lundi 26 novembre 2018

fusillés de 1915 avril à décembre v2



Avril


Louis Martin Luigi, né le 27 mars 1890 à Bastia, négociant, soldat au 173è R.I., 1,54m, cheveux et sourcil blonds, yeux gris-bleu
puni à plusieurs reprises pour ne pas avoir couché dans le cantonnement affecté à la Cie ; le 15 janvier 1915 « ayant reçu de son caporal l’ordre de faire le guet dans la tranchée a répondu grossièrement à ce gradé, l’a saisi par les épaules et menacé » (8 jours) ; Luigi échappe à l’inculpation de désertion sur territoire en état de guerre (« Luigi venait tous les jours à son cantonnement et n’était pas considéré comme manquant… l’absence de Luigi aux appels du matin et du soir n’a pas été régulièrement constatée ni signalée ».)
« Le 29 janvier 1915, la Cie descendait des tranchées pour prendre 4 jours de repos à Sommedieue. Luigi était puni de prison. Pendant tout ce séjour, il découcha régulièrement toutes les nuits… Il passait toutes ses nuits dans une grange voisine de son cantonnement… Et c’est une étrange complaisance qu’un homme puni de prison, ait pu de la sorte,au vu et su de tous ses camarades et de ses gradés, découcher de façon continue et prendre une liberté d’allures qui semblait en faire comme un Soldat amateur à la Cie. » Mais il apparaît que le poste de police ne pouvait assurer sa garde, faute de locaux : « Luigi était laissé en liberté presque absolue. On peut se demander si ce soldat ne devait pas à la crainte qu’il inspirait ce relâchement de surveillance. »[?] L’accusation d’abandon de poste, Luigi ayant été surpris par le départ de sa Cie à 2h du matin le 2 février ne tient pas non plus (au grand dam du rapporteur), le soldat ayant été empêtré par le mauvais état de ses chaussures, s’étant perdu avant de reparaître dans les tranchées de 2è ligne vers 15 heures.
« Après avoir passé 4 jours aux tranchées, la Cie redescend à Sommedieu, en cantonnement de repos, pour une nouvelle période de 4 jours. Luigi, reprenant ses anciens errements, retourne à son grenier pour y passer les nuits. Mais bientôt, il demande à l’hôtesse, Mme Fortier, la permission de descendre du grenier dans l’appartement, lui offrant de lui louer une chambre. Cette personne accède à son désir et le 8 février, Luigi occupe la chambre. » Dans la nuit du 9 au 10, vers 1 heure du matin, la Cie remonte aux tranchées et Luigi part avec elle. Le lendemain matin, Mme Fortier constate la disparition de sa table de nuit d’une somme de 400 francs qu’elle y avait déposé. Ayant cru entendre la veille au soir Luigi entrer dans sa chambre, elle porte plainte à la gendarmerie. Les jours suivants Luigi apparaît plus en fond que ses ressources ne le laissaient supposer. Il règle des dettes, rendant 40 francs à un sergent major qui les lui avait prêtés pour s’acheter des chaussures, et celui-ci croit avoir vu dans son portefeuille un billet de 100. Il paraît avéré qu’en deux jours, Luigi a dépensé 200 dont il ne peu expliquer la provenance, mais, en dépit des préventions qui le chargent le CG de la 12è DI le 1er avril 1915, acquitte Luigi des faits de vol. L’énigme ne sera pas résolue.
« Le 16 février, vers 17 heures, Luigi était de garde au poste de police. Il va trouver l’adjudant Villemagne pour lui demander de se faire remplacer dans son service de garde par un de ses camarades. Il le rencontre dans la rue, face au cantonnement de la Cie. L’adjudant Villemagne demande à Luigi le motif pour lequel il veut se faire relever. Luigi répond « Ce n’est pas votre affaire. » L’adjudant Villemagne, sollicité une deuxième fois, refuse, arguant qu’il ne peut prendre cette responsabilité en raison de la situation de Luigi en prévention de conseil de guerre, et qu’il faut qu’il adresse sa demande au Capitaine. « C’est à ce moment que l’inculpé, devenu furieux, se met à injurier l’adjudant, le traitant d’hypocrite, de cochon, ajoutant : « je vous emmerde » et, lui jetant à la figure le cigare qu’il tenait à la main, finit par le gifler. »
Soldat Delattre : « Il a monté l’échelle pour rentrer dans son cantonnement en disant à l’adjudant : « je vais vous exécuter avant que l’on m’exécute ».
Le capitaine : « C’est un véritable dissolvant de la discipline. Indiscipliné, violent, résolu à ne rien faire, dépourvu de scrupules et professant le plus grand mépris pour les ordres et les gradés… Je le crois capable de tout. C’est une fripouille. »
Luigi est fusillé le 2 avril 1915 à 5h Rupt-En-Woêvre : « Le soldat Luigi est tombé au premier coup de feu du peloton d’exécution. La mort a été immédiate. Le coup de grâce a été donné par pure conscience ».


L'affaire de Saint-Amand sur Fion
Un témoin du 170è R.I. note, en basque, dans son carnet : Samedi 3 avril 1915 St Amand - Ce matin quatre soldats fusillés devant le 170è et 174è réunis : 12 balles seulement.
On voit qu'en effet, en mars 1915, les officiers, pris d'une sorte de panique ou d'un coup de folie meurtrière, répriment sans discernement tout manquement réel ou imaginaire à la discipline. Les quatre condamnés exécutés à Saint-Amand, proviennent de quatre régiments différents. Ils sont tous condamnés par le CG du QG de la IVè armée le 1er avril 1915 au motif d' "abandon de poste en présence de l'ennemi" (à des dates différentes, 24 février, 2, 7 et 13 mars)
Le soldat Lucien Mervelay, né le 31 juillet 1886 à Pair-et-Grandrupt (Vosges) célibataire et fileur à Saint-Dié (88).
Rappelé sous les drapeaux au 170è R.I., avec qui il combat dans l'Oise et l'Aisne, il passe à la 4è Cie du 174è R.I. le 10 février 1915. Le 12 mars il participe à l'offensive de la 48è D.I. au Mesnil-Lès-Hurlus (Marne).
Le lendemain soir, alors que sa Cie lutte pour maintenir sa position, il est blessé par balle à l'index de la main droite et évacué sur l'hôpital de Châlons en Champagne où il tombe entre les griffes du médecin-chef Buy.
Déclaration de Lucien Mervelay lors de l'instruction :
« Le 13 mars 1915, vers 6h30 du soir, j'étais dans un boyau en avant du Mesnil-Lès-Hurlus quand le sergent Boulais, de ma section, m'a demandé d'aller chercher des fusées au poste de commandement. A peine avais-je fait une centaine de mètres... que je me suis senti blessé à la main droite, le fût de mon fusil en a été brisé et le magasin contenant les cartouches s'est trouvé vide. J'ai transporté mon fusil ainsi brisé jusqu'au poste de secours. Aussitôt blessé, j'ai crié "Sergent Boulais, je viens d'être blessé !" »
Mais quelques jours plus tard il donne devant le Conseil une autre version des faits :
« Contrairement à ce que j'ai dit à l'instruction, je dois dire que je me suis blessé moi même volontairement. Pour me blesser, j'ai pris mon fusil par terre en long, je me suis mis à côté et j'ai fait partir le coup, après avoir préalablement mis ma main blessée devant le canon. Mais comme il faisait nuit, je ne peux préciser la distance. Je voulais cacher ma faute en niant, mais je me suis décidé à avouer l'acte que j'ai commis volontairement. Quand j'ai fait cela, j'étais comme fou. Je ne savais plus ce que je faisais. Je me repens de ma faute et demande à retourner auprès de mes camarades pour me racheter. »
Les états de service médiocres du soldat Mervelay (son lieutenant le décrit comme un mauvais soldat et il cumule une vingtaine de punitions pour ivresse et indiscipline) ainsi que le certificat accablant du Dr Buy, inclinent les juges à le condamner à mort pour "abandon de poste en présence de l'ennemi" à la majorité de 3 voix contre deux.


Charles Auguste Joseph Cailleretz, né le 11 mai 1890 à Berles (Pas de Calais), cocher, célibataire, 1ère classe au 8è R.I. Hospitalisé du 10 mars 1915 au 1er avril 1915, date de l’audience du CG du QG de la IVè armée, ce qui laisse supposer qu'on l'a soigné d'une blessure afin de l'exécuter guéri.
« Le 7 mars j’étais allé passer la visite à Mesnil, visite qui n’a pas eu lieu. J’ai regagné ma Cie à 8h du matin et j’ai été blessé dans le boyau du Bois Accent à l’endroit où le boyau était éboulé, d’une balle au doigt majeur de la main gauche… J’avais mon fusil dans la main gauche. Aussitôt blessé j’ai lâché mon arme. » Seul témoin cité contre lui, Dr Buy, dont le rapport convainc les juges à l’unanimité. « plaie par arme à feu avec perte des parties molles recouvrant l’extrémité de la 3è phalange du médius gauche : tatouage noir, très net recouvrant toute la face antérieure de ladite phalange ; »
Avis du chef de bataillon Hinaux : « La conduite du soldat Cailleretz, évacué pour blessure suspecte, n’avait donné lieu à aucune remarque depuis le début de la campagne.

Louis Joseph Grard, né le 26 mars à Provin 1893, mineur, célibataire, soldat au 127è R.I. (Mème audience du 1er avril 1915, condamné à l’unanimité), punition : néant.
Grard paraît avouer que dans la nuit du 2 au 3 mars à Beauséjour c’est bien son propre fusil qui l’a blessé après qu’il ait tenté d’en débouche le canon après avoir tenté de se dépêtrer des fils téléphoniques. Rapport Buy : « plaie perforante de la 1ère phalange de l’index droit : le projectile est entré par la face antérieure de la phalange et est ressorti au niveau de la racine de l’ongle : tatouage très marqué avec piqueté discret, mais net, sur la face antérieure de la 2è et 3è phalange de l’index ».
Une enquête « extra-judiciaire » (insistant sur la nécessité de faire le moins de frais possible) est prescrite par le ministre de la guerre en 1932 sur la requête de la mère de Grard. Gustave Accoud, évacué pendant les faits, rapporte : « Les camarades m’ont dit que d’après eux Grard avait été blessé à la main par une balle allemande en relevant un fil téléphonique de la tranchée sur le parapet. »

Marcel Théobald Pollet, né le 6 juin 1891 à Lille, marchand de quatre-saisons à Amiens, célibataire, soldat au 72è R.I.
Blessé à la main droite à Mesnil-les-Hurlus le 24 février vers 17 heures : « C’est en voulant monter sur le parapet de la tranchée que j’ai été blessé par mon propre fusil. Je m’aidais avec celui-ci et j’avais mis la paume de la main au bout du canon, la baïonnette était mise. J’avais pris mon fusil de cette façon à pleine main… Je n’ai pas en effet raconté cette version à l’instruction, mais je ne puis dire comment le coup est parti. J’étais à genou sur le bord du parapet de la tranchée, m’aidant avec mon fusil pour me hisser. »
Condamné à l’unanimité sur certificat du Dr Buy. Il fut inhumé à St-Amand-sur-Fion, puis à Courdemanges en 1920 avant d'être transféré comme les autres à la nécropole de Vitry le François
Le conseil de Guerre avait vu les choses en grand, réunissant en zone arrière 6000 hommes (170è, 174è, 95è brigade) contre les 500 à 1000 habituellement convoqués au spectacle le 3 avril 1915 à 7h45.
Témoignage du soldat Devaux, 6è Cie du 170è R.I. (tel que publié en octobre 1955 dans L'Hirondelle) :
Pâques 1915, secteur des Eparges : ce samedi de Pâques, le réveil avait été sonné avant l'aube. Les caporaux avaient eu du mal à nous faire sortir de notre magnifique litière de foin dans lequel nous nous étions enfoncés avec délices...
Péniblement la Cie s'est rassemblée. Les caporaux lancent dans la nuit leur rapport : « Manque personne ». Et le bataillon bientôt quitte la route pour prendre son emplacement sur le terrain. Les Cies en ligne sur deux rangs, les troupes -le 170è et le 174è- sont disposées sur les trois côtés d'un carré, et dans le jour qui commence à se lever, nous distinguons le quatrième côté ; il est formé par une espèce de remblai ; à peine ébauché sur la gauche de la Cie, il s'élève rapidement formant, une butte -une butte de tir.
Déjà les uns ont vu ce que les autres devinent à peine -quatre poteaux. Il semble que l'air soit soudain devenu plus froid à la vue de ces poteaux et de leur tragique signification. La Cie est au repos ; mais le trouble saisit chacun -déjà la mort rôde. Chacun voudrait fuir l'épouvantable scène à laquelle nous avons été conviés.
Les pelotons prennent silencieusement leurs emplacements ; ils sont là, l'arme au pied ; un adjudant les commande avec quatre sergents.
Mais déjà le capitaine a commandé : « Garde à vous ! Présentez armes ! » Et là-bas, sur la droite, dans l'intervalle libre entre deux compagnies, s'avance un camion. Dans l'atmosphère sinistre tout à coup éclatent les notes joyeuses, du général qui passe.
L'air est devenu glacial.
Le camion s'est arrêté devant la 6è Cie, et, un à un, quatre hommes -quatre soldats français- descendent, immédiatement encadrés par deux gendarmes ; l'aumônier est avec eux.
Rigides, dans un « présentez armes » plus impressionnant qu'à une revue, nous les voyons tranquillement, sans défaillance, s'avancer vers leur dernier matin.
Le silence s'est fait, profond, épouvantable, et grandiose.
Ils sont là, chacun agenouillé devant son poteau et, quelles que soient leurs fautes, nous leur rendons les honneurs. A cette minute, ce sont des hommes.
Tandis qu'on leur bande les yeux, les pelotons, sur un signe, se sont rapprochés.
L'adjudant a levé bien haut son sabre ; les fusils visent sur la cible à dix pas.
Nous sommes figés, glacés, transis ; nos cœurs bondissent furieusement ; la respiration manque.
Un cri, un hurlement : « feu ». Le sabre s'est abaissé, la salve est partie ; le silence, trois bruits assourdis par l'herbe, puis le dernier homme s'écroule face contre terre.
Les sergents, détournant la tête, ponctuent le dernier adieu d'un coup sec de leur revolver.
C'est fini !
L'air est plus chaud, le fusil moins pesant et la musique entonne une marche entraînante.

Témoignage de Maurice Bedel, médecin aide-major au 2è bataillon du 170è R.I. (Journal de guerre 1914-1918) :
5 avril 1915, Saint-Amand
Nous avons assisté ce matin à l'exécution de quatre militaires condamnés à mort.
La cérémonie s'est déroulée à 1500 mètres du village dans une prairie encaissée, formant un carré dont trois côtés étaient occupés par les troupes de la brigade, et le quatrième et le quatrième, au pied d'un talus, par les quatre poteaux d'exécution.
L'exécution doit avoir lieu à sept heures. A 6 heures nous sommes déjà sur le terrain. Six mille hommes sont présents avec drapeau, clairons, tambours, voir même chevaux de mitrailleuses. Le ciel est bas. Il tombe une petite pluie fine et froide, qui nous fait grelotter. Devant chaque poteau, à dix mètre,, viennent se ranger, sur deux rangs chacun, les quatre pelotons d'exécutions constitués par les plus anciens sergents, caporaux et soldats de la brigade. L'ensemble est commandé par un vieil adjudant. Il me semble qu'il y a une douzaine d'hommes par peloton.
L'attente dure une heure et demie. Les condamnés amenés en automobiles sont en panne à quelques kilomètres. Enfin, ils arrivent.
Quel soulagement pour nous qui souffrons pour eux !.. Le camion, recouvert d'une bâche, sur laquelle sont peintes au milieu d'ovales blancs des croix de Lorraine noires, se hisse péniblement sur l'herbe grasse jusqu'au niveau de la ligne des poteaux. L'arrière est ouvert et laisse voir en compagnie de huit gendarmes quatre pauvres types en capote, le képi sur la tête. Ils n'ont pas des têtes de révoltés. Oh non ! ce sont quatre mutilés volontaires. L'un d'eux, le plus jeune, porte un pansement à la main gauche. Il sautent l'un après l'autre, mêlés aux gendarmes du haut de l'automobile. Ils sont solides sur leurs jambes., dociles comme des moutons, silencieux. L'aumônier arrive jusqu'à eux, il ne peut articuler une parole. Ils dirigent, chacun entre deux gendarmes jusqu'au dernier des quatre poteaux. A ce moment les tambours et les clairons battent et sonnent. Le commandement du « Présentez armes ! » retentit dans les bataillons et une haie de baïonnettes se hérisse soudain devant le lieu de supplice.
Les quatre hommes toujours dociles et disciplinés jusqu'au bout cherchent la place qui leur revient. L'un d'eux demande à un gendarme, en désignant un des poteaux : « C'est ma place, celle-là? »
On les adosse au piquet lentement. On les agenouille. Le plus jeune ne pose qu'un genou à terre. Avant de recevoir le bandeau sur les yeux, il peut apercevoir un groupe de soldats qui la pelle et la pioche à la main, attend dans un coin pour l'ensevelissement.
Un soldat se détache de chaque peloton, noue posément un large bandeau blanc sur les yeux de chaque homme. Il se retire en même temps que les gendarmes sur la pointe des pieds... Tout cela dure très longtemps, est fait avec une horrible lenteur, un calme inouï.
Pendant que les gendarmes se retirent, les deux rangs de pelotons se rapprochent jusqu'à quatre ou cinq mètres des condamnés.
« Feu ! »
Une énorme détonation. Quatre corps qui s'effondrent. Un cri. Un seul. Et puis quatre coups de revolver dit « coup de grâce ».
Au pied de chaque poteau un corps replié, les genoux ployés, la face contre terre. Et c'est devant cette pauvre loque bleue éclaboussée de sang que défile la brigade entière, l'arme sur l'épaule, baïonnette au canon.
J'oublie de noter que pendant la cérémonie de l'agenouillement et du bandeau, un gros homme à trois galons a lu les sentences des condamnations, que personne n'écoutait.
Quand les 6000 hommes ont défilés, je pense au motif de leur exécution : mutilation volontaire. J'évoque l'enfer des Hurlus... Est-ce bien de sang froid qu'ils se sont mutilés? Ils « étaient fous ». Mais quelle leçon pour les spectateurs terrifiés de ce matin ? C'est l'excuse de cette lente et sinistre cérémonie à laquelle on a eu tort de faire assister notre drapeau.
Comme ils sont pâles ces colonels, ces officiers, ces soldats qui regagnent Saint-Amand sous la pluie fine. Et comme ils sont silencieux!..



3 avril 1915, Sivry sur Ante (Marne) : les 3 du 14è R.I.


JMO du 14e RI (26N586/3) en date du 3 Avril 1915:
Le régiment se repose et reforme à Sivry sur Ante.
A 17 heures a lieu une parade militaire pour l'exécution de 3 soldats du régiment condamnés à mort par le conseil de guerre pour "abandon de poste en présence de l'ennemi".
Théodore Bonnemaison, né le 3 octobre 1889 à Agen, peintre en bâtiments, célibataire, 2è classe au 14è R.I. Combattant sans souci jusqu'en mars 1915. Alors que sa compagnie monte de la Cheppe aux tranchées de première ligne, il s’arrête aux 3/4 du chemin pour se reposer dans un abri. Le rapport du commissaire Zamlinsky est d’une brièveté tranchante : « Le 16 mars 1915 la Cie se rendait aux tranchées pour l’attaque. En passant au bivouac de 204, vers 4h30, le soldat Bonnemaison s’est arrêté au lieu de suivre sa Cie. Dans une guitoune où il était caché avec son camarade Roy, il fut découvert par un officier de chasseurs et des gendarmes. Ces derniers l’obligèrent à rejoindre spn poste où il arriva à 11h30. A l’instruction Bonnemaison reconnaît la matérialité des faits qui lui sont reprochés, il invoque seulement comme excuse la maladie, sans apporter à ce sujet la moindre justification. En réalité, Bonnemaison a voulu se soustraire à son devoir, ce n’est pas d’ailleurs la première fois qu’il peut se reprocher cette faute. » Aucune preuve n’existe au dossier de cette dernière allégation.
Déféré devant le conseil de guerre de la 34e DI le 1er avril 1915 Bonnemaison est condamné à mort pour « abandon de poste en présence de l'ennemi ».
Rapport du Major Silvestre :« Le soldat Bonnemaison est décédé des suites des plaies plaies pénétrantes par balles, situées dans les régions suivantes : trois dans la région du coeur, deux à la base du cou, trois dans l’épigastre et une dans la région inguinale externe droite, coup de grâce à la tempe gauche ». Inscrit au monument aux morts d'Agen. « Tué à l’ennemi » : Mort pour la France.
Charles François Roy, né le 30 décembre 1889 à Agen, télégraphiste, 2è classe 14è R.I.
Condamné à l’unanimité. Silvestre : «  Cinq dans la poitrine, région du cœur, une à la base du cou, deux dans l’abdomen, une poignet gauche, coup de grâce dans la nuque à gauche. » Encore une fois, le crime est déguisé en « Tué à l’ennemi » et Roy Mort pour la France.
Bertrand Théophile Manent, né le 13 octobre 1889 à Esbareich (Hautes-Pyrénées) où il est cultivateur, 2è classe au 14è RI.
Manent aurait abandonné sa compagnie aux tranchées le 16 mars vers 10h à quelque distance de la « cabane forestière » pour ne reparaître que le 18 mars, 18h. Il dit que malade (coliques), il n’a même pas rejoint, étant demeuré au bivouac de la cote 204 près des cuisines du 143è.
Rapport du Lt Tresmouran : « Le soldat Manent est présent sous les drapeaux depuis le début de la guerre ; Il n’a guère donné satisfaction dans sa manière de servir, et ne s’est distingué en aucune circonstance. Une bonne leçon s’impose, et serait salutaire auprès des militaires de la Cie ».
Major Silvestre : « 4 dans la poitrine,une à la base du cou, une dans le ventre, une dans la cuisse gauche et une jambe droite, coup de grâce dans l’oreille droite » Reconnu Mort pour la France (figure sur plusieurs monuments)
Condamné solidairement pour "abandon de poste en présence de l'ennemi, à la peine de mort" par le CG de la 34è DI ce même 1er avril 1915, le soldat Henri Borde, né le 11 novembre 1888, voit sa peine commuée en vingt années d'emprisonnement le 2 mai 1915. Le 27 mai 1915, il passe au 59è régiment d'infanterie et "est tué à l'ennemi le 21 septembre 1915".


Théodore Mastwyk, né le 20 octobre 1875 à Harmelen (Pays-Bas), soldat au 2è R.M. du 2è étranger, exécuté le 4 avril 1915 à Le Blanc-Sablon (Aisne), sans trace de jugement.


Lucien Jean Levieux, né le 16 octobre 1892 à Saint Adresse (Le Havre). Journalier, célibataire, est condamné à mort par le conseil de guerre de la 29e D.I pour « refus d'obéissance pour marcher contre l'ennemi -et outrages par paroles et gestes de menaces envers des supérieurs » fusillé le 5 avril 1915 à Avocourt (Meuse), au lieu-dit "rendez-vous de chasse" à 6 km au nord d'Aubréville, forêt de Hesse.
Avec lui, du même régiment, François Marie Penvern, né le 14 mai 1892 à Relecq-Kerhuon (29), célibataire, boucher,engagé volontaire (marine).
Rapport sur l'affaire des soldats Penvern, Levieux et Ruellan du 3è RI:
« Dans l'après-midi du 22 mars, à Brabant, quatre soldats du 3è d'infanterie -anciens disciplinaires,- ivres, faisaient du tapage au poste de police. Les musiciens préposés à leur garde (en raison de la relève...) n'en pouvaient venir à bout. Le capitaine d'artillerie Ravaille envoya pour les maîtriser 1 brigadier et 4 canonniers. Il vint lui-même voir ce qui se passait. Alors se déroula la lamentable scène d'indiscipline (...) Les quatre hommes -Levieux, Penvern, Ruelland et Ragot-eurent envers le capitaine et le brigadier une attitude de la dernière insolence. Levieux, se campant devant le capitaine Ravaille lui jeta à la figure : « vous avez servi dans la coloniale vous ?.. Eh, allez vous coucher ! » accompagnant cette injure d'un geste méprisant du bras. Penvern, lui, débraillé, comme fou de colère, se précipitait les poings menaçants sur le brigadier Roux. Il se calma d'ailleurs instantanément devant le revolver que ce gradé braqua sur lui. Quant à Ruelland il refusa de se défaire d'un bidon de vin que le brigadier dut lui enlever.
Quelques instants après les quatre hommes se roulaient à terre dans un coin du poste se livrant à diverses excentricités. Le brigadier et ses hommes entendirent alors sans pouvoir préciser qui les prononçait, des phrases comme : « Ils y passeront tous.. nous nous vengerons aux tranchées ».  Enfin Penvern, montrant une photographie d'un parent à lui, brigadier d'artillerie dit en montrant le brigadier Roux : « Ce n'est pas une vache comme toi. S'il était aussi méchant, je lui ferais la peau! »
Les lieutenant (...) décidèrent qu'ils monteraient aux tranchées le jour-même... sous la conduite du sergent Borel et du caporal Morelli. Devant leurs officiers les inculpés furent assez calmes et déclarèrent qu'ils partiraient.(...) Mais quand ils furent seuls avec le sergent et le caporal, le scandale reprit de plus belle. Le départ de Brabant fut l'occasion du plus triste spectacle d'indiscipline collective. Jetant leurs sacs à terre, se roulant sur le sol, marchant quand ils voulaient et s'arrêtant de même, les quatre anciens disciplinaires n'en faisaient qu'à leur guise. (...) En sortant du village, l'un d'eux, Ragot, rencontrant couché en bord du chemin un autre et disciplinaire ivre lui-aussi, se jeta sur lui, se roula à ses côtés et saisissant son fusil fit partir le coup. Les gradés ne croient pas d'ailleurs qu'il l'ait fait avec intention.
Le trajet se continua ainsi dans la direction de Parois. De temps à autre ils se couchaient et les gradés devaient user de persuasion pour les décider à reprendre la marche. Ils ne cachaient pas d'ailleurs leur intention de ne pas aller plus loin que Parois. Effectivement arrivés au poste de police de Parois ils s'arrêtèrent et déclarèrent catégoriquement qu'ils n'iraient pas plus loin. Les deux gradés insistèrent en vain et décidèrent à les faire coucher à Parois.
Le lendemain matin ils ne firent pas trop de difficultés pour repartir et se contentèrent -comme compensation- d'un café que leur offrit le sergent Borel pour les décider.
Le lendemain des faits, Ragot fut blessé dans les tranchées et sa cause fut disjointe de celle de ses camarades. »
Le rapporteur suggéra d'abandonner contre Ruellan l'accusation d'outrage, ce qui lui sauva la vie.


Jean Favier, né le 1er octobre 1888 à Verrières-en Forez (Loire), chasseur au 12è BCA : fiche de décès seule qui précise « Fusillé. Condamné à la peine de mort par le CG de la 47è DI en sa séance du 3 avril 1915 pour abandon de poste par mutilation volontaire en face de l’ennemi ».
Son nom figure sur le monument aux morts de Verrières-en-Forez.




Adolphe Jean Joseph Pouzols, né le 7 décembre 1884 à Jonzieux, chasseur au 51è BCA depuis le 8 août 1914.  Probablement condamné à la peine de mort le 3 avril 1915 par le CG de la 47è, sa fiche de décès, est beaucoup moins explicite ne mentionnant que « a été fusillé » le 5 avril 1915 au champs de tir de la garnison de Gérardmer, comme (et sans doute avec) le précédent.


Louis Habay, né le 7 février 1878 à Paris 2è, emballeur, soldat au 291è R.I.,
Le 25 mars 1915, alors qu'il est puni de prison, Habay avait été commandé pour aller à 13 heures, travailler avec une corvée de terrassement, à une place d'armes qu'on creusait à droite de la tranchée de première ligne. On ne le trouva pas au départ de la corvée. Après enquête, le capitaine apprit le lendemain que Luis Habay devait se trouver à Réims dans une pâtisserie mal famée de la rue de Neufchâtel. Il envoya un sergent et un caporal le chercher. La propriétaire de cet établissement fit beaucoup de difficultés pour reconnaître que Habay était chez elle ; elle finit cependant par les conduire à la chambre où il se trouvait. Habay les accompagna sans résistance mais arrivé place de la République, il rencontra des camarades, causa avec eux, puis refusa de suivre le sergent et le caporal, disant qu'il rentrerait bien tout seul. Il leur aurait adressé des menaces, mais cet épisode resta assez confus à l'audience. Les deux gradés manquèrent de fermeté et laissèrent Habay s'échapper. Le soir, il tomba sur un médecin-major du 320è qui le fit ramener à son cantonnement. Malgré la surveillance spéciale dont il était l'objet, Habay parvint à s'échapper avant son transfèrement à la prison militaire le 27 mars à 5h. Il fut retrouvé par une patrouille lancée à sa recherche à 14h30.
« Habay est un récidiviste. Il avait été condamné par le CG de la division à deux ans de prison pour abandon de poste sur un territoire en état de siège. Il avait alors bénéficié du sursis, et du 320è son régiment d'origine, il avait été affecté au 291è. Traduit devant le conseil de guerre sur citation directe… Habay a reconnu les faits ; il a déclaré qu'il venait d'apprendre que la femme avec laquelle il vivait était devenue folle, et que cela lui avait fait perdre la tête. Le conseil a écarté les outrages qui n'ont pas été suffisamment démontré à l'audience et condamné Habay à la peine de mort pour abandon de poste en présence de l'ennemi.
« ...Je n'ai menacé le sergent et le caporal, je n'ai pas dit les paroles qu'on me reproche… Je me suis échappé le lendemain. Les effets civils étaient à moi ; je les avais dans un ballot. Je mets les effets civils sous ma tenue… Je venais de recevoir une lettre de ma belle-sœur, que ma femme était folle et venait d'entrer à Villejuif… Je n'ai jamais vu de femme dans cette pâtisserie. »
Sergent Herbin : « Lorsqu'il est parti il nous a menacés en disant qu'il avait des cartouches et un fusil et qu'il savait s'en servir. Nous n'avons pas insisté pour ne pas causer de scandale. »
Sous Lieutenant Gilot : Habay est à la Cie depuis 2 mois et demi. Je n'ai jamais rien eu à lui reprocher… Lorsque j'avais des travaux pénibles, je les lui faisais faire et il les faisait volontiers »
Habay : Je demande à retourner sur le front pour venger la mort de mon frère. »
L'avis du Lt-Colonel Bataille, commandant de régiment à l'origine du dépôt de plainte ne s'embarrasse pas de calomnies hystériques : « Habay est un malfaiteur. Il est, pour tous, un véritable danger. C'est un individu qui n'hésitera pas plus à se servir de ses armes contre un de ses camarades ou un de ses supérieurs, qu'à passer à l'ennemi et à lui dévoiler ce qu'il a pu apprendre. Il est à souhaiter que l'armée soit, enfin, débarrassée d'un pareil sujet et qu'un exemple sévère vienne avertir les quelques mauvais soldats trop portés à imiter Habay. »
Avis du général Siben, commandant la 103è brigade : « Habay doit être traduit en conseil de guerre et il est à désirer qu'un exemple énergique soit fait ; les régiments sont infrstés d'individus comme Habay qui, après une condamnation en CG sont changés de corps, mais nullement amendés, et ne sont que des ferments d'indiscipline ». (Traduction : fusillons tout le monde!)
Le CG de la 52è DI obéit aux ordres de ses chefs et condamne Habay à l'unanimité à la peine de mort. Il est fusillé à Trinqueux « au lieu ordinaire des exécutions » le 6 avril 1915 à 5h30.


Joseph Séraphin Boudaillez, né le 24 juillet 1881 à Auby dans le Nord, menuisier, célibataire, soldat au 100è R.I.. A la suite d'une méningite, à l'âge de 19 ans Boudaillez a été interné 26 jours à l'asile d'Armentières. Il ne s'en serait jamais tout à fait remis et a été ajourné deux fois avant d'être incorporé ; pendant son année de service militaire, il est à nouveau interné pour maux de tête et faiblesse mentale et demeure en traitement jusqu'à sa libération. Neuf ans se passent sans incident jusqu'à la mobilisation.
Le 27 octobre 1914 vers 13 heures, étant seul en faction dans une tranchée de première ligne, Boudaillez se blesse à la main gauche. Tout le débat repose sur le fait de déterminer s'il s'agissait d'un accident ou d'une mutilation volontaire. Le chef de bataillon est d'avis qu'il n'y a pas lieu d'informer, mais le général de division en décide autrement. Un premier examen mental en décembre incline à ramener Boudaillez à l'arrière pour le mettre en observation prolongée, en réalité déterminer s'il est un habile simulateur. Le médecin-expert obtient des aveux et conclut à la responsabilité limitée le déclarant « faible d'esprit d'un niveau mental inférieur à la moyenne ». Le 6 février, le médecin principal Delamare fait adresser avec avis favorable une demande de mesure de grâce directement au Ministre de la Guerre. Ce n'est que le 15 mars que le commissaire rapporteur, par peur de le perdre sans doute, ou manifestant simplement son impatience, émet un mandat d'amener Boudaillez « détenu à l’Hôpital du Val de Grâce à Paris ». Il rencontre cette réponse du sergent de garde : « le soldat Boudaillez a quitté l'hôpital le 16 mars 1915, accompagné d'un gradé qui l'a conduit sur sa formation pour y être jugé ».
Devant le CG de la 24e D.I. le 5 avril 1915, le sous-Lieutenant Castillon déclare que Boudaillez n'a pu se blesser accidentellement ; il estime que l'acte n'a pu être que volontaire. Boudaillez était depuis huit jours seulement à la Cie. Il a fait l'impression d'un déséquilibré. En arrivant dans la tranchée ne cessait de tirer sans raison. On a été obligé de le mettre sous surveillance d'un sergent pour l'empêcher de tirer sans arrêt. Ce témoin a entendu dire par son caporal que Boudaillez, 2 ou 3 jours avant, a bu son urine dans la tranchée.
Le sergent Soustre, tout en considérant Boudaillez « comme un arriéré et un faible d'esprit » qui, « sournois, cherchait la solitude » dresse un portrait assez différent, reconnaissant qu'il était bon soldat, exécutant bien les corvées et n'ayant jamais fait preuve de mauvais esprit ou d'indiscipline.
Condamné à mort à la majorité de 4 voix contre 1 pour « abandon de poste en présence de l'ennemi », Boudaillez est fusille le 6 avril 1915 à Villers-en-Haye (Meurthe et Moselle) à 18 heures. Une balle au front a déterminé la mort instantanée.


Adolphe Jean Marie Lhuillier , né le 21 août 1892 à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, célibataire, inscrit au quartier maritime de Saint-Gilles, incorporé au 1er bataillon d’infanterie légère d’Afrique en 1912, chasseur de 2è classe. Condamné au civil dès l'âge de 16 ans pour vols (3 fois) et coups et blessures (1911 et 1912)
« Le 20 décembre 1914, vers 21h30, à Berguent (Maroc), le chasseur Lhuillier, en état d'ivresse, causait du scandale dans la chambre ; criant « aux armes »il voulait faire lever ses camarades et aller avec eux délivrer le clairon Resson, puni de prison. Le sergent Bacq intervint, aidé du caporal Ferré, chef de patrouille. A peine celui-ci fut-il en sa présence que Lhuillier, s'élançant, lui porta deux coups de poing à la figure ; il saisit peu après sa baïonnette, puis, se ravisant, son fusil et un paquet de cartouches : « Attends, une balle ça vaudra mieux ! », dit-il. A ce moment, il fut désarmé par les hommes de garde qui ne purent toutefois le maintenir. Il se précipita alors sur le sergent Bacq à qui il donna un violent coup de poing dans la poitrine et sur le caporal Guérineau qu'il frappa pour la deuxième fois d'un coup de pied. Maîtrisé enfin et emmené aux locaux disciplinaires, il ne cessa d'insulter les gradés : « Bandes de vaches, bande d'enculés, je vous crèverai la peau ! » (…) Ainsi que l'attestent son folio de punition et l'extrait de bulletin confidentiel, Lhuillier met au service du mal son caractère brutal ; d'une intelligence au-dessus de la moyenne et tout en servant généralement bien, il a des sursauts d'énergie qu'il exerce autant contre ses camarades que vis-à-vis de ses chefs. »
Quinze jours auparavant, Lhuillier avait été relevé de l'emploi d'ordonnance qu'il avait rempli pendant 17 mois auprès du Lieutenant Guamot, à la suite d'une bagarre : « a roué de coups sans motif un conducteur du train qui, par suite, a été dans l'impossibilité d'assurer son service ».
Condamné à la peine de mort (4 voix de majorité) le 2 février 1915 par le 1er conseil de guerre de l'Amalat d’Oujda, grâce rejetée le 2 avril, Lhuillier est fusillé à Oujda le 6 avril 1915. Son nom figure pourtant sur le monument aux morts de Saint-Gilles, pas sur la plaque commémorative de l’église.


Eugène Honoré Maxime Morelli du 7e BCP, originaire de Nice (12 mars 1884) est « fusillé » exécuté le 7 avril 1915 à Wesserling. (fiche de décès seule, pas de procédure).


Karl Vogelgesang (dit Gotthold), soldat du 36è R.I. allemand Magdebour, régiment responsable de "28 massacres de civils et de 83 incendies entre le 16 et le 18 août 1914" en Belgique. Blessé et fait prisonnier lors de la bataille de l'Ourcq, en septembre 1914 il est hospitalisé à Évreux, où il subit une fouille. Un carnet, qui relate toutes les exactions et pillages auxquels s'est adonné son régiment, est retrouvé sur lui. L'affaire est jugée par le Conseil de guerre de Rennes, qui est compétent pour l'ensemble des actes commis sur un territoire allié. Il est condamné à mort le 26 février 1915 par le Conseil de Guerre de la 10e Région militaire pour "pillage en bande avec armes et homicide sur des militaires blessés hors d'état de se défendre"; son recours en grâce ayant été rejeté rejeté le 5 avril 1915 il est exécuté à Rennes le 9 avril. 

Ben Mohammed Ahmed, né en 1893 à Casbah ben Ahmed (Maroc), ouvrier laboureur à M'zab Chaouia, spahis au 3è rgt de marche de spahis marocains, 9è escadron
le 8 mai 1915, vers 19h, le spahi Ahmed se rendit à maison de tolérance de Laouia Badaoui et demanda à la pensionnaire Ysa bent Hamadi de passer la nuit avec elle, et fut éconduit. Ladite Ysa était en rendez-vous dans sa chambre avec sa sœur Aïcha, deux civils, Mohmed Chaoui et El Achemi ben Ahmed, et un spahi du 4è Rgt, quand, vers 23 heures, elle entendit des coups de feu tirés dans la cour du fondouk. Le spahi ben Ali ouvrit la porte et vit Ahmed, armé d'une carabine qui menaçait les femmes des chambres voisines de tirer sur elles si elles ne rentraient pas dans leurs appartements. Apercevant ben Ali, Ahmed tira un coup de feu sans l'atteindre. Rechargeant son arme il visa plus bas et atteignit la porte de la chambre derrière laquelle s'était groupés les occupants. La balle atteignit Aïcha sous le mamelon droit et la tua sur le coup. Mohamed Chaoui, accroupi derrière la porte voulut sortir, mais au moment où il se relevait, il fut atteint à son tour d'une balle sous l’œil qui, pénétrant dans la boîte crânienne le tua instantanément. Une troisième balle au travers de la porte atteignit El Hachemi, le blessant grièvement. Attirés par le bruit le patron et le portier de l'établissement essayèrent de monter au premier étage, mais durent rebrousser chemin après avoir essuyé un nouveau coup de feu qui les manqua. Pendant qu'ils allaient chercher les gendarmes, Ahmed tenta de se suicider. Il fut interpellé un peu plus tard dans la rue.
Ahmed reconnut les faits : rendu furieux par le refus d'Ysa qui était sa maîtresse (elle dit aux gendarmes ne pas le connaître), il s'empara aussitôt de son arme dans l'intention de revenir la tuer, supprimant au passage tous ceux qui auraient pu tenter de s'opposer à son acte. Ben Mohammed Ahmed était jusqu'au jour des crimes reconnu comme un bon soldat, faisant son service avec exactitude, exempt de punitions et sans antécédent judiciaire connu.
« Quant au meurtrier, auquel avons également donné nos soins, écrit le médecin-chef de l'infirmerie indigène de Meknès, il s'est tiré un coup de fusil à bout portant, lequel a produit une plaie en séton au niveau de la 8è côte, blessure n'offrant aucun caractère de gravité ».
Ahmed est condamné par le CG des troupes d'occupation du Maroc occidental le 27 mars 1915. Le 24 février, le même conseil avait condamné pour un tout autre motif et pour des faits remontant au 29 juin 1914 Ben Djouda Ali Ben Lakhder, né en 1886 à Medjez El Bab (Tunisie), cultivateur, marié, tirailleur au 4è RTI, section de mitrailleuse du 2è bataillon.
Ali ben Lakhdar est porté manquant le 29 juin 1914 au poste de l'oued Ifranc, marquant la frontière entre la zone d'occupation française et le territoire tenu par les rebelles Zaïans. Il emporte son fusil et 120 cartouches. Il est arrêté par un Mohagzani le 3 novembre à Hassi el Haouri.
« Lakhder ben Ali s'est rendu coupable du crime de désertion à l'ennemi. Il a abandonné ses drapeaux, et il s'est rendu à l'ennemi, leur donnant un fusil et 120 cartouches, il a séjourné plusieurs mois chez les rebelles et, tout porte à croire que pour avoir la vie sauve, il les a aidés dans leurs entreprises contre nos troupes ».
Ben Mohammed Ahmed et Ali ben Lakhder sont fusillés le 14 avril au camp de Poublan à Meknès (Maroc).


Victor Edouard Etienne Brisard, né le 1er août 1889 à Montsûrs (53), soldat au 124è R.I., condamné par le CG de la 8è D.I.
Dans la nuit du 10 au 11 mars, la 6è compagnie du 124è régiment d'infanterie monte en première ligne, au niveau de Perte-lès-Hurlus, dans la Marne, sans Victor Brisard, qui souffre de coliques. Le soldat, alors âgé de 26 ans, rejoint ensuite son cantonnement, mais il est poursuivi pour abandon de poste. Il est jugé le 16 avril 1915 par le conseil de guerre, à Baconnes. Et fusillé le lendemain à 5 h du matin.
De son dossier militaire, on apprend que Victor Brisard était carrier (ouvrier de carrières) et célibataire, sans descendance et orphelin. Et qu'il a été condamné à deux reprises dans le civil : à 14 jours de prisons pour coups et blessures par le tribunal de Château-Gontier et à deux mois de prison pour vol par le tribunal de Domfront. Les témoins décrivent Brisard comme étant « très mauvais soldat, indiscipliné et malpropre. ». Le rapport médico-légal précise qu'il a été tué par douze balles « dont neuf ont atteint la région du cœur ». Les faits sont implacables et c'est bien une simple colique, qu'elle soit réelle ou simulée, qui a envoyé le soldat Brisard au peloton d'exécution.


René Léon Julien Dubois, né le 21 mai 1893 à Les Moutiers-Hubert (Calvados), cultivateur à Gaillon, célibataire, soldat au 161è R.I.,
(procédure manquante, minutes seules) : Condamnations antérieures : devant le CG de la 40è DI le 6 octobre 1914, 5 ans de prison pour abandon de poste ; 13 mars 1915, 5 ans de travaux publics pour outrage à supérieur dans le service (peines suspendues)
Condamné à mort à l’unanimité le 16 avril 1915 par le conseil de guerre de la 40e DI pour « abandon de poste et désertion en présence de l'ennemi », le 29 mars au bois de la Gruerie, fusillé le 17 à Vienne-la-Ville (Marne) à 14 heures.


Félix François Léon Bertouille, né le 12 mai 1889 à Alençon dans l'Orne, célibataire, cordonnier coupeur, célibataire, marsouin du 6è R.I.C.
Récidiviste de la désertion (deux fois durant son service militaire) il est amnistié par la loi du 5 août 1914 et rejoint le 6è R.I.C.. Il participe à toutes les batailles jusqu'au 9 février 1915 où il est condamné une première fois pour abandon de poste, puis récidive le 26 du même mois.
Le 26 février 1915 vers 14h30, au cantonnement de La Chalade (sic) où son bataillon se trouve en réserve mais en alerte (et donc les hommes consignés avec interdiction de sortir, le soldat Bertouille, prétendant qu’il va faire des courses pour son officier, sort en ville muni d’un faux laisser-passer qu’il s’est fabriqué lui-même. Avec un de ses camarades, Valette (disparu depuis dans l’attaque du 14 mars) il se dirige sur Florent où il boit dans plusieurs débits. Il y passe la nuit du 26 au 27, dans une grange avant de prendre avec le soldat Champagnac rencontré à Florent (blessé et évacué le 14 mars) la direction de Ste-Ménéhould où il est arrêté en complet état d’ivresse.
« Bertouille est, selon son commandant de compagnie un soldat exécrable à tous points de vue ; malgré l’air gouailleur qu’il affecte, il est d’une poltronnerie sans pareille au feu et il est la terreur de la Cie lorsqu’il est en état d’ivresse ».
Déféré devant le conseil de guerre de la 9e D.I. le 16 avril 1915 il est condamné à mort + 2 mois de prison pour « abandon de poste en présence de l'ennemi et ivresse publique et manifeste ». Il est fusillé le 17 avril à Lachalade dans la Meuse à 7 heures.
JMO du 6è RIC: "Le soldat Félix Bertouille est condamné à la peine de mort pour abandon de poste en présence de l’ennemi, et passé par les armes".


Jean-Pierre Bousquet, né le 21 janvier 1890 à Pau, célibataire, clerc de notaire, soldat du 88è R.I. arrivé au corps le 4 août 1914. Il disparaît des lignes où se trouvait sa compagnie, le 8 mars vers Somme-Suippes alors qu'elle allait attaquer devant Perthes-lès-Hurlus, en se cachant dans un gourbi avec son camarade Monteil. Il reste avec les cuisiniers avant de réapparaître le 9 mars à 6h, quand sa Cie est relevée. Ses chefs rendent son exemple « responsable » des défections survenues le lendemain à la 8è Cie. Condamné à mort à l’unanimité le 25 mars 1915 pour « abandon de poste en présence de l'ennemi" » par le CG de la 34è DI, demande de grâce rejetée le 20 avril 1915, Bousquet est fusillé le 18 avril 1915 à 15h à Chardogne dans la Meuse.


Claude Frédéric Laprée, né le 8 janvier 1888 à Lyon 3è, célibataire vivant en concubinage avec une femme mariée en juin 1915, voiturier, soldat au 75è R.I. Condamné en 1910 pour désertion à l’intérieur en temps de paix, et en octobre 1914 pour « homicide par imprudence » (six mois)
Frédéric Charignon (mort en 1941) rédige Souvenirs de guerre d’un poilu de Châteaudouble après la guerre, d’après ses carnets, à la demande de ses enfants. On ignore pourquoi ils s’interrompent à la date du 27 avril 1915, peu après le traumatisme de l’exécution. Dès septembre 1914, il signale qu’on lit aux troupes des ordres sévères sur la discipline et les mutilations volontaires. Les soldats n’hésitent pas à suivre le lieutenant Million-Rousseau parce qu’il donne l’exemple et qu’il a dit avant la sortie : « S’il en est parmi vous qui ont peur, ils n’ont qu’à rester." »Avec le lieutenant Dumas, « tout se passe en famille ». Mais le lieutenant Cantero qui le remplace, venant de la cavalerie, " « est loin de valoir l’ancien ». Il s’en prend au soldat Laprée.


"Vaillant soldat présent pour toutes patrouilles ; étant exempté de corvée par le capitaine (en permission) il refusa de prendre une garde. 8 jours plus tard le lieutenant lui ayant intimé le même ordre trois fois lui met un motif" - déféré le 18 avril 1915 devant un conseil de guerre spécial du 75e R.I. il est condamné à mort pour « refus d'obéissance devant l'ennemi ». La section, « où Laprée était estimé », rédige une protestation en sa faveur. L’escouade de Charignon et de Laprée refuse de participer au peloton d’exécution . Au poteau, Laprée « critique les officiers, mais on l’arrête ». Le régiment doit défiler devant le corps. Charignon et ses camarades reviennent « bien ruinés de cette triste cérémonie. Le soir, à la nuit tombante, quand le lieutenant vient faire l’appel, il fut obligé de faire demi-tour : de tous les cantonnements, on criait : Voilà l’assassin, enlevez-le ». Laprée est fusillé 400 m au nord-ouest de Bayonvilliers dans la Somme à midi.


Gustave Paulin Raoul Motte, né à Marseille le 13 septembre 1875, marié, père d'une fillette de 11 ans, banquier à Carcassonne, lieutenant au 224è R.I.. Engagé volontaire dès 1894, sergent dès l'année suivante, il remplit parfaitement son rôle de chef de section au cours de ses nombreuses périodes militaires quoique ses chef soulignent son "manque d'esprit militaire". Le 18 avril 1912, par exemple, il est sanctionné pour avoir quitté sans autorisation sa compagnie à l'issue d'une manœuvre et rejoint son cantonnement en automobile en doublant la colonne.
Rappelé à la mobilisation en tant que lieutenant de réserve, il arrive en renfort au 224è R.I. le 30 janvier 1915 et envoyé combattre sur le front de Somme (Maricourt). S'estimant lésé par rapport à d’autres lieutenant plus fraîchement promus qui prennent sa place, dépressif et ne pouvant supporter plus longtemps la vue des cadavres, il disparaît de sa compagnie le 1er février 1915 dans le secteur du bois de Pargny (Somme).  Après un long périple durant lequel il réussit à gagner Lyon, Carcassonne, puis Hendaye ; il renonce à passer en Espagne et revient à Marseille voir sa famille avant de se rendre à la place de Limoges.
Déféré le 17 avril devant le CG de la 53è D.I. il est condamné à mort (4 voix contre une) pour « abandon de poste en présence de l'ennemi » : toutefois, peut-être en raison de son grade, les cinq juges signent une demande de commutation de peine… en vain.
Dernière lettre de supplique : « Mon Général, j’apprends par mon avocat la terrible nouvelle. J’affirme au moment de mourir que tout à l’heure mon intention formelle était de me rendre chez vous. Je le jure et cela peut s’établir en cinq minutes par la seule comparution du gendarme à qui je m’étais ouvert de mon projet. Je n’avais donc d’autre but. -Ce serait donc affreux que ce dernier incident me fasse fusiller. Assurez-vous en, mon Général, il est encore temps de me sauver. Au nom des miens je vous en conjure. »
Le peu de pages consacrée au lieutenant Motte sont possiblement la conséquence de la difficulté à le défendre quand on veut se faire l'avocat du diable : Motte se tient dans cette position du milieu où il révère ses chefs, ou fait semblant. Trop respectueux de la hiérarchie à laquelle il croit appartenir de droit, il reste empêtré dans des liens familiaux qui sont les paravents de sa défense. Il agit en aristocrate et en maître. Il réclame qu'on pleure sur son malheur et son vague à l'âme. Alors pleurons !
Motte est fusillé à Bray-sur-Somme sur la route de Cappy le 18 avril 1915 à 19 heures.


Les syndicalistes de Flirey

le 63è au repos dans le village de Maney en avril 1915

Le caporal Antoine Morange et les soldats Félix Baudy, François Fontanaud et Henri Prebost du 63e RI sont fusillés le 20 avril 1915 à Flirey (54) suite au refus collectif de leur compagnie de monter en ligne. Le 19 avril une attaque devait avoir lieu à Mort-Mare au sud de Thiaucourt pour enlever une tranchée encore occupée par des Allemands au centre d'une première ligne conquise quelques jours plus tôt avec la pertes de 600 hommes. La troupe d'assaut chargée de la mission fut tirée au sort et le hasard avait alors désigné une des compagnies déjà fortement éprouvée les 3, 4 et 5 avril au cours des combats sur la route de Thiaucourt. Au signal de l'assaut les 250 hommes refusent de quitter la tranchée "ce n'est pas à notre tour d'attaquer" disent-ils. L'instant d'avant les douze hommes qui avaient jaillis hors de la tranchée avaient été tous fauchés par les mitrailleuses ennemies et gisaient morts ou blessés sous les yeux de leurs camarades.
Le général Delétoile ordonne que les 250 soldats passent en cour martiale pour délit de lâcheté afin d'être exécutés. Après l'intervention de plusieurs officiers cinq hommes furent désignés pour comparaître. un sera acquitté, deux seront tirés au sort dont le soldat Fontanaud natif de Montbron en Charente et le caporal Antoine Morange. Les soldats Baudy et Presbost, maçons tous les deux dans le civil, furent désignés à cause de leur appartenance syndicale à la CGT. Le général Joffre en visite dans le secteur aurait refusé sa clémence aux condamnés en exigeant une sévérité à l'égard de la compagnie. Les quatre hommes sont fusillés à la lisière du bois de Manoville (54).


François Fontanaud
Ce soldat  est d'origine charentaise, son corps est inhumé à Montbron où il est né en 1883. Le lieutenant Meisnieux demande à un soldat de choisir un chifftr, celui-ci dit 17. Fontanaud est en 17è position dans son carnet. L'autre tiré au sort, le soldat Coulon est sauvé in extremis, car considéré comme simple d'esprit et irresponsable.

Antoine Morange était né à Champagnac le 20 septembre 1882. Il était employé des tramways à Lyon.
Déclaration lors du conseil: " J'ai fait comme tous mes camarades qui se trouvaient à mes côtés. Je ne vois pas pourquoi je serais plus punissable que les autres, je n'ai pas vu mon capitaine sortir, ni mon chef de section. Nous sommes nombreux de ceux qui ne sont pas sortis. J'ai toujours fait mon devoir, fait toutes les campagnes. Jamais on a eu à se plaindre de moi."
Son nom ne figure sur aucun monument aux morts.

Henri-Jean Prébost, né le 1er septembre 1884 à Saint-Martin
Félix François Louis Baudy, né le 18 septembre 1881 à Royère-de-Vassivière, était un militant du syndicat des maçons et aides de Lyon de la CGT. C'est un maçon de la Creuse travaillant sur les chantiers de Lyon.

Le corps du soldat Félix Baudy fut transféré au cimetière de son village natal à Royère-de-Vassivière dans la Creuse, une plaque fut déposé sur sa tombe par ses compagnons maçons qui porte cette incription : "Maudite soit la guerre -Maudits soient ses bourreaux- Baudy n'est pas un lâche- Mais un martyr".

 
On fait mettre les 4 condamnés à mort à genoux et on leur bande les yeux. Félix Baudy arrache le mouchoir et crie : "Camarades, tirez droit au cœur ! Vous verrez comment on meurt quand on est français".


Fait exceptionnel, une photo clandestine de l'exécution est prise par Jean Combier, artilleur mais aussi photographe professionnel. Ce cliché distribué individuellement à des soldats n'est retrouvé qu'en 1976 par le fils de l'auteur.
 
Les 4 fusillés de Flirey ont été réhabilités en 1934.


Pierre Louis Marie Le Bihan, né le 18 juillet 1874 au Dreff à Riantec, marin pêcheur demeurant à Kerner , Riantec. marié le 15 novembre 1903, marsouin au 33è RIC, 13è Cie
Le rapporteur : -Que s’est-il passé le 17 avril au soir, jour de la relève du Bataillon à Vergny ?
Georges Caillaux : - Vers 20h30 le suisiniers de la 13è Cie sour les ordres du sergent major Villenave se sont mis en route pour les abris de la cote 181.
Le rapporteur : - Le Bihan faisait-il partie du détachement de départ ?
Caillaux : - Au départ j’ai demandé si Pierre était là, quelqu’un a répondu oui.(…) En arrivant à la tranchée qui barre le col de Vergny-Courtémont, un coup de feu est parti de derrière nous environ vingt mètres. Le soldat cuisinier Cartier a été blessé, nous ne savions pas ce que cela voulait dire. Un deuxième coup de feu est parti presque aussitôt.

Traduit le 20 avril 1915 devant le conseil de guerre spécial du 33e R.I.C., Le Bihan déclare avoir tiré cinq ou six coups de fusil et s’être sauvé après les deux premiers. Il avoue avoir tiré sur le soldat Quefellec qu’il n’avait pas reconnu et explique qu’il a eu peur sans pouvoir donner les motifs de sa peur. L’adjudant Giraud témoigne que Le Bihan avait été placé comme aide cuisinier parce que vieux et maladroit, pour lui éviter les fatigues des tranchées. Il ne s’est jamais aperçu que ses camarades aient pu le brimer. Le Bihan avait demandé à quitter son emploi pour reprendre son service aux tranchées parce que ses camarades les cuisiniers l’embêtaient et qu’il s’ennuyait parce qu’aucun n’était breton. Le caporal d’ordinaire Gustave Papin raconte qu’il rentrait au cantonnement avec ses hommes lorsqu’il entendit une détonation et un soldat crier : « je suis touché ». Quelques secondes après un second coup de feu se fit entendre qui blessait le sergent-major Henri Villenave. Le Bihan se sauva. Papin alla immédiatement accompagné à l’infirmerie le soldat blessé. Quand il est revenu, le sergent-major était mort et l’adjudant avait arrêté Le Bihan. Quefellec, l’un des blessés, était cuisinier et breton, il causait avec Le Bihan. A sa connaissance, aucun des cuisiniers n’avait jamais fait de misères à Le Bihan qui n’était jamais commandé et ne faisait que ce qu’il désirait. Papin n’envoyait jamais Le Bihan porter la soupe au tranchées, craignant des accidents. Après le crime il lui demanda : « M’en vouliez-vous ? » Le Bihan répondit non. « M’auriez-vous tué aussi ? » « Oui, comme les autres » répondit Le Bihan. Le cadavre de sa victime lui ayant été montré, le Bihan dit : « J’ai commis un crime ! »
Le soldat Kerneur connaissait Le Bihan depuis l’enfance, leurs demeures étant distantes de 14 km. 48 heures avant le crime, le jeudi 15 avril vers 16h30, Le Bihan vint trouver Kerneur qui était en corvée et lui demanda d’écrire une lettre à sa famille, ce qu’il ne put faire faute de papier. Il lui dit alors : « L’on va m’envoyer demain sur le front et je serai fusillé » et voulut lui donner son argent, 10 francs, en lui recommandant de les envoyer chez lui. Comme Kerneur ne le prenait pas il jeta ses deux billets de cinq francs sur la route.
Le Bihan déclare regretter beaucoup son acte et savoir pourtant ce qu’il faisait. Il dit que c’est un coup de colère et qu’il est resté en arrière de ses camarades pour tirer sur les cuisiniers et non sur le sergent major qu’il ne connaissait pas. Il demande qu’on le mette en prison mais qu’on ne le tue pas.


Rapport du Médecin-major Foll sur l’examen mental du soldat Le Bihan (extraits) :
« L’examen mental de cet homme présente de grosses difficultés. L’homme ne parle que la langue bretonne. Par suite, il est impossible d’interpréter les nuances de langage qui peuvent mettre sur la voie de certaines affections mentales. Point important : cet homme dit qu’une de ses sœurs a été internée à Lorient pour troubles mentaux)… L’homme est un alcoolique et présente des idées de persécution. Ces idées ne forment pas le « d »lire de persécution » bien caractérisé et sont vraisemblalement sous la dépendance de l’alcoolisme. Il présente des signes de vieillesse prématurée. Agé de 41 ans, il est presque blanc de cheveux et de barbe. Tremblement de la langue, des mains, yeux brillants, faciès hébété. Il a pu se produire une sorte d’action décharge, comme il s’en produit chez les alcooliques privés d’alcool, -et qui peuvent même se produire à la suite d’un rêve ou d’une halluciantion à l’état de veille… j’estime qu’il serait nécessaire qu’une enquête complète soit faite dans son pays. En l’état actuel des choses, il m’est impossible de me prononcer sur la responsabilité de cet homme. »
Interrogatoire Le Bihan : « Les cuisiniers m’ont fait peur, j’ai cru comprendre qu’ils voulaient me manger en salade. J’ai dit ce que j’ai fait, je ne pense rien dire d’autre. Tous les cuisiniers me voulaient du mal, ils m’appelaient sale vache et me maltraitaient continuellement. »


Rapport du Lt Vergnol commandant la13è Cie :« Le contingent nouvellement arrivé, composé de territoriaux originaires de Bretagne et du Midi, et dont l’instruction militaire théorique et pratique laisse fort à désirer, a été très vivement impressionné par ces attentats successifs. Dans l’intérêt de la discipline un exemple s’impose. Il serait donc à désirer que les formes légales fussent abrégées le plus possible et que le soldat Le Bihan fût fusillé dans le délai le plus court devant le bataillon rassemblé. » Rapidement condamné à mort avec dégradation militaire pour « homicide volontaire », Le Bihan est fusillé le 21 avril 1915 à 14h à Dommartin-sous-Hans dans la Marne.


Julien Arthur Cornuwaël, né le 7 décembre 1887 à Lille, célibataire, mouleur, soldat au 107è R.I.

Services : « Vélocipédiste. Sait nager. Déserteur en 1909... Condamné à deux mois de prison le 22 janvier 1915 » pour abandon de poste.

Le 17 avril 1915, avant le départ de sa Cie pour les tranchées. Cornuwaël demanda au Commandant l’autorisation de rester à Mourmelon pour aller le surlendemain prendre un bain de désinfection contre les poux. Mécontent qu’on lui refuse il frappe la crosse de son fusil au sol, ce qui déclenche un tir en l’air.

Selon les notes d'audience du conseil de guerre de la 23è DI  (28 mars 1915) : « reconnaît n'avoir pas obéi aux ordres réitérés de ses supérieurs, parce que, dit-il, il était un peu ivre, et complètement sourd, à la suite du coup de feu, parti par mégarde, près de son oreille. Dit qu'il ne se rappelle pas avoir dit à son chef de section : « Je refuse d'aller aux tranchées car je sais bien qu'on ne pourra que m'envoyer au bagne ». Son chef de section, le caporal Boissaud ajoute : « pendant que je l’emmenais au poste de police, Cornuwaël m’a dit, s’adressant à moi personnellement : « Je ne voulais plus aller aux tranchées ; il y a longtemps que je cherchais une occasion ».

Par télégramme du 23 avril 1915, le Général en chef prévient que le président de la République a reconnu la nécessité de laisser la justice suivre son cours à l’égard des soldats Cornuwaël et Voisin.


Antoine Voisin, né le 1er juin 1891 à Limoges, garçon de magasin, célibataire, soldat au 63è RI.

Engagé pour 3 ans (le 22 février 1910) au 50è R.I.par sa mère remariée. Versé au 2è Bataillon d'Afrique (d'octobre 1912 à janvier 1914 en Algérie et au Maroc). Certificat de bonne conduite refusé. Condamné au civil pour vol, et en octobre 1911 pour vol d’argent au préjudice d’un militaire.


Le 7 février 1915, Voisin était ramené à son corps après avoir été condamné le 5 à trois ans de prison (peine suspendue) pour abandon de poste. Dès qu’il reçut l’ordre de remonter aux tranchées de 1ère lignes en avant de Jonchéry, il n’obéit pas et retourna à l’arrière au cantonnement de Mourmelon le grand, où on le retrouva le lendemain soir, au retour de sa Cie. Dans l’après-midi du 11 février, Voisin est surpris causant du scandale en tenue débraillée dans la rue principale du cantonnement. Le sergent Goudard lui donne l’ordre de renter. Il obtient pour réponse une bordée d’injures : « Tu es un enculé, un enviandé » Puis il saisit une chaise et la lança sur le sergent qui l’évita en s’abritant derrière une voiture. Au sous-lieutenant Jumancourt qui veut intervenir, il dit en serrant les poings : « Toi aussi tu veux des châtaignes ? » Attaché, il continua à invectiver les hommes qui le conduisaient au poste de police, criant « Les limousins, où sont-il ? » comme pour appeler au secours. Et « vous êtes tous des enculés, c’est de votre faute si je suis passé au conseil de guerre : je m’en fous, qu’on me fusille, je demande la mort ! » Le 13 février, échappant à la surveillance au retour des feuillées et profitant de ce que ses gardiens vaccinés la veille sont diminués, Voisin s’enfuit en sautant la clôture. Après avoir erré deux jours dans les bois, il fut arrêté le 15 vers 18h par une sentinelle de Verne à qui il demandait à manger.
« Si j’ai quitté mon corps c’est parce qu’on m’avait enfermé [dans la cave d’une maison pendant deux jours, où l’on ne me donnait que du pain] et qu’en raison du froid on ne me donnait rien pour me couvrir ».
Voisin est condamné par le conseil de guerre de la 23e DI le 28 mars 1915 au moment même où cette division faisait mouvement pour conduire la 1ère offensive de Woëvre.
Cornuwaël et Voisin sont fusillés le 24 avril 1915 à Griscourt (Meurthe et Moselle) 16 heures.


Gaston Charles Joseph Cohet, né le 22 novembre 1888, à Annonay, célibataire, ébéniste à Sablons (38), soldat au 131è R.I. Certificat de bonne conduite en 1911. Condamné à 6 mois de prison, le 2 décembre 1914 par le CG de la 10ème Armée, pour « lacération d'effets militaires ».

Le 13 mars 1915, en forêt d’Argonne, des obus tombent entre 12 et 14 heures à proximité du campement de la 10è Cie du 131è. Ordre est donné à la troupe de rentrer aux abris. C’est alors que Cohet disparaît.
« Je suis arrivé avec un détachement de renfort à une date que je ne puis pas préciser. Je n’avais ni poste fixe, ni Cie attitrée. J’ai été mis auprès d’un ravin, dans une hutte. A un moment des obus sont tombés. Tout le monde s’est dispersé, j’ai fait comme les autres… Quand les obus ont fini de tomber, je suis allé rôder auprès d’autres huttes, je me suis mis avec une section de brancardiers qui transportaient des blessés et je les ai aidés. »
Vers 17h15 ce même jour, les hommes de la 3è Cie le trouvent errant sans arme ni équipement dans leur cantonnement. Il interroge successivement tous ceux qu’il rencontre, demandant le numéro de Cie, l’âge du soldat, s’il est marié, etc. Interrogé il donne une fausse identité. Puis il se ravise. Comprenant qu’on va le ramener d’où il vient il refuse de suivre, prétendant ne pouvoir marcher malgré la triple injonction que lui fait le capitaine. Les soldats l’ayant pris par le bras, il se laissa ensuite entraîner docilement. Le 14 mars, alors qu’il est gardé à vue en attendant son transfert à la prison divisionnaire, il tente de se précipiter sur un des soldats armés qui le gardaient.

Cohet était arrivé sur le front le 11 mars venant du dépôt d’Orléans par un détachement de renfort de quelques hommes seulement. Son caporal avait reçu la consigne de le surveiller particulièrement, car ses chefs le soupçonnaient de simuler la folie ; parti d’Orléans le 10 mars, il s’échappa du train en gare de Joinville et alla se cacher dans la halle aux marchandises où il fut découvert trois heures plus tard par la gendarmerie.
« Si j’avais pu me sauver, je l’aurais fait… parce que je ne tenais pas trop à aller me faire tuer ».
Il dit qu’il a été désigné pour partir sur le front alors que ce n’était pas son tour, ignorant qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire.

Cohet est condamné à mort, le 24 avril 1915 par le CG de la 9ème DI. malgré 3 avis médicaux atténuant sa responsabilité : « ...la guerre actuelle est pour lui comme une sorte d’épiphénomène qui lui vaut des contraintes auxquelles il reste à peu près étranger et ne s’associe pas ; « les journaux disent qu’on est en guerre », il n’en sait pas plus long et il lui est indifférent d’en savoir plus long. Cohet est atteint de confusion mentale chronique symptomatique de démence précoce. Il n’est pas responsable des actes qui lui sont reprochés. » et contre-expertise : Il parle comme s’il ne se rendait nullement compte de la situation actuelle. Il ne comprend pas qu’on le fasse passer au conseil de guerre. Il s’étonne qu’on ne lui laisse pas d’argent et il réclame sa solde. Il dit : « je n’ai pas demandé à être en prison moi ». Il s’insurge contre ses gardiens qui lui mettent le soir des fers ; « J’ai failli envoyer une calotte au gendarme, dit-il, hier ». Il répète aussi souvent ; « on m’empêche de me débrouille, qu’on me lâche ».(…) Cohet présente un trouble intellectuel de nature organique, préexistant peut-être à la guerre, plus probablement déclenché par le surmenage intellectuel qu’impose la bataille, en tout cas de nature à limiter la responsabilité de cet homme. »
Cohet est fusillé le 25 avril 1915 à 8h du matin, à Le Claon (Meuse), avec les soldats

Jules Alphonse Thierry, né le 12 septembre 1892 à Saint-Germain-lès-Arpajons (91), célibataire charretier, marchand de chevaux, soldat au 82è R.I.
Le 17 janvier 1915, vers 14h, Thierry tente d’emboîter le pas à un agent de liaison envoyé rendre compte de l’avancée de l’attaque allemande qui menaçait de prendre sa tranchée. Son caporal d’escouade le rattrape à temps, et le menace de l’exécuter s’il ne reprend pas son poste. Un quart d’heure plus tard, la Cie ayant reçu l’ordre de reculer pour occuper un nouveau front, Thierry disparaît dans le bois et arrive aux cuisines du régiment, accompagné de deux autres hommes, Lambert et Colombo. Là, il dit à l’adjudant Maréchal chargé de la surveillance : »C’est pas la peine de porter à manger au bataillon, tout le monde s’est sauvé. » L’adjudant lui ordonne d’aller rendre compte au poste de commandement du Chef de Bataillon. Il part dans cette direction, mais dès qu’il est hors de vue, oblique vers la Maison Forestière, aux alentours de laquelle il trouve une fourragère sur laquelle il monte avec ses deux compagnon. Il arrive ainsi aux Islettes dans la soirée. Il y passe la nuit et le lendemain vers 10 heure se rend à la Prévôté, dans l’intention d’être reconduit à son corps. Arrivé aux cuisines, il retrouve l’adjudant maréchal qui lui enjoint de rejoindre sa Cie, sans quoi il le fera conduire au colonel entre deux homme armés. Il prend la direction des tranchées, mais, dit-il, surpris par la nuit, s’arrête dans un abri proche du poste de commandement et ne rejoint son unité qu’au matin du 19.
« Il est noté comme soldat douteux, ayant mauvais esprit, tireur au flanc, obéissant difficilement et toujours sous la menace. Il y a lieu d’observer cependant qu’au moment où il a commis la faute qui lui est reprochée, les hommes étaient fatigués et que des unités voisines de la sienne ont légèrement fléchi. »
Adjudant Maréchal : « Dans la journée du 17, j’ai arrêté environ une quinzaine d’hommes qui se trouvaient dans la situation de Thierry. Il y a donc eu sûrement une petit moment de panique dans les compagnies. »
Ce qui s’est passé après le 17 février reste assez mystérieux. Le 5 avril le commissaire rapporteur émet une commission rogatoire pour s’assurer de la régularité de la situation du soldat Thierry, évacué (indûment, dit-il) le 17 février sur un hôpital de l’arrière, et qu’il soupçonne d’avoir quitté le convoi sanitaire en cours de route. Comment Thierry se retrouve-t-il dans un hôpital de la Haute Vienne, et surtout à la suite de quelles circonstances ? Aucun éclaircissement ne sera apporté à l’instruction. Il ne figure au dossier qu’un rapport de gendarmerie relatant l’interrogatoire de sa mère : « Mon fils, Alphonse Thierry, soldat au 82è R.I. est entré à l’hôpital de Le Dorat (Hte Vienne) à la suite d’une blessure à la jambe par une balle, il y a environ un mois et demi. Il est venu en permission de 7 jours expirant le 1er avril. Ce jour-même, il a rejoint le dépôt de son régiment à Montargis, et j’ai reçu de lui ce matin-même une lettre datée du 3 avril, nous informant qu’il est à la 27è Compagnie ».
Le genre de mort n’est pas renseigné sur sa fiche de décès. Mort pour la France.

Clément Gustave Proust, né le 24 janvier 1888 à Villedieu-en-Beauce (41), célibataire, maçon, soldat au 113è R.I.

« J’ai quitté Le Claon pour aller au Neufour acheter du vin. J’ai rencontré un camarade et j’ai bu avec lui. Je suis ensuite rentré au Claon mais je me suis aperçu que mon bataillon était parti dans les tranchées. J’ai perdu la tête et je me suis dirigé à travers les bois où je me suis perdu. J’ai erré dans la forêt pendant plusieurs jours, je mangeais très peu. J’ai rencontré des soldats bûcherons qui m’ont arrêté. »
Le 18 mars 1915, dans la soirée Proust disparaissait du cantonnement de sa compagnie au Claon. Il était porté manquant à minuit ce même jour au moment du départ pour les tranchées. A 18h ce jour là Proust avait été vu par le soldat Nail au Claon en état d’ivresse. Le 19 mars il vit au Neufort les soldats Barthélémy et Laboureau de son régiment auxquels il raconta qu’il était passé au génie, qu’il y était employé pour creuse des sapes et qu’il se trouvait au repos. Le lendemain Proust se dirigea sur Les Islettes. Le 3 avril Proust se présenta dans la bois de Clermont à des charbonniers qui y travaillaient pour leur demander à manger. La scène s’étant reproduite le soir, ces soldats bûcherons l’emmenèrent à la Prévôté.
Considéré peu soigneux dans sa tenue, selon ses chefs, Proust n’avait jamais fait montre de mauvais esprit, son principal défaut étant de se livrer à la boisson.



Victor Léon Gabriel Prieur, né le 13 février 1892 à Paris 18è , 2è classe au 13e bataillon de chasseurs à pied, n’est connu que par sa fiche de décès qui porte la mention « fusillé » le 25 avril 1915 à Wesserling (Alsace).

Louis Eugène Bertrand, né le 6 juin 1894 à Belfort, dragon au 11è R.D. « Condamné à mort. Fusillé » le 30 avril 1915 à Juvigny (Marne). Pas de dossier de jugement.

 

Mai



Hameri Ben Mohammed Ben Cherghi, né en 1885 à Maadid (Algérie), cultivateur à Témala, 3è RTA, 9è Cie
Motif de la punition encourue le 24 février 1915 : « S’est absenté du cantonnement sans autorisation pour aller acheter du tabac au village voisin. Ayant rencontré au retour un jeune garçon, a tenté en le menaçant d’un couteau, de se livrer sur lui à un acte de pédérastie.
Le 18 mars, ben Cherghi est absent de la tranchée de 1ère ligne en avant du village de Mesnil où sa Cie a pris place. Il dit s’être joint à la section de mitrailleuses du 9è Tirailleurs parce qu’il n’y avait pas assez de place à l’endroit occupé par sa section dans la tranchée. Il serait en fait resté en arrière dans les journées des 18, au village du Ménil où il a été aperçu par un cuisinier, et les 19 et 20, dans des tranchées de 2è ligne où il a été vu par des agents de liaison de la 9è Cie, entre autre couché avec d’autres tirailleurs de la même Cie revenus eux aussi vers l’arrière.
Adjudant-chef Cusin : « Le 20 mars vers 24h, alors que la Cie était relevée des tranchées de première ligne, je pris la tête de la Cie pour reconnaître l’emplacement que devait occuper mon unité pour le rassemblement du bataillon. Arrivé vers le poste de secours (300 ou 400m de la 1ère ligne) je vis plusieurs tirailleurs couchés dans un boyau. Croyant à des blessés, j’en interrogeai un, lui demandant où il était blessé, et à la lueur d’une fusée, je reconnus Ben Cherghi qui avait disparu de ma section depuis le 16. Il n’était nullement blessé et ne put expliquer sa présence en cet endroit. »
Ben Cherghi : « … je tiens à vous dire que l’adjudant m’en veut, que je suis l’objet de brutalités constantes de sa part, et que depuis que je me suis battu avec un jeune tirailleur européen, ilm’a battu à plusieurs reprises. Le jour où il m’a trouvé dans la tranchée il m’a menacé de son revolver et arrivé au village m’a encore battu. Toute la Cie en a été témoin. Tout le long de la route j’ai reçu des coups. »

Confrontation le 12 avril :
Ben Cherghi : « Zaouach sait bien que j’ai été frappé par l’adjudant Cusin dans maintes et maintes circonstances sans raison. »
Zaouach : « Il est vrai que l’adjudant Cusin l’a battu, mais pas plus que les autres. Les gradés nous frappent tous dans le service. »
Sergent Ouzerkak : « Je n’ai jamais vu l’adjudant-chef Cusin le frapper qu’une seule fois, quand il a voulu abuser d’un enfant, il y a un mois environ. »
Ben Cherghi : « C’est un heure ou une heure et demi après qu’Ider m’eût rejoint dans le boyau que l’adjudant Cusin est survenu disant que la Cie allait descendre, et nous a battus en nous demandant ce que nous faisions.
Ider : « Je n’ai pas entendu l’adjudant dire que la Cie allait descendre ; il nous a seulement demandé ce que nous faisions là et nous a donné des coups. »

Avis du colonel Vrénière commandant la 96è brigade : « Les tirailleurs d’aujourd’hui ne sont pas les Turcs de 70. Si nous voulons pouvoir compter sur eux, il faut que les actes de lâcheté soient punis avec la dernière sévérité : les francs-fileurs qui reviennent après la bataille sont trop nombreux et des exemples s’imposent.


Abdallah Ben Takar Radjai, né en 1893 à Nechtab (Algérie), tirailleur au 3è RTA, 9è Cie
Le 16 mars 1915, le tirailleur Radjai est resté blotti dans la tranchée d’où sa section était sortie depuis 5 minutes pour se déployer et marcher à l’assaut. Le sergent Bourrat l’y trouva tremblant et paraissant complètement démoralisé. Le 18 mars, sa Cie marchant aux tranchées de 1ère ligne par un boyau, Radjai s’arrêta disant au sergent de sa section qu’il avait un besoin à satisfaire. Les sergents des 3 autres sections l’ont vu les uns après les autres, blotti dans le boyau. Quoiqu’ils lui enjoignissent tous d’avancer, il demeura sur place. Enfin, le 20 mars, le tirailleur Mira, ayant reçu l’ordre d’aller chercher des vivres dans les tranchées de 2è ligne, aperçut Radjai accroupi dans le même boyau. Sur l’indication de l’emplacement de sa Cie donnée par Mira, il se décida à la rejoindre.
Radjai était représenté comme un soldat discipliné, doux et tranquille, mais manquant d’énergie et d’initiative. Il avait déjà pris part à divers combats au Maroc et en France, notamment à Soissons et à Soupir et s’y était bien comporté.

Ben Cherghi et Radjai sont condamnés le 30 avril 1915 par le CG de la 48è DI et fusillés au fort du Rozelier à Verdun le 1er mai 1915 à 7h .


Germeuil Georges Louchard, né le 17 décembre 1890 à Oucques (41), soldat au 113è R.I., 8è Cie, « condamné à mort pour abandon de poste et exécuté »le 4 mai 1915 sur la route du Claon (à Florent, à l'ouest du pont de la Biesme). Fiche de décès seule.


Charles Auguste Legreu, né le 7 septembre 1892 à Paris 10è, ouvrier métallurgiste, célibataire, chasseur au 1er BMILA
Rapport : « Le 12 février 1915, vers 7 heures à El Guettaf, au rassemblement en armes de la section, le chasseur Legreu recevait du sergent Fafiotte (Jean Lazare) l’ordre de rectifier sa tenue en tous points déplorable : il ne bougea pas. A la deuxième injonction : « Vous me faites chier, s’écria-t-il, enculé, fainéant ! » [selon le chasseur Mortreuil, « J’en ai assez bande d’enculés »] , puis saisissant son fusil par le bout du canon, il le brandit au-dessus de sa tête et allait en frapper le sous-officier qui n’évita le coup qu’en se jetant vivement en arrière : « Buveur de sang, disait-il, viens là, je vais t’arranger ! » Simulateur habile… l’inculpé ne répond à son interrogatoire que par des paoles incohérentes, gestes désordonnés, signes apparents de déséquilibre mental chez un sujet sanguin au caractère impulsif et brutal… Chemineau sans scrupule, il vécut d’expédients avant son incorporation et eut maintes fois maille à partir avec la justice. Au régiment, où il ne vint que de force, il s’appliqua à mal faire, toujours sous un faux air idiot. Les chefs qui l’observèrent patiemment et avec bienveillance ne veulent plus être dupes. Il a fait preuve devant le médecin et devant nous d’une rare insolence. »
« Le sergent a voulu me frapper… C’était la veille, il n’y avait pas de témoins… je ne sais pas pourquoi ».
Le lecture du rapport médical nous enseigne que le médecin expert, prenant peur devant un geste de menace a cru opportun de faire ligoter de soldat Legreu et de le placer sous sédatif durant plusieurs jours avant de procéder à son interrogatoire. Il en ressort que Legreu n’a jamais connu son père, que sa mère n’a pas pu s’occuper de son éducation, bien qu’il sache lire et écrire. « Au point de vue physique il semble exceptionnellement vigoureux ; trapu,bien musclé avec les épaules proéminentes et le cou, très large, enfoncé. »,
Les divers témoignages des autres chasseurs ne sont pas conformes à l’interprétation à charge du rapporteur. Selon Le Champion, Legreu aurait omis de faire-demi tour pour l’inspection des cartouches, Fafiotte lui aurait alors fait remarquer que ses bretelles de suspension étaient tortillées… Ce Le Champion n’a rien entendu des paroles prétendument prononcées. Comme Mortreuil, il a vu le geste mais ne paraît pas croire qu’il ait voulu frapper, mais Legreu reconnaît avoir voulu frapper même s’il maintient n’avoir rien dit. Le relevé de punition semble démontrer que Legreu était coutumier des insolences vis-à-vis des gradés, et « qu’il ne cesse de tenir des propos malsonnants, ce qui provoque l’hilarité de ses camarades » (novembre 1914) Le 11 janvier 1915, refusant de laver ses effets il répond au Lieutenant appelé pour le contraindre, « vous me prenez pour un con », 3 jours plus tard il refuse de prendre la garde assurant qu’on ne lui a pas donné de vin, et que ses camarades ont menacé de le battre.
Condamné le 27 avril 1915 par le 1er CG de l’Amalat d’Oujda, Legreu est fusillé à Oujda le 4 mai 1915.

Charles Georges Seyler, né le 3 mars 1892 à Saint-Dié-des-Vosges, boulanger à Hurbache, célibataire, chasseur au 1er B.C.P. 3è Cie, déjà condamné à 3 ans de Travaux publics le 19 octobre 1914 pour désertion à l’intérieur et escroquerie.
CG de la 43è DI (29 avril 1915), notes d’audience : « Le 4 mars 1915, vers 16 heures, un obus étant tombé sur la tranchée où [Seyler] se trouvait, il quitta ces tranchées [plateau ND de Lorette, tranchée des spahis] à la suite d’une panique. Il franchit le dos de la tranchée pour courir au boyau… Dans le boyau il arrêta quelques minutes pour voir si ses camarades suivaient. Il fut blessé dans le grand boyau. Il se retira après avoir emprunté le boyau jusqu’à la Faisanderie puis jusqu’à Noeux sans se présenter à aucun poste de secours. Il avait été blessé au genou par une motte de terre. A Noeux il vit au train de combat le sous-lieutenant Rafessin, lequel ne lui dit pas de se présenter à qui que ce soit. Quand a-t-il reçu un coup de baïonnette qu’il a invoqué pour se justifier ? Il ne peut dire s’il a reçu un coup de baïonnette ou s’est pris dans un hérisson en escaladant le parados. Son peloton n’était pas destiné à attaquer, c’était l’autre peloton qui était désigné.
Examiné le 10 mars, Seyler n’est affecté que par une ecchymose de la taille d’une pièce de 1fr.
Avis du général commandant la 86è brigade : « On ne peut tolérer qu’un individu venant des travaux publics, vienne donner ce détestable exemple à nos chasseurs. »
Seyler est fusillé à Noeux-les-Mines le 4 mai 1915 à 5h.

 
Sedd-Ul-Bahr (Turquie) 4 mai 1915



arrivée des troupes françaises dans le détroit des Dardanelles


La bataille de Sedd-Ul-Bahr se déroule du au pendant l'expédition des Dardanelles et au cours de laquelle les forces franco-britannique débarquent dans la péninsule de Gallipoli. Commencée triomphalement avec le Corps expéditionnaire d'orient constitué principalement du 175è R.I. et du 1er RMA (régiment de marche d'Afrique constitué de zouaves et de légionnaires, qui portera ensuite pendant la guerre civile russe sur leur drapeau la mention honorifique Sedd-Ul-Bahr 1915) la campagne contre l'Empire Ottoman s'achèvera par une défaite sanglante en juin.
Comme ailleurs, cette campagne se solde par un certain nombre de condamnations à mort prononcées par un CG spécial du quartier général du C.E.O. : Les seuls soldats exécutés répertoriés appartiennent tous au 4è RMIC. On se bornera à remarquer qu'ils étaient tous originaires d'Afrique Noire, donc probablement supposés suspects par la hiérarchie.

Bara Bada, né à Boliga (Sénégal)
Taroré Baziri, né à Ségou (Sénégal)
Véo Katio, né à Gorgan (ancienne Abyssinie?)
Dioup Maqui, né à Sin Salou (Sénégal)
Loulibaly Sory, né à Hati (Soudan)
Tampsada Tidaogo (son nom est celui de son lieu de naissance au Sénégal)
Dans le seul document conservé (notes d'audience du 3 mai 1915) qui fait état de leur défense, on croit comprendre que ces soldats se sont retrouvés sans chef ni munitions, incapables de rejoindre leur unité, ou arrêtés, leur fusil saisi par les gendarmes avant de pouvoir regagner le bateau :


tombes françaises à Sed-Ul-Bahr en 1915

Frédéric Jean Sert, né le 14 septembre 1875, à Oz (Isère), cultivateur, du 35ème RIC
Réserviste rappelé. Déclaré « Bon absent, dispensé, art. 21: frère au service ». Insoumis le 8 septembre 1914, arrêté le même jour, il est acquitté par le CG de la 14ème Région comme non coupable d'insoumission le 9 octobre 1914. Condamné à 5 ans de prison le 14 janvier 1915, pour « abandon de poste sur un territoire en état de guerre » Transféré au 35ème RIC le 16 janvier 1915.
Il refuse le 1er avril 1915 d'obéir aux ordres de ses supérieurs, dans les tranchées de Richecourt.
« Passé par les armes » le 5 mai 1915, à Jouy sous les Côtes (Meuse) selon sa fiche de décès.


Edouard Schneider, né le 2 juillet 1892 en Suisse, soldat du 2è Rgt de Marche du 1er Etranger, mort le 6 mai 1915 à Mont-Saint-Eloi (Pas de Calais). « Tué à l’ennemi ». Mort pour la france.


Jean-Baptiste Georges Bourcier, né à Poitiers (Vienne) le 1er septembre 1871, marié en 1908, forgeron à Marseille. Rappelé sous les drapeaux à la mobilisation, le caporal de réserve Bourcier rejoint à Nice le 7è bataillon territorial de chasseurs. Promu sergent au sein de la 2è Cie le 6 avril 1915, il combat dans le secteur de Breitfirst (Haut-Rhin). Le 5 mai 1915, il commande un poste avancé en haute vallée de la Fecht (au nord est de Schnepfenriedwasen). Vers 21h, croyant à une attaque adverse alors qu'il s'agit en fait de l'arrivée d'une équipe de corvée, il fait ouvrir le feu par ses hommes, quitte son poste terrorisé et disparaît. Le lendemain matin à 6h il se présente seul à Bretfirst en état de choc au colonel Guillebon en présence du lt Jullien, et explique que son poste a été enlevé dans la nuit par les Allemands et qu'il s'est enfui pour éviter d'être fait prisonnier. Le colonel Guillebon le fait traduire le soir-même devant un CG spécial du 7è BCP, qu'il préside lui-même, et qui le condamne à mort.
Jean-Baptiste Bourcier ne cessera de clamer sa bonne foi, comme dans la lettre qu'il écrit à sa sœur la veille de sa mort :
« Le lieutenant arrive. Il commence à faire nuit. J'assure le service en faisant remplacer les sentinelles. Alors le lieutenant se décide à faire retourner les hommes pour chercher de la paille et des planches. Les hommes partent et le lieutenant reste environ une demi heure ou trois quart d'heure (...) Enfin les hommes arrivent à tour de rôle, qui tombant, qui trébuchant souvent. Je les fais rentrer de suite dans l'abri qui n'est pas terminé. Ils se querellaient et allumaient même des allumettes de temps en temps. Alors, je me fâchai, les menaçant de les faire relever. Alors, ils ne dirent plus rien.
Lorsque, en me retournant pour chercher mon petit abri que je m'étais fait, je trébuche sur un homme couché au pied d'un sapin. Je me baisse et le réveille, ne sachant à qui j'avais à faire parce qu'on ne voyait rien. Alors j'entends du bruit du côté où étaient montés les hommes. Je réponds à l'homme que j'avais reconnu, celui qui dormait : « Prends vite ton fusil, ce sont les boches ». A ce moment les boches arrivent. Je ne peux pas évaluer le nombre, car on n'y voit pas. Je dis aux hommes : « Vite, vite, votre fusil, ce sont les boches ».Ils font comme ils peuvent et nous faisons le coup de feu. Lorsque les boches qui sont montés sur notre abri nous crient « Camarades, camarades ». Moi au contraire je dis aux miens de tirer lorsque au contraire il y en a parmi les miens qui leur répondent aussitôt « Camarades, camarades » en levant les bras en l'air, surtout mon voisin et bien d'autres que je ne cite pas, car ce serait criminel de les accuser de lâcheté. Quand j'ai vu ça, qu'ils se rendaient comme ça, moi qui les excite à tirer, je n'ai pas hésité à me faire la belle, surtout quand je me suis senti prendre mon fusil par le canon, alors je me suis sauvé au lieu d'être fait prisonnier comme les autres. Maintenant, comment se fait-il que le poste ne fut pas emmené, je n'en sais rien, car le lendemain ils y étaient tous. Et bien l'on m'accuse d'avoir abandonné mon poste : je ne sais ce qui en résulte, mais en tout cas, quoi qu'il arrive, que je sois mort ou condamné, je ne crois pas que ce soit par lâcheté ».

Jean-Baptiste Bourcier est fusillé à Breitfirst le vendredi 7 mai 1915 à 5h30. Refusant qu'on lui bande les yeux sur le poteau d'exécution, il dit au commandant : « Regardez-moi bien en face mon commandant ; ce n'est pas un lâche que vous faîtes fusiller, mais un innocent. »
Une croix sans nom fut mise sur sa tombe. Deux jours plus tard, un cœur en cuivre était cloué en cachette sur cette croix anonyme avec l'inscription « sergent Bourcier, mort à l'ennemi" » Son nom ne figure sur aucun monument aux morts, alors qu'il a été réhabilité.

JMO du 3e BILA  (Prévôté 45e DI) - 10 Mai 1915 : "Le gendarme à pied Schneider reçoit par la voix “de l’ordre” les félicitations du Gal commandant la division pour avoir le 10 mai fait preuve d’énergie en abattant d’un coup de carabine un Caporal du 3e BMILA surpris en train de piller une maison à Elverdinghe et qui fuyait sans s’arrêter aux sommations du gendarme”. Il s'agit du caporal
Henri Edouard Alphonse Fidelin,  3è BILA, né le 28 novembre 1892 à Limpivile (76), donné comme "tué à l'ennemi" à Boezingue (Belgique) le 11 mai. Mort pour la France. Fidelin ne figure pas dans la base officielle des fusillés qui recense pourtant quelques « exécutés sommaires ».


Marie Ange Dreneuc, né le 19 juin 1882 à Hénon (Côtes du Nord), 2è classe au 71è R.I.

Avant de partir à la guerre, Ange Dreneuc était ouvrier dans une cimenterie de Guerville près de Mantes-la-Ville, où son nom est encore inscrit, aujourd'hui, sur un monument aux Morts. Ange Dreneuc est officiellement tombé le 11 mai 1915 en pleine bataille de l'Artois, près de Roclaincours. D'abord porté disparu, puis officiellement déclaré mort le 9 avril 1921. Mais Solange Hervé Banki sait que la vérité n'est pas si lisse : ce que la famille pressentait, sa maman en a eu confirmation il y a une quarantaine d'années, avec une tante qui lui affirme avoir appris que Ange avait été fusillé.  « Tante J. était une sœur de mon grand-père, plus jeune que lui de 20 ans, ce qui arrivait souvent dans les familles nombreuses en Bretagne. Cette tante lui a donc raconté que mon grand-père était venu peu de temps avant sa mort en permission et qu’il aurait parlé d’une offensive qui se préparait mais qu’il s’y refuserait ; son père l’aurait alors mis en garde : « Fais attention à toi ! Ils t’auront ». Avant sa mobilisation mon grand-père, ouvrier à la cimenterie de Mantes était syndicaliste et faisait vraisemblablement partie de ces pacifistes qui se sont laissé entraîner à la guerre, parfois même comme on le sait « la fleur au fusil »- »
Pour Solange Hervé Branki, Ange Dreneuc a donc été sommairement abattu au milieu du carnage, parce qu'il a confié ses états d'âme quelques semaines plus tôt. Dans le petite tas de lettres échangées presque chaque jour avec son épouse, l'une, datée de la fin avril 1915, lui apprend le décès de sa petite fille, victime d'une méningite : c'est le probable élément déclencheur de son insoumission. « Tué à l’ennemi » : Mort pour la France. Inscrit au monument aux morts de Mantes-la-Ville. Ange Dreneuc ne figure pas dans la base officielle des fusillés.


Camille Blot, né le 4 juillet 1887 à Amiens, cordonnier, célibataire, soldat au 72e R.I.
« Samedi 24 courant, vers 8 heures du matin la 2è Cie… était tombée en partie aux mains de l’ennemi, j’ai abandonné mes armes et mon havresac et je me suis sauvé en empruntant un boyau. J’étais à ce moment aux Eparges. J’ai erré dans les bois de la région pour venir échouer à Sommedieu hier soir 26 courant ».
Lieutenant Potencier, commandant la 3è Cie du 72è : « Je reconnais qu’il est parfaitement exact que la 4è section à laquelle appartenait le soldat Blot a été envoyée en renfort de la 2è Cie le vendredi 23 avril à 18h et a été mise hors de combat. Mais les survivants ont rejoint ma Cie et si le soldat Blot ne les a pas suivis, c’est qu’il a abandonné son poste, ce dont il était parfaitement capable. En effet, la manière de servir du soldat Blot, ex-caporal cassé pour faute contre la discipline, a toujours laissé à désirer et los du séjour de son régiment à Riaville il avait déjà abandonné son poste le dernier jour de l’occupation. J’avais le soldat Blot à l’œil et je doutais fort que sa disparition s’expliquerait par une désertion prévue ».
CG de la 3è DI (10 mai 1915) : abandon de poste en présence de l'ennemi. Les 5 juges présentent une demande de recours en grâce à l’issue du procès. La réponse ne figure pas au dossier.
Blot est fusillé au champ de tir de la Blancharderie à Verdun (55) le 12 mai 1915 à 6h.


François Marie Bihouise, né le 10 juillet 1878 à Coët er sach, Camors (Morbihan), profession : scieur de long, soldat du 88e R.I.

JMO 88e RIT mai 1915 - P 5 : « Le soldat Bihouise de la CHRA employé comme perruquier à Blangy les Fismes où était cantonné le service de ravitaillement du rgt tire un coup de feu avec son fusil sur le Sous-Lt Grillet qui n’est atteint que légèrement à l’épaule gauche. »
« Je reconnais qu’hier soir vers 18h30 j’étais en état d’ivresse, mais je ne me souviens plus de rien. Ce matin, vers 6 heures, le sous lieutenant Grillet me faisant des observations au sujet de mon état d’ivresse de la veille, m’a dit que si je recommençais il me ficherait une balle dans la peau avec son revolver… Mécontent des propos de cet officier, je me suis aussitôt proposé de lui tirer un coup de feu à sa rentrée de Fismes, et dans ce but j’ai chargé mon fusil à 3 cartouches. J’affirme que je n’avais nullement l’intention de le tuer mais simplement de lui faire peur. Lorsque j’ai tiré, j’étais assis sur une chaise sous un pommier situé dans le jardin à 15 mètres de lui. »
Incarcéré immédiatement à la prison militaire de la 36e DI à Maizy, Bihouise est jugé par un CG spécial (flagrant délit) sous l'inculpation de tentative d'assassinat avec préméditation et guet-apens.
Bihouise est fusillé le 13 mai 1915 à Glennes (Aisne) à 4 heures.


Fernand Charles Pelleton, né le 14 mai 1915 à Paris, vendeur de journaux domicilié à Hénonville, soldat au 54è R.I. Absent 2 jours et 16 heures à compter 24 décembre 1914 de la tranchée de Calonne, condamné à deux ans de prison par un CG spécial du 54è R.I. (jugement suspendu)


Lors de l’attaque des Eparges, le 19 mai 1915, vers 5 h du matin, le 1er bataillon du 54è R.I. prenait position à laa crête nord de Montgirmont. Le sous-Lieutenant Voyez s’apercevait vers 8 heures de la disparition su soldat Pelleton, qui avait abandonné sur place son sac et son fusil. Le surlendemain, vers 9h, le soldat Devaux, du même régiment rencontrait dans les rues du village de Trésauvaux Pelleton, la tête ceinte d’un bandeau ; Pelleton lui raconta qu’il avait été blessé d’un éclat de pierre à la tête à la suite de l’éclatement d’un obus, alors qu’il se trouvait encore à la crête de Montgiront et ajouta qu’il alla remonter vers 11h à la Cie, ce qu’il ne fit pas. Le lieutenant Maillot, commandant la 3è Cie fit alors demander au sous-Lieutenant Guilbert, chargé d’assurer la police du cantonnement au village de Trésauvaux, d’appréhender Pelleton, ce qui fut fait le 25 au matin, soit le 7è jour de sa disparition. Pelleton était resté entre temps avec des cuisiniers de la section de mitrailleuse dont il ne connaît pas les noms, couchant dans une grange qu’ils occupaient.
« Pour se défendre, Pelleton déclare simplement qu’étant mouillé par une nuit de pluie, il était descendu à Trévausaux pour se réchauffer et se sécher ; qu’il n’avait pas rejoint ensuite par crainte des sanctions. Il fit connaître à l’instruction qu’étant tombé sur un arbre abattu, il s’était fait une simple égratignure, mais qu’il saignait, ce pourquoi il s’était servi de son pansement individuel. Enfin pour expliquer sa conduite générale, il déclare : « Avant ma première condamnation, un obus était tombé près de moi et m’avait rendu comme fou, parce que mes camarades étaient déchiquetés. Depuis, j’ai peur des obus : tout le monde le sait bien à la Cie ».
CG de la 12è DI (13 mai 1915) aucun des trois témoins prévus n’assiste tous ayant été soit blessés soit portés disparus fin avril.
Pelleton est fusillé le 14 mai 1915 à 4 heures du matin à Rupt-en-Woëvre (Meuse).




Marin Hubert Maillet, né le 13 janvier 1880 à Averdon (Loir et Cher), soldat au 113è R.I., condamné à la peine de mort et à la dégradation », fusillé le 15 mai 1915 à Le Claon sans trace de procédure.
Blaise Billard, né le 28 novembre 1893 à Saint-Etienne est « fusillé » le 15 mai 1915 à 21 ans à Gérardmer (88) en compagnie de
Eugène Lucien Emery, né le 12 juin 1891 à Lyon 5è, célibataire, employé de bureau, tous deux chasseur au 14è B.C.A. (fiche de décès « Excécuté » sic)


André Albert Lecroq né le 7 février 1880 à Saint Léonard près de Fécamp, ancien verrier à Blangy (enfant assisté, comme on désigne à l'époque les pupilles de  l'enseignement forcé, en l’occurrence les enfants qu'on envoie tenir les moules des verriers). Albert Lecroq, 1,62m, marié, un enfant, est décrit comme de constitution faible lorsqu'il est mobilisé au 39è R.I. Il subit avec ses camarades un bombardement de plus de 36 heures dans l’Aisne, au secteur dit La Ferme du Choléra (Mont-Doyen). Le 10 mai 1915, à la suite d’une forte explosion qui le commotionne sérieusement, il craque et part vers l’arrière sans ordre. Intercepté par le commandant De Lignières, il lui déclare faussement que les allemands ont investi la tranchée (des témoins invoqueront le fait qu'il paraissait n'avoir plus toute sa tête) Il est arrêté pour abandon de poste en présence de l’ennemi. Quoique son lieutenant le décrive comme « bon soldat » lors du procès, il est condamné à mort le 18 mai par une courte majorité de trois voix contre deux et fusillé le jour même, 16h30 à Vrigny dans la Marne, accompagné des pleurs des gendarmes et des officiers, selon le témoignage de l’aumônier. (N'est-ce pas touchant ?) Un soldat blangeois désigné pour faire partie du piquet d'exécution aurait dû être remplacé, victime d'une crise de nerfs.Réhabilitation refusée.
Lecroq est devenu une image iconique de l'injustice militaire malgré les pleurnicheries des assassins, car c'est probablement à lui que se réfère Dorgelès, mobilisé également au 39è R.I. et donc témoin de l'exécution de Lecroq et de Dussaux (sinon de celle de Carpentier).

Roland Dorgeles en 1915

Dans une conférence donnée à l’Université des Annales le 5 février 1932 Roland Dorgelès,  déclara : « Je vous disais que dans Les Croix de Bois, j’ai toujours tenu, au lieu de me soumettre aux faits, à recréer la vérité. Pourtant, il y a un chapitre, le plus court, juste trois pages, qui n’est que le reportage fidèle d’un événement dont tous les survivants du 39e ont gardé le souvenir. Je veux parler de cette exécution d’un soldat qu’on traîna au poteau et qui hurlait devant ses camarades épouvantés, appelant ses enfants, nous suppliant de demander sa grâce ».
Extrait : Mourir pour la Patrie (Les Croix de bois (1919), chap. IX)
Non, c’est affreux, la musique ne devrait pas jouer ça…
L’homme s’est effondré en tas, retenu au poteau, par ses poings liés. Le mouchoir, en bandeau, lui fait comme une couronne. Livide, l’aumônier dit une prière, les yeux fermés pour ne plus voir.
Jamais, même aux pires heures, on n’a senti la Mort présente comme aujourd’hui. On la devine, on la flaire, comme un chien qui va hurler. C’est un soldat, ce tas bleu ? Il doit être encore chaud.
Oh ! Être obligé de voir ça, et garder, pour toujours dans sa mémoire, son cri de bête, ce cri atroce où l’on sentait la peur, l’horreur, la prière, tout ce que peut hurler un homme qui brusquement voit la mort là, devant lui. La Mort : un petit pieu de bois et huit hommes blêmes, l’arme au pied.
Ce long cri s’est enfoncé dans notre cœur à tous, comme un clou. Et soudain, dans ce râle affreux, qu’écoutait tout un régiment horrifiée, on a compris des mots, une supplication d’agonie : « Demandez pardon pour moi…Demandez pardon au colonel… »
Il s’est jeté par terre, pour mourir moins vite, et on l’a traîné au poteau par les bras, inerte, hurlant. Jusqu’au bout il a crié. On entendait : « Mes petits enfants…Mon colonel… » Son sanglot déchirait ce silence d’épouvante et les soldats tremblants n’avaient plus qu’une idée : » Oh ! vite…vite…que ça finisse. Qu’on tire, qu’on ne l’entende plus !... »
Le craquement tragique d’une salve. Un coup de feu, tout seul : le coup de grâce. C’était fini…
Il a fallu défiler devant son cadavre, après. La musique s’était mise à jouer Mourir pour la Patrie et les compagnies déboîtaient l’une après l’autre, le pas mou. Berthier serrait les dents, pour qu’on ne voie pas sa mâchoire trembler. Quand il a commandé : « En avant ! » Vieublé, qui pleurait, à grands coups de poitrine, comme un gosse, a quitté les rangs en jetant son fusil, puis il est tombé, pris d’une crise de nerfs. En passant devant le poteau, on détournait la tête. Nous n’osions pas même nous regarder l’un l’autre, blafards, les yeux creux, comme si nous venions de faire un mauvais coup.
Voilà la porcherie où il a passé sa dernière nuit, si basse qu’il ne pouvait s’y tenir qu’à genoux. Il a dû entendre, sur la route, le pas cadencé des compagnies descendant à la prise d’armes. Aura-t-il compris ?
C’est dans la salle de bal du Café de la Poste qu’on l’a jugé hier soir. Il y avait encore les branches de sapin de notre dernier concert, les guirlandes tricolores en papier, et, sur l’estrade, la grande pancarte peinte par les musicos : « Ne pas s’en faire et laisser dire ».
Un petit caporal, nommé d’office, l’a défendu, gêné, piteux. Tout seul sur cette scène, les bras ballants, on aurait dit qu’il allait « en chanter une », et le commissaire du gouvernement a ri, derrière sa main gantée.
— Tu sais ce qu’il avait fait ?
— L’autre nuit, après l’attaque, on l’a désigné de patrouille. Comme il avait déjà marché la veille, il a refusé. Voilà…
— Tu le connaissais ?
— Oui, c’était un gars de Cotteville. Il avait deux gosses.
Deux gosses : grands comme son poteau…


Régis Rochelimagne, né le 18 janvier 1882 à Brives-Charensac (Haute-loire), célibataire, terrassier, soldat du 238é R.I., déjà condamné à 5 ans de travaux forcés pour mutilation volontaire en novembre 1914.
A Soissons, le 4 mai 1915, vers 23 heures, le soldat Rochelimagne était couché avec ses camarades lorsque le caporal Maurin donna l’ordre aux hommes de son escouade de se lever pour exécuter une corvée de paille. Rochelimagne ayant refusé, Maurin en rendit compte au sergent Dubreuil qui vint le trouver et dit : « Eh bien ! qu’est-ce que vous avez ? » « Je suis malade, répondit Rochelimagne, ne venez pas interrompre mon sommeil. En même temps il rejeta sa couverture, se leva et s’avança vers le sergent en s’écriant : « Qu’est-ce que vous avez à dire, vous, sergent ? » Puis il le saisit par le col de sa capote et le secoua. Dubreuil parvint à le repousser mais comme Rochelimagne s’élançait à nouveau vers lui, le caporal Maurin le saisit à bras le corps. Rochelimagne lui fit un croche-pied mais Mautin l’évita et souleva Rochelimagne qu’il coucha à terre. Un peu plus tard, devant les hommes rassemblés dans la cour du cantonnement, Rochelimagne s’en prit au caporal : « Caporal Maurin, tu es malin. Amène toi ici ; je n’ai pas peur ! Espèce de fainéant, crapule, salaud ». Rochelimagne s’élança vers lui la tête en avant. Maurin para le coup tandis que Rochelimagne disait : « Tu ne le perdras pas ! La voltige je la connais... » Le lendemain au réveil, Rochelimagne adressa pendant un quart d’heure des injures au caporal Maurin (« Vaurien, imbécile, crapule... ») : « Est-ce que ça te regarde de soutenir les vauriens, cette bande d’apaches. Viens là si tu n’es pas un fainéant. Toi et tes copains, je vous aurai la peau ». Conduit au commandant qui lui demande pourquoi il n’a pas participé à la corvée de nuit, Rochelimagne répond : « Parce que nous sommes mal commandés par un caporal plus bête que ses pieds ». On l’enferme en prison.
« Rochelimagne est un alcoolique redouté de ses camarades pour sa brutalité. C’est un très mauvais soldat qui par ses propos cherchait à démoraliser les hommes de l’escouade ».
Rochelimagne :  « Le caporal Maurin est du même pays que moi, nous sommes très bien ensemble. Le 4 mai il m’a donné cent sous pour que j’aille chercher du vin. Le caporal joue aux cartes et quand il gagne il m’envoie chercher du vin. Le 4 mai il a bu avec moi. »
Jean-baptiste Collange, 2è classe : « Quand dans l’escouade on avait deux ou trois litres à boire, on se réunissait tous ensemble et le caporal buvait avec nous de temps en temps. Je ne lui ai jamais vu donner de l’argent à qui que ce soit pour aller acheter du vin. Quand il venait avec nous il se contentait de payer sa part. Je ne l’ai jamais vu pris de boisson. Le 4 mai je ne l’ai pas vu donner 100 sous à Rochelimagne. »
Dubreuil : « Rochelimagne n’est pas un mauvais soldat, mais c’est une forte tête qui ne veut pas marcher quand on le commande de corvée de nuit ».
CG de la 63e division. Rochelimagne est fusillé le 21 mai 1915 à 5 h à la sortie sud de Vignolles, Aisne.


Le JMO de la division ne contient aux dates funestes que des "Rien à signaler". La période était jugée parfaitement calme, le régiment étant occupé à d'importants travaux de terrassement de tranchées.
Au  même JMO:" le 18 mai le soldat Raymondin Agnan de la 24è se suicide d'un coup de fusil."


Albert Paul Cagny, né le 1er avril 1887 à Bray-Sur-Somme, ébéniste à Paris, soldat au 320e R.I. 
Privé de permission à cause de son absence à l'appel du soir le 30 mai (il était resté jusqu'à 23h dans le cantonnement d'une Cie voisine), Cagny quitta le cantonnement de sa Cie à Reims sans autorisation, le 4 mai à 9h, manquant le départ pour les tranchées. Le 5 vers 5 heures du matin il fut retrouvé, couché à côté de l'abri où se trouvait sa section. Il a prétendu que désirant se marier par procuration, il était sorti en ville pour aller voir l'officier payeur de son régiment et ne l'ayant pas trouvé, s'était rendu au bureau militaire de l'Hôtel de Ville. Il aurait rencontré des camarades avec lesquels il aurait bu, rentrant au cantonnement à 21h, une fois sa compagnie partie. Le 5 mai, apprenant qu'une plainte allait être établie contre lui, il tint dans l'abri de son escouade en présence des sous-officiers, ces propos : « Quand je serai condamné et changé de corps, je ne serai pas si bête que Chartier qui reste au 291è. Je profiterai de la première occasion pour aller en face, chez les pointus et je leur raconterai tout ce que je sais sur les ravitaillements, les positions d'artillerie, d'infanterie etc. » Dénoncé immédiatement, Cagny passe en citation directe devant le CG de la 52è DI. Il est condamné pour abandon de poste en présence de l'ennemi, toutes les rumeurs habituelles étant retenues contre lui (voleur supposé, détesté de ses camarades, fréquentant des sujets suspects etc.) malgré les déclaration de son sergent qui reconnaît que les propos on été tenus sous le coup de la colère et de son caporal qui conclut laconiquement : « c'est un bon sujet ».
Cagny est fusillé à Tinqueux (Marne) le 20 mai 1915 à 5h. « Après la salve d'exécution, Cagny qui avait été placé à genoux, les yeux bandés, s’affaissa en avant. Le corps pivotant autour du poteau d'exécution se plaça la face contre terre à droite du poteau. Le corps fut d'abord complètement inanimé mais pendant que l'on dénouait les liens, c’est-à-dire 10 secondes environ après la salve la nuque commença à se raidir et je fis signe au sous-officier chargé de donner le coup de grâce de s'approcher. Cagny eut alors une inspiration bruyante. Le coup de grâce fut donné au niveau de l'oreille droite, et la mort fut constatée… En arrière se trouvaient quatre gros foyers déchiquetés avec issue de sang, d'esquilles osseuses et de tissus organiques divers. Ces foyers siégeaient : l'un, ayant la dimension de la paume de la main, à la partie moyenne de la région dorsale dans l'angle costo-vertébral gauche ; les trois autres dont les dimensions variaient entre les 2/3 et la moitié du précédent étaient répartis à la partie inférieure de la région scapulo-thoracique droite. Une hémorragie abondante était constatée à terre et dans les vêtements du condamné. ».


Jules Désiré Mercier, né le 27 octobre 1878 à Arras, marié, 5 enfants, chauffeur à l’usine à gaz, soldat au 5è R.I.T., sans condamnation antérieure
A Wimereux était stationné un détachement de 120 hommes (la plupart quarantenaires) pour le service de garde des différentes routes et voies et du viaduc de chemin de fer, cantonnés dans un ancien manège et centre de dressage situé entre l’église et le viaduc, les hommes installés dans l’ancienne écurie. LA base de leur service était constitué de 24 heures de garde pour 24 heures de repos. Le soir du 21 mars, Mercier rentra légèrement éméché, apportant à la chambrée un petit flacon d’eau-de-vie qu’il but avec des camarades. Après une légère discussion, il se coucha après avoir dit : « Puisque vous m’emmerdez, je ne prendrai pas la garde cette nuit ». A 22h25, le caporal Deschodt qui devait faire la relève des sentinelles vint réveiller les hommes qui devaient prendre la garde ; arrivé à Mercier, il le secoua un peu, et comme il insistait s’attira cette réponse : « Laisse-moi tranquille, tu me fais chier, je t’emmerde, je vais te casser la gueule ». Deschodt lui dit alors paternellement : « Voyons, ce n’est pas parce que tu aurais bu un coup que tu vas faire l’imbécile, le con, le Jacques ». Mercier proféra encore quelques injures, puis se levant brusquement, porta au caporal un coup de poing à l’œil droit. Celui-ci après avoir basculé légèrement frappa Mercier en se relevant avec un falot qu’il tenait à la main. (En utilisant ce mot de falot, grande lanterne -qui n’éclaire pas forcément très bien-, le rapporteur ignore-t-il que le terme désigne en argot militaire le conseil de guerre?) Mercier, atteint au visage retomba sur le lit et le caporal lui porta encore deux coups de sa lanterne à l’épaule et dans les reins, brisant le verre de la lampe. « C’est lâche de frapper ainsi avec une arme » remarqua Mercier. « Si j’avais eu une baïonnette entre les mains, ç’aurait été autre chose ! » répliqua Deschodt et il sortit. Mercier, traversant la cour sans que la sentinelle ait pu l’arrêter se rendit à l’hôtel Bellevue, l’immeuble voisin où était installé un hôpital anglais. Il se fit panser et on lui posa deux points de suture à la joue. Il regagna le cantonnement un quart d’heure plus tard. Deschodt se trouvait près de la porte de la rue. En passant devant lui, Mercier le menaça d’un « tu verras, tu verras ! » « Qu’est-ce que je verrai ? » insista le caporal « tu sais, si tu en veux encore autant, tu n’as qu’à le dire ! » Mercier rentra à la chambrée et dit à ses camarades : « Si vous croyez que ça fait du bien de se faire passer une aiguille dans la joue ! J’ai même dit aux anglais qu’ils entendraient tirer un coup de fusil cette nuit. Mais demain Deschodt n’y sera plus et moi non plus !.. je le tuerai, il a voulu me tuer, il faut que je le tue, nous sommes en guerre... il ne montera pas sa garde jusqu’à demain… (et à un de ses copains) tu peux dormir tranquille, il ne viendra plus te réveiller pour ta faction de cette nuit. » Aux soldats Etienne et Després il dit : « Vous ne direz pas qu’il n’y a pas préméditation, je prédis mon crime d’avance !.. Je me fiche pas mal d’avoir 12 balles dans la peau, j’aurais fait à ma mode ! » et comme Etienne lui faisait remarqué que tout cela ns serait pas arrivé s’il n’avait commencé par donner un coup de poing au caporal, il répondit : « Toi, ne dis pas que je lui ai flanqué un coup de poing, ou bien je t’en ferai autant qu’à lui. » Les autres s’étant couchés, Mercier prit son fusil au râtelier d’armes et sortit. Ses camarades entendirent le coup de feu avant d’avoir pu réagir. Mercier rentra, fusil en main, di « Ce coup-ci ça y est » et comme certains s’enfuyaient, ajouta : « Ce n’est pas la peine de vous sauver. C’est moi qui l’ai tué, je vais aller le dire ». Il remit calmement son fusil au râtelier, s’assit sur le banc près du poêle, roula une cigarette et l’alluma. « J’ai fait mon affaire, je vais me préparer pour qu’on m’enlève ».
Deschodt en rentrant au poste était resté debout, fumant la pipe, contre la porte vitrée donnan sur la cour : « la pièce était éclairée par une lampe sans abat-jour, posée sur la able, qui, tout en montrant parfaitement la silhouette du caporal se détachant sur le fond éclairé éclairait aussi la cour par les parties vitrées de la fenêtre et de la porte… La balle pénétra par la bouche, après avoir déchiré la commissure gauche des lèvres, brisa le maxillaire inférieur, enleva une partie de la langue, coupa les carotides et réduisit en bouillie deux vertèbres. La mort dut être instantanée : le corps fut trouvé allongé sur le dos, les pieds près de la porte, la tête vers l’intérieur, le sang coulait à flots par la bouche. »
Aux reproches qu’on lui fait sur son caractère emporté et chicanier, Mercier répond : »Quand quelqu’un est dans la misère, tout le monde lui met tout sur le dos ».
CG de la région Nord, pièces de conviction : un fusil 1886, une lanterne, du verre brisé, une pipe cassée, un carreau troué par une balle.Recours en révision rejeté le 24 avril 1915. Mercier est fusillé à Ringles le 20 mai 1915 à 5h30 en présence des troupes réunies de la garnison de Boulogne.


Prosper Valentin Marie Dauvergne, né à Avignon (Vaucluse) le 27 mars 1890, interprète de langue espagnole à Barcelone, ancien légionnaire, soldat de 2ème classe au 58ème R.I.
Le 2 mai 1915 aux tranchées devant Béthincourt, Dauvergne avait demandé à son chef d’escouade, le soldat de 1ère classe Grégoire à faire partie de la corvée de soupe, ce que celui-ci avait refusé, Dauvergne y étant allé la veille. A 8h le sergent Giguet, faisant sa ronde, constata néanmoins son absence. Vers 10 heures les hommes de soupe revenaient, et cinq minutes derrière eux, Dauvergne en état complet d’ivresse. Le sergent Giguet tenta en vain de l’obliger à se coucher. Le trouvant peu de temps après dans une autre section que la sienne faisant du tapage, il lui ordonna de le suivre. Dauvergne répondit : « Tu m’emmerdes, eh, vieille lope, vache, sale gradaille... » Revenant le chercher sur l’ordre du lieutenant Foucher, il le retrouve dans l’abri des agents de liaison. Dauvergne refuse à nouveau de le suivre « Tu me fais chier et si tu continues, tu vas voir ». A la 3è injonction il se résout à marcher, non sans continuer à traiter le sergent de « Bourrique, fumier, veau, cochon ». En traversant la tranchée Dauvergne se saisit d’une hache abandonnée qu’il tenta de dissimuler sous sa capote, mais Guiguet qui avait vu le geste se jeta sur lui et le désarma puis l’entraîna dans l’abri des sous officiers sous les quolibets de « tapette, enculé, macchabée, pouilleux, vendu ». Il partit rendre compte au lieutenant, qui s’étant mis en route de son côté venait de trouver Dauvergne, échappé aux sous-officiers dans la tranchée occupée par la Cie voisine. Remis à la surveillance du 1ère classe Grégoire, Dauvergne, d’abord calmé réclama la capote qu’il avait laissée à l’abri et comme il le retenait, gifla Grégoire. Le bruit attira les sergents Giguet et Accarias. Quand il les vit, Dauvergne se jeta sur un fusil qu’il arma et fit mine de chercher ses cartouches. Désarmé par Accarias, après avoir cherché son couteau sans le trouver il s’empara d’un autre fusil qu’il abandonna aussitôt pour sauter à la gorge du sergent et tenter de l’étrangler en criant « si tu me touches je te troue le ventre, vache, fumier, vendu, bico (sic) ». Giguet ayant dégagé Accarias, Dauvergne le menaça à son tour : »si je te trouve, je te fais la peau ». Finalement emporté au poste des brancardiers et ligoté, Dauvergne s’endormit « comme une brute ».
Dauvergne : « Je ne me rappelle absolument de rien sinon que j’étais saoul comme un cochon. »
Maurice Maurin, caporal 6è Cie du 58è : « Dauvergne que je connais depuis que je suis à la Cie n’est pas méchant, mais quand il est ivre, ce qui est presque son état normal, est absolument capable de tout. »
CG de la 30è DI, le 19 mai 1915 pour "abandon de poste, voies de fait envers un supérieur, ivresse". Condamné à la peine de mort + 1franc d’amende
Prosper Dauvergne est fusillé à 1600m à l'ouest de Souilly (Meuse) sur la route de St-André, le 20 mai 1915, 4h30. Inhumé dans la nécropole nationale de Rembercourt-aux-Pots (Meuse), tombe N° 204, son nom ne figure sur aucun monument aux mort.


Georges Pennerat, né le 28 mai 1886 à Paris 14è, polisseur, soldat au 96è R.I.,
CG spécial du 96è R.I. réuni au PC de la Truie le 20 mai 1915, réquisitoire (brouillon) :
« Mon Commandant, Messieurs,
Le soldat Pennerat Georges qui comparait aujourd’hui devant vous, devait rejoindre le front à la date du 16 décembre 1914 ; une première fois il s’évade à Paris puis se fait admettre au dépôt d’éclopés du Bourget après une absence illégale de trente heures. En janvier, il quitte ce dépôt pendant 17 heures. Renvoyé au dépôt du corps à Béziers puis dirigé sur le front avec le renfort du 15 avril 1915, il se fait porter malade au Bourget où on l’hospitalise, il fait encore une absence illégale pour se rendre à Paris pendant 48 heures. Renvoyé au dépôt du corps, il part pour le front sans se présenter à la visite du médecin-major ; il arrive au Poste 4 le 6 mai 1915, se fait porter malade le 7 mai, est reconnu apte au service de tranchées par un médecin aide major ; une contre visite lui est accordée et le médecin major chef de service confirme la décision qui résulte du premier examen. Le 7 mai Pennerat reçoit d’un officier l’ordre de rejoindre sa Cie aux tranchées ; il refuse d’exécuter cet ordre, maintient son refus devant deux témoins… malgré les bons conseils que lui prodigua le lieutenant Vigneron. Le 9 mai la 2è Cie du 96è se trouve au Poste 4. Le lieutenant Loubatières qui commande cette Cie donne au soldat Pennerat l’ordre d’aller rejoindre la section à laquelle il est affecté et cela en présence de 2 témoins ; Pennerat refuse catégoriquement.(…) Pennerat, très conscient, est bien déterminé à se maintenir dans son crime, il est pour ses camarades l’exemple le plus mauvais, le plus dangereux, celui qu’il importe d’écarter surtout en ce moment où les devoirs du soldat ont toute leur importance mais aussi toute leur rigueur, toute leur âpreté. »
Ici, le procureur ‘sous-lieutenant Rigaud de la section de mitrailleuses appelé à occuper les fonctions de commissaire du gouvernement) ne sait plus très bien comment faire culminer son indignation, se répète, biffe, invoque la loi, se trompe de sanction, rature, raye rageusement ces conclusions : « Aucune circonstance ne peut atténuer la faute du soldat Pennerat ; celui-ci est : par ses mauvais antécédents, par son esprit indiscipliné, sa fausseté, sa répugnance à accomplir ses devoirs sacrés de soldat ; un exemple dangereux, une mauvaise contagion ; il est indigne de l’Honneur de servir sa patrie les armes à la main.
Mon Commandant, messieurs, je vous demande de vous montrer très sévères pour ce soldat et de lui appliquer le maximum de la peine que la loi militaire prescrit en punition du crime qu’il a commis. J’ai le pénible devoir de vous demander d’appliquer strictement la loi militaire. »

L’état signalétique de Pennerat rédigé le 12 mai 1915 en l’absence de pièces matricules comporte la mention « œil droit blessé ».
Deleuil Jean marius, caporal fourrier : « Pennerat a répondu qu’il était malade et qu’il rejoindrait la Cie après qu’il aurait été soigné pour son oeil ».
Pierre paul Vidal, sergent : « Il a répondu qu’il ne considérait pas la contre-visite du Médecin chef comme une contre-visite, qu’il était malade et qu’il ne monterait pas aux tranchées se faire tuer bêtement. Il a répondu au lieutenant Loubatière qu’il ne rejoindrait sa secion que quand il serai guéri. »
Pennerat : « J’ai fait cette bêtise parce que je n’y vois que d’un œil.. Je ne vousrais pas exposer ma vie mal à propos du moment que je n’y vois pas. Je ne veux aller aux tranchées qu’après avoir vu un oculiste à Chalons. J’y vois de jour, la nuit pas du tout. ». Il ajoute qu’il rejoindra les tranchés si on le change de régiment pour être avec son frère, et après avoir vu l’oculiste à l’hôpital.

Pennerat est fusillé le 24 mai 1915 à Somme-Tourbe (Marne) à 10 heures.
Gazette de Souain (28 juin 1915 ): Nous venons d’apprendre qu'un autre soldat Georges Pennerat avait également été fusillé à Somme Tourbe pour motif de refus de monter en ligne le 24 du mois dernier.


Koné Dioumé, présumé né en 1892 à Kélékélé (Haut-Sénégal et Niger), ne connaît pas son âge, célibataire, ciltivateur, Tirailleur de 2è classe au 4è R.T.S., pas d’antécédent judiciaire connu.
Signes particuliers : 3 cicatrices verticales sur chaque joue, multiples au front. Race Bambara.
CG de la colonie du Sénégal : Koné Dioumé, en garnison à Rufisque, était depuis sept mois l’amant de Makoné, femme d’un tirailleur cuisinier du capitaine Ragot et parti en France avec lui. Celle-ci avait aussi des relations avec le tirailleur Mamadou Konaté, et des scènes fréquentes se produisaient entre les deux hommes.
« Je donnais à Makoné l’argent de mon prêt et celui que je pouvais gagner aux cartes. Un jour je suis allé dans la case de Makoné et j’ai voulu lui donner 5 francs. Le tirailleur Mamadou Konaté était dans la case. Makoné m’a dit que 5 fr ce nétait pas assez, que je n’avais pas assez d’argent, que Mamadou Konaté avait beaucoup d’argent et qu’elle ne voulait plus avoir de relations avec moi. Mamadou Konaté me dit de renoncer à Makomé ou qu’il me couperait les couilles. »
Après une querelle particulièrement violente durant laquelle Makomé jeta toutes les affaires de Dioumé en dehors de sa case le dimanche 13 décembre 1914 vers 18h, Makoné signifia à Koné Dioumé d’avoir à cesser toute relation avec elle. Il lui dit qu’il la tuerait et s’en alla. Revenu peu après armé d’un coupe-coupe et d’un rasoir, il la chercha en vain et tua deux de ses voisines, Sara Coulibaly et Diouldé Baly. Ayant jeté son coupe-coupe il se rendit ensuite dans une case de tirailleurs célibataires à qui il servait d’instructeur et s’empara d’une somme de 25 francs que Kalifa Sébédé comptait avec un de ses camarades, et comme celui-ci protestait Dioumé dit « je vais te tuer tout de suite , le frappant au cou avec son rasoir. Pris alors d’une frénésie de meurtre, il frappa trois autres tirailleurs, toujours au cou, cherchant sans doute à leur trancher la gorge, et en s’enfuyant blessait encore un 5è, de garde devant le poste de police. Le lendemain il se laissa arrêter sans résistance près du camp par des hommes en manœuvre.
Dioumé avoue qu’au moment de se mettre à la recherche de Makoné, il avait bu deux bouteilles d‘absinthe sans eau pour se donner «  du courage et de la force ». Perdant toute notion du cours des événements, il ne serait revenu à la conscience que le lendemain matin, couché dans un fossé, tenant encore à la main son rasoir ensanglanté.
« Je ne voulais pas tuer les autres femmes que je ne connais pas, ni les tirailleurs, mais je voualsi tuer Makoné qui a mangé mon argent, qui m’a mal parlé, et qui m’a secoué par mon paletot ; une femme ne peut pas faire ça ! »
Rejet de grâce le 22 mai. Dioumé est fusillé le 25 mai 1915 au champ de manœuvre de l’abattoir à Dakar 5h30
Raoul Edouard Hurtault,  né le 7 janvier 1874 à Varennes sur Loire, 2è classe au 268è R.I., 21è Cie aurait été « tué à l’ennemi » le 26 mai 1915 à Brielen (Belgique) donc Mort pour la France. L'absence de jugement laisse perplexe sur ce qui lui est réellement advenu...


Marius Casimir Marcel, né le 31 mars 1881 à Carcès, cultivateur, marié, 1 enfant
 
Le 15 mai, le 1er bataillon du 7e RIC tient les premières lignes devant Ville-sur-Tourbe. La 4e compagnie de Marius Marcel occupe l'ouvrage « Pruneau ».
La matinée et l'après-midi avaient été calmes, quand soudain, vers 18h, trois fourneaux de mines allemandes sautent, bouleversant le secteur et ensevelissant des hommes dans la tranchée. Au même instant, la vague allemande écrase les survivants sous une pluie de grenades. Quatre marsouins de la 4e compagnie du 7e RIC  Marcel et Daspe,
Casimir Farjounel, né le 31 mars 1886 à Castenet, sabotier, célibataire
Henri Perron, né le 14 mai 1883 à Bordeaux, peintre, célibataire

avaient réussi à se dégager émergeant de la glèbe, sans arme et errant à la recherche du reste de leur régiment.

Le capitaine Kaufmann du 7e RIC, 1ère Compagnie, les croise, les apostrophe et les fait emprisonner sur le champ à Maffrécourt (Marne) estimant qu'ils ont cédé trop facilement . Traduits devant le conseil de guerre de la 3e division coloniale, le 28 mai, Marius Marcel et ses compagnons sont accusés et condamnés à mort pour « abandon de poste en présence de l'ennemi » avec les soldats Farjouvel, Perron et Daspe. Exception faite pour Daspe, gracié à la dernière minute (le 26 juin dit la pièce officielle ?)
Farjounel, Perron et Marcel s sont fusillés, le lendemain, 29 mai 1915, à 7h du matin, devant le régiment rassemblé.
Devant leurs cadavres, le colonel fit un discours martial : "En cas de défaillance, voilà ce qui vous attend. Que cela vous serve d'exemple. Rompez !". 
Marius Marcel laissait au pays une femme et un enfant. Mme Marcel commença ses recherches pour essayer de comprendre ce qui était arrivé à son mari sans rien obtenir. Tant de chagrins, tant de déceptions ont abattu ses forces. Elle meurt, laissant à son beau-frère, la charge de son fils et de son honneur. Marcel est réhabilité le 30 juin 1927. Le 1er juillet 1927, la cour de cassation annule le jugement du conseil de guerre, réhabilitant Fajournel et Perron.


mai 1915 St-Dié





Juin



Tayeb Ben Mohamed Mechtoub, né en 1887 à Douar Ouled Ale Nacer (Algérie), soldat au 3è RMTA « fusillé » le 2 juin à Tracy-Le-Val (60). Pas de trace de jugement.


Aristide Gauthier, né le 14 décembre 1891 à Ségry (Indre), coiffeur à Issoudun, soldat au 125è R.I., 11è Cie,
condamné le 1er juin 1915 par un CG spécial de son régiment pour « abandon de poste en présence de l’ennemi » le 30 mai à la Fosse Calonne (ND de Lorette) est fusillé le 2 juin 1915  à Aubigny.


Si les nombreux recours en révision de la famille n’aboutissent à rien (le ministère s’arrangeant même lors du deuxième pour oublier le dossier jusqu’à ce que la procédure d’appel tombe hors délai), ils donnent une idée du cas du soldat Gauthier. En novembre 1933, les témoins ne sont plus forcément très précis sur les dates. Ce flou, et l’entêtement du chef de bataillon de l’époque qui refuse de se déjuger permettent sans doute au commissaire du gouvernement d’obtenir le rejet du pourvoi. Pourtant plusieurs témoins, simple soldats témoignent avoir déterré Gauthier enseveli sous 2m3 de terre avant l’attaque du 30 mai. Le plus accablant émane du soldat Loudrat : « C’est moi qui ai conduit Gauthier au poste de secours où le Médecin major Rausy l’a exempté deux jours. Revenu en première ligne, j’ai été chargé par une personne dont je ne me rappelle ni le nom, ni la qualité, de porter un pli au Médecin major, qui après l’avoir lu a dit à Gauthier qu’il n’était pas malade et qu’il devait immédiatement rejoindre les premières lignes. » Le greffier du CG avoue que le Médecin major Rausy était très dur avec les hommes.
Il ressort du mémoire du défenseur que Gauthier, en délicatesse avec son commandant de compagnie (président du CG spécial), puni de prison le 26, enseveli le 28, souffrait déjà d’un début de dysenterie, qu’il a dû, incapable de marcher, être transporté, l’épaule luxée sur un brancard jusqu’au poste de secours, dont il fut chassé le 29, qu’il remonta à la tranchée et se présenta à nouveau à la visite le 30, jour où le major refusa de l’examiner à nouveau, et qu’il était en train de rejoindre ce jour lorsqu’il rencontra un agent de liaison qui ayant pour ordre d’annoncer la relève le ramena avec lui aux cuisines pour attendre sa section alors que le régiment était dans cette même nuit transporté en autobus à Aubigny-en-Artois. Autre écueil : « une pension de la loi du 31 mars 1919 fut concédée à M et Mme Gauthier requérants, et ils en sont encore à ce jour bénéficiaires ».




Sylvain Henri Etienne Serres, né le 15 juillet1884 à Saint-Michel-De-Chavaignes (Hérault), célibataire, maçon,soldat au 281è R.I. 18è Cie, pas d’antécédent judiciaire (sur sa déclaration, délit de chasse), pas de punition.
Prévenu d’abandon de poste en date du 6 janvier 1915, dans les tranchées en avant de Vermelles, Serres fut présenté devant le conseil le 20 janvier. Lors de cette audience, le lieutenant Quibal, défenseur commis d’office parvint très habilement à convaincre le conseil de la nécessité d’une examen mental, la mise en cause de la chaîne de commandement par l’accusé ne pouvant être que le résultat d’un déséquilibre et d’une confusion des notions morales élémentaires.
Serres fut donc conduit à Paris, au Val de Grâce, sous surveillance rapprochée puisqu’il avait répété son intention de fuir à la première occasion, où deux experts aliénistes de l’examinèrent, le Dr Vallon de Saint-Anne et le chef de service Delamare. Le 7 avril à l’issu de cette procédure, Serres est incarcéré à la prison militaire du Cherche-Midi, en attente de son retour à la prison de la division. Le rapport du 15 mai est édifiant (et affligeant) quant à l’état mental des accusateurs et ce qui se veut la norme : « L’ordinaire du Val-d-Grâce même ne le satisfait qu’incomplètement. Les sentiments d’altruisme et de patriotisme n’existent pas chez lui. Dans le service au front il ne voit que l’effort du moment, la grandeur du but à atteindre lui échappe, le résultat de la lutte lui est quasi-indifférent. C’est un égoïste dans toute l’acception du mot… Il connaît beaucoup mieux ce qu’il croit être ses droits. L’indignation que lui ont causé des punitions immérités à son avis, ne s’est pas camée avec le temps. Dépourvu de toute instruction, ayant toujours vécu dans sa famille à la campagne, où il exerçait le métier de maçon, Serres est un esprit fruste, au jugement peu développé… Ses idées sur la guerre, la discipline, la conduite des officiers, ses droits, ne sont pas plus des preuves d’aliénation mentale que les idées anti-militaristes ou anarchistes ».
Les erreurs de destinataires des documents officiels semblent eux-même faire la preuve de l’incompétence d’une hiérarchie désorientée qui attend des médecins une autorisation d’exterminer le récalcitrant dont les seuls propos ont suffi à l’affoler.
Serres avait été versé dans une section territoriale du Génie chargée de creuser des tranchées. Ayant une nuit déposé son fusil avec ceux de ses camarades, il ne le retrouva pas le lendemain ce qui lui valut une punition de 8 jours de prison, où on le priva de nourriture. Le troisième jour il fut versé dans une Cie de première ligne et envoyé aux tranchées, où il dut remplir un poste de guetteur sans fusil. Quand il ne se vit pas relevé au-delà d’un temps qu’il estimait excéder sa faction, il pensa qu’on lui jouait un tour pour le faire tuer. Il résolut de s’enfuit et quitta sa compagnie. Arrêté par les gendarmes, il s’évada, et une fois repris, réclama à manger avec insistance, essayant de briser les portes des locaux où on l’avait enfermé.
« Je suis parti parce que je voyais que tout ce qui se passait était absurde… il n’y avait pas de place dans la tranchée, je me mets dans une cahute à part. Un caporal me conduit au 281è et dit : « Je vous le passe en consigne » comme on passe un chien. On me fait monter sur un escalier pour regarder ; c’était absurde, il aurait mieux valu me laisser dans la cahute ; alors je suis parti après avoir pris mon linge dans mon sac… Plus tard sur la route à Bully j’ai rencontré des gendarmes. Une fois en prison, je leur ai demandé de m’apporter du café. On m’a apporté du café mais sans sucre ; je l’ai jeté ; du café sans sucre c’est bon pour les cochons. J’ai demandé à manger ; on ne m’a rien apporté ; alors je me suis mis à cogner contre la porte. Un gendarme m’a donné un coup de poing. Enfin à 4 heures on m’a apporté soi-disant du bouillon, pour moi c’était de l’eau… Je suis resté là, deux, trois jours sans manger… j’étais furieux d’être enfermé et ce qu’on me donnait était mauvais… Le 11 janvier j’ai demandé au sergent de me faire apporter à manger, il ne m’a rien envoyé. J’ai fait acheter du pain et du saucisson, j’étais indigné ; alors je me suis évadé… J’ai été conduit à Sailly-la-Bourse, et en prison. Là, les autres mangeaient, buvaient, fumaient, se nettoyaient. Moi, rien. J’étais plein de poux. J’ai essayé de me sauver. Un gendarme m’a bousculé, m’a mis le cabriolet et je n’ai rien obtenu. Je suis resté en prison dans la saleté. On traite les animaux comme ça, mais pas les hommes. On m’a fait passer au conseil de guerre. J’ai dit que l’armée est absurde, que nous sommes des hommes et pas des bêtes. On m’a envoyé ici comme fou. Ceux du conseil pouvaient être fous, mais pas moi… Les autres ne disaient rien mais ça leur cuisait tout de même dans la tête. Vous voulez qu’on aille se faire casser la tête pendant que vous, officiers, vous restez à l’arrière à boustifailler ! Mais ma peau vaut celle de n’importe quel officier… Ils ont des ordonnances qui leur apportent des vivres. C’est injuste. C’est pas légal… Pour vous, officiers, les règlements sont bons, mais, pour un simple soldat, ils ne valent rien… A Sailly-la-Bourse on m’a fait passer la visite à 4h du soir, ce n’est pas légal ; on doit passer la visite le matin. J’ai horreur d’être dans l’armée. »
Serres au maréchal des Logis gardien chef : « J’ai l’honneur de soliciter de votre haute bienveillance l’autorisation de pouvoir fumer. Je me promets de ne plus échappatoir et de faire par la suite un bon sujet. Désirant laver mon linge de corps j’aurais besoin de savon étant donné que j’ai à la caisse du corps la somme de 24,95 je vous serez reconnaissant de voir pour me faire parvenir le nécessaire pour ces divers achats. Signé Serres. »
CG de la 58è DI (2 juin 1915) : Serres renouvelle les arguments qu’il avait produits à l’audience du 20 février 1915 ; absence de nourriture, situation générale mauvaise, commandement insuffisant. Il ajoute qu’il était dégoûté de voir les officiers rester à l’arrière et bien se soigner - « comme vous », dit-il en désignant le conseil.
Le capitaine Falconetti, commandant la 18è Cie, a été tué à l’attaque de Loos. Tous les autres témoins ont été évacués, y compris l’avocat de Serres lors du premier jugement. Quand le président demande à Serres s’il a quelque chose à ajouter, celui-ci répond qu’il ne veut pas retourner au front. Voilà comment le procès de l’abandon de poste devient celui de la hiérarchie.
Serres est fusillé le 3 juin1915 à Hersin-Coupigny, 4h


Fernand Firmin Leroux, né le 25 septembre 1881 à Caen, marié, électricien, sapeur au 1er Rgt du Génie, 5è Cie, soupçonné d'avoir tenté de passer à l'ennemi le 13 mai 1915 il est déféré devant le conseil de guerre de la 9e D.I. « dont les archives ont été détruites par suite d’événements de guerre » (demande de bulletin n°2 le 6 octobre 1955) le 4 juin 1915 et condamné à mort pour "désertion à l'ennemi". En 1967 le ministère demande à nouveau des précisions ; il lui est répondu par le greffier des archives centrales de la justice militaire à Meaux qu’ « il y a lieu de considérer que l’infraction retenue par le conseil de guerre se trouve amnistiée de droit par l’article 29 de la loi du 18 juin 1966 ».
Leroux a été « passé par les armes » le 5 juin 1915 au Claon (Meuse), et l’on en saura pas plus


Armand Isidore Jourdan né le 7 août 1888 à Saint Georges de Chesné (Ille et Vilaine), cultivateur à La chapelle Saint-Aubert, marié, 2 enfants, soldat au 124è R.I., 2è Cie, casier vierge
8 mai 1915 : « La section ayant été mise au garde à vous pour une inspection passée par l'adjudant est resté les bras croisés, à une observation, s'est mis à rire et à l'annonce d'une punition a répondu « Portez-moi 8 jours de consigne si vous voulez. Vous, vous commencez à me courir ».
CG de la 8è DI (10 juin 1915) : »A l'unanimité coupable d'avoir le 2 juin 1915 vers 21 heures, en avant des tranchées de première ligne occupées par sa Cie et au cours d'une reconnaissance au point dit « l'allée du Château » refusé d'obéir à l'ordre que lui donnait le Caporal Wihelm de rejoindre ses camarades qui se trouvaient en avant. »
En fait, Jordan refuse catégoriquement de sortir du trou qu'il s'était creusé dans la tranchée pour rejoindre la section qui patrouille le long des barbelés protégeant la tranchée allemande à une cinquantaine de mètres en face.
« Jourdan au mois d'octobre à Guerbigny (somme) a eu l'index de la main gauche sectionné par un coup de son fusil parti à bout portant alors qu'il était sentinelle. Une enquête au corps avait eu lieu ayant pour but de le traduire devant un conseil spécial. Il avait bénéficié du doute, de l'absence de témoins. Un ordre de non informer avait été rendu ».(Commissaire-rapporteur, rapport post mortem)
Jourdan est fusillé le 11 juin 1915 à 4h à Baconnes. « Le coups de grâce a été tiré dans la région carotidienne gauche ». « tué à l'ennemi ». Mort pour la France.
Une lettre d'Albert Filoche en 1918, commente : « Il ressort que nombre de ses messieurs mériteraient plus vite douze balles dans les tripes que notre infortuné camarade Jourdan du 1er bataillon du 124e d'infanterie qui fut fusillé à Baconnes en 1915 »


Daniel Fabre, né le 12 mai 1888 à Lyon 1er, marchand ambulant, soldat au 75è R.I. , tatouages sur les bras
Louis Jules Feroussier, né le 22 septembre 1890, à Saint-Fortunat (Ardèche), boulanger 75è R.I., déjà condamné en novembre 1914 à 2 ans de TP pour désertion sur territoire en état de guerre. « Tué àl’ennemi » Mort pour la France.
Le rapport identique rédigé dans l’urgence indique le ces deux soldats n’ont pas suivi leur Cie aux tranchées le 7 juin à 23h, malgré les bons conseils de camarades et de gradés qui les encourageaient « à rejoindre la portion conquise ». Ils ne sont réapparus que le 11 juin, jour du CG spécial et de leur exécution dans la foulée sur le champ de bataille d’Hébuterne le 11 juin 1915 à 20 heures. La précipitation, l’absence d’interrogatoire et l’aspect allusif des notes d’audience qui ne figurent que pour remplir le vide sans apporter la moindre information, font penser à une exécution sommaire maquillée en condamnation « légale »


Victor Oscar Augustin Feuillâtre, né le 14 mars 1877 à Paris 20è, ébéniste, célibataire, caporal au 14è R.I.T,  condamné pendant son service actif en 1899 pour abandon de poste étant de garde et en 1901 pour outrages à supérieur et coups volontaires.
Le Lieutenant François, aperçoit le caporal Feuillâtre qui revient sans fusil de l’exercice qu’il commandait, parti à la recherche d’un objet qu’il ne distingue d’abord pas. Quand il s’aperçoit qu’il s’agit d’un litre de vin aux 2/3 plein et d’un verre, il lui porte une punition pour avoir quitté les rangs sans autorisation et apporté à boire en service. Feuillâtre maugrée « je réclamerai ».
CG spécial de la 81è DI, le 12 juin 1915 : « Le 10 juin 1915, , vers 15 heures, alors que vous aviez été puni de prison par le Lieutenant François commandant votre Cie, vous avez été retrouver votre Lieutenant au bureau de la Cie, vous avez pris une attitude violente envers lui et finalement avez tiré un coup de feu sur lui avec votre fusil ; les faits sont attestés par plusieurs témoins... »
« Je n’ai jamais voulu tuer ou blesser le lieutenant François et si je l’avais voulu je m’y serais pris autrement, quelqu’un voulant tuer dans ce petit bureau de la 4è Cie n’aurait pas pu manquer son homme. Le coup de feu n’est que le résultat d’un accident. L’après-midi j’avais commandé une escouade du dernier renfort arrivé de Landerneau. A un moment donné, j’ai fait une théorie sur le devoir d’une sentinelle en présence de l’ennemi et sur la manœuvre du fusil. J’aurais probablement [… dû décharger l’arme, le témoignage s’arrête ici]. Feuillâtre prétend que le coup est parti seul, ce que dément l’expertise de l’arme, prétendant démontrer qu’il fallait exercer une forte pression sur la gâchette pour déclencher un tir du fusil en bon état. Un examen mental est rapidement bâclé qui ne démontre rien, excepté une supposée prédisposition à l’alcoolisme transmise par son père « buveur incorrigible » (comme, le supposent les chefs distingués, beaucoup d’ébénistes du faubourg St-Antoine). L’examen médico-légal montre sur le Lieutenant François une blessure superficielle à la cuisse droite, la balle ayant déformé et coupé en deux l’une des trois pièces d’or contenues dans sa poche. 
 
Lt François : « Je m’assis à la table sur la chaise face à la fenêtre. Je finissais de dicter la punition quand Feuillâtre se présenta me demandant des explications sur sa punition avec une attitude insolente. Je lui répondis qu’il aurait huit jours de prison au lieu de quatre et donnai l’ordre de le mettre à la porte. A ce moment, Feuillâtre jeta son képi sur la table en disant qu’il avait deux balles, une pour moi, une pour lui, recula dans l’embrasure de la porte qui avait été ouverte pour le faire sortir, abaissa son arme dans ma direction et fit feu. La balle me traversa la cuisse et alla [d’a… illisible] en hachant le dossier de ma chaise. Devant l’attitude de Feuillâtre je m’étais levé et lui faisai face quand il a abaissé le canon de son arme qu’il me dirigeait en pleine poitrine. C’est pour cela que je pus saisir le canon du fusil, l’abaisser, et que je ne fus blessé qu’à la cuisse. Quand Feuillâtre a tiré, il n’a fait aucun mouvement de culasse mobile et son fusil était chargé et armé, prêt à tirer. »
Le témoignage presque identique du sergent-fourrier présente cette différence qu’après avoir demandé des explications en vouvoyant le lieutenant « Feuillâtre reprit « Alors, tu ne te rappelles plus le temps où tu étais sergent » et prononça diverses paroles dont je n’ai pas le souvenir exact… Tu as brisé ma vie. J’ai là deux balles, une pour toi une pour moi ». (témoignage sergent major Froidevaux : « alors le caporal Feuillâtre s’approcha du Lieutenant François et lui frappa sur l’épaule en disant : « Tu ne te rappelles donc le temps où tu étais sergent, ma vie est brisée, je vais me suicider ») Quand nous avons eu désarmé Feuillâtre nous avons constaté qu’il n’y avait qu’une cartouche dans l’arme, celle qui avait été tirée. »
Les propos étranges de Feuillâtre ne soulèvent pas la moindre question de la part de l’instructeur qui redoute sans doute d’en obtenir l’explication.
Feuillâtre est fusillé le 13 juin à Bergues à 5 heures.

Eugène Paul Werner,
né le 20 juillet 1879 à Soissons, mouleur à Montreuil, marié, père de famille,soldat au 302è R.I. 19è Cie,
« Le soldat Werner… depuis quelques temps se faisait remarquer par son esprit d’insubordination et d’indiscipline. Il étaut au dire de son chef de section « le beau parleur de la section, le théoricien qui discutait tous les jours les principes qu’il tirait de la Bataille syndicaliste fidèlement envoyée. Ayant conçu le projet de le ramener à des idées plus saines, son chef de section essaya vainement de la persuasion et de la douceur, mais devant l’insuccès de cette tentative, il se contenta d’exercer une surveillance des plus actives. Werner se tenait toujours dans les limites non punissables de la faute, persistant dans une attitude de révolte sournoise. A propos de chaque corvée, le sous lieutenant Fourcade entendait des réflexions partir du milieu de la section sur le « tarif du travail », le salaire ou autres, mais la complicité muette des camarades assurait à Werner une impunité qui augmenta son audace.
Le 27 mai dernier, Werner… réussit en trompant la surveillance de ses chefs à s’esquiver et à rentrer au cantonnement, au lieu de prendre part à la manœuvre avec ses camarades. Au cours de l’exercice de l’après-midi, le sous lieutenant Fourcade annonça à Werner que cette absence serait sanctionnée par une punition. Le soldat discuta, nia même les faits qui lui étaient reprochés et répondit à l’ordre de se taire que l’officier lui donnait : « C’est bien ça, en voyant arriver de nouveaux chefs, on croyait assister à l’avènement de l’ère nouvelle, mais c’est encore pire qu’avec les autres… Nous avons nos journaux et après la guerre, vous passerez en jugement devant le peuple… et nos journaux aussi vous emmerdent et moi aussi » Devant l’impossibilité d’obtenir le silence et pour éviter à la section le spectacle de cette scène qui se prolongeait par trop, le lieutenant fit conduire Werner au poste de police, cependant que celui-ci s’écriait « on trouvera toujours des fainéants pour emballer un camarade ». Ces faits allaient faire l’objet d’une plainte en CG, lorsque Werner se rendit coupable d’infractions beaucoup plus graves au cours de la marche manœuvre du 30 mai 1915. Après le tir… une discussion s’est engagée entre Werner et le caporal Ramanger… Le témoin Fauret précise qu’à un moment il entendit le caporal dire à Werner « ce que tu me dis à moi tu ne le dirais pas à un lieutenant ou à un sous lieutenant » à quoi Werner répliqua « la même chose si je suis dans mon droit ». A ce moment Werner donna une gifle au caporal. Celui-ci alla se plaindre au lieutenant Danis commandant la Cie, qui rendit compte au chef de bataillon Humblot ; qui venait avec son officier adjoint, le lieutenant Comont, surveiller le retour des Cies… Le caporal avait les lèvres écorchées, malgré cela Werner niait. Ses camarades d’escouade refusiaent de témoigner, encouragés en cela par Fauret, qui, derrière le dos du Commandant, leur faisait signe de se taire. Le lieutenant Comont, ayant surpris cette mimique, intima à Fauret l’ordre de se taire, mais à ce moment il remettait dans sa gaine un couteau dont il se servait machinalement pour retailler un de ses ongles (Cet officier a le pouce droit écrasé). Werner profita de cette circonstance pour causer du scandale ; s’adressant au lieutenant Comont, il l’invectiva en lui disant : « Ah, cochon ! Tu veux me brûler mais je te brûleraiavant ! » Le commandant Humblot donna l’ordre au lieutenant Danis de faire conduire Werner, sous escorte au poste de police, après l’avoir fait désarmer. Werner refusa, saisit sa baïonnette par la poignée et voulut la tirer ; il y réussit malgré les hommes qui l’escortaient et prit son fusil sur un faisceau… mais à ce moment le sergent Cintrat le maîtrisa et le fit conduire par une voiture médicale au poste. Au cours du trajet Werner persista dans son attitude, il rentra au village la cigarette à la bouche, l’air gouailleur apostrophant les soldats.
Lors du la séance du 12 juin devant le CG de la 67è DI, aucun témoin n’est présent. Werner déclare : « J’étais camarade avec Ramanger, nous discutions souvent, sans acrimonie. Nous avions bu un peu tous deux. Je l’ai blagué. Nous nous sommes bousculés. Il est allé se plaindre une fois en marche et s’est mis aux derniers rangs de la colonne. Quand le Commandant a arrêté la Cie, j’ai vu que plusieurs camarades prenaient mon parti. J’ai alors déclaré que j’assumais toute la responsabilité de cet incident, et sui allé m’asseoir sur le bord de la route. Ce sont mes camardes qui en se remuant ont fait tomber les faisceaux. Je n’ai à aucun moment essayé de dégaîner. Je me suis cru menacé par le Lieutenant Comont… Je n’ai pas insulté le Commandant. J’ai répondu à son apostrophe « Il y a ici des goujats ! » par ces mots « non, il n’y a que de braves gens et ils ont fait et feront tout leur devoir »… Les camarades m’ont raconté, après mon arrestation que pour se venger de l’incident, le Commandant Humblot avait fait faire un exercice supplémentaire aux hommes, et que ceux-ci avaient crié, mis des balles dans leurs fusils et que le Commandant avait été obligé de s’en aller. »
Aucun des témoignages n’est absolument clair. Au fil des procès-verbaux d’interrogation on comprend que le soldat Fauret, qui témoigne le premier avoir vu gifler Ramanger et s’empresse de jeter de l’huile sur le feu est une balance, qu’il nourrissait lui-même une haine féroce contre ce caporal dont Werner prenait souvent la défense. (Ramanger, caissier du Bulletin de la société d’éducation et d’enseignement, recevait également tous les jours Le Gaulois et la Libre Parole. « Ramanger et Werner, bien qu’il se disputassent continuellement, étaient tout le temps ensemble, soit pour boire, soit pour jouer aux cartes. Ce matin-là, je crois pouvoir dire que le caporal était ivre et que Werner avait une légère pointe d’ivresse » témoigne du sergent Cintrat.) Il semble que Werner ait fait par l’intermédiaire de sa femme passer des articles à la Bataille syndicaliste, ce qui s’apparente pour les officiers à des faits de trahison. Ramanger se serait endormi pour cuver sur la pelouse et les hommes, pour le plaisanter lui auraient envoyé des boîtes de conserves, ce dont il s’éveilla fort fâché. Lors de la tentative d’explication, l’adjoint Comont, constatant que les camarades de Werner prenaient sa défense contre le caporal aurait tiré son poignard pour les faire taire. Il s’en serait suivi une mêlée générale au cours de laquelle les hommes, constatant l’arrogance du lieutenant auraient mis baïonnette au fusil pour se prévenir d’une attaque. Après avoir fait désarmer tout le monde Humblot fit une démonstration morale sur les dangers de l’ivresse et aurait traité les soldats non de goujats, mais de canailles et d’ivrognes. Tout ce conflit apparaît donc comme un règlement de compte politique, et la tentative de juguler un mouvement de rébellion spontanée en éliminant le meneur supposé le plus dangereux.
Condamné à l’unanimité, Werner est fusillé le 14 juin 1915 à 5 heures à Troyon-Sur-Meuse.


Joseph Gabrielli, né le 8 février 1894 à Pietraserena (Corse). Berger de son état, illettré, ne parlant que sa langue natale, il n’avait jamais son village natal près de Corte, quand il fut mobilisé au 140è régiment d’infanterie. Bien qu’il soit considéré comme arriéré mental, on l’affecte à la 6è compagnie où on a plus besoin de son corps que de son esprit. Le 8 juin 1915, au cours d’une attaque, il est légèrement blessé. Son chef l’envoie se faire penser au poste de secours.
En revenant, il s’égare et ne retrouve plus sa compagnie. On le retrouve cinq jours plus tard, terré au fond d’une cave à Colincamps (Pas de Calais).
Interrogé il déclare (avec peine, car il parle très mal le français) aux gendarmes:
« Mon régiment est rentré dans la tranchée la nuit du 6 au 7. J’ai pris part à plusieurs combats. Dans la nuit du 12, ma compagnie est partie à l’attaque, j’ai suivi mes camarades, mais à la fin des combats, je ne les ai pas retrouvés. Je suis revenu à la tranchée, mais, comme il n’y avait plus personne de mon régiment, je suis parti sans savoir où j’allais. Je suis arrivé à Colincamps vers quinze heures, j’ai cherché ma compagnie sans la retrouver, c’est alors, que j’ai eu l’idée de descendre dans la cave d’une maison abandonnée où je suis resté pendant deux jours. J’ai perdu mon fusil et mon sac dans la tranchée. »
Le rapport rédigé par le commandant de la prévôté donne une autre version des faits :
« Le soldat Gabrielli a disparu de sa compagnie le 8 juin au matin et a été signalé par son caporal d’escouade comme manquant à l’appel. Dans la même journée, des soldats de la compagnie faisant le service de ravitaillement ont attesté avoir vu Gabrielli au poste de secours du bataillon. »
D’après l’enquête faite auprès de ses chefs, et de ses camarades, il ressort que Gabrielli est un débile profond, élevé à l’état sauvage et surtout employé à creuser des latrines ou des tranchées. Il est néanmoins traduit devant le conseil de guerre spécial du 140è R.I.
Voici la transcription d’une partie de l’interrogatoire de l’accusé faite par le commissaire du gouvernement.
- Quand avez-vous quitté votre compagnie et à quelle heure ?
- Je ne m’en souviens pas…
- Pourquoi l’avez-vous quittée ?
- J’ai reçu un obus près de moi et je ne me rappelle plus rien…
- Combien de jours êtes vous resté absent de votre compagnie ?
- Trois jours.
- Pourquoi n’avez-vous pas cherché à regagner votre compagnie le plus tôt possible ?
- J’ai cherché partout et je n’ai pas trouvé.
- Où avez-vous été trouvé ?
- Dans une cave.
- Est-ce dans une cave que vous cherchiez votre compagnie ? Pourquoi avez-vous dit aux gendarmes avoir quitté votre poste le 12 courant alors qu’en réalité vous êtes porté absent depuis le 8 juin ?
- Les gendarmes n’ont rien compris…
- Pourquoi avoir dit que vous étiez resté absent trois jours, alors que vous êtes porté manquant depuis le 8 au matin et que vous n’avez été retrouvé que le 13 juin à 18 heures, c’est-à-dire six jours après ?
- Je ne peux pas m’expliquer.
- Avez vous quelque chose à rajouter pour votre défense ?
- Je suis ici pour défendre la France !
C’est un interprète corse qui traduisait au fur et à mesure les questions et les réponses. Malgré les témoignages des soldats et de son commandant de compagnie confirmant l’irresponsabilité de l’accusé, le conseil de guerre le reconnaît coupable d’abandon de poste devant l’ennemi et le condamne à mort.
Le même jour, à Hébuterne (Pas de Calais), le 14 juin 1915, la sentence est lue à 20 heures et Gabrielli, 21 ans, est fusillé une heure plus tard. Dix ans après, un témoin, M Dupommier, qui avait assuré la défense de l’accusé, raconte l’exécution.
« Au cours de ces quatre années de guerre, j’ai vu de terribles choses. Je ne crois pas avoir assisté à un plus triste spectacle que cette exécution. Gabrielli, affolé, courrait devant les fusils en criant : « Maman, maman, je ne veux pas mourir… » Il se cramponnait convulsivement, tantôt à l’aumônier, tantôt à moi ; il a fallu planter un poteau sur la tranchée de deuxième ligne pour l’y ligoter. Cela a duré une demi-heure. Les hommes du peloton d’exécution étaient terriblement émus. Un seul être demeurait impassible : c’était le commandant Poussel (tué quelques mois plus tard en Champagne). Après le coup de grâce, cet officier m’a dit  « Voilà une mort qui épargnera bien des vies humaines ». J’ai répondu « Vous avez mon commandant, une étrange conception de la justice et vous venez d’assumer une bien effroyable responsabilité devant Dieu ».
Le 4 novembre 1933, la cour spéciale militaire annule le jugement du conseil de guerre et réhabilite Gabrielli. Néanmoins, ce corse n’a pas droit à la mention Mort pour la France.


Le 25 mai 1915, Georges Célestin Leminorel se cache dans un renforcement de la tranchée de départ, alors que la 1ère compagnie du 24e RI, à laquelle il appartient, se porte en avant sous le feu des adversaires. Quand le cycliste de la compagnie Kuhn le surprend, le soldat Leminorel prétend être blessé aux reins. Il ne s'est pas présenté au service médical pour prouver sa blessure. Au cours de l'interrogatoire qu'il subit, il reconnaît avoir menti. Au cours de l'audience, il est souvent mis en exergue le fait qu'il soit « un mauvais soldat ». Le dossier de procédure relève surtout des punitions infligées en 1913; Le 15 juin, il est fusillé dans le Pas-de-Calais, à l'âge de 22 ans.


Pierre Marie Guellec, né le 21 février 1886 à Landrevarzec (Finistère), garçon de magasin à Briec, célibataire (1,73m, cheveux châtain clair, yeux marron clair, front et nez moyen, visage rond, menton petit, cicatrice dans l'aine).
Engagé volontaire en 1906, passé premier canonnier en 1907, rengagé pour un an, passé dans la réserve le 7 décembre 1910 avec certificat de bonne conduite, à nouveau rengagé, promu 1er canonnier conducteur en août 1913, versé au 1er Rgt d'Artillerie coloniale le 8 août 1914.
Chef d'accusation : "Prévention suffisamment établie d'avoir, le 6 juin 1915 à Bussy le Château (Marne) commis volontairement un homicide sur la personne du brigadier Landel avec la circonstance aggravante que ledit homicide a eu lieu avec préméditation.
Notes d'audience du 13 juin 1915 devant le CG permanent de la 2è division à Ferrières: Guellec déclare ne se souvenir de rien étant ivre au moment du crime. Témoins (...) Le 2è canonnier Le Dû : « c'est le second coup tiré qui a atteint Landel » Le témoin n'avait pas remarqué que Landel et Guellec étaient mal ensemble. Un troisième témoin qui n'avait rien remarqué non plus ajoute qu'on « supposait à la batterie que Guellec était jaloux de l'avancement obtenu par Landel ».
Le 6 juin 1915, le 1er Rgt d'Art Col éttant cantonné à Bussy le château. Le brigadier Landel de la première batterie se trouvait, vers 19 heures , depuis environ une dizaine de minutes dans la grange de son cantonnement avec les 3 canonniers Tinquier, Ledû et Pontenay. Landel se tenait debout, il lisait une lettre qui venait de lui être remise. Tout à coup entra dans cette grange le canonnier Guellec qui s'adressant au brigadier Landel lui dit. "Est-ce que tu m'as appelé?" Landel répondit : "Pourquoi veux-tu que je t"appelle". Au même instant Guellec dégagea de sous son bourgeron son revolver d'ordonnance et tira 5 balles de revolver sur le brigadier Landel qui est mort quelques instants après.
A l'instruction ses déclarations peuvent se résumer ainsi: « Le brigadier Landel m'en voulait, il m'a mouchardé aux officiers de mon groupe. J'étais ivre quand j'ai tiré sur Landel, je ne me rappelle de rien, le brigadier Landel ne m'a jamais puni, il avait dit de moi au mois de février que j'étais un fumiste, je ne me souviens pas que le brigadier ait commis vis-à-vis de moi d'autres faits qui puissent m'ennuyer. » (...) Guellec sert actuellement comme rengagé, il a près de 7 ans et 8 mois de service. Il a encouru 57 jours de punition, 22 de salle de police, 28 de prison et 7 de cellule Il a été noté comme bon conducteur et bon soldat".
Condamné à mort avec dégradation militaire, le jugement est exécutoire comme le stipule la mention marginale : « l'officier d'artillerie greffier soussigné certifie que le condamné a été fusillé le 15 juin 1915 à Ferrières . »
Le même jour au même endroit « angle nord-est du parc du château de Ferrière », à 5 heures est exécuté
Charles Nony, né le 18 janvier 1882 à Sainte-Sévère dans l'Indre, terrassier, célibataire (1,63m, cheveux châtains, front couvert), 4è RI.C. condamné pour voies de faits envers un supérieur pendant le service.
Un jugement antérieur du 13 mai (5 ans de travaux forcés) pour outrages, paroles, gestes et menaces envers un supérieur avait été suspendu par décision du général de division.
Extraits du rapport: « Le 5 juin 1915 à Vedenay (Marne), Le soldat Nony discutait vers 22h30 avec plusieurs de ses camarades. Le chef d'escouade, un caporal, invita Nony à faire silence et à se coucher. Nony répondit par des paroles injurieuses à l'adresse du caporal [selon Nony, il aurait simplement dit au caporal Gardin « Ne gueule pas ainsi, nous ne gueulons pas! »] et sortit de la grange. L'adjudant-chef Autin ayant entendu les paroles prononcées [selon lui « le caporal nous fait chier, s'il a fini de gueuler, allons nous promener »] ordonna à ce soldat de rentrer dans son cantonnement. Cette intervention eut la conséquence de déplaire à Nony et de le rendre furieux. Il répondit à l'adjudant « Non, je n'irai pas ». L'adjudant-chef commanda deux hommes pour conduire Nony au poste de police. Nony, de plus en plus furieux dit à l'adjudant-chef Autin : « Attends un peu sale vache je vais te faire la peau »". Joignant le geste à la parole, Nony alla chercher son fusil au fond de la grange et revint vers l'adjudant-chef, ramena le bouton quadrillé de son fusil à la position arrière, manœuvra la culasse comme pour charger et mit en joue l'adjudant qui se précipita sur Nony. Après une lutte qui a duré d'une minute à une minute et demie il parvint à le désarmer aidé par 2 hommes. Ces deux hommes voulant conduire Nony au poste de police, il leur échappa pour se précipiter à nouveau sur l'adjudant-chef Autin qu'il saisit à la gorge, appuya son pouce de toutes ses forces sur le larynx et plaça ses doigts sur la bouche en lui disant: « je vais te faire la peau, je vais t'étrangler. » Plusieurs hommes, intervinrent et réussirent à faire lâcher prise à Nony qui continua à vociférer, à frapper des pieds, de la tête. Complètement ligoté, Nony fut conduit sur une brouette au poste de police. Nony n'était pas en état d'ivresse, il avait bu un peu mais pas à l'excès.
Au cours de l'instruction, Nony a déclaré qu'il avait éprouvé une vive contrariété [qui] l'a fait entrer dans un état de fureur extrême, il ne se souvient de rien de ce qu'il a pu faire, il a agi sous l'empire de la folie, il regrette sa conduite.
Son capitaine s'exprime sur le compte de Nony de la façon suivante: « Nony est un individu extrêmement dangereux, le type de la brute chez laquelle n'existe plus aucun bon sentiment. Il est incapable de racheter son passé ainsi qu'il l'a demandé lors de sa dernière condamnation. Il est incapable de s'empêcher de boire. Il nourrit contre les gradés une véritable haine qui se traduit par une volonté très nette de tuer. Cette volonté est parfaitement consciente. Nony sait très habilement éviter les circonstances aggravantes et profite de tous les incidents qui peuvent atténuer sa faute. La manière de servir de Nony depuis qu'il est à la compagnie a été assez bonne. Pendant les séjours aux tranchées, je n'ai eu aucun reproche à lui adresser. Pendant les séjours de repos à Hans au contraire, sa conduite a passablement laissé à désirer. »
« Engagé volontaire pour 4 ans le 17 février 1903 dans une bataillon d'infanterie légère d'Afrique... A la suite d'une condamnation [CG de la division d'occupation de Tunisie le 22 décembre 193 à la peine de 10 ans de réclusion, la dégradation militaire et à vingt ans d'interdiction de séjour, coupable de coups mortels (circonstances atténuantes admises)]... il a reçu l'autorisation de contracter un engagement volontaire pour la durée de la guerre... »
Lors de l'interrogatoire du CG, il lui est également reproché d'avoir crié « vous êtes des assassins, je sais que c'est douze balles qui m'attendent mais je m'en fous, vive l'anarchie. » Battesti, l'un des témoins chargé de le maîtriser rapporte qu'il les aurait traités de lâches. L'adjudant-chef Autin reconnaît qu'il savait pertinemment que le fusil n'était pas chargé (mais suppose curieusement que Nony pensait le contraire alors que toutes les armes de la section étaient vidées) et que Nony n'a pas eu le temps d'abattre le chien avant qu'il lui arrache l'arme. Il ajoute : « Pendant le temps que les hommes le maîtrisaient, il disait: « bande d'assassins, capitaine Hardy, vous restez dans votre trou pendant qu'on se fait tuer. » Le « Vive l'anarchie" attesté » par le commandant Hardy dans son premier rapport n'apparaît pas dans les déclarations d'Autin.



François-Marie Giudicelli, né le 20 juin 1894 à Santa Reparata di Bologna où il exerçait le métier de pêcheur.
jeudi 4 octobre 2012,  Journal de la Corse : Le squelette de ce soldat corse du 140e régiment français, a été retrouvé dans sa tombe les mains encore liées dans le dos et enterré à même la terre, sans cercueil, sans nom, sans plaque. Il a été exhumé vendredi du cimetière de Caix pour être inhumé dans son village natal.
François Guidicelli n'était pas un « soldat inconnu », comme le mentionnait un vieux registre du cimetière de Caix où son nom, jusque là dûment notifié, avait été ensuite effacé, intentionnellement sans doute.
Il a été de tous les combats à partir de septembre 1914, date de son arrivée au front jusqu'au 8 juin 1915. Ce jour-là, il est retrouvé sans connaissance sur le champ de bataille par un brancardier dont le témoignage figure dans son dossier militaire. Un papier daté du 12 juin 1915 et signé du sergent Gouron était ainsi rédigé :
« Je reconnais avoir relevé le soldat Guidicelli dans la nuit du 7 au 8 juin vers 1 heure du matin. Ce militaire est resté sans connaissance pendant plus d’une heure. »
Le 9 juin au Poste de Secours on lui prodigue quelques soins avant de lui ordonner de rejoindre son régiment. Il s'effondre en chemin, vraisemblablement victime du syndrome de Shell-Shock. Cela explique la disparition temporaire de Guidicelli, qui se présente de lui-même à son Commandement le 17 juin, dès qu'il a repris quelque peu ses esprits. Il est déféré le surlendemain devant un Conseil de Guerre spécial, et fusillé à Caix dans la Somme le lendemain, le 20 juin, jour anniversaire de ses 21 ans.




22 juin 1915

La décimation du 2è régiment de marche du 2è régiment étranger (Légionnaires russes)

Les événements :
Afin de comprendre la situation, il faut se reporter à une lettre du colonel Ignatieff, attaché militaire russe à Paris, qui, le 23 février 1915 se fait écho des plaintes de ses compatriotes -enfin de certains d'entre eux, car, en bon aristocrate, il répartit les volontaires en deux catégories distinctes auxquelles les autorités françaises ne cesseront de se référer :
J'ai l'honneur de porter à la connaissance des autorités françaises compétentes, ce qui suit:les nombreuses lettres et réclamations qui parviennent à l'ambassade de Russie de la part des volontaires Russes et de leurs parents démontrent d'une façon certaine que la situation des engagés volontaires russes, combattant dans les rangs des régiments étrangers, laisse à désirer et crée un sentiment de mécontentement de la part des chefs français d'un côté et des volontaires mêmes de l'autre, mécontentement qui, malheureusement, ne fait que grandir.
Ayant étudié cette question, j'ai pu déterminer d'une façon exacte les raisons de cet ordre de choses, mais avant de les analyser, il est absolument indispensable que je signale l'énorme différence qui existe entre les deux catégories bien distinctes de volontaires russes : la première comprend les Russes qui dès les premiers jours de la mobilisation sont accourus spontanément pour offrir leurs services à la France amie et alliée et combattre l'ennemi commun. Cette catégorie comprend outre un grand nombre de gens instruits et cultivés : étudiants, artistes, ingénieurs, avocats, hommes de lettres, etc... une certaine quantité d'anciens soldats, réservistes et territoriaux, que la guerre a surpris à l'étranger et qui, quoique non appelés sous les armes en Russie, en raison de l'absence ou de la difficulté de communications, ont néanmoins tenu à remplir leur devoir et sont venus se ranger sous les drapeaux de la France. Toute cette catégorie de ce qu'on peut appeler les volontaires « convaincus » est tout à fait digne d'intérêt, car, étant animés d'un idéal patriotique et pleine d'ardeur et de bonne volonté, elle ne demande qu'à se battre.
Quant à la seconde catégorie de volontaires Russes qui, malheureusement, est fort nombreuse, elle est composée en majeure partie de juifs polonais, émigrés de Russie, qui, jusqu'ici, vivaient sordidement à Paris avec leurs très nombreuses familles et gagnaient péniblement leur vie, exerçant différents métiers, tels que tailleurs, casquettiers, cordonniers, savetiers, etc... La, guerre ayant jeté tout ce monde-là littéralement sur le pavé, ils ont préféré s'engager pour ne pas mourir de faim et assurer le pain à leurs familles. À ceux-ci il faut ajouter un certain nombre de déserteurs, d'insoumis, de criminels évadés et de gens sans aveu qui ont quitté la Russie sans esprit de retour, espérant par le fait de leur engagement se soustraire à la surveillance de la police, et acquérir le droit à la naturalisation. (...)
Leur situation peut se résumer en quelques mots. Les volontaires russes souffrent et se plaignent du fait d'être forcés de vivre et de combattre à côté d'étrangers de différentes nationalités, de leurs propres compatriotes de moralité très douteuse et de cadres de légionnaires envoyés d'Afrique. Ces derniers en particulier, ont apporté dans les régiments étrangers nouvellement formés une mentalité et des mœurs tout à fait spéciales et de nature à choquer et à révolter les volontaires russes qui ne demandent qu'une seule chose, c'est d'être réunis dans des formations commandées par des gradés et des officiers russes ou français parlant le russe. (...)

JMO du bataillon F du 2è RM-RE
« 20 juin 1915 – à Prouilly. Départ à 18h15 pour Merfy et Saint Thierry; Au moment du départ, 44 légionnaires refusent de s'équiper et de suivre le bataillon, déclarant ne plus vouloir servir à la Légion Etrangère et voulant passer dans des corps français. Au dernier moment, 17 légionnaires russes se ravisent et rejoignent leur compagnie. 27 légionnaires russes et arméniens persistant dans leur refus d'obéissance sont remis entre les mains de la force publique, prévenue dans l'après-midi (les légionnaires arméniens demandaient à être envoyés dans un camp de concentration, étant sujets ottomans).
21 juin 1915 –(…) Dans sa séance du 21 juin, le Conseil de Guerre spécial réuni à Pévy par ordre n°4759 du général commandant le corps d'armée pour juger les 27 légionnaires du bataillon coupable de révolte et refus d'obéissance sur territoire en état de guerre condamne ceux-ci :
1. à la peine de cinq ans de travaux publics (7 légionnaires)
2. à la peine de dix ans de travaux publics (11 légionnaires)
3. à la peine de mort (9 légionnaires)
22 juin 1915 – Conformément aux prescriptions de l'article 151 du Code Civil, les neuf légionnaires ci-dessus désignés, condamnés à la peine de mort par le conseil de guerre spécial du régiment, ont été passés par les armes le 22 juin à 15 heures à Pévy.
Rien d'autre à signaler.
23, 24, 25 juin 1915 – Rien à signaler."
Extraits des notes d'audience manuscrites du CG spécial réuni à Pévy qui dure du 21 avril, 15 heures au 22 avril à 2 heures (rédacteur inconnu) :
- Mauvais esprit se manifeste chez certains engagés dès le commencement de février.
- Vers le 10 avril, cinq volontaires russes du bataillon Berecki (1ère catégorie) quittent sans permission les Blancs Sablons et vont à Maizy réclamer au général commandant la 36è Division contre les mauvais traitements dont ils étaient l'objet de la, part de leurs sous-officiers.
Ordre du général commandant la 36è Division de renvoyer dans leur compagnie, sans punition et sans non lieu, les cinq hommes objets de la plainte.
Fâcheux effet.
Mai – dans le courant de mai, les cinq mêmes hommes, punis de prison, refusent de faire le peloton de punition.
Plainte en conseil de guerre est établie contre eux mais par suite de changements de secteur (...) l'ordre d'écrou ne les a pas touchés à la date du 20 juin.
11 juin – Onze légionnaires du bataillon Rozet, en cantonnement à Oeuilly, refusent de se rendre aux tranchées (ils se décident à obéir mais après s'être rendus coupables de refus d'obéissance).
Conseil de guerre = 17 juin. 5 ans de travaux publics. Sans suspension de peine.
18 juin – Courlandon = 4 volontaires russes du bataillon Berecki s'enivrent, font du scandale (on doit les ligoter) et le 19 au matin refusent de partir. Ils rejoignent pourtant le bataillon peu après son départ.
20 juin – Dès l'arrivée à Prouilly le 19 les gradés de la compagnie Jacquesson rendent compte à leur capitaine que la section russe de la compagnie avait décidé de refuser de marcher le lendemain.
Au départ 20 juin à 18h30 :
1) 17 hommes de la section russe de la compagnie Jacquesson refusent de partir. Intervention du capitaine de gendarmerie qui réussit à les décider à marcher.
2) 12 hommes qui avaient couché au poste de police (4 préventionnaires des Blancs Sablons – 4 préventionnaires à la suite de Courlandon – 4 hommes punis de prison) refusent de partir. Intervention vaine de la gendarmerie qui la prend en charge.
3) 7 arméniens et 8 russes de la 3è compagnie (lieutenant Sandret) refusent également de partir.
- Fâcheuse impression produite par les accusés en séance: tous ont crâné; cynisme.
Presque tous parlaient très couramment français et appartenaient à la 1ère catégorie (gens instruits et cultivés).
Défense: les Russes voudraient servir dans un régiment français et non au 2è Etranger où ils sont maltraités et mal nourris.


Rapport du Général Guérin, 9 juillet 1915 :
Dans l’après midi, quatre légionnaires, ivres, ( Kononoff, Kask, Kircew, Elfant.) quittent leur cantonnement, bardés de bidon afin de les faire remplir de vin au débit de boisson.
Un sergent (Barras) veut les en empêcher mais l’excitation des hommes est telle que des renforts doivent intervenir.
Amenés dans le poste de police, ils brisent le poêle, des vitres, un banc.... A l’extérieur, ils descellent une porte, détruisent une boite aux lettres....
Un homme de la section de renfort, ivre lui aussi, se joint aux émeutiers et « les dépasse en violence » (Adamcheftski)
Dans la rue, hommes, femmes, enfants, d’autres militaires assistent, ébahis à la scène...
Le calme renaît à l’arrivée du chef de bataillon. Il ordonne au sergent de bâillonner et ligoter les soûlards si l’esclandre reprend. A peine a-t-il disparu que les cris reprennent. Les 5 légionnaires menacent « de passer aux Boches » puis se remettent à casser tout ce qui se trouve à leur portée. Des cordes et des baillons sont apportés. Les coups de pieds et de poings volent de toute part. Un caporal est mordu si fortement que sa capote et sa chemise sont coupées. 4 hommes sont nécessaires pour maîtriser chacun des pochards !!
« Cette opération ne se fait pas sans de grandes difficultés et sans une vigoureuse résistance des légionnaires. Dans leurs soubresauts, plusieurs se frappent et se meurtrissent la tête. Certains ont de la terre, d’autres, dont Adamcheftski, du sang sur le visage, ou sont égratignés. »
A 20 heures 30, le calme définitivement revenu, les légionnaires sont lavés, nourris et renvoyés dans leurs chambrées.
« .... Une bagarre ordinaire comme il s’en produit souvent lorsque des hommes de garde emmènent au poste des hommes ivres. Cette bagarre n’a pris un caractère de gravité qu’à l’arrivée d’Elfant, engagé de nationalité russe qui, recevant beaucoup d’argent, exerçait une grande influence sur ses compatriotes en leur offrant à boire et les poussait à la rébellion. »


le 22 juin 1915
Le général commandant le 1er CA au général commandant la Vème Armée à Jonchery sur Vesle
Il m'a été rendu compte en outre que l'attitude de tous les coupables au cours de l'audience a été celle de révoltés. Dans ces conditions, j'estime qu'un exemple s'impose.
En conséquence, j'ai donné l'ordre que l'exécution des neufs condamnés à mort aurait lieu aujourd'hui dans l'après-midi près de Pévy, où se trouvent les coupables.

Condamnés à 10 ans de Travaux forcés
Kouonoff Vladimir (/ Wladimir), 1/06/1883, Izvolsk, Russie, étudiant,1m61 
Kolodine Jean (/ Michel), 22/11/1894, Kastroma, Russie, tailleur,
Kotchikian Joseph, 19/03/1889, Constantinople, Turquie, employé de commerce, 1m60 
Arcous Jacob, 22 mars 1893, Dwimsk, Russie, bijoutier, 1m60  
Khédidjian Agof, 1886, Constantinople, Turquie, tailleur, 1m67
Yadjian (/ Yagdjian) Grégoire, 16/05/1891, Brousse, Turquie, tailleur, 1m72 
Elmassian Armagnac (/ Aram), 8/01/1888, Rouskouk, Bulgarie, 1m80 
Kenskenvitch (/ Kenskewitch) Sobislav (/ Sobielaw), 11/10/1894, Varsovie, P., modeleur, 1m65  
Pembedjian Hmayak (/ Helma / Hemaïak), 24/06/1891, Van, Turquie, photographe, 1m75 
Zaraderian (/Sarayderian) Agof, 1887, Constantinople, Turquie, maréchal, 1m70 
Lifchitz (Liwchitz) Grégoire, 19/04/1887, Simferopol, Crimée, avocat, 1m72

Condamnés à 5 ans
Kasq (/ Kask) Joseph (/ Stanislas), 21/02/1881, Karmenka Beergoura, Russie, chauffeur,
Kirieff Paul, 16/01/1888, Bohatok, Russie, chauffeur,   
Joffé Bention, 12/05/1891, Hauchky, , boulanger, 1m58 
Levinshon Nochim, 14/07/1890, Mariempol, Russie, étudiant, 
Gulbinkian Garabed (/ Gulbenkian), 15/11/1884, Talasse en Césarée, fondé de pouvoir, 1m70 
Portner Nordko (/ Mordko), 15/03/1886, Moraka, Russie, tourneur, 1m72 Zabrono Bernard, 22/01/1887, Kouniv, Russie, vernisseur, 1m65


Les condamnés à mort sont (Nota : 3 d'entre eux étaient juifs)


Jean Pallo, Палле, né le 10 octobre 1890, Tallin, Finlande russe (Estonie), étudiant, 1m70 ou 1m71
- relevé de punitions : 20 à partir du 3 janvier, s'esquive pour couper aux travaux. Il s'en explique le 9 avril  : il veut être renvoyé de la Légion. Il porte le pantalon rouge au lieu du bleu, il cache ses brodequins pour ne pas être de corvée de punis.
État signalétique : domicilié à Helsingfors blond aux yeux bleus.
Max Dickmann, Дыкман, 9 septembre 1892 ou 90, Moscou, Russie, boxeur, 1m90
4 punitions les 25 et 27 mars pour avoir répondu « tu me fais chier » à son caporal lui demandant de rapporter le pain et s'esquive d'une corvée. 
Jean (/Jan) Brudeck, Брудек, 18 avril 1886, Bogorias, Pologne russe, journalier,
relevé de punitions : 5 juin pour avoir "été rencontré 3 fois dans la même journée dans une compagnie voisine", puis le 20 juin pour avoir "perdu sa pelle pioche"
Georges Albert Elfand, Элефант, 8 mai 1891, Odessa, Russie, 1m90 : considéré, on l‘a vu, comme le meneur de la rébellion.
-punitions : 6 à partir du 15 mars, surtout pour ses propos.
De son adjudant, alors qu'il fait des difficultés pour aller en corvée : « Ah ! je le connais l'adjudant, il était sergent major à la 4e, ce n'est pas le Pérou ».
En sentinelle, à son chef de poste qui le réprimande : « Après tout je ne veux pas me laisser chier sur la tête par un caporal ».
Lors d'un exercice des punis, il les interpelle en leur « faisant des singeries ». réprimandé par le sergent il rétorque : « vous ne m'avez encore donné l'ordre qu'une fois, j'ai encore le temps de partir. Il faut que je refuse 3 fois pour passer en conseil de guerre ».
État signalétique (yeux gris, cheveux noirs).
Grégoire Artomachin (/Artomachim) Артамошин 27août1887, Méchaing, Russie, mécanicien,
- relevé de punition : 19 juin, jetant ses armes, ses effets, refusant de se mettre en tenue.
Nicolas Nicolaeff (/Nicolaieff), Николаев, 27 juillet 1889, Nijni Novgorod, Russie, étudiant,
- relevé de punition : 7 avril 1915, « insulte envers ses camarades ».
Jean Petroff, Петров, 17 octobre 1880, Yvano Dombrosvk, Russie, tourneur, punitions ; néant
Simon Chapiro, Шапиро, 12 juin 1888, Saint Petersbourg, Russie, rentier, 1m64
Tigran Timaksian, Тимокошан, 4 mai 1878, Mouch, Turquie, 1m59
Ils sont exécutés le 22 juin à 15 heures. Avant la fusillade les volontaires russes ont crié : " Vive l'alliance, La France et la Russie ! A bas la Légion ! "
Nouvelle revue socialiste, 1925
 



Emile Grossenrieder, né le 1er avril 1894 à Nancy, monteur à Paris, célibataire, soldat au 169è R.I. 7è Cie,
condamné par le CG de la place de Toul le 20 mars 1915 à deux ans de prison (peine suspendue) pour abandon de poste sur un territoire en état de guerre, Grossenrieder n’était arrivé au 169è que depuis trois semaines. « Grossenrieder est un habitué du dépôt des éclopés. Il y est venu du 23 au 24 décembre ; il y est revenu du 11 au 25 janvier. Il s’y trouvait une 3è fois le 27 janvier, sans que le médecin-chef ait pu déterminer comment il s’y trouvait… Pour essyer de prolonger son séjour aux Eclopés et afin d’éviter le départ, l’inculpé s’absenta jusqu’au 31 janvier, pensant ainsi échapper à son retour sur le front. Il sauta le mur le 29 janvier après l’appel… Il a passé à Nancy les journées des 29, 30 et 31 janvier… déclare aujourd’hui qu’il a passé son temps dans sa famille, tandis qu’il avait déclaré tout d’abord qu’il avait passé son temps à Toul avec sa femme. »
« Dans le combat du 31 mars au 1er avril, pour l’obliger à tirer sur les allemands, ses supérieurs auraient dû lui répéter six ordres successifs et même le menacer du revolver ».
CG des Etapes et services de la IVè armée, 22 juin 1915 :
Mes camarades me faisaient des misères. Ils m’appelaient « tête carrée » parce que mes parents étaient alsaciens. (Mon lieutenant M. Bouzoux et mes camarades… me disaient que ma place n’était pas avec eux mais avec les allemands). Lorsque ma Cie a été aux tranchées, je suis resté au poste de police de Montauville. Pour justifier ma présence à Montauville, j’ai déclaré au sergent que j’étais exempt de service, 2 jours. Le sergent Faujaud m’a ordonné de monter aux tranchées lorsqu’il s’est aperçu que je lui avais dit un mensonge, je n’ai pas obéi… Je lui ai dis que je savais bien que si je n’y remontais pas, on me fusillerait, mais Carlier le militaire avec lequel j’ai déserté était là, m’a excité à ne pas obéir et à déserter avec lui. Cependant le soir je suis allé jusqu’auprès des tranchées, mais il faisait nuit et je n’ai pas retrouvé ma Cie. Je suis revenu à Montauville. »
Grossenrieder avoue avoir refusé d’obéir le 12 avril 1915. Il nie avoir dit « je connais le code, j’aime mieux avoir 12 balles dans la peau que de remonter aux tranchées ». Le 13 il déserte ; son but aurait été de se rendre à Paris voir sa maîtresse et son enfant malade.
Grossenrieder et Carlier sont arrêtés le 17 avril par les gendarmes de la prévôté de la IVè armée à Jalons les Vignes (Marne), n’ayant aucun écusson sur leur uniforme et errant dans le cantonnement du 11è régiment de Dragons. Ce qu’il advint de Carlier reste un mystère. Grossenrieder est fusillé à Châlons en Champagne le 23 juin 1915, 4h.


Julien Pierre Mons, né le 6 juillet 1891 à Torreilles (Pyrénées orientales), célibataire, tonnelier, soldat au 52è R.I. 3è Cie,
traduit devant un CG spécial du 52è R.I. au motif de « tentative de meurtre avec préméditation et guet-apens »
Sergent Gabriel Rigal : « J’ai prévenu vers 12 heures les soldats Mons et Couder de se préparer pour assister à l’exercice des punis. Ils ont commencé à se mettre en tenue et à monter leur sac ; puis, à l’indication de ne pas avoir à prendre leurs armes pour cet exercice ont déposé leur sac, et refusé catégoriquement de marcher. Je suis allé en prévenir immédiatement le capitaine Marchal qui vint lui-même s’assurer du fait. Le capitaine Marchal donna l’ordre lui-même aux soldats Mons et Couder d’assister à l’exercice. Sur leur refus, il les prévint qu’il les traduirait en conseil de guerre pour refus d’obéissance, leur donna l’ordre de quitter leur équipement et qu’il les ferait conduire en prison au poste de police. C’est à ce moment que le soldat Mons prit son fusil, l’arma au moyen du magasin qui était approvisionné, mit en joue et fit feu sur le capitaine qui se trouvait à l’entrée de la grange. Au même instant, le sergent Bertrand se précipitait sur le soldat Mons pour le désarmer. Il reçut la première balle dans le bras. Le soldat Mons rechargeait à nouveau son fusil et tirait une deuxième balle, encore sur le capitaine, rechargeait une troisième fois lorsqu’il fut mis dans l’impossibilité de tirer par des soldats témoins. Le soldat Mons fut mis dasn l’impossibilité de nuire immédiatement et conduit dans un local fermé au poste de police. »
Mons : « Vous venez de m’apprendre que le sergent Bertrans était grièvement blessé et qu’on venait de lui couper le bras ; je l’estimais beaucoup, je ne sais comment je me suis laissé aller à un acte pareil. .. Je n’ai jamais rien eu avec le capitaine Marchal et n’ai pas à me plaindre de lui… J’étais incorporé au 80è R.I. à Narbonne. J’ai déserté après 9 mois de service ; j’ai fait une absence illégale de cinq mois, et ait été de ce fait condamné à deux ans de prison ». Le prévenu a eu connaissance de sa déposition, mais ayant les mains enchaînées, n’a pu signer. »
« Il est à remarquer que l’inspection des armes, des fusils de toute la section avait été passée pour la dernière fois vers 10 heures et que par conséquent le soldat Mons avait réapprovisionné son fusil malgré la défense faite. »
Mons est fusillé le 25 juin 1915 à Vauvillers, à 21 heures.

Marcel Pierret, né le 3 juin 1893 à Saint-Pierre-et-Miquelon, employé de commerce à Paris, célibataire, 2è classe au 265è R.I., jamais condamné
« Engagé volontaire pour cinq ans en 1911, Pierret partit en août avec le 65è. Evacué au début de septembre pour fatigue générale, il rejoignit le 265è au début d’octobre… Tout le monde le connaissait comme très peureux, cherchant sans cesse à s’abriter dès qu’il y avait du danger ».

CG de la 61è DI (26 juin 1915) : prévenu d’avoir, 1°- Le 15 juin 1915, dans un boyau formant tranchée de départ, refusé d’obéir à l’ordre de se porter en avant, ordre de service à lui donné par son chef, le sous-lieutenant Peugeline, 2°-le même jour et au même lieu, abandonné son poste en présence de l’ennemi, Pierret s’est dissimulé dans un redan au moment où, vers 3 h du matin a été donné l’ordre de charger à la baïonnette les allemands qui s’enfuyaient. Revenu en arrière et rencontrant dans le boyau de sergent Bernard il se cacha dans une sape. Vers 5h30 voyant sa section revenir à sa hauteur il se joignit à elle, lorsqu’elle fut prise sous un feu d’artillerie. Pierret, renversé par le vent d’un obus et couvert de terre, alla alors se cacher dans une sape russe où il demeura 24 heures. Il passa ensuite par deux postes de secours, se plaignant d’une blessure à la main qu’on jugea une simple égratignure, et le 17 au matin fut arrêté dans le parc d’Offémont par le sergent Henry qui s’y trouvait avec la 21è Cie revenue à son bivouac.

Pierret est fusillé le 27 juin 1915 à Saint-Léger-aux-Bois (Oise) : « Le cadavre du soldat Pierret, passé par les armes à 4h30, a été examiné par nous, docteur Chastel à 4h45. Il a été trouvé atteint de onze balles. Tous les coups avaient été tirés dans l’hémithorax gauche. Le coup de grâce a été donné, le supplicié respirant faiblement, après le coup de salve, mais sans connaissance… Il a été possible de reconstituer huit orifices de sortie, plusieurs se confondent. Toute la masse musculaire de l’épaule droite en arrière était dilacérée sur une étendue large comme deux fois la paume de la main. Le bras droit était fracturé à sa partie médiane et la masse musculaire du bras largement déchirée ».


Keita Fodé, né en 1884 à Sigril, cultivateur, tirailleur au 7è RICM, deux cicatrices allongées sur le front.
CG de la 2è division du Corps expéditionnaire d'Orient.
Rapport du capitaine Devoyon : « le 19 juin 1915, vers 22h30, l’adjudant Bouvier vint me prévenir que le tirailleur Fodé Keita venait de se blesser volontairement en se tirant un coup de fusil dans le pied droit. Je donnai aussitôt l’ordre de le transporter au poste de secours du régiment afin de le faire panser… Dans la soirée… il avait prononcé devant ses camarades ces paroles : « je vais me débrouiller pour aller à l’hôpital ». Au moment de le conduire au poste de secours, il opposa la force d’inertie, craignant sans doute que le médecin ne s’aperçût que sa blessure était volontaire. Malgré la canonnade qui était très intense, les voisins de Fodé Keita ont entendu une détonation près d’eux, précédent les plaintes de ce dernier.(…) Fodé Keita est un sujet très médiocre que l’on doit constamment surveiller dans tous les détails du service, mou, paresseux, fainéant et sans aucune valeur. Dans la tranchée de première ligne, il s’est fait surtout remarquer par ses chefs par son habitude à se terrer au fond de la tranchée.
Petit rappel : des révoltes contre l’enrôlement (s'apparentant au début aux techniques de rapt des traites négrières) ont éclaté loin des grandes villes d’Afrique, dont la première chez les Bambaras du Mali, près de Bamako, qui a duré environ 6 mois, du printemps à novembre 1915, annonçant d’autres révoltes plus importantes. Certaines sont très durement réprimées en juin 1916 par la France, qui fait tirer à l'artillerie sur une dizaine de villages récalcitrants, tuant plusieurs milliers de civils.

Fodé est fusillé à la pointe de la baie de Morteau le 28 juin 1915 à 5h.



Joseph Charvet né le 6 décembre 1887 à Neuville-sur-Saône, soldat au 36è R.I.C., et, appartenant au même régiment Pierre Ravel, né le 30 septembre 1887 à Saint-Etienne sont « passé par les armes » et « fusillé » le 28 juin 1915  à Lunéville (Meurthe-et-Moselle) où le régiment ne parait pas stationné, sans trace de jugement. Ce même 28 juin le 36è RIC qui s'était illustré au sein de la 74è DI, la quitte pour entrer dans la 16è DIC et former en partie la 31è brigade.


Claude Marie Duclos, né le 22 février 1888 à Saint-Maurice-le-Châteauneuf, célibataire, maçon à Meylieu-Montrond, soldat au 68è R.I., 2è Cie
CG de la 17è DI (audience du 27 juin 1915) : « Le 15 juin 1915 au soir, ma Cie a quitté Capelle Fermont pour se rendre aux tranchées. Au cours de la route, ayant été pris de coliques, je me suis arrêté en prévenant mes camarades Loiseau et Gaultier. Quand j’ai eu satisfait mes besoins, j’ai continué ma route pour rattraper la Cie. Je ne l’ai plus retrouvée. Il faisait nuit, en cherchant, je me suis égaré dans les boyaux. Le 16 au matin je me suis retrouvé près d’Ecoines, sachant que les hommes de corvée viendraient là le soir chercher la soupe, j’ai décidé de les attendre et rejoindre ma Cie avec eux. En attendant je me suis déséquipé, puis comme j’avais beaucoup de temps encore, je suis allé me promener sans direction. Je me suis reposé dans un champ de seigle où j’ai été trouvé par un maréchal des logis d’artillerie qui m’a fait arrêter. Je n’ai jamais voulu désobéir à l’ordre qui m’avait été donné et mon intention était de rejoindre ma Cie le soir-meme. Je n’avais pas d’écusson, le seul qu’on nous avait laissé était tombé la veille en brossant ma capote… D’ailleurs j’ai tout de suite dit au maréchal des logis que j’étais du 68è et que je ne demandais qu’à rejoindre mon régiment. Je n’ai jamais cherché à me dissimuler. »

Georges Louis, lieutenant : « Duclos est arrivé à ma Cie les premiers jours de l’année 1914. Employé comme tailleur, il était bon serviteur. Après la mobilisation il a fait campagne avec moi dans le rang jusqu’au 12 septembre. Il a participé à tous les combats en faisant son devoir ».
Pierre Loiseau : « C’était un très bon soldat et un très bon camarade ».
Les rapports à charge des officiers, craignant une contagion, interprètent tous les éléments pour obtenir une condamnation certaine. Le motif retenu de « refus d’obéissance pour marcher à l’ennemi » ne correspond à l’évidence pas à la faute. Il n’y a pourtant qu’une seule voix discordante parmi les juges et Duclos est fusillé le 28 juin 1915 à Savy-Berlette (Pas-de-Calais).
Fait exceptionnel, le JMO du 68è R.I. relate l’événement et reprend quasiment mot à mot l’intégralité de l’ordre de parade :
 

Mathieu Léon Gasparoux, né le 1er octobre 1886 à Meymac (Corrèze), maçon, célibataire, 2è classe à la 21è Cie du 300è R.I.
Le 21 avril, Gasparoux part acheter du vin à Martincourt ; on lui prête en effet « un penchant marqué pour l’ivrognerie ». Le 17 avril, il avait été puni de 8 jours de prison pour être resté irrégulièrement 36 heures au poste de secours du régiment. Il est retrouvé (sous l’identité déclarée de Chastanet Léonard) à Gézoncourt le 1er juin en état d’ivresse et ramené à Saint-Jean à 7h30 le 2 juin, où il s’évade du poste de police par une trappe. Il est vite retrouvé à Martincourt, causant paisiblement avec un soldat du 63è.
Par jugement du 22 juin 1915, le CG de la 23è DI ordonne un supplément d’informer afin de vérifier les dires de Gasparoux qui prétend avoir fait le service de tranchées avec le 50è R.I. à Régnéville du 21 avril au 1er juin, période où il est accusé d’avoir abandonné son poste et déserté à Remenauville (Meurthe et Moselle). Seuls deux soldats de la 9è Cie se souviennent avoir bu avec lui une fois à leur cantonnement de Gezoncourt.
Il est en revanche avéré qu’au mois de septembre 1914, Gasparoux, ayant perdu son régiment s’était joint au 50è R.I. où l’avait affecté le commandant de la 3è Cie de ce régiment. « Pendant le temps qu’il est resté avec nous, il s’est très bien conduit. Il nous a rendu des services en exécutant des corvées dangereuses et il est souvent parti en patrouille comme volontaire. »(témoignage Pachier) Il aurait alors été blessé au bras en allant en corvée de vin par une sentinelle française en avant des tranchées de Prosnes, puis évacué sur l’hôpital de Châlons avant d’être renvoyé au 300è. Aucune pièce officielle ne confirme cet incident. Caporal Vergnaud 50è R.I. 3è Cie : « Je ne l’ai revu que six mois après environ en traversant un village au cours d’une étape que nous faisions de Mesnil-la-Tour à Villers en Haye. Dans ce village cantonnait un régiment du 325è je crois ou du 300è. En passant le soldat Gasparoux est venu me dire bonjour et m’a suivi pendant environ 50m. Il m’a dit qu’il avait été soigné à Mourmelon-le-Grand ou à Châlons. Je l’ai revu une deuxième fois à Rogéville du 27 ou 30 mai dans la rue. Il n’avait ni armes ni équipement et venait chercher probablement du vin puisqu’il portait deux bidons. Je lui ai dit alors « que fais-tu là ». Il m’a répondu : «  Je suis affecté au 108è... » Il m’a raconté que s’il avait été changé de régiment, c’est parce qu’il;avait comparu devant le CG de Toul et y avait été condamné à un an de prison. Comme sil s’est mis à pleurer et formait des projets de suicide, je ne lui ai pas demandé d’explications et je suis parti ». Gasparoux donne l’impression d’être une de ces franc-tireurs qui ont voulu mener leur guerre sans être commandés, à leur guise.
« Condamné à mort pour abandon de poste devant l’ennemi par le CG de la 23è DI dans sa séance du 29 juin 1915, je viens solliciter de votre haute clémence un dernier examen de mon dossier. Peut-être vous permettra-t-il de reconnaître que je ne suis pas un criminel. Je ne crois pas non plus avoir abandonné mon poste devant l’ennemi. Certes, je me suis absenté illégalement alors que nous étions dans un cantonnement de repos, aux 4 Vaux, loin des tranchées de première ligne, mais je ne me serais jamais absenté en présence de l’ennemi, surtout si j’avais été chargé, ce qui n’était pas le cas d’un ordre, d’une mission ou d’une consigne. »
Gasparoux est fusillé dans le ravin entre Talma et Villers-Bocage (Somme) le 30 juin 1915, à 8 heures du matin. 

Mathieu Léon Gasparoux, né le 1er octobre 1886 à Meymac (Corrèze), maçon, célibataire, 2è classe à la 21è Cie du 300è R.I.
Le 21 avril, Gasparoux part acheter du vin à Martincourt ; on lui prête en effet « un penchant marqué pour l’ivrognerie ». Le 17 avril, il avait été puni de 8 jours de prison pour être resté irrégulièrement 36 heures au poste de secours du régiment. Il est retrouvé (sous l’identité déclarée de Chastanet Léonard) à Gézoncourt le 1er juin en état d’ivresse et ramené à Saint-Jean à 7h30 le 2 juin, où il s’évade du poste de police par une trappe. Il est vite retrouvé à Martincourt, causant paisiblement avec un soldat du 63è.
Par jugement du 22 juin 1915, le CG de la 23è DI ordonne un supplément d’informer afin de vérifier les dires de Gasparoux qui prétend avoir fait le service de tranchées avec le 50è R.I. à Régnéville du 21 avril au 1er juin, période où il est accusé d’avoir abandonné son poste et déserté à Remenauville (Meurthe et Moselle). Seuls deux soldats de la 9è Cie se souviennent avoir bu avec lui une fois à leur cantonnement de Gezoncourt.
Il est en revanche avéré qu’au mois de septembre 1914, Gasparoux, ayant perdu son régiment s’était joint au 50è R.I. où l’avait affecté le commandant de la 3è Cie de ce régiment. « Pendant le temps qu’il est resté avec nous, il s’est très bien conduit. Il nous a rendu des services en exécutant des corvées dangereuses et il est souvent parti en patrouille comme volontaire. »(témoignage Pachier) Il aurait alors été blessé au bras en allant en corvée de vin par une sentinelle française en avant des tranchées de Prosnes, puis évacué sur l’hôpital de Châlons avant d’être renvoyé au 300è. Aucune pièce officielle ne confirme cet incident. Caporal Vergnaud 50è R.I. 3è Cie : « Je ne l’ai revu que six mois après environ en traversant un village au cours d’une étape que nous faisions de Mesnil-la-Tour à Villers en Haye. Dans ce village cantonnait un régiment du 325è je crois ou du 300è. En passant le soldat Gasparoux est venu me dire bonjour et m’a suivi pendant environ 50m. Il m’a dit qu’il avait été soigné à Mourmelon-le-Grand ou à Châlons. Je l’ai revu une deuxième fois à Rogéville du 27 ou 30 mai dans la rue. Il n’avait ni armes ni équipement et venait chercher probablement du vin puisqu’il portait deux bidons. Je lui ai dit alors « que fais-tu là ». Il m’a répondu : «  Je suis affecté au 108è... » Il m’a raconté que s’il avait été changé de régiment, c’est parce qu’il;avait comparu devant le CG de Toul et y avait été condamné à un an de prison. Comme sil s’est mis à pleurer et formait des projets de suicide, je ne lui ai pas demandé d’explications et je suis parti ». Gasparoux donne l’impression d’être une de ces franc-tireurs qui ont voulu mener leur guerre sans être commandés, à leur guise.
« Condamné à mort pour abandon de poste devant l’ennemi par le CG de la 23è DI dans sa séance du 29 juin 1915, je viens solliciter de votre haute clémence un dernier examen de mon dossier. Peut-être vous permettra-t-il de reconnaître que je ne suis pas un criminel. Je ne crois pas non plus avoir abandonné mon poste devant l’ennemi. Certes, je me suis absenté illégalement alors que nous étions dans un cantonnement de repos, aux 4 Vaux, loin des tranchées de première ligne, mais je ne me serais jamais absenté en présence de l’ennemi, surtout si j’avais été chargé, ce qui n’était pas le cas d’un ordre, d’une mission ou d’une consigne. »
Gasparoux est fusillé dans le ravin entre Talma et Villers-Bocage (Somme) le 30 juin 1915, à 8 heures du matin. 

Quelques civils :

 

Le 7 janvier, Marcel Jules Pépin, est condamné par le CG de la 15è D.I. et fusillé à Meuil-aux-Bois (55).

Carl Ficke (3 mai 1862, Brême, négociant à Casablanca, marié) et Richard Grundler (17 mars 1870 Seehof, directeur de la succursale Ficke à Mazagan, marié 2 enfants) sont condamnés par le CG des troupes d'occupation du Maroc occidental et fusillés le 28 janvier 1915 à 7h à Casablanca.
Dès le 5 août 1914, la colonie allemande de la zone autreois neutre de Tanger est pourchassée par les autorités françaises qui font pression sur le sultan pour émettre des édits expulsant toutes les autorités. Beaucoup d’Allemands et d’autrichiens sont déportés vers l’Algérie. Les plus influents sont gardés en prison à Casablanca afin de les faire juger par des Conseils de Guerre sous l’inculpation d’intelligence avec l’ennemi (et en ce qui concerne Ficke de contrebande d’armes)
Jean-Luc Delaunay in Aux vents des puissances : « Le 13 janvier 1915, Carl Ficke et Richard Gründler sont condamnés à mort. Leur coïnculpé, Nehrkorn, est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Carl Ficke, arrivé à Casablanca au début des années 1880, à la tête d’une des plus importantes firmes du Maroc, est une des personnalités les plus actives et les plus riches de la colonie allemande. Son rôle dans les missions allemandes envoyées à la cour chérifienne et dans différentes affaires comme celle des déserteurs de Casablanca en 1908, sa grande connaissance du Maroc et des marocains, son prestige auprès de ceux-ci -il parle parfaitement l’arabe- avaient fait de lui une des « bêtes noires » des autorités françaises, qui l’accusaient, à la veille et lors du déclenchement de la guerre, d’intrigues antifrançaises et d’espionnage. Son sort était donc scellé, avant même le procès devant le conseil de guerre. Quant à Richard Gründler, qui dirigeait depuis 1893 la firme Carl Ficke Mazagan, son principal crime est d’être le bras droit de Carl Ficke. »

Willy Sattler, né le 31 juilley 1880 à Quelinburg (Allemagne), soldat du 19è R.I. allemande, condamné par le CG de la 18è région de corps d'Armée.
Le sous-officier Sattler  ayant déjà séjourné en France en 1910 , comme en fait foi son expulsion pour vagabondage en 1910, s’était introduit hardiment en France à l’automne 1914, suivant depuis Paris les événements avant de poursuivre son renseignement dans la ville devenue capitale provisoire de la France : Bordeaux. Il y avait été arrêté alors qu’il se trouvait au sein des locaux de l’état-major de l’Armée. L’espionnage était patent. Arrêté en octobre 1914, il n’a été jugé que le 7 janvier 1915. Il a ensuite attendu la décision du Conseil de révision, possible puisque jugé par un Conseil de Guerre de l’arrière, et puis la réponse à la demande de grâce. Son rejet le 15 janvier, entraînait le 17 février son exécution à Mérignac (camp de Luchey-Halde).

Mohamed Ben Abdelkrim El Hadj, des Aït sidi Abdel Aziz, date et lieu de naissance inconnus, et idem Ben El Habib Abderrahman des sidi Larbi sont jugés avec 8 autres par le CG des troupes d'occupation du Maroc oriental, aux motifs d’association de malfaiteurs, vol qualifié, tentative de vol au préjudice de l’état et de militaires (chevaux juin 1914 et 25 septembre 1914, une montre, dix burnous, une sangle d’ordonnance en octobre 1914), meurtre (2 août à Aït Lias sur la personne d’un militaire avec vol d’un fusil lebel modèle 1886), tentative de meurtre (nuit du 12 au 13 octobre sur la personne du cavakier Rouilly, planton du général Henrys) et meurtre avec préméditation et guet-apens. Ils sont fusillés le 25 février 1915 à Meknès (au nord du camp Poublan).


Otillie Voss, née le15 novembre 1880 à Schonnebeck (Allemagne)

Ottilie Voss, institutrice allemande, originaire de Rhénanie, professeur de langues, s'exprimant très bien en français, arrive à Bourges (Cher) le 27 février 1915. À la déclaration de guerre, elle vivait à Agen depuis sept ans. Elle y gagnait honorablement sa vie, donnant des leçons particulières au lycée, dans les écoles, et même aux jeunes filles de l'Inspecteur primaire et à divers enfants d'officiers.
Les bruits de guerre se rapprochant, le 31 juillet 1914 elle part en Angleterre pour, dit-elle, pour « parfaire son instruction dans cette langue ». Visiblement surveillée comme suspecte, elle revient en France, mais pour retourner dans son pays. Elle y trouve une annonce dans un journal de Francfort « demandant hommes ou femmes connaissant plusieurs langues ». Munie de faux papiers d'identité au nom de Jeanne Bouvier, résidente belge, elle se rend en Suisse, en Italie et arrive en France début février 1915. Marseille, Lyon où elle étudie la gare militaire, Nice, Montpellier reçoivent la visite de l'espionne qui se mêle à la population, va au cinéma, se rend au théâtre, bref observe les navires de guerre, les mouvements des troupes, le recrutement et le service de la garde des voies de communications. Un séjour en Allemagne pour rendre compte et la voilà à nouveau missionnée pour le centre de la France – Nevers, Bourges et Orléans – avec une enveloppe de 500 francs (or).
À Bourges, où elle arrive le 26 février, elle s'installe, toujours sous le nom de Jeanne Bouvier, à l'hôtel Terminus, près de la gare. Ses visites s'orientent tout de suite vers la caserne Condé, le polygone de tir, la fonderie de canons, la rue Moyenne. Les services de renseignements, alertés, découvrent dans ses bagages des cartes de chemin de fer. Les annotations ne laissent aucun doute sur son activité.Elle est arrêtée par le commissaire central Portal, écrouée à la prison du Bordiot et traduite devant le conseil de guerre du 8è corps d'armée, présidé par le commandant Brizard, commissaire du gouvernement. Son procès a lieu le 9 avril 1915 devant une salle comble.
L'accusation demande au conseil de guerre « de faire son devoir, tout son devoir afin de donner un exemple salutaire aux misérables qui seraient tentés d'imiter la fille Voss ».
Toutefois, dans une minute du ministère de la Justice datée du 30 avril 1915, le rapporteur « incline à penser que la condamnée n'a pas pu fournir aux autorités allemandes des renseignements importants, et qu'en lui infligeant le châtiment suprême, le conseil de guerre a surtout entendu faire un exemple […] et qu'il n'y a pas lieu d'entraver le cours de la justice ». Son recours en grâce du 27 avril auprès du président de la République Raymond Poincaré est rejeté le 16 mai. Elle est exécutée le lendemain, 17 mai à Bourges.

Jaime Puigventos, né le 24 mai 1892 à Palleja (Espagne), célibataire, voyageur de commerce. CG du QG de la IVè armée (18 mai 1915)

Lettre anonyme : « Près de chez lui à Palleja un allemand de barcelone allait passer les jours de fête et allait chasser dans une propriété. Ces renseignements ont-ils quelque rapport avec l’espion en question et l’allemand l’aurait-il soudoyé ? C’est ce que j’ignore, mais c’est bien probable ».
D’après une lettre en allemand adressée au commissaire du gouvernement, Puigventos apparaît moins comme un espion classique que comme un inventeur farfelu, cherchant à mettre au point des obus « à ressort » :



« Excusez-moi si je n’écris pas correctement. Je ne suis pas Allemand et ce que j’en sais, je l’ai appris par moi-même par désir de m’instruire. Après une vie de malheurs et de désespoir, il faut que je me voie, quoique innocent, conduit en prison pour avoir voulu gagner de l’argent afin de pouvoir aider mes pauvres parents… Je ne sais si vous comprendrez ce que j’écris. Mon principal désir est que cela vous aide à remporter une grande victoire qui terminera cette malheureuse guerre et me rendra ma liberté. »

Après sa condamnation, Puigventos écrit par deux fois au roi d’Espagne dans l’espoir d’obtenir son intervention ; il offre aussi ses services à la France pour se venger des Allemands qu’il pense l’avoir trahi ; il se propose de communiquer les plans d’un aéroplane automatique de son invention. »
A ses parents : « Au commencement de mars, un monsieur Allemand m’a promis beaucoup d’argent si je lui donnais des renseignements sur les Français. Sans penser à ce qui pourrait arriver j’ai accepté de le faire, et il en résulte pour moi que je vais mourir... » Toute l’action de Puigventos a consisté à s’assurer de la présence de trois régiments dans les places de Lyon, Dijon et Mâcon. Il est arrêté à Troyes, sans bagages, porteur de plus de 450 francs.

Puigeventos est fusillé le jour du rejet de son recours en grâce, 24 mai 1915 au champ de tir de la garnison de Châlons en Champagne, 4h10.


Georges Foudrain, 43 ans (13 avril 1871, La Ferté sous Jouarre)  jugé à l'arrière par le CG de la Vè région à Orléans pour des faits remontant à l'année précédente, "pillage en bande avec les allemands, recel d'espion"

Journal du Loiret du vendredi 21 avril 1915
 
fusillé au stand des Groues à Orléans le 15 juin 1915.


Le 29 mai 1915 à Meknès au Maroc, condamnés par le CG des troupes d'occupation du Maroc occidental :
Ben Belgacem Gharbaoui Allal, né en 1869 à Gharb (Maroc), journalier, marié, père de
Ben Belkacem Ben Allal Bou Selham, présumé né en1896 à Gharb, journalier
Ben El Hocin Haddou, présumé né en 1896 à Gharb, moissonneur

Le 19 avril 1915, Haddou ben Hocine, Allal ben Belgacem et son fils Bou Selham ben Allal se rendirent au souk où ils avaient repéré un marchand qui leur semblait bien pourvu d'argent . Lui proposant de les accompagner à Meknès, ils avaient résolu de le tuer et de le dévaliser en route. Au premier campement ils s'endorment ; à leur réveil, ils constatent que le marchand, sans doute méfiant, a quitté les lieux. Ils veulent se mettre à sa poursuite quand ils croisent sur la route Messaoud ben Isri, un juif qui revient aussi du souk, sa mule chargée de marchandises. Allal ben Belgacem l'entretient quelque temps, puis dit à ses compagnons « Ne manquons pas cette occasion, nous n'en aurons pas de semblable avant notre arrivée à Meknès ». Arrivé à l'oued Allal saisit une pierre et frappe Messaoud à la nuque. S'élançant à cheval il cria à Haddou « achevez-le, je m'occupe de la mule. » Haddou se jette sur Messaoud, le maintenant à terre et Bou Selham lui plonge un poignard dans la gorge. Ils fouillent la sacoche qui ne contenait que quelques réaux et s'en vont rejoindre Allal, entre temps arrêté, précédé de la mule volée.
« Haddou a servi au 7è zouave, Bou selham aux tirailleurs marocains ; ils sont d'ailleurs tous deux… dangereux, voleurs de profession, assassins à l'occasion.. »
Allal, Selham, Haddou sont fusillés le 7 juin 1915 à six heures.


Heinrich Ehrich (alias Hauschke), né à Alsleben sur Saale le 11 septembre 1891
CG du QG du 14è corps d’armée, fusillé le 21 juin 1915, minutes du jugement inaccessibles.






 

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