lundi 21 mai 2018

les fusillés de 1918




1918

Un soldat et son chien blessés par le même obus


Mohamed Asadef, 1er RZT, aucun renseignement connu. R.I.P.
 

Janvier

Né en 1893, Henri Camus est étudiant en médecine à Bordeaux en
1914. Il est mobilisé comme caporal au 65èRI jusqu’en 1918. Il réalise des
centaines de croquis sur deux carnets aujourd’hui conservés à la BDIC. "Le Fou" réalisé en 1918 montre un soldat français équipé mais sans armes avancer en titubant, les yeux exorbités, la bouche grande ouverte et le visage apparemment couvert de sang. Faute de décor, la scène a tout aussi bien pu se dérouler dans un poste de secours à l’arrière, dans une position fraîchement bombardée ou sur le champ de bataille lui-même. En quelques traits et en quelques aplats d’aquarelle, Henri Camus parvient à saisir l’accès de folie qui guette les combattants confrontés à une violence extrême.


 

4 janvier 1918 : exécutions sommaires déguisées

Charles Victor Robert né à Parnans dans la Drôme, cultivateur, célibataire à Romans (26) du 131e RI n'a pas été fusillé le 4 janvier 1918 à Bouconville-Vauclair dans l'Aisne quoiqu'il soit inhumé au cimetière de Pontaver. Il n'a pas eu le temps d'être déféré devant un conseil de guerre.

Pas plus que son "complice" Pierre Keraudren  né le 20 décembre 1896 à Brest n'a été fusillé à Craonne.

A la décharge des sous-officiers qui leur ont réglé leur compte, on peut conclure qu'ils ont agi en état de légitime défense. Si toutefois l'état de guerre peut être considéré -en soi- comme légitime. Voici l'exemple de ce qui ne manque pas d'advenir lorsqu'on met légalement entre les mains des hommes des armes létales et qu'on les dresse à tuer !

Le rapport du substitut du commissaire-rapporteur indique :

Le 3 janvier 1918 vers 21h30, le caporal Pingat, du cadre de la section spéciale, sommait le disciplinaire Keraudren, sorti de son abri, d’y rentrer. Au lieu d’obéir, Keraudren lança 2 grenades offensives sur le caporal Pingat, qui éclatèrent sans le blesser. Keraudren gagna alors un dépôt de grenades voisin, et commença à arroser les abris des caporaux et des sous-officiers. Alertés par le bruit, Keraudren fut rejoint par Dapoigny, Colard, Portier et Lenepveu. Après quelques instants d’accalmie, le tir de grenades repris de plus bel sur l’abri des gradés qui se trouvaient ainsi assiégés. Les autres gradés, l’adjudant Ombredane, les caporaux Pingat, Biteur, Vernède tentèrent à plusieurs reprises de les cerner par le sud, le sud-est et l’ouest du dépôt. Mais les mutins ne furent pas surpris et leur envoyèrent des grenades à 3 reprises, qui obligèrent ces sous-officiers à battre en retraite. Les mutins furent ensuite abordés, par le nord du dépôt, par les gradés renforcés par d’autres, ce qui obligea les mutins à regagner leurs abris où ils restèrent calmes, non sans que Keraudren ait essayé de donner un coup de couteau au caporal Pingat. Le tir a duré une vingtaine de minutes. Une centaine de grenades ont été lancées. Trente environ n’ont pas éclaté, on les retrouvera le lendemain matin armées aux abords des abris G et F et du dépôt H.
Le 4 janvier, malgré la surveillance mise en place, en démolissant l’arrière de leurs abris, les 6 disciplinaires ont pu quitter le camp après la soupe du matin en 2 groupes : Colard, Portier, Dapoigny et Keraudren, Robert, Lenepveu.
Ces hommes ont erré, à la recherche de vin, aux environs des coopératives de Tabarin et de Craonnelle. Vers 15h, Dapoigny se laissait arrêter sans difficulté. Colard et Portier regagnaient volontairement leurs abris vers 18heures.
La route de Craonnelle étant barrée par les hommes du génie, le 131e reçut l’ordre d’envoyer une forte patrouille de Craonne vers La Hutte. De leur côté, les gradés s’étaient lancés à leur poursuite. Vers 11h45, la patrouille de la section de discipline a rejoint les 3 disciplinaires aux environs du relais des coureurs et non loin du PC Fillot. Les témoins sont unanimes à affirmer que l’attitude de ces 3 hommes était menaçante et qu’ils paraissaient prêts à tout sauf à se rendre. Isolés en tête de la patrouille, les caporaux Pingat et Bileur ont sommé les 3 hommes de se rendre par 3 fois. Ceux-ci, au lieu d’obéir, ont continué à avancer sur eux, à la fois menaçants et gouailleurs. La scène se précipite, 4 coups de feu partent ; Robert tombe mort, Keraudren mortellement blessé fait quelques pas puis succombe, Lenepveu blessé est à terre et demande grâce.

Ces 3 militaires étaient responsables de l’incendie d’un dépôt de récupération situé sur la route de Craonnelle à Pontavert, à 200 mètres environ à l’ouest de son intersection avec la piste de Monaco, contenant 3 à 4 caisses de fusée éclairantes, 6000 cartouches et environ 700 grenades.
La fiche de N-MPLF de Keraudren est plus précise que celle de Robert : « tué au cours d’une mutinerie le 4 janvier à Craonne ».

Les faits sont maintenant établis. Les soldats Keraudren et Robert sont des  "exécutés sommaires". Ils ont été tués par le caporal Pingat. Les événements du 3 janvier ont certainement « pesé » dans le comportement des 2 caporaux, et sans porter de jugement de valeur sur l’article 121, ces 2 caporaux ont, comme le préconisait le colonel de l’Infanterie Divisionnaire 125, agi dans le cadre de ce règlement. Les circonstances générales sont établies. Bien évidemment, les témoignages divergent sur les moments les plus cruciaux des événements du 4 janvier.

Février


Felix Valotton, Sénégalais au camp de Mailly 1917

Un crime "terroriste"
Philibert Margottin est fusillé le 18 février 1918 à Vincennes.
A 22 ans Philibert Margottin,  était un soldat particulièrement rebelle. Déserteur à quatre reprises, il parvient lors d'une tentative d'arrestation le 18 mai 1917 à frapper le gendarme qui l'a attrapé, et à s'enfuir. Rebelote le 6 juin : il assomme d'un coup de bouteille l'agent venu l'appréhender.
Evadé de prison en compagnie d'un autre déserteur, Camille Pygmalion, 18 ans, ils se rendent le 5 juillet dans un café de Bobigny. Leur allure suscite les soupçons de deux gendarmes qui leur demandent leurs papiers... Margottin, sous des allures dociles, accepte de suivre les policiers, puis sort un pistolet et tire deux balles dans le visage du gendarme Ramade.
Le commissariat de Pantin lance une chasse à l'homme dans les rues de la ville : le brigadier Billon est abattu d'une balle dans le ventre, et le gendarme Boussedayac de deux balles dans la tête. Cinq autres représentants de l'ordre sont plus ou moins gravement blessés.
Tous deux sont condamnés à mort par le deuxième conseil de guerre, le 4 décembre 1917.
Pygmalion voit sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité en raison de son âge (mineur). 
 photos de l'Identité Judiciaire annotée "Pygmalion Camille"


Antoine Manat, né le 13 janvier 1896 à Saint-Vincent de Salers (Cantal), soldat au 45è R.I.
Décédé le 18 janvier à Vaulmier (Cantal) : « Déserteur suite blessure produite par balle de revolver par un gendarme ».


Jules Eugène Camille Hurier, soldat au 2e B.M.I.L.A.,né le 9 novembre 1898.  Décédé à l'infirmerie ambulance de Beni Mellal (Maroc) le 24 février 1918 à la suite de plusieurs coups de feu tirés par une sentinelle après trois sommations avec tentative de désertion.

François Kerevel, né le 22 octobre 1893 à Audierne (Finistère), demeurant à Brest, sans profession, 2è classe au 2è RIC, 4è Cie. Condamnations antérieures : « au pénitencier d’Eysses à Villeneuve sur Lot depuis l’âge de 12 ans pour vol, et condamné à un an de prison pour avoir outragé un sergent. Problème, le 20 janvier 1915, parvient un avis d’ordre général stipulant que Kerevel a été cité à l’ordre de l’armée : « Le 29 novembre, sous un feu très violent, s’est porté au secours d’un sergent du 87è R.I. qui venait d’être grièvement blessé, l’a rapporté dans la tranchée, a ensuite aidé à mettre à l’abri un de ses camarades blessé. »
Le PV d’exécution à mort était déjà préparé en blanc, mais Kerevel n’a pas été fusillé. Quand le commandant du 2è R.I. s’inquiète de connaître son sort, on lui adresse dix pièces qui constituent tout ce qui reste du dossier :
Il n’y avait guère d’espoir pour le soldat Kerevel : le 20 février 1915 devant un CG spécial du 2è RIC, on l’accuse d’avoir abandonné son poste aux tranchées du bois de Gruerie et d’avoir refusé d’obéir à l’ordre de l’adjudant Toul-Lapalisse ; pour le premier chef d’inculpation il était passible de la peine de mort sans dégradation militaire, pour le second de mort avec dégradation militaire, différence dont il y a lieu de croire qu’il se fichait éperdument. Etrangement, il est acquitté. On relève alors contre lui un nouveau délit, prétexte à le maintenir en détention : il se serait rendu coupable aux abris de Saint-Thomas le 5 février 1915 d’avoir outragé par paroles et menaces le sergent Le Roncé en disant à deux mètres de lui: « Si jamais je le retrouve dans la vie civile, je lui ferai son affaire, et si je suis tué j’ai donné son signalement à des copains qui lui feront son affaire. » Pour ce motif le CG de la 40è DI condamne Kerevel le 13 mars 1915 à cinq ans de TP.
Mais, alors qu’il avait été mis en prison préventive le 15 février 1915, Kerevel est mis en liberté provisoire le 15 mars 1915. Sur le jugement reporté se trouve la mention « la faculté de révision a été suspendue par décret du 17 avril. » Selon sa fiche matricule Kerevel retrouve sa place au 2è RIC, mais à l’issu d’un nouveau procès il est condamné à 10 ans de TP toujours pour outrage Il est écroué à l’atelier de Bougie (déporté en Algérie) le 22 septembre 1917. Il meurt à l’hôpital le 28 février 1918.
 

Mars

rue principale de Mac-Mahon
L’affaire du bordj administratif de Mac-Mahon :

Cet épisode marque le début de la révolte des Aurès, commencée le 11 novembre 1916

Mohammed Ben Noui Benali, né en 1881 à Douar Tilatou (depat de Constantine)
CG de la division militaire de Constantine : plus de 3000 pages de procédure, 34 prévenus, association de malfaiteurs, pillage en bande, incendies volontaires, assassinat et tentatives.

Le village d’Aïn-Touta, Mac-Mahon pour les français est en 116 une bourgade d’une trentaine d’habitations le long de la route de Batna à Biskra. Au sud se trouve le campement de l’infirmerie indigène, au nord le bordj administratif, sorte de ferme fortifiée regroupant autour d’une cour fermée par un porche charretier les appartements du médecin, de l’administrateur, M.Marseille (sa femme, sa fille et ses petites filles) et ses hôtes éventuels, le 12 novembre, le sous-préfet de Batna, M Cassinelli sous la garde de deux cavaliers de jour (et de planton déïras - « en tant qu’indigènes peu soucieux de précision et d’ailleurs médiocrement intelligents » précise le commissaire-rapporteur). Tout ce beau monde est venu avec le commandant de Boërio qui loge accompagné de deux gendarmes à l’hôtel Tacon, à l’occasion du conseil de révision annuel. Comme le bruit court que la population indigène accueille assez mal les réquisitions sans cess croissante des jeunes hommes, ils se sont fait accompagner de 25 zouaves cantonnés dans l’infirmerie.,
« Personne ne peut dire exactement comment commença l’attaque » : 600 à 1000 indigènes auraient tenté de forcer la porte cochère et finirent par y parvenir, les plantons s’enfuyant sous les tirs, l’un d’eux allant prévenir les zouaves qui n’avaient rien entendu tandis que l’autre était abandonné dépouillé de tout en pleine campagne. L’administrateur se réveilla au bruit qui se produisait sous sa fenêtre. « Les coups de feu qui éclatèrent presque aussitôt, les you you des femmes venues pour piller et qui attendaient à petite distance, le bris des portes qui craquaient et s’effondraient de toute part l’instruisirent suffisamment que le bordj était l’objet d’une attaque de vive force… Les indigènes se révoltaient. M. Marseille court chercher le sous-préfet au rez-de-chaussée et récolte une balle dans la jambe. Ils remontent fermant les portes derrière eux, mais tandis que Mme Marseille panse son mari, un incendie se déclare au-dehors. Les assiégés remettent sous la menace, une cassette contenant 1599 francs, des effets personnels, tandis que les assaillants brûlent tous les papiers qu’ils trouvent pour s’éclairer. Le feu redouble. Tout le monde s’enfuit, Marseille et Cassinelli les derniers, qui ont la mauvaise idée de se séparer en arrivant à la route. Personne ne voit tomber le sous-préfet : l’autopsie seule déterminera qu’il serait mort d’une fracture du crâne et de plaies à la face. M. Marseille, lui, tomba à sortie du bordj d’une balle dans la nuque sous les yeux de sa femme et de sa fille, laquelle reçut deux balles perdues, une au ventre, l’autre à la cuisse, tirées par les assaillants qui criblaient de coups de feu et de coups de bâton le cadavre de son père. Melle Marseille avait malgré sa terreur reconnu parmi les agresseurs le marchand de légume du village et un ancien deïra révoqué. Ces deux hommes arrêtés peu d’heures après mourront un peu plus tard en prison.
Fendant la foule, survient le marabout Sarahoui qui prend les femmes sous sa protection, non sans être interpelé par le chef des insurgés, Benali. Pendant ce temps de l’autre côté du Bordj le docteur Briquerra et sa femme tentent également de fuir en se dirigeant vers l’appartement des Marseille, puis rebroussent chemin en comprenant qu’ils se jettent dans ila gueule du loup. Par chance, leur domestique musulman Mehira proteste contre l’envahissement et réussit à faire reculer les assaillants qu’il a tous reconnus, Benali, Brahim Kheal, trois frères Azzouzi et certains acteurs de l’affaire des Tamarins (voir Octobre 1918). Trois autres ont égaré leurs papiers dans les décombres, un co-détenu dénonce une dizaine de personnes supplémentaires, identifiant le commanditaire que les autorités décident de laisser en liberté pour le rattraper plus tard et ne pas retarder l’action judiciaire.
recours en révision rejeté le 5 décembre 1917, pourvoi en cassation rejeté le 25 janvier 1918
Mac-Mahon (Algérie) le 6 mars 1918


Eugène Hippolyte Henri Lecompte, né le 21 juin 1886 à Tourcoing, 2è classe au 23è RIC (189è R.I. selon sa fiche de décès)
Décédé au camp des détenus disciplinaires d’El Kléaa (Algérie) le 12 mars 1918 « tué d’un coup de feu en s’évadant.


Avril



Fernand Grave, né le 16 avril 1898 à Béthune, manœuvre à la compagnie de tramways puis mécanicien ajusteur à Aubervilliers, célibataire, soldat au 9è bataillon du 87è R.I. jamais condamné
CG du QG de la IIè armée (21 février 1918) : co-inculpés Maurice Eugène Goulas (condamné à mort, paine commuée en 20 ans de prison le 29 mars 1918, amnistié par décret du 26 avril 1922)) et René Benoît Sarroul dit « La Gazette » (5 ans de prison) ; outrages envers des supérieurs dans le service, violences et voies de fait envers des supérieurs, rébellion envers la force armée par plus de deux militaires avec armes., et pour Sarroul en outre ivresse manifeste et publique.
« Le 27 janvier 1918, vers 18h30 à Eurville, centre d’instruction, se produisirent des faits d’indiscipline particulièrement graves, dont la responsabilité incombe aux soldats Goulas, Grave et Sarroul du même bataillon. Tous trois sont de la classe 18, mal notés, ayant des antécédents judiciaires [faux], ils ont donné la mesure de leur mauvais esprit ; ils se sont révoltés contre l’autorité de leurs chefs et l’exemple donné à leurs jeunes camarades a été des plus fâcheux. »
Les faits se sont passés dans la grande rue d’Eurville, très fréquentée à cette heure-là. Le lieutenant Hutin, képi rouge galonné d’or, remarque trois hommes qui chantent fort et causent du scandale. Il s’approche pour les faire taire, et est accueilli par une bordée d’injures : « qu’est-ce qu’il nous emmerde cette espèce de con, bande de feignants, fumier, tes deux ficelles on les aura. » Grave et Goulas bousculent l’officier, ne laissant que Sarroul qui roule à terre, ivre mort. Comme le lieutenant veut le conduire au poste, il crie et se débat et ses camara des, revenant en arriètr apostrophent de nouveau l’officier : « tu vas le lâcher, fainéant, j’aurai ta peau après la guerre, on zigouillera tes deux ficelles, bandes de vaches. » Un attroupement se forme mais personne, ni civil, ni militaire n’ose intervenir, Tandis que Hutin part chercher la garde. Au retour de la patrouille les trois soldats ont vidé les lieux, se dirigeant vers le cantonnement Bastien (débit nommé à partir de son propriétaire, un vieillard de 72 ans, accompagné de son fils, 32 ans, qui, au bruit des tables renversées est descendu dans son magasin une lampe à la main.. Le fils Bastien qui tente de maîtriser Grave et Goulas est pris à partie, Grave, à terre crie « prends n’importe quel fusil » au ratelier « tue-le c’est un civil ». Goulas armée d’un fusil avec sa baïonnette tente de viser le fils Bastien à la gorge. Son père détourne le coup. Grave, armé à son tour, jette le père à terre qu’il tente d’étrangler. Puis il larde de coups de baïonnette le tas de fagots derrière lequel s’est réfugié Bastien fils, l’atteignant finalement d’un coup de crosse dans les reins. Mme Bastien va chercher du secours à une popote de sous-officiers voisine. Les trois adjudants et le sergent qui la suivent ont été devancés par l’adjudant Degave que Grave, tirant de sa poche son couteau injurie en ces termes : « tes galons on les aura, on aura ta peau ». Goulas, voyant l’adjudant viser revolver en main tente de l’assomer avec la crosse de son fusil. L’adjudant Frérard lui donne un coup sur le bras qui détourne le coup, tandis qu’arrive la patrouille du poste de police. Seul Sarroul, affalé au coin d’une cave, n’a pas pris part aux violences du cantonnement Bastien, ce qui lui vaudra une condamnation beaucoup plus faible. La scène s’étant déroulée dans une semi obscurité, Grave et Goulas cherchant à éteindre les lampes des intervenants, les deux hommes sont identifiés par les témoins comme « le petit » (Grave) et « le plus grand ».
Ramenés au poste de police, les trois hommes continuent à montrer une attitude menaçante, mettant la main à la poche comme pour en tirer une arme. Grave tente de donner un coup de pied à Frérard en disant : « bande de vaches, c’est parce que vous avez des galons. Je t’en fous un coup dans la panse ! » A l’arrivée du lieutenant Hutin, Grave se jette sur lui criant « c’est toi qu’il me faut, j’aurais ta peau ». Etrangement la plupart des témoins ne se souviennent dans les injures proférées que de « bande de vaches » à répétition, les phrases citées par le rapport étant issues des dépositions des seules « victimes » directes.
« Le local disciplinaire du 87è R.I. étant trop petit, et déjà au complet, les soldats Sarroul, Goulas et Grave n’ont été incarcérés que le 28 janvier vers 10 heures. »
Compte tenu des menaces à répétition, il est assez aisé de confondre les trois jeunes soldats, surtout Goulas qui présente un casier judiciaire déjà chargé (vol 5 fois et placement dans une colonie pénitentiaire jusqu’à majorité) et de multiples punitions. Les faits de rebellion ne sont pas considérés, et seuls le outrages contre Hutin retenus dans le cas de Sarroul.

Interrogatoire Goulas : « Du reste, de tout ce qu’on nous reproche et qu’on nous met sur le dos, il n’y a rien de vrai. Je ne sais pour quel motif on nous cherche ces histoires. Le Lieutenant Hutin, que nous avons recontré est venu et nous a mal parlé. Puis, deux autres soldats, que je ne connais pas, nous ont tapé dessus. Il se peut que j’ai injurié le Lt sans que je me rappelle les paroles que j’ai prononcées. Ce que je sais, c’est qu’il a appelé deux soldats qui ont commencé à nous taper dessus, alors on s’est rebiffé ».

Devant le conseil :
Grave : « quand l’adjudant Frérard est arrivé, il m’a donné un coup de poing pour m’étourdir, et on m’a emmené au poste.
Adjudant Frérard : «Grave ayant voulu me donner un coup de pied, je l’ai paré en lui donnant un coup de poing.
Grave : Vous m’avez donné le coup de poing avant. »

recours en révision le 1er mars 1918, grâce rejetée le 3 avril 1918
Le petit Grave est fusillé àHeippes (55) le 4 avril 1918 à 6 heures devant une Cie du 9è bataillon.

28 mai 1918 : colonne de prisonniers français au chemin des Dames

Mai


Le 23 mai 1918, Eugène Simonnet, né le 11 septembre 1878, à Paslières, près de Chateldon. Ses parents sont allés s'installer en Haute-Loire, à Allègre ; il fit son service militaire dans ce département ; il mesurait alors 1,59 m (matricule 406 – classe 1898). Avant la guerre, il était célibataire et vivait dans le département du Rhône, à Grigny, comme chef de terrassement. Le 12 mai 1918, au camp de Basse-Chevrie, sur la commune de La Chalade (Meuse), lors d'une revue de détail, Eugène a été ramené dans son cantonnement à la demande de son capitaine de compagnie car il avait une mauvaise tenue en raison de son état d'ébriété (il avait déjà été puni quelques fois pour cela) ; dix minutes après, il revint sur la place, arma son fusil et tira en direction du capitaine d'Aubigny du 305e RI, 25 ans, sans l'atteindre ; mais il blessa mortellement le caporal Manhaudier, 33 ans et il toucha au thorax le soldat Villard ; après son geste, les hommes de la compagnie ont failli lyncher Eugène Simonnet ; lors de l'instruction, on découvrit un carnet sur lequel Eugène avait noté en avril 1917 : « je veux régler le capitaine ; pour moi, il en aura aussi »  
Il est tout de même curieux que la phrase en question (écrite au crayon sur la dernière page du carnet) soit la plus lisible de tout l'ensemble. Certes Simmonet avait-il l'air affecté d'une maladie de persécution, mais la possibilité demeure que ses explications embrouillées ne soient pas toutes le produit d'une imagination dérangée.

Le Conseil de guerre de la 63è division, suite à la demande de la défense, refusa un examen mental de l'accusé avant le début du procès ; les témoignages notés pendant l'enquête signalent qu'il vivait à l'écart de ses camarades. Le 14 mai, après avoir entendu trois témoins, les 5 juges militaires le déclarèrent coupable à l'unanimité sans circonstances atténuantes, de voies de fait envers un supérieur avec préméditation ; selon l'article 221 du Code de justice militaire, un tel verdict entraîne la peine de mort avec dégradation.
Simmonet devant le conseil : « Voilà, mon lieutenant-Colonel, je me suis tourné en face de la compagnie, c’est ma seule faute. L’auget a manoeuvré seul, c’est pas de ma faute… Trois fois le capitaine m’a puni pour « Sobriété », je n’étais pas saoul. Mais je n’ai pas toujours ma tête à moi. Je ne suis pas maboul ; je n’étais pas saoul le jour où l’accident est arrivé. Je reconnais avoir écrit sur mon carnet « Je veux régler le capitaine, pour moi il en aura aussi. C’est le carnet fait aux tranchées. Il est difficile à lire. L’écriture est peut-être contrefaite. La phrase que vous dites je ne sais pas si c’est moi qui l’ai écrite « Je veux régler le compte du capitaine ». C’était le 23 avril que j’ai fait cette écriture. Je ne sais plus à quoi cela a trait. Je ne voulais peut-être pas le tuer encore le Capitaine. Du reste c’est pas de ma signature le carnet : il faut qu’elle soir légalisée pour compter. Tout cela c’est des bêtises écrites pour moi. Y a peut-être aussi dans mon carnet des mots allmands que j’ai copiés sans comprendre. Au Caporal qui me reconduisait à l’abri, j’ai dit le Capitaine m’en veut peut-être. C’est-y cela qu’il faut dire mon lieutenant-Colonel ?.. Faut pas dire que j’ai mis en joue, je refuse. En graissant, j’étais presque dans la position de joue, mais pas à genoux ; je n’ai pas vu le capitaine. Je mentirais de dire que je l’ai cu. Les camarades m’ont reçu à coup de pied dans le cul et coups de poing sur la tête. J’en ai encore mal… Je n’ai rien compris à ce qui s’est passé… qu’est-ce que vous voulez ! »
Le 15 mai, le condamné s'est pourvu en révision, en vain ; il fit alors une demande de grâce auprès du Président de la République : elle fut refusée par message chiffré reçu le 22 mai.
Eugène Simonnet a été fusillé le 23 mai, à 7 h du matin, à Lachalade, à l'emplacement même où il avait commis son crime, au camp de la Basse Chevrie, devant presque tout le régiment ; le peloton d'exécution placé à six mètres du condamné, était composé de 4 soldats, de 4 caporaux et de 4 sergents du 305e R.I.






Un tour de plus en Belgique 

De nombreux soldats français ont été exécutés en Belgique. L'armée et le gouvernement belges se sont-ils montrés aussi indifférents et cyniques face aux pauvres gens qui se battaient pour défendre leurs intérêts financiers?



Cette photo, reproduite de nombreuses fois montre une exécution en présence de quelques officiers anglais. Il s'agirait de la mise à mort le 3 juin 1918 d'Aloïs Walput à Oostduinkerke, reconnu coupable de l'assassinat de son caporal à la prison de De Panne quinze jours auparavant.

Il n'y a eu de 1914 à 1918 "que" 13 soldats belges exécutés.

1. Honoré Doyen  renvoyé dans ses foyers comme inapte au service, arrêté le 10 septembre 1914 pour comportement suspect, convaincu d'espionnage par une cour martiale ; réhabilité, l'erreur judiciaire ayant été reconnue.
2, 3, 4. Trois soldats Elie-Jean De Leeuw, Jean Raes, Alphonse Verdickt furent exécutés le 21 septembre 1914, pour s'être trouvés absent à l'appel.

5, 6, 7, 8. Quatre soldats,  Leopold Noel, Alphons Gielen, Louis De Vos, et Victor-François Remy ont été exécutés pour faits de dé désobéissance, accusés de désertion devant l'ennemi lors de la bataille de l'Yser.

9, 10. Paul Vanden Bosch, Henri Reyns, absents durant deux jours par "peur de monter en 1ère ligne"

11, 12, 13. Exécutés pour meurtre : François-Alphonse Van Herreweghe lancier qui tira sur son lieutenant, le blessant à mort. Aloïs Wulput, engagé volontaire. Emile Verfaille, quartier-maître, reconnu coupable du meurtre de sa fiancée fut, lui, guillotiné.

Un certain nombre de civils furent fusillés également pour faits d'espionnage dont Orphal Simon, magasinier et agent d'assurance, pourtant agent du Service de Renseignement français Bénazet ,cité à l'Ordre de l'Armée française et décoré de la Croix de Chevalier de l'Ordre de Léopold (militaire) avec étoile d'or et palme de vermeil; Croix de guerre avec lion de vermeil et palme de bronze; Croix civique de 1ère classe avec rayures d'or; Médaille du prisonnier politique ; Croix de Chevalier de la Légion d'honneur; Croix de guerre française avec étoile et palme de bronze; Médaille de la Ville de Liège; Médaille de la Ville de Verviers.
Fusillé le 18 octobre 1915 à 06h00 à La Chartreuse à Liège.



Juin



Paul Léon Gillet, né le 5 octobre 1895 à Paris 13è, caporal au 150è R.I.
Le soldat Gillet aurait été condamné à mort par le CG de la 40è D.I. pour un motif inconnu puisque sa fiche de décès seule parvenue mentionne « tué à l’ennemi » au bois de la Cohette (Cuchery). Il est en conséquence déclaré Mort pour la France. 
C'est en réalité un pur mensonge dont on comprend mal que le ministère des armées se fasse encore aujourd'hui l'écho.

La presse de 1924 mentionne que M. Gillet père avait reçu quelques temps après l'annonce de la nouvelle une lettre signée d'"un groupe de camarades" l'informant que Gillet avait été exécuté sommairement par son chef de compagnie, le sous-lieutenant Dutheil.
Voici le texte de cette lettre, dont les auteurs ont naturellement punis pour avoir parlé :
(Date du cachet de la poste 12 juillet 1918) « Monsieur et Madame, Nous avons le pénible devoir de vous écrire au sujet de la mort de votre cher fils et notre malheureux compagnon d’armes. Vous avez sans doute reçu l’Officiel mais vous ne vous doutez pas comment il est mort. Ce n’est pas par les Boches qu’il a été tué, c’est par un lâche un assassin, par un officier Français indigne de son grade. C’est honteux pour l’Armée. Je vous donne son nom : Dutheil 10è Compagnie. Nous, ses camarades, ne souhaitons que la vengeance de ce pauvre Léon qui est MORT en HÉROS à sa place de combat. Vous pouvez demander des renseignements sur sa mort à la 4è section de la 10è Compagnie. Tous ses camarades sont témoins de son assassinat. Surtout ne laissez pas tomber cette affaire, vous pouvez faire faire une enquête dans tout le régiment, ce crime est connu de tous. Surtout n’écrivez pas à la Compagnie c’est ce lâche qui la commande et il pourrait faire disparaître les lettres… Après la guerre je vous donnerai notre nom si nous avons la chance de sortir de là mais, nous avons l’espoir que vous ne laisserez pas sa mort impunie. Un groupe de ses camarades ».
Extrait de la 2è lettre du 29 juillet 1918 :
« Votre fils, cher Monsieur, est mort à deux mètres de la tranchée atteint d’une balle de revolver à la tête, tué lâchement par notre sous-lieutenant commandant la 4è section de la 10è compagnie. Nous l’avons vu un moment après, étendu son sac encore attaché sur ses épaules, ses yeux regardant le ciel comme pour demander secours… Caporal Chevalier. »
Extrait de la 3è lettre, le 31 août 1918 : ‘J’ajouterai que rien au monde ne justifiait semblable crime attendu que votre fils n’abandonnait pas son poste ainsi que le lâche a osé le prétendre mais au contraire se portait en avant pour se garantir d’une caisse de grenades ayant explosée à proximité. Pour Pelet, caporal Pujols, 9è Compagnie ».
4è lettre, 17 septembre 1918 :  « Je pense que je ne vois pas grand amateur pour servir de témoin de votre petit fils, pour le moment il n’en reste pas beaucoup. J’ai demandé à plusieurs ils m’ont répondu qu’ils ne voulaient pas se mettre dans de pareilles affaires, ils ont bien vu mais ils ne veulent rien dire de ce pareil crime qu’un lâche a commis. Il y en a déjà deux qui sont passé le conseil pour cette chose, on nous a interrogé tous sur cette question, un jour ils disent d’une manière un jour d’une autre, il y en a un qui va au P.P.S. et l’autre 5 ans de prison avec suspension de peine. Voilà pourquoi les autres ne veulent pas servir de témoins… Le caporal Pujols a 4 de prison pour vous à rendre réponse. Pelet »
Lettre n°5 (non datée) : « Suivant les témoignages recueillis je crois pouvoir citer celui du soldat Georges Soldatier, présent au moment même où le sous-lieutenant Dutheil exalté ivre du carnage, bondissant sur le premier homme qu’il vit à sa portée s ‘écria « Encore un homme qui se sauve » et à bout portant lui tira une balle en pleine tête. Le crime commis il ajouta « Voici le premier mais ça ne sera pas le dernier » Malgré certaines appréhensions relatives aux mesures disciplinaires qui pourraient être prises contre nous les soldat Soldatier Georges et Rouger René… consentent à signer avec la conviction certaine de faire leur devoir et approuvent justement les allégations apposées ci-dessus… » Signé de plus du caporal L. Chevalier et du soldat Brault Armand.
D’après les témoignages recueillis dans les années 20, le sous-lieutenant Dutheil s’était attiré le matin du 2 juin des remontrances d’un commandant de tirailleurs sénégalais ; Brault le décrit comme n’ayant aucune autorité sur ses hommes et comme un froussard.
Tous les supérieurs de Dutheil dans diverses notes confidentielles approuvent son acte : « Il a agi dans la crainte d’une réprimande de ses supérieurs, si la ligne dont il avait le commandement fléchissait »

La Ligue des droits de l'Homme va soutenir le père du soldat Gillet pour obtenir en vain sa réhabilitation. En août 1920, le soldat exécuté recevra seulement une décoration militaire à titre posthume, de façon à mieux étouffer l'affaire.


Juillet


 
juillet 1918, Aisne

Émile Joseph François Cochet, né le 30 mars 1888 à Saint-Jean-d’Arvey, 2è classe au 118è R.I.,
décédé à l’hôpital de Chambéry le 27 juillet 1918 : « blessure (déserteur du front blessé grièvement au moment de son arrestation) ».

Boti Saya, né en 1890 à Diefouré (Côte d’Ivoire), 2è classe au 98è BTS, décédé à Skra di Legen (Grèce) « tué en rébellion et faisant usage de ses armes ».

François Jean Henri Ernest Peyre, né le 16 décembre 1879 à Mane (Haute-Garonne), soldat au 7è R.I., 17è Groupe spécial. Décédé à Sidi Abdel Jellil (Maroc) le 28 juillet 1918, inhumé à Matmata « tué par sous-officier pour empêcher continuation d’assassinats ».

Ernest Malgouyard, né le 13 juin 1880 à à Souillaguet (Lot), mort le 28 juillet 1918 à Fez (Maroc) d’un "coup de feu tiré par un chasseur (assassinat) en service commandé", Sergent, 7e Régiment d’infanterie, 17e Groupe spécial.

Août


Jean-Baptiste Bourda, né le 27 mai 1895 à Escublazet (Saint-Haon, Haute Loire), ouvrier agricole à Saint-Gilles (Gard), 2è classe au 8è RIC (précédemment incorporé au 133è R.I.)
« Le 20 décembre 1917, la gendarmerie de Lanarce (Ardèche) était informée par le maire de Lespéron qu'un incendie venait de détruire la maison d'habitation de la veuve Rouvier domicilié au hameau de Malesveille et que ladite dame avait péri dans les flammes. Au cours de leur enquête des 21 et 22 décembre, les gendarmes acquirent la certitude qu'il s'agissait d'un assassinat dont le vol avait été le mobile, la maison ayant été incendiée pour dissimuler les traces du crime. En outre, la rumeur publique désignait comme coupable présumé le soldat Jean-Baptiste Bourda du 6è Colonial en garnison au camp de la Valbonne, petit-fils de la victime. Dans les premiers jours du mois de décembre, ce soldat avait écrit à sa grand-mère, lui demandant 200 francs par mandant télégraphique, expliquant qu'il avait été condamné à 6 ans de travaux forcés à la suite d'un retard de 2 jours à sa rentrée de permission et que moyennant le versement de cette somme une personne qui s'intéressait à lui se chargeait de le faire gracier. M. Armand, épicier à Langogne, à qui la veuve Rouvier demanda conseil répondit qu'il s'agissait d'une farce et qu'il ne fallait pas envoyer d'argent. Il écrivit lui-même dans ce sens à Bourda qui, quelques jours plus tard, adressa à sa grand-mère une nouvelle lettre dans laquelle il marquait son dépit en disant que c'était la dernière fois qu'il lui écrivait et en signant : « Votre petit-fils à l'abandon, Bourda ». L'existence de cette correspondance qui a été déchirée a été révélée par Mlle Julie Bouragay à qui la veuve Rouvier sa voisine et confidente en avait donné connaissance.
Bourda perdit son père à l'âge de 5 ans ; sa mère travaillant dans une soierie à Voiron ne pouvait s'occuper de lui. Il fut recueilli et élevé à Malesveille par sa grand-mère maternelle, la veuve Rouvier. Pendant son service militaire, c'est chez elle qu'il venait passer ses permissions. Il était revenu à Malesveille dans la première quinzaine de novembre, et d'après les dires de sa tante, Mlle Aurélie Rouvier… sa grand-mère ne l'avait pas laissé partir sans argent. »
Arrêté le 25 décembre, Bourda avoue devant le commissaire, le juge d'instruction et Rapporteur.
« Le 27 septembre,à l »expiration d'un congé de convalescence obtenu après son évacuation pour maladie de l'Armée d'Orient, Bourda rejoint le dépôt de son régiment au fort Saint-Irénée à Lyon… puis est versé dans une compagnie d'entraînement au camp de la Valbonne. Là il fait connaissance au café Teillet d'une servante nommée Félicie Mallière avec qui il a des relations intimes… Le café Teillet ayant été consigné à la troupe, Félicie Mallière quitte la Valbonne pour aller s'installer à Lyon. Quelques jours avant son départ, elle revoit Bourda et lui demande de l'argent. Celui-ci qui a essayé sans succès d'obtenir une somme de 200 francs de sa grand-mère a déjà fait le projet de se rendre chez son aïeule et d'obtenir d'elle l'argent dont il a besoin pour satisfaire sa maîtresse. Mais comme pour pouvoir mettre son projet à exécution, il a besoin d'une permission exceptionnelle, Félicie Mallière consent dès son arrivée à Lyon à expédier à Bourda un télégramme lui annonçant une maladie grave de sa mère. Au moyen de ce télégramme mensonger, Bourda obtient une permission de 48 heures. Il quitte la Valbonne le 18 décembre à 18 heures… et arrive à 21 heures à Langogne. Après s'être restauré dans un hôtel voisin de la gare, Bourda se met en route de façon à n'arriver à Malesveille qu'à minuit. En arrivant chez sa grand-mère Bourda frappe à deux reprises. La veuve Rouvier qui était couchée se lève et reconnaissant la voix de son petit-fils le fait entrer dans la cuisine, puis elle lui demande le but de sa visite à une pareille heure. Bourda répond qu'il vient chercher de l'argent. Comme la grand-mère déclare qu'elle n'en a pas et ne peut lui en donner, Bourda insiste… A ce moment la grand-mère se fâche et veut chasser son petit-fils. »Comme j(étais décidé, dit Bourda, à trouver de l'argent coûte que coûte, j'ai saisi un bâton que je trouvai dans la cheminée et tandis que ma grand-mère se dirigeait vers la porte de la cave qui se trouve au même niveau que la cuisine, je la frappai par derrière la tête. Elle tomba sur le sol de la cave sans pousser un cri et ne bougea plus. Prenant la bougie qu'elle avait allumée pour venir m'ouvrir je montai dans sa chambre et fouillai dans l'armoire où je pensais qu'elle serrait ses économies.Je n'ai trouvé qu'un billet de banque dissimulé dans du linge et un collier en or. Je n'ai pas fouillé autre part. Après être redescendu dans la cuisine et dans la cave et avoir constaté que ma grand-mère dont le haut du corps reposait étendu sur un tas de pommes de terre n'avait pas bougé, j'ai eu l'impression qu'elle était morte. Dans le but de cacher mon acte et d'échapper aux recherches j'ai eu alors l'idée de mettre le feu à la maison. Deux fagots de bois se trouvaient dans la cuisine près du feu ; j'ai mis le feu à ces fagots et me suis rendu compte avant de m'éloigner que la flamme produite par le foyer que j'allumais ainsi pouvait atteindre le plancher assez bas de la cuisine et communiquer ensuite le feu au bois qui se trouvait sur ce plancher. En me rendant à la gare de Langogne je me suis rendu compte que la maison brûlait et ai nettement distingué la lueur de l'incendie. J'ai quitté Langogne à 5 heures du matin et suis arrivé le lendemain 21 décembre à Lyon Perrache où j'ai retrouvé à 7 heures Félicie Mallière à qui j'avais donné rendez-vous. Je suis resté en sa compagnie jusqu'à trois heures de l'après-midi. Après avoir bu ensemble dans divers cafés nous avons déjeuné cours Lafayette et avant de la quitter, je lui ai remis une trentaine de francs et, le collier en or et quelques menus objets achetés à son intention (gants, flacon de parfumerie). Il y avait longtemps qu'elle me demandait de l'argent. En lui donnant le collier je lui ai expliqué que je l'avais reçu en cadeau de ma grand-mère ; cette femme ne m'a jamais poussé à tuer ni voler et elle ignore entièrement le crime dont je me suis rendu coupable pour la satisfaire ».
Borda ajoute qu'il n'était pas allé chez sa grand-mère pour la tuer ou li faire du mal et qu'il voulait simplement obtenir d'elle de l'argent. »
Selon ses proches la veuve Rouvier devait avoir chez elle environ 1500 francs d'économie (Bourda dit n'en avoir trouvé que 50) et en plus du sautoir une chaîne de montre et des boucles d'oreilles. Bourda n'avait pas d'antécédent judiciaires. Blessé aux Dardanelles le 30 juin 1915, il était considéré comme un bon soldat, son relevé de punitions était vierge.Comment à la suite d'un congé de convalescence est-il devenu parricide et pyromane ? Par amour d'une femme de peu qui cherchait à l'exploiter ? Son ex-employeur à Saint-Gilles, Mazel se souvient de lui en ces termes : « Ce jeune homme était d'un naturel timide ; il ne fréquentait personne et n'est certainement pas allé deux fois à Saint-Gilles pour son plaisir pendant le laps de temps que je l'ai eu à mon service. Il a travaillé pour mon compte trois moi et demi environ, j'ai été très satisfait de lui tant pour son travail que pour sa probité et n'ai jamais eu un seul reproche à lui adresser. »

Mallière Félicie : « Il y a cinq semaines environ, j'ai fait la connaissance… du soldat Bourda Baptiste ; je me trouvais à cette époque au café Tillier sur la route de la Valbonne à Montluet et c'est là qu'il venait me voir ; il passait quelquefois la nuit avec moi dans cet établissement ; chaque fois il me donnait cinq francs. Cependant je n'ai jamais remarqué qu'il eût beaucoup d'argent...en dernier lieu il se trouvait même dans la gêne. Vers le 15 courant, lui ayant dit que je voulais quitter la Valbonne pour retourner à Lyon où j'espérais trouver du travail il m'a fait part de son intention de se rendre chez sa grand-mère. »
Félicie dit que le prétexte à cette visite n'était pas d'obtenir de l'argent mais de régler un problème de famille entre un de ses oncles et sa grand-mère ; Elle a bien envoyé de Lyon un télégramme signé Marius (le frère de Bourda). A son retour elle a remarqué que pour payer le petit-déjeuner, 2 francs, Bourda avait changé un billet de 50, que les gants avaient coûté dix francs, le parfum 6, qu'il lui avait remis 25, puis 5 francs supplémentaire, ce qui s'ajoute aux pris des repas et des consommations au café. S'il n'avait volé que 50 francs, il est donc reparti les poches vides. Comme toujours avec les rapports de la justice militaire, une fois les aveux passés, on ne s'attarde jamais sur les détails qui détonnent : ainsi pour les premiers témoins, Bourda serait arrivé à Malesveille non pas vers minuit mais vers 20h30, après son départ, la porte d'entrée était fermée de l'intérieur, Bourda serait donc ressorti par l'étable communiquant avec la chambre, à l'aide d'une lampe et non d'une bougie ; les restes carbonisés auraient été retrouvée non près de la porte de la cave mais contre le mur du fond, preuve que Mme Rouvier se serait relevée après le premier coup… Bourda ne connaît Félicie que sous le nom de Verdier et non Mallières, etc.

Mallière Félicie, deuxième interrogatoire : « Hier matin, avec ma patronne Mme Chevallier, en lisant le journal, j'ai appris que Bourda avait assassiné sa grand-mère et mis le feu à la maison, car jusqu'à là les inspecteurs m'avaient bien fait entendre qu'il avait fait quelque chose de grave, mais ne m'avaient pas mis au courant de ce qui s'était passé. Ma patronne et moi nous avons été assez tourmentées et nous avons été d'accord pour venir vous apporter un sautoir en or, paraissant ancien, que Bourda m'avait donné le 21 décembre en revenant de chez sa grand-mère… Il m'a dit que la grand-mère lui avait fait cadeau dudit collier. Je n'ai pas remis ce collier tout de suite au Commissaire qui est venu chez moi faire une perquisition, parce que je n'attachais à ce bijou aucune importance, ne le croyant pas en or.
La carte postale que vous me représentez et sur laquelle se trouve la photographie de Bourda m'a été remise par ce dernier avec le sautoir, le vingt et un décembre au retour de son voyage à Lesperon. J'ai rapporté cette carte et l'ai remise à l'Inspecteur en même temps que le sautoir, d'abord parce que je ne tenais pas à conserver la photographie de Bourda et puis parce que cette carte adressée à la grand-mère a peut être été reprise chez elle, sans doute au moment du crime. Auparavant Bourda ne m'avait jamais donné une carte semblable. »


(au dos)Valdahon 7 janvier 1915, chère grand-mère et tante Je vous en vois ma fotos grafie…

CG de la XVè région, Marseille (6 juin 1918),recours en révision rejeté le 27 juin 1918
Bourda est fusillé le 21 août 1918 à 5h30 (Le message téléphoné de 1923 qui remplace le PV d'exécution absent ne mentionne pas le lieu d'exécution.)




Arthur Malfait, né le 7 novembre 1892 à Tourcoing (ou Roubaix), soldat au 43è R.I.
Décédé à Saint-Chamas (13) le 31 août 1918, « tué d'une balle de revolver au cours d'une lutte à la gendarmerie de Saint-Thomas ». Une plaque commémorative existerait dans une église de Roubaix.


Ben Abdallah Ahmed, né en 1897 à Aït Bayoud (Maroc), cultivateur à Haha, 2è classe au 1er Rgt de tirailleurs marocains, 26è Cie
Interrogatoire au corps : « … d'autres tirailleurs sont arrivés ? J'ai eu peu ; j'ai remis mon pantalon et je me suis sauvé. Ils se sont mis à ma poursuite et m'ont rejoint. Je leur ai dit de me pardonner, que c'était une chose qui était écrite pour moi et je les ai priés de ne rien dire. Ils m'ont arrêté, m'ont frappé et m'ont conduit devant mon commandant de compagnie. »

CG de la 153è DI:5 août 1918, inculpé d'attentat à la pudeur avec violences et meurtre, pièce de conviction, un bâton mesurant 1,10m de long. Victime Sophie Froidure, veuve Bouverie, 84 ans, 1,47m. Date du crime 1er août 1918.
Lieu à cent mètre du cantonnement , dans le bois situé à la sortie est du village de Gouy-les-groseillers.
D : - Qu'avez-vous à dire pour votre défense ?
R : - Je demande à rester militaire le restant de ma vie.
D : - Est-ce vous qui avez frappé cette femme ?
R : - Oui c'est moi. Dans la soirée j'étais allé me promener dans un champ de blé. J'étais porteur d'un bâton. Dans le champ de blé j'ai aperçu une femme assise. Je me suis approché et lui ai donné un coup de bâton. Elle s'est affaissée. Je l'ai saisie par les pieds et l'ai traînée dans le bois. Je me suis déculotté et j'étais sur le point de la violer quand des tirailleurs ont accouru et m'en ont empêché.
D : - Ne lui avez-vous pas donné plusieurs coups de bâton ?
R : - Je ne sais pas si je lui en ai donné un ou deux.
D : - Vous êtes-vous aperçu que la femme était morte quand vous l'avez traînée dans le bois ?
R : - Non, je n'ai su que le femme était morte qu'en arrivant au bureau. J'ai été poussé par le démon et c'est pourquoi j'ai frappé.
Témoin Hassou : - Quand Amhed a été arrêté il nous a dit, pardonnez-moi je suis un musulman comme vous. C'est ce que Dieu m'a destiné… Oui, la femme avait les jupes relevées.
Témoin Abderrahman : - Quand nous avons arrêté Ahmed, il nous a répondu, je suis un musulman comme vous, allez-vous en.

Pourvoi en révision rejeté le 10 août 1918, rejet en grâce le 28 août
Ahmed est fusillé à Chars (Yvelines ex Seine et Oise) le 31 août 1918 à 6h30 « en présence des troupes marocaines cantonnées audit lieu »


Septembre





Laboué Diop Samba, né le 5 mai 1885 à Saint-Louis du Sénégal, mort le 9 septembre 1918 à Belrupt-En-Verdunois

Au 53e RIC, le 9 septembre 1918 JMO P 100 : “ Le soldat musicien Lagriffoul Maurice ( déclaré MPF suites blessures de guerre) est tué par le soldat Diop Samba de la 2e Cie” . Sa fiche N-MPF indique : “En état de rébellion armée après s’être rendu coupable de meurtre d’un de ses camarades à Belrupt (Meuse). L'exécution quasi consécutive au meurtre laisse a penser qu'il n'y a pas eu de jugement …

Georges Eugène Lefolle, né le 10 mars 1894 à Montérolier (Seine maritime, autrefois inférieure), mécanicien à Paris, célibataire, 2è classe au 103è BTS, 13è Cie (section de discipline de la 69è DI) ; condamné le 10 avril 1915 pour refus d’obéissance à 7 ans de TP et le 19 septembre 1915 à deux ans de prison pour bris de clôture et abandon de poste.
Rapport : « C’est un soldat peu recommandable, qui, depuis son arrivée à la section spéciale n’a rien fait pour racheter son passé au contraire, il a toujours suivi l’exemple des mauvais sujets. D’un caractère hautain, il n’admet aucune observation ; il répond toujours de façon très insolente. Quoique très jeune, il a déjà des idées très antimilitaristes : c’est un troupier qui ne mérite aucune bienveillance, et seul (sic) les peines prévues par le code de justice militaires sont appliquables (sic) aux gestes de lâchetés qu’il a commis. La France ayant toujours assez de troupiers de cette valeur pour la défendre. »
CG de la 69è DI (13 juillet 1918) : « J’ai abandonné ma Cie parce que je n’avais ni plaque ni livret. Je suis allé voir mon frère. » Aux gendarmes de Creil le 11 juin 1918 : « J’ai quitté ma section à la ferme des Chênes située au dessus de Compiègne, le 10 juin 1918 à 2 heures du matin ; le seul motif c’est de monter en ligne sans arme. Je suis parti d’un coup de tête, sans savoir où j’allais, mais mon intention était de me rendre. J’ai marché toute la journée et cette nuit j’ai couché à Creil. » Interrogatoire au corps : « J’ai eu peur de me faire tuer ? (le ? figure dans la transcription originale). J’ai abandonné dans le bois Le Chêne, mon fusil, mon équipement et mes munitions pour partir plus aisément. »
Lefolle est fusillé à la sortie nord-est du village d’Ivors (Oise) à 6 heures.


Pari Tatti, né en 1893 à Toma (Burkina, ex Haute-Volta), cultivateur, tirailleur au 53è bataillon de tirailleurs sénégalais
Le 4 février 1918, à Barika, dans l’après-midi une dispute éclata entre le tirailleur Tatti-Pari et le tirailleur Gouros Pazari, tous deux du 53è Bataillon. Le premier avait déjà emprunté 5 francs au second et celui-ci se refusait à renouveler ses largesses car il n’avait pas été remboursé de son prêt. La discussion amena les injures et Gouros Pazari, aux dires de l’inculpé aurait proféré des outrages à l’adresse de ses parents. Tatti-Pari résolut de tirer vengeance de ces outrages ».
Tel est le motif futile de l’assassinat, la préméditation étant démontrée par le fait que Pari se munit de son coupe-coupe vers 19 heure et entraîna Pazari se promener dans la campagne avoisinante. Pourquoi, au regard de la dispute, ce dernier le suivit-il ? Arrivés à l’angle des routes de N’Gaous et de Mac-Mahon, ils s’asseyent sur un mur servant d’enclos à un jardin planté d’oliviers. Tatti prétexte un besoin naturel pour s’éloigner et tirer son coupe-coupe et, revenu à l’improviste se jette sur Pazari Gouros, lui fendant le nez et les deux joues ; il porte un second coup au front. Une fois Pazari à terre, il s’acharne et le frappe à l’arrière de la tête, puis s’enfuit le croyant mort. Il jette l’arme et rentre au cantonnement comme si de rien n’était. Pazari a appelé à l’aide et ses cris sont entendus par un agent de police « indigène » qui va prévenir les gradés. Conduit à l’infirmerie de Barika, il a la force de raconter la scène ; il est confronté à son assassin qui nie mais passera le lendemain des aveux complets, tandis que sa victime trépanée à l’hôpital de Batna meurt pendant l’opération qui révèle une blessure si profonde qu’elle a entamé le lobe cérébral droit.
« L’inculpé est noté sujet médiocre et joueur. Il fut condamné le 22 juin 1917 à 3 ans de prion pour vol militaire. »
Selon les premières déclaration à l’instruction de Tatti, les insultes auraient été prononcés non pas après le refus du prêt, mais pendant la promenade fatale : « j’emmerde ton père et le con de ta mère », ce qui fait que nul n’en a été témoin mais rend le mobile suspect puisqu’en se munissant de son arme avant leur départ du camp, Tatti avait manifestement l’intention de tuer Gouros. A l’infirmerie de Barika, Gouros nie avoir insulté le père de Tatti. Malgré l’emploi du conditionnel, le premier rapport formule la succession des faits d’une façon encore plus étrange : « Une discussion aurait éclaté entre les deux hommes au cours de laquelle Gouros Pazari aurait insulté le père de Tatti Pari. Sous l’empire de la colère, ce dernier aurait proposé à son camarade d’aller ensemble satisfaire un besoin , et arrivés près d’un mur... »
CG de la division militaire de Constantine (27 mai 1918)
Rejet en révision le 20 juin 1918, recours en grâce rejeté le 2 août 1918.
Tatti est fusillé à El Kantara au lever du jour. Le 11 septembre 1918 le jour s'est levé à 6 heures.




Ouattara Sambou, né en 1892 à Doulo (Haut Sénégal, Niger), brigadier à la 4è batterie d'Artillerie coloniale
Le 17 janvier 1918 à Ouled Zem, vers 20 heures, le maréchal des logis chef Magère, sortant de la popote des officiers s’apprête à quitter le camp.On le retrouve gisant devant un marabout en face des baraques « Adrian », frappé de deux balles. Le 18 janvier au matin le brigadier Sambou Ouattara se présente au rassemblement avec un mousqueton qu'il s'est fait donner la veille au garde-magasin, bien que n'étant pas de service. Il reconnaît avoir tiré sur le maréchal des logis, parce que celui-ci l'avait traité de « sale nègre » et brutalisé. Il a obtenu son mousqueton en prétendant qu'il était de garde et est allé attendre le chef pour lui faire rétracter ses paroles. Celui-ci, refusant l'aurait frappé de nouveau, s'enfuyant en voyant Sambou sortir son arme de sous sa pèlerine. Mais le maréchal fourrier Dubuquoy affirme qu'il n'a pas quitté le chef ce jour-là et Sambou ment. Et, en effet, au cours de l'instruction ce dernier se rétracte, expliquant qu'ayant comme maîtresse une nommée Raba Couloubaly (épouse d'un autre soldat du même régiment également cantonné à Ouled Zem), qui avait eu deux fois (5 et 7 avril) l'autorisation de communiquer avec Sambou lorsque celui-ci se trouvait en prison, prétendant être sa sœur et apportant à son intention du tabac et des noix de Kola. Mais Sambou l'ayant vu causer avec le maréchal-chef Magère lui avait dit qu'il la tuerait ou Magère s'il l'a voyait de nouveau causer avec ce sous-officier, ce qu'il fit de sang froid (sous l'emprise dit-il d'une forte colère, dit-il) le 17 janvier. Selon Moussa Cissoko, canonnier à la 4è batterie (qui témoigne avec difficulté) Raba aurait demandé ce jour-là de l'argent à Magère qui aurait répondu « je n'ai pas de monnaie, viens au souk ce soir, après souper, je te donnerai de l'argent », ce qui aurait provoqué la colère de Sambou, qui, comme lui, l'avait entendu.
Sambou : « J'avais défendu à Raba de marcher avec personne autre, je lui avais dit « marche avec ton mari et avec moi ».Tout le monde à Oued Zem savait que j'avais des relations avec Raba. Son mari lui-même le savait… Le jour où j'ai tué le chef, j'ai cherché Raba et je ne l'ai pas trouvée. Raba se cachait parce qu'elle avait peur de moi. Si j'avais trouvé Raba ce soir-là je l'aurais tuée.
1er CG des troupes d'occupation du Maroc occidental (31 mai 1918)
recours en révision rejeté le 21 juin 1918, recours en grâce rejeté le 18 septembre 1918
Ouattara Sambou est fusillé à Aïn Diab près Casablanca le 20 septembre 1918 à 6 heures.


Alfred Eugène Moulun, né le 31 janvier 1890 à Champigneulles (Meirthe et Moselle), métallurgiste, 46è RIT, 4è Cie
CG de la direction des Etapes du Groupe des armées du Centre (5 août)
Moulun : On m’a poussé à bout ; j’ai eu la fièvre typhoïde ; j’ai reçu un coups de revolver sans la tête et j’ai été trépané. Lorsqu’on m’ennuie je ne suis plus maître de moi. Je ne me rappelle pas avoir parlé au soldat Trébuchon la veille du jour où j’ai tué l’adjudant. Le 20 mai j’étais ivre. Je ne voulais pas faire la corvée pour laquelle j’avais été commandé parce qu’il fallait faire cinq km et ma jambe me fait souffrir et il m’était impossible de faire le chemin. Je reconnais avoir acheté à la coopérative le couteau à cran d’arrêt avec l’intention de me tuer lorsque j’aurais fait un mauvais coup ; j’avais pris les cartouches avec l’intention de m’en servir. Lorsque j’ai tué l’adjudant je n’avais pas prémédité mon acte.
Trébuchon : Le 20 mars 1918, j’étais dans la chambre de Moulun, ce dernier me dit : « on veut me déménager du 46è RIT, mais moi je déménagerai le capitaine, le major et l’adjudant. » Je dis à Moulun, « tu es fou, j’irai voir l’adjudant, fais pas de bêtises »… L’adjudant me répondit : « Ce que dit Moulun n’est pas parole de foi, il se vante, allez lui dire qu’il ne se saoule pas et que demain il irait voir le docteur et le commissaire régulateur et qu’il se présente bien ». Le 21 mai 1918, j’étais là lorsque Moulun ayant son fusil causait avec l’adjudant qui voulait le faire conduire en prison. Ils étaient dans le jardin. Moulun disait : «  Mon adjudant, je n’irai pas en prison ». L’adjudant lui répondit : « Allez ne vous mettez pas dans le cas d’un refus d’obéissance, ce que vous me dites entre par une oreille et sort par l’autre ». Tous deux parlaient doucement : ils paraissaient calmes. Ils sont rentrés dans le réfectoire ; je les suivis. Au moment où l’adjudant allait partir croyant que Moulun obéirait, ce dernier lui tira un coup de fusil à bout portant, l’adjudant tomba foudroyé. J’ai couru de suite à l’infirmerie. En route j’ai rencontré le capitaine et je lui dis de ne pas se rendre sur les lieux caar Moulun le tuerait aussi ».
Anglès : Le 21, je l’ai vu lorsqu’il revenait du commissaire régulateur, il me dit la larme à l’oeil : « Ce commissaire régulateur est un brave homme, il m’a bien parlé mais je sais ce qui m’attend. Le conseil de guerre et le Conseil de réforme ». J’étais dans la chambre en train de changer de linge lorsque le caporal Bouquet est venu chercher Moulun pour le conduire en prison. Ce dernier a dit au caporal, attendez moi je descends un moment… Un instant après j’entendis un coup de feu. Moulun remonta dans la chambre, se mit le torse nu, il était excité, il avait un couteau à la main et dit : »qu’ils y viennent, ils ne m’auront pas vivant ». Puis il roula une cigarette, je lui donnai du feu… A ce moment il me dit aussi « voilà ma veste et mon porte-monnaie, tu les donneras au petit Louis ». Je descendis aussi et j’appris l’acte commis par Moulun que les gendarmes venaient arrêter.
Sallot : le 21 mai 1918, ayant été avisé qu’un soldat venait de tuer son adjudant, je me suis rendu sur les lieux avec des gendarmes. Moulun était très surexcité, un couteau à la main il disait qu’on ne l’aurait pas vivant. J’ai fini par le calmer, il a jeté son couteau et je l’ai mis en état d’arrestation. Il sortit alors trois cartouches de sa poche, et il me dit : « s’ils étaient venus, j’en avais d’autres ». J’ai compris que ces menaces ne s’adressaient pas à nous.
Extrait du rapport : « Le coup de fusil avait été tiré de si près que presque toute la partie gauche de la face de l’adjudant Viron fut comme tatouée par les grains de poudre. La balle était entrée près de l’aile gauche du nez, juste à un moment où l’adjudant baissait légèrement la tête. Elle avait traversé la masse cranienne en la faisant éclater, et en produisant une véritable bouillie cérébrale. D plus, l’adjudant Viron avait été certainement surpris par le coup de feu en un instant où il ne faisait pas le moindre geste, car il avait encore la main dans sa poche !
L’assassin… est le type du mauvais soldat dans toute l’acception du terme [cette phrase devient un cliché sous la plume des rapporteurs]. Huit fois condamné dans la vie civile, ayant encouru au corps 202 jours de punition, « il était d’un exeple déplorable, vis à vis de ses camarades qu’il terrorisait. Mauvais esprit, systématiquement haineux envers les gradés et les chefs, c’était un individu dangereux, contre lequel avaient dû être mis en garde les caporaux et les sergents ». Et son capitaine a pu dire de lui : « Pour vous dire nettement ma pensée, c’est un être nuisible à la société et qui ne mérite aucune pitié ».
Il semblerait en l’occurrence que Moulun ait voulu « punir » ces gradés qui espéraient le renvoyer au front, sans prendre en compte ses souffrances psychologiques et physiques. Lors de son arrestation, après avoir jeté son couteau et de se laisser saisir par les gendarmes, il clama : « Comme j’aurai douze balles dans la peau, ça n’en fera pas plus ».
pourvoi en révision rejeté le 12 août 1918
Moulun est fusilé à Romilly-Sur-Seine (Aube) le 23 septembre 1918 à 6h30.


Charles Bergdoll, né le 3 février 1884 à Argenteuil, 2è classe au 227è R.I.
« s’étant rendu coupable d’assassinat sur la personne d’un de se camarades a été fusillé »
Kabalavci (Macédoine) le 25 septembre 1918

Octobre

Louis guay l'enlèvement des morts


Hyacinthe Augustin Heranval, né le 11 juillet 1883 à Saint-Lubin-des-Joncherets, dans le canton de Brezolles, il est le fils d’un couple de tisseurs,  installé au hameau des Caves puis au hameau de La Leu et travaillant à la manufacture Waddington. Après la naissance de leur 8e enfant, la famille quitte Saint-Lubin-des-Joncherets.
A l’âge de 20 ans Hyacinthe Augustin, qui exerce la profession de journalier, réside à Désnestanville dans la Seine-Maritime. Il est recruté en 1903 à Rouen,  et incorporé comme chasseur de 2e classe, dans le 5e bataillon d’infanterie légère d’Afrique, en Tunisie. Lorsqu’il est libéré du service en août 1907 il obtient un certificat de bonne conduite. En 1911 il est condamné à deux reprises à 3 mois de prison pour vol et passe au 3e groupe spécial. En 1912, d’après sa fiche matricule, il réside à Saint-Lubin-des-Joncherets. L’année suivante il réside au Petit-Quévilly puis à Rouen.
Il est mobilisé en août 1914. Son frère Eugène-Hyppolyte, né à Saint-Lubin-des-Joncherets le 19 octobre 1887, également mobilisé, meurt le 28 août à Guise dans l’Aisne.
Hyacinthe Augustin est incorporé au 116 puis au 319e régiment d’infanterie. Il est déclaré déserteur le 23 septembre 1917. En décembre, il est condamné par le conseil de guerre de la 53e division d’infanterie à 4 ans et 6 mois de travaux publics. Il est à nouveau déclaré déserteur le 30 mars 1918. Il décède le 1er octobre 1918 à La Roche-en-Brenil, dans le département de la Côte-d’Or, où il est détenu. Il aurait été abattu par une sentinelle alors qu’il tentait de s’évader.


Georges Louis Gaillagot, né le 24 juillet 1895 à Paris 18è, instituteur à Paris, célibataire, 2è classe au 49è R.I., blessé (par éboulement) le 6 mars 1916 à Douaumont, une seule punition pour retard de 24 heures à l’issue d’une permission.
Alors qu’il appartient au 18è R.I., le CG de la 36è DI condamne 18 mars 1918 à une peine de 2 ans de TP (avec sursis) le soldat Gaillagot pour désertion à l’intérieur. Par mesure disciplinaire il est alors versé à la 11è Cie du 49è R.I. Comme il n’est pas connu dans ce régiment, le commissaire rapporteur de sa deuxième affaire se réfère au jugement porté par le commandant de la Cie de mitrailleuses du 18è :
« Ce soldat était considéré à la Cie comme un individu dangereux, ses relations avec des militaires suspects, d’opinion anti-militariste, le fit classer dans cette catégorie. [Il est donc à supposer qu’on tient des listes d’individus dangereux et, en tant qu’instituteur, Gaillagot est forcément suspect de dérive gauchisante et anti-cléricale.] Sa conduite au feu confirma cette opinion en y ajoutant la note plus précise du manque d’honneur militaire et de son accomplissement du devoir ». Au 11è on juge qu’ »il s’est montré mauvais soldat, faisant preuve de mauvais esprit et opposant la force d’inertie à ses gradés. Autant dire qu’avec ce genre de réputation, il était promis d’avance au poteau.
Le 28 mars 1918, cette 11è Cie est transporté en camions automobiles et arrive au village de Tricot dans l’Oise vers 6 heures du matin, destinée à monter en ligne. Afin de permettre aux hommes de se reposer on les loge au cantonnement d’alerte, avec l’ordre formel de ne pas s’éloigner. Au lieu de se reposer avec ses camarades, Gaillagot rôde autour des faisceaux, des sacs et lorsque deux heures plus tard la Cie est rassemblée pour se porter en avant et aller occuper le village de de Royaucourt, Gaillagot manque à l’appel. Il est arrêté à Paris le 26 mai 1918.

D : - Qu’avez-vous fait à Paris ?
R : - J’ai loué une chambre que j’ai occupée pendant toute la durée de mon séjour et j’ai cherché du travail aussitôt. Je demeurais 126 rue d’Aboukir et travaillais comme comptable dans une maison de messageries, 43 rue du Caire. Lorsque je me suis présenté pour me faire embaucher, j’ai dit que j’étais en instance de réforme, et je n’ai présenté aucune pièce à l’appui.

Le 7 août 1918 le CG de la 36è DI le condamne à mort pour cet abandon de poste en présence de l’ennemi.
Abel Gaillagot, le 7 juillet 1918 : « Mon Général, vous m’excuserez si je viens vous distraire de vos occupations. C’est un père, mon Général, qui vous adresse une prière en faveur de son fils, Gaillagot Georges, soldat au 49è R.I. qui a commis une faute grave et que maintenant il regrette beaucoup et m’a juré qu’il ferait tout ce qu’il est possible de faire pour la réparer. Il était au è R.I. et depuis le mois d’août 1917 jusqu’au 20 mai dernier je suis resté sans nouvelles de lui. Ayant déserté du 18è, il a été arrêté et condamné (sans que j’en aie rien su) avec application de la loi de sursis et versé au 49è. Il n’a pas osé m’écrire et se voyant méprisé et abandonné qu’il s’est cru, il a perdu la tête. Il est parti de nouveau. Cette fois-ci, il m’a écrit, et mon Général malgré la peine et la honte qu’il m’a fait, je crois de mon devoir de venir vous implorer pour que vous lui accordiez la suspension de peine, et de l’aider à se réhabiliter. Quand j’ai appris ce qu’il avait fait le ciel me serait tombé sur la tête je n’aurais pas été plus assomé que je l’ai été vu que je n’avais jamais eu à me plaindre de lui, que c’était un très bon sujet. Je suis sous-brigadier de Gardiens de la Paix à Paris, j’ai 26 ans d’administration, trois années de service militaire. Croyez, mon Général, que si vous pouviez m’accorder l’indulgence que je vous demande, vous rendrez heureux un vieux serviteur. Recevez, mon général, avec mon plus profond respect ma plus sincère reconnaissance. »

Cette lettre servile n’y pourra rien changer : le recours en grâce est rejeté le 12 août 1918 malgré la recommandation des juges. La justice militaire a-t-elle évolué dans le sens de l’apaisement en 1918 ? Elle ignore toujours la compassion et cultive la paranoïa et le mensonge. Il n’y a pas encore assez de morts !
Gaillagot est fusillé le 3 octobre 1918 au Ravin d’ Allemant (Aisne) à 6h30


Joseph Bourdier, né le 19 février 1889 à Terrenoire (Loire), mineur, marié, deux enfants, 2è classe au 38è R.I., 11è Cie
Le 30 mai 1918, la section à laquelle appartenait Bourdier se trouvait en réserve à Jonquery (Marne). Vers 21 heures, elle recevait l'ordre de contre-attaquer, sur le bois Bonval. La section se mettait en route, et Bourdier suivait ses camarades jusqu'aux emplacements de combat. Pendant que son chef de section reconnaissait le terrain, Bourdier partit vers l'arrière. Il fut arrêté à Damery le 1er juin. Au cours de l'instruction il reconnut les faits mettant sa défaillance sur le compte de la peur.  « J'ai peur des obus ».Déjà condamné le 19 décembre 1916 par le CG de la division à cinq ans de détention pour avoir déserté en présence de l'ennemi à Vauvillers dans la Somme le 22 octobre 1916 à la veille d'une attaque. Il était très mal noté par ses chefs.
Avis du général commandant la 10è DI : « Bourdier est un récidiviste de la désertion en présence de l'ennemi. Les juges qui l'ont condamné viennent de prendre part coup sur coup à deux grandes batailles et ont vu tomber auteur d'eux les meilleurs et les plus brâvrs de leurs soldats. C'est à eux que va leur pitié. Ils ont voulu que la lâcheté ne préserve pas de la mort. Leur verdict est juste, je demande que la sentence soit exécutée. »
CG de la 120è DI (14 août 1918)
recours en révision rejeté le 21 août 1918
Le s/Lieutenant Bienaimé, défenseur du soldat Bourdier à M. le Président de la Répubique :
« Pour mesurer la responsabilité de Bourdier, il importe avant tout de connaître son passé qui est celui d'un déshérité. Bourdier a été placé par ses parents comme berger et domestique de ferme à partir de l'âge de 12 ans, il devient mineur pue de temps avant d'entrer au Régiment ; ensuite et jusqu'en 1914, il est cantonnier à la voirie de Saint-Etienne. Depuis son enfance il n'a cessé de mener la vie d'un mercenaire : jamais personne ne lui a parlé de conscience, de devoir, ou d'honneur. Il sait à peine signer son nom -depuis son service militaire-. Malgré tout, Bourdier a toujours vécu honnêtement, travaillant pour nourrir sa femme et ses enfants. C'est au nom de ce passé de travail humble et honnête, c'est au nom de ses deux enfants, un fils et une fille de 16 et 17 ans, que Bourdier sollicite un peu de pitié. »
Bouedier est fusillé à Gratreuil- à 300m du PC de la DI- (Marne) le 6 octobre 1918 à 5h.


Daouadji Mohamed Ould Djilali Kinane, né en 1883 à Tiaret (Dpt d'Oran), cultivateur, tirailleur de 2è classe au 2è RMTA, casier vierge, avait été condamné à mort pour abandon de poste en présence de l'ennemi par un CG spécial le 6 octobre 1914. Il réussit à s'évader quelques heures avant l'exécution et à passer dans les lignes allemandes.
Note du capitaine Laurent au général commandant les troupes françaises d'Afrique du Nord, le 7 juin 1917 :
« Je lis dans le journaux de ce jour (7 juin), que 17 prisonniers de guerre mussulmans, incorporés de force dans l'armée turque après un séjour au camp spécial de Zossen (Allemagne) ont pu rejoindre les lignes russes lors de la prise de Bagdad. Ces 17 hommes ont été félicités à Petrograd où ils sont parvenus. Tous ont été décorés de la croix de guerre et quatre d'entre eux ont reçu la médaille militaire. Il est probable que le gouvernement français a dû s'entourer de renseignements sérieux avant d'agir ainsi vis-à-vis de ces militaires. Dans le cas contraire, il y aurait lieu d'attirer l'attention du gouvernement sur les inconvénients graves que pourraient occasionner des récompenses ou félicitation accordées trop rapidement. En effet, je suis chargé de procéder aux interrogatoires de tous les indigènes musulmans de l'Afrique du Nord qui ont pu s'échapper de l'armée turque soit en Mésopotamie, soit en Syrie. Or, j'ai pu démasquer déjo deux traîtres passés jadis à l'ennemi… Il serait donc regrettable que parmi les militaires récompensés à Petrograd puissent s'être glissés certains suspects que je serais appelé à signaler lorsqu’ils seront parvenus à Alger et que j'aurai procédé à leur interrogatoire. »
L'attaché militaire français à Petrograd certifie ce même 7 juin 1917 que le tirailleur Kinan Daoudzi Mohammed a été payé 20,75 frs pour retard de solde. Le même fait l'objet d'une proposition de citation à l'ordre de l'armée (« fait prisonnier par les Allemands sur le front français dans les premiers mois de la guerre, blessé, enrôlé de force dans l'Armée Ottomane et envoyé sur le front de Perse, a mis à profit la première occasion pour s'évader et rejoindre les troupes d'une puissance alliée. A fait preuve en la circonstance d'une fidélité exemplaire et d'un haut sentiment du devoir militaire. »)
Extrait du rapport du capitaine Laurent le 29 août 1917 :
« Dans la nuit du 6 au 7 octobre quelques heures avant son exécution, à Tracy-le-Mont, [Kinane] s'évade, grâce à la complaisance, semble-t-il, de ses gardiens (5è Tirailleurs). Il nous a déclaré que le lendemain il avait été arrêté par une patrouille de dragons. Il avait raconté, pour dérouter les soupçons qu'il appartenait au 3è Tirailleurs lorsqu'il est parvenu à s'enfuir au cours de la nuit (grâce encore à la connivence de ses gardiens...). Il prétend que pensant fuir vers l'arrière, il est allé donner en plein dans les lignes allemandes !! En réalité, il a déserté à l'ennemi pour éviter une exécution capitale. Kinan a reçu de Petrograd la croix de guerre avec palme et la médaille de St-Georges. Il y a lieu de lui enlever immédiatement les décorations et de l'expédier d'urgence sur le 2è Rgt de Marchr du è Tirailleurs où il a été condamné à mort. Kinan paraît croire que le temps a fait son œuvre et qu'ayant échappé à l'exécution, il est désormais sain et sauf. Engagé comme ordonnance d'un officier allemand à Hamadan, il est resté dans cette ville lors de la retraite turque et s'est présenté, dit-il aux Russes. Kinan en dehors de sa condamnation à mort, toujours exécutoire, est passible d'une nouvelle condamnation à mort pour désertion à l'ennemi. Il y a donc lieu de l'expédier en France dans le plus bref délai. »

Même si l’on a déjà compris les tenants et aboutissants du premier procès et de l’évasion , le témoignage de Kinane se révèle tellement édifiant sur les pratiques et la confusion des militaires français humiliés par la déconfiture de septembre 1914 qu’il faut y consacrer quelque attention :
[Après la retraite de Charleroi où le régiment décimé a dû être refondu] « nous sommes arrivés dans un village de la région de Paris dont je ne me rappelle pas le nom - nous avons reçu l’ordre d’attaquer les Allemands. Nous les avons repoussés, les Allemands ont reculé. Le 17 septembre nous nous sommes battus à Choisy, dans la région de l’Oise. Nous n’avons pas pu progresser davantage et nous avons creusé des tranchées. Nous sommes restés là quelques jours et le bataillon a été ramené à l’arrière au repos. C’était fin septembre. Nous y sommes restés 4 jours et nous sommes revenus en première ligne, à Choisy. A cet endroit j’ai été envoyé avec un petit groupe occuper un petit poste, à savoir ; le sergent Daoud de la 1ère Cie, un caporal arabe… 10 hommes, dont moi. C’est le 24 ou le 27 septembre que nous avons occupé le petit poste en question. En notre présence et avant notre départ, un lieutenant français qui venait de prendre le commandement de la Cie a dit au sergent Daoud que si l’un de nous venait à fuir ou à commettre une faute grave il n’avait qu’à l’exécuter sur le champ. Nous sommes arrivés au petit poste à environ 300 pas en avant de la Cie, qui, elle, occupait les tranchées en arrière. Le sergent a placé immédiatement 2 sentinelles à droite et 2 à gauche d’un petit bois qui se trouvait là et le reste du poste était à la lisière de ce bois en arrière. Il y avait une heure… que ces dispositions étaient prises quand les Allemands sont arrivés. A ce moment l’une des sentinelles a dit au sergent Saoud qu’il voyait une patrouille allemande, le sergent lui répondit de ne pas tirer sans ordre et fit replier les 4 sentinelles sur le peti poste. Les Allemands s’étaient approchés, le sergent a crié « Halte-là ! » et les Allemands ont répondu par des coups de fusil. Nous avons riposté par 5 ou 6 coups de feu chacun et nous nous sommes repliés sur les tranchées par la 18è Cie à 150 pas environ à notre gauche. Personne n’avait été tué ni blessé au cours de ce repli. L’adjudant de la 18è Cie a demandé au sergent pourquoi il venait dans son secteur, il répondit que c’était parce qu’il avait été attaqué. L ‘adjudant dit alors au sergent que s’il ne revenait pas à son petit poste il en rendrait compte et le ferait casser de son grade. Nous sommes retournés au petit poste en suivant un autre chemin. A ce moment, dans ce détour, notre Cie, la 1ère, nous prenant pour des Allemands, nous a tiré dessus. (C’était Minuit). Voyant que nous recevions des coups de fusil de notre Cie, le sergent Daoud nous fit replier de nouveau sur les tranchées de la 18è Cie. L’adjudant, furieux, voulait même frapper le sergent Daoud et lui donna l’ordre de rejoindre l’emplacement primitif du petit poste. Arrivés au petit poste, les Allemands avaient évacué le petit bois. J’étais sentinelle à droite avec un autre tirailleur… Au bout d’une heure une patrouille de la 1ère Cie est venue par la droite et le sergent m’a donné l’ordre de l’arrêter. Je l’ai arrêtée. Il ne s’est plus rien passé et au matin nous sommes rentrés dans notre Cie où le sergent Daoud a rendu compte de ce qui s’était passé ; Le lieutenant commandant mla Cie a infligé 8 jours de prison à tous les hommes faisant partie du petit poste, pour avoir abandonné le point que nous devions garder. Le lendemain on nous a fait passer 7 (dont moi) devant le CG… A la suite des débats moi et Ben Rafa Mohamed [ben Abdelkader Berrafaa] nous avons été condamnée à mort, sur les déclarations du sergent qui avait dit que c’était nous deux qui avions abandonné notre poste les premiers et que en ce qui concernait Ben Rafa, ce dernier, au moment où notre Cie avait tiré sur nous par erreur, avait riposté et tiré sur la Cie. Ceci se passait le 27 ou 28 septembre 1914. Les 5 autres tirailleurs ont été acquittés. Ben Rafa et moi avons été conduits dans un château au milieu des bois (Tracy-le-Haut, je crois). On nous a placés sous la surveillance de sentinelles appartenant au 5è Tirailleurs. Le poste se composait d’un sergent, d’un caporal et de 25 hommes. Nous avons été libres de nos mouvements jusqu’au soir où on nous a attaché les pieds et les mains avec des cordes. Nous ne doutions pas que nous devions être fusillés le lendemain matin. Je suis resté ainsi attaché jusque vers 2 heures du matin et à ce moment j’ai pu me débarrasser de tous mes liens. J’étais au pied d’un mur et j’ai pu le sauter et disparaître dans le bois qui était derrière. Les sentinelles ont crié « Aux armes ! » mais n’ont pas pu tirer sur moi. Ben Rafa était resté à 3 ou 4 pas de moi, mais je n’ai pas osé le détacherà cause de la présence des sentinelles. Mon intention était de me rendre auprès du Commandant en chef des troupes qui m’avait condamné injustement. J’ai marché sous bois jusqu’au lever du jour(…) » Le 7 octobre Berraffaa fût exécuté, le 28 octobre 1914, le sergent Ben Naka fut condamné par le CG de la 37è DI à un an de prison pour avoir facilité par négligence l’évasion de Kinane.
C’est alors qu’il erre dans les bois dans la nuit du 6 au 7 octobre 1914 que Kinane rencontre les dragons, et que, ramené à l’unité à laquelle il prétend faussement appartenir, il est à nouveau menacé de passer en CG sous l’inculpation de désertion.
« On m’a placé sous la surveillance de sentinelles pour m’empêcher de fuir et le soir on m’a attaché les mains et les pieds. Après m’avoir attaché, la Cie du 3è Tirailleurs a reçu l’ordre de se porter en première ligne. Le Lieutenant m’a emmené avec la Cie. Nous avions à peine fait 1km qu’il donna l’ordre à la 4è section de me ramener à l’emplacement que nous venions de quitter, de façon à ce que je puisse être traduit le lendemain devant le CG. Arrivé à cet emplacement au lieu de m’attacher, le sergent qui commandait cette section me fit placer au milieu des hommes, une sentinelle veillait sur moi. Vers 10 heures du soir profitant de l’obscurité j’ai feint d’aller uriner, la sentinelle ne m’a pas vu. (Dieu est avec celui qui sait surmonter tous les dangers et vivre longtemps!) J’ai fait je crois 5 ou 6km ne sachant où j’allais, je n’avais pas mangé, et tout à coup je me trouvais au milieu des Allemands. En partant, j’ai suivi un chemin qui, je le croyais, me conduisait à l’arrière. Soudain, je me suis trouvé nez à nez avec une sentinelle allemande qui m’a barré la route et je me suis rendu. Ceci se passait près de St-Léger à côté de Choisy. On m’a conduit à un capitaine allemand qui m’a demandé pouruqoi je corculais sans armes et je lui ai raconté que je m’étais perdu. J’ai été envoyé d’abord à Goestrof puis à Altendam et de là à Zohssen. J’ai d’abord été affecté à la 2è Cie, 2è section. Puis, au moment de partir avec le bataillon pour l’armée turque j’ai été versé à la section Déserteurs, au 1er Bataillon. Peu de temps avant notre départ de Zohssen, j’ai été nouveau caporal et j’ai été cassé à Selaya, avant d’arriver à Alep. Braïka qui commandait la Cie m’a fait enlever à cet endroit mes galons. A Alep je suis entré à l’hôpital pour maladie. Je suis resté 4 jours à l’hôpital, et en sortant j’ai trouvé un officier allemand, trésorier-payeur, qui m’a pris comme interprète. Il s’appelait Törcen. J’ai été très bien traité par lui. (…) Les Russes se portaient en avant, les Turcs battaient en retraite, je me suis caché dans une maison pour attendre l’arrivée des Russes. Le consul d’Angleterre se trouvait avec eux à leur arrivée. Là, au bout d’une quinzaine de jour le caporal Bouccabouya[...déchirure] est arrivé avec des tirailleurs qui s’étaient rendus aux Russes. J’ai obtenu l’autorisation de me rendre isolément à Tiflis… et de là je suis parti avec lui à Pétrograd. »

CG de la 37è DI (17 août 1918) : Recours en révision rejeté le 24 août 1918,
Kinane : « Si j’ai revêtu l’uniforme allemand c’est qu’on m’y a obligé. Si j’avais été un « aéroplane, je serai revenu tout de suite chez les Français. Je ne suis pas un « marabout ». On est « marabout » de père en fils. Ce n’est pas mon cas. Je demande qu’on fasse venir ici ceux qui disent que je suis « marabout ». D’ailleurs je n’aurais rien gagné à me faire passer pour marabout. Encore une fois, je le dis : je n’ai pas voulu déserter. »
Lieutenant Josse, 2è Rgt de Tirailleurs : ... « J’ai fait des reproches au sergent qui comandait le poste. Il m’a répondu qu’il n’était pas maître de ses hommes qui obéissaient à un de leur camarade qui était « marabout ». J’ai fait venir cet homme et je l’ai menacé de lui brûler la cervelle. (…) Kinane, condamné à mort, s’est enfui. Les tirailleurs disaient qu’il ne devait pas mourir car il était « marabout ».
Kinane : « Quand les tirailleurs disent que l’un d’eux est marabout, cela veut dire qu’il réussit ce qu’il fait. Je n’ai pas voulu déserter car toute ma famille a servi la France… Je vous demande de ne pas faire pleurer mes parents. »
Rejet en grâce signifié le 4 octobre 1918.
Même si une partie des européens paraît croire naïvement que ce titre de prestige a facilité les différentes évasions de Kinane, il n’était probablement pas marabout puisqu’il est exécuté à Longueau- ST Martin (Oise) le 6 octobre 1918.



Ben Abdesselem Lhassen, né en 1899 à Sale, soldat au 1er escadron du Rgt de Marche de Spahis Marocains, noté « fusillé » sur sa fiche de décès, aucune trace de procédure, aucun indice sur les causes du décès à Kugazevac (Serbie) le 19 octobre 1918


ben Allal Aomar, né en 1895 à Aït Ichi (Maroc), soldat au 3è escadron du Rgt de Marche de Spahis Marocains
Ould Ben Ali Mohamed, né en 1889 à Sidi-bel-Abbès (dpt d’Oran) 2è classe au 5è régiment de Spahis
« fusillé », et « passé par les armes » à Zajecar (Serbie) le 20 octobre 1918
« Au cimetière militaire français de Zaječar, s’est déroulée une cérémonie en l’honneur des soldats français de la brigade de cavalerie du général Jouinot-Gambetta, tombés lors de la libération de la ville le 19 octobre 1918. Cet hommage a été suivi par un dépôt de gerbes au pied du monument à la mémoire des combattants serbes de la région du Timok, situé au centre de Zaječar. ». Il y a donc eu d’autres sacrifiés à Zajecar. La date de l’exécution au lendemain de la libération de la ville suggère une condamnation rapide pour abandon de poste.


Pierre Joseph Creton, né le 6 février 1887 à Grand-Fort-Philippe (Nord), mineur, demeurant à Bully-Grenay, soldat du service auxiliaire du 8è R.I., en sursis d’appel aux mines de Béthune., casier judiciaire vierge.
Le 28 avril 1918, meurt à Aix-Noulette, Pierre Creton, âgé de 4 ans, fils de Pierre Joseph.
Interrogatoire du 17 juin 1918 :
D : - Par suite des évacuations de la plus grande partie de la population, il n’a pas été possible de retrouver et d’entendre la plupart des personnes auraient pu donner des renseignements sur vous. On ne sait pas non plus ce qu’est devenue votre femme.
R : - Moi non plus, je n’en ai jamais eu de nouvelles.
D ; - M. le maire de Bully à qui vous m’aviez déclaré être allé demander s’il n’y avait pas moyen d’évacuer votre enfant a répondu qu’il n’avait aucune souvenance de votre visite, ni de la réponse qu’il vous aurait faite.
R : ­Cependant, j’y suis bien allé, trois ou quatre jours avant le crime un matin vers 10 heures.
D : - Je vous donne connaissance du rapport de M. le Médecin-major Houdeville qui déclare que votre responsabilité, sans être tout-à-fait entière, existe cependant.
R : - Je comprends ; il est vrai que je ne suis pas bien intelligent, mais je sais bien ce que je fais ; je n’ai surtout pas beaucoup de mémoire.
D : - En ce qui concerne le meurtre de votre enfant, vous l’avez cependant bien combiné et prémédité ; pendant combien de jour y avez-vous pensé à l’avance ?
R : - Durant deux ou trois jours, mais c’est surtout depuis la veille que j’y étais bien décidé, après que Madame Bastien ayant refusé de conserver mon enfant, j’avais demandé au cabaret « A Solférino » s’il n’y avait pas moyen de le remettre en pension quelque part.(…) C’est pendant mon service actif que j’ai été blessé d’un coup de hache à la main gauche, ce qui m’a fait verser dans le service auxiliaire. Quand j’ai été mobilisé à la fin de mars 1915, je suis parti au 8è d’Infanterie puis ai été envoyé en sursis aux mines de Béthune. Je n’avais en effet que huit jours de prison au régiment pour ivresse.
Le 4 mai : « Ma femme avait pris des pensionnaires et s’est mal conduite avec eux. Aussi il y a environ un an je l’avais quittée, la laissant avec nos deux enfants, cité Caranda n°3 à Bully. Je suis allé moi-même en pension chez Mme Teihoux à un km de là. Quelques temps après j’ai appris qu’elle était partie à Paris emmenant l’un des enfants, Roger, âgé de six ans. »

Le maire de Bully : « La rumeur publique accuse la femme de légèreté, elle vivait séparée de son mari ; ce dernier s’adonnait de temps en temps à la boisson. »

interrogatoire, le 30 mai :
D : - Je vous donne connaissance du rapport et des constatations de M. le Dr Bréhon, qui a examiné le cadavre de votre enfant. Celui-ci avait bien été enterré vivant, la face contre terre et sa mort qui a dû être horrible dans ces conditions est due à une asphyxie lente. N’avez-vous pas pensé à la cruauté terrible d’une semblable mort ?
R : - Je n’y ai pas pensé… Ainsi que je vous l’ai dit… au cabaret « A Solférino », j’ai demabdé à la cabaretière et sa sœur si elle connaissait quelqu’un qui puisse se charger de l’enfant dont je paierais la pension mais elles ont répondu qu’il n’y avait presque plus personne dans le pays et que ce serait bien difficile. Je n’ai pas cherché ailleurs et c’est alors que j’ai eu l’idée de me débarrasser de l’enfant. J’ai pensé tout de suite à le faire plutôt disparaître en l’enterrant et ai cherché un endroit où ce serait commode. En revenant à Bully par Aix-Noulette, j’ai vu sur le côté de la route, à une cinquantaine de mètres une ancienne briqueterie, j’y suis allé, tenant toujours l’enfant par la main, et en ai fait le tour et ai remarqué vers le four et derrière un grand tas de briques, un trou qui m’a paru faire l’affaire… Cependant, je n’ai rien fait sur le moment et je suis revenu chez moi avec l’enfant… L’après-midi, je suis resté chez moi avec l’enfant qui était resté à jouer dans la cour tout seul. Quatre ou cinq fois je suis allé prendre une chope ou une verre de vin à un cabaret voisin, et avais pris l’enfant avec moi. Il était assis sur une chaise et bien sage. Le soir, après avoir soupé, j’ai mis coucher l’enfan vers neuf heures et me suis couché moi-même… Le lendemain, vers sept heures, j’ai donné à manger à l’enfant une tartine et du café comme d’habitude ; je l’ai habillé, puis lui ai dit de venir avec moi. Je m’étais réveillé vers cinq heures, j’ai repensé tout de suite à ce que j’avais résolu, et pour me donner du courage, je suis allé au café voisin où j’étais tout seul et où j’ai bu une bouteille de vin blanc et deux bouteilles de stout. C’est alors que je suis rentré et ai fait lever l’enfant. Quand il eût mangé je luis dis de venir promener et je l’emmenai… ce doit être vers onze heures qu’il a été enterré.
D : - Qu’avez-vous pu faire entre sept heures et onze heures ?
R : - Je suis encore allé au café de la fosse n°10 et suis entré encore deux ou trois fois dans un cabaret. Je pensais toujours à mon projet mais ne pouvais m’y résoudre. Enfin, étant bien décidé, je suis parti vers la briqueterie.
D : - Dans toutes ces promenades, l’enfant n’était-il pas fatigué et que disait-il ?
R : - Il ne parlait pas ; plusieurs fois il a dit qu’il était fatigué et je l’avais pris sur mon dos.
D : - Avez-voue, en arrivant à la briqueterie, cherché le fil téléphonique ?
R : - Je suis allé au trou que j’avais vu la veille ; j’ai bien regardé s’il n’y avait personne aux alentours et comme tout paraissait propice à mon dessein, j’ai dit à l’enfant de m’attendre un instant : c’est à une dizaine de mètres de là que j’ai trouvé le bout de fil téléphonique… Je suis revenu alors à l’enfant à qui j’ai fait allonger les bras le long du corps et à qui j’ai dit/ « Ne bouge pas, je vais t’amarrer ». A ce moment, je crois qu’il n’a rien dit.
D : - Vous avez dû le serrer fortement car on a constaté des sillons aux bras à l’endroit où ils étaient accrochés contre le corps ?
R : - Cependant je n’avais pas serré fort ; c’est sans doute en se débattent qu’il a ainsi été serré.
D : - -Quand vous l’avez alors déposé, couché la face contre terre, vous avez reconnu qu’il s’était mis à pleurer et à se débattre en disant : « Non, papa,non papa ». Cela ne vous a donc pas ému. ?
R : - Si, un peu.
D :- Cependant vous continuiez à ramener la terre sur lui, en le maintenant et en empêchant les mouvements. S’est-il débattu et plaint longtemps ?
R : - Il s’est débattu pendant une couple de minutes, jusqu’à ce que je l’ai recouvert de terre ; alors j’ai jeté au-dessus des briques qui étaient à proximité, puis ai recouvert le tout de terre avec une pelle que j’ai trouvée là.
D : - Ne l’avez-vous pas encore entendu crier jusqu’au moment où vous êtes parti ?
R : - Oui, c’est vrai, j’entendais encore comme s’il criait et pleurait, mais très faiblement.
D : - Cependant vous êtes retourné tranquillement chez vous et vous êtes mis à dîner comme d’habitude ?
R : - Oui, mais je n’ai presque rien mangé… [Les nuits suivantes] je n’ai pas dormi je crois plus d’une heure par nuit. Je pensais tout le temps à ce que javais fait et croyais encore entendre le petit crier… Je ne sais pas pourquoi j’ai fait cela. Je l’aimais bien. J’allais le voir le dimanche chez Mme Bastien où il était en pension. Je payais cinquante cinq francs par moi pour sa pension.
D : - Qu’est-devenue votre femme ?
R : - Je n’en sais rien. Il y a un an environ elles est partie avec mon autre enfant qui a maintenant huit ans, mais je n’ai plus jamais eu de ses nouvelles et je ne sais pas où elle réside ni ce qu’elle a pu devenir. Je n’ai jamais rien envoyé pour cet enfant pas plus qu’elle ne s’est préoccupée du petit Pierre depuis son départ.(…)
D : - Vous aviez, dans les quelques mois qui ont précédé ce crime, commis plusieurs vols : aviez- vous la crainte d’être poursuivi ou arrêté pour ces vols, et de ne pouvoir subvenir aux besoins de votre enfant ?..
R : - Non ; pour les vols je n’avais pas été pris jusqu’alors et espérais bien certainement à ne pas l’être. C’est surtout la question d’évacuation qui m’a poussé à cela.

Rapport du médecin-major Houdeville : « A première vue, Creton donne l’impression d’un dégénéré à faible développement intellectuel. Atteint d’un bégaiement très accusé rendant difficile une conversation, et de tic de la face consistant en un clignotement continu des paupières… Comme antécédents personnels, Creton a eu à 10 ans une maladie qu’il ne peut spécifier qui a duré 40 jours… L’esprit borné de Creton ne permet d’obtenir aucun éclaircissement sur ce point… Creton répond aux questions, mais de lui-même ne développe aucune idée, ne commente aucun fait… Comme autre stigmate de dégénérescence, à noter des tatouages représentant des femmes nues à chaque bras. Creton est complètement illettré, il ne sait pas signer son nom, et n’a jamais été à l’école, même quelques jours. »

« En ce qui concerne le vol Forestier, je reconnais l’avoir commis dans la soirée du 27 avril, quand Forestier m’a demandé d’aller jusque chez lui pour surveiller son feu ; j’y suis allé avec la clef qu’il m’avait confiée. Après avoir arrangé le feu, j’ai regardé dans le veston accroché derrière la porte… J’ai trouvé le portefeuille et j’ai pris tout l’argent que j’y ai trouvé… Ce n’est pas 90 francs que j’ai pris là mais seulement 60…
En ce qui concerne le vol Marquis Arsène, je reconnais l’avoir commis… dans le courant de février, un matin pendant qu’on se reposait après avoir mangé, j’ai regardé dans le veston de Marquis qui travaillait au même quartier que moi, je pensais d’abord y trouver et y prendre du tabac : j’y ai trouvé un portefeuille avec beaucoup de billets, j’en ai pris un paquet, soit cinq de 50 francs.
En ce qui concerne le vol vasseur, c’est moi également qui ai pris son portefeuille contenant 600 francs. Vasseur avait retiré son veston, et en le déposant sur une chaise il a laissé tomber à terre le portefeuille en cuir jaune qui était dans sa poche. Je l’ai vu par terre près du comptoir et ai profité de ce qu’on ne faisait pas attention de ce côté pour le ramasser et le mettre dans ma poche sans être vu. J’ai dépensé tout cet argent à boire.
En ce qui concerne le vol Becquet, c’est moi également qui ai pris les cinquante francs qui avaient disparu de son portefeuille le 8 octobre. Je couchais dans sa chambre et avais vu qu’il mettait son portefeuille dans son paquetage. En rentrant dans la courant de la journée, je me suis trouvé seul un moment dans la chambre et en ai profité pour regarder dans la paquetage de Becquet. Il y avait peut-être trois cent francs en billets et j’en ai pris un de 50 francs. C’est le premier vol que je commettais. »

CG de la région du Nord
Creton est fusillé à Le Portel (Pas-de-Calais) le 25 octobre 1918 : pas de PV d’exécution annexé au dossier.



Charles Joseph Marius Meyrand, né le 24 juillet 1882 à Fontaine (Isère), palissonneur à Grenoble, célibataire, mais également chauffeur avant guerre, soldat au 61è R.I.
1er CG permanent du gouvernement militaire de Lyon :

« Rapport sur l’affaire des soldats Meyrand (Charles Joseph marius, 61è R.I., Vagnon (Joseph) 340è R.I., Porraza (Pierre Jean) 156è R.I., Bez ( Adolphe Eugène) 140è R.I. détaché à l’usine Brondel à Villeurbanne, Sahi (Charles Isidore) 14è section d’infirmiers, Bonnefoi (Xavier Pierre) 86è R.I. détaché aux usines Séguin à Lyon, Bez (Maurice Auguste, cousin du précédent) 14è R.I., Terrat (Jean) 75è R.I. (Extraits du rapport rédigé en 1925 à l’occasion de la demande en révision de son procès par Vagnon)

Dans le courant des mois d’août et de septembre 1917, des rapports détaillés de M. l’inspecteur Riou de la 10è brigade de police mobile, signalaient à M. le Gouverneur Militaire de Lyon les agissements d’une équipe de déserteurs français parmi lesquels se faisaient remarquer tout particulièrement les nommés Meyrand et Ortollad Joseph. Ces déserteurs faisaient des voyages entre la France, la Suisse et l’Allemagne, et, au cours de ces voyages, ils conduisaient aux agents allemand des déserteurs français qu’ils avaient réussis à racoler, et ils recevaient en échange des sommes d’argent importantes. Le 28 septembre 1917, le déserteur Meyrand fut arrêté par la 10è brigade de police mobile, avenue Berthelot à Lyon. Deux mois auparavant, le 31 juillet 1917, Meyrand avait franchi la frontière suisse à Ville-la-Grand en compagnie des déserteurs, Vagnon et Bez Maurice, ils avaient été interpellés par les gardes-frontières. (…) Le sergent Carrère
soupçonnant la fausseté des titres qui lui étaient présentés envoya chercher le brigadier de gendarmerie. Meyrand donna alors une poussée violente au sergent Carrère qui essayait de le retenir et le fit tomber sur la table du poste. Vagnon frappa d’un coup de poing le garde-frontière Cambon et tous deux se sauvèrent en Suisse. Maurice Bez essaya de les suivre mais il fut rejoint. Ayant déclaré à ce moment-là qu’il voulait regagner son dépôt, il fut relâché et gagna Lyon.(…)
Les renseignements alors recueillis ayant établi que Meyrand avait couché pendant les deux dernières nuit (26 au 27 septembre et 27 au 28) chez un nommé Adolphe Bez, mobilisé à l’usine Brondel à Villeurbanne… une perquisition fut faite. Elle amena la découverte d’une somme de 372 francs , de nombreuses lettres et de permissions en blanc dont certaines étaient signées et tamponnées. Dans la chambre de Bez, la police découvrit une malle appartenant à Meyrand, renfermant des effets militaires, une paire de chaussures neuves provenant de Genève et de nombreux papiers. La situation de déserteur de Meyrand étant connue de Bez Adolphe, ce dernier fut arrêté et écroué le 29 septembre 1917. Un rapport de la police ayant signalé qu’il existait à Lyon, au n°138 de la rue Garibaldi, un comptoir connu sous le nom de Comptoir Anatole et qui constituait en réalité une véritable officine où l’on fabriquait de faux titres de permission, une perquisition fut ordonnée. Cette perquisition eut lieu le 30 septembre 1917 ; elle amena, notamment , la découverte d’un certain nombre de faux titres (certificats de réforme ou congés de convalescence) ainsi que de nombreuses marchandises. Invité à s’expliquer sur sa véritable identité, le tenancier de ce comptoir fut obligé de reconnaître qu’il s’appelait en réalité Corazza Pierre-Jean, qu’il se cachait sous le noù d’Anatole, qui était celui du mari légitime de sa maîtresse et qu’il était déserteur. Corazza fut mis en état d’arrestation le 1er octobre 1917.5suivent les arrestations de Sary chez Anatole et de Vagnon près de Veurey, Isère]…. Le 12 janvier 1918, le nommé Bez Marucie Auguste, déserteur du 140è R.I. fut arrêté à son tour par la mairie de Bellegarde au moment où il présentait au visa une permission de sept jours au nom de Galot Marius… Le 29 janvier 1918, le nommé Bonnefoi Xavier Pierre qui logeait au-dessus du comptoir tenu par Corazza, et avait donné l’hospitalité à Meyrand à plusieurs reprises, au cours de sa désertion, fut à son tour arrêté par la police. Enfin, le nommé Terrat Jean, déserteur du 76è R.I. fut renvoyé devant le CG du Gvt Militaire de Lyon.

A- En ce qui concerne le prévenu Meyrand : qui se trouvait à Salon, dans un détachement de mitrailleurs du 61è R.I., en instance d’être envoyé sur le front, quitta, sans autorisation vers la fin de décembre 1916, ce détachement. Il se rendit, dit-il à Valence, où il passa quatre ou cinq jours, puis à Vienne,où il essaya de trouver un livret individuel qui pût lui servir de pièce d’identité. Il rencontra dans cette ville le nommé Pato Daniel Paul Antoine qui était à peu près de son âge et réformé. Meyrand l’enivra et en profita pour lui dérober son livret militaire… A partir de ce moment-là (janvier 1917), Meyrand se fit appeler Patot Paul. C’est sous ce nom qu’il aurait travaillé, à plusieurs reprises, dans des usines soit à Lyon, soit à Clermont-Ferrand. Vers fin juin 1917, Meyrand abandonna, dit-il, tout travail et se livra au métier de contrebandier qu’il pratiquait avant la guerre. Pour s’approvisionner, prétend-il en marchandise (pierres à briquet, saccharine, etc;) Meyrand reconnaît s’être rendu plusieurs fois en Suisse, une première fois au début de Juillet 1917… Au cours de ce voyage qui dura quatre ou cinq jours, il se rencontra à Genève avec le déserteur Ortoland… Le 31 juillet, en compagnie des déserteurs Vagnon et Bez Maurice… il prenait à la gare des Brotteaux le train pour Annemasse. Arrivés à Annemasse, Meyrand, Vagnon et Bez quittent leurs vêtements militaires qu’ils laissent dans un café, revêtent des vêtements civils. Ils se rendent ensuite au poste frontière de Ville-la-Grand. C’est à ce moment-là que se passe l’incident dont il a été parlé ci-dessus. Meyrand et Vagnon réussirent à se sauver en Suisse. Ils demeurèrent à Genève, disent-ils une quinzaine de jours. Meyrand prétend s’être alors occupé de ses affaires de contrebande, mais la fille Gaidet, bonne du café Christina, que fréquentaient Meyrand et Vagnon, a révélé, dans sa déposititon, que Meyrand et Vagnon faisaient passer des déserteurs de France en Suisse et qu’ils étaient en rapport avec l’espionnage allemand.(…)
Meyrand a reconnu que c’était lui qui avait mis dans la malle de Bez Adolphe les permissions en blanc qui y avaient été trouvées. Dans la malle de Meyrand on découvrit un faux congé de convalescence de 60 jours… au nom de Ernest Grand ( Ortoland)… Meyrand a été blessé le 27 juin 1916 à Thiaumont. [Son] casier judiciaire révèle qu’il a encouru cinq condamnations.

B- En ce qui concerne le prévenu Corazza : il résulte de [ses] explications qu’après avoir déserté, il se rendit d’abord à Savières et Grange l’Evèque… où il exerça le métier de colporteur. En avril 1917, il vint se fixer à Lyon et il fut rejoint quelques jours après apr sa maîtresse, Louise Eugénie Poirecuite, femme Anatole. Ils prirent alors la gérance d’un comptoir sous le nom de la femme Anatole. Sous ce nom d’Anatole, Corazza se plaça comme livreur à la maison de Tréfilerie Lyon-Allemand, vers le moi de mai 1917. Au moment de son arrestation, on trouva au domicile de Corazza, de nombreuses marchandises qu’il avait détourné au préjudice de la maison Lyon-Allemand [pour une valeur de 994, 90 francs, notamment des feuilles d’or]. »

Pourvoi en cassation rejeté le 19 septembre 1918
Est condamné solidairement aux TF à perpétuité (commuée en 20 ans en 1924, avec remise de 2 ans en 1930, alors détenu à la Guyane) un nommé Georges Dain né à Saint Pierre et Miquelon,.
Coraza, peine de dix ans de réclusion et vingt ans d’interdiction de séjour commuée en 5 ans (+1) en 1923. Malgré trois désertions et trois évasions, Corazza a bénéficié d’une certaine indulgence, peut-être en raison des lettres de recommandation décrivant ses exploits au feu au début de la guerre (2 blessures, citation, deux demandes de croix de guerre).
Vagnon est condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée (à perpétuité). Son recours en grâce est rejeté à nouveau en 1922. Peine commuée en 10 ans de déportation en 1933, remise de l’interdiction de séjour en avril 1945 !

Sur les faits d’espionnages, lesquels sont un peu occultés dans les rapports ultérieurs, on apprend que Patot-Meyrand étaient en relation suivies avec le déserteur français Charreyron Léon, précédemment condamné par la cour fédérale (Suisse) le 3 mai 1917 pour espionnage contre la France. Outre le trafic de déserteur auquel ils se livraient, Meyrand et Ortoland « cherchaient à se procurer une carte du front français pour la livrer aux allemands, ainsi qu’un imprimé des nouvelles permissions du front. » Selon l’inspecteur Riou, Meyrand et ses acolytes étaient connus à Genève sous l’appellation de « Bande à Rhem : « Rhem, de nationalié allemande, exploitait à Genève, rue Kleberg 10, un café, où se réunissaient journellmemnt des sujets allemands avec des déserteurs français. Dans son établissement, les Allemands donnaient aux Français des instructions pour faire racoler en France et emmener en Suisse, des permissionnaires venant du front. .. Là, le permissionnaire racontait à l’Allemand tout ce qu’il avait pu remarquer sur le Front, emplacement des régiments, moral des troupes, etc. Il recevait pour ses renseignement une somme qui variait selon leur importance » (400 à 800 francs). Les agissements d’Ortoland et Meyrand sont confirmés non seulement par le témoignage (sujet à caution) de la serveuse Gaidet Sylvanie mais par Le soldat Poux-Berthe, du 3è Rgt mixte de Zouaves et Tirailleurs, qui, en permission à Lyon, s’étant laissé payé sa chambre d’hôtel et soudoyé, subit les interrogatoires des deux comparses sur le situation de son régiment et l’emplacement des troupes dans son secteur, mais trouvant louche les proposition d’argent à collecter en Suisse, refusa de déserter, se faisant insulter au passage par Meyrand. Ils tentèrent également de détourner le soldat Porte qui les entendit dire à Poux-Berthe « qu’il était un imbécile de retourner au front et d’aller se faire trouer la peau. Un certain Charles Colleau qui assista à ces séances de questions rapporte qu’il entendit Meyrand prononcer des menaces de mort contre celui qui le dénoncerait à la police. Ils eurent un peu plus de chance avec Ferrat, mais ce dernier répondit à leurs sollicitations de questionner ses camarades permissionnaires que s’il était déserteur « il n’était pas marchand de patrie ».

Meyrand est fusillé à Villeurbanne, Camp de la Doua, le 25 octobre 1918 à 6 heures.



La guerre du sud-tunisien 1915-1917

Le poste d'Oum Souigh en 1916
Ben Amor Ben Ali Et Tir Mohamed, né vers 1894 à Tatahouine (Tunisie) cultivateur, soldat au 4è Régiment de Tirailleurs Tunisiens
CG du détachement du sud tunisien : jugé avec sept indigènes civils de la tribu des Ouderna, (sans condamnations antérieures) A.A. Et Tir Mohamed est inculpé de désertion à l’étranger en temps de guerre d’un territoire en état de siège, rébellion par plus de vingt personnes armées, assassinats accompagnés d’autres crimes, participation à des pillages commis en bande et à force ouverte, port et usage d’arme dans un mouvement insurrectionnel.
Un mouvement insurrectionnel a éclaté dans le sud tunisien à la frontière entre Tatahouine et la Tripolitaine dans le courant de l’été 1915, réprimé et contenu par l’occupation des troupes françaises dans ladite région. Les 25 et 26 septembre 1915, 17 soldats français sont tués par les rebelles, 15 blessés. Du 2 au 8 octobre 1915, à Oum-Souigh, les français se trouvent à nouveau attaqués, comptent 25 tués et 94 blessés. Le 20 avril 1916, à Garat-Djaouach, les rebelles pillent le campement des Touazines, occasionnant la perte de 350 chameaux. En mai et juin 1916 (et particulièrement le 26 juin), les troupes françaises sont attaquées à Ramada, et aux environs de Déhibat, subissant des pertes de 55 tués et 21 blessés. Le 30 juin à Bir Moghri, les pertes sont de 7 tués et 53 blessés. Le 25 septembre 1917, dans les Ouled Chehida, un nouveau pillage provoque la mort de 5 chameaux appartenant à Belgacem ben Ahmed Chibani. Le 12 octobre 1917, à Gatfa, les Douiret perdent 327 chèvres. Le 1er décembre 1917 à Aïn Messaïda, les Djelibat et Ouled Soltane oerdent 18 chameaux. Le 24 et le 25 décembre 1917, un groupe plus réduit (plus de 3 personnes) résiste violemment aux troupes françaises dans dans la région de Tamelest. Il semble que cette guérilla prenne fin avec l’arrestation par le chef des Ouled Chehida de A.A.T. Mohamed, porteur d’une arme de guerre, déserteur depuis le 1er septembre 1917, n’ayant pas rejoint son corps en garnison à Sousse à l’expiration d’une permission passée à Tamelest. (d’après les questions posées aux juges). 4 des inculpés sont à l’unanimité condamnés à mort, les autres à 2 et cinq ans de prison
Recours en révision (de quatre condamnés à mort) rejeté le 8 juillet 1918.
Ben Amor Ben Ali Et Tir Mohamed, et les civils ben el Aref Zoungah (né à Tamelest vers 1893), ben Mansour ben Abdallah Chetih Mohamed, (né ver 1895 à Tamelest), ben Ali ben Reboudi Reboudi (né vers 1898) sont fusillés conjointement à Médenine (Tunisie) le 30 octobre 1917, 6h « à la parade ».


Après Novembre



On pense à tort qu'après l'armistice, le cauchemar est fini... Par pour tout le monde :

Gustave Paul Joseph Roy, né le 3 février 1894 aux Magnils-Reigniers, domestique
cultivateur, soutien de famille incorporé au 137è R.I., soldat de 2è classe arrivé au corps le 8 septembre 1914 est condamné par le conseil de guerre de la 21è DI le 20 mai 1916 à 10 ans de travaux publics. Pour s’être absenté de son corps sans autorisation, la condamnation pour désertion à l’intérieur en temps de guerre estlourde. Arrêté, sa peine est suspendue et Gustave Roy est affecté au 93è RI fin mai 1916. En 1916 le 93è et le 137è sont à Verdun et là encore, les pertes sont énormes. Le 4 juillet 1916, le conseil de guerre le condamne à la peine de mort pour abandon de poste en présence de l’ennemi et désertion en présence de l’ennemi mais la peine est commuée en 20 ans de prison le 24 juillet et suspendue en août. Il passe au 137è RI, en section disciplinaire. Blessé le 18 avril 1917 à Troyon dans l’Aisne par des éclats de grenade avec des plaies multiples, il est à nouveau condamné à 5 ans de travaux le 18 décembre 1917 par le conseil de guerre permanent de la XIè région militaire (de Nantes) pour désertion, le jugement est exécutoire le 29 décembre 1917. Gustave Roy est écroué à la maison d’arrêt de Fontenay le 25 avril 1918 puis définitivement à  Montrevault le 3 octobre 1918. Il y meurt le 14 décembre.


René Désiré Saumureau, soldat né le 24 novembre 1887 à Saint Lambert des Levées.fut jugé le 11 janvier 1917. Sa fiche militaire décrit qu’il portait des « cicatrices à quatre travées de doigts dans le tibia droit, côté externe, côté droit du métatarse au pied droit » : précision, cet homme boitait. A noter aussi qu’il portait des tatouages représentant une femme nue et un papillon sur l’avant bras droit. Au 166è régiment d’infanterie, il commit insultes et surtout une tentative d’assassinat et voies de faits pendant le service ; du 10 août 1907 au 7 juin 1918 diverses condamnations lui furent signifiés. Les actes de son jugement et de son recours rejeté (31 octobre 1919) sont arrivés jusqu’à nous. Le plus grave est qu’il avait tiré deux coups de pistolet automatique occasionnant une blessure grave sur le Sergent Sarda. Enfin, pour résumer, le recours rejeté, il mourut le 3 janvier 1920. Le coût sur ses biens présents ou à venir se montait à 327 francs 40.




Civils

 

Marie-Antoinette Awico (alias Régina Diana), née le 27 juillet 1885 à Genève (Suisse), « se disant italienne », artiste lyrique, célibataire (une fille naturelle d’un nommé Cherix, garagiste)

Fille de blanchisseuse, son père italien disparaît peu après sa naissance. Elle travaille avec sa mère jusqu’à l’âge de 16 ans puis se fait un nom d’artiste dans les cabarets genevois, celui de Regina Diana. Selon les agents du consulat chargés plus tard de sa surveillance, Marie-Antoinette aurait tiré ses revenus des largesses de ses amants et de la prostitution. Avec les premières années de guerre, les affaires de son amant périclitent. Son garage genevois fait faillite, il compense en faisant de la contrebande de caoutchouc avec les Allemands. Poursuivi, il s’enfuit avec leur fille, qui sera déposée dans un orphelinat protestant dans la Drôme.
En septembre 1916, Regina Diana s’apprête à partir pour Paris, bien décidée à «y trouver un engagement». C’est là qu’elle accepte de rendre à l’occasion un petit service pour un certain «Louis», patron de «Charles», ami zurichois d’un autre de ses amants genevois, dit «Weil»… Il s’agit de faire quelques observations sur les dernières modes vestimentaires des Parisiennes, voire de noter au passage les numéros de régiments qui sont inscrits sur les cols des soldats de la place. Elle se méfie. On lui promet 5000 francs et un faux passeport. Fauchée, elle accepte.
photo du passeport

A son retour, ces espions notoires semblent déçus: distraite, Marie-Antoinette a oublié son carnet avec les numéros. Qu’importe, ils l’incitent à s’installer quelques jours à Marseille. Cette fois-ci, il faut compter les aéroplanes, voir si on construit des casernes, savoir si les soldats portugais ont débarqué.
Regina Diana s’en tire mieux. Elle dit à qui veut l’entendre qu’elle vient soigner son mal de gorge dans le Midi, se produire dans les casinos, gagner de quoi ouvrir une maison de «rendez-vous» à Lyon ou encore soigner sa mère malade. Dès janvier 1916, au moins seize personnes se laisseront approcher, sans livrer toutefois d’informations essentielles. Grâce à ses charmes, l’espionne réussit tout de même à promener plusieurs soldats, et sous-officiers bien placés.
Parmi les trois principaux figurent Albert qui écrit de Bordj-Menaïel Mary et son camarade Peysson dont elle aurait pu retirer quelques informations sur les mouvements en Somme, mais leur passage en permission semble court même si les cartes d’Albert évoquent un flirt. Une correspondance plus importante prend place avec Armand Benyounès du 68è BCA, en convalescence à Alger, qui était peut-être plus qu’une relation intéressée : il note au dos de ses photos : « A ma gosse chérie, son gosse, Armand » (2 février 1916)



Marie Antoinette est arrêtée le 16 mars, sur le chemin de la gare alors qu’elle s’apprête à quitter Marseille. En prison, Regina Diana répète ses sentiments francophiles, balance ses commanditaires: ils jouent aux cartes chaque lundi à L’Aiglon, à Genève. Rien n’y fait. Pendant qu’elle vend ses bijoux pour payer un avocat, sa co-détenue l’accable, prétendant qu’elle aurait manifesté des sentiments « francophobes exacerbés ». Sa mère tente également de contacter le consul d’Allemagne à Genève. Les malles de sa fille lui seront rendues mais les causes du décès soigneusement dissimulées.

CG de la XVè région : 20 septembre 1917. Les questions posées au procès de Marie-Antoinette Awico suggèrent que la plupart des tentatives qu’on lui prête, consistant en la rédaction de nombreuses cartes postales aux services d’espionnage allemand, auraient lamentablement échoué à part celle de s’être « introduite dans la place de guerre de Paris » en novembre 1916. Ces autres actions concerneraient à Marseille en janvier 1917 l’embarquement de troupes anglaises pour Salonique, le 28 janvier renseignements fournis sur l’enrôlement des jeunes soldats, le moral des civils et des permissionnaires, la crise du sucre et du charbons, le 5 février 1917, de nouveau le départ de deux navires chargés de troupes anglaises, à partir du 4 mars le nombre de permissionnaires à Marseille et la préparation des offensives dans la Somme pour la 2è quinzaine de ce même mois (ainsi que les positions anglaises sur ce front). Les pièces de conviction se résument à deux seules cartes postales qui ne parviendront jamais à leur destinataire.

Texte secret révélé de la 2è carte (à Mlle Fevarotto le 26 janvier 1917 à Zurich) :
« Aujourd’hui cortège de conscrits de 350 à 400. Le peuple murmure. Tous les jours bataille dans le commissariat où on délivre les cartes de sucre. Presque plus de charbon. Le moral est très atteint même chez les permissionnaires. On craint la Révolution. »
Recours en révision rejeté le 22 octobre 1917, grâce rejetée le 4 janvier
Marie Antoinette Avvico (orthographe de l’acte de décès) est fusillée au terrain de manœuvres du Pharo à Marseille le 5 janvier 1917 à 6h30.



Mohammed Ben Mohammed Laïd (alias Mohammed ben Abdesselam), né en 1886 à Ouled Abdallah (douar, commune de Ténès)
Ouali Ben Yahia Mamou, présumé né en 1878 à l’Oued Abdallah
Abdelkader (alias Serir) ben Heddi Nourine, né vers 1892 au douar Ouled Abdallah, résidant douar Baîch
Condamné le 29 ocotbre 1916 aux TF à perpétuité (commuée en 2O ans, réduction de peine de 2 ans) pout tentative de meurtre sur le chef Pons et le gendarme Duveau, le é_ août 1917 par le CG d’Allger à la peine de mort, le 16 janvier 1918 à 20 ans de TF, jugements par contumace. Nourine a été tué à coups de marteau dans la nuit du 29 au 30 décembre 1933 par un autre indigène.

« Pendant 2 ans, de fin 1914 à fin 1916, les colons européens et indigènes de la région de Ténès étaient terrorisés et mis en coupe réglée par des bandes de malfaiteurs indigènes armés qui parcouraient le pays, imposant des rançons et commettant des crimes. 129 crimes (meurtres, tentatives de meurtres, vols qualfiés) furent ainsi commis dans ces deux années. Le 24 vovembre 1916, un brigadier et deux gendarmes se rendirent en tournée dans cette région, pour mettre à exécution différents mandats de justice. Les gendarmes provédèrent à l’arrestation de 2 indigènes dont l’un s’évada pendant la nuit. Le 25 novembre au matin, laissant un gendarmepour garder leprisonnier resttant, le brigadier accompagné du 2è gendarme, partaient à la recherche de l’évadé. Au cours de leurs recherches, ils furent attaqués à coup de fusil par la bande de malfaiteurs dont l’évadé faisait partie. Le gendarme fut tué sur le coup. Le brigadier blessé fut achevé d’une balle dans la tête à bout portant... » les victimes ont alors été dépouillées de leurs armes et effets.
CG de la division territoriale d’Alger : inculpés d’association de malfaiteurs, meurtre de deux gendarmes et vol qualifié (avec au moins 9 autres)
Recours en révision rejeté le 19 septembre 1917, pourvoi en cassation rejeté le 3 novembre 1917
Les «  sont fusillés à Alger Ténès le 19 février

Ce dossier, constitué d’au moins trois conseils de guerre successifs est un peu en vrac, la justice militaire ayant dû le ressortir à plusieurs reprises : on est contraint d’anticiper quelque peu :
Abdelkader ben Louaïd Belouaïd, né en 1885 à Douar Ouled Abdalah, 9è Rgt de tirailleurs
Abdelkader ben Mohamed Belouaïd, né en 1885 à Ténes
« Le tirailleur Belouaïd (Abdelkader ben Louaid) a été condamné une 2è fois par contumace le 13 octobre 1917 aux travaux forcés à perpétuité, pour vols qualifiés et tentatives de meurtres. Il sera jugé contradictoirement le 6 août prochzin. Il aura ensuite à répondre devant le Conseil de Guerre d’Oran des faits de désertion à l’ennemi, et d’avoir porté les armes contre la France au Maroc. » Qrrêté quelques temps après au Maroc, ramené à Alger.
Déserteur après quelques mois d’incorporation, Abdelkader ben Louaïd se réfugie dans la commune mixte de Tenes. Il rencontre « dans le bled » deux autres déserteurs du même régiment avec qui ils forment la bande d’origine. Après l’ « attentat » du 25 novembre 1916, il fallut tout un bataillon de zouaves pour arrêter les 16 prévenus du procès du 28 aôut 1917 (4 acquittement, 4 peines capitales, dont un décédé avant l’exécution)
recours en révision rejeté le 25 septembre 1920, fusillés le 26 décembre 1920 à Taza, Maroc

 

Chaban Servet, né en 1897 à Troubhova (Albanie), berger à Poléna
CG de la 76è DI séance du 21 février 1917 : accusé d’avoir en janvier et février 1917 (notamment le 15 février) sur le territoire de Kaja, de Koritza (et à Polena), entretenu des intelligences avec l’ennemi, et d’avoir porté les armes contre la France. Le dossier avec la demande de révision est revenu au greffe sans décision. Sont déférés au cours du même procès Abdul Ali, né en 1867, maçon à Lavdar, accusé des mêmes faits, et Alil Mustafa (né en 1872 à Voskop, désigné comme cultivateur) pour avoir de plus fait des enrôlements pour une puissance en guerre avec la France. L’ordre et le PV d’exécution sont restés rédigés en blanc, plus grave, on voit sur le rapport que la mention du rejet de révision est prévu d’avance, la date exacte étant fixée au .. mars 1917.
« Alil Mustafa, autrefois gendarme turc pendant 25 ans, avait reçu des armes et des munitions de Haïdar Bey par l’intermédiaire de Cheffert Bey, à Voskop. Il les distribua à des Comitadjis et notamment aux deux autres accusés qui opérèrent sous sa direction. Les hommes ainsi armés, devaient protéger les corvées de ravitaillement autrichiens (sic), et repousser les patrouilles françaises. Les points à attaquer étaient désignés à Chefket Bey par sitkowsky, chef du service des renseignements autrichiens, ancien consul autrichien à Monastir sous la domination turque. »
Abdul Ali a reçu certaines sommes d’argent d’Alil Mustafa. Il était chargé comme Servet Chaban d’observer le déplacement des troupes françaises dans Koritza et ont été arrêtés les armes à la main, comment membres d’une bande de 8 comitadjis. Selon Servet, il se serait rendu aux français dès la prise de Poléna.

Comme il s’agit d’une enquête du capitaine commissaire Benoist, il y a fort à parier que, même si la promulgation de la république de Koritza n’avait pas eu lieu, ni la suspension du droit de révision, les 3 accusés ont dû disparaître par les bons soins de l’A.F.O.


Henri Joseph Espaulella, né le 2 décembre 1865 à Rodez (Aveyron) représentant de commerce à Perpignan, correspondant de la dépêche de Toulouse à Espira de l’Agly


C’est sur la demande du Ministre de la Guerre, qu’Espaulella est arrêté le 9 novembre 1917 par le commissaire Dhubert. Ancien sous-officier de l’armée française Espaulella a mené une vie hasardeuse depuis son mariage en 1890 ; tour à tour, caviste puis correspondant de la dépêche de Toulouse, enfin industriel malheureux à Espira de l’Agly où il résida 15 ans, il finit par se rendre à Barcelone dans l’espoir d’y trouver une situation meilleure. Il devient représentant pour le chocolat « Phoscao », et ne tarde pas à en vendre pour 10000 francs le secret de fabrication à un concurrent espagnol, Casamor. Père d’une fille majeure, Espaulella ne cesse de rechercher de l’argent pour entretenir plusieurs jeunes maîtresses. En 1916 , il revient tenter sa chance à Paris, mais faute de réussite, se rabat sur Perpignan, où il vend à nouveau 7500frs un procédé de fabrication de chocolat en poudre. Il continue à faire de fréquents voyages à Barcelone. C’est là qu’il rencontre par Montserrat Alfonsina, des membres du réseau d’espionnage allemand dirigé par le baron Rolland, et notamment un commerçant de la rue de Jérusalem, connu pour être un rabatteur d’espion.
Le 20 octobre 1917, il fournit à l’espionnage allemand un « Rapport » en tête duquel pour prouver sa loyauté il se propose de faire sauter l’usine de Paulilles, fabriquant de la dynamite ou une usine de production d’électricité des Pyrénées Orientales, après quoi il entreprendra de mener une campagne pacifiste auprès de relations qu’il a conservées avec des politiques français, à charge pour les allemands de lui fournir une avance de 1000 frs avant le 20 novembre. Son arrestation vint contrarier ces projets.
Le 7 décembre 1917, Espaulella parvint à s’évade de la prison de Montpellier en compagnie d’un déserteur du 8è R.I., le soldat Rouvet à qui il révèle qu’il s’est abouché avec un officier allemand en pleine connaissance de cause, qu’il connaît très bien le baron Rolland. Il évoque même devant la compagne de ce soldat le prix prévu pour la destruction de l’usine, 55 000 frs qu’il compte réinvestir dans une nouvelle entreprise. Sa fuite ne dure pas deux jours avant que les évadés ne soient repris. Espaulella adopte pour système de défense qu’il n’ agit que pour « doubler » les espions allemands, en livrant des informations au Consulat de France à Barcelone, sur le réseau de la rue de Jérusalem, mais il s’avère que cette tentative, bien réelle, a eu les résultats les plus flous, servant à lui faciliter l’obtention d’un passeport.
Le premier jugement du CG de Montpellier est annulé en révision, et Espaulella renvoyé devant le Conseil de Toulouse, CG de la XVIIè région (5 mars 1918), qui le condamne à nouveau à mort à l’unanimité.
Espaulella est fusillé à Toulouse, champ de tir de Pech-David le 16 avril 1918 à 5h40.



Paul Marie Bolo, dit Bolo-Pacha, est né le 24 septembre 1867 à Marseille. Après avoir abandonné la profession de dentiste pour se tourner vers le commerce colonial, il quitte la France sous la pression du fisc et s'installe en Espagne où il vit d'expédients. On le retrouve en Argentine, sous le nom de Bolo de Grangeneuve et il se marie à la chanteuse Henriette de Soumaille, laquelle l’entretient. À la suite d'un vol de bijoux commis à Valparaíso, il est arrêté mais sa femme verse la caution. Libéré, Bolo l’abandonne et rentre en France en 1904, s’installe à Paris et épouse une certaine me Muller née Pauline Moiriat, ex-chanteuse de music-hall, veuve d’un riche négociant en vins de bordeaux, Fernand Muller. Ignorant sa bigamie, la veuve Muller devenue me Bolo lui signe une procuration sur sa fortune : Paul Bolo est désormais riche, il mène grand train, jongle avec les millions, voyage à travers le monde et reçoit fastueusement, en particulier à Biarritz.
Durant dix ans, il se lance alors dans de nombreuses entreprises commerciales, bancaires, philanthropiques. Il fonde la Confédération générale agricole, puis la Société universelle de la Croix-Blanche (Genève) en 1907. Il se lie à d'importants hommes politiques dont le ministre Joseph Caillaux avec lequel il échange une correspondance. En 1914, il devient le conseiller financier d'Abbas II Hilmi, khédive d'Égypte, et reçoit de ce dernier le titre de pacha.
Le 18 décembre 1914, le khédive, nationaliste et considéré comme trop proche de l'Allemagne, est déposé par les autorités britanniques et doit s'enfuir en Suisse. Bolo demeure son conseiller en exil et, sans doute grâce à son intermédiaire, entre en contact avec des banques allemandes et étrangères dans le but de contrôler des quotidiens français et d'en faire des organes d'influence pro-pacifistes (Le Journal ; Le Bonnet rouge).

En janvier 1917, Aristide Briand mais aussi Clemenceau ordonnent une enquête. Les services secrets français durant l'année 1917 établissent un lien direct entre Bolo et une banque américaine sise à New York : divers comptes en France au nom de Bolo ont été crédités d'un total de 11 millions de marks émis par la Deutsche Bank via la banque américaine.
Bolo est arrêté à Fresnes en septembre 1917. En février 1918, Bolo est déféré devant le Conseil de guerre de Paris.Durant le procès, Bolo nie les faits. Son avocat est maître Albert Salle.
Bolo est condamné à mort le 14 février et le président Raymond Poincaré refuse de signer sa grâce.
Il est exécuté le 17 avril 1918 au fort de Vincennes.


Le confédéré, 30 janvier 1918


Joséphine Augustine Manuela Alvarez (dite Beaumont, dite Colombine, dite Simon), née le 4 juin 1877 à Cognac
Victorine Faucher (dite Beaumont, dite Lolotte, dite Lucienne Alvarez), née le 6 octobre 1892 à Périgueux



Le 26 janvier 1918, nous apprend « le Phare », le quotidien nantais de l’époque, « le Conseil de Guerre de la 11° Région vient de connaître une grave affaire d’espionnage dont l’instruction, très laborieuse, n’a pas duré moins d’une année. » L’affaire concernait deux femmes, qui se disaient artistes lyriques, ainsi que deux hommes, le soldat Paul Pelissier, 27 ans, et le marin Gustave Gitton, 25 ans. Les trois premiers furent condamnés à mort, le quatrième à 5 ans de travaux forcés, réhabilité en 1919.


Victorine Faucher


Elles étaient anarchistes, militantes de la paix, et homosexuelles. Autant de motifs qui suffisent, en temps de guerre, pour les enlaidir sur les photos de la police judiciaire, les accuser de prostitution, d’espionnage et de trahison, et enfin les assassiner au petit matin d’une belle journée de printemps.
On nous les présente comme des prostituées vivant de « galanterie »…
Manuela Alvarez aurait même été « sous-maîtresse d’une maison de tolérance »… Leurs accusateurs voyaient dans ces affirmations non renseignées et fantaisistes, ainsi que d’autres, déshonorantes du même acabit, la preuve du vice et de la duplicité des prévenues. D’autant, constatèrent-ils, qu’elles circulaient sous de multiples identités, dont des sobriquets d’alcôve, comme « Lolotte » et « Colombine » alors qu’en réalité, rien n’attestait que les malheureuses s’en revendiquaient ! Pour tout dire, ce qui leur était précisément reproché était assez obscur.
On en serait resté là, si un rapport d’un certain Desoches, commissaire du Gouvernement près le Conseil de guerre de la 11è région militaire, établi  au printemps 1926 à la suite de l’arrestation à Tanger de Paul Xavier Pélissier, condamné à mort par contumace en 1918. et de son transfèrement sur Nantes, complice présumé des jeunes femmes n’avait apporté quelques éclaircissements sur les véritables motivations de la « justice » militaire…
A cette occasion, Desoches estima nécessaire de rappeler l’historique de cette affaire. Bien qu’exclusivement accusateur, le rapport aborde, malgré tout et pour la première fois,  le cœur du dossier, et permet, autant par ses silences que par ses affirmations, de mieux comprendre les griefs exprimées à l’encontre des deux femmes…
Le zélé commissaire situe le début de l’affaire au 22 janvier 1916, date à laquelle celles qu’il qualifie « d’aventurières associées depuis deux ans par leurs mœurs spéciales ainsi que par leur vie de prostitution et d’expédients » passent la frontière espagnole à Cerbère sans passeport et sans le sou, dans le dessein de se rendre à Barcelone.
A propos de la plus âgée Manuela Alvarez, il précise qu’elle a vécu jusqu’à son arrestation de « galanterie, de vol, spécialement d’entôlages et d’escroqueries » et surtout qu’elle a fréquenté à une certaine époque « les milieux anarchiques et libertaires » par l’intermédiaire de l’un de ses amants, un nommé Moricet affilié à la bande à Bonnot…
S’agissant de Victorine Faucher, il allègue qu’elle vivait aussi de « galanterie et d’entôlages » et qu’elle était connue des milieux anarchistes et libertaires, où elle avait été introduite avant-guerre par un nommé André Valet de la bande des « Bandits tragiques ». Intelligente et énergique, Victorine serait une amie d’une des grandes figures féministes du mouvement libertaire et anarchiste, Rirette Maîtrejean (1887-1968) (alias Anna Henriette Estorges).

Rirette

En outre, selon le commissaire Desoches, Victorine passait pour une militante prête à tout. Il souligne à cet égard qu’en 1914, elle avait collaboré au Journal d’extrême gauche Le Bonnet Rouge , publication systématiquement accusée de défaitisme par l’Action française… Il dit détenir la preuve de ce travail  au travers d’un certificat élogieux établi par Eugène Bonaventure Jean-Baptiste Vigo (1883-1917) fondateur du journal et militant anarcho-syndicaliste et socialiste, mort « bêtement suicidé » dans sa cellule de la prison de Fresnes en 1917….On comprend qu’avec un tel pedigree, qui met délibérément l’accent sur leur fréquentation de longue date des milieux anarchistes, libertaires et pacifistes, bêtes noires des pouvoirs en place, le destin des deux demoiselles était scellé avant même le début d’une quelconque instruction.
Dès leur arrivée à Barcelone, Manuela Alvarez et Victorine Faucher s’étaient présentées dans un établissement bancaire pour y négocier un paquet de titres, malheureusement frappés d’opposition, au motif – dit-on – qu’ils auraient été volés à Paris …
Cette mésaventure entraîna leur incarcération, durant quatre mois en Catalogne. La presse espagnole, étrangement bien informée, en fit ses grands titres, en présentant les deux femmes comme des receleuses anarchistes, aguerries et familières de la bande à Bonnot…C’est cette publicité tapageuse qui, selon le commissaire Desoches, aurait attiré l’attention des services secrets allemands « à l’affût d’individus de cette espèce ». Ils auraient alors chargé un de leurs indicateurs, Paul Pélissier, déserteur de l’armée française et anarchiste « notoire », réfugié en Espagne depuis janvier 1914 de les contacter pour les enrôler au service de l’Allemagne…
Sans d’ailleurs étayer ses dires d’éléments factuels indiscutables, le commissaire Desoches décrit Pélissier, originaire de Salon-de-Provence et ancien étudiant en pharmacie, comme la plaque tournante de l’espionnage allemand en Espagne. Agitateur professionnel et vénal, il aurait même été condamné par la suite (en mars 1917)  par la justice espagnole à cinq ans de travaux forcés pour détention illégale d’explosifs destinés à saborder des navires alliés mouillant dans le port de Barcelone.
En dépit des dénégations de l’intéressé, le commissaire soutient que Pélissier aurait visité les deux femmes en prison, en s’efforçant de « développer en elles les mauvais instincts qu’elles nourrissaient en tant que libertaires à l’égard de leur patrie ». Il y serait parvenu sans peine, en les assurant de l’intérêt des allemands à leur sort, et en laissant entendre qu’ils pourraient empêcher leur extradition et abréger leur détention.
De fait, elles ne furent pas extradées vers la France, et furent libérées le 19 juin 1916. Personne en revanche ne sait si cette relative clémence est imputable au contre-espionnage allemand ou, plus prosaïquement, à la stricte application du droit pénal espagnol pour le délit relativement mineur reproché aux deux femmes.  Pas plus que d’autre, le commissaire du conseil de guerre n’est en mesure d’apporter de réponse. Néanmoins, cela ne l’empêche pas de se faire l’écho d’un ragot non confirmé, selon lequel les frais de justice auraient été pris en charge par la banque transatlantique allemande…
C’est au domicile de Pélissier, que Manuella Alvarez et Victorine Faucher se seraient installées après leur libération, et c’est là que l’un des chefs des services d’espionnage allemand les aurait recrutées, en leur remettant de l’argent pour prix de leur trahison. Elles auraient même, par la suite, régulièrement fréquenté les bureaux du contre-espionnage qui se trouvaient à cette époque, Ronda de San Pedro à Barcelone…
C’est dans ces bureaux, selon Desoches qu’on leur indiqua ce qu’on attendait d’elles :
Se mêler dès leur entrée en France (…) aux milieux anarchistes, s’efforcer d’y créer une atmosphère d’agitation, y stimuler les ferments de révoltes de manière à développer dans l’opinion publique le mécontentement que pouvait provoquer la longueur de la guerre, les sacrifices, les difficultés de la vie; arriver à l’éclosion de mouvements révolutionnaires susceptibles d’influer dans le sens de la paix.
Participer à une énergique propagande anti-anglaise et, dans ce but, chercher le moyen de faire imprimer à Paris par un journal anarchiste une brochure destinée à créer un mouvement d’opinion hostile à l’Angleterre; ce dans le dessein d’arriver ultérieurement a une paix séparée avec la France.
Recueillir et transmettre en Espagne tous les renseignements intéressants la guerre qu’elles pourraient se procurer au cours de leurs déplacements (…) en particulier sur les mouvements de navires, notamment au Havre, sur les stocks de charbon et sur les usines de munitions….
En contrepartie, elles auraient reçu de l’argent et des consignes sur la façon de faire parvenir des informations à leurs commanditaires…Pélissier, jouant le rôle du « vaguemestre »…
De retour en France, Manuella et Victorine s’installèrent dans un petit village près des Sables d’Olonne, au lieu-dit la Pironnière « chez les époux Gitton ». L’accusation soutient qu’à partir de cette planque discrète, elles adressèrent une quinzaine de lettres en Espagne. Pour faire bonne mesure, l’accusation affirma – également sans preuve – que les deux femmes « rayonnèrent au cours des mois suivants à Nantes, St Nazaire, Lorient, Quimper et Brest, se faisant remarquer çà et là par « leurs sentiments anarchistes et leurs propos subversifs »… et qu’elles tentèrent, en usant de leurs charmes de suborner le fils de la maison, alors matelot dans la Royale et de l’inciter à déserter…
Finalement, les deux femmes furent arrêtées le 19 mars 1917 en provenance des Sables d’Olonne, en gare de la Roche-sur-Yon.
Les deux condamnées, réveillées avant l’aube dans leur cellule de la maison d’arrêt, connurent un court moment de détresse puis de révolte, lorsqu’elles apprirent le refus par le Président de la République de leur recours en grâce et que la sentence allait être exécutée dans l’heure…
Mais Victorine reprit très vite de l’assurance, allant jusqu’à toiser le lieutenant substitut du rapporteur du Conseil de Guerre qui « tentait » de lui prodiguer quelques paroles de réconfort. Après avoir répondu à l’officier qu’elle n’avait rien à lui déclarer, elle s’adressa à lui en le regardant fixement: « Si je meurs, c’est grâce a vous, monsieur, car vous avez altéré la vérité. Au moment de paraître devant Dieu je vous maudis »
Victorine, la plus jeune, avait refusé toute aide à la sortie du fourgon cellulaire, et c’est presque en sautillant qu’elle avait franchi élégamment le fossé qui la séparait du poteau. Elle s’était placée d’elle-même face au peloton. Et en passant devant ses juges ainsi que les officiers commis pour assister à sa mise à mort, elle leur avait même adressé un geste d’ultime défi. Comme pour montrer à ses assassins galonnés tout le mépris qu’ils lui inspiraient! Manuela, très pâle suivait sa compagne d’infortune sans mot dire.
Jusqu’au dernier moment elles avaient cru qu’elles échapperaient à la sentence et qu’elles seraient graciées par le Président Poincaré. Naïvement, elles avaient en effet de bonnes raisons d’espérer. Non seulement, elles n’avaient pas de sang sur les mains, mais leur procès totalement à charge, ainsi que l’appel qu’elles avaient formé devant le Conseil de guerre, s’étaient déroulés dans des conditions iniques, bafouant délibérément les droits de la défense
Sans opposer la moindre résistance, elles se laissèrent lier les mains, « après avoir remis leurs manteaux à l’abbé Spitalier », l’aumônier de la maison d’arrêi.
Lorsqu’un sous-officier se présenta devant Victorine pour lui bander les yeux, elle refusa tout net. « Je n’ai pas peur » lui cria-t-elle ! Mais, même si l’institution judiciaire flirtait avec l’infamie,on se faisait un devoir de respecter à la lettre, la procédure « pénale » : aussi passa-t’on outre cette dernière volonté, et on lui banda les yeux!
Victorine et Manuella s’écroulèrent ! Si la cadette fut tuée sur le coup, Manuella, agonisante, transpercée de toutes parts, continuait en revanche de s’agiter! Son corps ensanglanté était affecté de violents spasmes…
Agissant encore selon le règlement en vigueur, le sous-officier qui avait ordonné le tir, s’approcha pour lui donner un coup de grâce dans la nuque. Ce qu’il fit maladroitement, car troublé par le meurtre qu’on lui faisait commettre, il visa mal, et le corps de Manuella persista à se tordre dans d’intolérables convulsions et souffrances. De telle sorte, que l’assistance blêmit et, horrifiée, se prenait soudainement de pitié pour la suppliciée, en manifestant bruyamment son indignation. La situation aurait pu s’envenimer, si un officier, juge du Conseil de Guerre, se substituant au pauvre juteux désemparé, n’avait finalement placé une balle dans l’oreille de la condamnée, mettant enfin un terme à son martyr.
Nantes Maison d’Arrêt, place Lafayette
Le Phare, 6 mai 1918 :
« Les espionnes ont expié – Les deux espionnes, Joséphine Alvarez et Victorine Faucher, condamnées à mort le 25 janvier 1918 par le Conseil de Guerre de la 11° Région pour intelligence avec l’ennemi, ont été fusillées simultanément, lundi matin à 6 heures, dans la partie extérieure nord du stand de la Porterie, situé aux environs immédiats de la ville de Nantes. »


Ahmed Ben Ammar Mellah, né en 1882 à Ouled Kalla
Lakhar Ben Moussa Allag, né le 4 juin 1894 à Tablat
Des bandes de malfaiteurs sévissaient au sud-est d’Alger dans la région de Tablat. Toujours plus audacieuses, les actions de ces bandits détroussaient en plein jour les maisons des habitants de la région, tuant certaines de leurs victimes. Les autorités organisèrent des recherches et finirent par tuer, le 18 mars 1917, un membre de la bande d’Allag Lakhdar Ben Moussa, déserteur du 9e régiment de tirailleur et capturèrent, le 23 avril 1917, une partie de la bande dont Allag Lakhdar et Mellah Ahmed. Le 20 mars 1917, Mellah Ahmed est directement impliqué dans la tentative d’assassinat sur le caïd Oudia Moussa et dans l’assassinat d’Oudia Mohammed, déjà blessé, que Mellah a achevé de 2 coups de fusil. Le 30 janvier 1918, le Conseil de Guerre de la division territoriale d’Alger fut appelé à juger les survivants pour association de malfaiteurs, pour vol qualifié, pour l’assassinat des 2 personnes et la tentative d’assassinat sur une 3e. Confondus par le survivant de la tentative d’assassinat et le garde-champêtre indigène qui avait assisté à la scène, le tirailleur/déserteur Allag Lakhdar fut condamné à l’unanimité à la peine de mort, le tirailleur/déserteur Chetouain Ali Ben Ahmed fut condamné aux travaux forcés à perpétuité, Mellah Ahmed Ben Amar fut condamné à l’unanimité à la peine de mort. Les 2 condamnés s’étaient pourvus en révision puis en cassation. Le 13 février, le Conseil de Révision d’Alger a rejeté les pourvois. Le 28 mars, la cour de cassation a également rejeté les pourvois.
Le 10 mai 1918 à 6 heures à Tablat (Algérie), le médecin aide-major de 1ère classe Ardouin, commis à cet effet, a constaté le décès des 2 condamnés.


Ben Ahmed Ben El Hadj El Arabi El Mahmoudi Hammou, né en 1893 au Douar m’Hamda, cultivateur, célibataire
1er CG des troupes d’occupation du Maroc occidental
Le nommé Hammou… est-il coupable d’avoir, le 16 janvier 1918, à la ferme Vernay, sur le territoire des Ouled-Liane, tenté de commettre un homicide sur la personne de Madame Durand, épouse Joseph Vernay ? A-t-il agi avec préméditation ?
Recours en révision rejeté le 30 mars 1918. Pourvoi en cassation rejeté le 10 mai 1918
Hammou est fusillé au lieu dit Aïn Diab près Casablanca le 10 juin 1918 à 5h4

Émile Joseph Duval, né le 27 septembre 1864 à Paris 14è, fusillé à Vincennes le 17 juillet 1918 (voir Le bonnet rouge)




Théodore Nicolaus Otten (alias Steiner), né le 3 mars 1880 à Rotterdam, demeurant à Hambourg, négociant en céréales
CG de la XIVè région de corps d’armée : après annulation en révision du jugement du26 février 1918 à Lyon) 17 avril 1918
co-accusé Léon Gustave Mermet du 2è Dragons, inculpé de vol militaire et trahison par intelligence avec l’ennemi, condamné en jugement de renvoi aux TF à perpétuité.



L’affaire Otten-Mermet prend un tour politique dès que l’Action Française reproduit un aticle du journal La Liberté critiquant l’enquête dans le but d’obtenir une information judiciaire contre l’ex-Ministre de l’Intérieur Malvy. Le suspect Mermet aurait été mis -on le sous-entend, sur ordre- en liberté avant d’être rattrapé in extremis pas la justice militaire. Le fait en soi n’a pas grans intérêt sinon qu’il provoque diverses réaction du commissaire Dhubert, lequel s’adressant au Chef de la Sûreté clame qu’il ne pouvait pas maintenir Mermet en détention, celui-ci n’étant incriminé que par des déclarations anonymes et des on-dit qui ne constituaient pas de preuves tangibles, d’autant plus que les interrogatoires indépendants des époux Mermet paraissaient démontrer que les chefs d’inculpation ne tenaient pas, et qu’aucune preuve d’espionnage n’avait été mise en lumière lors des perquisitions de leurs domiciles en France les deux étant citoyens Suisse, résidant avant la guerre à Plainpalais). Dhubert, qui a obtenu la condamnation de nombreux espions sans manifester le moindre remords même quand l’enquête était quelque peu manipulée, constatant la sentence de mort rendue contre Mermet lors du jugement de Lyon, ne « veut pas faire l’insulte » aux juges militaires d’avoir forgé leur conviction à partir de racontars.
Le mémoire de l’avocat de Theo Otten montre parallèlement que ce dernier, a été attiré sur le territoire français par ruse, son chauffeur (Pochon, agent sous-marin de l’espionnage français) ayant été soudoyé pour simuler une panne juste de l’autre côté de la frontière, et qu’il s’agit donc d’un enlèvement dont l’auteur principal s’était de plus opportunément évadé de son lieu de détention en Suisse. Dans de telles conditions, et quoi qu’ils choisissent de les ignorer, les tribunaux français n’étaient pas compétents pour le juger.
Et en effet, les rapports, tout au conditionnel, sont confondant d’imprécisions, évoquant des rencontre à Genève « dont on ne peut affirmer qu’elles aient eu lieu » et plus à charge pour d’autres individus dont Mermet aurait été l’informateur. Tout juste arrive-ton à affirmer qu’Otten aurait reçu pour mission du chef du S.R. allemand Simonsohn, sous l’alias Colonel Steiner de tenter de recruter directement Mermet pour s’assurer de la sincérité d’autres espions rémunérés par les agents allemands. On reproche toutefois avec certitude à Mermet un vol d’avoine et de son au préjudice de l’armée française, de deux capotes, 4 ou 5 chemises et 2 paires de brodequins, charges qu’on consent à laisser de côté vu l’importance des suspicions d’espionnage qui pèseraient sur lui.
Bref ! On nage en pleine confusion ! Certaines notes provenant « de source italienne » tendent à dénoncer Mermet comme rédacteur occulte (par l’intermédiaire des anarchistes déserteurs Ledrapier et autres membres du groupe « Entre nous » de Genève) de la revue « Les tablettes »…
Et pourtant, c’est Otten, dont il n’est que vaguement question qui est condamné à mort. Le bruit court même dès novembre 1917 qu’il a été exécuté, provoquant une question au ministère des affaires étrangères français (qui le prend encore pour un sujet allemand) en provenance de la légation suisse !
Otten (4 décembre 1917) : « J’affirme que Simonsohn m’a à plusieurs reprises parlé de Mermet, de renseignements qu’il procurait et de l’intérêt que présentaient ces derniers, mais je le répète, je n’ai jamais été en relaion avec Mermet au cours de mon séjour à Genève. » Qui croire ?
Recours en révision rejeté le 2 mai 1918. Pourvoi en cassation rejeté le 13 juin 1918
Otten est fusillé au champ de tir de Comboire (sur le territoire de la commune d’Echirolles) le 12 août 1918, à 5h20.


Koli-Ben Ameur Saouchi, né en 1888 à M’sila (dpt de Constantine), cultivateur à Tebessa, travailleur colonial du groupement de Brest
Le 7 janvier 1918 vers 20h30, trois passants découvrent dans une ruelle déserte de Brest, la venelle Kérébecam, un « travailleur colonial » qui râle agonisant dans la neige. A côté de lui se trouve une matraque brisée tachée de sang. Le blessé est aussitôt transporté en voiture à l’Infirmerie de la Place de la Liberté, puis à l’hôpital où on le reconnaît comme Abdelkader ben SaÏd Bennour, Il a la tête défoncée par 5 plaies et le crops lardé de coups de couteau, à la gorge, à l’abdomen, au bras, 18 plaies au total, dont 7 mortelles. Malgré son état d’extrême faiblesse il est ramené à la lucidité par des piqûres de caféine qui lui permettent de désigner l’un de ses assassin Mekki qu’il désigne à plusieurs reprises, et de décrire suffisamment ses deux complices pour qu’on les reconnaisse en Madaoui et Saouchi, deux autres travailleurs « indigènes ». Il révèle aussi qu’il était porteur d’une somme d’environ 300 francs, et meurt de ses blessures le 8 janvier à 7h55. Mekki et Saouchi furent arrêtés dans la nuit quand il reparurent séparément au camp, Madaoui, le 8 au matin. C’est Mekki qui est désigné comme l’instigateur probable du crime, mais il fait des aveux partiels. Les infirmiers arabes ont entendu Bennour confier avant de mourir qu’il avait fait un dépôt d’argent auprès de Mekki, réclamé le matin-même. Saouchi nie tout en bloc, Madaoui collabore et permet aux enquêteurs de reconstituer les faits. Vers 18h le 7 anvier, Mekki entraîne Bennour, pourtant économe et tempérant, dans un café de la rue de Paris. Saouchi et Madaoui sont déjà là, attablé avec une jeune fille européenne qu’ils quittent pour les suivre à distance quand Mekki et Bennour s’éloignent. Sous prétexte d’aller chercher du tabac, Mekki entraîne Bennour dans un dédale de rues sombres. Arrivé dans la venelle Kérébecam, il s’éloigne pour uriner contre le mur. Ses deux complices se précipitèrent en courant, Mekki les excitant en leur disant : « Voilà l’homme que vous cherchez et qu’il faut abattre », alors que les deux le connaissaient très bien. Saouchi tira une énorme matraque de ses vêtements en en assénant de violents coups à Bennour, puis il la passa à Madaoui pour qu’il en fasse autant. Comme la victime ne tombait toujours pas, Mekki se saisit de son coteau et l’acheva méthodiquement. Dès qu’il le crut mort il s’empara de ses deux porte-monnaies, un grand contenant 10 francs, un petit contenant toutes ses économies. Le temps pressant ils se séparèrent et s’enfuirent. Le produit du vol ne fut pas retrouvé. Incarcérés séparément les trois hommes ignoraient que les autorités avaient fait placer dans une cellule vide des interprètes arabes, et c’est ainsi qu’ils entendirent Mekki dire ; »C’est moi qui ait entraîné Bennour et c’est vous qui l’avez tué ». Saouchi traita à plusieurs reprises ses complices de « femmes » et de lâches pour avoir passé des aveux et l’avoir mis en cause.
CG de la XIè région
Recours en révision rejeté le 26 avril 1918. Pourvoi en cassation rejeté le 30 mai 1918. Les peines capitales prononcées contre Mekki ben Lakdar Mekersa et Lazazi ben Ahmed Madaoui sont commuées en TF à perpétuité.
Koli-ben Ameur Saouchi est fusillé à la prison militaire de la rue des Rochettes à Nantes le 13 août 1918 à 4h15.


Ben Djilali Ben Aïssa Aïssa, né vers 1887 à Géryville – Oulad Sidi (Algérie), cultivateur, marié, 3 filles
Le 24 janvier 1918 dans l’Oued Zergoun, quatre indigènes dont Aïssa ben Djillali exécutaient un Djich de 107 chameaux ; ils tuaient le gardien [ben Mohammed Amar, douar Derakba] et volaient à la victime et au frère de la victime deux fusils. Voleur redouté, dangereux, attitude correcte à l’audience mais niant contre toute évidence.
Ben El Hadj Ahmed Ben Bouamama Bouhafs, né aux Oulad Sidi Kaddern vers 1885, marié, cultivateur (même exposé sommaire des faits.)
Leur co-accusé Djelloul ben Mohammed est condamné à 10 ans de TF pour complicité de vol qualifié et d’homicide volontaire. Pour les mêmes faits Mohammed ben Cheik ben Zeidour est puni de 15 ans de TF.
Le rapport précise qu’après avoir emmené le frère de la victime et un des gardiens ligoté, quatre bandits armés firent à un km du lieu de l’attaque le tri, choisissant d’emporter 21 chameaux et laissant à leur prisonnier le soin de rapporter les 86 autres. Ces 21 chameaux furent abandonnés par la suite (et revinrent seuls à leur point de départ) tandis que les voleurs regagnaient leur douar avec les deux fusils. L’enquête fut rapidement menée par le Caïd des Oulad Sidi Hamza. Deux d’entre eux (bien qu’il eussent le visage à demi voilé) sont identifiés formellement par les deux témoins survivants au milieu d’une foule d’une vingtaine d’indigènes.
CG de la division militaire d’Oran (29 juin 1918), Recours en révision rejeté le 1er août 1918
Aïssa et Bouhafs sont fusillés à Oran (plateau du petit Santon) le 24 septembre 1918 à 6h30
 
Ben Brahim Ben M'Hamed Ali, né vers 1892 à Oum-El-Hallouf (Tripolitaine), indigène civil de la tribu des Allalga, berger, marié sans enfant, jamais condamné
CG du détachement du sud tunisien (Minutes seules) 9 juillet 1918 :Inculpé de rébellion par plus de trois personnes armées, meurtre accompagné d’un autre crime, tentative de meurtre, port et usage d’arme dans un mouvement insurrectionnel
dates du crime ou du délit : 9 mars 1918 : « Est-il constant qu’un mouvement insurrectionnel a éclaté dans le sud tunisien, région située entre la frontière tripolitaine et Tatahouine dans le courant de l’année 1915, qu’il n’a été réprimé et n’est encore contenu que grâce à la présence des Troupes Françaises dans ladite région ? »
« Le nommé Ali ben Bahim ben M’Hamed, est-il coupable d’avoir, sur un territoire en état de siège, le 9 mars 1918, à Aïn-Makla (sud tunisien) fait rébellion en attaquant avec violence les cavaliers et goumiers représentant la force publique et agissant pour l’exécution des ordres de l’autorité publique ? Le même est-il coupable d’avoir, aux mêmes dates et lieu, commis un homicide volontaire sur la personne du cavalier Amor ben Kabéir du Maghzès de Ben-Gardane ? d’avoir tenté de commettre un homicide volontaire sur la personne de goumier Amor el Ferdjani ? » Le jury répondant à l’unanimité oui aux dix questions posées, Ali est condamné à mort. Recours en révision rejeté le 17 juillet 1918,
Ali est fusillé à Médénine (Tunisie) le 25 septembre 1918 à 5h45.
Cette condamnation isolée est la première tentative de répression officielle d’un soulèvement qui constitue une guerre coloniale dans la guerre mondiale, reflétant l’influence des ottomans et des allemands sur une région dont l’administration est convoitée par les Français et les Anglais.



Naoum Yoan, né en 1863 à Dihovo (Grèce), gréco-albanais (macédonien), marié, 4 enfants, mouktar de Rahovo, cultivateur-épicier
Jugé avec Théodori Dimitri, condamné à mort, peine commuée en 20 ans de TF (dirigé sur l’Atelier Bilinska) par le CG de la 57è DI (19 juillet 1918), Stefan Risto (père) et Stavros Dimitri.
Le 24 janvier 1918, un soldat du 52è R.I. Bulgare, Ilias Giorgi est capturé au cours du’une opération de guerre sur la rive de l’île Velika Grad. Originaire de Nivica et employé au bureau des renseignements, bulgaro-allemands de Resna, il donne des renseignements détaillés sur différentes incursions d’espions bulgares dans la presqu’île de Suha-Gora, et révèle que le 21 ou le 22 janvier un canot à moteur allemand avait débarqué dans la presqu’île 3 agents de renseignements originaires de la région de Rahovo chargés de recueillir des informations auprès de leurs parents. Au cour de leur séjour ils rencontrèrent le berger Theodori Dimitri, travaillant pour le compte du mktar de Rahovo, Naoum Yoan. Théodori fut chargé par ces trois agents, venus une nuit costumés en militaire et portant des armes dans sa cabane de berger de prévenir Stefan Risto de la présence de son fils Stefan parmi eux. Il leur donna tous les renseignements qu’il connaissait sur les postes serbes de la presqu’île. Le lendemain il alla prévenir Naoum de la présence des 3 bulgares, lequel lui répondit qu’il le savait et l’invita à s’occuper de ses affaires. Les agents revinrent le visiter trois jours plus tard se faisant remettre des provisions et emportant son pain. Risto et Dimitri prennent soin de ne pas avertir le lieutenant Babounsky qui commande les forces serbes et réside pourtant dans la même maison que le moktar. Naoum, relativement aisé et jouissant d’une grand prestige sur la population nie absolument avoir eu connaissance de ces fait. Mais, à deux reprises des fusils, pistolets Mauser et munitions ont été trouvés chez lui (en dépit de l’interdiction des Français d’en conserver), de même que chez le comitadji Stefan Risto (père de deux agents d’espionnage, Stéfan et Foté), beau-frère de Naoum,
Recours en révision rejeté le 10 juin 1918, recours en grâce rejeté le 7 octobre 1918
Naoum est fusillé à Monastir (Serbie) le 25 octobre 1918 à 6 heures.



1919



Ben Salem Ben M'Hamed Ben Madkour Ali, né vers 1875 à La Galéa des Ouleds Chehida (Tunisie), cultivateur marié.
Conséquence de la guerre du Sud tunisien, ce procès est la copie conforme de celui de Ben Brahim Ben M'Hamed Ali ; comme pour ce dernier, seules les minutes existent, comme lui encore on reproche à l’inculpé d’avoir commis des actes de guerre, sur un territoire occupé par la France.
CG du Sud tunisien : Le nommé Ben Salem Ben M'Hamed Ben Madkour Ez Zoug Ali, civil de la tribue des Ouderna, est-timl coupable d’avoir, du 2 au 9 octobre 1915 à Oum Souigh (sud tunisien) fait rébellion en attaquant avec violences les troupes françaises représentant la force publique ? Cette rébellion a-t-elle été commise par plus de vingt personnes ? Armées ? Le même est-il coupable aux mêmes dates et lieu d’avoir paricipé volontairement en qualité de co-auteur, au meurtre commis sur la personne des soldats français (84 tués) ? Le même est-il coupable d’avoir, le 5 mai 1916 aux environs de Gaar el Harmana participé au pillage commis en réunion, en bande, et à force ouverte sur la propriété mobilière de l’indigène civil Ali ben Maatoug ? Le 26 juin 1916 à Remada fait rébellion en attaquant avec violences les troupes françaises, participant comme co-auteur aux meurtres commis avec préméditation sur le personne de soldats français (51 tués) ? Le même est-il coupable d’avoir au printemps 1917, aux environs de Chaabet Messelem, participé au pillage en bande et en réunion sur la propriété mobilière de la tribu des Deojaghria ? Dans le courant de juillet 1917, d’avoir, aux environs de Gaar el Mezoued, participé au pillage commis en bande et en réunion sur la propriété mobilière de la tribu des Ouleds Chéhida ? d’avoir, aux mêmes dates et lieu fait rébellion en attaquant avec violences, les cavaliers du morghzen représentant la force publique ? Le même est-il coupable d’avoir, le 25 février 1918, à Remada été trouvé porteur d’une arme et de munitions de guerre dans un mouvement insurrectionnel ?
Pourvoi en révision rejeté le 16 novembre 1918 ; en cassation rejeté le 26 décembre 1918
Ali ben Salem est fusillé au Champ de manœuvres de Médenine (Tunisie) le 23 février 1919 à 6h30.



Benoît Paul Victor Boudarel, né le 27 décembre 1887 à Saint-Etienne, graveur sur métal, célibataire, 1,66m, chatain, yeux châtain, tatoué au bras gauche d’une ancre et d’une étoile, chasseur au 13è Groupe Spécial, condamné 5 fois pour vol (le plus lourdement le 30 juin 1914 à 3 ans de prison) coups et blessures, port d’arme prohibée, infraction à interdiction de séjour. Soldat au 52è R.I., Boudarel s’absente assez régulièrement selon son inspiration. Par me sure disciplinaire il est versé au 17è R.I. en 1909. Passé au 4è BMILA, avant d’être versé dans la réserve en 1910, il rejoint à partir de 1913 le 13è G.S. à Siddi-Abdallah

Le matin du 15 août 1917, trois militaires dont Boudarel avait été appelé en témoignage au centre de la compagnie, alors qu’ils occupaient le 3è poste de surveillance sur l’Innaouen aux environs de Bab Merzouka. En revenant au poste vers 17h, Boudarel constata que le soupe avait été mangée et le vin distribué, ce qui l’ mit en fureur. Le caporal Hugon, chef de ce détachement était à ce moment au premier étage du blockhaus : Boudarel y monta, invectiva son chef et lui demanda, sur un ton comminatoire, de lui faire donner à manger et principalement à boire. Hugon lui fit remarquer que si le cuisiner peut encore trouver du rab, il lui est impossible de distraire un quart de vin, celui-ci ayant été délivré à tous les rationnaires, mais qu’il en ferait le rappel dès qu’il pourrait. Boudarel insiste sans obtenir satisfaction. Alors, sans hésitation, il descend l’échelle, prend son fusil, et avant que son chef l’ai rejoint, tire sur lui de bas en haut. Atteint seulement à une main, le Caporal tente en vain de désarmer Boudarel ; il est obligé de se sauver hors du blockhaus, à l’intérieur du réseau de fil de fer, poursuivi par Boudarel qui l’ajuste à nouveau. Deux coups de feu partent dont le second blesse mortellement Hugon qui s’affale sur le bord du fossé. Tandis qu’on évacue Hugon qui mourra au cours de son transport à l’hôpital, Boudarel rentre tranquillement au poste, dépose son arme, se met à pleurer, et demande qu’on le conduise à Merzouka : il se joint de lui-même à un détachement de passage qui s’y rendait.
Envoyé le lendemain aux locaux disciplinaires de Taza, Boudarel décide d’éviter les conséquences de son acte. Le 27 août, au cours d’une visite médicale, il s’échappe après avoir donné rendez-vous à un ouvrier espagnol devant quitter le Maroc avec qui il accomplit la route jusqu’en Espagne. Il se rendit aux autorités locales en décembre 1917.

Le 24 décembre, prison de La Linéa, Espagne, Boudarel écrit à (Jean-) François Trémeaux (remettre en cas d’ absence à George Pabion) : « Je ne c’est pas encore si je serait extradé moi je le croit mais c’est pas bien sur. Enfin je donne connaissance que je ne me fait pas trop de mauvais sang mais je langui de savoir la décision qui sera prise enver moi. Les prisons d’espagne ne sont pas comme les notres. Il faut te subvenir à tous toi même mais l’on a été assez gentil pour moi, l’on ma fait donner deuc couverture est je touche une double ration de légume le matin est le soir. De la caserne c’est le chef policier qui ma fait obtenire à mangé. Je t’assure qu’il a été très gentil pour moi l’on ma photographiez trois fois est le chef de police ma dit qu’il m’en donnerait une avant mon départ. Je n’en est guère besoin maintenant. Aussi si je la reçois je vous l’envéré. J’ai tellement de chose à te dire qu’il me faudrait une journée de correspondance pour tous te raconté. Pour cette fois je vais cessé de t’écrire en poignant une amical poigné de main à Dussin lefaure chaunnier laroze Godot, les deus Delorme Dagoult Néel Merlin est tous les pays est ami que tu leur adressera de ma part.
P.S. Je vous souhaite à tous une bonne année car je l’ai oubliez sur l’autre correspondance. Qu’and à moi je crois qu’el sera triste pour moi. Je vous souhaite que cette guerre finisse Et qu’il ne vous arrive pas malheur avant la fin de cette guerre. À vous tous Paul Boudarel . »

Le Gouvernement espagnol autorise l’extradition du Chasseur Boudarel réfugié su son sol, le 24 janvier 1918. L’arrestation a eu lieu sur la frontière à Linéa.
Ecroué à la prison d’Oujda le 29 août 1918, et ayant appris la désertion de Laroze, Boudarel change sa version des faits : « J’ai tiré, dit-il en substance, sur le caporal Hugon le premier coup, mais c’est Laroze qui a fait partir les deux autres et blessé à mort le caporal. Je m’étais chargé de tout le mal par pure convention, et pour rendre service à un ami, mais puisqu’il est en fuite, je dis la vérité ».

Fin du rapport de mise en accusation : « Selon nous, cet homme, sous des dehors modestes et indifférents est un impulsif dont l’irritabilité a pu être soudainement déclenchée, en l’espèce, par le bsoin de boire, si non par le désir de vengeance vis-à-vis d’un gradé qui, aux dires de ses chefs, n’était pas toujours commode avec ses subordonnés ».
Le 1er CG d’Oujda, le 20 décembre 1918, ne prendra pas soin de rechercher ni les faits de préméditation, ni l’éventuel complot.
Même l’ami Trémeaux, lors de sa déposition confirme qu’à son avis les trois coups de feu on été tirés par Boudarel. Il raconte pourtant que le 15 août 1917, il était lui-même posté en sentinelle sur la voie de chemin de fer, et, que, s’y étant endormi, Hugon avait saisi son fusil avant de lui adresser de sérieuses remontrances.
Comme Trémeaux, le chasseur Pierre Bouche n’a vu Boudarel tirer que le premier coup, mais il ne comprend qui d’autre auraient pu tirer les suivants.
Le caporal Baptiste Alexandre Ramain a, lui, une autre version des motifs du crime : « Lorsque le caporal Hugon fut évacué sur l’hôpital de Taza, je fus désigné pour remplcer le caporal Hugon au commandement du blockhaus de l’Innaouen. Je me promenais devant la porte et le hasard a voulu que des ouvriers travaillant à la voie me parlent de ce qui était arrivé. L’un d’eux me dit que vers 16 heures le caporal Hugon avait surpris une sentinelle endormie, qu’il lui avait même pris son fusil et l’avait emporté au poste. Je fis la supposition que si le caporal n’avait pas été tué, le chasseur trouvé endormi aurait très probablement été traduit devant un conseil de guerre. J’en conclus que Boudarel avait voulu empêcher son camarade d’encourir une peine sévère. » Le témoignage est d’autant plus intéressant que, malgré ses recherches Ramain n’a pu identifier cette sentinelle, dont on sait par son propre témoignage qu’il s’agissait de Trémeaux.
Selon le témoignage de Boudarel, il n’avait jamais eu affaire à Hugon. Celui-ci après l’avoir envoyé paître deux fois en termes peu aimables l’aurait menacé de son revolver, raison pour laquelle il aurait tiré une balle sur Hugon quand il descendait l’échelle pour le poursuivre :
« Je regagnai ma place et déposai mon arme. A ce moment, Laroze, un chasseur du poste, et mon pays, avec qui j’étais très lié et mon voisin de lit, prit son arme et son équipement en me disant : « ce que tu n’as pas fait, moi je vais le faire ». Il sortit en effet aussitôt sur les pas du caporal… Je fis savoir alors à tous mes camarades que puisqu’il fallait un coupable et que j’avais commencé, on dise que c’ était moi et il fut ainsi convenu.(…) Je ne sais si le caporal a eu une discussion avec une sentinelle, mais à ma rentrée, j’appris qu’il s’était disputé avec Trémeaux et qu’il l’avait même menacé de son revolver. J’affirme que le caporal Hugon était pris de boisson ; moi je ne l’étais pas ! »
Auguste Vial, brigadier-poseur au chemin de fer Marnia-Taourirt, qui travaillait à côté des soldats du 13è groupe fait cette déposition pour le moins bizarre : « … Dix minutes après, le caporal a réveillé la sentinelle qui dormait toujours [rappelons que son arme avait été transportée au blockhaus par les soins d’Hugon lui-même] et l’a ramenée au blockhaus distant d’une cinquantaine de mètres. Une discussion s’en est suivie, le caporal prétendant punir la sentinelle en lui supprimant le quart de vin. Cette discussion s’est poursuivie à l’intérieur du blockhaus où ils étaient entrés. Puis j’ai entendu un coup de fusil et j’ai vu le caporal sortir plein de sang et les bras en l’air en criant « à l’assassin, à l’assassin. Le caporal est sorti par la porte Ouest, personne n’est allé à son secours, il s’est sauvé pour se mettre rapidement à l’abri de la face sud du blockhaus, il s’est dissimulé dans la tranchée au moment où l’assassin lui tirait un second coup de fusil, il ne l’a pas atteint. Le caporal a alors continué à marcher dans la tranchée de la face Est. Arrivé vers le premier tiers de la tranchée de la face Nord il est tombé et l’assassin ayant rechargé son fusil pour la troisième fois s’est écrié : « Entends un peu, je vais t’en donner de l’assassin » et il a fait feu à environ cinq mètres. Le caporal est resté sur place, on l’a entendu se plaindre et gémir ».

Lieutenant Quintin Paul, ex-commandant du 13è Groupe :
« Le caporal Hugon était un gradé médiocre à qui j’avais fait de nombreuses observations pour son intempérance. Il n’avait pas toujours envers ses subordonné la correction de langage d’un supérieur… Je n’ai jamais eu d’observation à faire à Boudarel qui n’était d’ailleurs au groupe que depuis peu de temps ; j’ai été surpris de son acte. »

Ramain :  « Le lieutenant Rouveyre nous réunit, moi et les hommes d’escorte pour nous faire part du crime qui venait d’être commis sur la personne du caporal Hugon… Il nous dit que si les hommes du poste essayaient de se révolter on ne devait pas hésiter à tirer dessus. »

Le Capitaine Commandant le 13è Groupe Spécial : « Dans le courant de Mai, la Cie du groupe que je commandais campait à Souk el Kléta où elle faisait partie d’un Bataillon de Marches des G.S. e 28 mai je procédais à l’interrogatoire du chasseur Zimmer pour lequel j’avais reçu une commission rogatoire, concernant l’affaire Boudarel. Le soir-même Laroze désertait en compagnie du chasseur Bordes en prévention de CG pour refus d’obéissance. Rien ne laissait prévoir la désertion de ce chasseur, qui n’avait eu à la Cie de Marche, que quelques punitions sans gravité. Y a-t-il eu une relation entre l’affaire Boudarel et la désertion de Laroze. Tout le ferait supposer, mais l’enquête n’a pu pu rien fixer à ce sujet. Laroze faisait partie du détachement de Boudarel ; tous les témoignages accusent seul Boudarel d’avoir tué le caporal Hugon. Y aurait-il eu la trame d’un complot dont Boudarel fut l’exécuteur ? Cette désertion surprenante le laisserait croire mais je n’ai jamais pu le préciser. »
Réponse du Commissaire du gouvernement (16 mars 1918): « Résultat confrontation avec Laroze ne peut qu’aggraver cas Boudarel. En conséquence laissez justice suivre son cours. Adressez-moi télégraphiquement compte rendu exécution et PV constat dès que possible.
Et si Boudarel, assumant comme il le dit les conséquences de son acte avait sauvé deux de ses amis les plus chers, prévenant des exécutions sommaires qu’un officier (violent puisque affecté au commandement d’un Groupe spécial) arrivé le matin même au poste aurait pu envisager pour asseoir par la terreur son autorité ? Et si Boudarel n’avait même pas tiré le premier coup de feu, le premier l’oeuvre de Trémeaux, le coup fatal tiré par Laroze attendant Hugon en embuscade dans le fossé ? Ce scénario expliquerait la volonté de faire exécuter Boudarel sans connaître la vérité, trop accablante pour la mémoire de la victime.
Rejet en grâce signifié par télégramme le 14 mars 1919.
Sa fiche de décès porte : « suite de maladie ? Inconnue » mais Boudarel a été fusillé à Oujda le 18 mars 1919, le PV ne mentionne pas l’heure.


Diabaté Mamadou, né en 1898 à Bonou (Haut Sénégal), cultivateur à Bouaté, célibataire, illettré tirailleur de 2è classe au 3è RTS
Conseil de guerre des armées de la Côte d’ivoire :
Mamadou diabaté faisait partie d’un détachement de la 12è Cie envoyé en reconnaissance en pays Porto-Novo, dans la soirée du 10 janvier 1918 ; probablement pris de boisson, il se bat avec un de ses camarades. Ils sont séparés par le sergent Zan Coulibaly ; Mamadou oppose de la résistance, on lui attache les mains derrière le dos et on l’enferme aux locaux disciplinaires, un simple abri sans clôture. Dans la nuit Mamadou réussit à se détacher. Il s’enfuit avec son équipement, son fusil et 120 cartouches ; il quitte le camp en ayant prévenu la sentinelle qui ne l’arrête pas ayant pour seule consigne de ne pas laisser entrer les cochons et les chiens. A 23 heures, hors du village d’Homé Gbon, il tire quelques coups de feu sans résultat sur un indigène nommé Oundévé. Vers minuit, il arrive au village d’Omé Oumé où il tire sur deux cases sans blesser personne. S’approchant de celle d’Ouhiémé, il le tue d’une balle derrière la tête, et blesse d’un coup de feu dans le dos sa femme Betiho (qui mourut quelques jours après à l’hôpital de Cotonou). Il aperçoit ensuite le nommé Ahonon qui se prépare à monter en pirogue et lui tire à quelques mètres un coup mortel. Longeant la rivière il croise à 150m de là deux hommes. Le premier, Tévou, s’avance vers lui et reçoit une balle au côté droit. Regagnant la route, Mamadou travers sur une planche un ruisseau large de deux mètres ; au coin d’une case il voit le nommé Dassi, et lui tire un coup de feu qui l’atteint à l’aine, le tuant net d’une deuxième balle en pleine poitrine. Il met le feu à la case, l’incendie calcinant une partie du cadavre de sa victime et se propageant à cinq autres habitations qui furent entièrement détruites avec tout ce qu’elles contenaient. Mamadou Diabaté passa ensuite l’Ouémé en pirogue et gagna Porto Novo où il se constitua volontairement prisonnier au bureau du gouverneur militaire du Dahomey le 11 janvier 1918 à 14h30. Le système de défense de Mamadou consiste à répéter qu’il a cru que les Dahoméens armés de coupe coupe avançaient vers lui pour l’attaquer. Il nie l’incendie et la tentative d’assassinat sur la femme. Les véritables mobiles de ces crimes répétés resteront mystérieux. Dans les termes du commissaire rapporteur : « Il est difficile de sonder l’âme indigène. Les faits seuls restent. »
Rejet en révision le 10 décembre 1918. Le dossier de recours en grâce semble s’être égaré dans les méandres administratifs.
Mamadou est fusillé à Abidjan (Côte-d'Ivoire) le 29 mars 1919 à 16h


Barka (ben Mohamed Hajaouar), né vers 1878 au Soudan, de la fraction des Oulad Bakli, cercle de Djeffa, marié, 1 enfant
Le 31 mai 1918, El Hadj Bakir ben El Hadj Youssef ne rentra pas à son domicile de la ville de Beni-Isguen. Son corps fut retrouvé, avec une large blessure au cou le 1er juin dans une maison inhabitée lui appartenant dans l’oasis. Près du corps se trouvait un rasoir et un poignard arabe ensanglanté tandis que dans la courette de la maison séchait une corde tachée de sang.
Le vendredi 31 Barka avait été surpris dans sa fuite, tandis qu’il volait des citrouilles dans l’oasis : ses vêtements étaient tachés de sang. Dès le lendemain le Caïd accusa Barka d’avoir commis le crime. Barka déclara alors qu’il avait vu le vendredi près de la maison du crime la victime se disputer avec un autre Soudanais, Barka dit « Charouni » et un Mozabite, Mohamed ben Abdallah. Chez ce dernier durent découvertes des chaussures dont les semelles étaient imprégnées de sang. Il se décida alors à faire le récit du crime auquel il avait assisté : Mohamed ben Abdallah savait
que Barka, serviteur d’El Hadj Omar voulait tuer El Hadj Bakir, parce que ce dernier menaçait de le dénoncer aux autorités pour vol de bois, mais, ayant été menacé de mort s’il parlait, il n’en dit rien. Le vendredi, jour du crime, alors qu’il liai des fagots de bois dans l’oasis, Mohamed ben Abdallah vit se diriger vers la maison Barka, portant une corde, accompagné de Barka « Charouni ». Quelques instants après, El Hadj Bakir se dirigea vers la maison, se lava les mains à une mare voisine et entra dans la maison en disant : « je vais faire une prière ! » La porte de la maison étant restée ouverte, Mohamed vit El Hadj Bakir, dans la courette de la maison commencer sa prière en levant les bras. Surgirent alors les 2 Barka, qui, ayant passé la corde par-dessus une poutre, lièrent la victime par les poignets. Tandis que Charouni lui tenait les épaules, Barka lui ouvrit la gorge. Ils le disposèrent ensuite dans la chambre donnant sur la courette. Le coup fait les soudanais partirent chacun de leur côté et Mohamed rentra chez lui, plus que jamais décidé à garder le silence.
Barka « Charouni » dit ne pas connaître la victime, et n’avoir aucune relation avec l’autre Barka, s’étant brouillés à propos de l’usage d’un puits. Barka, serviteur d’El Hadj Omar prétend ne plus exercer le métier de coiffeur alors que l’enquête démontre qu’il a dans les jours précédant le crime rasé deux clients, l’un au rasoir, l’autre avec un couteau arabe. Mohamed enfin, avait selon les deux autres diverses raisons d’en vouloir à El Hadj Bakir, lequel l’avait à plusieurs reprises morigéné à cause de relations « indignes » qu’il entretenait avec des prostituées. Il est au minimum soupçonné d’avoir fait le guet, mais ne put expliquer autrement ses semelles tachées de sang que parce qu’il avait marché dans la mare consécutive à l’égorgement d’un mouton.

CG de la division territoriale d’Alger : Barka « Charouni » est condamné aux TF à perpétuité. En raison de son âge, 61 ans, une peine de 15 ans de réclusion est prononcée contre Mohamed ben Abdallah.
Rejet du pourvoi en révision le 6 mars 1919, pourvoi en cassation rejeté le 5 avril 1919.
« Je vous confirme les termes de mon télégramme du 25 juin 1919… Le Président de la République a reconnu la nécessité de laisser la Justice suivre son cours à l’égard du Nègre soudanais Barka, serviteur d’El Hadj Dakir, que le CG permanent de la DIT d’Alger a condamné le 15 février 1919 à la peine de mort pour meurtre avec préméditation et guet-apens. »

Déclaration transcrite le 3 juillet 1919 avant l’exécution : « Je demande que l’on écrive à ma femme Fatma et à mon patron, Hadj Omar ben Haiz Saïd domiciliés aux Béni-Isguen pour leur transmettre mon suprême adieu. Je proteste devant Dieu de mon innocence, je n’ai pas commis de crime je n’en avais pas seulement connaissance ; j’ai fait des aveux -que l’on me demandait et que l’on m’a arrachés en me nattant et suppliciant – pour qu’on me laisse tranquille. Je demande à revêtir mes effets et fais don aux camarades de mes objets divers. Je demande du café. »
Barka est fusillé le 3 juillet 1919 à Alger, Fort l’Empereur, à 6h30 à la parade, avec service d’ordre pour barrer les rues donnant accès à la prison militaire, convoi au pas par la porte du Sahel.


Ould Moktar Boumediene, né en 1892 à Taforalt (Maroc), cultivateur, célibataire, 6è Rgt de Tirailleurs indigènes

Le Maire de la ville de Saïda à Monsieur le Ministre de la Guerre, le 6 septembre 1919 :
« Le 29 juillet 1918, M. Pardies Pierre, agriculteur, ferme Carrafang à Bou-rached, commune d’Ain-el-Hadjar, était grièvement blessé par le tirailleur Boumedine (sic), affecté à la garde des prisonniers russes détachés à cette ferme en main d’œuvre agricole ; Boumedine blessait en même temps mortellement Pardies François, frère de Pardies Pierre, et a été par ces faits condamné à mort le 19 mars 1919… et exécuté le 25 juillet suivant. La blessure dont a été victime M. Pardies Pierre a diminué sensiblement la capacité de travail de ce dernier et lui cause par suite un préjudice considérable dont il demande réparation par voie de pétition ci-jointe. »
Le 14 juillet 1918, un contrat dénommé « Marché » est signé entre M. Traverse représentant la succession Carrafang et le Lt Colonel Kreider, délégué par le général commandant la division, au terme duquel « Sur la demande expresse de M. Traverse l’autorité militaire met à sa disposition ciquante et un travailleurs russes accompagnés de un caporal et sept tirailleurs pour leur surveillance et leur garde. »
Le cahier des charges joint au dossier sur le « mode d’emploi des travailleurs russes » est assez effarant, mais on se doute de la bienveillance avec laquelle les forces d’occupation traitent les animaux. C’est ce qu’il est advenu à une partie des survivants de la Courtine, passés de la tyrannie à l’état de serf des forces d’occupation françaises.

Le 29 juillet 1918, Ould Moktar Boumediene avait passé l’après-midi à Aïn-el-Hadjar et était de retour à la ferme Carrafang vers 16 heures. Il ramenait un Russe qu’il avait rencontré au village, et qui était momentanément exempt de travail. Boumediene frappa le Russe à coups de pied et à coups de poing. D’après le témoin Berratta, Boumediene était complètement ivre. Il aurait devant lui chargé son arme en disant : « Tu vois, chacune de ces balles va tuer un homme ce soir ! Puis aurait paradé, l’arme à la bretelle, l’air furieux. Vers 17h30, après avoir mis sa baïonnette au canon, Boumediene alla trouver son camarade Aïssa ould Larbi, préposé avec lui à la surveillance des Russes, et lui dit qu’il entendait commander, qu’il était le chef, qu’il ne voulait pas que le russes s’éloignent de la ferme. « Je lui dis alors, répond Aïssa, que, leur travail terminé, les Russes étaient libres, comme ils l’avaient toujours été ; que ses observations allaient nous tourner en ridicule ». Boumediene reprocha alors à Aïssa de prendre fait et cause pour les Russes, et, le menaçant de sa baïonnette, ajouta qu’il le tuerait au risque de passer en Conseil de guerre. La dispute entre les tirailleurs attira bientôt le personnel de la ferme, en particulier Pierre Pardies qui tenta de faire déposer son arme à Boumediene en lui faisant honte de menacer ainsi son camarade. Il finit par le menacer de le dénoncer à son commandant, tandis que son frère François Pardies, arrivé entre temps commentait : « Il nous prend pour des boches ! » Boumediene s’éloigna alors en disant « ça va bien » et se dirigea vers sa chambre, feignant de vouloir y déposer son équipement. Mais il n’avait pas fait trente mètres qu’il fit volte face et chargea son fusil. Pierre Pardies cria :  « Attention, il va peut-être nous tirer dessus » et reçut aussitôt une balle en plaine poitrine. Une deuxième cartouche atteignit François Pardies. Blessé mortellement, celui-ci décéda dans la nuit du 1er au 2 août.
Après avoir tiré sur les patrons de la ferme, Boumediene fi le tour de la ferme pour tenter de régler leur compte au reste du personnel, dit Aïssa, notamment avec le garde particulier des Pardies qu’il soupçonnait depuis longtemps de rapporter ses faits et gestes et qu’il avait déjà envisagé de mettre en difficulté en incendiant des meules. Les quatre coups supplémentaires qu’il tira n’atteignirent personne, tandis qu’Aïssa ripostait dans la direction d’où venaient les coups.

Laveillan Antoine, 48 ans, jardinier d’une ferme voisine en banlieue d’Aïn-el-Hadjar : « Le 29 juille 1918, vers 22 heures et demie, un tirailleur armé d’un fusil et d’une baïonnette s’est présenté chez moi et m’a demandé si je pouvais lui donner à manger, qu’il était à la recherche d’un russe qui s’était évadé le matin, qu’il était fatigué et qu’il n’avait pas mangé de la journée. Croyant à la sincérité de ce militaire, je l’ai fait dîner et ensuite coucher dans une chambre de la ferme. Le lendemain matin, à la pointe du jour, je me suis rendu à mon travail, laissant le tirailleur chez moi… J’ignorais [que les frères Pardies avaient été blessés à leur ferme] et je ne l’ai appris que le lendemain 30 juillet dans l’après-midi. J’en ai alors conclu que le tirailleur que j’avais hébergé la veille était vraisemblablement l’auteur de cette double tentative d’homicide et vous ai fait prévenir aussitôt. »
Boumediene est arrêté à Sidi bel Abbès le 2 août 1918
CG de la division militaire d’Oran (19 mars 1919), recours en révision rejeté le 30 avril 1919.
Boumediene est fusillé à Oran, plateau du petit Santon le 25 juillet 1919 à 5h30.



Lucien Henri Bourdeau, né au Havre le 29 janvier 1885, journalier à Rouen, chasseur au 2è bataillon d’infanterie légère d’Afrique
Le 28 juin 1918, le convoi régulier en provenance de Sidi-Lamine accompagné d’un détachement du 2è Btn d’Afrique arrivait à Boujad et campait en dehors du camp. Le caporal Blanc qui assurait la relève des sentinelles avait dans son détachement le chasseur Bourdeau, qui, malade, avait vômi pendant l’étape. Fatigués les hommes se couchèrent sans monter les tentes. Bien que les faisceaus furent formés, certains gardèrent leur fusil près d’eux. Vers 2h30 du matin, le cuisinier Cazdevant qui avait fait le café réveilla les hommes pour le leur distribuer. Le caporal Blanc fit remarquer au cuisinier qu’il s’était trompé d’heure et qu’il était trop tôt et les hommes se rendormirent. Bourdeau, bien réveillé cherchait sa musette, et manipulait celle du caporal Blanc quand celui-ci s’éveillant l’aperçut. La nuit était claire, et la clarté augmentée des reflets du feu de la cuisine placée à quelques mètres. Blanc crut que Bourdeau voulait lui voler sa musette et donna une bourrade d’un ou deux coups de poing à Bourdeau qui retourna s’asseoir à sa place sur deux sacs tandis que le caporal se remettait sous sa couverture. Selon une partie des témoins la discussion continua quelques temps entre eux. A un mot plus vif, Bourdeau saisit son fusil, s’assit sur les sac, arma et tira sur le caporal Blanc, si rapidement qu’une partie des hommes crut que la sentinelle avait fait feu. Le voisin de Blanc, l’entendant gémir, se pencha sur lui et le découvrit couvert de sang. Transporté au poste le caporal Blanc mourut d’hémorragie quelques minutes plus tard. Bourdeau qui avait quitté les lieux revint se constituer prisonnier. Interrogé par le sergent Faller et le lieutenant Renard, il refusa de répondre en leur disant « Vous n’êtes pas juges d’instruction », et déclara à un camarade : « Ne t’en fais pas pour moi ».
Après l’exposé des faits, le commissaire-rapporteur fait l’éloge funèbre du caporal Blanc, « intelligent, de bonne mine, aimé de tous ses chasseurs, plein de tact » et dénigre Bourdeau, insoumis puis réformé en 1910, rappelé à l’activité en mars 1918 : « De mars à Juin, il a seulement 8 jours de prison, mais il passe pourtant pour un des plus mauvais chasseurs de la Cie, fourbe, sournois, pédéraste et capable de tout, jouissant dans ce milieu particulier du prestige de « malabar » à cause de ses condamnations. Bourdeau en effet a été condamné 9 fois, dont trois fois pour vol et 4 pour coup coups et blessures.C’est un hypocrite et un violent. »
Contrairement à ce que stipule le rapport, cherchant visiblement à minimiser les inconséquences du caporal Blanc, plusieurs témoins évoquent une dispute qui aurait eu lieu à mi-étape entre Blanc et Bourdeau, lequel aurait dit : « tu m’en veux depuis Sidi-Lamine, tu voulais m’empêcher de mettre ma musette sur le mulet ».
Tenaud Jules : « A un moment je me suis arrêté pour satisfaire un besoin. J’ai vu venant derrière moi, un de chaque côté de la route, le caporal Blanc et Bourdeau. J’ai eu l’impression qu’ils s’étaient fâchés et qu’ils venaient de se battre, en effet il y avait un peu de sang sur la veste kaki du caporal et Bourdeau avait un peu d’érosion sur le nez. Les deux hommes avaient dû rester en arrière et sur le côté de la route pour vider un différend. Un peu plus tard on s’est arrêté un peu avant d’El Graar. Bourdeau a demandé à nouveau sa musette au caporal qui lui a dit d’aller voir près du muletier. J’ai entendu dire, sans pouvoir préciser, que le muletier avait répondu à Bourdeau que le caporal avait jeté la musette de Bourdeau en route ». A l’arrivée au camp, Tenaud aurait également vu Blanc frapper Bourdeau, bien avant les autres coups puisqu’il précise qu’il était17 heures et que le crime eut lieu vers 4h30. Mais Bourdeau, plus tard confronté avec Tenaud soutient que « le témoin ne sait pas ce qu’il dit ».
Appelé à préciser son premier témoignage le cuisinier Cazdevant recoupe la version de Bourdeau et dit avoir vu le caporal Blanc à genoux, se relever comme s’il avait voulu sauter à la gorge de Bourdeau, avant que ce dernier ne tire. Quant à la « simple bourrade » François Frapet a vu le caporal se lever pour donner des coups de poings à Bourdeau, et assure l’avoir entendu menacer en maugréant « tu vas voir !.. » juste avant d’être touché par le coup de feu. » Louis Wigander, lui a entendu des menaces, même si le bruit des discussions ne lui ont pas permis de tout comprendre, il rapporte que le caporal Blanc a dit après avoir frappé Bourdeau: « Si je ne craignais pas qu’il aille au bureau, je lui ferais... » et juste avant le coup de feu cette réplique : « Je vais te refiler quelque chose pour te montrer si j’y vais plus souvent que toi » [cette remarque répondant à celle de Bourdeau disant qu’il n’avait pas l’habitude d’aller au bureau, et que Blanc y allait plus souvent que lui]. Après avoir tiré, Bourdeau dit à Wigander :  « Je suis malade, il a voulu remettre ça, je ne peux pas me défendre » puis il lui a remis son fusil en lui demandant la direction du poste pour aller se rendre.
Andry Alexandre : « Le caporal se leva et frappa Bourdeau. Bourdeau s’est écrié : « Tu parles d’une bander de niers, ils frappent les hommes quand ils sont malades ». Le caporal a répondu : »Je vais te faire voir ce que c’est qu’un nier »… Je ne peux pas préciser quels sont les coups qui ont été portés à Bourdeau par le caporal, mais je me souviens que ce dernier l’a frappé plusieurs fois car moi-même j’ai dit au caporal : « Il y en a assez ».
Louvry Adolphe : « Je ne connaissais pas du tout Bourdeau, je l’avais vu pendant les étapes et j’avais entendu des camarades l’appeler « Papillon » à cause du tatouage qu’il porte sur le front, mais j’ignorais même son nom ».
Il faut noter que contrairement au panégyrique des officiers supérieurs, absolument aucun des chasseurs interrogés ne manifeste d’affection ou de compassion envers la victime.

Rapport du capitaine Monier -qui se prend pour un grand écrivain réaliste- commandant la 3è Cie du 2è bataillon (le 30 juin 1918) :
«  Dès l’abord, Bourdeau donne l’impression du repris de justice dangereux, rebut physique et moral de lasociété pour lequel la vie de prison est absolument normale. Voyez-le, avec son étoile tatouée sur le front ! Son regard de révolté et les petits moyens physiques mis à sa disposition par la nature ! Il a immédiatement la réputation de s’adonner à un vice spécial, hélas trop courant parmiles repris de justice, la pédérastie ; mais, très malin, il ne se laisse jamais surprendre. A la Compagnie, il est dans la coulisse, ne faisant jamais parler de lui, mais agissant en dessous, se taillant un domaine, une autorité que l’on pourrait qualifier d’immorale dans le petit troupeau d’admirateurs qu’un soi disant « malabar » traîne à sa suite. Bourdeau est capable de tous les crimes car de nature extrêmement nerveuse, exaltée et alcoolique… »
CG des troupes d’occupation du Maroc occidental
recours en révision rejeté le 25 mars 1919, grâce présidentielle rejetée le 29 août 1919
Bourdeau est fusillé à Aïn-Diab (Casablanca) le 30 août 1919 à 5h20.



Henri Boudet, né le 8 septembre 1899 à Decazeville (Aveyron), peintre, célibataire, tatouages au visage et au bras gauche. Prévenu de meurtre sur la personne d’un agent de la force publique dans l’exercice de ses fonction (Finance Ernest, chef de la sûreté générale du département d’Oran)
Abel François Castillo, né le 5 août 1899 à Oran, maçon, célibataire. Tatouages, point d’interrogation à la poitrine, 5 et 3 points entre pouce et index, domino (3/5) à l’avant bras droit, coeur percé d’une flèche, initiales A.C., 1 à 13 cernés de 3 points au bras gauche.
René Auguste Heidelberger, né le 27 décembre 1900 à Oran, chauffeur d’automobiles. Tatouages, 1 point sur la narine gauche, un point sur le lobe de l’oreille droite, 1 point d’interrogations sur la poitrine, un point à côté de chaque téton, cinq points entre pouce et index au bras droit, un domino (3/5) sous cubital, un cœur autour d’un M, un cœur étoilé à l’avant-bras gauche, un carreau de carte à jouer et divers pointillés.
CG de la division militaire d’Oran

L’écho d’Alger, journal républicain du matin :

« Oran, 25 mars. — Comme nous l'avons annoncé hier, les affaires d'assassinats dans lesquelles sont impliqués Boudet. Quessada et Martinez, les meurtriers de M. Finance, Heidelberger et Castillo, les assassins de Mlle Chaffanel, sont venues aujourd'hui devant le Conseil de guerre d'Oran, présidé par le colonel Cosman, major de la garnison. On prévoit que les débats dureront cinq jours.
Un public nombreux assiste aux deux premières audiences. Celle de ce matin a été consacrée à l'interrogatoire d'identité des inculpés… L'interrogatoire nous apprend que le plus âgé des inculpés n'a pas vingt ans. Puis le sergent major Ben Soussan donne lecture de l'ordre de mise en jugement, et du rapport. Ce rapport est très volumineux ; sa lecture sera interrompue à 11 heures et reprise à 14 heures, pour être terminée à 15 h. 30 ; il conclut à la culpabilité complète des inculpés et établit que les deux crimes ont été commis avec préméditation. Il retient, en outre, contre les cinq bandits l'inculpation d'association de malfaiteurs, et à l'égard d'Heidelberger et de Castillo. celle de vol qualifié commis chez la grand'mère de ce dernier.
L'Interrogatoire des inculpés :A 15 h. 30 commence l'interrogatoire des accusés, mais le colonel Cosman donne au nréalable des renseignements sur la moralité de chacun. Ces renseignements sont des plus mauvais. Boudet ne reconnaît pas avoir commis le crime qui lui est reproché. A l'entendre, il était ivre le soir du 3 janvier 1918, et c'est accidentellement que son deuxième coup de revolver est parti, au moment où M. Finance, qu'il n'avait pas reconnu, voulait l'aborder. Martinez et Quessada lui donnent un démenti formel. Ils affirment que Boudet avait toute sa raison et qu'il avait reconnu M. Finance à la lueur de la lampe électrique. Boudet nie et prétend que ses deux co-inculpés sont d'accord pour le perdre. Il soulève des incidents qui tournent à. sa confusion. Martinez et Quessada disent que s'ils n'ont pas dénoncé de suite le meurtrier, c'est parce que ce dernier les a menacés de leur faire la peau s'ils parlaient. Ils l'ont suivi, le soir du crime, pour aller faire la cour à des cigarières.
Heidelberger et Castillo. les assassins de Mlle Chaffanel, rejettent l'un sur l'autre la responsabilité du forfait. Heidelberger, interrogé le premier, dit que Castillo lui avait proposé de tuer la mercière. Castilo le traite de menteur et affirme que c'est Heidelberger qui a eu le premier l'idée de cet assassinat, car il avait travaillé pour Mlle Chaffanel et il savait qu'elle avait d'importantes économies. Heidelberger reconnaît que c’est lui qui a étranglé la vieille femme et qu'il a fouillé l'appartement et le magasin. Avec l'aide de Castillo, il a porté le cadavre derrière le comptoir, où il a été découvert plus tard. Sur une question du président, Castillo dit que c'est encore sur les conseils d'Heidelberger qu'il a volé à sa grand-mère 700 francs, avec lesquels ils ont fait un voyage à Mostaganem et à Alger.
La bande du Domino-Noir :
Oran, 30 mars. — Boudet, IHeidelberger et Castillo, condamnés à mort hier par le Conseil de guerre, ont reçu ce matin la visite de leurs avocats et ils ont signé leur pourvoi en révision. Baudet est toujours très abattu. Il a été placé seul dans une cellule et Heidelberger et Castillo, ensemble, dans une autre. Les trois condamnés ont mis leur dernier espoir dans le pourvoi. »

Pourvoi en révision rejeté le 3 mai 1919
Boudet, IHeidelberger et Castillo sont fusillés au petit Santon à Oran le 4 octobre 1919 à 7 heures.


Jacob Johannes, sujet allemand, né le 20 novembre 1877 à Sarrebrück, serrurier
CG de la 127è DI, (8 octobre 1919) : port d’arme prohibée et tentative de meurtre sur un détachement du 25è BCP venant de rétablir l’ordre troublé par une bande de pillards à Burbach.
Dans la nuit du 7 au 8 octobre 1919, un coup de feu fut tiré sur le détachement devant le café Scheikmehl ; immédiatement cerné, le café se trouva renfermer six individus dont l’un Jacob Joannes était porteur d’un pistolet Mauser, modèle réglementaire de l’armée allemande. Il portait dans la main gauche deux chargeurs, dont l’un encore plein.
On peut dire que les choses n’ont pas traîné !
Johannes est fusillé àSarrebrück le 20 octobre 1919 à 16h30



Vincent le survivant

source évadé pour l'exemple

le caporal Vincent Moulia




Nous avons laissé Vincent Moulia, à l’aube du 12 juin 1917, tapi aux abords du canal de l’Aisne, tandis qu’il entend au loin les salves des pelotons d’exécution qui assassinent ses camarades à Maizy, Casimir Canel, Alphonse Didier et Jean-Louis Lasplacettes, désignés avec lui comme les meneurs de la révolte de Villers-sur-Fère.

Commença alors une aventure qui allait sceller sa légende, une folle cavale où son ingéniosité et sa bravoure lui sauvèrent plus d’une fois la mise.
Pieds nus, avec en poche les sept francs qu’on laisse aux condamnés à mort, il erra d’abord dans le vacarme des combats. Ici il trouva un uniforme. Là il vola un fusil. Ailleurs, il dénicha une carte de la région. Son but : gagner Paris. Une tante y habitait, elle l’aiderait. Sautant à l’arrière des camions qui rentraient du front, arpentant de nuit les bois et les champs, déjouant d’innombrables dangers, Vincent parvint à la capitale en une quinzaine de jours. Il toqua au 17, avenue de Breteuil. Une femme ouvrit, qu’il ne connaissait pas.
« – Mme Moulia n’habite plus ici », lui répondit-elle en claquant la porte. Bien plus tard, sa tante avouera à Vincent qu’elle était cachée derrière la porte, qu’elle savait qu’il avait fait « une bêtise » et qu’elle avait appelé sa voisine pour l’éconduire.
Moulia reprit alors son vagabondage dans cette grande ville qu’il ne connaissait pas. La capitale foisonnait de soldats en permission mais celui-ci, avec son fusil en bandoulière et son uniforme en haillons, ne passait pas inaperçu. Au détour d’une rue, un garde républicain l’apostropha :
« – Hé le militaire, ne sais-tu donc pas qu’il est interdit de se promener en ville avec son fusil ?
– Ce que je sais, c’est qu’un soldat doit se présenter à l’appel avec son équipement », répondit-il sans ciller.
Le coup était passé près. Moulia abandonna son fusil peu après dans les toilettes d’une gare. En tendant l’oreille, il saisit alors quelques mots de gascon. Sûrement des soldats qui rentraient au pays. Le groupe monta dans un train, Moulia leur emboîta le pas, l’air de rien. Après de longues heures d’angoisse, le paysage devint familier. La Garonne, les longues étendues de pins : la gare de Dax n’était plus très loin. Mais il s’y savait attendu. Il sauta du train à Laluque et termina à pied. A Dax, il patienta jusqu’à la tombée de la nuit et se rendit chez le père de Berthe. Requis par l’armée, celui-ci travaillait et logeait dans le quartier du Sablar. Mais là encore, la porte resta close.
« – Les gendarmes sont venus. Tu vas tous nous faire prendre ! » Le fantassin Moulia reprit alors sa marche clandestine jusqu’à la seule porte qu’il savait devoir s’ouvrir : celle de sa mère à Nassiet.


Marie Moulia manqua défaillir lorsqu’elle entendit gratter à son volet au beau milieu de la nuit. Puis la peur fit place à la joie la plus intense. Son fils était de retour. Et vivant. Elle lui aménagea une cache dans le vieux four à pain. Elle aussi avait déjà reçu la visite des gendarmes d’Amou. Ils allaient revenir, c’était certain. Vincent passa l’été 1917 dans sa cache. Mais la tentation de revoir Berthe était trop grande. Il prit des risques et certains, à Nassiet, finirent par remarquer cette silhouette qui s’évanouissait dans les rues du village à la tombée de la nuit. Le manège ne pouvait plus durer.
Vincent connaissait un roncier impénétrable dans un bosquet en contrebas de la ferme des parents de Berthe, au lieu-dit « Landré ». Il y creusa un tunnel de verdure et dégagea une clairière au milieu. Là, il se construisit un véritable fortin : une cabane en bois au toit de chaume équipée d’une couche, d’une table, d’un fauteuil et même d’une cheminée pour réchauffer sa soupe. Autour, il aménagea un petit potager et entoura l’ensemble d’une puissante clôture derrière laquelle il guettait les intrus son fusil à la main. Débutée à l’automne 1917, sa vie de Robinson se prolongea jusqu’au printemps 1918. Pendant cette période, quelques poulets, légumes et miches de pain disparaissaient mystérieusement dans les fermes alentours. Et fatalement, la rumeur enfla à Nassiet.
Un matin, Vincent Moulia distingua une silhouette qui tournait autour de son roncier. La nuit suivante, alors qu’il revenait de son marché nocturne, il s’approcha prudemment du bistrot du village pour y écouter les conversations. C’était bien de lui qu’on parlait :
« – Il faut le dénoncer, dit une voix. Demain je préviens les gendarmes d’Amou. »
Vincent était anéanti. « J’ai cru entendre à nouveau les salves du peloton d’exécution », dira-t-il plus tard. Pour la première fois, il songea à siffler la fin de la partie. Mais à sa manière : toutes ses balles pour les gendarmes, et la dernière pour lui. Berthe, inquiète, mit l’abbé Verdier dans le secret. Le curé de Nassiet promit de les aider. Mais d’abord, il fallait fuir à nouveau.
Quelques jours plus tard, lorsque la compagnie de gendarmerie d’Amou encercla le roncier du Landré, Vincent Moulia était déjà loin. Sa cavale reprit de plus belle : le jour il se terrait dans les bois, la nuit il avalait les kilomètres de son pas de fantassin. Il traversa le Pays basque, franchit les Pyrénées et passa la frontière en mai 1918, plus d’un an après sa condamnation à mort. A Saint-Sébastien, l’attendait une connaissance de l’abbé Verdier. Enfin en sécurité, il reprit le cours de sa vie. Berthe le rejoignit quelques mois plus tard. Ils se marièrent le 19 octobre 1919, devant l’abbé Verdier qui s’était déplacé pour l’occasion. Vincent travaillait comme charpentier, Berthe devint couturière dans un pensionnat de jeunes filles. Leur premier fils Robert naquit en 1923, Hélène deux ans plus tard.
Mais l’Histoire attendait encore Vincent Moulia au tournant. En 1936, la guerre civile éclata en Espagne et Vincent, qui soutenait les Républicains, fut extradé en France. La justice militaire ne l’avait pas oublié : il fut cueilli à son arrivée au port de Bordeaux et emprisonné au fort du Hâ. Deux semaines d’angoisse plus tard, il était libre de rentrer à Nassiet. Cette fois en héros.

Depuis cette date, de nombreuses initiatives ont été lancées pour la réhabilitation de l’ancien poilu. L’historien montois André Curculosse fut le premier à recueillir son récit en 1968. Pierre Durand, journaliste à L’Humanité, lui consacra un livre en 1978 (1). L’année suivante, Alain Decaux diffusa à la télévision un documentaire d’une heure à sa gloire qui lui offrit une notoriété nationale. Les témoignages d’anciens compagnons affluèrent, les actions en sa faveur se multiplièrent, Moulia fit la une de France-Soir du 13 juillet 1979 sous le titre : « Rendez sa croix de guerre à ce héros de 14-18 ». Michel Rocard, alors député, interpella le ministre des Armées à son sujet dans l’Assemblée. Mais rien n’y fit. Jamais l’institution militaire ne se déjugea sur le cas de Vincent Moulia.
Le 11 novembre 1979, devant le monument aux morts de Nassiet où sont gravés les noms des 26 enfants du village tombés dans les tranchées de 14-18, la croix de guerre de Vincent Moulia, celle qu’il avait obtenue à Craonne, fut finalement agraphée à son veston. Mais c’est Alain Decaux qui lui avait offert la breloque et, à défaut de ministre, c’est M. Artaud, le poilu le plus décoré de France, qui la lui remit devant sa famille et tout le village de Nassiet au cours d’une cérémonie informelle.
Cinq ans plus tard, en 1984, Vincent Moulia s’éteignit auprès des siens à l’âge de 96 ans. Sur les 600 mutins de 14-18 condamnés à mort, il demeure le seul à avoir échappé au peloton d’exécution. Lui que l’institution avait condamné pour l’exemple, est finalement devenu le symbole de la résistance à l’arbitraire. Ajoutant à son défi contre l‘institution, comme un dernier pied de nez à ceux qui voulaient sa peau, une extraordinaire longévité.

Vincent Moulia demeure un exemple. Son extraordinaire destinée montre qu'avec beaucoup de patience, de chance, et des convictions inébranlables dans la justice face aux oppresseurs, il persiste un espoir de résister au fascisme, pas seulement celui des bellicistes de 1914, ni à celui des franquistes et des guestapistes, mais à celui qui nous piétine au quotidien, 35 ans après sa disparition. Lui, le dernier mutin est le symbole-même, que quand toute lutte sociale ou politique semble condamnée, la solution persiste de faire un doigt d'honneur à l'histoire, d'être le grain de sable qui enraye la machine, le va-nu-pied qui survit aux chiens de l'enfer en leur répétant, même d'outre tombe "je vous emmerde !"



A Riom, dans le département du Puy-de-Dôme, est dédié un monument aux morts à la mémoire des poilus fusillés pour l'exemple. C'est aux six martyrs de Vingré et à ceux de Flirey, Fleury, Fontenoy, Montauville et Souain qu'est dédié le monument de Riom. Situé à proximité du carré militaire au sein du cimetière des Charmettes, il est inauguré le 11 novembre 1922. Il est inscrit sur le monument : « Aux victimes innocentes des conseils de guerre 1914 - 1918 et à celles de la Milice et de la Gestapo 1939 - 1944 ». Cette dernière dédicace fut ajouté en 1944, en souvenir des violentes critiques de la Légion des Combattants (pétainiste) qui tenta de le faire abattre en 1941. 





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