffiaux, né à Bermerain le 20 mars 1884 caporal, Mort pour la France
 

L’affaire dite « des fusillés du 327è » a fait l’objet d’une réhabilitation par la Cour d'Appel de Douai le 22 décembre 1926.

Les 6 de Vanémont-La Houssière


Jean-Baptiste Eugène Bouret, né le 6 septembre 1887 à Dijon, soldat au 48è Rgt d'Artillerie est fusillé le même désastreux 7 septembre à 18h30. Jugement annulé par la Cour de Cassation le 2 août 1917. Mort pour la France.
Le 2 août 1914, l'artilleur Eugène Bouret abandonne sa famille et ses vignes, pour rejoindre la 1ère Armée passant à l'offensive en Alsace annexée. Le 29 août, au col vosgien d'Anozel, la déflagration d'un obus allemand signe sa perte. Touché par le souffle de l'explosion, Eugène Bouret perd la raison. Il est la première victime de l'obusite (le "shell-schok).Le médecin du régiment diagnostique un état de démence par commotion cérébrale. Evacué sur une antenne sanitaire, Eugène n'arrivera jamais à destination... En état de choc, il s'égare et erre à l'arrière du front. Jugé suspect par un capitaine d'infanterie, l'artilleur est arrêté et remis à la prévôté du 14ème Corps d'Armée. Parallèlement, à cette période, devant la poussée allemande, l'état-major redoutant de revivre la déroute de 1870, ordonne de durcir la répression. Le 7 septembre 1914, jugé expéditivement par un Conseil de guerre incompétent, celui de la 28è DI, Eugène Bouret et 5 autres co-accusés sont fusillés le jour même pour abandon de poste en présence de l'ennemi (par mutilation volontaire). L’inexistence des rapports d’expertise médicale ne permet pas de se faire une idée de la réalité des faits.
Claudius Francisque Urbain du 299è R.I. né le 1er janvier 1882 à Chuzelles (Isère), mineur à Vienne accusé d'abandon de poste en présence de l'ennemi à St-Dié et de mutilation volontaire.
Ernest François Macken chasseur au 53è BCA, né le 3 novembre 1889 à Saint-Denis, cultivateur à Liancourt (Oise), inculpé d’abandon de poste en présence de l’ennemi à Rougiville le 2 septembre 1914.
Benoît Manillier, né le 22 mai 1887 à Leyrieu (Isère), cultivateur, 2è classe au 22è R.I., casier vierge, inculpé d’abandon de poste en présence de l’ennemi à Rougiville le 3 septembre 1914 : « Le 3 septembre 1914, vers une heure de l’après-midi, nous étions 5 dans une tranchée, nous avons reçu l’ordre de nous replier ; en nous repliant, j’ai reçu une balle à l’index de la main gauche. Il n’y a pas eu de témoin de l’accident, je me suis retiré des tranchées l’un des derniers ».
Francisque Jean Aimé Ducarre, né le 4 janvier 1892 à Saint-Quentin-Falavier (Isère), voiturier, soldat au 30è R.I. Précédemment condamné en 1912 (quinze jours de prison pour insultes à la gendarmerie), inculpé d’abandon de poste en présence de l’ennemi à Taintrux le 3 septembre 1914.Témoins à charge Drs Bosquette et Jalfier.
Francisque Pitiot, né le 1er février 1882 à La Grand-Croix (Loire), métallurgiste à Rives de Gier, marié, deux enfants, chasseur du 11è BCA1ère Cie, casier vierge, inculpé d’abandon de poste par mutilation volontaire en présence de l’ennemi à Taintrux le 3 septembre 1914 à 13h. Contre lui est produit le témoignage du médecin expert Gouilloud de l'ambulance 2. CG de la 28è DI le 7 septembre 1914 : « a reçu une balle d'environ 2m de distance tirée par un Allemand qu'il n'a pas vu, alors qu'il se trouvait seul en corvée d'eau, sans son fusil. Pas de témoin de la blessure… paume (main gauche) très fortement endommagée. »


Le 8 septembre 1914 Jean-Marie Genillier né le 13 décembre 1881, à Sermentizon, près de Courpière. Il était cultivateur, mesurait 1,62 et vivait avec sa mère, 76 ans, en 1911 au hameau du Cheix ; son père était déjà décédé, comme son frère aîné ; le 11 août 1914, Jean Marie fut mobilisé à 33 ans, au e Régiment d'infanterie coloniale de Lyon ; arrivé le 2 septembre, il est porté disparu le 3. En fait, il a déserté le champ de bataille ; il fut arrêté quelque temps plus tard et emmené en détention à Haye-Banon ; là alors que le 8 septembre, il tentait de s'enfuir, il fut tué par une sentinelle. Il n'y a pas de dossier d'instruction à son nom et son décès n'a pas été reconnu comme mort pour la France.
Le 9 septembre 1914 Henri Parpaite, né le 25 septembre 1888 à Givonne (Ardennes), 2è classe au 120è R.I. est fusillé à Landricourt (51) : motif inconnu.




Les moutons noirs du XVè Corps d’Armée
Cristallisation du racisme anti-méridional


(Francis Barbe, commentant Maurice Mistre)

Le 2 août 1914, dans la XVe Région militaire (Basses-Alpes, Alpes-Maritimes, Ardèche, Bouches-du-Rhône, Corse, Gard, Var, Vaucluse), l’ordre de mobilisation est affiché dans les mairies. Le XVe Corps rappelle dans ses unités les réservistes des huit départements de cette circonscription militaire.

Le XVe corps vient d’entamer la bataille de Lorraine dans les départements annexés. Il subit une défaite initiale le 11 août à Lagarde (529 tués). Selon l’application du plan VII, il prend Moncourt le 14 août (368 tués du 3e RI de Digne, du 111e RI d’Antibes et du 112e de Toulon). Mais il va tomber dans le piège tendu par les Allemands : un repli tactique et une contre-offensive, au moment où il l’attend le moins. Les Allemands abandonnent un terrain qu’ils ont occupé pendant quarante ans, qu’ils connaissent parfaitement et qu’ils ont jalonné et préparé. Le moindre fétu de paille avait été répertorié !

Le 19 août 1914, la pluie a cessé mais le terrain est complètement détrempé. Les 55e et 61e RI traversent Dieuze vers 4 h du matin en direction de Kerprich. A la sortie de ce village, les bataillons se déploient dans la plaine de Dieuze à Vergaville, entre la voie ferrée et la forêt de Koeking, en direction de Guébling et Bourgaltroff. Les champs sont couverts de petits tas de gerbes de blé. Une violente canonnade commence sur tout le front. Du côté du bois de Koeking, ça tiraille ferme. Le 55e RI, sous un feu violent d’artillerie, progresse jusqu’àune hauteur au sud-ouest de Guebling, et le 61e RI arrive vers 11 h à la gare de Vergaville. L’artillerie française répond peu.

Le 20 août, l’attaque reprend le matin à 5 h. Au jour, on aperçoit des silhouettes allemandes à la lisière du bois. Ordre est donné de se déployer en tirailleurs, baïonnette au canon. Au commandement, les fantassins se lancent à l’assaut des lignes allemandes qui se trouvent à 500 m. Dès l’élan, les premières balles, tirées par les mitrailleuses allemandes abritées derrière des monticules de terre, atteignent les soldats, faisant de nombreux morts ou blessés. Les obus ne cessent de tomber, les balles sifflent, les blessés descendent continuellement tout le long de la voie du chemin de fer. Les formations sont décimées rapidement par ce feu d’enfer. Il y a de l’affolement, limité, revolver au poing, par les officiers. Des éléments, clairsemés d’abord, puis de plus en plus nombreux, continuent à refluer. Il faut se replier méthodiquement :

Lieutenant Guigues, 61è R.I. 9è Cie:
« Je poste des hommes (sur une ligne) avec ordre de tirer sur tous ceux qui tenteraient de la dépasser. Je fais prévenir les fractions en ligne, en ordonnant que le mouvement s’exécutera par échelons et qu’on prévienne que ceux qui tenteraient de franchir cette position en désordre seraient impitoyablement fusillés »

Le 1er bataillon du 55e est désigné pour se rendre dans la forêt de Koeking en soutien. Il doit chercher la liaison avec le XXe Corps qui opère au nord de la forêt. Un bataillon du 173e RI de Corse est également envoyé dans la forêt, mais sans avertir le 55e, ce qui aura des conséquences regrettables. Vers 10 h, le 55e RI reçoit l’ordre de se replier. Et ce n’est qu’à 10 h 30 que les éléments du 55e se reportent en ordre et par ordre sur Kerprich. Le 61e, talonné par les Allemands, se replie sur Guébestroff. Le village est encombré de blessés et de soldats qui cherchent leur unité. Un nouveau repli est ordonné. Des hommes marchent dans un ruisseau, ils ont de l’eau jusqu’au ventre. Vers midi, ils sont à Dieuze. Les ambulances françaises qui s’y sont installées quittent rapidement la ville et évacuent les blessés qu’elles peuvent transporter, mais un grand nombre est laissé entre les mains de l’ennemi. Un caporal du 61e RI écrit : « Nous étions partis 164 et nous nous retrouvions 58 ». Lors du repli, se produit un fait déplorable : les Français se fusillent entre eux ! Des hommes presque tous sans sac et sans fusil suivis bientôt d’autres ayant encore leurs armes et leurs équipements dévalent de la forêt et se dirigent à toute vitesse sur Kerprich.

Jean Giraud, cavalier au 6e Régiment de Hussards, éclaireur au 173e RI, écrit :
« Il paraît qu’il y a eu des incidents la nuit dernière. Deux bataillons se sont tirés dessus. Le 55e et le 173e se seraient fusillés réciproquement. Ce sont les coups de feu dont on parlait au téléphone... Quelle retraite ! Il paraît que le XVe Corps est anéanti. C’était bien mon impression au départ ».

Du 10 au 20 août, pour le seul XVe corps, 4 172 hommes se sont fait tuer. Les 55e RI et 61e RI ont eu respectivement 407 et 341 tués du côté de Vergaville.

Le 21 août, 19 heures, le général Joffre déclare par téléphone au ministre de la Guerre Messimy :
« L’offensive en Lorraine a été superbement entamée. Elle a été enrayée brusquement par des défaillances individuelles ou collectives qui ont entraîné la retraite générale et nous ont occasionné de très grosses pertes. J’ai fait replier en arrière le XVe Corps, qui n’a pas tenu sous le feu et qui a été cause de l’échec de notre offensive. J’y fais fonctionner ferme les Conseils de Guerre »

La légende est lancée... Elle bénéficie de la bien maladroite caution de la plus haute autorité de l’Armée française. Trois jours plus tard, l’affaire prendra une toute autre dimension. De rumeur, elle deviendra diffamation, sous la plume du sénateur Gervais, « porte-plume » du ministre de la Guerre Messimy,. Le 24 août 1914, à Paris, un article consacré à la bataille de Dieuze, paraît dans Le Matin en première page, à la une :
« La vérité sur l’affaire du 21 août - Le recul en Lorraine. L’inébranlable confiance que j’ai dans la valeur de nos troupes et la résolution de leurs chefs me donne la liberté d’esprit nécessaire pour m’expliquer sur l’insuccès que nos armes viennent de subir en Lorraine. Un incident déplorable s’est produit. Une division du XVe Corps, composée de contingents d’Antibes, de Toulon, de Marseille et d’Aix, a lâché pied devant l’ennemi. Les conséquences ont été celles que les communiqués officiels ont fait connaître.(...) Malgré les efforts des autres Corps d’Armée qui participaient à l’opération, et dont la tenue a été irréprochable, la défaillance d’une partie du XVe Corps a entraîné la retraite sur toute la ligne.Le ministre de la Guerre, avec sa décision coutumière, a prescrit les mesures de Répression, immédiates et impitoyables qui s’imposaient. L’heure n’est plus, en effet, aux considérations de sentiment. Tout le monde doit être aujourd’hui convaincu, du général en chef au dernier soldat, qu’il n’y a en face de l’ennemi, qu’un devoir, que nos aïeux de la Révolution ont su faire accomplir : vaincre ou mourir. (...) Surprises sans doute par les effets terrifiants de la bataille, les troupes de l’aimable Provence ont été prises d’un subit affolement. L’aveu public de leur impardonnable faiblesse s’ajoutera à la rigueur des châtiments mi-litaires. Les soldats du Midi, qui ont tant de qualités guerrières, tiendront à l’honneur d’effacer, et cela dès demain, l’affront qui vient d’être fait par certains des leurs, à la valeur française. Elles prendront, nous en sommes convaincus, une glorieuse revanche et montreront qu’en France sans distinction d’origine, tous les soldats de nos armées sont prêts, jusqu’au dernier, à verser leur sang pour assurer contre l’envahisseur menaçant le salut de la patrie. »

Il découle de cette mise au ban des provençaux menaces, insultes, vexations publiques. L'inégalité se manifeste à travers le traitement des blessés qu'on renvoie au front sans les soigner:


Journal de route et de campagne de Clovis Chaullier du 55e R.I. :
« 29 août, le major est de mauvaise humeur. Il insulte tous ceux qui sont du XVe. Quand mon tour arrive, il regarde ma plaie puis me dit : “Allez donc vous faire panser, et dans quelques jours on vous renverra à l’avant, on finira de vous guérir sur la ligne de feu” ».
« 26 septembre - Le major rentre brusquement dans notre chambre à 8 h. Il est grincheux et de mauvaise humeur. Ce n’est pas le même des autres jours. Il est du 166. Il méprise le XVe Corps et nous expédie sans nous voir, il nous dit seulement : “Ah vous êtes du XVe Corps, allez, allez, mangez bien pour rejoindre, vous partirez demain matin avec tous les autres” »


Maurice Mistre, à travers une partie des correspondances et récits des acteurs qui ont nourri sa démonstration a fait une étude sémantique statistique sur cinquante documents, écrits dans une grande majorité par des officiers.
« La répartition des termes qualifiant les gens du Midi, donne :
Lâches, péteux, fuyards, froussards, flancheurs, déserteurs, débandés ; Fainéants, couleuvres, rosses, exagérateurs, grandes gueules, mauvais esprits ;
Antipatriotes, traîtres, révolutionnaires, socialistes, anarchistes, crosse en l’air ;
L’adjectif lâche vient en premier. Ensuite l’aspect vernaculaire et l’origine géographique ; ces gens du Midi qui vivent de la sieste, à ne rien faire, à l’ombre du soleil : fainéants couleuvres, et grandes gueules. Et pour finir antipatriotes, ils avaient voté en majorité socialiste (l’extrême gauche de l’époque, Jaurès) ! Vieille rengaine (depuis 1851) orchestrée, préparée, exhortée, par Mery, Déroulède, Daudet, Barrès, Huysman, Driant, Bouyssou, Palat, etc. qui avaient bien labouré et bien mérité de la nation ! »


C’est dans ces conditions que
Joseph Henri Maire, né le 22 septembre 1892 (21 ans), cultivateur à Colombier-le-Vieux (Ardèche) soldat du 55e R.I. à Blainville disparaît de sa compagnie le 28 août 1914.
Joseph Louis Eymonet, né le 7 octobre 1890 à Villeneuve-lès-Avignon (Gard), 24 ans, soldat du du 61e R.I. disparaît de sa compagnie le 1er septembre 1914 en compagnie de son ami
Jean Tachon, 23 ans, né me 6 mars 1891, cultivateur à Saint-Victor (Ardèche)
Le 1er septembre 1914 le 61ième R.I., cherche à progresser sur les plaines de Lorraine à partir de 7h sous un feu violent d’artillerie de campagne, d’obusiers et parfois d’artillerie lourde. A la nuit tombante, les compagnies regagnent la lisière du bois de Vitrimont. Elles ont eu des pertes sensibles qui s’ajoutent aux combats des 25 et 26 août. Pour beaucoup de soldats ce fut la panique. Jetés sans préparation dans cette "offensive à outrance" voulue par le généralissime Joffre, ils ont abandonné leur équipement et cherché à regagner des lignes moins exposées. Ils ont souvent été arrêtés par des officiers revolver au poing. D’autres sont passés, et parmi eux se trouvait le soldat Eymonet. Il avait réussi à se cacher deux jours avec son ami Tachon avant de revenir tous les deux vers leur régiment.

Ils comparaissent le 10 septembre 1914 devant le tribunal militaire présidé par le colonel Guérou, du 6e Hussards, qui les condamne à la peine de mort au motif  « Abandon de poste en présence de l’ennemi ». La sévérité est de mise, aucun témoignage, aucune instruction préalable, pas de circonstances atténuantes. Ils sont les troisième, quatrième et cinquième à comparaître devant cette juridiction. Un capitaine notera au sujet de ce jugement : « Il est plus dur de mettre à mort de sang-froid trois hommes que d’en voir tomber cinquante sur le champ de bataille. Mais c’est nécessaire pour l’exemple » (Carnets de guerre d’Alexis Cailliès du 19e RA).

Le lendemain, 11 septembre 1914, ils sont exécutés, à 5 h 30 à Trémont-sur-Saulx (Meuse), à la sortie N.-O., sur la route de Beurey, au lieu-dit Le Pré (La Garenne) et au lieu dit Bois des trois Fontaines (Maire) , devant les troupes rassemblées. La volonté de frapper l’imagination est manifeste : ce même jour, le général Espinasse du 15e corps fait diffuser son ordre n°12 à toutes ses unités, relatant l’exécution des trois condamnés afin que la publicité faite par cet exemple permettent aux troupes de se ressaisir.


En 2014 encore le conseil municipal de Villeneuve refusa que le nom de Joseph-Louis Eymonet soit ajouté à celui de son frère Antonin sur le monument aux morts de la ville.


Albert Arjailles, né le 26 février 1886 à Saint-Jean du Bruel (Aveyron) 2è classe au 42è RIC fusillé "en présence du régiment" ce même 11 septembre 1914 à Ville devant Belrain (Meuse) à 9h20. Le CG du QG de la IIIè armée qui a prononcé la peine le 9, condamne pour désertion devant l'ennemi Jean Lhuillier à 15 années de détention.
 
JMO :

Le journal d'Albert Vignon mentionne au même lieu le 12 septembre, "exécution de Grandjean au matin": cet individu est inconnu de la base des fusillés Mémoire des Hommes du ministère des armées qui compte par ailleurs 307 soldats Morts pour la France, répondant à ce patronyme. S’agit-il d’un de ces « tués à l’ennemi ». ?
 
Alfred Désiré Fernand Bayard, né le 6 mars 1889 à Laucourt (Somme), domestique de ferme, soldat du 128e RI est fusillé le 12 septembre 1914 à Vouillers (Marne) "abandon de poste et a revêtu des effets civils."

Jules Auguste Berger, né le 17 mai 1882, à Saint Marcellin. Ouvrier en chapellerie, dans la même ville (fabriquant d’huile selon le PV d’exécution) marié, 1 enfant, 13ème BCP - ,« A reçu un certificat de bonne conduite » - puis 222ème R.I., 8è Cie. Mention de sa fiche de décès « tué à l’ennemi » donc Mort pour la France.
Le commissaire-rapporteur : « D’après ses déclarations Berger serait tombé à terre, son fusil serait parti et l’aurait atteint à l’index de la main gauche, le jeudi 3 septembre alors que la Cie se repliait près de Taintrux. Ses déclarations sont très embarrassées. On constate que la peau de la main gauche est enfumée. Le seul témoin que le soldat Berger ait cité, le soldat Jeanton Francis, déclare qu’il n’a pas assisté à l’accident : « il n’était pas à côté de lui à ce moment ».

« Le CG temporaire de la 28ème DI, 11 septembre 1914, a déclaré le nommé Berger Jules du 22è coupable de s'être mutilé volontairement (grâce aux témoignages des docteurs Jalifier et Bosquette) et d'avoir abandonné son corps en présence de l'ennemi. L'an 1914, le 12 septembre, à 7h45, le présent jugement prononçant la peine de mort contre le nommé Berger Jules a reçu son exécution en présence des troupes de la garnison en armes ... »
Le 29 juin 1934, la cour spéciale de justice militaire déclare irrecevable le pourvoi en révision, attendu qu’il est hors-délais et n’est pas introduit par un(e) descendant(e) direct(e).
A Vanémont (Vosges), Berger est fusillé avec les soldats
Gilbert Alexis Gathier, né à Cluses (Haute-Savoie) le 23 octobre 1881, horloger, soldat au 30è R.I., casier vierge « tué à l’ennemi » Mort pour la France.
Blessé le 5 septembre 1914 durant une contre-attaque menée par son bataillon pour reprendre les positions du col de Censes de Grandrupt (Taintrux, Vosges) Gilbert Gathier est accusé de s'être mutilé volontairement.
Gathier : « Etant à 3 km de Taintrux le 5 septembre à 8h30 du soir, nous avons reçu l’ordre de charger à la baïonnette. Pendant la charge, la fusillade ennemie devint si forte que nous reçûmes l’ordre de nous coucher le long de la route derrière les buissons. Les trois compagnies étaient en désordre, des coups de fusil partaient tout près de moi par derrière. Comme je portais les mains en avant pour me coucher, une balle partit tout près derrière moi, néanmoins me traversa le doigt du milieu de la main gauche. Je continuais quand même à me porter en avant, mais la douleur devint si forte que je dus m’arrêter pour me faire soigner ».
Gathier est condamné à mort pour "abandon de poste en présence de l'ennemi par suite de mutilation volontaire" par le même CG temporaire de la 28è DI.

Ferdinand Louis Inclair, né le 28 juillet 1893 à Sallanches (Haute-Savoie), cultivateur, célibataire, soutien de famille, casier vierge, soldat au 30è R.I. 3è Cie, est inculpé d'avoir, à la Ceuse du Grand Rupt, abandonné son poste le 6 septembre 1914. Il fut arrêté dans une maison isolée de Taintrux où le commandement estime qu'il se serait caché.
« Le 6 septembre dans la soirée, ma compagnie qui était au repos [au lieu dit « Mauvais champ »] a été repérée par l'artillerie ennemie, et un grand nombre d'obus sont tombés sur nous, faisant des ravages considérables. On nous a donné l'ordre de nous replier et je suis resté un peu en arrière, et je me suis égaré. La nuit tombait, [j'ai passé la nuit seul dans le bois et ce matin au jour je me suis approché des fermes pour chercher à manger] il m'a été impossible de rejoindre les restes de ma compagnie et je m'apprêtais à la chercher au petit jour lorsque le capitaine Cavard m'a arrêté. »
Note griffonnée au crayon par le capitaine Cavard sur une page de carnet arrachée : « Le soldat Inclair de la 3è Cie (laquelle Cie avait été prise dans la rafale d'artillerie qui nous a pris vers 17h au S. du col de la Ceuse du Gd Rupt) a été retrouvé par le capitaine Cavard dans une maison isolée près du pont de l'Epine et remis à la gendarmerie vers 6h30 le 7 septembre. Cet homme prétend avoir perdu sa Cie dans la soirée du 6 septembre. »
Le docteur Berthollet, devenu maire de Sallanches en 1930 adresse un rapport accablant pour les justice militaire à la cour de révision : « Il est certains faits que je crois devoir vous signaler… qui vous permettrons d'avoir une idée précise sur cette période de la guerre où nos armées en déroute fuyaient devant l'ennemi, sans ordre, et souvent sans commandement.(...) » Le 6 septembre 1914, le docteur Berthollet, après avoir été obligé sous la pression des obus de changer d'emplacement deux fois son poste de secours dans les faubourgs de Taintrux, ayant hésité à rejoindre le Médecin-chef à Bassefosse, et à bon escient, puisque quelques minutes après avoir demandé ces ordres, il apprend que le décès de son supérieur et de tous les infirmiers bombardé, trouve une maison pourvue d'une cave voûtée et s'y installe. « Mais le bombardement fait rage et deux compagnies installées dans un chemin creux, à Bassefosse, sont en partie anéanties. Les blessés affluent de toutes part. C'est alors qu'Inclair vint me trouver pour me rendre dans une ferme où gisaient de nombreux blessés et entre autres le soldat Balmain.(…) A la tombée de la nuit de cette affreuse journée je retournai à Taintrux pour y passer la nuit. Le village est complètement anéanti. J'y trouve cependant une grange intacte en arrière de Taintrux. Mais j'y trouve aussi 17 soldats du 30è qui avaient perdu leurs compagnies et qui dormaient là en attendant le jour. J'avais alors l'impression que ces hommes n'avaient pas fui, qu'ils n'avaient pas abandonné leurs postes, mais qu'ils avaient perdu leurs unités et qu'ils attendaient le jour pour les retrouver. Inclair aurait été trouvé cette même nuit, de la même façon. Il n'était par conséquent pas plu fautif que les 17 hommes dont j'ai parlé ci-dessus. D'ailleurs si, à ce moment-là on avait arrêté et fusillé tous les hommes qui erraient loin de leurs unités, l'on aurait anéanti une bonne partie de l'armée française.(…) L'armée française toute entière battait en retraite et le haut commandement avait pris d'énergiques résolutions et avait donné des ordres très sévères pour redonner aux unités combattantes l'esprit de discipline que l'on croyait leur manquer, lorsque c'était la liaison et le commandement qui faisait défaut. Inclair aurait donc été condamné pour l'exemple. Eh bien ! Sa mort aura manqué le but que poursuivaient les juges qui l'ont condamné, car l'exécution d'Inclair a été ignorée par ses camarades et quant à moi qui appartenais au même régiment, ce n'est quà mon retour dans mes foyers que j'ai pu savoir d'une façon indirecte qu'Inclair avait été fusillé, sans jamais connaître le motif et les circonstances de sa mort. Et depuis ce moment, une mère éplorée a vécu dans la honte et dans la misère sans avoir pu obtenir le moindre secours, la moindre pension, une famille très honorable subit les conséquences d'une faute dont Inclair à mon avis ne s'est jamais rendu coupable. »
Balmain, devenu secrétaire de mairie témoigne le 24 octobre 1933 : « Nous avions combattu la veille, dans la nuit et dans la journée qui a suivi, nous avions été placés en soutien. A la fin de cette journée, nous avons, à nouveau, été violemment bombardés. Le tir se rapprochant de nous... la compagnie est allée se mette à l'abri dans le village de Taintrux. Nous étions protégés par le talus et les maisons. J'ai été blessé. Inclair est allé chercher le docteur Berthollet, médecin du bataillon. Ilm'a soigné et il a renvoyé tous les soldats non blessés, et les blessés qui pouvaient partir. J'ai dit « au revoir » à Inclair et je ne l'ai plus revu après ; c'était à la tombée de la nuit du 6 septembre… Je crois me souvenir que le régiment a été reformé le lendemain au village de L'Epine.»
Marius Joly, officier payeur des postes à la 28è DI, défenseur du soldat Inclais devant le Conseil de Guerre : « Aucun témoin n'a été cité, ni à l'instruction, ni à l'audience. Le dossier ne m'a pas été communiqué. La base de l'affaire a été la note du capitaine Cavard… Dans la soirée [du 6 septembre] les hommes se sont dispersés ainsi que le gradés... se sont perdus plus ou moins… Les hommes continuaient à combattre dans d'autres formations. Je sais que ces soldats ont rejoint la 3è Cie bien après l'arrestation d'Inclair, et que rien ne leur est survenu. La tombe d'Inclair est devenue un véritable lieu de pèlerinage pendant la guerre. Les poilus y apportaient des fleurs, qu point que l'autorité s'est trouvée dans l'obligation d'intervenir. La tombe d'Inclair a été creusée à 10 heures du matin, alors que le Conseil se réunissait à 13 heures. »
Annulation de la condamnation par la cour spéciale de justice militaire le 20 janvier 1934. La requête en révision a été introduite par la mère d'Inclair, décédée le 15 mai 1933. On ne s'attardera pas sur l'ignominieux rejet d'une première requête en 1921. L'instance en révision est reprise par Joseph Inclair et Séraphine Inclair, épouse Guez, ses frère et sœur. « Attendu qu'il est résulté de l'information qu'Inclair n'avait pas volontairement abandonné son poste, dire que l’État devra verser aux concluants, héritiers de leur mère, la somme de deux cent mille frs à titre de dommage-intérêts » dit le mémoire du défenseur, tandis que le commissaire du gouvernement plaide le rejet, avertissant des dommages exorbitants qu'entraînerait une annulation. Le dossier mentionne pas que l’État, même condamné, ne peut verser de dommages qu'à l'inculpé, sa conjointe, ses ascendants ou descendants, il est quitte de toute indemnisation, hormis les frais de justice. En compensation, la mention Mort pour la France sera attribuée par l'ONAC de Caen... en date du 6 juin 2016 ! Mieux vaut tard que jamais...

Eugène Marie Ange Bouleau, né le 20 janvier 1890 à Merdrignac (Côtes du Nord), charretier à Hermes (Oise), soldat au 128è R.I., est fusillé le 14 septembre 1914 à Vouillers (Marne). Motif inconnu.

Selon le J.M.O. du 7è R.M.T. Kamel Ben Embarak (inconnu de la base des fusillées) et Yahiaoui Ben Omar, 7è Rgt de Marche de Tirailleurs Algériens, 14è Cie sont exécutés le 18 septembre 1914 à Sillery (Marne) : aucune autre information.

Fernand Onésime Renaut, né le 5 mai 1890 à Clérey dans l'Aube, célibataire, manœuvrier, soldat du 37è R.I., tatoué d'une bague au majeur de la main gauche.
Interrogatoire du 11 septembre 1914, 8 heures du matin : « Le 27 août, vers six heures du soir, j'étais avec ma Cie dans le bois à la cote 316. La Cie était au repos. J'étais malade, j'avais reçu une motte de terre à la tête. Sans rien dire à mes chefs, je suis parti seul dans la direction de Dombasle. Je suis arrivé dans cette localité vers sept heures du soir. J'ai passé la nuit dans une grange. Le lendemain matin, j'ai rencontré la dame Jeandemange qui m'a fait entrer chez elle. C'est moi qui lui ai demandé de me recevoir pour me soigner. J'y suis resté treize jours. »
Rapport d'arrestation des gendarmes Lépine et Saintot le 9 septembre : « étant spécialement à la recherche des déserteurs et des insoumis, avons découvert à Dombasle, cité K n°8, au domicile de la dame Jeandemange un militaire du 37è R.I. qui portait un bandeau à la tête et qui nous a paru valide. Ce militaire, absent de son corps, n'était porteur d'aucune pièce justificative, et simulait une blessure à la tête. Le 7 septembre 1914, il avait été rencontré par les gendarmes Patureau et Ortet, qui, tenant compte de son état de blessure (car il a refusé de retirer son bandeau, feignant d'être grièvement blessé) l'ont invité à se rendre à son poste de secours le plus voisin ou à rejoindre son corps, et il n'en a rien fait.
Renaut est condamné à mort le 15 Septembre 1914 par le conseil de guerre ordinaire de la 11e D.I., pour « abandon de poste en présence de l'ennemi ». Le lendemain, le Commissaire-rapporteur s'empresse de produire un rapport en conclusion duquel il écrit : « D'une part, le pourvoi en révision a été suspendu par décret du 10 août 1914. D'autre part, une circulaire ministérielle du 1er septembre 1914, décide que, dès qu'une condamnation capitale prononcée par un CG est devenue définitive, l'officier qui a ordonné la mise en jugement, doit prendre immédiatement les mesures nécessaires pour assurer l'exécution du jugement, à moins qu'exceptionnellement il n'estime qu'il y a lieu de proposer au Chef de l’État une commutation de peine. En conséquence la condamnation prononcée contre le soldat Renaut étant définitive, il vous appartient aujourd'hui de décider si l'exécution du jugement doit avoir lieu dans les 24 heures. » L'ordre d'exécution du général Chatelain, commandant la 11è division suit immédiatement ce rapport :
Renaut est fusillé le 16 septembre, à 15 heures à Royaumeix (Meurthe et Moselle).


Paul Marius Alexis Triat, né à Mornas (Vaucluse) le 14 décembre 1890, soldat de 2ème classe au 23ème B.C.A. est « fusillé pou abandon de poste devant » l'ennemi », le 19 septembre 1914 dans la région de Lunéville (Meurthe-et-Moselle). Aujourd'hui inhumé dans l'ossuaire N° l de la nécropole nationale de Friscati, à Vitrimont (Meurthe-et-Moselle), son nom ne figure sur aucun monument aux morts. 




Les six du XVè corps d'Armée

Le 18 septembre 1914, le conseil de guerre de la 29e division d’infanterie, à Verdun, condamne à la peine de mort six hommes. Tous sont originaires du midi. Même si deux d’entre eux seulement sont effectivement fusillés, leur condamnation précipitée porte la trace de la campagne de presse relayée par Clemenceau contre le 15è corps d'armée dont il a été question plus haut.
Les autres victimes du CG de la 29è DI sont : acquittés Xavier Padovani , 29 ans, né à Sari d'Orcino (Corse), cultivateur, caporal au 173e R.I., et Lupetti François, 30 ans, né à Bocognano (Corse), veuf, mineur, 112e R.I.,acquittés. Quatre autres, Jules Arrio, 24 ans, Jean Martin Giovannangeli , 25 ans, Charles Pellet , 31 ans, Gauthier Lambert, 23 ans, voient leur peine commuée en vingt ans de détention, puis annulée par la Cour de cassation le 10/03/1915.
Seules sont disponibles les minutes du procès.
Auguste Jules Léon Oddé né le 29 décembre 1892 à Reynier (Six-Fours,Var), forgeron, célibataire, soldat au 24è BCP (provenant du dépôt de Villefranche sur Mer) 
  
et Joseph Tomasini, né le 18 juin 1893 à Monaccia (Corse) marié, forgeron, 173e R.I., sont fusillés le 19 septembre 1914 à 9h30 à la sortie de Béthelainville par un régiment du 15e corps tiré au sort. Le médecin qui les a désignés (après un examen sommaire dans une grange mal éclairée) revient sur sa décision en ce qui concerne Arrio le 11 octobre. Les familles des deux victimes reçurent l'avis que leur fils était mort sans honneur.
Le Ministère de la justice casse et annule le jugement le 2 août 1917. la cour de cassation confirme cette annulation le 12 septembre 1918. « Au fond : … Attendu que le militaire susnommé blessé le 10 septembre 1914 a été traduit directement et sans instruction préalable… jugé et condamné directement sans l’audition d’aucun témoin, et uniquement au vu d’un certificat d’un médecin-major de 1ère classe Cathoire, en date, à Combles, du 11 septembre 1914, ainsi conçu : « Oddé – plaie du pouce gauche avec ablation de la première phalange, lambeaux éclatés ; prétend causée par éclatement de cartouches qu’il tenait à la main ; la limitation des lésions à l’extrémité du pouce écarte cette hypothèse » ; et comme conclusion : « Ce soldat doit être considéré comme mutilé volontaire ». Attendu que ce certificat a été dressé le même jour en des termes presque identiques à ceux que le médecin-major a fourni relativement aux soldats Arrio, Giovannangeli, condamnés à la peine de mort par le même jugement, et dont les condamnations ont donné lieu à des révisions précédemment prononcées par la Cour.
« Attendu que le chef de bataillon Julien, le capitaine Dubois, les sous-lieutenant Bergez et Engler, l’adjudant Nélard, le sergent major Groc, les soldats Destort, Couquil et Monnier appartenant à ce même bataillon… ont déclaré que ce militaire ne méritait que des félicitations sur sa manière générale de servir, que c’était un excellent soldat, très discipliné, ayant toujours eu une belle attitude au feu et s’était fait remarquer par sa bravoure et son sang-froid aux affaires de Lorraine et de la Marne (Dieuze, Xermaménil, etc.) ; que notamment le commandant Julien a spécifié que Oddé était un agent de liaison très brave et très courageux dont l’attitude au feu avait été superbe jusqu’au jour où il avait été blessé et qui était parfaitement es estimé de sa compagnie, qu’il avait comme agent de liaison la confiance du capitaine Pillard, tombé depuis au champ d’honneur, qui a été particulièrement surpris du jugement et a dit devant ses hommes : « Je ne crois pas à une mutilation volontaire »...
Un secours exceptionnel de la somme de 150 francs est accordé à M. Oddé père le 28 février 1919. Le 24 avril 1919, une citation posthume tente de rectifier l’erreur judiciaire : « Excellent chasseur, dévoué et courageux. A rendu les plus grands services comme agent de liaison après de son capitaine au cours des combats. Août et Septembre 1914. Mort pour la France. » Le 20 novembre 1919, la médaille militaire et la croix de guerre avec palmes sont octroyées à Oddé.
La fiche de décès de Oddé porte la rare mention « Tué à l’ennemi. Fusillé réhabilité ». (jugement du 6 septembre 1921 par le tribunal de Toulon).
Même si l’annulation du 12 septembre 1918 concerne Tomasini, Oddé, Gauthier et Pellet, il demeure la désagréable impression que le cas du soldat corse du 173è a été traité avec une certaine légèreté, l’arrêt de la cour de cassation ne mentionnant même pas explicitement son nom. Le 11 janvier 1922, Barthou, ministre de la guerre, écrit à Ricolfi, député des Alpes Maritimes  "je suis heureux de vous faire savoir que le nom du soldat Tomasini, du 173e RI est compris dans un arrêté actuellement en préparation, décernant à sa mémoire la médaille militaire posthume."
La fiche de décès de Tomasini porte la mention : « Genre de mort : Blessures de guerre ». Mort pour la France. La famille ne possède ni photo, ni lettre, et n'a jamais retrouvé son lieu de sépulture.


Michel Delattre est né le 16 août 1891 à Loison-sous-Lens, soldat de classe au 147è R.I.. Quoique sa fiche porte comme annotation "Mort pour la France" "tué à l’ennemi" il a été le premier soldat du 147è fusillé, le 19 septembre 1914 au bois de la Gruerie (Marne). Sa fiche matricule indique qu'il ne savait ni lire, ni écrire lors de son recrutement (degré 0 d'instruction).
Extraits des carnets d'Émile Lobbedey : ( source )
19 septembre :  On dit que deux soldats de la 5e, Delattre et Lesaint doivent passer devant un conseil de guerre du régiment présidé par le commandant Jeannelle…  Delattre et Lesaint sont accusés d’abandon de poste alors qu’ils étaient sentinelles doubles à la lisière du bois. Ils avaient quitté leur poste pour s’abriter dans la tranchée ; et c’est un peu grâce à eux que l’ennemi à l’attaque du 18 a pu s’infiltrer sur le flanc des 5e et 8e compagnies.
20 septembre : Réveil au petit jour. Il pleut, une petite pluie persistante qui perce. Le bataillon se rassemble en demi-cercle le long de la lisière d’un bois et attend. On dit que Delattre hier soir fut condamné à mort par 2 voix sur 3. Quant à Lesaint il fut acquitté, profitant de la mort du sergent Pécheur car il invoque un ordre de celui-ci lui ayant dit de le rejoindre. Delattre va être exécuté.
La pluie a cessé de tomber. Je vois se former un peloton d’exécution composé de la section du sergent Huygue de la 5e compagnie. Celui-ci la place sur un rang devant le front du bataillon. L’adjudant Monchy de la 7ème en prend le commandement. Bientôt je vois arriver Gibert avec Delattre entouré de quatre hommes baïonnette au canon. Celui-ci a l’air hébété et regarde tout cet apparat sans comprendre. Gibert lui a dit qu’il suivait le bataillon quittant son cantonnement. Le lieutenant Péquin monte à cheval, se place devant le front du bataillon, pendant que les hommes entraînent le condamné devant le peloton d’exécution. Puis l’officier lit la condamnation, le condamné ayant le dos tourné au peloton qu’il n’a pas encore vu.

La condamnation lue, ce sont des cris que pousse le condamné qui pleure, supplie, hurle et s’écrie :
" Je veux dire au revoir à mes camarades ! Je ne veux pas mourir. "
On lui bande les yeux et le tourne vers le peloton d’exécution. Il arrache le bandeau et voyant les fusils braqués à 15 mètres fait du bras un geste instinctif pour se garder.
" Feu !
Le corps s’effondre et reçoit du sergent Huygue le coup de grâce. Justice est faite. 
Le bataillon reste figé comme muet ; puis c’est le défilé près du corps. On creuse un trou ; les sapeurs sous les ordres du chef de musique enterrent le cadavre. Delattre était un de mes hommes quand j’étais caporal. J’obtiens d’aller saluer la dépouille : la tête et le cou sont troués de balles.
Une heure après nous partons, laissant Vienne la Ville à notre droite. Vers 9 heures nous prenons à l’ouest du village de Moiremont.
Paul Ricadat rapporte dans ses souvenirs :
C'en est fait, Delattre est tombé foudroyé. Le coup de grâce lui est donné par un sergent et à tour de rôle les compagnies défilent devant le corps. Rares sont ceux qui peuvent retenir une larme, l'émotion de tous est à son comble. Évidemment, son abandon de poste nous a coûté 7 morts, il fallait un exemple. Mais, quand même ! Son crime : la peur. Chacun de nous aurait pu en faire autant. Moi, avant-hier, ma peur en entrant le premier dans le Bois de la Gruerie aurait pu aussi bien, m'amener là. Ceux qui n'ont jamais connu en leur âme ce duel entre le devoir et la peur ne peuvent pas comprendre. Nous qui savons, à Delattre qui a expié, nous avons pardonné.[…]

Extrait des carnets du Capitaine Rigault :
Mais on nous réveille à 4h30 pour assister à 5h30 à la triste exécution d'un homme qui n'a pas suivi sa section au feu. On attend une heure sous la pluie cette exécution impressionnante et lamentable : l'homme crie qu'il ne veut pas mourir ; il tombe à la première décharge et le bataillon défile devant ce malheureux, l'arme sur l'épaule. Après l'exécution, nous restons au repos dans le bois près d'un bon feu et sous la toile de tente allemande.
Michel avait un frère aîné prénommé Agathon. Né en 1890, celui-ci était de la classe 1910. Tout comme Michel et son père, il travaillait à la mine n° 2 à Lens.
Porté disparu le 8 janvier 1916 à l'Hartmannwillerskopf, on apprend en 1917 par un avis ministériel, qu'il est retenu en captivité au camp de Mannheim après être passé par un camp de prisonniers en Belgique. Il est rapatrié en décembre 1918 et rattaché au 26è bataillon de chasseurs. En 1939, ouvrier mineur, il est affecté spécial aux mines de Courrières et dégagé de toutes obligations militaires en octobre 1939.


Frédéric Julien Gleize, né le 14 mars 1885, à La Roque d'Ormes (Ariège), ouvrier en peignes, domicilié à La Bastide, soldat au 259è R.I., 19è Cie condamné par le 3è CG de la place de Verdun (17 septembre 1914) :
Demande : - Où étiez-vous le 6 septembre ?
Réponse : - J’étais à la bataille jusqu’à 7 heures du soir.
D : - Vous dites qu’on a formé les faisceaux, où ?
R : - Je ne connais pas le village, j’étais avec la 19è Cie.
D : - Avec qui étiez-vous ?
R : - J’étais parti, avec les hommes de la corvée d’eau, pour trouver du vin.
D : - Pourquoi êtes-vous parti sans bidon, que vous avez laissé près des faisceaux, avec le sac et le reste ?
R : - Je suis resté dans une grange, à un quart d’heure de la Cie, et je me suis endormi, et ne me suis réveillé qu’au grand jour. - Je n’avais pas trouvé de vin – Une fois réveillé j’ai marché droit devant moi, du côté du canon. J’ai été arrêté par un poste de territoriaux, je ne sais pas le nom du pays.
D : - Vous avez marché droit devant vous en tournant le dos au canon ?
R : - On entendait le canon.
D : - Votre commandant de Cie dit que vous étiez un mauvais soldat et que vous avez quitté la Cie à 15 heures.
R : - Le commandant de Cie se trompe, je ne suis sorti qu’à 7h et demi quand la Cie est sortie du bois. Je marchais très bien… on veut m’enfoncer si on dit le contraire. Je suis quelque peu malade.

Le commandant de Cie Lt Maurel le 15 septembre 1914 :
« J’ai l’honneur de vous rendre compte que la 19è Cie a combattu le 6 septembre dans les bois se trouvant entre les villages d’Orches, Iprécourt et Souilly. Le soldat réserviste Gleize Marius de la classe 1907 s’est fait remarquer depuis le 3 août par la mauvaise volonté à exécuter les ordres donnés, ses manquements fréquents aux appels et une tendance à simuler une affection mentale (affection non reconnue par le Médecin-major.) La disparition de Gleize a été constatée le 6 septembre vers 15h.
Gleize est fusillé le 19 septembre 1914 à 7h30, Champ de tir de la Blancharderie à Verdun .


Gustave Cerna, né de père inconnu le 9 avril 1892 à Lugas (Algérie), domicilié à Martimprey (Mascara), cavalier de 2è classe au 1er Rgt de Hussards, 4è escadron, jamais condamné, tatouage au bras gauche, dit ne pas savoir signer.
Le 8 septembre vers 4h30 du matin, à Barbonvillele cavalier Cerna se débarbouillait aux abreuvoirs. En ce point se trouvait une sentinelle ayant comme consigne d’empêcher de pareils faits. Tour près de l’abreuvoir se trouvait un endroit réservé aux ablutions des hommes. Le maréchal des logis Paravy, constatant la faute de Cerna dit au délinquant : « Allez vous débarbouiller à l’endroit réservé à cet usage ». Cerna lui répondit qu’il ignorait qu’il soit interdit de puiser de l’eau et qu’il n’avait pas de savon. S’adressant à la sentinelle, Paravy s’écria : « Voyez-vous ce cochon qui se laveà l’endroit où l’on fait boire les chevaux ! » Cerna se mit alors à crier et gesticuler. Paravy, lui demandant son nom s’attira la réponse : « Je m’appelle comme je suis fait. » Ordonnant à Cerna de se rendre au poste de garde, il lui fut encore répondu « Je n’ai rien à foutre avec vous au corps de garde ». Le sous-officier mit alors revolver au poing pour forcer l’obéissance mais Cerna, pénétrant dans le cantonnement s’empara d’une carabine et s’écria ainsi armé : « Avant que l’on m’en foute une dans la peau, j’en descendrai quatre et vous le premier ». Survinrent alors le maréchal des Logis Rocher et le brigadier Lafforgue (par ailleurs l’utilisateur de cette carabine qu’il avait laissée cargée depuis la veille), qui sautant sur Cerna, le désarmèrent.
Le commissaire-rapporteur, arguant que les faits n’ont pas été niés par Cerna, extrapole que le refus d’obéissance et les menaces ont eu lieu en présence de l’ennemi : « Il est indéniable en effet que toutes les troupes de la division dans les circonstances présentes sont face à l’ennemi qui sans cesse nous arrose de projectiles. »
Le colonel Leps, commandant le régiment qualifie l’incident comme « un acte de rébellion à main armée, qui revêt dans les circonstances actuelles un caractère de gravité exceptionnel ».
CG de la 32ème DI (15 septembre 1914) : inculpé de refus d’obéissance en présence de l’ennemi et outrages par paroles et menaces.
Cerna est fusillé le 20 septembre 1914 à 5 heures au Stand Civil d’ Essey-Lès-Nancy (Meurthe et Moselle) »devant la troupes rassemblée sous les armes ».
Constatation du Dr Lucien Salles : « une blessure au niveau de l’articulation sterno-claviculaire gauche, quatre blessures disposées en carré et distantes de 2 cm environ les unes des autres au niveau de la région cardiaque à la hauteur des 4è et 5è côtes gauches et contre le bord gauche du sternum, deux blessures sur la même ligne horizontale à 3 cm l’une de l’autre au niveau du creux épigastrique, à 5 cm environ au-dessous de la pointe de l’appendice xiphoïde. Toutes ces blessures étaient dues au feu des mousquetons du peloton d’exécution. Les balles avaient traversé le corps et étaient ressorties toutes au niveau de la région thoracique postérieure. Les quatre blessures au niveau du cœur ont amené la mort instantanée et il n’a pas été besoin de recourir au coup de grâce ». Du travail propre et bien fait !


Le 21 septembre à 8 heures du matin,, devant la grande Dechra du camp du Guéliz à Marrakech, deux soldats du 7è régiment de Tirailleurs algériens sont exécutés  : Ali Ben Messaoud Bouchelita, né à Chahma (Algérie) en 1881 et Messaoud Ben Braham Boulakheras né en 1880 à Sidi-Abdelmelet (Algérie), tous deux célibataires, sans profession, sans condamnation antérieure.

CG des troupes d'occupation du Maroc occidental (15 septembre 1914) :
Le 24 août 1914, quelques minutes après l'extinction des feux le tirailleur Bouchelita, qui avait occupé jusqu'à 17h les fonctions de chef au poste de police, vient trouver Boulakheras, cuisinier des caporaux, et lui dit : « Viens, nous sortons ». Celui-ci s'équipe et le suit. Alors qu'ils s’apprêtent à quitter le camp, ils n sont empêchés par le tambour Djedaouia, qui voyant son caporal endormi prend en tant que plus ancien de l'escouade la responsabilité de leur barrer la route. Il est alors menacé par Boulakheras, qui pointant vers lui sa baïonnette, dit : « tu n'es pas chef d'escouade pour m'empêcher de sortir ». Une rixe s'ensuit, réveillant les sous-officiers qui font rentrer les deux tirailleurs dans leur marabout. Le lendemain matin, Bouchelita et Boulakheras sont manquants à l'appel ; on découvre rapidement qu'ils ont emporté leurs fusils (en théorie surveillés par un caporal qui dormait sur le trou où ils étaient déposés, et chacun respectivement 96 et 120 cartouches volées dans les réserves de leurs camarades.
Les deux déserteurs sont considérés très différemment par leurs supérieurs : « Boulakheras a été affecté à la Cie le jour de son arrivée au Maroc comme volontaire. Détraqué du point de vue cérébral est en grande partie irresponsable ».(Son relevé de punition le fait apparaître comme bagarreur, joueur, habitué des scandales dans les maison de tolérance, défiant à l'égard des français -un motif bizarre lui reproche d'avoir aggravé une blennorragie en tentant de se soigner avec des médicaments arabes- un autre le montre provocateur, clamant dans le camp parce qu'on lui avait refusé une permission de nuit : « Vive l'Allemagne, il n'y a de justice que chez les Allemands »).
« Bouchelita, qui a 12 ans de service, avait droit à sa retraite dans 3 mois. Excellent soldat à tous les points de vue, son acte est inexplicable… Il faut remarquer en plus que le 24 août est le jour de l'Aït-Sérir et que les Indigènes ont été vivement choqués de ne pas avoir repos ce jour-là, surtout Boulakheras qui est un illuminé à moitié Marabout et qui a observé le jeûne absolu pendant le Ramdam (sic). Bouchelita avait demandé à se faire libérer au Maroc et m'avait adressé une demande à ce sujet. » Il faut souligner en outre que le régiment devait être dirigé incessamment vers le front français.
Les deux déserteurs se réfugient à Acounsan dans la tribu des Ourika : 3 hommes sont envoyés à leur recherche par le Kalifa Si Mohamed bel Korchi. Bouchelita et Boulakheras refusent des les suivre, disant qu'ils se sont enfuis et ne veulent plus revenir chez les Français, qu'il vont franchir la montagne pour se rendre chez les Hibas, que les Français ont abandonné le Géliz et qu'il ne reste plus un soldat à Marrakech. Pris en filature ils tirent un nombre considérable de cartouches sur leurs poursuivants, en blessant grièvement un qui mourra quelques jours après.
« Le jeudi [27 août] vers 10 heures du matin, un des poursuivants ayant pu s'approcher, tire sur le plus petit des tirailleurs, le touche au ventre légèrement. Le tirailleur tombe, l'indigène se précipite, le désarme et le ligote. Le 2è tirailleur ayant vu cette scène, jette son arme et se rend. » Quand les tirailleurs sont arrêtées, il ne leur restait plus de munitions, les deux femmes qu'ils avaient emmené dans leur périple et abandonnées dans la nuit sont interpellées sur le chemin du retour.



Jean Escoudé, né le 20 novembre 1892 à Montendre (Charente-Maritime),marchand forain à Paris, soldat au 158è R.I.
CG de la 43è DI (21 septembre 1914) : « Dès le début de la campagne, le soldat Escoudé manifesta une mauvaise volonté évidente, disant notamment qu'il lui fallait un cheval pour continuer à suivre ses camarades. » Le 9 août 1914, il abandonnait son sac sans en avertir ses gradés. Le 26 août, sans aucune autorisation il prenait place sur un convoi d'artillerie se rendant à Rambervillers, dépassait sans s'arrêter la ferme de Malpertuis où était cantonnée sa compagnie et errait les 26 et 27 août dans la ville de Rambervillers où il était accosté le soir par le capitaine Desanty du 158è. Presque aussitôt il abandonnait de nouveau son détachement et retournait à Rambervillers où il s'emparait d'un cheval trouvé dans la caserne où il avait dormi la veille, et, parvenant à se faire remettre un harnachement, partait ainsi équipé. Arrêté par le Lieutenant porte-drapeau du 158è, il refusait de remettre son cheval, arguant qu'il n'était pas à lui et qu'il devait avant de s'en défaire en rendre compte à son capitaine, laissant croire ainsi qu'il avait reçu des ordres relativement à la conduite du cheval. Cette attitude lui permettait de quitter à nouveau le détachement commandé par le lieutenant porte-drapeau di 18è. Enfin, le 30 août, après 4 jours d'absence, Escoudé rencontrait à Malplanton la 5è Cie. Il se présentait au lieutenant commandant, et pour justifier son absence, remettait un billet signé « capitaine Subre du 92è R.I. » attestant de la présence d'Escoudé à ses côtés les jours précédents. Ce billet était un faux… puisque lui-même ne sachant pas écrire, il déclare l'avoir fait fabriquer par un cycliste dont il ne peut indiquer le régiment. Le 1er septembre 1914 à la ferme de la Jalotte alors que sa section partait aux avant-postes de combat, Escoudé allait se cacher dans une grange et au lieutenant qui l'y trouvait peu après, il déclarait que fatigué il pouvait bien se faire porter malade.
Le lieutenant commandant la Cie trouve dangereuse la présence de cet individu taré à antécédents mauvais, dans son unité et il n'hésite pas à demander contre lui les plus sévères sanctions pour ses abandons successifs (et sans autre raison que le besoin de piller librement) de poste en présence de l'ennemi. »
Escoudé est fusillé 22 septembre 1914 au nord du village de Suippes, (Marne) contre le mur du cimetière à seize heures.

Du côté de Quennevières, le 23 septembre 1914, le commandement de la brigade s’oppose par les armes à la débandade du 6e Tirailleurs : « Les tirailleurs du 6e régiment qui comprennent de nombreux jeunes soldats reçus quelques jours avant se débandent et lâchent pied, [...I le général de brigade et son état-major mettent revolver au poing et forcent leur obéissance ; mais les indigènes n’écoutant plus que leur instinct de conservation, pareils à des bêtes forcées, s’empressent de fuir dès que les officiers s’écartent pour rejoindre d’autres groupes".
Ben Ahmed Ben Ali Mohamed, né en 1890 à Tebaba (Tunisie). Soldat au 8è R.M.T.A. décédé le 24 septembre 1914 à Lassigny(60) . Pas de trace de jugement.

Florimond Alexandre Carpentier, né le 5 mars 1889 à Héricourt-sur-Thérain (Héricourt-Saint-Samson), épicier de profession à Hodeng-Hodenger (Seine Inférieure) et célibataire, Alexandre Carpentier sert comme soldat de 2e classe dans la 9e compagnie du 39e R.I. lorsqu’il est mis aux arrêts à la suite d’une infraction commise le 1er septembre 1914 à Thillois : il est accusé d’avoir fui les combats en Belgique puis dans l’Aisne et la Marne entre le 24 août et le 12 septembre 1914.
Le conseil de guerre de la 5e Division d’infanterie se réunit à huis-clos le 24 septembre 1914. A la question : "est-il coupable d’avoir en septembre 1914 à Thy-le-Bauduin, Landifay, Escardes, Montmirail et Thillois abandonné son poste ?", les juges répondent à l’unanimité oui.
A la seconde question : "L’abandon a-t-il et lieu en présence de l’ennemi ?", les juges répondent également oui. Carpentier est condamné à mort.
Peu après, le même jour, le général Mangin, commandant la 5e Division, signe l’ordre d’exécution de la sentence pour lendemain, 25 septembre à 6 heures, entre Chenay (Marne) et Merly, en présence de la 10e Brigade et des détachements des dépôts des 39e et 77e RI.
A défaut de rapport circonstancié l’ordre du QG occupe la plus grande partie du dossier de procédure. Le temps nécessaire à sa rédaction par rapport à celui consacré à l’attention portée aux faits, laisse perplexe :
« (…) Les troupes assistant à l’exécution seront placées sous le commandement du colonel commandant la 10e Brigade (…) Ces régiments et ces dépôts seront disposés en fer à cheval entre Merly et Chenay, le côté libre du fer à cheval sera fermé par la croupe 189. Le 129e en ligne de colonnes de compagnie sera placé face au sud, le long de la lisière des bois Nord-Est 189. Le 38e dans la même formation fera face au Nord parallèlement à la route Merly-Chenay. Les dépôts des 39e et 74e d’infanterie également en lignes de colonnes des compagnies formeront le 3e côté du fer à cheval ; ils feront part à l’ouest adossés à la lisière Ouest de Merly. 39e au Nord de la route de Chenay. 74e au Sud de cette route. Le 129e fournira le peloton d’exécution qui comprend 1 adjudant, 4 sergents, 4 caporaux et 4 hommes autant que possible et un sous-officier armé du revolver pour donner le coup de grâce. Les corps et les dépôts enverront pour 5h10 un sous-officier te 8 hommes pour jalonner la formation. Les troupes devront arriver sur le terrain aux heures ci-après : 129e à 5h20, Dépôts (39e et 74e) à 5h30, 36e à 5h40. 
A 5h30, un détachement comprenant un brigadier et dix cavaliers de l’escadron divisionnaire sous les ordres d’un maréchal des logis battra les pentes de la croupe 180 fera retirer tous les militaires ou civils qui se trouveraient dans cette zone puis en interdira l’accès en formant avec le brigadier et 5 cavaliers un barrage vers le Nord suivant le chemin de terre dirigé de l’Est à l’Ouest sur la croupe à 5600 m au Nord de la cote 189. Le maréchal des logis et les 5 derniers cavaliers formeront barrage à la sortie Est de Chenay et interdiront la circulation aussitôt après le passage du condamné. Les échelons d’artillerie qui occupent le terrain au Sud de la route Merly-Chenay quitteront momentanément leurs emplacements et se porteront plus au sud pour laisser la place au 36e d’Infanterie. Le piquet d’exécution sera mis au courant de le sa mission par les soins de son régiment. Le condamné sera exécuté sur le lieu de l’exécution par un brigadier et 4 gendarmes. Un des gendarmes sera muni d’un mouchoir de poche pour bander les yeux du condamné. Après l’exécution, les troupes défileront en colonnes de bataillon. Les ordres pour le défilé seront donnés sur le terrain. Dès 5 heures du matin, la gendarmerie fera évacuer le terrain compris entre Merly et Chenay comme il a été dit ci-dessus les échelons d’artillerie iront se placer contre la lisière Nord du bois au Sud-Ouest de Merly. (...) Une corvée de 1 caporal et 4 hommes du génie divisionnaire sera chargé de l’inhumation. Elle devra être arrivée sur le terrain à 6h30 ». Mort par la France

Henri-Baptiste Petit-Bourdet, né le 10 mai 1889 à Agen, soldat au 59è R.I., à en croire sa fiche de décès n’a pas été fusillé le 25 septembre à Sept-Sault : il serait mort de Maladie dans l’ambulance n°11
Jacob Herda, né le 6 juin 1872 à Zinswiller (Bas-Rhin), 2è classe au 74è R.I. a été (selon sa fiche de décès) « Fusillé par trahison » (sic) le 28 septembre 1914

Paul Pessina, né le 25 mars 1886 à Bordeaux, soldat au 144è R.I. est condamné par le CG spécial (3 juges seulement) de la 35è D.I. pour un abandon de poste aux circonstances floues, établit Nicolas Offenstadt dans son livre sur les Fusillés de la grande guerre et la mémoire collective. Le rapport rappelle que « le soldat est signalé par ses gradés comme disparaissant dans les mêmes conditions toutes les fois que la compagnie est appelée à aller au feu. Il ne rentre que lorsque la compagnie est placée en réserve loin de coups possibles de l'artillerie ennemie. Le 23 août au combat de Thuin, les 29 et 30 août à la bataille de l'Oise, au combat de Montmirail, de la Ville-au-bois le 15 septembre, au combat du Bois de Beau-Marais les 17, 18 et 19 septembre, le soldat Paul Pessina s'était esquivé dans les mêmes conditions avant que la compagnie arrivât dans la zone dangereuse. » Une note du chef de bataillon conclut: « Il est de la pus haute importance que ce soldat soit immédiatement jugé et la sentence exécutée à titre d'exemple absolument indispensable à cause de la pénurie de gradés. »
En conséquence de quoi, Paul Pessina est fusillé le 29 septembre [à Cuiry-Les-Chandardes ? (Aisne)] à 16h.
Un dossier en révision est introduit par sa veuve devant la Cour d’Appel d’Aix en février 1934 :un nouveau témoin du même régiment que Pessina, l’ex-soldat Maffre se présente, affirmant avoir rencontré Pessina un jour de septembre 1914 -sans pouvoir préciser la date exacte- conduisant dans une brouette, un soldat blessé, des premières lignes au poste de secours et ce sur ordre, qu’il était demeuré toute la journée au poste de secours attendant la nuit pour regagner sans danger sa compagnie, que le lendemain il fut chargé par son sergent-major d’accompagner Pessina au Conseil de Guerre et qu’il apprit le sur-lendemain qu’il avait été fusillé.. La Cour rejette la requête, redoutant sans doute les dommages à la charge de l’état en cas de correction de l’erreur judiciaire.
Le défenseur souligne cependant que le jugement d’origine, daté du 28 septembre situe l’abandon de poste à la Tuilerie en date du 22 septembre, alors que trois témoins parlent du 27 septembre, ce que rend crédible le caractère expéditif (évidemment nié par les juges d’appel qui s’efforcent de tirer profit des erreurs de dates et tablent sur la répétition ) de la procédure.
Gaston Dabasse : « Au mois de septembre 1914, j’appartenais au 144è R.I. J’étais de garde au Drapeau du Blanc Sablon qui mène aux Tuileries. Nous avons arrêté un soldat qui portait un blessé dans une brouette, et cela en vertu d’ordres reçus. Nous l’avons relaché 2 ou 3 heures après. Un jour ou deux après, nous avons creusé sa tombe parce qu’il avait été condamné et fusillé. Nous avons alors reconnu le soldat dont je viens de parler et qui s’appelait Pessina. »

Pierre Nasica, soldat, section de répression du 6è R.I. (basée à L’île Madame)
CG du XVIIIè corps d’armée 10 septembre 1914 : voies de fait envers un supérieur, outrages envers des supérieurs et refus d’obéissance.
Recours en révision rejeté le 18 septembre 1914 (minutes du conseil de révision seules) annulation partielle sans renvoi, donc condamné à mort, sans doute exécuté à Bordeaux, siège du CG dans la 2è quinzaine de septembre 1914 ? Un Pierre Nasica (mais le nom est fréquent) mort en Meurthe et Moselle en 1915 était né à Prato-di-Giovinella en Corse, mais celui-là avait 43 ans, alors que celui dont il est question n’aurait été âgé que de 30 ans.


Le 30 septembre 1914, à Cormicy, le soldat du 1er R.I. Augustin Santer, né le 1er février 1893 à Bévillers est exécuté sommairement par le capitaine Danceur, après une altercation concernant une consigne de silence, pour que cela "serve d'exemple".


Octobre



Léon Séraphin Maurice Magnier, né le 10 mai 1881 à Pierrecourt (76) soldat au 120è R.I., 6è Cie, « fusillé » au bois de la Gruerie(Marne) le 1er octobre 1914 mentionne la fiche de décès ; aucune trace de procédure.


Pierre Marie Prigent, né le 14 juin 1887 à Ploaré (Finistère), soudeur, cicatrices de petite vérole, oreilles très écartées, yeux saillants, soldat du 318è R.I., 23è Cie, aucune punition, condamné à la peine de mort pour mutilation volontaire
CG de la 61è DI
« Le soldat prigent se trouvait dans les tranchées en face de l’ennemi lorsqu’il s’est fait à la main gauche une blessure qui a atteint très légèrement le médius ; il résulte du certificat établi par le médecin-major de service au 318è Rgt qui a examiné la blessure que celle-ci a été produite par un projectile tiré à bout portant et des traces de déflagration de poudre ont été relevées (le certificat en question ne contient aucune conclusion quand à l’intentionnalité de l’acte qui ne sont qu’une extrapolation du commissaire-rapporteur).. Prigent reconnaît s’être blessé lui-même mais il nie que ce soit volontairement. »
Prigent : « je ne sais pas bien me servir d’un fusil. J’ai fait deux années de service militaire avec la classe 1907, mais j’étais élève-clairon. La blessure que j’ai, d’ailleurs très légère, ne m’empêcherait pas de continuer mon service ; elle est le résultat d’un accident comme je l’ai dit, je n’avais d’ailleurs aucune raison d’abandonner mon poste pour être évacué, puisque notre bataillon n’était pas en première ligne ; il était cantonné à Bitry et les tranchées dans lesquelles on nous faisait travailler se trouvaient en arrière de celles occupées par le 316è Rgt. »
Prigent est fusillé le 2 octobre 1914 à 18h à  Jaulzy, dans l'Oise. « Sur 12 balles tirées par le peloton d’exécution, j’en ai relevé 5 qui ont pénétré dans l’hypocondre droit, et les autres ont absolument fracassé le crâne. J’ai fait donner le coup de grâce, et je certifie que la mort a été instantanée, tout l’hémisphère cérébral droit sortant du crâne fracassé ». Somme trouvée sur le soldat Prigent 1,80 francs.
Sa fiche de décès porte la mention : "tué à l'ennemi", donc Mort pour la France


Jean Blanc, né le 7 juillet 1880 au village de Fraysse à Lacroix Barrez dans l'Aveyron. Sort du service avec un certificat de bonne conduite, travaille comme cultivateur, jusqu'en 1907, où il tente sa chance à Paris, exerçant comme garçon de café. Rappelé aux armées, il rejoint le 142è R.I. le 12 août.  Blessé le 27 septembre il est même porté décédé ce même jour par un jugement de 1921. Ainsi sa fiche matricule porte la mention « disparu au combat ».
Le dossier du jugement du Conseil de Guerre de Toul du 2 octobre 1914 prétend donner la véritable version des faits :
« Le nommé Blanc se trouvait le 23 septembre dernier dans une tranchée près de Bernécourt face à l'ennemi qui était installé dans les bois voisins. Pris de peur, il imagina pour quitter son poste d'accompagner une corvée d'eau qui se rendait dans la ferme voisine. Lorsque la corvée regagna son poste, au lieu d'y retourner, il se cacha et dès que la corvée fut partie, jeta ses armes, son sac et son fourniment et se sauva en arrière. Il erra dans les bois où il se cachait et finit par être arrêté à une vingtaine de kilomètres de l'endroit d'où il était parti et deux jours après sa fuite. »

Pour sa défense, il invoque maladroitement la peur d'être tué :
 
Repris le 25 septembre à 8 heures, il passe devant le CG dès le 26, et condamné le 2 octobre à la peine de mort. Son exécution a lieu le lendemain 3 octobre à 15 heures dans les fossés de la fortification de la porte Moselle à Toul. Il est amené sur le terrain par un détachement de 50 hommes, on lui bande les yeux, on le met à genoux pendant la lecture du jugement, le peloton fait feu, un sous-officier lui donne le coup de grâce.
En septembre 1921, ignorant les faits, un tribunal d'Espalion le déclare présumé Mort pour la France à Flirey le 27 septembre 1914.

Benjamin Marius Crayssac, né le 20 décembre 1892 à Lestrade-et-Thouels (Aveyron), soldat au 163è R.I., « a été passé par les armes » à Raulecourt (Meuse) le 3 octobre 1914. Pas de trace de jugement.
Ernest Camille Ichlen (ou Iehlen), né le 19 juillet 1891 à St-Dié des Vosges, cavalier au 13è R.H., a été « tué par un sous-officier pendant tentative d’évasion ». à Brienne-Le Château (10) le 4 octobre 1914.
Omer Cocrelle, né à Honnecourt le 18 mars 1892, haleur de bateaux, canonnier au 25è R.A., arrêté le 30 août à Grandpré par une patrouille.
Interrogatoire du témoin Hollinger Georges Henri : Je l’ai rencontré sur la route, je lui ai demandé où il allait… Je ne connais pas le pays, il tournait le dos à la Batterie.
D : - -Qu’est-ce qu’il a répondu à votre question ?
R : - Il n’y a plus de 25è, ils sont tous tués, mon mousqueton m’a éclaté dans les mains, je m’en vais voir le maire au pays et il est parti.

Cocrelle déclare aux gendarmes qu’il a perdu son régiment pendant une attaque, qu’il a ensuite dormi dans les bois et n’ayant pu être renseigné sur les troupes présentes de la région s’est trouvé arrêté par des soldats du service des routes, lesquelles l’ont gardé deux jours, arrachant tous les signes de reconnaissance de son uniforme, galon de pantalon, képi, numéro de régiment et limant la plaque d’identité arrachée à l’anneau de son couteau. Relâché il aurait trouvé un fusil et une cartouchière qu’il se serait approprié, ayant laissé son équipement à la Batterie.
Il dit à l’instruction avoir reçu l’ordre de ramener deux chevaux blessés…

Rapport : « Le 22 août 1914, la batterie montant le ravin de Conslagranville fut prise d’écharpe par un tir de mitrailleuse. Ce tir exécuté à grande distance ne blessa qu’un cheval. Cocrelle, sans en avoir reçu l’ordre et probablement pour éviter les balles, reconduisit le cheval blessé à l’échelon, situé à 500m en arrière de la batterie… Dans l’après-midi, l’échelon et la batterie furent encadrés par un tir d’artillerie lourde. Considérant que l’échelon était encore un poste trop dangereux, Cocrelle l’abandonna. Le soir, le train réglementaire le rencontra errant sur la route sans armes. Aucun gradé ne l’ayant aperçu il put s’échapper. Le roman inventé par Cocrelle et figurant dans le rapport de gendarmerie est faux. Il n’a jamais été employé comme signaleur… Il n’a pas été envoyé comme agent de liaison auprès du capitaine, son degré d’intelligence l’excluant de cette fonction… Dans une crise alcoolique [Cocrelle] avait tenté de se suicider. »
Le CG de la 12è DI, le 2 octobre, prononce la peine de mort à l’unanimité des 5 voix.
Cocrelle est exécuté le 4 octobre 1914 à Rupt-en-Woêvre à 5h30.


Ernest Terrier, né le 27 avril 1887 à Orchaise (Loir et Cher), cultivateur à Roches, marié, 3 enfants soldat au 313è R.I., 21è Cie, illettré « Ne sait pas signer" » mentionne le rapport d'audition.
Ses états de service le décrivaient comme rétif à l'autorité. Dans la vie civile, cela lui avait valu trois mois de prison pour « outrages » envers les gendarmes de Beaugency. Devant le conseil de guerre, François Lautier « gendarme à pied de Marchenoir affecté à la prévôté de la division d'infanterie », viendra témoigner de la « surveillance spéciale » dont avait fait l'objet « cet individu dangereux vivant de rapines » à la demande du maire de Josnes, sans qu'il soit possible pour autant « de le surprendre en flagrant délit. »  Dans la nuit du 19 au 20 septembre 1915 aux environs de Varennes, Terrier avait quitté sa compagnie qui marchait vers le front, dans la forêt meusienne. S'était-il perdu comme il l'a prétendu ensuite ? Après avoir rejoint un autre régiment, il décide finalement de retrouver son corps d'origine et se fait arrêter en chemin avec, dans sa besace, des vêtements civils sans doute dérobés sur une corde à linge. Abandon de poste et vol, il n'en fallait pas plus pour le condamner à mort. Jugé le 4 octobre, il était fusillé dès le lendemain à Abancourt (Meuse).

Victor Schmitt, né à Chiry-Ourscamp le 1er mai 1880, rempailleur de chaises puis matelassier demeurant à Saint-Denis. Affecté au 46è R.I., il perd son régiment lors d'une bataille, il est recueilli le 5 septembre est par le 147è, 9è compagnie.
« Les disparition du soldat Schmitt paraissent à chaque fois coïncider avec l’annonce d’un combat. Cet homme qui ne paraît jamais comprendre les ordres qu’on lui donne, raisonne fort bien. »
Victor fut condamné par un CG spécial du 147è séant à Vienne le Château, pour abandon de poste en présence de l'ennemi. Son chef avait noté de trop nombreuses disparitions (Favémont, deux fois, La Chalade) mais Victor revenait soit volontairement, soit était retrouvé. Ses absences duraient d'une nuit à plusieurs jours. Lors de sa dernière disparition le 24 septembre 1914, son Lieutenant l'a retrouvé le 3 octobre 1914 par hasard avec les plantons de la 7è brigade. L'un des membres du conseil de guerre eut un doute et ne vota pas la condamnation à mort.
Fusillé là l'aube le 6 octobre 1914 à l’âge de 34 ans à Vienne Le Château (Marne).

Omer Louis Roby
14e Cie, né le 30 novembre 1887, Saint Eloy (Creuse), maçon à Villeneuve-saint-Georges, soldat au 43è RIC, 14è Cie
CG spécial du 43è R.I. (5 et 6 octobre 1914) :
« Le 4 octobre à 21h30, deux soldats qui d’ailleurs par la suite n’ont pu être retrouvés,, sont arrivés prévenir le poste du 79è à Maricourt que des cris se faisaient entendre dans le village et qu’ils croyaient que c’était un blessé qu’on achevait. Ces deux hommes ont eu peur et ne sont pas intervenu. Le caporal Jonier avec 3 hommes de garde s’est porté immédiatement dans la direction du village et au moment où il arrivait à l’endroit indiqué, il vit un homme se redresser et essayer de fuir. Après sommation, cet homme s’arrêta immédiatement.
Le caporal et les hommes de garde ont alors découvert que cet homme en état d’ivresse tentait de violer ou de voler une vieille femme étendue sous lui, avec ses jupes complètement relevées. Le médecin-major Rohmer se porte immédiatement vers cette femme qui était blessée à la tête par suite des violences exercées sur elle par le soldat arrêté. Ce dernier est le nommé Rody (sic) Omer de la 14è Cie du 43è RIC. Il a été immédiatement fouillé et trouvé porteur d’objets volés (montre en or, porte-monnaie en nacre, autre porte-monnaie, etc.)
« Le conseil a ordonné une suspension de séance pour enquête complémentaire : 1) Où était le poste du soldat Rody 2°) à quel point l’a-t-on trouvé et a-t-il été arrêté ? 3° étant donné la position respective de ces deux points peut-il être inculpé d’abandon de poste ? 4° Rody prétend avoir été autorisé à aller faire la cuisine de son escouade par l’adjudant de sa Cie. Est-ce exact. Donnez-moi cette réponse le plus tôt possible au plus tard au lever du jour. »
Réponse : « Etant en réserve il doit et ne peu-être considéré que comme étant sur la ligne de feu et en présence de l’ennemi. Rody ment. La Cie devant prendre ce jour-là le service aux tranchées à 20 heures avait reçu l’ordre de manger à 17h30. La Cie avait mangé au moment de l’attentat. »
« Le soldat Roby est-il coupable d’avoir volé un porte-monnaie et une montre en or appartenant à l’habitant, la dame Elise Dumouchet (80 ans) chez qui il était logé ? d’avoir volontairement donné des coups et fait des blessures à la dame Elise Dumouchet, ces coups portés et ces blessures faites mais sans intention de donner la mort l’ont-elle pourtant occasionnée ? Est-il coupable d’avoir commis le crime de viol sur la personne de la dame Elise Dumouchet ?
Déclaré non coupable du seul dernier chef d’inculpation, Roby est condamné à mort à l’unanimité. Il est fusillé à Suzanne (Somme) le 6 octobre à 16h30, pour abandon de poste, vol, coups et blessures ayant entraîné la mort. « La sentence a été exécutée une heure après le prononcé du jugement. »


Deux soldats du régiment de tirailleurs marocains sont fusillés à Tracy-le Mont (Oise) :
Ben Abdel Kader Berrafaa, né en 1894 à Renault (dept d’Oran), 2è RMTA
Le 28 septembre 1914, le lieutenant Anthelme commandant la 1ère section du 2è Rgt de Tirailleurs envoyait un poste de 10 hommes commandés par le sergent Daoud occuper un bouquet d’arbres situé à environ 150m du front de la 1ère Cie, la consigne étant de ne se retirer que devant une force ennemie égale à une section. Vers le milieu de la nuit une patrouille allemande s’avança. Après une échange de tirs, les hommes s’enfuirent, à part le caporal Benabdallah et le tirailleur Boudjeman qui attendirent le sergent Daoud. Tous s’étant finalement réfugiés dans la tranchée de la 2è Cie commandée par l’adjudant Josse. Devant son intransigeance, les hommes entreprirent de retourner au poste, en dérivant vers l’est et se trouvèrent sous le feu des hommes de leur propre Cie. Pris de peur ils retournèrent à la tranchée de la 2è Cie. L’adjudant Josse leur intima une deuxième fois l’ordre de retourner au petit bois, ajoutant qu’il commanderait à ses hommes de faire feu sur les fuyards s’ils revenaient vers la tranchée de sa Cie.
CG Spécial du 2è RMTA.
Le rapport manifeste une extrême mauvaise fois, n’accordant crédit qu’aux propos des gradés témoignant sous serment « tandis que les inculpés ont été libres d’inventer toutes les histoires paraissant utiles à leur défense… il ressort nettement qu’ils se sont entendus pour faire des déclarations identiques et charger le plus possible le sergent Daoud.
Le caporal Benabdallah est hors de cause. Pour qui connaît la mentalité de l’indigène d’Algérie, son habitude du mensonge, l’absence du sentiment d’honneur chez lui, son manque de courage réfléchi, il est impossible de se tromper : tous les tirailleurs qui ont déposé… ont menti. Ils se sont tous enfui sans ordre, ont refusé d’obéir à leur sergent qui leur criait de s’arrêter, ont cherché à lui échapper.(…) Je crois devoir rappeler encore que les tirailleurs de la première Cie ont abandonné le 24 août, blessés mortellement, leur capitaine, un de leurs lieutenants, leur adjudant et leur sergent major. »
Berrafaa, condamné le 6 octobre 1914 pour abandon de poste en présence de l’ennemi, est fusillé le 7 octobre 1914 à 6 heures.

Au cours du jugement fut également condamné pour la même raison M. Daouadji Mohammed Ould Djilalli Kinane qui ne fut pas exécuté car il s’évada : on verra par la suite qu’il ne perdit rien pour attendre, non sans avoir fait un détour par les armées allemandes, turques, et avoir été décoré en Russie soviétique : voir 6 octobre 1918 pour une autre version des mêmes faits).


Alphonse Brosse, né le 13 décembre 1880 à La Palisse (Allier), ouvrier-caoutchoutier à Clermont-Ferrand, marié, sans enfant, sergent au 238è R.I. ; porte une alliance à la main gauche et une bague en argent à l'annulaire de la main droite (serpent faisant deux fois le tour du doigt.)
et Jean Boursaud, né le 14 août 1879 à Doyet-la-Presle (Allier), maçon à Paris, marié 3 enfants, 2è classe au 238e R.I., tatouage à l'avant-bras droit (13cm de haut sur 9 de large) représentant une couronne au centre de laquelle figurent les initiales B.J. entrelacées. Au bout de la couronne « 1899 », au-dessous un cœur traversé par un poignard. Boursaud porte une alliance en or au médius de main gauche et une bague en argent à l'annulaire de la même main.
Boursaud : J'étais versé au 38è RIT à Montluçon. Lorsque le régiment a été mobilisé, il a été envoyé dans le Doubs. Puis, deux classes, celles de 1898 et de 1899 ont été prélevées et envoyées pour renforcer le 238è R.I. de réserve. J'ai fait partie de cet envoi. Une fois incorporés à notre nouveau régiment, nous avons été sur le champ de bataille. J'étais cuisinier des sous-officiers de la 24è Cie à laquelle appartenait le sergent Brosse qui a été arrêté avec moi… Je ne l'avais jamais vu avant la mobilisation. Le 4 octobre vers 10 heures, le sergent Brosse est venue à la carrière où je faisais la cuisine. Il m'a dit que cela n'allait pas du tout aux tranchées et qu'il avait l'intention de partir. J'ai essayé de le réconforter mais en vain. Le soir, vers 19 heures, il m'a conseillé de le suivre en me disant que nous allions nous faire écraser. Je lui ai fait remarquer que nous avions dix mètres de rocher au-dessus de nous et que nous ne risquions rien.
Brosse:J'ai été mobilisé comme sergent au 98è de ligne. Mon régiment était dans le Doubs… J'ai fait partie du convoi de renfort et changé ainsi de régiment. Nous avons rejoint le 238è au village de Roche, situé à environ 3km de Vic-sur-Aisne. Au bout de 4 jours, quand le régiment a été complété, nous sommes allés occuper les tranchées en avant du village. Je suis resté là jusqu'au 4 octobre à 18 heures. Je suis descendu sans ordre de qui que ce soit, parce que je ne mangeais plus, et parce qu'il me semblait que j'allais devenir fou… J'avais dit à mon camarade Boursaud que sicela continuait je ne pourrais plus rester aux tranchées et que partirais… Il m'a dit qu'il avait l'intention de partir comme moi… Nous sommes allés au village de Roche, à la maison où nous avions cantonné en arrivant. Cette maison est abandonnée à cause de la guerre. Nous avons pris des effets civils et nous sommes partis. Au passage de pont de l'Aisne j'ai été arrêté, mais j'avais le mot qu'un soldat qui était venu toucher un mandat à Roche avait pu me donner. J'ai pu de la sorte continuer la route avec Boursaud. A quelques kilomètres de Roche, sur la rive gauche de l'Aisne, nous avons quitté nos effets militaires pour nous mettre en civil. Nous avons caché les armes, les munitions, les effets, l'équipement, dans un bois où nous avons passé la nuit et la journée du 5 octobre. A la nuit le 5 octobre nous nous sommes mis en route.
Boursaud : Nous sommes partis hier soir à la nuit pour nous diriger sur Paris… Je comptais aller voir ma famille, puis me constituer prisonnier, car j'avais conscience d'avoir mal agi sous l'influence du sergent Brosse.
Brosse : A Chelles nous avons été arrêtés et gardés au poste à 21 heures hier soir… Il est exact que c'est moi qui ai émis l'idée de partir.
Ramenés à Ambleny, au siège de la division, ils sont immédiatement déférés devant un conseil de guerre de la 63e division. Le 10 octobre, les deux militaires sont jugés par le conseil de guerre de la division. À l’unanimité des cinq juges, ils sont reconnus coupables d’abandon de poste en présence de l’ennemi et condamnés à mort. Ils sont exécutés le jour même, attachés à des noyers, chemin de Béron. Des témoins racontent que les fosses étaient creusées d’avance.


Georges Alphonse Paul Heiderscheid, né à Breteuil (Oise), valet de chambre, 2è classe au 54è R.I.
CG de la 12è DI (8 octobre 1914) : il est instruit à l'égard du soldat Heiderscheid du chef d'avoir le 30 septembre vers 21h30 commis la faute de s'être mutilé en se tirant un coup de fusil à bout portant.
Dans un premier temps, Heiderscheid déclare : « J'étais dans le bois de mauilly avec 3 camarades dans un abri de campagne en vue d'y passer la nuit quand tou à coup l'on entendit l'ennemi tirer sur nous… mes camarades ont eu peu et se sont sauvés en me laissant là. Nous n'avons pas tiré sur l'ennemi parce qu'il y avait des Cies devant nous… j'ai laché mon fusil au moment où j'ai été blessé. Je suis sûr que c'est une de mes camarades qui m'a blessé parce qu'il y en avait beaucoup qui battaient en retraite derrière moi à environ 5 ou 6 mètres. »
Puis, se reprenant immédiatement il corrige : « Ce que je viens de vous dire est inexact ; je me suis tiré un coup de fusil dans la main droite parce que j'avais peur d'être tué ». Malgré ces aveux deux des cinq juges votent non coupable aux deux questions d'abandon de poste et d'abandon en présence de l'ennemi. Il faut constater que le certificat médical de trois lignes se refuse à prendre parti.
Heiderscheidt est fusillé le 10 octobre 1914 à 5h45 à Rupt-en-Woëvre (Meuse).

Maurice  Germain Pérols, né le 12 décembre 1893 à La Ferté-Gaucher, est sous les drapeaux au 106è R.I. lors de l'entrée en guerre. Son histoire est exactement la même que celle D’Heiderscheid et les mêmes juges ont douté :
"Le 26 septembre dans les bois des côtes de Saint-Rémi, alors que mon régiment battait en retraite, je me suis trouvé légèrement attardé, j'ai eu un moment de grand découragement. Je ne sais pas ce qui m'a pris et je me suis tiré un coup de feu sur le pied. Je regrette profondément ce que j'ai fait. Je me suis jusqu'à présent toujours très bien conduit dans les différents combats auxquels j'ai pris part et je voudrais retourner au feu."
Gaston Milian, le médecin qui a examiné Pérols, dit : "avoir constaté une plaie très légère du bord libre du premier espace interosseux du pied droit". Maurice lui aurait confié "J'étais éreinté, je me suis tiré un coup de feu pour me reposer".

Traduit devant le Conseil de Guerre de la 12è DI le 8 octobre 1914 pour "abandon de poste en présence de l'ennemi", il est condamné à mort par 3 voix contre 2.
Maurice Germain Pérols est fusillé le 10 octobre 1914, à 5h45, à Rupt-en-Woëvre, dans la Meuse.


Jean-Marie Juquel, né le 20 avril 1886 à Margerie-Chantagret (42) domestique agricole à Savigneux. Marsouin du 36è R.I.C.
Les informations concernant le soldat Juquel sont pour le moins confuses et contradictoires. Déclaré passé par les armes le 29 août1914 à Gerbeviller selon sa fiche remplie par le corps.Déclaré mort pour la France le 10 octobre 1914 à 16 heures à Lunéville (54) lieu dit la route d'Einville selon la transcription de décès. Déclaré tué à l'ennemi à Gerbevillers entre le 28 et 31 août 1914 selon son registre matricule. Il aurait été condamné par le CG de la 74è D.I. et fusillé à Gerbéviller...Le JMO de la 147e Brigade daterait la parade d'exécution le 10 octobre 1914 à 16 heures.


Philippe Joseph Géronimi, né à Lama en Corse le 26 décembre 1888. 1er Canonnier Conducteur au 6è Régiment d'Artillerie Colonial : sans condamnation antérieure, noté comme faisant bien son service.
Le rapport que dresse le commissaire est digne de Carmen ou Colomba, devenant une sorte de mélodrame réaliste Corse à l’exotisme sulfureux. Il n’a pas le talent de Mérimée et son récit part un peu dans tous les sens, rendant le déroulement des faits relativement obscur. Voici ce qu’on croit y comprendre :
Le 21 avril 1914, le soldat d’infanterie coloniale Dubédout se trouvait au café de Paris à Dakar dans la chambre située au premier étage de Renée Berton, qui prenait pension dans cet établissement. Elle a pour voisine Georgette Pesquès, dite Lolotte, qui subvient à ses besoins dans les mêmes donditions qu’elle. Dubédout, qui était devenu l’amant de cœur régulier de Renée- avait obtenu ses faveurs de Renée pour la nuit, et s’apprêtait à se mettre au lit lorsque le canonnier Géronimi, accompagné de son camarde Cristiani, infirmier à l’hôpital Colonial, frappa violemment à la porte en criant : « Sors d’ici ou nous enfonçons la porte » Au moment où il entendait les deux hommes redescendre l’escalier, le soldat d’infanterie coloniale Paoli (subsistant au 4è RTS) l’appela par son nom en disant : « Sors, on ne te fera rien, sur mon honneur ». Dubédout se rhabilla et descendit avec Paoli. Au bas de l’escalier il se trouva nez à nez avec Géronimi accompagné de l’ infirmier qui le saisirent pour le traîner en le secouant dans la rue Vincens sur laquelle donnait la porte arrière du café. Le propriétaire, M. Peyrau se souvient de l’incident : « Comme Renée et Georgette étaient couchées chacune avec un militaire dans leur chambre, des clients militaires, dont Géronimi ont crié aux femmes et à leurs amants d’avoir à descendre dans le jardin où ils consommaient. J’ai dû intervenir et les empêcher de me briser mon matériel ou d’empêcher d’enfoncer les portes des chambres de ces dames. »
Arrivé dans la rue Vincens, Géronimi menace Dubédout : « Si jamais je te revois au Paris, je te brûle, toi et puis elle ! Crois-moi, je ne t’en veux pas. Maintenant, si tu es un homme, tu n’as qu’à aller la retrouver ». Son compagnon, l’infirmier dit alors à Géromini : « Laisse-le tranquille, maintenant c’est fini. » Dubédout, constatant qu’un groupe de 4 ou 5 soldats corses causait entre eux à une vingtaine de mètres, prit peur et, aussitôt qu’on l’eut lâché, rentra au quartier où il passa la nuit.
Le lendemain, 22 avril à 10 heures, Dubédout alla prendre l’apéritif au café de Paris. Renée Berton, très affectée par la scène de la veille au soir, et qui n’avait pas dormi de la nuit, fut tout d’abord rassurée de voir qu’il allait bien, mais la peur ressurgit quand Dubédout la mit au courant des menaces proférées par Géronimi le veille. Se rendait-il compte lui-même que ce nouveau rendez-vous risquait de les condamner ?
Selon les déclarations de Delphine Caillito, qui était la confidente de Renée, et une autres des dames exerçant au café de Paris, Renée Berton aurait eu plusieurs raisons d’avoir peur : Géronimi la poursuivait de ses assiduités : « Renée Berton avait eu comme ami un sergent qui l’avait cravachée, mécontent de ce qu’elle eut dansé avec le soldat Dubédout. Elle avait signifié à ce sergent qu’elle ne voulait plus avoir de relations avec lui. Géronimi a écrit à Renée s’offrant à remplacer le sous-officier ; 7 ou 8 jours après, Géronimi et trois autres militaires qui se trouvaient le 21 au soir au café de Paris… avaient rencontré dans la rue Renée et Georgette Pesquès. Renée avait déclaré à Geronimi qu’elle ne voulait personne, qu’elle allait rentrer en France. Géronimi l’avait alors menacée d’un revolver si elle ne satisfaisait pas aux désirs exprimés par lui dans la lettre, de l’avoir comme maîtresse. Renée avait été très impressionnée par une lettre anonyme dans laquelle on lui donnait rendez-vous, et qu’elle supposait avoir été rédigée par Géronimi, lequel lui aurait encore lors d’une précédente rencontre présenté un revolver, un coutelas et un rasoir en lui disant de choisir l’arme avec laquelle elle préférait mourir. Ces allégations ne pourront toutefois être confirmées.
Pour lors, Renée déclara à Dubédout qu’elle irait se plaindre à la police, et qu’elle partirait plutôt que de rester à mener une vie aussi pénible.
Le 22 avril, vers 17 heures, Renée Berton se rendit effectivement chez le commissaire de police du secteur Sud, accompagnée de Georgette Pesquès. Sa plainte ne fut ni rédigée ni signée, le commissaire Matteoli se contentant d’établir un compte-rendu de l’incident dans lequel Renée ne parla pas de Dubédout sans doute pour ne pas le compromettre. Georgette, elle ne fit aucune déclaration, n’étant venue que pour soutenir son amie.
« J’ai l’honneur de vous rendre compte que la nommée Renée Berton, pensionnaire du café de Paris, est venue se plaindre qu’hier, vers 20h30, un soldat de l’artillerie coloniale, le nommé Géronimi (quartier des Madeleines I) l’a menacée d’un revolver, voulant l’obliger à se donner à lui. D’autres femmes, pensionnaires de l’établissement auraient été témoins de la scène. ». Ce compte-rendu fut transmis le même jour au major de la garnison.
Vers 20 heures Géronimi vit passer devant la caserne de Spahis, Renée Berton en compagnie de Dubédont et du caporal Galleron. Il prétend avoir entendu prononcer par ces deux militaires la phrase suivante : « Pour l’artilleur ça va mal tourner un de ces soirs ».
Le 22 avril Dubédout se rendit de nouveau au café de Paris, où il demeura de 20h30 à 21h30 ; il entrevit seulement Renée qui le supplia de s’en aller, car on risquait de lui faire un mauvais coup. Mais elle lui envoya Raymonde, une autre pensionnaire de l’établissement qui confia à Dubédout : « Voici la clef de ma chambre, vas-y il y a Renée qui t’attend ». Cette chambre était située à l’extérieur du café, à quelques pas de l’hôtel Zimmer. Renée arriva dix minutes plus tard, tremblant d’avoir vu Géromini arriver à son tour au café de Paris avant qu’elle prenne discrètement la fuite. Dubédout et Renée passèrent la nuit ensemble. Dubédout quitta la chambre le lendemain vers 5h30 pour se présenter à l’appel du matin. Renée lui dit alors « de se renseigner sur la date du départ du prochain bateau pour la France, car elle ne voulait pas rester ici ». De la caserne, Dubédout envoya un mot qu’il fit porter vers 9h30 par un indigène, faisant connaître que le paquebot Le Belge levait l’ancre le lendemain à destination de la France.
Le 23 avril vers 16h30, le major de la garnison chargea le conducteur Deniau de porter le comte-rendu de police au domicile du chef d’escadron commandant le 6è RAC. Deniau était déjà en selle quand il vit arriver Géronimi à cheval qui avait été chargé ce jour-là du service de planton pour la première batterie, transportant les courriers urgents du quartier des Madeleine I au grand quartier.
- Qu’est-ce que tu as encore fait au café de Paris ? Demanda Deniau.
- Je n’ai rien fait, répondit Géronimi. Est-ce que tu as quelque chose ?
- Oui j’ai un rapport du commissaire de police contre toi.
Puis Deniau, pressé, s’éclipsa pendant que Géronimi allait déposer quelques pièces avant la fermeture des bureaux. Un quart d’heure plus tard il remonta en selle pour filer lui aussi aux appartements, peu distants du grand quartier, du Commandant qui avait encore quelques dossiers à faire transmettre qu’il remit au cavalier sur le pas de la porte. Il remarqua que Géromini avait la figure rouge.
Bien qu’il s’efforça de faire scrupuleusement son service, Géronimi était en proie à une terrible colère, au point qu’il saignait du nez en revenant aux Madeleines. Vers 17h35 la soupe fut sonnée. Géromini guetta le retour de Deniau pour tenter d’en savoir plus mais ce dernier n’avait plus le rapport de police. Le pli n’étant pas fermé il l’avait cependant lu et put lui révéler ce qu’il contenait, demandant : « Est-ce vrai, cela ? »
- Non, ce n’est pas vrai, répondit Géronimi.
- Tant mieux alors ! Commenta Deniau.
Il ne remarqua rien d’anormal dans l’attitude de Géronimi, il riait et plaisantait.

Géronimi monta se changer dans la chambrée vide et mit dans ses poches son rasoir, , un coup de poing américain et deux revolvers à cinq coups préalablement chargés. Puis il descendit au réfectoire, s’attabla, se servit, mais ne put rien manger. Il se leva et partit sans dîner. A la porte du quartier il trouva son ami le canonnier Giudicelli et un peu plus loin dans la rue l’infirmier Cristiani qu’il convia à aller boire un verre au café de Paris.
Vers 18 heures, Delphine Caillito quitta le café de Paris pour se rendre à son logement au coin de la rue de Zalmath et du boulevard national, dans le but de préparer une chambre pour Renée Berton qui, depuis la veille craignait de loger au café de Paris, à cause de Géronimi.

Pendant le trajet, vers le café de Paris Giudicelli et Cristiani ne remarquèrent rien de curieux dans l’attitude de leur compagnon de beuverie. Géronimi ne leur parla pas du dépôt de plainte. A nouveau il saigna du nez. Arrivés vers 18h15 dans la salle du grand café où le propriétaire Peyrau jouait aux cartes, ils se firent servir trois absinthes que Géronimi régla immédiatement. Il proposa d’aller les boire dans le jardin. Là, Géronimi, ayant perdu son calme, ne put s’asseoir. Il ne but qu’une gorgée de son verre.

En levant la tête vers le premier étage, il aperçut une femme qui passait sous la véranda; c’était Renée. Il ne tarda pas à monter au premier étage :
- Bonsoir, mon petit, tu as mauvais air ce soir, lui dit Renée.
Géronimi lui répondit qu’il était malade et la suivit dans sa chambre, faisant signe à Georgette qui attendait au seuil de la sienne de les rejoindre. Quand il furent tous trois à l’intérieur, il ferma la fenêtre qui donnait sur la véranda. C’est alors qu’il crut apercevoir par la fenêtre qui donnait sur le jardin trois ou quatre des militaires coloniaux qui accompagnaient Renée la veille devant la caserne des spahis et parmi eux le caporal Galleron. Se rappelant la phrase qu’il avait surpris la veille il pensa qu’il étaient peut-être venus pour se débarrasser de lui et le faire arrêter. Il dansait sur place dans son énervement, mais le plus important était d’obtenir des explications
- Il paraît que tu m’as fait un rapport à la police ? Dit Géronimi à Renée.
- Oui, on t’a fait un rapport à la police qui s’était aperçue de quelque chose et qui a demandé des renseignements sur toi, si on avait vu des armes sur toi, même Lolotte a dit qu’elle avait vu ton revolver et qu’elle l’avait tenu dans sa main le soir où tu es venu coucher dans ma chambre. Le rapport à la police n’est pas ce que tu crois. Je n’ai pas dit que tu m’avais menacée de mort en me mettant un revolver sur la tête.
- Toi, renée, tu dis comme ça devant moi, et devant les autres, tu dis d’une autre manière. C’est toi qui a fais le rapport à la police contre moi et Lolotte qui a fait le faux témoin est encore plus coupable que toi.
Géronimi tira alors son revolver de sa poche droite et l’arma. Il repoussa Renée qui avait posé les mains sur ses épaules et lui dit : « je commencerai par toi ». Il tira. Renée s’effondra du premier coup contre la penderie du fond de la chambre. Alors il fit face à Georgette et tira sur elle qui tomba sur le lit, puis au sol. Puis il déchargea ses revolvers sur les deux femmes sans trop savoir ce qu’il faisait.

En sortant de la chambre, Géromini rechargea un de ses revolver avant de redescendre au rez-de-chaussée, au cas où les coloniaux seraient encore là pour l’attendre. Mais hormis un joueur de viole, le café était vide, il ne vit ni le patron, ni la patronne. Giudicelli, Cristiani, le caporal Galleron, le sergent d’infanterie coloniale Bourgounion, le sergent Gilibert de la section indigène du génie, le caporal d’infanterie coloniale Perrodet s’étaient tous éclipsés du jardin en entendant les coups de feu, craignant sans doute d’être surpris par la police dans une mauvaise affaire.
Géronimi prit la porte donnant sur la rue Vincens et se dirigea vers l’infirmerie du quartier des Madeleines, au pas, car il avait les jambes coupées et ne pouvait courir.

Madame Peyrau avait bien entendu tout d’abord que quelqu’un montait l’escalier. Elle avait même dit à son mari :
- Je crois que c’est Géronimi qui monte, va voir ce qu’il y a .
- Vas-y voir toi, il ne te dira rien, répliqua son mari.
- Je ne tiens pas à me faire casser la gueule, reprit la patronne.
Mais elle monta tout de même. Une fois sur le palier, elle aperçut Géronimi qui fermait la fenêtre donnant sur l’escalier. Renée était à côté de lui dans sa chambre. Presque aussitôt elle entendit la série de détonations, et se mit à crier, en rentrant dans sa propre chambre d’où elle continua à appeler : « Montez vite, montez vite je crois qu’il les a tuées ! » Personne ne bougea parmi les consommateurs, seul son mari commençait à gravir les marches, et repartit aussitôt quand sa femme lui eut crié : « Ne monte pas malheureux, il va te tuer ». Cloîtrée dans son cabinet de toilette, Mme Peyrau entendit Géronimi faire demi-tour et redescendre. Quand elle fut bien sûr qu’il fût parti, elle sortir et, ouvrant la porte de Renée, découvrit avec horreur la scène du crime : Georgette Pesquès gisait à environ 5 cm du pied de lit. Elle avait la tête penchée sur le côté droit, les yeux encore entrouverts, un caillot de sang sortait de sa bouche. Le bras droit incliné sur le front, la main gauche sur le ventre, elle portait une chemise blanche, découvrant la poitrine dont le sillon central portait des traces de poudre, et recouverte d’un léger et court peigneur relevé à mi-cuisse, elle était figée les jambes légèrement écartées, chaussée de petits souliers et de bas bleu sombre ajourés. Par les trois points écarlates qui étoilaient sa poitrine, elle avait perdu très peu de sang. A gauche séparée d’elle par une malle toute neuve, la tête inclinée vers la fenêtre, les yeux clos se trouvait le corps de Renée Berton qui « porte également une petite chemise recouverte d’un léger peignoir qui laisse entrevoir des cuisses recouvertes d’une petite culotte en soie noire ; et porte des bas mordorés, ajourés, et ses pieds sont chaussés de petits souliers en vernis noir. On distingue sur la poitrine trois petits trous constitués par le passage des balles » écrit très exactement le commissaire-rapporteur.
La malle contenait deux billets pour la France pour le paquebot Le Belge qui devait appareiller le lendemain.

Après le double crime, arrivé derrière le mur de l’infirmerie, Géronimi s’engagea sur le chemin qui longe la mer et jeta à l’eau ses deux revolvers, le rasoir et le coup de poing américain. Quand il arriva dans la chambrée où il couchait à la première batterie, il était environ 19 heures. Il y avait là pas mal de canonniers et quelques brigadiers. Géronimi était gai, un peu excité. Il cria à la cantonade :
- Je vous paie à voire. Je paye deux litres. C’est ma fête, c’est la St Philippe.
- C’est pas la St Philippe, corrigea l’un des canonniers, c’est la Saint-Georges.
- Ça ne fait rien, c’est ma fête tout de même et je paie 4 litres, reprit Géronimi en donnant cinq francs à un camarade pour aller chercher les 4 litres à la cantine.
Tout le monde but une rasade dans son quart, sauf Géromini. Il continuait toujours à rire.
Il se tourna vers le brigadier Sabiani et lui dit en langue corse :
- Tout à l’heure, on va venir m’arrêter, j’ai tué deux femmes au café de Paris.
- Qu’est-ce que c’est que cette histoire-là ? répondit Sabiani interloqué.
- C’est bien vrai.
Le brigadier se leva à ces mots pour aller, dit-il, prévenir le maréchal des logis-chef Dupuy de service de nuit. Géromini tint les mêmes propos au maître pointeur Angéli qui était en train de se coucher. Survint le maréchal des logis de semaine Sistack, qui venait d’être prévenu à 19h20 à la popote des officiers que Géronimi venait de commettre un meurtre. Sistack alla se renseigner aux écuries où le brigadier Martin lui dit que Géronimi était dans sa chambre, où ils montèrent tous deux. Ils trouvèrent le coupable assis sur son lit, en bras de chemise. Il les suivit avec le plus grand calme jusqu’à la popote des adjudants, où Dupuy eut à peine le temps de commencer « voilà, il s’agit... » que Géronimi le coupa : « Oui, c’est bien moi qui ai fait le coup. Pas la peine d’aller chercher plus loin. » Immédiatement fouillé, il fut trouvé porteur de deux mouchoirs, l’un fortement taché de sans, le sien sans doute, un porte-monnaie contenant 3,45 francs et un trousseau de petites clés. A l’arrivée du commandant à qui il était prévu qu’il amène son cheval le lendemain à quatre heure en vue de la revue de troupes, Géronimi répéta toute l’histoire, espérant dit-il qu’on lui tiendrait compte de ce qu’il s’était immédiatement rendu et de ses aveux spontanés.

Après le drame, les époux Peyrau décident de fermer quelques temps l’établissement et demandent à rentrer en France, afin que la patronne puisse se remettre des crises d’angoisse à répétition qu’elle éprouve depuis le drame.

CG de la colonie du Sénégal (8 juillet 1914) : « Je fréquentais le café de Paris, où, il y a environ deux mois, j’ai aperçu ces deux femmes qui étaient des prostituées. J’ai eu des rapports, une nuit, pour 25 francs, avec la nommé Renée… Si j’avais voulu cette femme, je l’aurais eue en la payant comme la première fois. Je ne m’explique pas pourquoi renée est allé à la police pour me faire arriver une histoire. C’est pour cela que la colère m’a pris et que j’ai fait ce que je ne ferais pas si le passé pouvait revenir. »
Rejet de grâce par « cablogramme » du ministre des colonies le 8 octobre 1914. Géromini est fusillé le 10 octobre 1914 à Dakar (Sénégal)

Ben Zineb Amar, né en 1892 à Zemmora (dpt d’Oran), soldat au 2è RMTA
Le 5 octobre 1914 vers 16 heures les tranchées de la 13è Cie étaient attaquées par l’ennemi. Dès les premiers coups de feu le tirailleur Amar ben Zineb quittait sa section et venait se blottir dans une tranchée en arrière où se trouvaient 2 sections et son commandant de Cie. Désarmé à la cessation du feu, il s’enfuyait et était arrêté à la touchée de la nuit à Tracy le Val. Après une seconde tentative de fuite, Amar est arrêté de nouveau à Offémont il était remis à son corps.
Devant un CG spécial du 2è RMT Amar est inculpé d’abandon de poste en présence de l’ennemi
« Il tombait beaucoup d’obus sur la tranchée ; un de mes camarades avait pris mon fusil, trois ou quatre se sont levés et sont partis : je me suis levé avec eux.
- Pourquoi avez-vous été vous glisser dans une tranchée voisine ?
- Parce que la Cie c’est la Cie et qu’une section ou l’autre ça n’a pas d’importance… Je ne crains pas les coups de feu, je ne crains pas les Allemands. Si j’avais voulu me sauver, c’est chez eux que que j’aurais été. »
Amar est fusillé le 11 octobre 1914.

Marie-Ange Joseph Oger, né le 5 janvier 1891 à Lanrelas (22) Soldat au 48è R.I., « passé par les armes » sans qu'on possède d'acte de jugement le 11 octobre 1914 à Berneville (Pas de Calais).

Jean Julien Marius Chapelant, né le 4 juin 1891 à Ampuis dans le Rhône,
 

Engagé volontaire le 4 juin 1909, il est nommé caporal le 5 octobre 1909 puis sergent le 28 septembre 1910. Lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, Chapelant est promu au feu au grade de sous-lieutenant à titre temporaire.
Le 7 octobre, à cinq heures du matin, une attaque allemande extrêmement violente et précédée d’un bombardement intense, se déclenchait contre le bois des Loges défendu par la 3e compagnie, capitaine Rigaut, et la 1ère section de mitrailleuses, deux pièces, sous-lieutenant Chapelant en position au nord du bois, entre le château et la voie ferrée. Cloué une première fois à cent mètres des lignes, l’ennemi revient à la charge. Une des mitrailleuses françaises s’enraye.
Le sergent Girodias, commandant de la 3e section de la 3e, fait passer au lieutenant Chapelant que le capitaine Rigaut vient d’être tué ; puis que les assaillants ont débordé les lignes à droite et à gauche et sont installés sur leurs arrières. Le lieutenant Chapelant donne à ce gradé l’ordre d’envoyer un homme s’assurer du fait. Ce coureur ayant été tué, il commande d’en envoyer un autre, mais déséquipé.
Avant que le second coureur ait eu le temps de rapporter des informations, des indices irréfutables prouvent que la petite troupe est cernée : les balles cinglent de tous côtés. Un éclat tombe sur la deuxième pièce qui s’enraye à son tour. Autour du lieutenant Chapelant, il ne reste plus que quatre hommes.
- A vos mousquetons ! commande-t-il.
Mais les munitions s’épuisent. L’officier sort de la tranchée pour se rendre compte de la situation. A ce moment un fort parti d’Allemands se jette sur lui et l’emmène, en même temps que ses hommes, dont trois, les mitrailleurs Peillon, Mortan et Bost, réussissent à s’évader.

Quarante-huit heures se passent. Le 9 octobre, vers 10 heures, un officier de chasseurs avise les brancardiers du 98e qu’à 50 mètres de la première ligne, tout contre le chemin de fer, un lieutenant français est étendu, blessé. Les brancardiers Coutisson, Sabatier et Goulfès vont le chercher et le ramènent. C’est le lieutenant Chapelant, dont le tibia gauche est fracturé par une balle.
On le transporte au poste de secours où on lui fait un pansement sommaire et on l’évacue sur l’ambulance du Plessier-de-Roye, à quelques kilomètres à l’arrière. Le soldat Bierce, qui conduit le tombereau sans ressorts, s’ingénie à pallier les souffrances du blessé.

Le lieutenant Chapelant est à peine arrivé, un coup de téléphone, émanant du P.C. du colonel, ordonne de le ramener au château des Loges. Le voyage dure à peu près une heure. Enfin les quatre kilomètres franchis qui séparent le Plessier des Loges, le tombereau débouche dans la cour du château où le colonel Didier fait les cent pas. Il apostrophe Bierce :
- Qu’amènes-tu là, toi ?
- Le lieutenant Chapelant, mon colonel.
- Comment dis-tu ? Le lieutenant ?... Non, ce n’est pas un soldat, c’est un lâche (Témoignage Bierce.)


Chapelant est transporté à l’infirmerie du château. Premier interrogatoire, dont on ignore tout, et le texte et les témoins. Le lieutenant Collinot est chargé de faire une enquête. Il se refuse à conclure, faute de preuves de la culpabilité de Chapelant. Le colonel lui enjoint de recommencer. Collinot maintient ses conclusions premières. (Témoignages adjudant-chef Gouvrit et brancardier Sabatier.) A noter que de ce rapport Collinot, le dossier n’accuse pas trace.
Dans la soirée, troisième étape du calvaire. Chapelant est ramené au Plessier. Déplacement pour le moins inutile, puisque la traduction de Chapelant en conseil de guerre était décidée, avant même la première audition de l’accusé par l’officier rapporteur.




9 Octobre, 13 h. 15.
Le général Demange, et la 25e division au Colonel Pentel, et la 50e brigade.
Le sous-lieutenant Chapelant doit être immédiatement livré au Conseil de guerre spécial du 98e R. I., lequel saura, je n’en doute pas, faire son devoir.
Signé : DEMANGE.
Le jugement est dicté aux juges, en termes oh combien clairs !
Le seul mot de Chapelant que l’on cite permet de supposer quel fut le ton de la conférence au château.
- Pourquoi le colonel me menace-t-il de me faire fusiller ? J’ai cependant fait tout mon devoir.


Le lendemain 10 octobre, Chapelant, toujours dans le même tombereau et au prix des mêmes souffrances, est ramené au château des Loges. Il y est reçu par le colonel Didier qui l’injurie, le traite de lâche, lui tend son revolver :
- Brûle-toi la cervelle pour ne pas prouver ta lâcheté une seconde fois !
- Je n’ai pas à me brûler la cervelle, puisque je suis innocent. » (Témoignage Bierce.)

Sur quoi le colonel Didier a un entretien avec le commandant Gaube, désigné pour présider le Conseil de guerre spécial. La conclusion en est :
- Vous entendez, Gaube, il faut le fusiller ! » (Témoignage Rochard).
Chapelant, sur son brancard, est introduit devant ses juges : chef de bataillon Gaube, président, capitaine Raoux, commandant la C. H. R., lieutenant Bourseau, assesseurs ; sous-lieutenant Lemoël, rapporteur ; adjudant-chef Rochard, greffier. A remarquer que le sous-lieutenant Lanoël, frais émoulu de Saint-Cyr, loin d’avoir les 25 ans requis par la Loi, n’était même pas majeur.
Le dossier ne comporte aucune pièce relatant l’interrogatoire. C’est l’acte d’accusation lui-même qui est baptisé "interrogatoire". Aucun témoin n'est entendu ! Le rapport, contrairement au code de la justice militaire, a été écrit, après le jugement. Il porte la date du 17 octobre et est postérieur de 7 jours à la condamnation.


Quatre chefs d’accusation pesaient sur Chapelant : n’avoir pas pris le commandement de la ligne de feu, n’avoir pas contrebalancé les assertions du sergent-major Girodias, s’être rendu à l’ennemi sans aucune pression de la part de celui-ci, avoir exhorté ses hommes à se rendre. Seul, le troisième chef fut retenu : "capitulation en rase campagne" article 210 du code de justice militaire, mort avec dégradation.
On n’ose pas cette fois ramener Chapelant au Plessier. Mais comment exécuter cet homme qui, la jambe cassée, ne peut se tenir debout ? Pour couvrir sa responsabilité, le colonel Didier téléphone au général Demange qui, d’accord avec le colonel Pentel, commandant la brigade, répond qu’il "estime que la justice doit suivre son cours." L'ordre arrive le 11 octobre à 2 heures du matin de faire fusiller à l'aube Chapelant.  Et à la note officielle,le général joint le court billet suivant:
Mon cher Didier,
Je comprends et partage vos scrupules, croyez-le bien. Mais la loi nous domine tous deux. Vous trouverez demain, avec l’aide de votre médecin, le moyen de mettre debout ce malheureux avant de le faire tomber. Signé : DEMANGE.
P.S. c’eût été une aggravation de peine non prévue par le Code que de surseoir à l’exécution jusqu’à guérison de la blessure du condamné.

Le 11 octobre à l’aube, douze hommes furent dissimulés dans un bosquet. Chapelant, ficelé sur son brancard par le brancardier Sabatier, fut amené dans une allée de cerisiers. Le docteur Guichard et l’aumônier Lestrade l’accompagnaient, ainsi que le colonel Didier, "excité par la boisson, la pipe à la bouche, se promenant à grands pas autour de sa victime couchée sur un brancard, gesticulant, vociférant des injures contre elle, lui refusant par deux fois le secours de l’aumônier… par deux fois aussi présentant son revolver à cet infortuné afin, disait-il, qu’il se fasse justice lui-même…" (Témoignage Guichard.) Le médecin de bataillon Paul Guichard, du 6è R.I., a délégation du médecin principal de la division pour assister à l'exécution (dépositions Guichard du 26 décembre 1921 et Didier du 3 janvier 1922). Une trentaine de soldats abandonnant leurs tranchées viennent protester ouvertement contre l'exécution. Le lieutenant-colonel est alors contraint de sortir son revolver et les menacer pour les faire retourner à leurs postes (déposition Didier du 3 janvier 1922). Chapelant est confessé par l'abbé Lestrade qui lui donne la communion (déposition Lestrade du 12 janvier 1922). Chapelant est attaché à son brancard, . Au moment d’être adossé, Chapelant dit Avant qu'un de ses amis, le sergent-major Grosleron lui bande les yeux (déposition Grosleron du 17 février 1922) lui bande les yeux, Chapelant dit :
- Je meurs innocent. On le saura plus tard. Ne dis jamais rien à mes parents…
Le brancard est appuyé au vingt-deuxième arbre de la première rangée, un pommier esseulé diront plus tard certains. L’aumônier fait baiser au condamné son crucifix. Le peloton d'exécution qui sort alors du bosquet est commandé par l'adjudant Moreau de la compagnie. Chapelant est fusillé le 11 octobre 1914 à 9h40 (Procès-verbal d'exécution). Ont assisté à l'exécution le lieutenant-colonel, le médecin Guichard, quelques brancardiers dont Sabatier, l'abbé Lestrade, le sergent-major Grosleron et les soldats du peloton d'exécution. Le lt-colonel Didier se retira enfin. On porta le cadavre dans une grange où l’on procéda à l’autopsie. Puis l’aumônier, pleurant à chaudes larmes, dit les prières des morts et on inhuma Chapelant dans la fosse commune.
"J’ai assisté, dira par la suite l’abbé Lestrade, à des spectacles bien pénibles depuis le début de la guerre. Je n’ai jamais assisté à un spectacle plus écœurant" (Témoignage Perroudon). Ce sentiment de malaise  s’empara de la 25e division d’abord, de la région stéphanoise ensuite.
Une enquête fut ordonnée en 1915. Elle fut menée par le lieutenant de Troismonts. Qu’est devenu son rapport ? On l’ignore. Mais on peut en deviner les conclusions, d’après une note transmise le 11 mars 1922 par cet officier à la cour de Riom et où on peut lire :
"Il ne ressort pas que l’ordre de se rendre ait émané de l’initiative du sous-lieutenant. Il semble au contraire qu’il ait mis une certaine ténacité à résister aux suggestions venant de sa droite."
Et le sergent Badion, qui fut le greffier du lieutenant de Troismonts ajoute :
Bien loin de rendre sa troupe de mitrailleurs et d’influencer la troupe voisine, il leur avait ordonné d’attendre et donné des instructions pour se ravitailler et rendre compte de leur situation, il avait été le dernier fait prisonnier… Le jugement était plus que sommaire et informe.
Nous fûmes stupéfaits que les témoins de notre information n’aient pas été entendus au 98e lors du jugement de Chapelant.

Cette enquête refusa de prendre en considération un certain rapport, tout en inexactitudes et en fautes d’orthographe, soi-disant rédigé par un officier de l’E.M. de la division. A en croire, le président de la cour martiale, cette pièce écrite au crayon sur une feuille de papier jaune, sale et chiffonnée ne fut produite ni à l’instruction, ni à l’audience, et n’influa pas sur la condamnation.
Elle porte la date du 9 octobre, jour du retour de Chapelant, 17 h (moment de la remise à l’échelon). Elle aurait été dictée par Chapelant à l'officier en question  "derrière un pan de mur démoli et sous le bombardement " entre 9 heures et 10 heures du matin.
"Je dois vous dire, ajoutera le rédacteur devant la cour d'appel de Riom, que, dès le commencement de son récit, Chapelant m’a paru très déprimé, physiquement et surtout moralement, et qu’il en m’a pas semblé se rendre compte de la portée et de la gravité de son récit."
Chapelant racontait notamment que, sur l’ordre du commandant allemand qui l’aurait fait prisonnier et dont il ne spécifiait ni le grade, ni l’unité, il était allé agiter un mouchoir blanc devant une tranchée occupée par une dizaine d’hommes pour leur faire signe de se rendre. Comment admettre qu’ayant un officier à sa dévotion, l’ennemi ne l’eût pas gardé ? Comment faire cadrer ces aveux avec les protestations d’innocence que Chapelant ne cessa de multiplier envers et contre tout ? C'est sans doute que ce faux document rédigé postérieurement pour calmer les agitations risquait de compromettre l'intégrité de celui qui poussa un de ses sous-fifres à le rédiger.
On a prétendu que Chapelant, d’ailleurs contraint et forcé, aurait, sur l’ordre d’un officier allemand, agité un mouchoir pour inviter les hommes à se rendre. Retenons tout d’abord que le conseil de guerre spécial n’a pas cru devoir s’appuyer sur ce chef d’accusation. De l’enquête de 1915, en effet, il découle que le mouchoir agité, principal grief du rapport, l’aurait été par un mitrailleur, mais non par Chapelant qui fut blessé avant d’avoir été entraîné dans les lignes allemandes.
En 1922, la cour d’appel de Riom renvoya à la Cour de Cassation un dossier avec des considérants décisifs. On croyait à la réformation de l’arrêt inique. Mais le réquisitoire de l’avocat général Mornet entraîna la chambre qui se refusa à réviser l’affaire. Par lettre du garde des Sceaux en date du 20 février1925, l’affaire Chapelant fut à nouveau soumise à la Cour de Cassation, toutes chambres réunies. Finalement la cour ne réhabilita pas Chapelant.
Malgré les efforts de son père la Cour Spéciale rejeta encore la demande de réhabilitation en juin 1934. Le 31 octobre 2012 une lettre du ministre délégué aux anciens combattants attribue, sans réhabilitation, la mention «Mort pour la France» à Jean Julien Chapelant.
Son histoire a inspiré à Kubrick une partie du scénario des Sentiers de la Gloire (1957), film interdit de projection en France jusqu'en 1975. (Les autres sont les 4 caporaux de Souain)

Le 12 octobre 1914 à Bouchoir, dans la Somme, trois exécutions eurent lieu : Édouard Laflaquière né le 9 janvier 1890 à Veyrines-de-Vergt 
 
Pierre Laflaquière, né le 22 mars 1883 à Veyrines-de-Vergt (Dordogne)
Jean Chantegreil né le 11 novembre 1883 à Saint-Michel-de-Villadeix (Dordogne)
Soldat de 2e classe à la 1ère compagnie du 250è R.I. Edouard Laflaquière participe le 5 octobre 1914, à Andechy (Somme), à un mouvement collectif de mutilation : Jean Chantegreil se coupe un doigt de la main gauche avec sa serpe; Édouard Laflaquière s’entaille deux doigts de la main gauche avec sa hachette; son frère, Pierre, se tire un coup de fusil dans la main gauche. Examinés le 6 octobre 1914 par le médecin major de l’ambulance B du 4e CA, les trois hommes sont suspectés de mutilation volontaire et arrêtés. Interrogé, Édouard Laflaquière reconnaît les faits:
«Dans la nuit du 4 au 5 courant, j’étais avec ma compagnie dans les tranchées du côté du bourg de Andechy (Somme). Vers 9 heures du soir, nous avons été attaqués par une fusillade ennemie et par une compagnie du 250é R.I. qui tirait également sur nous; nous avons crié à cette dernière de cesser le feu, mais elle n’a cessé qu’un moment après. Il s’est produit un désarroi dans la compagnie et presque aussitôt, nous avons quitté les tranchées pour venir nous réfugier près d’un cimetière. Je me suis couché sur de la paille avec quelques-uns de mes camarades et nous nous sommes endormis. La compagnie est partie sans que je m’en aperçoive. Je l’ai retrouvée hier marin au point du jour. Hier matin [lundi 5 octobre 1914], toute la compagnie est allée se mettre en tirailleurs sur la lisière d’un bois, mais les éclats d’obus tombaient sur nous. J’ai reculé avec quelques-uns de mes camarades entre autre mon cousin Laflaquière (Élie) 268, et nous nous sommes cachés dans le bois pendant que notre compagnie se portait en avant, et c’est à ce moment que je l’ai perdue; il était environ 8 heures du matin, Nous avons passé la journée dans le bois et, au cours de la nuit dernière, j’ai décidé de me blesser volontairement afin de pouvoir entrer à l’hôpital pour avoir quelques jours de repos, car je suis fatigué. J’ai demandé à mon cousin Laflaquière (Élie), qu’il me prête sa hachette qu’il portait sur son sac, ce qu’il a fait, et je me suis blessé deux doigts de la main gauche. Ensuite j’ai ouvert mon paquet de pansement et je me suis enveloppé la main, puis je me suis dirigé vers Guerbigny. Je regrette beaucoup m’être blessé et, pour réparer ma faute, je désire retourner au feu le plus tôt possible.
Mon cousin Laflaquière (Élie), qui est avec moi, ainsi que Chantegreil , ont dû aussi se blesser volontairement, mais j’ignore dans quelles circonstances. Nous avons fait ce complot tous les trois ensemble. Je dois vous dire que Laflaquière (Élie) n'est nullement mon cousin, mais mon propre frère. »


Albert Letourneau, né le 7 août 1883 à Salbris (Loir et Cher), couvreur à Salbris, soldat au 331è R.I. est condamné par le CG de la 10è D.I. séant à Clermont en Argonne (minutes seules) pour abandon de poste en présence de l’ennemi (le 23 septembre 1914 à Cheppy) et « fusillé pour désertion »le 13 octobre à 11h à Courcelles (Meuse). Le même conseil condamne aussi
Julien Salle, né à Paris 12è le 5  avril 1883, faînier (?) soldat réserviste au 46è R.I., coupable d’abandon de poste (simple) aux mêmes lieu et date, fusillé le même 13 octobre à 11h au nord de la commune de Vraincourt.


Le 14 octobre 1914 Fernand Duverger est le premier fusillé du 68è R.I. Né le 30 avril 1889 à Gouex (56), Duverger est arrêté le 12 octobre et déféré devant le CG de la 17è D.I. qui se tient le lendemain à 13 heures.
Extrait de l'interrogatoire :
- Vous avez été trouvé ce matin dans un cantonnement de Thuizy... Que faisiez vous dans ce village ?
- Rien.
- Depuis combien de temps y étiez-vous ?
- Huit jours.
- D’où veniez-vous quand vous y êtes arrivé ?
- Je venais des tranchées. A la suite d’une attaque à la baïonnette, je m’étais trouvé seul avec mon capitaine, le capitaine Berthellon m’avait ramené à Thuizy.
Depuis ce temps là vous êtes resté à Thuizy ?(...) Pendant ce temps, vous avez bien vu cantonner à Thuizy votre régiment ?
- Il y avait des cuisiniers.
- Les cuisiniers vous ont dit où était votre bataillon ?
- Non.
- Alors c’est que vous ne l’avez pas demandé ?
- Si, mais on m’a répondu : « tu n’as qu’à le chercher ».
- De quel bataillon étaient les cuisiniers qui vous ont répondu çà ?
- Ils étaient sans doute du 1er bataillon, mais certainement pas de ma compagnie.
- Mais si vous aviez le bataillon, il n’était pas difficile de trouver la compagnie.
- C’est vrai.
- Le 1er bataillon a cantonné à Thuizy.
- Oui, mais je ne l’ai pas vu, car j’étais avec les éclopés et c’était pendant la nuit.
- Alors vous étiez avec Desherbais?
- Oui, mais je ne l’ai vu que le lendemain matin.
- Desherbais prétend qu’il était avec le 1er bataillon.
- Je n’en sais rien.
- Depuis ce moment là, qu’avez-vous fait ?
- Nous allions dans les tranchées avec le 114
è près de la gare.
- Mais le 114
è n’y est plus ?
- Alors nous étions avec le 77
è qui est au repos.
- Avez-vous quelque chose à ajouter ?
- Je demande à revenir en 1ère ligne. A Rethel, je suis allé chercher mon lieutenant Chapeau qui était blessé, sous le feu de l’artillerie. J’ai fait 2 ans de service au 60è d’infanterie, je n’ai jamais été puni. Je n’ai jamais été condamné.
Ordre du général Dubois :
« Les Petites-Loges, le 13 octobre 1914. Ordre.
Le général cdt le 9ème CA signale aux troupes sous ses ordres la lâcheté de deux soldats réservistes dont les noms suivent:
Le nommé Desherbais du 68, envoyé en traitement au dépôt des éclopés des Petites-Loges. Après huit jours de traitement était remis en route sur son corps et conduit jusqu'à Thuizy par un gradé. Là il se cachait et restait pendant quatorze jours dissimulé dans une habitation où il était découvert. Traduit devant le CdG (Conseil de guerre) de la 17e DI, il a été condamné à vingt ans de détention avec dégradation militaire pour désertion en présence de l'ennemi.
Le nommé Duverger du 68ème abandonnait la tranchée pendant une attaque de nuit et s'enfuyait jusqu'à Thuizy où il se cachait pendant quinze jours. Traduit devant le CG de la 17e DI, Duverger a été condamné à mort pour abandon de son poste devant l'ennemi.
Le général cdt le CA décide que la dégradation du soldat Desherbais et l'exécution du soldat Duverger auront lieu demain 14 octobre devant le front du 68ème d'infanterie. La garnison de Sept-Saulx, des détachements du 135e, 32e et 66e, en réserve à Wez et Thuizy, assisteront à l'exécution.
Le présent ordre sera lu à 2 appels consécutifs.
Dubois. »


L'ordre général, rédigé le 14 à Sept-Sceaux conclut :
Le Général (Guigabaudet] espère bien que la répression sévère de ces actes de lâcheté portera ses fruits et que plus jamais un soldat de la division ne s’en rendra coupable.
Le JMO du 68ème RI reporte l'évènement à la date du 14 octobre :
"Le 14, parade d'exécution à 6 heures pour 2 soldats du 68ème "
Extrait du "procès-verbal d'Exécution à mort" :
 
Paul Etienne Faucher, né le 26 décembre 1888 à Lyon 2è arrdt, fils non reconnu de Rosalie Faucher . manœuvre, cantonnier à Lyon, soldat au 133è R.I.. L'avis aux proches transmis à sa mère, porte la mention: Disparu. »Fusillé » (fiche de décès) à Saint-Dié des Vosges le 14 octobre sans qu'on trouve trace de jugement.
Marcel Eloi Loiseau, né le 1er décembre 1891 à Fontenelle-en-Brie (Aisne), agent de liaison au 106e RI, blessé lors d'une attaque dans le secteur de Vaux-les-Palameix (Meuse) se rend à l'infirmerie, lorsqu'il croise son capitaine qui lui donne l'ordre de regagner ses lignes malgré sa blessure. Le soldat qui souffre désobéit et va se faire soigner. Son capitaine rédige alors un rapport dans lequel il accuse le soldat Loiseau de s'être volontairement mutilé. Jugé par le conseil de guerre de la 12è D.I. le 11 octobre il est condamné à mort au motif d'abandon de poste et mutilation volontaire. Il sera fusillé le 14 à Mouilly à 7 heures du matin. Sa famille obtiendra sa réhabilitation le 17 mars 1922, la chambre criminelle de la Cour de cassation jugeant qu'il n'y avait pas assez de preuves suffisante.

Joseph Auguste Charles Henry Bonnin,
né le 22 décembre 1888 à L’Île-d’Yeu (Vendée) du 137e RI, fusillé à Hébuterne (Pas de calais) le 15 octobre 1914. Sa fiche matricule porte la mention : « Décédé le 16 octobre 1914 à La Signy (Somme) : avis ministériel du 9 janvier 1917 »

CG spécial du 137è R.I.: « Capitaine de Tinguy commandant le 293è R.I., J’ai l’honneur de vous rendre compte que hier soir vers 20 heures, 2 soldats du 137, qui m’ont dit s’appeler Bonnin et Berteau ont été arrêtés dans Colincamps. Ces hommes sans équipement, sans armes, fuyaient disant que les Allemands étaient derrière eux et que tout leur régiment avait été surpris et s’était replié. Ils ont ainsi causé un commencement de panique. Je les ai refoulé dans la direction de l’ennemi et aussitôt envoyé en avant des patrouilles. Celles-ci ont constaté que le 146 et le 137 tenaient toujours leurs tranchées… Vers 2 heures du matin un sous-officier du 59è d’artillerie est venu me demander si je savais où était sa batterie, qui, disait-il avait dû se retirer d’auprès d’Hébuterne, parce qu’elle avait été surprise par le l’infanterie allemande. »
Rapport : « Le 13 octobre 1914, le soldat Bonnin était en sentinelle devant une tranchée de sa Cie. Au moment où les premières balles allemandes commencèrent à siffler, le soldat Bonnin se retira au pas de course vers sa tranchée, et de là, sans avertir personne, s’enfuit vers l’arrière. Il rencontra un camarade qui était allé faire ses besoins ; il lui dit qu’il était blessé et le pria de le soutenir. Les deux hommes partirent ensemble vers Colincamps à la faveur de l’obscurité… Renvoyé vers l’avant, Bonnin n’a rejoint sa tranchée que vers 6h30 du matin ».
Le soldat Bertaud est acquitté, toutes les pièces de cette « kangaroo-court » sont rédigés au crayon noir sur des pages arrachées de cahiers d’écolier. « L’exécution du jugement aura lieu sur l’heure devant les tranchées face à l’ennemi. »


Rulle (date de naissance et prénom inconnu), soldat au 98è R.I. aurait été présenté devant un CG spécial du 1er régiment mixte de zouaves-tirailleurs, et exécuté en un lieu inconnu le 16 octobre 1914.

Un cas rapporté par le Maréchal des Logis Sartel du 17ème Dragons, en Artois.
« Octobre 1914 : Un caporal du 4ème Chasseurs, qui sert d'agent de liaison avec le 146ème RI, se saoule après avoir visité une cave, en attendant les ordres du Commandant Pompey. Celui-ci le fait fusiller dans la matinée du lendemain. »



Lucien Jadot, né le 19 avril 1888 à Paris 20è, modeleur-mécanicien, représentant en verrerie, soldat au 4è R.I. Précédemment condamné par le 1er CG de la place de Paris le 22 juin 1910 pour désertion à l’intérieur en temps de paix.
« Le six octobre, le soldat réserviste Jadot lucien s’est présenté au poste de garde des voies de communication à Biquipont écart de la commune de Chaudefontaine). En tenue civile, n’ayant aucune pièce d’identité, il a déclaré être déserteur après avoir abandonné sesz armes et ses effets dans le bois voisin de Ste Ménéhould. L’inculpé ne peut fixer exactement le jour où il a abandonné son corps, qu’il aurait quitté un matin ver 9 ou 10 heures entre Boureuilles et Vauquois [vers le 30 septembre, stipule la question posée au CG, même si le colonel commandant le 4è R.I. démontre l’impossibilité de cette date et situe la disparition de Jadot au 22 septembre]. De son aveu même,le régiment était engagé au combat, esposé au feu de l’artillerie ennemie ; séparé par une débandade momentanée de l’adjudant qui commandait sa section, loin de chercher à rejoindre sa place, Jadot se dirige isolément sur Neuvilly et se repose dans une grange pendant deux jours… De Neuvilly, il part aux Islettes par les bois, y reste un jour, va au Futeau, y reste un jour, passe une nuit dans les bois et va à Ste Ménéhould où il achète des effets civils [considérant la pénurie d’effets de dessus, le vendeur ne s’est pas étonné qu’un militaire vienne acheter des effets civils, la chose arrivant constamment], erre deux jours dans la forêt et sentant sa situation sans issue, se constitue prisonnier. Les recherches faites… ont permis de retrouver seulement les effets abandonnés par Jadot, mais non son fusil et sa baïonnette. »
Condamné à mort par le CG de la 9è D.I.pour abandon de poste en présence de l'ennemi et désertion avec emport d’effets, Jadot est fusillé le 16 octobre à Neuvilly-en-Argonne (forêt d'Argonne), à 1km est de la Croix de Pierre, à 14 heures.


Alexandre Jean Marie Cremillieux (ou Cremilleux), né le 20 octobre 1880 à Salillieu (Ardèche), domestique à Annonay, soldat au 61è R.I. condamné à la peine de mort par le CG de la 30è DI pour refus d'obéissance et abandon de poste en présence de l'ennemi, est fusillé en bas du village de Béthelainville le 16 octobre 1914.
Le soldat Gaston Chazal (105è rgt d’artillerie lourde) à Mme Veuve Crémilleux le 12 septembre 1917 : « Comme vous me le demandez, je vous adresse ci-après les faits que je connais sur la mort de votre mari. J’étais au Quartier Général lorsque votre mati est venu, il est resté 23 jours avec moi. Il m’a dit qu’il était accusé de s’être mutilé volontairement. Je l’ai questionné plusieurs fois et il m’a dit qu’il avait été blessé par un éclat d’obus, et je peux le croire, car il me l’a dit sincèrement. Ça a été bien malheureux qu’à ce moment-là, on ait été si sévère car si c’était aujourd’hui ce ne serait peut-être pas considéré de lamême façon. Comme je vous l’ai déjà écrit le lendemain de l’exécution, il me fit remettre une pièce de 2 francs pour vous écrire, et un gendarme me remit sa montre, que je vous ai fait parvenir en son temps, après le coup fatal. »
Réhabilité le 9 décembre 1933 par la cour spéciale de justice militaire. Mort pour la France :
« Attendu que dans la matinée du 23 septembre 1914, le sergent Dauvergne, aujourd’hui décédé, dont la section était déployée en tirailleurs au bois de Cheppy, à la cote 204 voyait l’un de ses hommes, le soldat Cremilleux quitter sa place et se porter en arrière, lui faisait signe de retourner à son poste ; que le soldat Cremilleux faisait demi-tour, puis disparraissait, le redoublement d’intensité du bombardement des mitrailleuses allemandes n’ayant pas permis à son chef de le suivre des yeux ; attendu que le lendemain Cremilleux se trouvait à l’hôpital d’évacuation n°6, où le médecin-major de 1ère classe Noctou qui l’examinait, constatait un arrachement total de la phalangette de l’indes de la main gauche avec liseré noirâtre sur la face palmaire, semblant provenir de la déflagration de la poudre… ; attendu qu’il apparaît des pièces du dossier, que pour condamner le soldat Cremilleux, le CG s’est fondé sur le rapport du Dr Noctou et sur la déposition du sergent Dauvergne ; Mais attendu que les conclusions du rapport médical n’établissent pas avec certitude lamutilation volontaire, les explications fournies par Cremilleux sur l’origine de sa blessuer étant d’ailleurs confirmées par les dépositions de Ballet Pierre, Levèque Edouard, et de Souche Jules, alors même qu’il ne soit pas possible de dire si la blessure a été occasionnée par un éclat d’obus, par une balle de fusil ou de mitrailleuse, le blessé lui-même ayant très bien pu ne pas s’en rendre compte ; Attendu d’autre part, qu’il importe de retenir la déposition du Commandant dela Cie, le lieutenant Ristorcelli… qui a déclaré que la violence du bombardement et fu feu des mitrailleuses allemandes avait pu empêcher le sergent Dauvergne de s’assurer si le soldat Cremilleux était blessé ; qu’il pouvait se faire que celui-ci n’ait pas compris ou entendu les ordres de son chef de section, et qu’une fâcheuse erreur du sergent Dauvergne avait été la cause de la condamnation de Cremilleux, soldat dévoué et courageux ; Déclare cremilleux acquitté de l’accusation re tenuie contre lui, Décharge sa mémoire de la condamnation prononcée… : Condamne l’État à payer à la veuve Cremilleux, la somme de dix mille francs, à titre de dommages-intérêts... »
Jules Souche : « Après avoir été blessé de deux balles dans le dos, j’ai quitté les lignes sur l’ordre du Lieutenant Agniel… J’ai fait 30 mètre environ, et arrivé dans un trou où il y avait des brancardiers et le commandant du Bataillon, ce dernier a donné l’ordre aux brancardiers de me porter sur un brancard au poste de secours. S’étant levé et au même moment un obus étant tombé à proximité a blessé cet officier supérieur et c’est lui qui a été transporté à ma place et moi je suis resté là… Le soldat Crémilleux est venu me rejoindre dans le trou où j’étais et j’ai constaté qu’il était blessé à une main ; il lui manquait un doigt. Crémilleux m’a alors chargé sur son dos, m’a porté pendant un certain parcours… puis m’a soutenu par un bras jusqu’au moment où nous avons trouvé un poste de secours. »
Edouard Lévèque ajoute à sa déposition cette intéressante remarque (soulignée par trois points d’interrogation de l’interrogateur) : « C’est après que Cremilleux a été exécuté que j’ai appris le jugement.Mes acamarades et moi avons été indignés de cette excution. Je n’ai pas demandé à être entendu par le conseil de guerre, craignant à ce moment-là des représailles. »
 

Léon Apollinaire Bazin, né le 4 octobre 1878 à Auchonvillers (Somme), soldat au 16è RIT est fusillé le 16 octobre 1914 à Bavincourt (Pas-de-Calais) pour abandon de poste devant l'ennemi.
CG du groupe des divisions territoriales :
Dans la nuit du 8 au 9 octobre1914, Bazin disparaît de sa compagnie, abandonne armes et uniforme dans une grange, puis rejoint à pied son village natal situé à douze kilomètres. Son but: revoir sa mère Léontine, 65 ans, veuve, élève des pupilles de l’assistance publique, qui réside rue Dufour, à Auchonvillers. Survient un bombardement. Il fait demi-tour. Il est interpellé par deux brigadiers, à Pommier (62). Léon Bazin, successivement sapeur pompier à Paris, policier à Amiens, employé à l’hôpital Claude-Bernard, à Paris, cocher de fiacre, chauffeur d’automobile à Saint-Ouen, explique qu’en aucun cas il n' a voulu déserter. "Je voulais juste revoir ma mère", explique-t-il. Passé par les armes pour abandon de poste le 16 octobre 1914, à 6 heures du matin, devant le 16e RIT rassemblé. Il avait 36 ans. L’abbé Laloy, aumônier du régiment, qui l’accompagna juste bout, nota dans son journal: «Le ciel d’octobre continue d’être bas et triste et décidément le soleil n’illuminera pas cette journée.» Il dit aussi que la brume permettait à peine de distinguer le poteau fatal.


Louis Julien Le Madec, né le 10 mars 1886 à Nantes, journalier, soldat au 65è R.I., 12è Cie
CG spécial du 65è régiment d'infanterie réuni le 15 octobre 1914 :
Le 13 octobre 1914, une patrouille du 65è, envoyée à 19 heures par le poste de police de la mairie, avec mission de ramasser tous les traînards, rencontra, près du café de la musique, à Mailly-Maillet, le soldat Le Madec en complet état d’ivresse. Conduit au poste de police et interrogé, ce militaire ne voulut rien dire. Là se trouvait le soldat Letouneux de la 12è Cie, même escouade que Le Madec, qui, la veille, avait été placé en sentinelle, à la porte d’un café, par sa Cie cantonnée à proximité et qui, pendant sa faction avait été violenté par 3 militaires, dont Le Madec, auxquels il défendait l’entrée du café. Confronté le lendemain matin, Le Madec reconnut les faits et déclara avoir quitté sa Cie le 12 octobre au soir, au moment où elle se rendait aux tranchées. Il était accompagné des soldats Perrichet et Birien. Après avoir bu dans diverses maisons, ces militaires se présentaient au café gardé par Guiheneuf et violentèrent ce dernier. Perrichet et Birien partirent alors chacun de leur côté pour regagner leur Cie. Le Madec resta seul dans Mailly-Maillet où il coucha dans une grange, y passa la journée du 12 et n’en sortit que le soir pour se mettre en état d’ivresse, moment où il fut arrêté. Ancien disciplinaire, Le Madec s’est déjà rendu coupable de deux plaintes (sic), l’une à La Neuville, près Corbie, pour tentative d’effraction, l’autre à Engelebelmer pour avoir quitté sa Cie où il ne paraît d’ailleurs que très rarement. A cherché, étant à Nantes, à rester au dépôt, a réussi à manquer le premier départ et n’est venu sur le front qu’avec le 2è envoi.

Le Conseil, estimant à la majorité des voix que la conduite du soldat Le Madec est déplorable et d’un exemple pernicieux pour les camarades -Vrai meneur, ne mérite aucune indulgence. Dangereux- condamne Le Madec Louis Julien Mathurin à la Peine de Mort. »

Le Madec est fusillé le 16 octobre 1914 à Englebelmer (Château des Cordeliers, Somme), 6 heures.


Maurice Eugène Génon, né le 1er janvier 1893 à Charleville (Ardennes), célibataire, monteur en fonte, 2è classe au 91è R.I., 11è Cie
CG spécial du 91è R.I. en date du 18 octobre 1914 : abandon de poste en présence de l’ennemi par désertion. Aucune pièce officielle ne mentionne les lieux et dates des faits.
PV de gendarmerie le 12 octobre : « J’ai quitté mon corps dans le bois de La Hararée, commune de Vienne le Château… le 9 octobre 1914 vers 22 heures. Etant resté seul dans la tranchée à la suite d’une attaque, je n’ai pu retrouver mon régiment et je suis parti… J’ai abandonné mes effets militaires et me suis revêtu d’effets civils que j’ai pris dans l’armoire d’une maison isolée, abandonnée, ouverte, et située dans les bois ; Je suis arrivé à Vienne le Château le 10 octobre dans l’après-midi ; je suis allé coucher à Vienne-la-Ville d’où je suis parti le 11 vers 8 heures. J’ai passé par Moiremont, Ste Ménéhould et Dancourt où j’ai couché. J’ai quitté cette commune aujourd’hui 12 courant vers 9h en me dirigeant sur Villers en Argonne. J’ai été arrêté dans ce village par un chasseur forestier parce que je n’avais pas de laisser-passer. »
Suite à l’attaque, les troupes ont été réorganisée, Génon affecté de la 2è à la 4è section, n’a jamais rejoint, ignorant que sa nouvelle unité se trouvait à Florent.
Génon est fusillé à La Fontaine-aux-Charmes (Marne) 18 octobre 1914, 17 h



Quelques victimes du docteur Alexis Buy, assassin de masse



Alexis François Martin BUY , né le 14 mars 1858 à Limoux (Aude) et décédé le 3 février 1935, sans doute à Paris. Médecin principal de 2e classe à l’Hôpital militaire de Nancy (assimilé au grade le Lietenant-Colonel). Admis d’office à faire valoir ses droits à la retraite pour ancienneté de service le 27 avril 1916. Déjà chevalier de la légion d'Honneur il est promus Officier  (Arr. 20 nov. 1914, pour prendre rang le 22).
En octobre, la IVème Armée a organisé une forte mise en scène en jugeant en deux jours, 51 soupçonnés de mutilation volontaire avec au bout 33 condamnations à mort. Sur ces 33 exécutables, 13 ayant été condamnés à l’unanimité ont été fusillés sur le champ de tir de Châlons sur Marne, au petit matin, le 19 octobre 1914. (source)
Le polycopié était la seule pièce d’accusation car le général de Langle de Cary avait utilisé, comme évoqué plus haut, la procédure de citation directe qui permettait de sauter l’étape d’instruction à charge et à décharge du commissaire-rapporteur. Pour décider, les juges ne disposaient que de ce polycopié et de la déclaration des intéressés. Ils "bénéficiaient" toutefois à l’audience de la présence physique du docteur BUY "témoin à charge" pour tous les prévenus... Eu égard au nombre et aux capacités humaines des juges, l’audience dura deux jours. Le 17 octobre, 30 jugements furent expédiés, laissant pour le lendemain les 24 restants. (prisme 1418)
Extrait de l'audition du Dr Buy le 2 juin 1934 :
Au début de la guerre, médecin militaire de carrière avec le grade de lieutenant-Colonel.J'étais médecin chef de l’hôpital d’évacuation n°2 de chalons et le plus haut gradé du service médical de la place. Nous recevions par jour 7 à 800 blessés environ. En vertu des ordres reçus, les blessés aux mains étaient immédiatement mis de côté; si l'examen ou leurs explications étaient suspects, ils étaient retenus.Je les examinais à nouveau avec mes deux collègues du cadre de réserve, Giroux et Janvier, si j'ai bonne mémoire. Si le soldat suspect était définitivement retenu parce que indiscutablement suspect, il était alors envoyé à l’hôpital militaire où il était examiné par les médecins du cadre.Ceux-ci adressaient leurs avis sur les liste que leur envoyais avec les hommes à examiner. Et ce n'est que lorsque la question de culpabilité me semblait absolument certaine, que rentrant à mon hôpital d’évacuation, j'adressais le rapport polycopié qui est au dossier et qui est la résultante de la série d'examens pratiqués par les différents praticiens dont je viens de parler. J'avais une breloque matérielle toujours lourde, et c'est ce qui explique que les rapports sont polycopiés; mais cela étant donné tout ce que je viens d'expliquer ne serait infirmer leur sincérité et leur réalité.
Le docteur Buy a avoué: "si tous mes rapports étaient en partie écrits à la polycopie c’était parce que nous n’avions pas le temps ». Certes, en la matière Buy obéissait aux ordres de sa hiérarchie.
Alexandre Emile Jeudy, né le 30 octobre 1890 à Amage (Haute-Saône), tisserand, célibataire, soldat au 149è R.I.
Son père était ouvrier agricole. Sa mère est décédée quand il avait 14 ans. Il va à l'école obligatoire, mais comme de nombreux enfants, il ne fréquente que 6 mois dans l'année. Les registres de l'école mentionnent les motifs d'absences: n'a pas de sabots, va à la charrue ou bien mendie.
Le 1er Octobre 1911, Alexandre est incorporé, puis classé dans le servie auxiliaire pour insuffisance de taille, il ne mesure que 1m51. A sa demande il rejoint le service actif et obtient un certificat de bonne conduite.
Durant un séjour en tranchée avec sa compagnie (la 11ème), Alexandre, pris dans la tourmente d'un bombardement, se tire accidentellement une balle dans la main droite. Le médecin chef Buy suspecte un cas de mutilation volontaire de par la présence de traces de poudre autour de la blessure. Rejetant cette accusation, Alexandre affirme au contraire s'être blessé accidentellement: "On était dans les tranchées. Nos fusils étaient appuyés dans la tranchée. Les obus sont tombés aux bords de la tranchée et ils ont été recouverts de terre. J'ai voulu prendre mon fusil qui était plein de terre pour le nettoyer. Et c'est à ce moment là que le coup est partit et que je fus blessé. J'ai fait constater à mes camarades que je fus blessé accidentellement."
Le 18 Octobre 1914 c'est pour :" abandon de poste devant ennemi par mutilation volontaire"qu'il fût condamné par le CG du QG de la IVè armée à être fusillé, avec 7 autres de ses camarades.
L'un d’eux Léon Faget, 7è R.I. fut condamné à 5 ans de prison : « J’ai été blessé a l’attaque de nuit du 1 au 2 Octobre a environ trois cents metres des tranchées ennemies. J’ai été blesse en appuyant a droite dans le bois par un camarade qui était derrière moi. »
les 6 autres condamnés à mort. Denis Jean Antoine Tournier (7è R.I.) : « Ma Compagnie était avant Postes dans les tranchées au dessus des Villages Vargemoulin et Minecourt : Voyant la force ennemie arriver ma compagnie a quitté les tranchées. C’est alors que j’ai reçue cette petite blessure à la main gauche et dont en ce moment je tenais mon fusil de la main Gauche : Et mon Capitaine et mon adjudant savent très bien que j’étais présent Dans les tranchées et mon adjudant était présent quand j’ai été blessé et mon Camarade qui etait a côté de moi ma fait mon premier pansement. Je ne crois pas être un lache mais un fort soldat Français depuis le 22 Aout j’ai pris part a toutes les batailles et n’ai jamais reculé en présence de l’ennemi sinon que mon régiment ou ma compagnie battait en retraite : j’ai ete toujours présent aux appels dans ma Compagnie : dans mon service actif j’étais Clairon Cycliste du Colonel Reibell commandant le 7ème Régiment et n’ai pas la moindre punition dans ma Vie Civile il n’y a rien a dire sur moi Je ne demande qu’apres ma Guerison de rejoindre ma Compagnie.
Emile Crebessègues (7è R.I. 1ère classe) : (document probablement non autographe et non signé) « Le 1er octobre à 11h du soir, j’étais en 1ère ligne dans des tranchées où l’on tirait debout à l’endroit où je le trouvais la tranchée formait un angle à ma droite ; dans l’angle et en face de moi j’avais un petit crénaux (sic) pour pouvoir tirer, après une fusillade d’une heure le crénaux s’étant fermé je pose mon fusil à ma droite et de ma main gauche je débouche le crénaux au même instant le fusil glisse et en l’attrappant le coup part et ma blessé à la main gauche qui était encore appuyé sur la tranchée. »
Henri Diemunsch (17è R.I.) : « A 1/2 kilometre de Suippes de ma tranchée j’ai été commande d’allez chercher un ordre dun caporal qui s’était porte en avant quand un obus vient a eclaté je me suis saufé, le coup est parti. »
Diogène André Louis Paul (21è R.I.) :« Jé étée Blessé en alant au Sentinel Jai Tombaient avec mon Fusils sou moi Je tenai mon Fusils une main a la crosse lautre mains tous Prèt du bou du canon le cou ma Parti dans la main Il y avait le soldats Dupain qui était avec moi qui ma vu Partaire. »
obtiendront la grâce présidentielle (20 ans de prison, peine suspendue) et seront affectés au 147è R.I..
2 soldats, furent  fusillés simultanément le 19 octobre 1914 à 6h25, Alexandre Jeudy et
Emile Busquet, né le 18 septembre 1892 à Saint-Cirice (Tarn et Garonne), cultivateur, célibataire du 7è R.I.
« C’était le 4 octobre vers 2 heures de l’après midi que mon camarade vient me demander du tabac, moi je lui offre mon paquet et tout en fesant sa cigarette il laissa tomber son fusil et s’est en relevant sont fusil que j’ai reçu la balle dans le doit, mai pour l’avoir fait de moi-même je vous jure que non. et vous pouvez demandé à mon capitaine si je suis mauvais soldat, jusqu’ici jusque ici je suis étai toujour des premier a partir à tout se qu’il me comendait et je suis prêt encore quand il faudra malgré ma bléssure. »
Tous les certificats pré-remplis et polycopiés du Dr Buy (en date du 2 au 8 octobre) sont similaires à celui établi pour Laurent :
















François Marie Laurent, né le 29 janvier 1885 à Melliounec (Côtes du Nord), cultivateur, marié, 2 enfants, soldat au 247è R.I. est souvent cité comme ayant été exécuté "parce que ce Breton ne savait pas le français". Le médecin militaire, le docteur Buy, le soupçonne de mutilation volontaire, alors qu’il est blessé à la main gauche. Ne comprenant ni ne parlant le français, ce cultivateur ne peut s'expliquer devant le conseil de guerre.
Laurent est fusillé le 19 octobre 1914, à Châlons-sur-Marne (6h25) laissant une veuve, Julie (qui déposera la demande de révision) et deux enfants : Francine, 2 ans, et Armand, 8 mois.
La contre-expertise de 1933 conclut non seulement que la pièce médicale du dossier est insuffisante pour prouver une mutilation volontaire, mais que la condamnation a été obtenue sur ce seul certificat en l’absence de toute mesure d’information préalable. Elle sous-entend que la déclaration au crayon de l’inculpé (quasiment identique à celle de Crebessègues) pourrait être un faux, et invoque le témoignage (postérieur) du capitaine Briant qui déclare « que dans la nuit du 1er au 8 octobre, à la suite de rencontre de patrouilles, une fusillade violente avait éclaté, que la plupart des hommes de la compagnie provenant d’un renfort récent, peu aguerris, tiraient en l’air en se cachant la tête, et que la blessure de Laurent reçue dans la tranchée aurait pu être produite par un camarade maladroit ». Le jugement est annulé, l’état condamné aux dépens et aux dommages (dix mille francs) et Laurent réhabilité reçoit la mention Mort pour la France.
Lors du même procès toujours devant le CG du QG de la IVè armée, les soldats Lasserre et Nicouleau sont acquittés, Clavières, Gaillard, Mieulet, acquittés des faits de mutilation volontaires sont néanmoins condamnée à des peines de prison de 2 à 5 ans pour abandon de poste. L’hystérie collective ne frappe avec Laurent que Elie-Marie Lescop. né le dimanche 3 décembre 1882 à Muzillac, au village de Coëtsurho. Il est l’aîné d’une grande famille de 10 enfants. Il exerce les métiers de cultivateur à Coëtlogon (1909), manœuvre (1909) puis marchand de légumes (1911). Un autre document signale qu’il est employé comme garçon de bureau à la mairie de Rennes en 1914. Le 27 octobre 1909 à Rennes, il épouse Anne Marie Redoublé ; de cette union naîtra en 1910 une fille prénommée Elise. Quand sonne l’heure de la mobilisation générale, âgé de 32 ans, Elie-Marie est rappelé au 336e régiment d’infanterie de réserve basé à Saint-Lô. Ce régiment combat dès août 1914 en Belgique puis participe à la bataille de la Marne en septembre. En octobre il est localisé à Souain dans la Marne. C’est dans une tranchée à Souain qu’Elie-Marie sera blessé par balle à la main gauche. A l’hôpital de Châlons-sur-Marne il est examiné par le l'infâme docteur Buy qui conclut à une présomption de mutilation volontaire.
Louis Ruelleux né le 15 mars 1892 à Saint-Méen en Ille-et-Vilaine, charron, célibataire, soldat au 19è BCP
Le 25 septembre 1914, durant une phase de combat devant le fort de La Pompelle (Marne), Louis Ruelleux se tire involontairement une balle dans la paume de la main gauche. Examiné par le médecin- chef Buy qui suspecte un cas de mutilation volontaire.
" C’était le 25, à environ 4 heures et demi du soir. Le bataillon reçoit l’ordre de changer de baïonnette. Nous avons avancé à peine cent mètres que nous avons été obligés de faire demi-tour. Alors, à ce moment, je me situe dans une tranchée. J’étais à peine couché que voilà un de mes camarades qui arrive, lui était blessé. Alors je me mets en devoir de le panser. Comme je tirais mon paquet de pansements, il reçoit une balle dans la tête. Alors je me remets dans la tranchée. Lorsque cela a été fini, je retournais voir s’il était mort. Il ne respirait plus. Je lui [pris] une partie de ses cartouches et son fusil. Comme le mien avait une vis de partie, je le prends par le bout du canon sans savoir qu’il était chargé. Je le traîne. Je ne sais si sa gâchette se prend dans un bout de bois : le coup me part dans la main. Mais ne croyez pas que je l’ai fait exprès, je ne suis pas un lâche, je suis un Français qui ne demande qu’à retourner au feu"..

En plus des précédents, on dénombre, tous exécutés le 19 octobre :
Jean-Louis Debat
, né le 26 août 1881 à Saint-Aurence-Cazaux (32), cultivateur, marié, 1 enfant, soldat au 88è R.I.
Emile Georges François, né le 6 décembre 1892 à Paris 13è de père inconnu, soldat au 21è BCP, célibataire, domestique, demeurant à l’assistance publique
Jean-Marie Saint-Germès, né le 18 avril 1882 à Fabas (09), cultivateur à Ste-Croix soldat au 24ème R.I.C.
Emile Auguste Marie Taburel, né à Rouellé (devenu Domfront-en-Poiraie) dans l'Orne le 22 septembre 1891. Cultivateur à Champsecret, célibataire, soldat du 94è R.I. blessé là la main lors d'une attaque de sa compagnie devant le fort de la Pompelle le 25 septembre 1914
Augustin Leduc, né le 2 mars 1888 à Montrécourt (59), usinier, marié, 1 enfant, soldat au 15è R.I. 
François Eugène Vannier, né le 3 mai 1883 à Précigné (72), cultivayeur à Durtal, marié, 2 enfants, soldat au 135è R.I.
Paul Verger, né le 14 décembre 1882 à Montseron (09), cultivateur à Gouzons, marié , 2 enfants,soldat au 24è R.I.C.
Fernand Vogel, né le 29 août 1892 à Paris 4ème (75) peintre, célibataire, 19è BCP
Dans d’autres cas (vu l’urgence sans doute), on s’est passé des services du Dr Buy :
Léon-Marie Taron, né le 9 janvier 1881 à La Cropte (Mayenne), cultivateur à Bailleul, marié, soldat au 117è R.I. 8è Cie, sait lire, écrire, compter. Jamais condamné.
CG spécial du 117ème R.I., 19 octobre 1914 : « Attendu que dans la nuit du 14 au 15 octobre [à Erches] de ses propres aveux le soldat Taron, profitant d’un instant où il était seul s’est volontairement mutilé à l’aide de son fusil en posant sa main gauche sur le canon et actionnant de la droite la détente de son arme ; Attendu que la faute commise par ce militaire est sans excuses, bien qu’il affirme ne pas savoir à quel motif il a pu agir ; que son acte constitue une lâcheté qui mérite une grave répression ; Attendu que ces faits se reproduisant, il convient de n’avoir pour Taron aucune indulgence ; qu’ils constituent bien le refus d’obéissance pour marcher à l’ennemi et l’abandon de poste en présence de l’ennemi... » « Il est nécessaire d’arrêter les cas par trop nombreux de mutilation volontaire, y faisant un exemple. »
Taron est fusillé le 19 octobre 1914 à Erches à 11h du matin. Fiche de décès « tué à l’ennemi »,Mort pour la France.

César-Antoine Colonna-Bozzi
, né le 5 juillet 1890 à Albitreccia (Corse) sergent au 7 ème R.M.T. , prétendument (car il n’existe aucune preuve écrite de l’existence d’un tel conseil ni du motif de la condamnation) condamné le 19 octobre 1914 pour abandon de poste sous le feu de l'ennemi par le CG spécial du RMZ tirailleurs le fusillé le 20 octobre à Saint-Léger-aux-Bois (Oise).
Yves-Marie Camus, né le 21 juin 1886 à Sainte-Croix de Saint Lô (Manche), étameur ambulant sans domicile fixe, vit en concubinage avec une femme dont il a trois enfants, soldat au 41è R.I., déféré devant le conseil de guerre de la 13e D.I.
« Le conseil… a condamné le soldat Camus à la peine de mort pour abandon de poste en présence de l’ennemi à Vermelle le 10 octobre. Cette condamnation a été prononcée à l’unanimité… Le soldat Camus a été d’un exemple déplorable pour ses camarades, inspirant la crainte des représailles à plusieurs d’entre eux, menaçant même M. le Capitaine Monin intervenu pour son arrestation ; abandonnant plusieurs fois son unité lorsqu’elle se rendait au feu, alors qu’il aurait dû, par une bravoure sans égale et constante, se rendre digne de l’extrême bienveillance que lui ont témoigné ses Chefs en ne l’arrêtant point comme déserteur, lorsqu’au début de la guerre il se représenta spontanément à son corps après une désertion à l’intérieur de plus de cinq ans, et il importe au maintien de la Discipline, qu’il soit présenté sans délai à l’exécution de la peine. »
Comme on voit, on n’en est pas à une contradiction près !

Camus (Interrogatoire du 18 octobre) : Je n’étais pas dans une tranchée, j’étais derrière un mur en brique avec créneaux, ainsi que plusieurs camarades prêts à agir par le feu. Un obus ayant éclaté près du mur nous sommes descendus dans al cave, puis d’autres obus éclatant, ne nous jugeant plus en sécurité, nous avons quitté la cave et gagné le pays ; nous étions sept ou huit dont le caporal Cardin. Nous sommes restés quatre ou cinq heures dans le village, puis sur l’indication d’un agent de liaison, nous avons rejoint la Cie en son point de rassemblement, derrière l’église. Après avoir rallié la Cie, je l’ai quittée tout seul, trouvant qu’elle faisait trop d’allées et venues sur la même route ; j’ai couché dans un café ; le lendemain matin, les gens du café m’ayant réveillé pour le départ de ma Cie qui avait cantonné en face, je me suis dirigé sur elle, mais le sergent major m’a fait écrouer… Une première fois sur l’ordre du sergent major [j’ai quitté] pour faire du café dans une brasserie. Cette fois-là la Cie a quitté la tranchée sans me prévenir. J’ai bien vu partir les mitrailleuses qui occupaient la brasserie, mais les hommes m’ont dit qu’eux seuls se repliaient. C’est pourquoi je n’ai pas suivi mon camarade de Cie Le Breton qui s’est bien replié en même temps que la Cie et je lui ai dit « Allons donc, il n’y a que les mitrailleuses qui se replient ». Je suis resté avec Le Clanche. On m’avait envoyé faire du café vers midi et je n’ai retrouvé la Cie que le lendemain matin… A Arras, je suis resté cinq jours avec le 70è R.I. ainsi que Le Breton, le caporal Minghin et plusieurs autres. Il m’est arrivé de rester en arrière, mais je n’ai jamais été le seul. »
Présentement, le commandant actuel de la Cie se trouve dans l’obligation de reprocher au soldat Camus d’avoir à deux reprises quitté la tranchée occupée par la Cie près de Vermelles, du 10 au 14 octobre, et d’avoir, de plus, été rencontré par l’Officier d’approvisionnement du Régiment, causant en pleine nuit, avec des civils, à Mazingarde. Plusieurs personnes soupçonnées d’espionnage ayant été récemment l’objet d’arrestation dans la commune même de Mazingarde, les absences du réserviste Camus présentent un caractère bien digne de suspicion, et, d’autant plus, que ledit Camus a été vu, dans ce village, porteur d’un sac contenant du tabac en assez grande quantité, alors que les habitants déclarent ne pouvoir s’en procurer aisément et que la Cie elle-même ce jour-là n’en avait point touché. »
Camus est fusillé le 20 octobre à Mazingarbe (Pas de Calais) à 6 heures.


Jules Louis Julien Chevalier, né le 7 janvier 1881 aux Eyssautiers, commune de Saint-Michel dans les (Basses-Alpes), célibataire, cultivateur
et Pierre Etcheverry, né le 15 mars 1889 de père inconnu à Ispoure (Basses Alpes), célibataire, cultivateur, 6è BCP
Le 12 septembre, Jules est affecté au 6è Bataillon Alpin de Chasseurs à Pied qui stationne à Vassincourt pour reconstituer ses effectifs après l’éprouvante bataille de la Marne. A la fin du mois, Jules et ses camarades vont organiser et défendre les bois de Cheppy, de Malancourt et les environs de Vauquois. Le 30 septembre, la 22è Compagnie du 6è Bataillon Alpin de Chasseurs à Pied est bombardée vers 15h30 alors qu’elle occupe les positions du Pont des Quatre Enfants. Les Chasseurs Jules Chevalier et Pierre Etcheverry quittent les tranchées et disparaissent. Etcheverry se présente le lendemain matin à 5h au poste du 61è R.I. à Parois. Mais il est déjà suspect, la déclaration de guerre l’ayant trouvé en prison et en prévention de CG pour désertion (de décembre 1909 au 4 juin 1914). Seule l’inculpation d’abandon de poste est cette fois maintenue contre lui. Etcheverry aurait vu 5 à huit hommes fauchés par les obus, Chevalier aurait prit peur en entendant les cris des blessés.
Jules réintègre son unité le 5 octobre 1914 lorsqu’elle arrive à Brabant-en-Argonne. Il est arrêté quelques temps plus tard, puis transféré à Récicourt dans les locaux du quartier général de la 29è Division d’Infanterie pour y être interrogé dès le 8 octobre. Au cours de son interrogatoire Jules explique que lorsque il vit  « les obus tuer et blesser des hommes près de lui […] il se jeta dans le bois, s’y perdit et erra ainsi […], n’osant […] se montrer [par] peur de se trouver dans les lignes allemandes ». En arrivant le 3 octobre en fin d’après-midi à Brabant-en-Argonne, « il se présenta au 24è Bataillon de Chasseurs dont le Lieutenant-Colonel lui prescrit d’attendre l’arrivée du 6è Bataillon qui devait avoir lieu dans la nuit du 4 au 5 ». A la fin de l’enquête, le Général commandant la 29è DI décide de laisser son conseil de guerre permanent statuer sur le sort des Chasseurs Jules Chevalier et Pierre Etcheverry. Les deux accusés sont reconnus coupable d’abandon de poste et de désertion en présence de l’ennemi. Le conseil de guerre les condamne à la peine capitale et à verser la somme de 24,80 francs pour s’acquitter des frais de justice.
Le 21 octobre 1914, Chevalier et Etcheverry arrivent sous bonne escorte dans une pâture des environs de Récicourt où leurs camarades du 6è Bataillon Alpin de Chasseurs à Pied ont été réunis. Placés devant un peloton d’exécution, il sont passés par les armes (heure inconnue).
La dépouille de Chevalier a sans doute d’abord été inhumée à Récicourt, mais sa sépulture actuelle reste introuvable. Son décès est finalement transcrit le 16 décembre 1916 à Saint-Michel, où il figure sur le monument aux morts alors qu’il n’a toujours pas été réhabilité.

Pendant la bataille de l’Yser (octobre 1914), le général de Bazelaire fit fusiller six tirailleurs tirés au sort dans une compagnie qui avait refusé de marcher »

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