mercredi 31 octobre 2012

3 Chansons de Cocteau

En 1934, pour Marianne Oswald, Cocteau écrit plusieurs "chansons parlées".


La plus connue est sans doute La Dame de Monte-Carlo, plus tard mise en musique par Poulenc



La Dame de Monte-Carlo

Quand on est morte entre les mortes,
qu’on se traîne chez les vivants
lorsque tout vous flanque à la porte
et la ferme d’un coup de vent,
ne plus être jeune et aimée…
derrière une porte fermée,
il reste de se fiche à l’eau
ou d’acheter un rigolo.
Oui, messieurs, voilà ce qui reste
pour les lâches et les salauds.
Mais si la frousse de ce geste
s’attache à vous comme un grelot,
si l’on craint de s’ouvrir les veines,
on peut toujours risquer la veine
d’un voyage à Monte-Carlo
Monte-Carlo, Monte-Carlo.

J’ai fini ma journée.
Je veux dormir au fond de l’eau de la Méditerranée.
Après avoir vendu à votre âme et mis en gage
des bijoux que jamais plus on ne réclame,
la roulette est un beau joujou.
C’est joli de dire: “je joue”.
Cela vous met le feu aux joues
et cela vous allume l’oeil.
Sous les jolis voiles de deuil
on porte un joli nom de veuve.
Un titre donne de l’orgueil!
Et folie, et prête, et toute neuve,
on prend sa carte au casino.
Voyez mes plumes et mes voiles,
contemplez les strass de l’étoile
qui mène à Monte-Carlo.

La chance est femme. Elle est jalouse
de ces veuvages solennels.
Sans doute ell’ m’a cru l’épouse
d’un véritable colonel.
J’ai gagné, gagné sur le douze.
Et puis les robes se décousent,
la fourrure perd des cheveux.
On a beau répéter: “Je veux”,
dès que la chance vous déteste,
dès que votre cœur est nerveux,
vous ne pouvez plus faire un geste,
pousser un sou sur le tableau
sans que la chance qui s’écarte
change les chiffres et les cartes
des tables de Monte-Carlo.

Les voyous, le buses, les gales!
Ils m’ont mise dehors… dehors…
et ils m’accusent d’être sale,
de porter malheur dans leurs salles,
dans leurs sales salles en stuc.
Moi qui aurais donné mon truc
à l’œil, au prince, à la princesse,
au Duc de Westminster,
au Duc, parfaitement.
Faut que ça cesse,
qu’ils me criaient, votre boulot! Votre boulot?...
Ma découverte.
J’en priverai les tables vertes.
C’est bien fait pour Monte-Carlo, Monte-Carlo.

Et maintenant, moi qui vous parle,
je n’avouerai pas les kilos que j’ai perdus,
que j’ai perdus à Monte-Carle,
Monte-Carle, ou Monte-Carlo.
Je suis une ombre de moi-même...
les martingales, les systèmes
et les croupiers qui ont le droit
de taper de loin sur vos doigts
quand on peut faucher une mise.
Et la pension où l’on doit
et toujours la même chemise
que l’angoisse trempe dans l’eau.
Ils peuvent courir. Pas si bête.
Cette nuit je pique une tête
dans la mer de Monte-Carlo, Monte-Carlo…


On connait aussi relativement bien Anna la Bonne. Inspiré du poème d'Edgar Poe Annabel Lee traduit par Mallarmé, le texte reste une des productions les plus fascinantes de Cocteau.

Anna la bonne

Ah, Mademoiselle !
Mademoiselle Annabel
Mademoiselle Annabel Lee
Depuis que vous êtes morte
Vous avez encore embelli
Chaque soir, sans ouvrir la porte
Vous venez au pied de mon lit
Mademoiselle, Mademoiselle
Mademoiselle Annabel Lee

Sans doute, vous étiez trop bonne
Trop belle et même trop jolie
On vous portait des fleurs comme sur un autel
Et moi, j'étais Anna, la bonne
Anna, la bonne de l'hôtel
Vous étiez toujours si polie
Et peut-être un peu trop polie
Vous habitiez toujours le grand appartement
Et la chose arriva je ne sais plus comment

Si. Bref, j'étais celle qu'on sonne
Vous m'avez sonnée une nuit
Comme beaucoup d'autres personnes
Et ce n'est pas assez d'ennui
Pour... enfin... pour qu'on assassine
Nous autres, on travaille, on dort,
Les escaliers... les corridors
Mais vous, c'étaient les médecines
Pour dormir "Ma petite Anna,
Voulez-vous me verser dix gouttes ?
Dix, pas plus !" Je les verse toutes
Je commets un assassinat

Que voulez-vous, j'étais la bonne
Vous étiez si belle, si bonne
Vous receviez un tas d' gens
Vous dépensiez un tas d'argent
Et les sourcils qu'on vous épile
Les ongles et le sex-appeal !

{au Refrain}

Vous croyez que l'on me soupçonne
La police, les médecins
Je suis Anna, celle qu'on sonne
On cherche ailleurs les assassins
Mais vos princes, vos ducs, vos comtes
Qui vous adoraient à genoux
Plus rien de ces gens-là ne compte
Le seul secret est entre nous

Vous pensez que je m'habitue ?
Jamais. Elle viendra demain
Vraiment, ce n'est pas soi qui tue
Le coupable, c'est notre main
"Dix gouttes, Anna, mes dix gouttes"
Et je verse tout le flacon
Ah ! Cette histoire me dégoûte
Un jour, je finirai par sauter d'un balcon

Et cet enterrement ! Avez-vous une idée
De ce qu'il coûte au prix où revient l'orchidée ?
Elle devait partir sur son yacht pour Java
La Java !
On y va. On y va... On y va !

Pour la même interprète Cocteau écrit aussi (musique comprise)

Mes sœurs n'aimez pas les marins


Mes sœurs, n'aimez pas les marins
A peine ils sont venus qu'ils partent
Mes sœurs, n'aimez pas les marins
Ils font vivre dans le chagrin
Et les suivre sur une carte
Mes sœurs, n'aimez pas les marins


Mes sœurs, n'aimez pas les marins
Nous n'avons pas vu ce qu'ils virent
Mes sœurs, n'aimez pas les marins
Je les aimais et je les crains
Car ils n'aiment que leur navire
Mes sœurs, n'aimez pas les marins


Mes sœurs, n'aimez pas les marins
La solitude est leur royaume
Mes sœurs, n'aimez pas les marins
Où les suivre et sur quel terrain
On aime en eux que des fantômes
Mes sœurs, n'aimez pas les marins


Mes sœurs, n'aimez pas les marins
Ils vous embrassent pour la forme
Mes sœurs, n'aimez pas les marins
Ils vous mettent le cœur en train
Ils font l'amour et ils s'endorment
Mes sœurs, n'aimez pas les marins


J'en aimais un qui m'a tué
Mes sœurs, n'aimez pas les marins
Leur départ vous casse les reins
Et ils rient des prostituées
Mes sœurs, n'aimez pas les marins

Faute de la trouver sur les sites habituels, on la trouvera ICI

http://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=v57_LMMkig4





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